Couverture de ENTIN_029

Article de revue

Leaders, écoutez ce que vous murmurent les chevaux...

Pages 49 à 59

Notes

  • [1]
    Carl Rogers (2005) Le développement de la personne, Paris.
  • [2]
    Ansari Shahid Ansari, Jan Bell, Bala Iyer, Phyllis Schlesinger, Educating entrepreneurial leader, Journal of Entrepreneurship Education, Volume 17, Number 2, 2014.
  • [3]
    Nature des connaissances à enseigner.
  • [4]
    Chen (Chao C.), Greene (Patricia Gene), et Crick (Ann), Does entrepreneurial self-efficacy distinguish entrepreneurs from managers?, Journal of Business Venturing 13, no 4, July 1998.
  • [5]
    Wood (Robert), Bandura (Albert) et Bailey (Trevor), Mechanisms governing organizational performance in complex decision-making environments, Organizational Behavior and Human Decision Processes 46, no 2, 1990, p. 181–201.
  • [6]
    Capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres.
  • [7]
    Piaget (Jean), L’équilibration des structures cognitives : problème central du développement, Paris, Presses Universitaires de France, 1975.
  • [8]
    L’apprentissage dit vicariant est celui qui résulte de l’imitation par l’observation d’un pair qui exécute le comportement à acquérir (formateur ou membre – leader – du groupe).
  • [9]
    Dewey (John), Democracy and education, Macmillan Press Limited, 1916.
English version

Les points forts

  • Les émotions jouent un rôle clé dans la prise de décision quotidienne de l’entrepreneur, mais le sujet reste pratiquement absent du champ de l’éducation à l’entrepreneuriat.
  • Pour tenter de comprendre comment se combinent les savoirs rationnels et la subjectivité émotionnelle dans l’apprentissage de l’entrepreneuriat, nous étudions une formation à l’entrepreneuriat basée sur l’Equicoaching.
  • Cette démarche met les apprenants en situation de ressentir et d’expérimenter leurs processus subjectifs.

1Le sujet des émotions et des processus subjectifs reste peu abordé dans le champ de l’éducation à l’entrepreneuriat. Cela pose problème lorsque l’on constate leur place prépondérante dans les manières de résoudre des problèmes, d’appréhender le risque et de prendre les décisions quotidiennes qui composent la vie de l’entrepreneur.

2Notre article s’intéresse principalement à deux questions clés : pourquoi est-il important pour le leader entrepreneur de prendre conscience du rôle joué par les émotions dans ses prises de décision ? Comment faire pour tenir compte de ces processus subjectifs qui combinent de manière dialogique les savoirs rationnels avec la gestion des émotions dans l’apprentissage de l’entrepreneuriat ?

3Pour tenter d’explorer cette question, nous avons expérimenté une formation à l’entrepreneuriat basée sur l’Equicoaching (technique d’accompagnement des personnes par le cheval) afin de mettre les apprenants en situation de ressentir et d’expérimenter leurs processus subjectifs en situation d’incertitude.

4Les connaissances rationnelles et les émotions sont étroitement liées et associées dans une relation de type « dialogique », un concept du sociologue Edgard Morin qui qualifie une relation indissociable entre deux éléments qui sont à la fois antagonistes et complémentaires. Cette combinaison de la raison et des émotions guide nos choix personnels dans un laps de temps plus ou moins court et contraint : c’est ce que nous appelons les processus subjectifs.

5Les exercices poursuivis par les participants avec un ou plusieurs chevaux facilitent ainsi l’émergence et la prise de conscience de ces processus subjectifs. La relation développée par les intervenants avec les participants s’inscrit dans la mouvance des attitudes rogériennes préconisées pour favoriser un accompagnement de proximité [1], qui s’ajuste aux besoins des participants. Cette relation repose sur les principes suivants :

  • Une relation authentique et congruente, dans laquelle les intervenants n’apparaissent pas seulement comme les pilotes de la formation mais également comme des personnes qui pensent, ressentent et agissent avec les participants, dans le même contexte.
  • Une relation empathique développée pendant l’exercice entre les intervenants et les participants et lors des phases de réflexivité. Dans cette approche, les intervenants s’appuient sur la manière dont les participants vivent/ont vécu l’expérience. Cette relation se développe par l’usage de questionnements tels que : « avez-vous eu le sentiment d’être impuissant face à… ? » ; « avez-vous eu peur lorsque… ? » ; « avez-vous été frustré lorsque…? »
  • Une relation humaine et bienveillante, où les intervenants considèrent les participants tels qu’ils sont, dans la situation présente, sans jugement.

Leader entrepreneurial et relation homme-cheval

6La formation a pour but de former au leadership l’entrepreneur, en important des techniques mises en œuvre dans l’Equicoaching.

Les caractéristiques du leader entrepreneur

7Selon le chercheur Ansari et ses collègues [2], les leaders entrepreneurs agissent et créent des opportunités qui produisent de la valeur pour leur organisation, leurs clients et la société dans son ensemble. En d’autres termes, ils sont des acteurs du changement qui créent des solutions. Les leaders entrepreneurs se distinguent par leur faculté à bien se connaître et à comprendre leurs propres valeurs, leurs passions, leurs capacités et leurs limites.

8La prise de conscience du rôle joué par les émotions dans leurs processus d’action occupe ainsi un rôle fondamental dans la capacité du leader à se connaître et à agir dans son contexte. Sa persuasion pour susciter l’adhésion et la participation de ses partenaires aux valeurs qu’il porte détermine le succès de son action et la reconnaissance de son rôle de leader.

9Or pratiquer le leadership entrepreneurial n’est pas inné, cela s’apprend. Ansari définit un ensemble de compétences qui tendent vers les caractéristiques suivantes observées chez les entrepreneurs leaders :

  • la compréhension de soi et la prise de conscience du contexte dans lequel ils agissent ;
  • leur capacité à impliquer leur environnement ;
  • Leur capacité à créer des opportunités ;
  • Leur capacité cognitive ambidextre, qui combine la pensée critique et la résolution de problème, le raisonnement quantitatif, la créativité et la pensée Design.

10La formation que nous présentons porte essentiellement sur les deux premières caractéristiques évoquées, ainsi que sur la résolution de problème.

Le cheval, révélateur des processus subjectifs

11Le cheval est doté d’une puissance de révélation des talents, par son pouvoir de réflexivité vis-à-vis de l’autre, qui se révèle très pertinente pour l’apprentissage. Biologiquement, son statut de proie dans la nature l’a rendu hypersensible et hyper vigilant à tout être vivant. Il fonctionne ainsi en miroir des émotions et des ressentis de ses interlocuteurs. Qu’il s’agisse de résolution de problèmes, de gestion des risques ou de choix en situation d’incertitude, l’interaction avec un cheval permet d’explorer le rôle des processus subjectifs dans les mécanismes de la prise de décision.

Les modalités de la formation entrepreneuriale étudiée

12Cette formation en entrepreneuriat s’est déroulée sur quatre années consécutives, auprès d’une centaine d’étudiants de niveau bac+5. Elle repose sur une alternance entre des phases d’expérimentation et des phases de réflexivité individuelles (via notamment la tenue d’un journal) et collectives (discussions avec le groupe et les accompagnateurs). Elle comporte ainsi trois objectifs didactiques [3].

  • Premier objectif : placer les participants en situation réelle de ressentir leurs émotions. L’idée est ici de leur permettre d’entrer activement dans la découverte de l’influence jouée par leurs propres émotions dans leur décision d’agir.
  • Second objectif : permettre aux participants de prendre des décisions de leadership conformes à celles qu’ils seront amenés à prendre un jour en tant qu’entrepreneur. Pour tendre vers cet objectif, les exercices avec les chevaux sont organisés de manière à conduire les étudiants à décider sur les thèmes managériaux suivants :
    • la gestion et l’optimisation des ressources : comment prendre des décisions en utilisant le mieux possible les moyens humains et matériels présents en situation réelle ?
    • le management de l’équipe : comment puis-je m’engager avec mes collègues et contribuer à une organisation optimale pour résoudre le problème qui se pose ?
    • la prise de risque et la gestion des émotions : comment oser agir en situation de doute (« je n’ai jamais vécu cette situation »), de peur (« l’être que j’ai en face de moi me fait peur ») et d’incertitude (« je ne sais pas comment il va réagir ») ?
  • Le troisième objectif consiste à renforcer leur auto-efficacité entrepreneuriale [4]. Celle-ci se manifeste par la satisfaction d’avoir su accomplir des tâches de manière efficace [5]. Les exercices avec le cheval ont été conçus pour permettre aux participants de franchir des paliers leur permettant de décrypter clairement leur progression, ce qui contribue au développement du sentiment positif de réussite et d’auto-efficacité.

Apprendre à mobiliser de multiples capacités

Pour guider le cheval dans sa mise en mouvement afin de réaliser des objectifs attendus, les participants doivent mobiliser les capacités suivantes : 1/ gérer leurs émotions (stress, peur et frustration) ; 2/ faire preuve d’une grande capacité d’écoute vis-à-vis du cheval et de son environnement ; 3/ être inventifs pour résoudre des problèmes en situation ; 4/ faire preuve d’assertivité [6] ; 5/ travailler leur conviction dans la capacité à atteindre des résultats (auto-efficacité) ; 6/ travailler leur rapport au temps d’apprentissage illustré par les sentiments de patience et de progression.

13Placer les étudiants face à un cheval en liberté les met dans des conditions propices à l’expérimentation, caractérisées par :

  • un environnement incertain et méconnu : un centre équestre sur les hauteurs de la ville, dans un manège rond de longe ;
  • une prise de risque : un cheval lâché en liberté dans ce manège rond ;
  • des ressources à optimiser : vivantes (un ou plusieurs chevaux), humaines (un ou plusieurs individus), physiques (aides classiques pour le travail en liberté des chevaux par l’usage éventuel de sticks et chambrières), environnementales (un manège rond dans un centre équestre avec tous ses habitants, humains et/ou animaux), météorologiques.

Les principaux éléments tirés de cette recherche

14Notre recherche a été menée de manière qualitative. Nous avons collecté les données à partir d’entretiens individuels, de photos et de vidéos. Celles-ci ont ensuite été traitées et analysées en utilisant un logiciel de traitement de données (NVivo).

15Notre analyse porte sur la manière dont la relation avec le cheval agit sur la prise de conscience des processus subjectifs et nous conduit à composer avec eux pour agir. Nous avons pour cela puisé dans les apports des sciences de l’éducation pour comprendre les processus d’apprentissage mis en œuvre par les participants. Ce travail nous a permis de constater que le type de communication directe nécessaire avec le cheval, le fait de s’inspirer des membres du groupe pour agir, « l’apprendre ensemble », le besoin de composer avec ses émotions et l’élaboration de futures stratégies d’apprentissage à partir de l’expérience vécue favorisent la prise de conscience des processus subjectifs.

Le rôle de la relation authentique

16L’interaction avec un cheval en liberté permet d’expérimenter en temps réel la qualité des liens relationnels en dehors du tout jugement moral. Le travail en miroir avec le cheval représente un facilitateur puissant de prise de conscience des préférences relationnelles de chacun.

17Réagissant instantanément à tous les éléments de communication non-verbale, le cheval nous renvoie en direct l’incidence de notre propre fonctionnement. La communication du cheval n’est pas calculée ou biaisée. Il exprime de façon authentique son état intérieur et possède une faculté fondamentale de décodage de l’état émotionnel de tout être vivant qui l’approche : la relation créée avec un être humain est une relation fondamentalement « authentique ».

18Face au cheval, le participant prend instantanément conscience des conséquences de ses actes (paroles et intonations, mouvements et intentions). Il peut expérimenter le décalage entre ce qu’il voudrait faire (obtenir) et ce que ressent le cheval. Ceci permet de prendre conscience du rôle des processus subjectifs et plus spécifiquement des émotions dans l’élaboration des choix et la prise de décision :

19

Étudiant 87 : « J’étais assez frustrée de ne pas arriver à me faire obéir du cheval, mais ça m’a fait prendre conscience que s’il ne m’obéissait pas c’était parce que je ne savais pas le lui demander et que je ne comprenais pas sa manière de fonctionner. »
Étudiant 96 : « J’ai fait preuve de patience, de regards et de gestes maîtrisés, de réflexion pour savoir où et comment optimiser mon placement vis-à-vis du cheval. »

20En d’autres termes, le fait de mettre les participants dans l’obligation de communiquer avec un animal inconnu agit fortement sur le sentiment d’inconfort mental ou de déséquilibre cognitif [7]. Les émotions ressenties lors de cette phase sont négatives. La recherche de solutions s’effectue au prix d’une profonde remise en question de ses propres processus subjectifs, c’est-à-dire de sa manière de ressentir et d’agir. Or c’est cette remise en question qui active le processus de prise de conscience du rôle joué par les émotions (et le comportement qui en résulte) dans la réussite de l’exercice :

21

Étudiant 85 : « J’ai compris que le volume de la voix n’a pas forcément d’impact sur le cheval. […] Il ne suffit donc pas d’être énergique et de donner des ordres clairs, mais il faut en plus que le comportement et l’attitude soient en adéquation. À la suite de cet échec, j’ai dû réfléchir à une nouvelle stratégie et adapter mon comportement avec ces nouvelles informations. »

22Cette expérience vivante sur la communication avec son environnement est exploitée pour aborder la thématique du leadership entrepreneurial autour de questions clés telles que : comment me perçoivent les autres (parties prenantes et collaborateurs) et comment peuvent-ils réagir ? Comment travailler son ancrage pour décider en situation d’incertitude (j’agis en cohérence totale avec qui je suis et avec ce que je veux) ? Comment apprendre à réagir en tenant compte de ses émotions (en tant qu’entrepreneur) ? Comment apprendre à revoir sa position pour s’adapter de manière permanente aux changements d’attitude de ses interlocuteurs ? Etc.

Le rôle de l’apprentissage vicariant [8]

23Les membres de la communauté d’apprentissage constituent les premiers apporteurs de solutions pour aider le participant à quitter son sentiment d’inconfort mental – et ses émotions négatives - en expérimentant des solutions. L’un des premiers réflexes consiste alors à observer ses pairs qui ont réussi l’exercice et détiennent tout ou partie de la solution.

24L’apprentissage vicariant, par l’observation fine du comportement de ses collègues, facilite la recherche de solutions.

25Le recours quasi-mécanique à l’observation d’un pair s’ancre dans l’apprentissage social et collaboratif [9] :

26

Étudiant 46 : « On s’inspire des personnes ayant fait l’exercice pour en prendre les meilleures choses et ainsi le reproduire. »
Étudiant 28 : « Le mimétisme était mon seul recours comme à la grande majorité des autres membres du groupe dans lequel j’étais. »

27L’apprentissage vicariant produit d’autant plus d’effets positifs s’il est mobilisé dans plusieurs séquences de la formation, ce qui permet d’apprendre par incrémentations (accumulation d’expériences et de savoirs). D’autre part, il est efficace dans un contexte où le sentiment de collaboration en équipe est fort, c’est-à-dire où les prises d’initiatives individuelles sont profondément reliées avec la communauté d’apprentissage :

28

Étudiant 91 : « J’ai été influencée par le groupe et par les passages des personnes avant moi. Je me suis inspirée des connaissances des personnes familières avec ce milieu-là (notamment Élise) et cela m’a donné confiance pour agir. »

Le rôle de l’apprentissage collaboratif

29La recherche de solutions s’accélère lorsque les relations de collaboration entre l’individu et le groupe se développent, comme le décrivent les participants.

30

Étudiant 28 : « Cependant, lors des activités de la dernière séance, où nous avons eu l’occasion de mettre en pratique les éléments appris en première séance, nous avons fait preuve d’une réelle collaboration efficace et constructive. »

31La notion de groupe, qui émerge beaucoup dans le retour d’expérience des participants, apparaît d’abord comme un « modérateur » régulant les initiatives individuelles. Il facilite ainsi le sentiment de communication et d’appropriation de l’expérience par ses membres.

32Chez une majorité d’individus, le groupe permet d’agir favorablement sur le sentiment d’auto-efficacité et dans l’acquisition des émotions positives qui l’accompagne.

33

Étudiant 17 : « Ceci m’a appris à remettre en question ma communication. Si ça marche avec les autres mais pas avec moi, cela veut dire que l’exercice est possible, réalisable. »

34Cependant, chez certaines personnes, leur relation vis-à-vis du groupe (par exemple la timidité) peut inhiber l’initiative individuelle et générer des émotions négatives.

35

Étudiant 99 : « Je pense que j’osais moins que ce que j’aurais pu faire seule, du fait de la présence et du regard du groupe. »

36En d’autres termes, la nature des émotions éprouvées par l’apprenant dans son groupe varie selon le capital émotionnel qu’il a accumulé dans sa vie et selon la situation de réussite vécue par le groupe dans l’accomplissement de l’exercice. Dans ce sens, le fait de vivre l’expérience, de s’appuyer sur des pairs et d’évoluer dans le sentiment d’appartenir à un groupe d’apprentissage produit un jeu d’apports subtils qui bénéficie à la fois au groupe et à ses membres.

37

Étudiant 16 : « Les apports personnels et au groupe sont incontestables, tant par les prises de conscience que les améliorations concrètes des comportements de chacun d’entre nous. »

38D’une manière plus générale, il favorise la capitalisation collective de l’expérience et peut ainsi servir la réussite finale aux individus dans l’exercice.

39

Étudiant 104 : « Je pense que le fait d’être tous dans la même situation pousse les personnes à se réunir, se concentrer, s’aider et se soutenir. »

Le besoin de composer avec ses émotions

40La relation avec un être impressionnant comme le cheval accélère l’émergence de ces processus subjectifs qui se manifestent dans les retours d’expérience des participants.

41

Étudiant 27 : « L’expérience avec le cheval, nous a obligés à sortir de notre zone de confort en nous confrontant à nos peurs. »

42De nombreux retours d’expérience montrent clairement l’imbrication de la gestion des émotions et de la volonté sous-jacente de composer avec elles dans l’accomplissement de l’exercice.

43

Étudiant 43 : « Savoir ‘mettre de côté’ ses émotions lorsqu’elles prennent trop le dessus, car elles pourraient nous empêcher de faire de belles choses […] j’ai appris que face à l’incertitude, on ne peut pas éviter le stress lorsqu’il arrive… En revanche on peut agir de façon à faire passer les émotions positives devant lui. Il faut savoir prendre des initiatives et se montrer à soi-même qu’on est capables. »

44Plus généralement, cette volonté de prendre en compte ses processus subjectifs dans ses décisions et ses actions apparaît indirectement lorsque les participants évoquent les notions d’« adaptation » et « d’incertitude » à la situation, au cheval et au groupe dans lequel ils évoluent.

45

Étudiant 8 : « Il y a donc une part d’inconnu et de l’appréhension, comme pour un premier contact avec les chevaux. Il faut surmonter cette appréhension pour pouvoir avancer et savoir prendre des risques. »

46Par ailleurs, comme le souligne un autre participant, s’adapter et faire face à l’incertitude sont des processus qui intègrent une notion de transformation. Celle-ci s’opère sous condition de persévérance et de motivation.

47

Étudiant 37 : « Lors des premiers essais j’ai à chaque fois obtenu un résultat contraire à mes ordres. À force de persévérance et en gérant mes émotions/ma manière de communiquer, j’ai pu faire l’exercice correctement et j’y ai pris un réel plaisir. C’est vraiment au cours de l’exercice que mes capacités d’adaptation ont évolué et que j’ai su faire face à l’incertitude. »

48Enfin, la prise de conscience du rôle joué par les processus subjectifs apparaît également lorsque certains participants évoquent la nécessité d’aller au-delà des mots pour communiquer et faire en sorte que leurs actions acquièrent une signification partagée.

49

Étudiant 84 : « Nous avons remarqué que le langage utilisé était très important dans la relation, mais surtout son interprétation. De plus, l’utilisation de nos différents sens, de la communication verbale et non-verbale est essentielle pour se faire comprendre au mieux par notre interlocuteur. »

Métacognition et élaboration de futures stratégies d’apprentissage

50Piaget souligne qu’un apprentissage expérientiel est inutile si l’expérience vécue n’est pas transformée en connaissances. Prendre conscience de ses processus subjectifs facilite la pensée métacognitive. Cette dernière permet à l’individu d’élever les connaissances apprises en se donnant les moyens de les transposer dans de futures situations vécues. Pour cela, l’expérience doit s’accompagner de temps de réflexion et d’analyse pendant et après la formation. Ces instants de réflexivité sont indispensables pour permettre aux apprenants d’établir des ponts entre leur expérience passée, ce qu’ils viennent de vivre et ce qu’ils décident de conserver pour résoudre les situations futures.

51Simple en théorie, ce processus requiert en réalité du temps pour développer de manière plus systématique un mode d’apprentissage métacognitif. La métacognition est une capacité de second niveau qui consiste à apprendre de son propre apprentissage (apprendre à apprendre). Le fait de comprendre ce que l’on fait est central. La métacognition se définit en posant des questions du type : qu’est-ce qui a déterminé ma réussite dans l’exercice demandé ? Comment me suis-je organisé pour réussir ? Quels enseignements de cette expérience vécue me seront utiles pour les prochaines situations ? Quelles futures stratégies cette expérience va-t-elle me permettre d’élaborer ou d’améliorer dans le futur ?

52Le développement de capacités métacognitives est ainsi fortement relié aux connaissances ancrées en moi. Or les émotions jouent un rôle manifeste dans cet ancrage.

Figure 1

Processus subjectifs et développement de capacités métacognitives

Figure 1

Processus subjectifs et développement de capacités métacognitives

53Plus l’individu sera à même de relier ce qu’il a vécu émotionnellement et rationnellement dans la formation, plus les nouvelles connaissances apprises pourront s’ancrer durablement et venir ainsi compléter son capital de savoirs pour dessiner de futures stratégies.

54Pour que cet ancrage soit durable, l’auto-analyse des participants doit combiner des questionnements de type rationnel (métacognitif) avec des interrogations qui mobilisent le souvenir émotionnel du type « qu’ai-je ressenti lorsque… ? ».

55Ce double questionnement (rationnel/émotionnel) compose ainsi la démarche réflexive qui accompagne l’expérimentation. Cette démarche a également pour but d’aider les participants à préparer leur transfert des connaissances apprises dans de futurs contextes, hors de l’école :

56

Étudiant 33 : « Je m’aperçois qu’il va falloir que je m’adapte constamment à tous les différents types de partenaires que je vais pouvoir rencontrer pour monter mes circuits touristiques. »

Des enseignements utiles aux chercheurs, formateurs et praticiens

57La formation qui se base sur l’Equicoaching offre une opportunité pour placer les participants en situation d’agir directement face au cheval qui « ne triche pas » dans la réponse qu’il apporte en retour des sollicitations. Elle permet de prendre conscience du rôle des processus subjectifs dans leurs futures décisions entrepreneuriales (oser se lancer, faire confiance à des partenaires, décider de voie de développement, etc.).

58Pour le praticien formateur qui souhaite faciliter la prise en compte des processus subjectifs dans son programme d’entrepreneuriat, notre illustration montre l’importance de mettre l’accent sur des interactions directes et spontanées, permettant d’apprendre en prenant des décisions et en faisant des choix.

59Pour cela, la mise en situation peut être mise en œuvre de manière plus ou moins complexe selon les ressources qui sont à la disposition de l’enseignant/formateur. D’une manière générale, le rôle joué par les animateurs est primordial pour accompagner les participants dans l’évolution de leurs perceptions de leurs propres émotions. Ils assurent une fonction de facilitateur et de coach pendant les séances, et guident les participants dans leur prise de conscience.

60Pour le chercheur qui s’intéresse aux nouvelles pédagogies éducatives appliquées à l’entrepreneuriat, notre recherche montre que le fait d’apprendre en vivant ce type d’expérience conduit à repenser les modes d’analyse des processus d’apprentissage mis en œuvre.

61Dès lors, le suivi individuel et collectif des participants devient beaucoup plus complexe. Il suppose la mise en œuvre d’un protocole réflexif qui implique chez l’intervenant un changement important de posture ainsi que l’acquisition de compétences nouvelles peu présentes dans le monde éducatif. Notre recherche pose également bien d’autres questions, notamment :

  • comment mesurer dans le temps les effets produits par ce type de formation, qui aide l’étudiant à prendre conscience et à composer par lui-même avec ses émotions dans ses prises de décisions ?
  • quelles sont les limites de l’intégration des processus subjectifs dans la formation à l’entrepreneuriat ?
  • quel est l’enjeu de l’apprentissage en groupe, collectif et collaboratif (toutes les parties prenantes de la formation), dans la gestion de ces processus subjectifs ?
  • Comment former les intervenants sur ce type de démarche ?

62Pour le professionnel, le travail sur la gestion des processus subjectifs au contact des chevaux permet d’aborder les questions relatives à :

  • la gestion du stress (l’inconnu, le regard et le jugement des autres, le manque de connaissance qui fait sortir de la zone de confort, etc.)
  • la communication vis-à-vis des parties prenantes (rôle de la communication non-verbale et de la gestion du timing et des objectifs, savoir s’adapter aux interlocuteurs)
  • la concentration et l’ancrage émotionnel dans la décision (auto-efficacité, cohérence personnelle…)
  • la persévérance en cas d’échec (le cheval ne réagit pas, ou pas comme espéré).Les transpositions de l’expérience vécue effectuées par les participants nous ont permis de lister quelques apprentissages qu’ils appliquaient à leur projet entrepreneurial : observer l’environnement et poser des questions ; observer les autres et en tirer des conclusions ; tenter de trouver des chemins alternatifs ; s’entraîner et pratiquer la méthode des essais/erreurs pour progresser.

Notes

  • [1]
    Carl Rogers (2005) Le développement de la personne, Paris.
  • [2]
    Ansari Shahid Ansari, Jan Bell, Bala Iyer, Phyllis Schlesinger, Educating entrepreneurial leader, Journal of Entrepreneurship Education, Volume 17, Number 2, 2014.
  • [3]
    Nature des connaissances à enseigner.
  • [4]
    Chen (Chao C.), Greene (Patricia Gene), et Crick (Ann), Does entrepreneurial self-efficacy distinguish entrepreneurs from managers?, Journal of Business Venturing 13, no 4, July 1998.
  • [5]
    Wood (Robert), Bandura (Albert) et Bailey (Trevor), Mechanisms governing organizational performance in complex decision-making environments, Organizational Behavior and Human Decision Processes 46, no 2, 1990, p. 181–201.
  • [6]
    Capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres.
  • [7]
    Piaget (Jean), L’équilibration des structures cognitives : problème central du développement, Paris, Presses Universitaires de France, 1975.
  • [8]
    L’apprentissage dit vicariant est celui qui résulte de l’imitation par l’observation d’un pair qui exécute le comportement à acquérir (formateur ou membre – leader – du groupe).
  • [9]
    Dewey (John), Democracy and education, Macmillan Press Limited, 1916.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.82

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions