Notes
-
[1]
Tourisme et travail, août-septembre 1981. Voir aussi S. Pattieu, Tourisme et travail. De l’éducation populaire au secteur marchand (1945-1985), Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
-
[2]
Archives départementales de Seine-Saint-Denis (AD 93), 53 J 321, Bureau fédéral de Tourisme et Travail du 27 juillet 1984.
-
[3]
AD 93, 53 J 321, Lettre des sections CGT Tourisme et Travail Marseille, 7 novembre 1984.
-
[4]
AD 93, 53 J 193.
1Décembre 1982, quelques mois après le blocage des prix et des revenus par le gouvernement de la gauche unie dirigé par Pierre Mauroy, quelques mois avant le tournant de la rigueur décidé par François Mitterrand. Le cap du million de chômeurs a été franchi depuis la fin des années 1970. Dans ces conditions, les associations qui jouent un rôle d’employeurs sont confrontées à des tensions croissantes. Tourisme et travail, association de tourisme social proche de la CGT, se retrouve dans la douloureuse situation de devoir licencier des salariés, alors qu’elle revendiquait en 1981 la troisième position en termes de chiffre d’affaires après le Club Méditerranée et Jet Tours [1]. Avec la victoire de la gauche unie, beaucoup d’espoirs avaient été placés dans un développement sans précédent du tourisme social. Mais la temporalité de la crise a rattrapé celle du politique. Des emplois sont notamment supprimés dans des centres de vacances, comme dans celui de Bormes-les-Mimosas, dans le Var.
2Le document ci-dessous reflète ces tensions et témoigne de l’ambiguïté de Tourisme et travail, entre association et entreprise. Le statut de cette simple feuille de papier, non signée, est difficile à déterminer. S’agit-il d’un tract ? Cela semble peu probable. D’une lettre, envoyée seulement au « Président de Tourisme et travail et au secrétariat national » de l’association, désignés de manière implicite comme les « auteurs des licenciements » ? Si le caractère public de ce document ne peut être déterminé avec certitude, son aspect artisanal est indéniable : un texte écrit à la machine, le dessin d’un sapin de Noël, une phrase enfantine maladroitement tracée à la main, à l’orthographe volontairement approximative, et des photos d’enfants découpées et collées. Leur identité reste d’ailleurs mystérieuse : s’agit-il de photographies d’enfants de salariés ou d’images prélevées dans un quelconque catalogue de Noël, en ce mois de décembre si propice à de telles publications ?
3En dépit des interrogations qui subsistent, les intentions des auteurs sont explicites : ils utilisent un registre misérabiliste et culpabilisateur dans une période qui y est favorable, celle de Noël. Le message adressé aux dirigeants de Tourisme et travail est évident : comment des militants syndicalistes devenus cadres associatifs, puisque telle est la trajectoire sociale de la plupart d’entre eux, peuvent-ils avoir le cœur de licencier des salariés ? Une revendication en découle : réintégrer ceux qui sont présentés comme des « parents » dans leurs fonctions. Des parents, et pas des salariés, car on est au sein de la même famille cégétiste, dans le même camp social, dans un entre-soi : le licenciement n’en est que plus dur à accepter et permet l’utilisation d’un registre infra-syndical. La réintégration serait un « cadeau de Noël », non pas un dû ou le résultat d’une lutte victorieuse. L’association devenue entreprise est réduite à la posture paternaliste de dispensatrice de présents, alors même que son histoire est intimement liée à celle des comités d’entreprise et à la volonté de rompre avec les « œuvres sociales ». La mise en scène des enfants, qui aurait pu être humiliante face au patron, est permise face aux camarades, qu’il persiste un espoir de les émouvoir ou qu’il vaille mieux les placer face à leurs contradictions.
Depuis la fin des années 1970, comme n’importe quelle entreprise, Tourisme et travail est confrontée à une action syndicale, avec grèves et actions en justice. Le coût du conflit est supérieur pour l’association, dans la mesure où il la place en porte-à-faux par rapport à ses alliés syndicaux et politiques. Les théories sur la spécificité de l’association dans son rapport aux salariés sont de plus en plus difficiles à tenir. Après Bormes, c’est à Marseille qu’un « mouvement très dur » du personnel de l’association locale menace de s’étendre aux villages de vacances [2]. En novembre 1984, ses employés déclenchent une grève reconductible, manifestant leur inquiétude alors que sept salariés, soit 50 % du personnel, ont quitté l’association depuis mars 1984 [3]. « Non aux licenciements, pas de droit aux vacances sans le droit au travail », proclament les tracts de la section CGT [4]. En novembre 1985, Tourisme et travail fait faillite et elle est placée en liquidation judiciaire. L’association se transforme en société commerciale, Touristra. L’ensemble du secteur du tourisme social est touché par de telles évolutions. Même si elles gardent une vocation sociale, les associations assument désormais plus complètement leurs évolutions entreprenariales.
Notes
-
[1]
Tourisme et travail, août-septembre 1981. Voir aussi S. Pattieu, Tourisme et travail. De l’éducation populaire au secteur marchand (1945-1985), Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
-
[2]
Archives départementales de Seine-Saint-Denis (AD 93), 53 J 321, Bureau fédéral de Tourisme et Travail du 27 juillet 1984.
-
[3]
AD 93, 53 J 321, Lettre des sections CGT Tourisme et Travail Marseille, 7 novembre 1984.
-
[4]
AD 93, 53 J 193.