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Article de revue

Les pôles de compétitivité, territoires de l’innovation sociale

Pages 8 à 18

Notes

  • [1]
    Moulaert F., Martinelli F., Swyngedouw E., Gonzalez S. (2005), « Towards alternative model(s) of local innovation », Urban Studies, vol. 42, n° 11, p. 1969-1990.
  • [2]
    Peres R. (2017), « Evolution du fonctionnement des réseaux territorialisés d’organisations par la prise en compte de l’innovation sociale. Le cas de deux pôles de compétitivité de la Région PACA », Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université
  • [3]
    Besançon (Emmanuelle), Chochoy (Nicolas), Guyon (Thibault), L’innovation sociale : principes et fondements d’un concept, L’Harmattan.
  • [4]
    Cloutier J. (2003), « Qu’est-ce que l’innovation sociale ? », Cahier du CRISES
  • [5]
    Richez-Battesti N., Petrella F., Vallade D. (2012), « L’innovation sociale, une notion aux usages pluriels : quels enjeux et défis pour l’analyse ? », Innovations 38, p. 15-36.
  • [6]
    Prevot F., Brulhart F., Guieu G. « Perspectives fondées sur les ressources », Revue Française de Gestion, n° 204, 2010, p. 87-103
  • [7]
    Ehlinger S., Perret V., Chabaud D. (2007), « Quelle gouvernance pour les réseaux territorialisés d’organisations ? », Revue française de gestion, vol. 253, n° 8, p. 369-386.
  • [8]
    Hillier J., Moulaert F., Nussbaumer J. (2004), « Trois essais sur le rôle de l’innovation sociale dans le développement territorial », Géographie, économie, société, n° 6, p. 129-152.
  • [9]
    Besançon (Emmanuelle), Chochoy (Nicolas), Guyon (Thibault), L’innovation sociale : principes et fondements d’un concept, L’Harmattan.
  • [10]
    Ninacs W-A. (2003), « Empowerment : cadre conceptuel et outil d’évaluation de l’intervention sociale et communautaire », Québec (Canada), La Clé.
  • [11]
    Klein (Juan-Luis), Harrisson (Denis), L’innovation sociale : Emergence et effets sur la transformation des sociétés. Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 1-14.
  • [12]
    Berthinier-poncet A. (2014), « Gouvernance et dynamiques d’innovation au sein d’un technopôle. Une analyse par les pratiques institutionnelles d’innovation », Management international, vol. 19, n° 1, p. 94-112.

Les points forts

  • Aller au-delà du lien établi entre les pôles de compétitivité et l’innovation technologique avec une mise en évidence de l’innovation sociale dans le fonctionnement et les projets des pôles de compétitivité.
  • Proposition d’une grille de sept dimensions de l’innovation sociale en tant que résultat et processus.
  • L’innovation sociale dans les pôles de compétitivité est permise par des projets socialement innovants, ancrés sur le territoire et mobilisant des acteurs et des ressources hétérogènes.

1Les pôles de compétitivité ont été créés en 2004 pour permettre aux territoires d’être compétitifs via l’innovation technologique. Depuis leur création, les pôles ont connu des bouleversements notamment dans la prise en compte de l’innovation qui n’est plus uniquement technologique et, de fait, sont invités à se tourner vers d’autres formes d’innovation.

2L’objectif de cette recherche est d’essayer de répondre à trois questions : 1) Peut-on relier les concepts d’innovation sociale et de pôle de compétitivité ? ; 2) Dans quelle mesure les pôles de compétitivité produisent-ils de l’innovation sociale ? ; et, 3) Par quels mécanismes les outils de gestion déployés par les pôles de compétitivité participent-ils de la construction de l’innovation sociale ?

3Pour répondre à ces questions, nous nous focalisons sur l’innovation sociale en tant que processus et résultat. En nous appuyant sur les caractérisations existantes de l’innovation sociale, nous proposons sept dimensions qui constituent notre grille d’analyse dans les pôles. Puis, nous mobilisons des familles d’outils de gestion qui structurent l’activité des pôles de compétitivité en termes de coordination, de régulation et de management des connaissances en vue de rendre pratiques et tangibles les dimensions de l’innovation sociale.

Vers une transposition des dimensions de l’innovation sociale dans les pôles de compétitivité

4Le concept d’innovation sociale se développe dans le monde académique et socio-économique mais est encore mal connu et défini. Nous voyons ainsi se développer différentes typologies et essais de caractérisation pour aider à la compréhension de cette innovation. Dans l’encadré ci-après (page 11), nous listons les différentes structures (académiques, politiques ou professionnelles) proposant des définitions de l’innovation sociale.

5Ces initiatives et dispositifs proposent chacun, soit une définition de l’innovation sociale, soit une liste de critères visant à la caractériser. En les confrontant à la littérature académique, nous élaborons une liste de dimensions de l’innovation sociale qui peuvent être partagées en deux conceptions : le processus d’innovation sociale et son résultat [1]. Le tableau ci-dessous présente les sept dimensions que nous avons identifiées. [2]

Tableau 1

Dimensions de l’innovation sociale pour l’analyse des pôles de compétitivité

Tableau 1
Les dimensions Adaptation aux pôles de compétitivité Résultat / Missions Répondre à un besoin social Identification du besoin et des aspirations sociales ; Répondre à un besoin social mal satisfait Génération d’effets positifs Logique d’accessibilité Processus / Fonctionnement Lien avec le territoire Innovation sociale territorialisée Dimension collective Ressources et acteurs hétérogènes Gouvernance Gouvernance territoriale Influence d’acteurs Empowerment communautaire Changement Diffusion et changement ; Rupture avec l’existant

Dimensions de l’innovation sociale pour l’analyse des pôles de compétitivité

6Plus précisément, le résultat de l’innovation sociale doit apporter une réponse nouvelle à un besoin social non ou mal satisfait comme par exemple, l’amélioration des conditions de vie, la création d’emplois, le développement d’une activité économique sur un territoire, ou encore le développement de pratiques durables. De plus, le résultat de l’innovation sociale sous-entend qu’il soit accessible [3]. L’importance n’est plus donnée au bien en lui-même ou au fait de le posséder, mais à son accessibilité. C’est ce que nous nommons génération d’effets positifs, qui se traduit notamment par un partage de la valeur par l’ensemble des acteurs. Chacun doit pouvoir retirer un avantage dans la mise en œuvre de l’innovation sociale, ce qui se traduit par une relation dite « gagnant/gagnant ». La valeur retirée peut aussi bien être monétaire que non monétaire et faire ainsi référence à la confiance, la reconnaissance ou encore la notoriété.

7Nous venons de présenter les deux premières dimensions de l’innovation sociale en tant que résultat. Le processus de l’innovation sociale, c’est-à-dire la manière dont elle est mise en œuvre, comprend quant à lui cinq dimensions.

8Ce processus est considéré comme ascendant, localisé et construit par les acteurs qui se doivent d’être hétérogènes, impliquant une dynamique spécifique en termes de gouvernance [4].

9Tout d’abord, l’innovation sociale s’intègre dans un système dit localisé via une coopération d’acteurs issus du territoire[5] et pouvant être source de développement territorial en répondant à des problématiques d’ordre social, environnemental ou encore économique. En d’autres termes, l’innovation sociale propose de mettre en lien les acteurs locaux afin qu’ils répondent à des enjeux du territoire en prenant en considération ses spécificités.

Vers une caractérisation de l’innovation sociale

Les initiatives politiques :
  • Europe : Horizon 2020-axe « défis sociétaux » encourage les démarches d’innovation sociale en facilitant leur financement (Fonds Social Européen ; Fonds Européen de DEveloppement Régional).
  • France : La loi ESS de 2014 (loi N° 2014-856 ; article 14, chapitre 4) pose des critères précis pour définir l’innovation sociale, dans le but notamment de faciliter son financement.
Les autres dispositifs :
  • L’Avise propose une grille de 20 critères de l’innovation sociale, regroupés selon 4 axes.
  • Le Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, en partenariat avec la Chambre Régionale d’Économie Sociale et Solidaire, ont élaboré un radar partagé de cinq critères afin de caractériser et développer l’innovation sociale.
  • L’Institut Godin a développé les capteurs puis les marqueurs de l’innovation sociale, toujours dans un objectif de caractérisation de celle-ci.

10D’autre part, le processus d’innovation sociale sollicite des acteurs du territoire de nature variée comme des entreprises (TPE, PME, grands groupes), des collectivités territoriales, des laboratoires de recherche ayant des ressources diverses ; amenant alors une dimension collective de l’innovation sociale. Nous privilégions ici l’approche relationnelle des ressources [6]. Celle-ci s’appuie sur l’idée que la combinaison de ressources issues d’alliances et de coopérations permet des gains de productivité. C’est ce que nous observons dans le processus d’innovation sociale où chacun des acteurs apporte sa ressource lors de la mise en réseau. Ainsi, le processus d’innovation sociale suppose un modèle économique spécifique mêlant des ressources monétaires (financements, subventions) et non monétaires (mise à disposition de matériel, bénévolat, mutualisation de moyens).

11Or, la question de la gouvernance se pose pour pouvoir coordonner au mieux ces acteurs et leurs ressources. Dans ce contexte, le processus d’innovation sociale sous-entend une gouvernance participative car tous les acteurs doivent être inclus dans la prise de décision, sa conception et sa production. Mais elle implique également une gouvernance démocratique, basée sur l’engagement des citoyens. Aussi, dans la mesure où le processus d’innovation sociale est territorialisé et sachant que les pôles de compétitivité le sont également, nous nous intéressons ici à la gouvernance dite « territoriale ». Elle désigne les modes de régulation des acteurs du territoire [7] dont les objectifs, stratégies et temporalités sont différents mais qui ont pour but commun de mener un projet local de développement.

12L’hétérogénéité d’acteurs prenant part au processus d’innovation sociale, suppose des influences de certains, pouvant renverser les rapports de pouvoir notamment du fait d’une répartition asymétrique de celles-ci. Mais l’innovation sociale implique de prendre en considération l’ensemble des acteurs dans la mise en œuvre de son processus et notamment ceux en situation de difficultés ou qui généralement ne sont pas pris en compte dans la prise de décision comme les citoyens par exemple [8]. Ainsi, le processus d’innovation sociale permet de révéler l’empowerment de ces acteurs c’est-à-dire une capacité permettant de « développer leur autonomie, leurs connaissances, leurs compétences afin qu’ils puissent répondre à leurs propres besoins [9] ». Dans le cas des pôles, ce sont les grands groupes membres qui représentent les acteurs les plus à même de mettre en place des stratégies d’influence et d’utiliser leur légitimité face aux TPE, PME. Nous mobilisons donc l’empowerment communautaire [10] en faisant référence à la communauté des TPE/PME. Il permet à la communauté de développer son pouvoir collectif et donc sa capacité d’agir.

13Enfin, la prise en compte de l’innovation sociale permet l’élaboration d’un nouveau cadre de référence. Elle s’appuie sur des pratiques, des règles et des normes permettant de transformer la société [11]. En effet l’innovation sociale diffuse les bonnes pratiques afin d’amener un changement.

14Les sept dimensions de l’innovation sociale en tant que résultat et processus offrent un cadre de lecture, qui constitue notre grille d’analyse de l’innovation sociale dans les pôles de compétitivité. Mais comment mobiliser concrètement l’innovation sociale dans les pôles ? Nous suggérons une approche par les outils de gestion et proposons donc maintenant de les mobiliser pour permettre la mise en œuvre opérationnelle de notre cadre d’analyse.

Les outils de l’innovation sociale dans les pôles de compétitivité

15Nous nous appuyons sur les travaux de Berthinier-Poncet [12] qui propose trois familles d’outils d’analyse du fonctionnement des pôles de compétitivité, que sont : la coordination, la régulation et le management des connaissances. Elles sont mises en œuvre par les instances de gouvernance et par l’équipe opérationnelle qui gère le pôle au quotidien.

16La coordination du réseau pôle de compétitivité représente la construction de celui-ci et s’exprime tout d’abord par la formulation explicite d’une stratégie (définition d’objectifs communs et de résultats attendus), permettant la formalisation de la communauté (espaces de partage, participation commune à des salons professionnels). Puis, cette coordination passe par le développement de projets collaboratifs (actions de réseautage, lancement d’appels à projets, aide au montage de projets) avec l’intégration de la communauté scientifique (montage de projets de recherche entre industriels et laboratoires de recherche).

17La régulation de l’action collective implique la représentation des intérêts des membres du pôle à travers des actions de communication et d’implication institutionnelles, les modalités de partage de l’autorité ou encore des actions de lobbying auprès de l’État et des collectivités territoriales pour assurer le soutien des projets d’innovation.

18Enfin, le management des connaissances s’apparente à l’effort d’innovation du pôle aussi bien au niveau des connaissances communes des membres (actions de formations en fonction des besoins des entreprises) mais également à un niveau inter-organisationnel, comme par exemple le montage de projets structurants.

Une étude sur le fonctionnement des pôles, en lien avec l’innovation sociale

19Afin de rendre compte du fonctionnement des pôles de compétitivité et de pouvoir identifier les outils de gestion spécifiques aux dimensions de l’innovation sociale, nous avons mené 31 entretiens semi-directifs dans deux pôles de compétitivité de la Région Sud (voir encadré ci-contre). Nous avons ainsi interrogé, de manière qualitative, trois catégories d’acteurs afin de recueillir la vision la plus complète du fonctionnement des pôles concernés et des pratiques utilisées par les différents types d’acteurs, à savoir des membres de la gouvernance comme le conseil d’administration ou le bureau exécutif, l’équipe opérationnelle et des entrepreneurs. Les thèmes abordés lors des entretiens structurent à la fois le fonctionnement des pôles et se réfèrent aux dimensions de l’innovation sociale, comme : le territoire, la gouvernance, la dimension collective des pôles, l’influence des membres et le contexte de la politique publique qui illustre le changement. De plus, des questions sur les projets portés par des membres des pôles ont permis de faire ressortir les dimensions inhérentes au résultat de l’innovation sociale.

Présentation des cas étudiés

Les deux pôles de compétitivité étudiés appartiennent au Technopôle de l’Arbois dans la Région Sud.
Le pôle de compétitivité n° 1 a été créé en 2005 et regroupe 545 membres. Il s’inscrit dans le domaine des énergies décarobonées afin de répondre aux enjeux de transition énergétique.
Le pôle de compétitivité n° 2 est issu d’une fusion de deux pôles de compétitivité, réalisée en 2015 et comprend 600 membres. Il représente le seul pôle de compétitivité en France dédié à la sécurité globale et au management des risques.

20Les résultats de cette étude de cas qualitative permettent de mettre en évidence les différentes manifestations de l’innovation sociale dans les pôles de compétitivité.

L’innovation sociale dans les pôles de compétitivité soutenue par les outils de gestion

21Il apparaît que ce sont les projets développés par les membres des pôles qui produisent le résultat de l’innovation sociale alors que le fonctionnement des pôles quant à lui, représente le support du processus d’innovation sociale.

22Ainsi, les pôles en tant que structure d’innovation sociale permettent à des acteurs hétérogènes et locaux d’interagir, de se mettre en réseau afin de mener des projets pour le territoire grâce à la mise à disposition de ressources. Mais la configuration de ces projets collectifs peut amener des disparités en termes d’influence. Généralement, la petite entreprise qui souhaite développer son innovation fait appel à un grand groupe en matière de ressources financières et de prototypage. Mais il arrive que le grand groupe use de sa légitimité et de son influence pour absorber la petite entreprise qui perd alors son autonomie pour devenir sous-traitant du grand groupe. De plus, nous mettons en avant que les projets collectifs répondent à des problématiques locales et développent des solutions nouvelles qui améliorent le bien-être de la communauté et qui pourront être accessibles aux usagers grâce à leur commercialisation ; faisant ainsi référence aux dimensions de l’innovation sociale explicitées précédemment.

23Voyons à présent de quelle manière les différentes dimensions de l’innovation sociale apparaissent dans le fonctionnement des pôles et dans les projets, ainsi que leur mise en œuvre par les outils de gestion. Nous n’aborderons pas la dimension « changement » car elle renvoie au contexte incertain des pôles, à savoir la fin de la troisième phase de la politique publique qui sous-entend des changements en termes de missions, de leur orientation ainsi que de leur nombre.

Les pôles de compétitivité en lien avec leur territoire grâce aux Opérations d’Intérêt Régional

24Les pôles représentent un outil de développement économique régional selon le directeur général du pôle 1, car ils développent le bassin d’emplois par la mise en œuvre de projets qui répondent aux besoins du territoire en sollicitant les acteurs locaux. Dans cet esprit de dynamisation du territoire le pôle 2 va plus loin en contribuant également à son attractivité : « On valorise ce territoire-là pour attirer des activités d’expérimentation qui sont génératrices de l’activité économique » (responsable programme). Afin de supporter cette dimension « territoire », des outils de coordination et de management des connaissances sont mis en œuvre. Ainsi, les Opérations d’Intérêt Régional (OIR) sont les douze thématiques sur lesquelles la Région PACA souhaite mettre tous ses efforts, en lien avec les particularités locales. Pour les pôles, il est essentiel d’être « force de proposition » (secrétaire général) dans ces OIR, de développer des projets sur ces thématiques pour répondre aux besoins du territoire et coordonner son réseau. Quant au management des connaissances, il s’exprime via les projets structurants qui sont des projets de grande ampleur portés par les pôles, rassemblant des projets collaboratifs et entraînant tout un écosystème d’acteurs locaux. Ainsi, les projets Flexgrid (pôle 1) et Airship Village (pôle 2) apportent une activité économique locale car ils rassemblent plusieurs dizaines de projets et font adhérer les entreprises du territoire qui partagent alors des connaissances communes autour de ces projets (échanges de technologies, de méthodologies).

25La dimension « territoire » de l’innovation sociale est donc rendue possible au sein des pôles via les OIR qui représentent une opportunité de répondre à des problématiques locales, grâce à la mise en commun de connaissances technologiques à travers les projets structurants.

Les missions d’animation et d’accompagnement des pôles de compétitivité favorisent la dimension collective de l’innovation sociale

26La mission principale d’un pôle est de rassembler des acteurs hétérogènes et de favoriser leur mise en réseau. Dans un objectif de coordination du réseau à travers son animation et l’accompagnement projet, l’équipe opérationnelle propose différentes ressources à destination des membres : recherche de partenaires, aide au montage de projets, rencontres d’affaires, journées entre adhérents, développement de supports dans la conduite de projets. De plus, le management des connaissances permet aux membres de prétendre à un accompagnement individuel comme par exemple : aide pour se développer à l’international, mise à disposition de logiciels partagés, apprentissage d’une méthodologie pour le référencement…

27La mise à disposition de différentes ressources par les pôles de compétitivité en matière de coordination et de management des connaissances constitue un soutien à la dimension collective de l’innovation sociale car elle permet aux membres, pourtant de nature hétérogène de pouvoir se mettre en réseau et monter des projets collectifs.

Une gouvernance participative grâce à une organisation en collèges

28La structure de gouvernance des pôles est identique pour tous, à savoir des instances de gouvernance et une équipe opérationnelle. Pour mener à bien la coordination du réseau, les instances de gouvernance disposent de documents stratégiques comme le contrat de performance et la feuille de route. Cette dernière exprime l’avenir stratégique du pôle en lien avec le territoire et les différents acteurs amenant alors une gouvernance dite territoriale.

29L’équipe opérationnelle quant à elle n’est pas structurée de la même manière (organisation des services différente dans le pôle 1 et le pôle 2). Cependant, il existe dans les deux cas un réel engagement de ces équipes auprès de leurs membres et un fonctionnement transverse via des taskforces en fonction des projets et thématiques des membres. Du point de vue de la régulation de l’autorité, celle-ci s’effectue via le conseil d’administration divisé en collèges, en fonction de la nature des membres.

30Ainsi, la dimension « gouvernance » de l’innovation sociale qui se veut participative s’exprime du fait de cette représentativité par collèges, donnant une voix pour chaque type d’acteurs. Le pôle 1 semble davantage ouvert puisque le conseil d’administration invite parfois des membres à y participer afin de présenter leur projet.

Des acteurs influents qui définissent la stratégie des pôles de compétitivité

31Mais cette gouvernance n’empêche pas les influences de certains acteurs. Nous retrouvons les grands donneurs d’ordre et les financeurs (État, Région) : « Ce sont des financeurs donc forcément nous les écoutons, ils nous influencent » (secrétaire général). Plus spécifiquement, le pôle 1 comprend des membres fondateurs « nous sommes des espèces de points d’entrée, des porteurs d’informations […] excessivement actifs, excessivement proactifs, porteurs, pousseurs » (représentant CEA) et le pôle 2 se trouve sous la tutelle de la Direction Générale de l’Armement. De plus, les documents stratégiques qui aident à la coordination du réseau révèlent des influences de la Région et de l’État qui les co-construisent avec le pôle. En outre, la Région peut influencer le pôle dans les thématiques des projets via les OIR si l’on considère que les financements seront attribués uniquement si les membres suivent lesdites thématiques.

32En matière de régulation de l’autorité et pour pallier l’influence de certains acteurs et notamment des grandes entreprises face aux plus petites, le pôle 2 a mis en place le collège PME. Celui-ci rassemble l’ensemble des TPE/PME du pôle afin qu’elles s’expriment sur leurs besoins et difficultés.

33Ainsi, les pôles constituent des organisations supports au processus d’innovation sociale. Mais qu’en est-il du résultat de l’innovation sociale ?

Des projets qui répondent à des enjeux sociétaux

34Le pôle 1 apparaît comme très investi dans l’amélioration du bien-être de la société. Les projets développés vont dans le sens d’une amélioration des conditions de vie des usagers via une meilleure utilisation de l’énergie. Le pôle 2 quant à lui répond à des besoins d’ordre social par le biais des utilisateurs finaux. Ces derniers sont les acteurs qui veillent à la sécurité et au bien-être des citoyens (pompiers, police).

35Comme évoqué précédemment, la coordination du réseau s’effectue via les projets ayant un caractère social. Ainsi, le projet Oreli développe des méthodes d’accompagnement des usagers dans la rénovation de leur habitat. Le projet Hugo a pour objectif d’insérer des travailleurs en situation de handicap dans le monde du travail en tant qu’ingénieurs dans le domaine de l’énergie. Enfin, le projet Ambucom développe une ambulance connectée. Ils répondent à des enjeux sociétaux d’amélioration du bien-être de la population. Idem pour les projets structurants et plus spécifiquement le projet Flexgrid qui permet un management des connaissances. Dans ce projet de réhabilitation d’un quartier situé au Nord de Marseille, les habitants seront impliqués dans l’apprentissage de l’économie d’énergie au quotidien.

Une nécessaire commercialisation pour permettre des effets positifs sur la société

36Concernant l’accessibilité des projets, il est essentiel que ceux-ci se développent et arrivent sur le marché sous la forme de produits ou services à destination de la société. Les entrepreneurs ont conscience de cette réalité : « Il ne s’agit pas de travailler sur des projets qui n’assurent pas de débouchés commerciaux et industriels ». Pour que ces projets génèrent des effets positifs, il est nécessaire qu’ils soient commercialisés. Pour ce faire, et dans un objectif de coordination du réseau, les pôles mettent en place des aides, des formations, auprès des membres pour les aider à amener leur projet sur le marché. Plus spécifiquement, le pôle 2 dispose d’un comité de valorisation afin de sélectionner les projets présentant un fort potentiel de commercialisation.

37La figure 1 qui met en relation différentes familles d’outils de gestion avec les dimensions de l’innovation sociale, permet de rendre plus tangible et compréhensible cette dernière.

Figure 1

Les outils de gestion déployés par les pôles participent à la construction des dimensions de l’innovation sociale

Figure 1

Les outils de gestion déployés par les pôles participent à la construction des dimensions de l’innovation sociale

Source : Auteur

38Du point de vue des différents acteurs en lien avec les pôles (entrepreneurs, instances de gouvernance, équipe opérationnelle), cette recherche leur permet de prendre en considération la dimension sociale que les pôles peuvent amener. Car si ces derniers sont conscients des retombées économiques que les projets ont sur le territoire, ils perçoivent peu les bénéfices que leurs activités peuvent avoir sur les usagers. Il est pourtant important que les acteurs des pôles aient conscience que leurs projets participent à l’amélioration du bien-être des populations.

39Pour que les pôles de compétitivité puissent s’engager dans le développement d’innovations sociales, nous préconisons tout d’abord un ancrage territorial fort pour que les projets répondent à des problématiques locales et sociales. Pour ce faire, les OIR apparaissent comme un bon outil permettant de s’inscrire dans une perspective de développement territorial. De plus, nous pensons que les pôles de compétitivité doivent être moteurs de projets de grande envergure, dits projets structurants, pouvant héberger les projets des petites entreprises membres et ainsi encourager le tissu économique local. En ce sens, les pôles de compétitivité en tant qu’outils du développement économique local doivent favoriser la discussion avec les collectivités territoriales qui sont membres de leur réseau afin de détecter des opportunités de projets à caractère social sur le territoire. Ainsi, la gouvernance et les outils de coordination du réseau à travers les conseils d’administrations peuvent représenter un lieu d’échange et de discussion privilégiés quant à l’engagement des pôles de compétitivité dans une démarche de développement d’innovation sociale.

40Pour soutenir un fonctionnement propice au développement d’innovations sociales, l’équipe opérationnelle doit également se montrer garante du bon déroulement des projets collectifs en évitant les influences de certaines grandes entreprises. L’accompagnement projet réalisé doit alors aller au-delà de la simple animation de réseau et de la recherche de partenaires et proposer une réelle gouvernance participative. Ainsi, l’utilisation de CRM (Customer Relationship Management» ou «Gestion de la Relation Client») et de réunions ne suffit pas à l’émergence d’une réelle mise en réseau. Les administratifs des pôles peuvent peut-être se diriger vers la mise en place de méthodologies alternatives type ateliers participatifs où des grands groupes et des petites entreprises se réuniraient afin de faire émerger des problématiques d’ordre social en lien avec les activités de chaque acteur. Enfin, nous pensons que les pôles de compétitivité dans leur ensemble, c’est-à-dire aussi bien les instances de gouvernance que l’équipe opérationnelle, doivent développer la commercialisation de produits socialement innovants. Cela peut aller à l’encontre d’une vision purement économique et financière mais nous pensons que le développement économique au sens large comprend également la réponse aux besoins sociaux territorialisés.


Date de mise en ligne : 16/04/2021

https://doi.org/10.3917/entin.046.0008

Notes

  • [1]
    Moulaert F., Martinelli F., Swyngedouw E., Gonzalez S. (2005), « Towards alternative model(s) of local innovation », Urban Studies, vol. 42, n° 11, p. 1969-1990.
  • [2]
    Peres R. (2017), « Evolution du fonctionnement des réseaux territorialisés d’organisations par la prise en compte de l’innovation sociale. Le cas de deux pôles de compétitivité de la Région PACA », Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université
  • [3]
    Besançon (Emmanuelle), Chochoy (Nicolas), Guyon (Thibault), L’innovation sociale : principes et fondements d’un concept, L’Harmattan.
  • [4]
    Cloutier J. (2003), « Qu’est-ce que l’innovation sociale ? », Cahier du CRISES
  • [5]
    Richez-Battesti N., Petrella F., Vallade D. (2012), « L’innovation sociale, une notion aux usages pluriels : quels enjeux et défis pour l’analyse ? », Innovations 38, p. 15-36.
  • [6]
    Prevot F., Brulhart F., Guieu G. « Perspectives fondées sur les ressources », Revue Française de Gestion, n° 204, 2010, p. 87-103
  • [7]
    Ehlinger S., Perret V., Chabaud D. (2007), « Quelle gouvernance pour les réseaux territorialisés d’organisations ? », Revue française de gestion, vol. 253, n° 8, p. 369-386.
  • [8]
    Hillier J., Moulaert F., Nussbaumer J. (2004), « Trois essais sur le rôle de l’innovation sociale dans le développement territorial », Géographie, économie, société, n° 6, p. 129-152.
  • [9]
    Besançon (Emmanuelle), Chochoy (Nicolas), Guyon (Thibault), L’innovation sociale : principes et fondements d’un concept, L’Harmattan.
  • [10]
    Ninacs W-A. (2003), « Empowerment : cadre conceptuel et outil d’évaluation de l’intervention sociale et communautaire », Québec (Canada), La Clé.
  • [11]
    Klein (Juan-Luis), Harrisson (Denis), L’innovation sociale : Emergence et effets sur la transformation des sociétés. Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 1-14.
  • [12]
    Berthinier-poncet A. (2014), « Gouvernance et dynamiques d’innovation au sein d’un technopôle. Une analyse par les pratiques institutionnelles d’innovation », Management international, vol. 19, n° 1, p. 94-112.

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