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Article de revue

Trois approches géographiques des risques

Pages 369 à 380

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Trois approches géographiques des risques

1 Veyret-Mekdjian Yvette (2001,). Géographie des risques naturels. Paris : La Documentation française, La Documentation photographique, n° 8023, 63 p., phot., cartes.

2 November Valérie (2002). Les Territoires du risque. Bern : Peter Lang, 332 p., bibl.

3 Dubois-Maury Jocelyne, Chaline Claude (2002). Les Risques urbains. Paris : Armand Colin, coll. « U », 208 p., index, bibl.

4 Trois ouvrages récents viennent d’alimenter la production dans un domaine qu’il est convenu d’appeler la « géographie des risques » ; mais ils traitent très diversement de la question : celui d’Yvette Veyret-Mekdjian privilégie le risque majeur et naturel et porte sur l’ensemble des milieux de la planète ; ceux de Valérie November, d’une part, de Jocelyne Dubois-Maury et Claude Chaline, d’autre part, prennent en considération tous les types de risques mais focalisent leur attention sur l’espace urbain. Par ailleurs, ils ne s’adressent manifestement pas tous au même public : depuis l’ouvrage de solide « vulgarisation » d’Yvette Veyret-Mekdjian, axé sur les exemples concrets et illustrés, à destination des élèves et enseignants, jusqu’au livre plus conceptuel de Valérie November, en passant par une sorte de manuel sur les risques urbains de la collection U (pour « universitaire ») de Jocelyne Dubois-Maury et Claude Chaline, destiné au public universitaire, on couvre toute une gamme de publications sur la question.

5 Les Territoires du risque de Valérie November est sans doute le plus approfondi ; l’ouvrage résulte d’une thèse, dont il tire le haut niveau de réflexion et la construction bien particulière : définitions, cadrage historique et théorique, état de l’art pour certaines approches, hypothèses et proposition d’une thèse y sont exposés. L’argument central est la « compréhension de la relation risque-territoire » que l’auteure juge détériorée depuis l’accentuation des approches quantitatives, techniques, gestionnaires et les développements disciplinaires des recherches. Considérant les risques collectifs mais en les caractérisant par leur modalité de répartition dans l’espace (diffus, concentrés, réseau, territorialisés) et non selon les catégories habituelles (naturels, technologiques, sociaux), elle procède à une « reconfiguration » de la notion en se concentrant sur la relation étroite et complexe entre les risques et la dynamique territoriale. Un va-et-vient entre analyse théorique (l’état des lieux sur la connaissance géographique du risque) et approches pragmatique et empirique des praticiens (les observations de terrain à Genève et à Québec) permet d’« ouvrir des pistes de remise en question des paradigmes habituels d’analyse du risque » et de légitimer l’importance de la liaison risque-territoire.

6 La deuxième partie fournit un aperçu étymologique bien mené, puis déroule un historique des risques tels qu’ils sont traités par les géographes, depuis le Moyen Âge jusqu’au milieu du xxe siècle, puis au sein des recherches contemporaines géographiques ou autres. Ce contrepoint disciplinaire permet de tenter de comprendre « génériquement » le risque, et c’est précisément cette dynamique interne des risques que Valérie November tente de mettre en lumière. Les traits saillants et récurrents de la conception générale et spécialisée du risque sont alors formulés : le risque est un danger probabilisé auquel on attribue des conséquences spatiales potentielles. Il s’exprime par une valeur traduite en termes monétaires mais aussi culturels, sociaux qui se reflète dans les représentations que peuvent en avoir les différentes composantes de la société ; il est le résultat d’interactions entre un aléa, phénomène « brut », et la présence humaine, donc au cœur de différents systèmes imbriqués (naturels, sociopolitiques, technologiques, etc.). Si une « certaine spatialité du risque émerge » dans les définitions et les recherches géographiques ou non géographiques, aboutissant notamment à qualifier le type de milieu qui en est le support, la dynamique spatiale spécifique est rarement identifiée.

7 La présentation de la thèse proprement dite revient à la troisième partie. L’auteure, à l’issue de la rétrospective consacrée à la conception des risques, constate différents obstacles à la compréhension globale de la relation risque-territoire : c’est par exemple l’utilisation de seuils de tolérance et de mesures discutables, ou la validité des représentations expertes et profanes dans l’approche par les représentations ; ou encore la séparation dommageable des facteurs humains/non humains. En outre, la vision du territoire en termes de fonctionnement ou de système (réseau) dans les études géographiques donne aux risques des significations différentes mais n’explicite pas leurs liaisons avec le territoire. Un changement de perspective est proposé pour contourner les difficultés théoriques pointées. Il se fonde notamment sur l’articulation des notions de réseau et de territoire, sur la prise en compte de l’hétérogénéité des risques (phénomènes sociaux, politiques, environnementaux, etc.) qui rend peu pertinente la séparation nature/culture, sur la notion d’acteur-réseau enfin, telle qu’employée par la sociologie des sciences et techniques. En « renouant » les relations entre les structures objectivées et les représentations de l’espace, les dimensions individuelles et collectives, les appréhensions intuitives et l’objectivation matérielle des phénomènes, on peut comprendre, outre leurs traditionnels rapports de contiguïté, l’étroite relation de connexité (en tant que « ce qui a trait aux relations de réseau ») entre le risque et le territoire. Cette dernière justifie pleinement le risque comme objet de la géographie voire permet une réflexion sur la discipline elle-même.

8 Une bibliographie très riche, qui fouille au-delà du seul domaine géographique (330 références hors celles consacrées aux cas d’étude) et propose une abondante littérature scientifique francophone et anglophone, complète cet ouvrage qui fournit, dans un style très abordable, à la fois une bonne mise au point sur le risque en géographie et une véritable thèse sur les relations risques-territoire.

9 Les Risques urbains constituent une réactualisation de La Ville et ses dangers, des mêmes J. Dubois-Maury et C. Chaline (Masson, 1994). Dans cette version, les auteurs ont souhaité ajouter les risques mineurs, quotidiens, aux risques collectifs majeurs plus classiques : « plus discrets, spatialement diffus, étalés dans le temps, […] par leurs effets de gênes et de nuisances [ils] affectent la santé publique et sont peut-être, sur le long terme, causes d’autant de pertes humaines que les grandes catastrophes » (p. 191). Deux brefs chapitres font le point l’un sur la croissance des catastrophes et des risques actuels, d’ailleurs pas exclusivement urbains malgré le titre (« Les risques urbains des sociétés contemporaines »), l’autre sur la vulnérabilité particulière des espaces urbains (« Anatomie et perception des vulnérabilités urbaines »). L’ouvrage est ensuite structuré thématiquement suivant le type de risques : après les risques collectifs naturels puis industriels et technologiques, il aborde les risques sociaux puis les risques mineurs (quotidiens) jusqu’alors peu étudiés des géographes, dans un mouvement cependant assez répandu au cours des toutes dernières années. Outre cette relative nouveauté, les auteurs prétendent mettre l’accent sur « la prise en compte des victimes à travers l’émergence de la notion de victimisation », mais celle-ci n’est ni définie, ni discutée, voire utilisée parfois de façon peu opportune.

10 Malheureusement, l’impression qui domine, à la lecture de ce manuel surtout descriptif, est celle d’un ouvrage écrit dans l’urgence : le texte, parfois pénible à lire, est constellé de fautes d’accord et de ponctuation, de légendes de cartes inversées ou illisibles, l’index est décalé par rapport aux citations auxquelles il est censé renvoyer, de sous-titres particulièrement discordants par rapport au titre, etc. Les sigles non développés et ne figurant pas dans la liste proposée en fin d’ouvrage, les sources cartographiques non précisées, les références bibliographiques manquantes par rapport à une mention dans le texte, les datations approximatives abondent (la catastrophe de Seveso eut lieu en 1976 et non en 1982, p. 92). On regrettera les inexactitudes sur le sujet, le manque de précision dans l’emploi des termes (qu’est-ce que le « principe de mutuellisme », p. 95), les questions importantes qui n’entraînent pas le moindre élément de réponse : par exemple à propos des Commissions locales d’information, de leur constitution et de leur rôle (p. 112). S’il s’agit d’un ouvrage pour non-spécialistes, des définitions et précisions terminologiques, méthodologiques, disciplinaires parfois auraient été bienvenues. S’il s’adresse à des lecteurs initiés, on aurait apprécié plus de discussion et parfois de détail et d’approfondissement des sujets abordés : par exemple, lorsqu’il est fait mention au recours à la « théorie mathématique des valeurs extrêmes », n’aurait-il pas été judicieux de préciser, même rapidement, de quoi il s’agit (p. 30) ? Dans les deux cas, peut-être pour des raisons différentes, imprécisions et inexactitudes me semblent peu admissibles : confondre l’inondation de la centrale nucléaire du Blayais, Gironde, en 1999, avec l’explosion du silo de Blaye, Gironde également, en 1997, confusion que manifeste la mention à deux reprises d’un Blayes (33) inexistant sur le plan de l’accidentologie (p. 107 et 111) tend à jeter le trouble sur la véracité des informations fournies.

11 Précis dans les exemples sur lesquels il prend appui, le numéro de la documentation photographique consacré à la Géographie des risques naturels parvient cependant à traverser de multiples thématiques rattachées à la question des risques : les outils de prévention, la perception du risque et de la catastrophe en s’appuyant sur leur évolution historique, la nature des phénomènes en cause étudiés dans une typologie détaillée, etc. Tous les risques d’origine naturelle sont répertoriés, à différentes échelles spatiales, de la répartition planétaire aux menaces et dégâts qu’ils occasionnent sur une ville en particulier (Kobé, Lisbonne, San Francisco, Vargas). Différentes échelles temporelles sont également envisagées, puisqu’aux événements à cinétique rapide, les plus couramment abordés par la géographie des risques majeurs collectifs tels que les avalanches, les séismes, les ouragans, les inondations et les incendies de forêt, s’ajoutent les catastrophes longues telles que la désertification et le changement climatique global. La logique d’enchaînement des différents exemples manque peut-être de clarté, mais comme il s’agit presque de fiches venant commenter et expliciter des images destinées à la projection, cela me semble sans conséquence sur la compréhension globale du propos.

12 Voici donc un ensemble d’ouvrages assez disparate quant au contenu et aux approches. Tous ont en commun de s’appuyer sur des exemples précis, très fouillés et nourrissant la problématique pour Les Territoires du risque, organisés de manière thématique mais constituant chacun une « fiche » très complète pour La Géographie des risques naturels, plus succincts et épars, presque comme des citations pour Les Risques urbains. Le premier, peut-être davantage adressé aux spécialistes de la question, entraînera volontiers des discussions, tandis que les deux autres ont une vocation informative.— Sandrine Glatron, Université de Strasbourg

Géographie de la connaissance scientifique

13 Livingstone David N. (2003). Putting Science in its Place: geographies of scientific knowledge. Chicago and London: University of Chicago Press: 234 p., figs. ISBN 0 226 48722 9.

14 Best known for his book, The Geographical Tradition: episodes in the history of a contested enterprise (1992), Professor David Livingstone (Queen’s University Belfast) presents another challenging text. He asks the fundamentally geographical questions: where does scientific enquiry take place, and what is the differential impact of these varying places of activity? In his own words: “To ask what role specific locations have in the making of scientific knowledge and to try to figure out how local experience is transformed into shared generalisation is … to ask fundamentally geographical questions” (p. 1). His immensely erudite book argues that science has a geography – or geographies (space matters!), and then takes the reader through an array of venues of science: laboratories, museums, field operations, scientific associations, botanical gardens, and hospitals. Such organisations have ‘regional dimensions’ expressed in terms of nations (‘national schools’), religious groups, and provincial communities of scholars. And the discoveries and practices of science are transmitted through space, with the help of exploration, surveying, and mapping. Chosen examples are diverse: from Edinburgh to Paris, and from Christian Europe to East Asia. The concluding bibliographical essay (pp. 187-223) is a marvel of erudition in its own right. Without doubt, this is a fine scholarly book to read, ponder and digest. Its appearance in the distinguished science.culture series of the University of Chicago Press reinforces its excellence.— Hugh Clout, University College London

Échelle et enquête géographique

15 Sheppard Eric, McMaster Robert B. eds. (2004). Scale and Geographic Inquiry: Nature, Society and Method. Oxford: Blackwell, 272 p., ISBN 0-631-23070-x (paperback).

16 During the spring of 2000, the Geography Department at the University of Minnesota celebrated its 75th anniversary. Founded in 1925, it is the fifth oldest in the USA and with two dozen faculty members is now one of the largest. Richard Hartshorne was one of the founding fathers, and other distinguished emeriti include Jan Broek and Yi Fu Tuan. A programme of lectures and seminars was organized in commemoration, with ‘scale’ being the chosen focus. A dozen chapters by no fewer than nineteen authors compose this interesting text that takes the reader from fractals and population/environment interaction, through biogeography and cybergeography, to discussions of world cities and spatial connectivity, especially in Europe. As with events of this kind, and subsequent edited volumes, the result is a mélange rather than a seamless web. Nonetheless, the authors amply demonstrate the centrality of ‘scale’, expressed one way or another, in vibrant geographical enquiry at the start of the new millennium. Some contributors are on the academic staff of Minnesota, others are invited to contribute from outside; some are established ‘world names’ (e.g. Neil Smith from the City University of New York), others are less well known. I would have liked to know more about how the dozen essays mapped directly on work currently being undertaken at Minneapolis; some more contextualization would have helped. In addition, a brief diagram on the presence and role of faculty members past and present would have highlighted the celebration. This is a compilation that has all the right ‘key words’ in its title and subtitle; it is a book to be used by advanced students for the valuable insights it casts on North American geographical practice at the start of a new century. With the exception of the references listed by Erik Swyngedouw, its bibliographic framework is entirely anglo-american.— Hugh Clout, University College London

Objets et indicateurs géographiques

17 Maby Jacques (dir.) (2003). Objets et indicateurs géographiques. Avignon : Université d’Avignon, UMR ESPACE 6012 CNRS, coll. « Actes Avignon », n° 5, 316 p.

18 Sous la direction de Jacques Maby, cet ouvrage est un recueil de textes écrits à la suite de séminaires ayant réuni les chercheurs de l’équipe d’Avignon. Cet ouvrage est donc un compte rendu de confrontations personnelles et de discussions enrichissantes, mais il ne constitue en aucun cas un manuel ou un état de l’art avec des développements méthodologiques systématiques. Il s’agit d’une mosaïque de réflexions épistémologiques sur le thème « objets et indicateurs en géographie », et ce principalement dans une orientation géographie physique et naturelle. Après une préface de Joël Charre, l’ouvrage est organisé en deux parties. La première se veut être une « réflexion sur la nature des objets et des indicateurs de la géographie » et comprend quatre articles écrits respectivement par Jacques Maby (2), Joël Charre et Philippe Martin. La deuxième partie est intitulée « Propositions d’objets et d’indicateurs géographiques » et comprend huit contributions écrites par Pierre Dérioz, Anne-Elizabeth Laques, Philippe Bachimon, Romain Lajarge, Philippe Martin, Patrick Tanet et Joël Charre. Notons ici que 170 des 316 pages du livre sont issues de la plume de Philippe Martin.

19 Comme souvent dans ce type d’ouvrages collectifs, les points de vue sont très hétérogènes ; cette hétérogénéité doit être vue à la fois comme un point fort, mais aussi comme source de critiques. On appréciera donc particulièrement la diversité des points de vue ; pris par la lecture du débat, à tout moment le lecteur a aussi envie de réagir ! L’objectif est donc atteint. L’ouvrage rend assez bien compte de la disparité des approches philosophico-épistémologiques françaises sur un problème trop souvent négligé par les chercheurs actuels : s’interroger sur les pratiques de mesure. L’ouvrage amène à réfléchir…

20 Si j’ai apprécié le ton général de l’écriture, je me demande si certains débats n’auraient pas pu être raccourcis au profit de rappels méthodologiques systématiques (le lecteur moyen maîtrise-t-il les notions de dimension fractale, bifurcation, ergodicité, etc.). Ensuite, comme souvent dans ce type d’ouvrages, il manque de cohérence dans la forme : aucun index, pas de bibliographie commune, manque d’uniformité dans les présentations, les auteurs s’ignorent l’un l’autre, conduisant à certaines redites, les figures ne sont pas numérotées de façon continue (il y a autant de figures n° 1 que de chapitres !), Il faut également déplorer qu’une loupe soit nécessaire pour la lecture de certains graphes et le texte est écrit très petit (à déconseiller donc comme lecture de train pour les plus de quarante ans !). Enfin, je trouve dommage que le débat ne soit pas ouvert à d’autres laboratoires, à d’autres tendances en géographie, à la recherche internationale voire à d’autres disciplines qui se posent le même genre de questionnement. Les références bibliographiques en témoignent : beaucoup de littérature « grise » et essentiellement française. Enfin, les exemples empiriques choisis manquent parfois un peu d’« envergure ».

21 Je conseille donc cette lecture à tous ceux qui veulent amorcer une réflexion épistémologique sur les objets et les indicateurs géographiques, mais non pour acquérir un savoir-faire sur les mesures. Bonne lecture ! — Isabelle Thomas, Université de Louvain-la-Neuve

Cartographies

22 Bollmann Jürgen, Koch Wolf Günther (ed.) (2001). Lexikon der Kartographie und Geomatik. Heidelberg/Berlin : Spektrum Akademischer Verlag, 2 vol., 453 et 455 p.

23 Le Fur Anne (2000). Pratiques de la cartographie. Paris : Armand Colin, coll. « Synthèse, série géographie », 96 p.

24 Deux livres sur la cartographie, aussi différents que possible, mais très complémentaires. L’encyclopédie publiée par Jürgen Bollmann et Wolf Günther Koch, respectivement professeurs à l’Université de Trèves et à l’Université Technique de Dresde, est consacrée aux concepts et aux techniques de la cartographie et de la géomatique. Ses deux gros volumes expliquent des centaines de termes techniques de cartographie mais aussi d’un spectre de disciplines en amont de celle-ci, de la physique à la géodésie et à l’informatique, notamment de nombreux termes et sigles en anglais. D’autres entrées sont consacrées à des grandes figures de ces mêmes disciplines, si bien que l’on trouve naturellement des entrées sur Mercator et Petermann, mais aussi Einstein et Halley. Mais, curieusement, ni Christaller, ni Von Thünen. L’illustration est abondante et très soignée, en noir et blanc, sauf dans un cahier central en couleurs. Si bien que la « Blaue Banane » est traitée en gris, sous l’article « Geodesign » (mais elle est en couleurs sur la couverture, dans une petite vignette). Son inclusion montre en tout cas que nos collègues allemands nous lisent, comme le montre aussi l’entrée « chorème », accompagnée de la table des chorèmes (Abbildungssytematik und Beispiele, nach R. Brunet), rédigée par Peter Tainz. Symétriquement, ces ouvrages nous informent sur des auteurs et des techniques qui ne nous sont pas familiers. Seuls inconvénients, le prix élevé des deux volumes et la langue dans laquelle ils sont rédigés, qui semblent les destiner à en faire des ouvrages de référence à consulter en bibliothèque.

25 Le livre d’Anne Le Fur, cartographe à l’Afdec (association française pour le développement de l’expression cartographique) et enseignante de cartographie à Paris I, est tout le contraire : mince, léger, pédagogique, il vise à communiquer sous une forme concentrée et pratique les principes de la cartographie et du langage graphique à ceux qui veulent réaliser leurs propres cartes. Glossaire, encadrés, exemples, bibliographie, listes de logiciels et de sites internet (déjà largement caduques, tant les choses changent vite dans ce domaine), tout est réuni pour faire de ce livre un outil pratique et, espérons-le, un moyen d’éviter que la facilité d’usage des logiciels ne multiplie les cartes illisibles ou fausses. Alors que le premier ouvrage est de l’ordre de la somme, on a ici affaire au genre vade-mecum, l’un et l’autre ayant leur utilité.— Hervé Théry, CNRS, UMR ENS/IRD « Territoire et mondialisation dans les pays du Sud »

Histoire, vin et pouvoir

26 Vigreux Jean, Wolikow Serge (dir.), Bourgeon Jean-Marc, Jacquet Olivier (coord.) (2001). Vignes, vins et pouvoirs. Dijon : Éditions universitaires de Dijon, Cahiers de l’IHC, Territoires contemporains n° 6.

27 La profession viticole française tient volontiers aujourd’hui un discours où le terroir, la qualité, la tradition sont autant de rouages au service de son auto-célébration et de sa promotion. Le succès, au moins national, et l’efficacité d’un tel discours viennent de sa cohérence interne, puisque chacun des acteurs sociaux (journalistes, scientifiques, institutionnels, vignerons…) vient le relayer et l’appuyer de son expérience. Il semble pourtant que derrière « le refuge d’une tradition séculaire », ce discours se soit progressivement construit et perfectionné au cours du xxe siècle par le truchement de luttes d’influence et de relations de pouvoir complexes. À travers sept textes à caractère historique, sociologique et politique, l’ouvrage dirigé par les historiens Jean Vigreux et Serge Wolikow et coordonné par Jean-Marc Bourgeon et Olivier Jacquet propose plusieurs perspectives pour rompre avec une vision tantôt passéiste, tantôt techniciste de l’histoire viticole française.

28 Il s’agit d’abord d’une histoire envisagée comme « une période de transformation profonde », traversée par une suite de crises graves : surproductions, méventes, fraudes, procès. C’est un postulat de départ, annoncé dès l’introduction par Serge Wolikow : le monde de la vigne et du vin, pas plus qu’un autre secteur agricole, ne sera épargné par les mutations techniques. Cependant, le souci de préserver un héritage ancestral continue à se renforcer et émerge d’une nouvelle manière, mobilisant l’action du droit, des représentations politiques, des organisations professionnelles et des administrations publiques. Grâce aux relations de confiance nouées entre l’équipe des auteurs et le milieu professionnel, des archives publiques et privées ont pu être étudiées afin d’éclairer cette question : comment les relations de pouvoir au cœur d’un système économique se traduisent-elles dans la mutation du monde viticole au xxe siècle ?

29 Les deux premières contributions ont en commun d’exposer l’émergence contestée du système d’AOC en 1936. Grâce au portrait de C. Bouchard, proposé par Jean-Marc Bourgeon, puis à celui du négoce bourguignon en général, dressé par Olivier Jacquet, le lecteur suivra entre 1905 et 1936, date de création du Comité National des Appellations d’Origine, le parcours du législateur, les délicates questions auxquelles il est confronté et surtout la terrible lutte d’influence à laquelle se livrent un négoce conservateur et une classe montante de petits propriétaires. Tandis que cette nouvelle force politique, menée principalement par le marquis d’Angerville, vient lui contester l’usage de ses pratiques, c’est une stratégie totalement différente qui se dessine pour sortir des crises de mévente. Cette vision de la viticulture, sur fond de procès et par la médiatisation des actions syndicales, s’appuie sur la reconnaissance individuelle de parcelles et de règles de production strictes : elle n’accepte plus le jeu des coupages du négoce. Elle s’inscrit également dans la production d’un folklore viticole qui va apporter auprès du public une nouvelle caution et légitimer le local et le traditionnel « devenus progressivement synonymes de qualité ».

30 C’est principalement ce thème qu’évoque la troisième contribution (Gilles Laferté). L’histoire du comte Lafon montre comment un homme qui n’est ni bourguignon ni vigneron devient le créateur d’un rendez-vous mondain et fortement médiatisé dans le monde viticole : la Paulée de Meursault. Cette célébration s’accompagne d’un prix littéraire œuvrant à la promotion du lieu. En effet, « être régionaliste, traditionaliste, devient une stratégie commerciale efficace ». À l’inverse d’un C. Bouchard dont les ressources sociales s’épuisent dans le combat du négoce traditionnel, crispé et déclinant, celles du comte Lafon impliqué dans les réseaux notabiliaires locaux et nationaux, initie un «folklore promotionnel qui n’a cessé de se développer jusqu’à nos jours ».

31 La quatrième contribution présente l’histoire d’une « amnésie locale » : en 1942, la section cadastrale B328 des Hospices de Beaune est donnée, sous l’impulsion du préfet et du maire de Beaune, au maréchal Pétain. Ni l’administration préfectorale ni les notables locaux ne s’opposent à un tel don : le projet culturel de Vichy s’accorde bien avec le conservatisme politique local. Les étiquettes, estampillées « clos du Maréchal Pétain » et la cérémonie du bornage de la parcelle deviennent alors des instruments de propagande vichyste. Et s’il ne sera plus fait mention de cette parenthèse après la Libération, on peut aujourd’hui encore s’interroger sur cette connivence subite, cette instrumentalisation réciproque qui laissent ressortir l’amertume des tannins de certains vins.

32 Dans la cinquième contribution, Thibaut Pécheux aborde les relations entre le pouvoir et la vigne sous l’angle de la création d’un nouveau vignoble dans le Tonnerrois, au nord de la Bourgogne. Cette création intervient quelques années après les accords de Dublin qui gèlent complètement les droits de plantation viticole. L’itinéraire de deux hommes politiques, André Durand, maire d’Épineuil, et Henri Nallet, élu local mais surtout ministre de l’Agriculture, va changer la donne. Leur influence, leur persévérance et leur implication locale, relayées par l’envergure nationale d’Henri Nallet, jouent en faveur de la reconnaissance viticole du Tonnerrois. Belle illustration de la place qu’occupent les considérations politiques dans un monde viticole si prompt à mettre en avant le rôle des potentialités naturelles dans l’implantation actuelle des vignobles.

33 La sixième contribution, proposée par Jean-Philippe Martin, porte sur le Languedoc, où les luttes politiques ont davantage conféré aux vignerons l’image de « producteurs de bibine » que d’artisans d’une viticulture de qualité. C’est par un intéressant rappel sémantique, entre le terme de « vigneron » et celui de « viticulteur », que s’ouvre ce texte. Paradoxalement, c’est l’introduction des considérations qualitatives et marchandes dans le discours militant local qui permet la reconquête d’une identité vigneronne, jusqu’au mot « vigneron » lui-même. Mais c’est aussi l’occasion, pour l’auteur, de rappeler que les représentants syndicaux et politiques, d’Ernest Ferroul à Raoul Bayou ont dû mettre de l’eau dans leur vin en acceptant l’arrachage massif, les importations européennes et la perte d’une clientèle populaire.

34 Serge Wolikow conclut par l’importance d’une histoire viticole critique dans un registre où la commémoration et le folklore tiennent une grande part. Le lecteur appréciera, dans le travail éditorial, la sélection de travaux portant sur la question viticole réunie sous forme bibliographique ainsi qu’une note sur les ressources documentaires rédigée par Éliane Lochot.

35 Il faut saluer la démarche entreprise ici et encourager sa diffusion. Ces contributions proposent un regard encore trop rare sur l’organisation du monde viticole. Dans ce domaine, les amateurs de vin sont plus souvent abreuvés de discours complaisamment confus ou faussement mystérieux que des meilleurs crus. Je recommande sans modération le numéro 6 du millésime 2001 des cahiers de l’IHC, au moins pour étancher la soif de vérité.— Benoît Roger, doctorant, Université Paris VIII

Du monde paysan au monde rural en France

36 Sylvestre J.-P. dir. (2002). Agriculteurs, ruraux et citadins : les mutations des campagnes françaises. Dijon : CRDP de Bourgogne, coll. « Éducagri ».

37 Le livre propose d’étudier les conséquences de la « révolution silencieuse » qui a transformé le monde paysan français en un monde rural depuis une trentaine d’années. Le titre est clair. En centrant les analyses sur les acteurs de l’espace rural — agriculteurs, ruraux et citadins — l’objet est de clarifier les processus qui ont remodelé les campagnes françaises issues de la « modernisation » des années 1950-1970, de mettre en évidence les doutes et les incertitudes des différents partenaires, les conflits d’usage des espaces, tout en en montrant les effets de structure et les enjeux sociaux et économiques.

38 L’ouvrage est divisé en six parties. Sociologues, économistes, historiens se répondent et se complètent pour dresser un tableau, à la fois fouillé et synthétique, qui décrit les interactions entre les structures de production et les structures spatiales, les actions des agriculteurs, néoruraux, résidents « secondaires » ou occasionnels, mais aussi les actions des organisations professionnelles agricoles et d’encadrement de l’activité, les politiques publiques. Le lecteur comprend clairement que :

  • les société paysannes ne peuvent plus trouver leur cohérence en se pensant comme des sociétés particulières vivant dans des « espaces fixes » (p. 187). Des couches de population de plus en plus étendues se rendent compte que des liens stables, immobiles, intangibles n’existent même pas dans les campagnes, où, pourtant, les espaces sont les plus profondément associés à des images de racines, d’authenticité, d’environnement préservé (p. 293) ;
  • les campagnes et le rural ne peuvent plus se vivre en complémentarité avec la ville et l’urbain, c’est-à-dire dans une relation d’inégalité. Le modèle duel de vivre et travailler entre ville et campagne (p. 36) qui reposait sur l’affirmation de spécificités fortes entre deux modes de vie et sur la dissociation spatiale et temporelle des activités individuelles a éclaté. « Les mobilités et les migrations multiples imbriquent de plus en plus étroitement ville et campagne » (p. 307). Les interpénétrations, les imbrications même, sont constantes. Elles sont dans l’organisation de la production agricole, dans les structures qui organisent le travail agricole et le travail rural. Elles organisent l’emploi du temps et les espaces fréquentés des individus. Elles sont le quotidien des familles ;
  • il y a obligation de dépasser les oppositions et les conflits, de rechercher des compromis et des arrangements flexibles. De « vivre ensemble », sans qu’il y ait absorption des campagnes par une « urbanisation » et un effacement « rampant » de toutes les sortes de frontières.
Le premier objectif des textes est de dessiner des schémas d’évolution possibles. Puisque, désormais, les usages et les acteurs des campagnes sont multiples, puisque les phénomènes de multilocalité et de mobilité ont complexifié les hiérarchisations des appartenances géographiques et des temporalités de référence, la ruralité échappe à ses acteurs traditionnels. Elle constitue une « pratique évolutive et non une donnée naturelle », elle devient une « clé de lecture des changements qui affectent la société tout entière » (p. 307). Aussi, les auteurs concluent à l’obligatoire nécessité pour les partenaires d’élaborer des dispositifs de médiation, au lieu d’entériner des rapports de force et de domination plus ou moins déguisés qui ne peuvent qu’exaspérer les conflits.

39 L’ouvrage, c’est son deuxième intérêt, entreprend un travail de déconstruction. Constructivisme et théories de l’acteur sont mobilisés pour approfondir ou renouveler les approches théoriques. Les « connaissances stabilisées » (p. 181-182) sont soumises à examen avec le souci d’en démasquer les sous-entendus idéologiques et politiques. Les principaux concepts et notions jusque-là utilisés le sont également, tels ceux d’appartenance, de localité, de ruralité, d’espace de référence et donc de territoire d’identification (ou de cohésion territoriale), mais aussi ceux d’environnement et de nature. Leur mise en débat repose sur le constat de deux phénomènes : la mouvance des frontières et échelles temporelles et spatiales qui traditionnellement reliaient les espaces ; la mise en réseau de l’espace local, des activités productives et des modes de vie.

40 Au total, il s’agit d’une synthèse centrée sur une démarche critique et sur la volonté de contribuer aux débats actuels. La diversification des modèles de production oblige à la redéfinition des métiers traditionnels, à la reconnaissance de nouvelles activités et de nouveaux métiers, à la légitimation de nouveaux acteurs. Un système de références identitaires doit s’affirmer qui tienne compte des dynamiques actuelles attachées aux espaces des campagnes et qui réunit les différents acteurs dans des compromis acceptés par chacun.

41 Un regret : l’ample travail de déconstruction qui est mené ne va pas jusqu’à interroger le concept de « famille agricole ». La boîte noire reste fermée. Comme si le travail rémunéré que font les épouses et les filles dans d’autres branches d’activité et dans des lieux les obligeant le plus souvent à s’absenter du domicile du matin jusqu’au soir et ceci pendant 4 à 5 jours par semaine ne l’affectait pas. Comme si les pratiques sexuelles et les processus d’individuation, qui se développent dans toutes les couches de la société, n’avaient pas ici d’effets sur les rapports de sexe. Pourtant le livre note qu’une des originalités du capitalisme agricole par rapport au capitalisme industriel a reposé, dès le départ, sur la préservation du lien très étroit entre famille et travail, famille et exploitation, famille et transmission patrimoniale (p. 91-105). La famille et l’Église ont été les clés de voûte de la « modernisation » de l’agriculture et de la société rurale (p. 55-70). Examinant les pratiques, l’auteur constate aussi le manque d’enthousiasme des filles à rester, ou à envisager leur avenir, dans les exploitations agricoles comme épouse du chef d’exploitation. Il constate donc une crise de cette famille par refus des femmes du rôle économique et social qui leur était assigné. Mais il ne nous donne guère d’éléments pour l’analyser, contrairement à ce qu’il fait pour les autres mutations.— Jacqueline Coutras, LADYSS, CNRS

Les structures agraires en mouvement

42 Renard Jean (2002). Les Mutations des campagnes. Paysages et structures agraires dans le monde. Paris : A. Colin, coll. « U », 221 p.

43 La géographie agraire sort de son silence. Depuis les écrits d’A. Meynier ou de R. Lebeau, datés des années 1960, nul n’avait proposé une analyse des campagnes du monde à l’échelle des paysages et des parcellaires ruraux. Le livre de Jean Renard vient donc combler un vide. S’il restait aussi béant, c’est que la tâche recouvre un double défi : parler de mutations alors que le savoir-faire de cette géographie ancienne repose sur l’analyse de permanences et d’héritages ; offrir une vision planétaire d’un sujet sur lequel un clivage marqué scinde la discipline, « ruralistes tempérés » et « tropicalistes » ne se fréquentant qu’assez peu.

44 Dans ce contexte, l’auteur propose un ouvrage organisé en 9 chapitres d’où émergent deux ensembles. Les cinq premiers chapitres balayent les conditions et les modalités de ces mutations rurales tandis que les quatre derniers proposent un panorama régionalisé des dynamiques à l’œuvre sur la planète. Introduction et chapitre 1 (Paysages, structures agraires et espaces ruraux) définissent les conditions de l’examen. Le chapitre 2 (L’évolution des paysages agraires) discute des moteurs généraux de ces transformations (croissance démographique et révolutions techno-économiques pour l’essentiel) tandis que le troisième rappelle les structures héritées aux dépens desquelles ils agissent (agriculture itinérante sur brûlis, agriculture irriguée, polyculture-élevage liée à la culture attelée). Le quatrième chapitre se penche sur les mutations technologiques contemporaines et leurs incidences sur les structures agraires, foncières et paysagères. Ce sont ensuite les nouvelles fonctions des espaces ruraux qu’on dépeint (chap. 5), discutant notamment des incidences environnementales de cette polyfonctionnalité renouvelée.

45 Avec le chapitre six, débute l’examen régionalisé des campagnes du monde. Consacré aux « crises et adaptations dans le Tiers-Monde », il survole rapidement les héritages pour se consacrer de manière plus approfondie aux transformations qu’impose la croissance démographique (conquête des nouvelles terres et intensification pour l’essentiel). Les campagnes d’Europe occidentale occupent le septième chapitre ; on y souligne notamment combien les systèmes agricoles s’y transforment plus rapidement que les structures agraires, partiellement figées par une demande sociale de conservation des héritages. Le chapitre huit s’attache à l’analyse des « transitions dans les campagnes décollectivisées ». Bien qu’on y distingue les phénomènes à l’œuvre dans l’ex-empire soviétique et ses marches de ceux prévalant au Sud, on peut se demander si l’analyse des décollectivisations du Tiers-Monde Sud n’aurait pas mieux trouvé sa place dans le chapitre six. L’empreinte collectiviste sur les structures agraires n’y est en effet pas toujours déterminante alors que les dynamiques sociales et économiques en vigueur présentent de larges similitudes avec le reste de l’Asie sud-orientale par exemple. Le chapitre neuf termine l’ouvrage par une analyse de « l’expansion de l’agro-business ». Si la présentation des « greniers du monde » apparaît complète et nuancée, l’agriculture de plantation fait figure de « sacrifiée » (2 pages seulement) dans la mesure où la question de son insertion dans les structures sociales et agraires du Tiers-Monde n’est quasiment pas discutée.

46 Le plan adopté est incontestablement efficace puisqu’il balaye à la fois largement et de manière structurée cette question des mutations rurales qu’annonce le titre. Ce n’est donc pas une version modernisée d’un ouvrage de géographie agraire mais bien une synthèse de travaux récents analysant les évolutions rapides et différenciées à l’œuvre de par le monde. Bien que l’exhaustivité soit inaccessible sur un tel sujet, on est quand même surpris que les structures agraires montagnardes, et notamment andines, soient totalement omises quand on sait l’abondance des travaux auxquelles elles ont donné lieu.

47 La « patte » de l’auteur, enseignant chevronné toujours préoccupé de l’incidence (ou de l’origine) sociale des phénomènes, est bien présente. De vigoureuses synthèses (sur le Tiers-Monde ou la décollectivisation par exemple) jalonnent les chapitres, des clés d’interprétation, limpides et didactiques, éclairent certains passages (sur les incidences foncières de la croissance démographique au Sud notamment). Le défi de « coller » aux paysages et aux structures agraires est par contre moins bien tenu, les derniers chapitres développant plus les facteurs de transformation que les incidences parcellaires des phénomènes (l’absence de toute illustration photographique contribuant sans doute à ce « déficit paysager »). Cet ouvrage illustre donc bien les savoir-faire d’une école nantaise de géographie agraire modernisée (que l’auteur co-anime avec Nicole Croix notamment), soucieuse de visions synthétiques nourries d’analyses détaillées méticuleuses. Les études de cas à grande échelle, par des cartes présentant des communes, ou même seulement des quartiers ruraux, sont nombreuses. Elles souffrent cependant d’un défaut de commentaires, les lecteurs non chevronnés auxquels s’adresse la collection peinant sans doute à décrypter, sous les croquis, la subtilité des phénomènes auxquels l’auteur ne fait qu’allusion. Une éventuelle réédition pourrait corriger cela mais aussi, et surtout, une gestion calamiteuse des références bibliographiques. Nombre de textes ne sont mentionnés que par un auteur, accompagné au mieux d’une date, et totalement absents de la bibliographie finale. Laisser paraître un manuel aussi imparfait dans ce registre surprend pour un éditeur largement diffusé en 1er et 2e cycles.

48 À ces maladresses formelles, s’ajoutent quelques lacunes qui surprendront le lecteur avisé des principaux courants de recherche sur les campagnes. Ainsi, pour celles d’Europe occidentale, nulle référence n’est faite aux contributions géo-agronomiques de J.-P. Deffontaines et des ses collègues, pourtant novatrices sur les questions agraires et d’environnement. De même, au Sud, nombre de travaux de l’IRD sont passés sous silence, notamment les ouvrages récents écrits ou coordonnés par J.-P. Raison ou C. Blanc-Pamard, décrivant pourtant avec attention les mutations agraires et sociales des campagnes africaines et malgaches. Au-delà, c’est la timidité avec laquelle l’auteur propose des clés d’interprétation universelles des dynamiques agraires qui surprend un peu. Certes, les conditions évolutives diffèrent mais bien des principes de mise en espace, de restauration de la fertilité, de prévention des risques, de diversification des revenus, présents hier dans nos campagnes, se « lisent » toujours dans nombre de paysages ruraux du Sud. G. Sautter hier (dans un article célèbre de 1962) avait esquissé des rapprochements lumineux, plus récemment P. Morlon ou M. Mazoyer et L. Roudart s’y sont essayés avec succès ; l’objet de l’ouvrage s’y prêtant, on peut regretter que l’auteur n’ait pas plus systématiquement cherché à « jeter des ponts » par dessus les tropiques…

49 Au bilan, un manuel fort bienvenu et riche des synthèses éclairantes qui le jalonnent mais pas (encore ?) tout à fait la « somme », rassemblant les acquis de langue française (et pourquoi pas d’ailleurs ?) sur la question, que la géographie rurale pourrait offrir.— Yves Poinsot, Université de Pau

Innovations dans les campagnes… et dans la géographie rurale

50 Royal Geographical Society, Comité national de Géographie (2003). Innovations in rural areas. Clermont-Ferrand: CERAMAC, 360p., £14/20 euros.

51 Members of the Rural Geography Research Group and of the Commission de Géographie Rurale met on three occasions (Caen, Exeter, Nantes) prior to the May 2002 colloquium at University College Worcester whose proceedings make up this attractively produced volume. The fact that it has been published by the Centre d’Études et de Recherches Appliquées au Massif Central makes a very important point about the nature of publishing in the UK. Most ‘British’ publishing houses are, in fact, parts of global media corporations controlled in the USA or the Netherlands; they simply will not accept volumes that will not ‘sell’ (in considerable numbers). That is one of the reasons why doctoral theses in the UK are rarely published as monographs but appear as collections of journal articles.

52 Innovations contains twenty-one chapters organised around four themes: natural spaces; regional development and innovation; ‘advising agriculturalists’; and farm diversification (the latter theme embracing no fewer than thirteen contributions). Texts are presented in the language of the author (with lengthy abstracts/ resumés in both languages), with the great majority relating to one side of the Manche or the other. Only two papers are genuinely comparative, and one is written jointly by a French researcher and a British scholar. The range of themes discussed shows how far ‘rural geography’ has developed from the early days when it was, in effect, the geography of agricultural production and farm structures. Innovative themes include: parks and gardens; nature conservation; durabilité; farm-based tourism and education; produits de terroir; ‘labels’; ‘shopmobility’ for disabled people in the countryside; and many others. Long may this kind of trans-Manche symposium flourish! And long may the two groups of rural geographers be rejuvenated by new members, with new ideas! I am sure that rural geographers in both France and the UK are looking forward eagerly to the fifth event.— Hugh Clout, University College London

L’avenir des régions périphériques

53 Polese Mario, Shearmur Richard (dir.), Desjardins Pierre-Marcel, Johnson Marc (coll.) (2002). La Périphérie face à l’économie du savoir. Montréal : Institut National de la Recherche Scientifique.

54 Dirigé par des spécialistes reconnus de l’économie spatiale, les professeurs Polese et Shearmur de l’Institut national de la recherche scientifique de Montréal, cet ouvrage collectif de 237 pages, traite de la question de l’avenir des régions périphériques, au sens de régions éloignées, à plus d’une heure de route, d’une grande métropole de plus de 500 000 habitants. Cette périphérie concerne 28 % de Canadiens, et de nombreuses régions européennes dont quatre sont présentées dans le livre, en Finlande, Suède, Norvège et Écosse. Même si les cas présentés traitent de régions septentrionales, la réflexion, fruit d’un programme de recherche canadien (Développement Économique Canada), est applicable à de nombreuses autres régions périphériques, par exemple les zones de montagne et les zones rurales.

55 Très systématique, l’ouvrage dresse une liste de 19 conclusions et de 11 leçons, parmi lesquelles nous choisissons quelques extraits majeurs. Si la concentration de la population et de l’emploi dans les grands centres urbains est un phénomène connu, « l’effet net du changement technologique a été de faciliter la concentration géographique de l’emploi ». En effet, les NTI ne réduisent pas les coûts de transport et la nécessité des voyages. De plus, la faible densité de la population accentue les effets de la distance, suite à l’insuffisance de la demande et à la disparition consécutive d’infrastructures. De ce fait «beaucoup de communautés périphériques vont entrer dans une phase de déclin démographique continu», accentué par l’émigration des jeunes et la diminution de l’emploi (suite aux gains de productivité et à l’exploitation plus mesurée des ressources) malgré les mesures de soutien. Parmi les leçons à retenir, le fait que les décisions politiques influencent peu les tendances lourdes, que la croissance des grands pôles urbains ne se propage pas dans les périphéries, mais que les organisations locales peuvent jouer un rôle majeur pour stimuler le développement, et que l’éducation est au cœur de toute stratégie destinée à faciliter la transition vers l’économie du savoir. Ajoutons le souhait d’un réexamen des politiques de transport et de communication, et la nécessité d’une gouvernance à deux niveaux (fédéral et régional) pour tenir compte des spécificités locales.

56 Ainsi en 10 chapitres, à la fois théoriques et appliqués, les auteurs examinent les processus économiques, sociaux et géographiques, qui expliquent succès et échecs dans le développement des périphéries. Illustré de cartes et de graphiques en couleur, ce livre prouve qu’un rapport de recherche peut être transformé en ouvrage clair, dans lequel professeurs et étudiants trouveront des bases théoriques, des études de cas et des données chiffrées. Il prouve aussi que certaines périphéries peuvent réussir, comme Inverness et Tromsö, même si les plus grandes villes ont de meilleures chances. Malgré quelques disparités dans les contenus des chapitres, compréhensibles dans un ouvrage collectif, ce livre est bien structuré autour d’une grande idée : comment repenser les priorités du développement régional et local ?

57 En nous faisant sortir des traditionnels exemples d’Europe occidentale, il offre de nouvelles pistes de réflexion utiles aux géographes, aux aménageurs et à toute personne intéressée par l’avenir des régions périphériques.— Antoine S. Bailly, Université de Genève

La géographie rose

58 Brown Michael P. (2000). Closet Space. Geographies of metaphor from the body to the globe. London : Routledge, 170 p., £65 hardback, ISBN 0 415 18764 8.

59 This slim, heavily theorised volume offers a series of perspectives on the sexual recognition and use of spaces of difference. The ‘closet’ is seen first as the personal space in which many gays men and lesbians conceal their orientation, and second as the geographic space in which homosociability may occur, concealed from the eyes of the general public and of the law. Geographer Michael Brown contributes six loosely connected but illuminating chapters: a review of theories on spatial and sexual concealment; a critique of accounts published in the USA and the UK of living in and with ‘the closet’; an analysis of sex-on-site spaces in the New Zealand city of Christchurch; an experiment in using US and UK censuses to determine same-sex residential areas within cities; and a review of the travel writings of Neil Miller as he questioned gays and lesbians on their survival strategies in many locations in the USA and subsequently (in his second book) around the world. The message of this intriguing study in cultural geography is clear: both conceptually and experientially, ‘space’ is far more complex than many geographers suppose.— Hugh Clout, University College London

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