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Article de revue

Grand smog de Londres : 70 ans de prise de conscience des enjeux de santé de la qualité de l’air

Pages 403 à 408

1 La révolution industrielle est synonyme d’innovations et de progrès techniques. Elle s’accompagne également de bouleversements sociaux sans précédents : exode rural et urbanisation croissante, production à grande échelle de produits manufacturés, déploiement des transports… Ce changement de modèle économique repose en très grande partie sur l’exploitation et l’utilisation massive du charbon, à l’origine de grands accidents sanitaires liés à une pollution atmosphérique de proximité, qui émailleront l’Europe et les États-Unis des xixe et xxe siècles.

2 L’événement le plus médiatisé reste sans nul doute le « Great London Smog », qui plongea la capitale anglaise dans le chaos il y a 70 ans.

3 Le 4 décembre 1952, un anticyclone s’installe au-dessus de la capitale britannique, déjà recouverte du brouillard issu de la Tamise et des vents froids en provenance de la mer. Les températures dans la ville chutent. La consommation de charbon pour le chauffage urbain s’accroît. La pollution ainsi générée s’accumule dans l’atmosphère, s’ajoutant à celle issue des activités industrielles et des transports. Aucun vent ne vient disperser ces fumées (smoke) et la brume (fog) qui s’accumulent. Le smog (contraction de smoke + fog), épais, de couleur jaunâtre, est en place (figure 1) . Il recouvre la ville, s’insinue jusque dans les habitations et va piéger ses habitants durant cinq jours. Le soleil est indiscernable et les accidents de la route se multiplient dans la ville plongée dans l’obscurité.

4 Les autorités ne réagissent pas immédiatement, la ville étant connue pour ses épisodes de brouillard. Cet épisode de quelques jours sera pourtant responsable d’un lourd bilan sanitaire : un excès de 3 500 à 4 000 décès en quelques jours, 12 000 dans les semaines qui suivirent selon des études plus récentes, et plus de 100 000 hospitalisations, pour une population exposée de l’ordre de 8 millions de personnes ; 80 à 90 % de ces décès et hospitalisations étaient d’origine cardiorespiratoire et 60 à 70 % concernaient des personnes âgées de plus de 65 ans et des enfants de moins d’un an. Cet événement aura également permis de montrer que l’exposition, dans les premières années de la vie, à ce type de pollution, conduisait à une incidence plus forte de l’asthme dans l’enfance, puis à l’âge adulte.

Figure 1.

Palais de Westminster : photographie prise en pleine journée durant le grand smog de Londres.

The Palace of Westminster: photograph taken in broad daylight during the Great Smog of London.

figure im1

Palais de Westminster : photographie prise en pleine journée durant le grand smog de Londres.

The Palace of Westminster: photograph taken in broad daylight during the Great Smog of London.

5 Le rôle essentiel de la pollution acido-particulaire durant cet événement est bien établi. Au cours de ce pic, les 7 et 8 décembre, les concentrations moyennes journalières en dioxyde de soufre au centre de Londres atteignaient environ 1 800 μg/m3, celles des fumées noires près de 1 600 μg/m3, soit une concentration en dioxyde de soufre plus de dix fois supérieure à la concentration de l’année précédente pour la même période (figure 2).

Figure 2.

Grand smog de Londres : évolution de la mortalité et des concentrations de dioxyde de soufre (SO2) et de fumées noires (particules) entre le 1er et le 15 décembre 1952.

The Great Smog of London: changes in the death rate and concentrations of sulphur dioxide (SO2) and black smoke (particles) between 1 and 15 December 1952.

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Grand smog de Londres : évolution de la mortalité et des concentrations de dioxyde de soufre (SO2) et de fumées noires (particules) entre le 1er et le 15 décembre 1952.

The Great Smog of London: changes in the death rate and concentrations of sulphur dioxide (SO2) and black smoke (particles) between 1 and 15 December 1952.

6 Winston Churchill, Premier ministre, définit à l’époque cet événement de « simple événement météorologique ». L’Angleterre est alors en récession et le gouvernement conservateur appuie très fortement les compagnies minières et les exploitants de mines de charbon.

7 Mais une prise de conscience s’opère et, sous la pression de la population, la pollution de l’air devient un véritable enjeu politique. Une commission est créée en 1954, ratifiant une première loi, le Various Power Act, de portée limitée, suivie par le Clean Air Act en 1956, beaucoup plus ambitieux. Pour atteindre son objectif de réduction de la pollution de l’air, la combustion du charbon à usage domestique est limitée et les populations encouragées, à l’aide de subventions, à modifier leurs systèmes de chauffage. Suivront les Clean Air Acts de 1968, imposant des restrictions aux véhicules les plus polluants et régulant la hauteur des cheminées des usines, puis celui de 1993 qui renforcera les décisions des deux premiers [1].

8 À la même époque, d’autres pays mettent en oeuvre des dispositifs législatifs d’évaluation et de gestion de la qualité de l’air : le Clean Air Act des États-Unis date de 1963, de 1966 en Italie et en Suisse. La surveillance de la qualité de l’air, dans un premier temps en lien avec les activités industrielles, se met alors progressivement en place.

9 La France (métropole) a été un pays précurseur. Dès 1954, soit deux ans après le grand smog de Londres, Paris se dote des toutes premières stations permanentes au monde de mesure de l’acidité forte de l’air et des fumées noires, grâce aux efforts conjugués du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris et du Laboratoire central de la préfecture de police. L’Association pour la prévention des pollutions atmosphériques (APPA) est créée en 1958 par des hygiénistes et des médecins préoccupés par les conséquences sur la santé de la qualité de l’air. Le Centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique (CITEPA) voit le jour en 1961. C’est cette même année qu’est votée la loi n° 61-842 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs. Les dispositifs de surveillance de la qualité de l’air seront ensuite progressivement installés dans les grandes villes, en particulier dans les zones fortement industrialisées [2].

10 Il faudra attendre les années 1970 pour voir se généraliser sur la totalité du territoire les premières associations de surveillance de la qualité de l’air. La loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (LAURE), qui reconnaît à chacun le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé, sera promulguée le 30 décembre 1996. Elle permettra de structurer le dispositif national de surveillance et de prévision en continu de la qualité de l’air et encadrera le fonctionnement et les missions des associations agrées pour la surveillance de la qualité de l’air (AASQA), en conformité avec les directives européennes sur le sujet. Elle sera également à l’origine des plans régionaux de la qualité de l’air, des plans de protection de l’atmosphère et des plans de déplacements urbains.

11 En France, comme dans d’autres pays industrialisés, ces dispositifs de surveillance et les normes de qualité de l’air ont porté leurs fruits et permis la réduction des concentrations de plusieurs polluants atmosphériques qui sont passés progressivement de concentrations d’exposition en mg/m3, à des niveaux en μg/m3. Les résultats les plus spectaculaires concernent la diminution du dioxyde de soufre (− 80 % en 20 ans), mais certains polluants délétères pour la santé persistent (ozone et particules fines notamment) (figures 3 et 4) [3]. S’il paraît improbable d’observer à nouveau, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, des événements sanitaires comme celui du grand smog londonien, l’exposition à des niveaux de pollution relativement faibles reste associée à une augmentation importante de la mortalité et de la morbidité cardiovasculaire et respiratoire, estimée à 400 000 décès prématurés/an en Europe [5].

Figure 3.

Évolution des concentrations moyennes annuelles pour les polluants SO2, NO2, PM10 et PM2,5 et des concentrations moyennes estivales pour l’O3, en fond urbain. En indice base 100 des concentrations en 2000 (2009 pour les PM2,5).

Changes in average annual concentrations of SO2, NO2, PM10 and PM2.5 pollutants and average summer concentrations of O3 in urban settings. In index base 100, the concentrations in 2000 (2009 for PM2.5).

figure im3

Évolution des concentrations moyennes annuelles pour les polluants SO2, NO2, PM10 et PM2,5 et des concentrations moyennes estivales pour l’O3, en fond urbain. En indice base 100 des concentrations en 2000 (2009 pour les PM2,5).

Changes in average annual concentrations of SO2, NO2, PM10 and PM2.5 pollutants and average summer concentrations of O3 in urban settings. In index base 100, the concentrations in 2000 (2009 for PM2.5).

Notes :
– pour l’O3, les concentrations utilisées sont celles des périodes estivales (moyenne de 1er avril au 30 septembre) ;
– la méthode de mesure des PM10 a évolué en 2007 afin d’être équivalente à celle définie au niveau européen. Malgré ce changement, la construction de l’indicateur ci-dessus permet de ne pas avoir de rupture de série ;
– les mesures de PM2,5 sont suffisamment nombreuses depuis 2009 ; la courbe les concernant débute ainsi en 2009, en prenant comme hypothèse que l’indice PM2,5 en 2009 était égale à l’indice PM10.
Champ : France métropolitaine hors Corse.
Source : MTE/SDES : Bilan de la qualité de l’air 2019, 16 sept. 2020.
Figure 4.

Évolution des dépassements des seuils réglementaires pour la protection de la santé à long terme dans les agglomérations pour les polluants NO2, O2, PM10 et PM2,5.

Changes in NO2, O2, PM10 and PM2.5 pollutants beyond the regulatory thresholds in terms of long-term health protection. By number of cities.

figure im4

Évolution des dépassements des seuils réglementaires pour la protection de la santé à long terme dans les agglomérations pour les polluants NO2, O2, PM10 et PM2,5.

En nombre d’agglomérations.

Changes in NO2, O2, PM10 and PM2.5 pollutants beyond the regulatory thresholds in terms of long-term health protection. By number of cities.

Notes :
– les mesures de PM2,5 sont suffisamment nombreuses depuis 2009 ;
– la méthode de mesure des PM10 a évolué en 2007 afin d’être équivalente à celle définie au niveau européen, les concentrations de PM10 de la période 2000-2006 ne peuvent donc pas être comparées à celles de la période 2007-2019 ;
– pour l’O3, la conformité au seuil réglementaire européen se mesure en moyenne triennale. La valeur pour 2019 correspond à la moyenne de la période2017-2019. Le mode de calcul de cette moyenne a évolué récemment conformément à des préconisations européennes. La dernière règle en vigueur estappliquée à l’ensemble des années.
Champ : France métropolitaine et DOM.
1Analyse de tendance nationales en matière de qualité de l’air, LCSQA, 2 La définition d’une agglomération retenue dans le cadre rapport final, septembre 2017. www.lcsqa.org/fr/rapport/2016/ineris- du présentbilan est celle de l’unité urbaine définie par l’Insee imt-lille-douai/analyse-tendances-nationales-matiere-qualite-air
Source : MTE/SDES : Bilan de la qualité de l’air 2019, 16 sept. 2020.
Figure 5.

Concentrations moyennes annuelles en particules fines PM2,5 à travers le monde. Données de 2020.

Average annual concentration of PM2.5 fine particles around the world. 2020 data.

figure im5

Concentrations moyennes annuelles en particules fines PM2,5 à travers le monde. Données de 2020.

Average annual concentration of PM2.5 fine particles around the world. 2020 data.

Figure 6.

Évolution de l’exposition moyenne annuelle aux particules fines PM2,5 de la population d’Asie et du Pacifique entre 1990 et 2020 [4].

Changes in average annual exposure to PM2.5 fine particles in people in the Asia and Pacific between 1990 and 2020 [4].

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Évolution de l’exposition moyenne annuelle aux particules fines PM2,5 de la population d’Asie et du Pacifique entre 1990 et 2020 [4].

Changes in average annual exposure to PM2.5 fine particles in people in the Asia and Pacific between 1990 and 2020 [4].

Source : NEP (2019). Air Pollution in Asia and the Pacific: Science-based Solution.

12 Mais il n’en va pas de même pour tous les pays. De récents travaux du Lancet estiment que près de 86 % de la population urbaine mondiale respirent un air malsain, les plus lourds fardeaux étant supportés par l’Asie (Chine et Inde en tête) et l’Afrique (Nigeria, Tchad, Éthiopie, Égypte, etc.) (figure 5).

13 Ces pays rencontrent actuellement les situations atmosphériques et sanitaires similaires à celles qui étaient décrites dans les grandes villes et les zones fortement industrialisées en Europe aux xixe et xxe siècles [6].

14 Ainsi, les grandes mégapoles asiatiques peuvent cumuler plus de 260 jours de smog par an (figure 6). En 20 ans, la pollution de l’air en Chine et à Taïwan [7] aurait provoqué le décès prématuré de plus de 30,8 millions d’individus adultes. Plusieurs localités asiatiques subissent des concentrations d’exposition horaire aux particules fines régulièrement supérieures à 2 000 μg/m3 (2 mg/m3 !) et dépassant 90 μg/m3 en moyenne annuelle, soit près de 20 fois le seuil de référence recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2021. À ces niveaux, la probabilité d’atteinte cardiaque et/ ou pulmonaire est nettement augmentée, et outre les personnes fragilisées et vulnérables, l’impact sur les individus en bonne santé est bien réel.

15 Ces situations sont le corollaire funeste d’un modèle de croissance économique et de choix énergétiques trop dépendants des énergies fossiles. Ceci explique que malgré des niveaux de pollution records, les annonces politiques ne sont pas suivies d’effets et les gouvernements font souvent le choix de préserver leur croissance et leurs intérêts économiques, au détriment de l’environnement et de la santé des populations.

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.
L’éditorial n’engage que son auteur.

Références


Date de mise en ligne : 15/12/2022

https://doi.org/10.1684/ers.2022.1683

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