Notes
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[1]
Rapport d’enquête sur la collaboration entre les cmp/cmpp et les établissements scolaires. Marie Choquet, Étienne Ernault, inserm u669. Juin 2005. http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/08/circulaire_18_octobre_2005_suicide.pdf
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[2]
Professeurs des écoles, directeurs, assistants du service social, infirmiers, psychologues et médecins scolaires, atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles).
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[3]
Ayant exercé en tant que médecin au Centre Alfred Binet de 2012-2017, j’étais, à ce titre, responsable médical de ce dispositif.
1En France, 5 à 25 % des enfants présentent des problèmes psychiques (inserm, 2009). En l’absence de rencontre clinique, ils demeurent mal identifiés, et les besoins de soins pédopsychiatriques restent hypothétiques. Ces dernières années, la multiplication de ces situations a amené les professionnels des écoles primaires et des Centres médico-psychologiques (cmp) à renforcer leur collaboration au sein de partenariats. Dans cet article, nous interrogerons l’impact de ces actions sur les trajectoires des enfants concernés mais aussi, plus globalement, sur l’évolution des pratiques professionnelles et les modalités de soins qu’ils dessinent.
Éléments contextuels
2Les situations de blocage, au niveau du repérage, de l’évaluation et de l’accompagnement des enfants en difficultés se multiplient (Hazane, 2006 ; Moro, 2016). Dans ce contexte, les liens entre les écoles et les structures sanitaires sont amenés à se renforcer, avec pour objectif de mieux identifier les problèmes et de limiter le temps souvent trop long entre le repérage des difficultés des enfants et la mise en place de réponses adaptées à leurs besoins, dont les soins, s’ils sont nécessaires. À ce jour, ce travail en réseau reste souvent limité aux adolescents alors que certains enfants connaissent aussi, et souvent très tôt, des trajectoires difficiles, parfois chaotiques… Si les problématiques comportementales sont le plus souvent au premier plan, les difficultés de certains enfants s’installent silencieusement et peuvent passer inaperçues. Ils restent en marge du groupe, se montrent peu curieux. Les apprentissages peuvent être préservés mais, souvent, les enfants que nous rencontrons sur le cmp ont déjà des retards scolaires importants. Les rapprochements entre le champ éducatif et le champ sanitaire semblent d’autant plus pertinents qu’un état des lieux réalisé en 2005 [11] en France métropolitaine montrait un niveau de collaboration structurée et formalisée très faible, voire inexistant sur certains territoires entre les écoles primaires (maternelles et élémentaires) et le secteur infanto-juvénile. Cette méconnaissance réciproque entre professionnels ne permet pas la mise en œuvre d’actions coordonnées qui prennent en compte les facteurs environnementaux – social, familial, scolaire – qui pèsent sur le développement psycho-affectif et cognitif de l’enfant. Elle privilégie le recours aux équipes du secteur sur le mode de l’urgence ou seulement pour des soins à visée curative. Dans ce contexte, plusieurs équipes ont mis en œuvre des partenariats avec des écoles maternelles et primaires.
Des expériences menées en France à partir du secteur
3Ces interventions impliquent des soignants en dehors du cadre habituel de leur exercice, en l’occurrence en amont du cmp, au sein d’un établissement ou d’un dispositif scolaire en co-intervention ou étroite collaboration avec les professionnels des écoles [22]. Si elles restent peu développées en France, certaines expériences montrent des résultats encourageants à court et moyen termes. Nous décrirons brièvement trois de ces pratiques.
4Depuis 2003, le dispositif « Parenthèse » prend en charge des enfants scolarisés sur les écoles primaires de Toulouse qui présentent des difficultés émotionnelles et/ou de comportement à expression scolaire (Hazane, Raynaud, 2006). Ce dispositif, dont la forme a évolué, repose aujourd’hui sur des consultations « avancées » au sein des établissements scolaires. Elles sont réalisées par un psychologue et un pédopsychiatre qui travaillent en étroite collaboration avec les équipes de la réussite éducative.
5Depuis 2012, le service pilote d’appui à la scolarité et de soins de proximité accueille à temps partiel – à raison de deux demi-journées hebdomadaires – des enfants de la msm (moyenne section de maternelle) au ce1 scolarisés sur les écoles du 13e arrondissement de Paris (Faure-Fillastre, 2018). Des médiations thérapeutiques articulées à des temps scolaires sont proposées sur une structure appartenant à la mairie. La continuité avec l’école – où l’enfant reste scolarisé – est assurée par l’enseignante du dispositif via des échanges réguliers avec les membres de l’équipe éducative. Un pédopsychiatre rencontre régulièrement les parents avec leur enfant.
6Enfin, depuis l’année dernière, une équipe mobile – qui réunit un pédopsychiatre et une enseignante – intervient au niveau des écoles de Créteil en réponse à la situation d’un enfant ou à une situation de « crise » sur un établissement avec une forte dégradation du climat scolaire. Ces interventions s’appuient sur le modèle de la thérapie multifamiliale développée en Argentine (Garcia Badaracco, 1999) et appliqué en Angleterre dès la fin des années 1980 pour répondre aux situations d’enfants rejetés du système scolaire du fait de leur comportement et dont les parents en situation de vulnérabilités multiples restent en marge des institutions (Asen, 2001). Elles permettent, selon une approche systémique, de proposer des interventions au niveau de la classe en re-négociant les places de chacun, faisant des parents des partenaires aux côtés des enseignants et des soignants.
Intérêts
7Ces interventions ont l’avantage de rendre possible une rencontre clinique avec des enfants difficiles à atteindre selon les modalités de prises en charge habituelles. Parce qu’elles sont plus acceptables pour certains parents, plus proches de leurs attentes en ce qui concerne leur enfant, des familles s’engagent auprès de soignants. Ces interventions ont vocation de relancer la construction d’un projet d’accueil cohérent à l’école et d’ouvrir sur la possibilité de mise en œuvre de soins sur le cmp par la suite. Si le contexte scolaire reste en « arrière-plan » dans les deux premiers dispositifs que nous avons décrits, il est au cœur de l’intervention dans le troisième. Les actions des professionnels soignants peuvent se limiter à ce niveau d’intervention ou bien s’articuler avec des prises en charge personnalisées.
8Dans notre expérience sur le 13e, l’accueil séquentiel sur le dispositif permet le plus souvent une amélioration des symptômes comportementaux dans les semaines qui suivent [33]. Cette évolution ouvre la possibilité d’un dialogue constructif avec les parents et une analyse pluridisciplinaire rendue difficile jusque-là. Ce premier temps permet d’aboutir à un diagnostic de troubles spécifiques dans les apprentissages, mais aussi le plus souvent de désordres psychiques parfois sévères – dans le registre des troubles envahissants du développement, masqués jusque-là par des comportements bruyants. Ce premier temps permet d’élaborer un projet thérapeutique et sa mise en œuvre dans environ la moitié des situations. Cela montre les limites, dans certains cas, d’un lieu de soin d’emblée différencié de l’école et l’intérêt d’aller à la rencontre des parents qui ont du mal à formuler une demande de soin pour leur enfant et/ou se diriger vers les structures sanitaires ad hoc. Pour finir, nous avons constaté que peu de familles refusent l’inscription de leur enfant sur ce type de dispositif.
Limite dans la conceptualisation et la mise en œuvre de ces interventions
9Si la construction de partenariats avec les acteurs du milieu de vie représente un enjeu majeur de santé publique, le rapprochement des institutions sanitaire et scolaire continue à faire débat parmi les professionnels. Pour les uns, écoles et lieux de soins ne doivent pas être confondus, tandis que pour d’autres, ces règles ne sont pas immuables et doivent s’adapter aux impératifs de l’inclusion scolaire (igas, 2018). L’inclusion scolaire est fondée sur le droit des enfants à recevoir une éducation. « L’éducation inclusive est une approche qui cherche comment transformer les systèmes d’éducation et autres environnements d’apprentissage afin de répondre à la diversité des apprenants… Par définition, en tant qu’approche systémique, orientée sur la prise en compte de la globalité et de la complexité, l’éducation inclusive incite les membres du système éducatif à travailler avec toutes les ressources éducatives, humaines et matérielles de leur milieu proche, classe et établissement, mais aussi de leur environnement, donc de partenaires extérieurs » (Zay. 2012). Aussi, l’engagement de tous les professionnels dans la construction des modèles d’interventions apparaît indispensable pour une plus grande collaboration entre eux, dans le respect des missions de chacun, notamment des enseignants dans leur rôle pédagogique et des professionnels de la santé dans leur rôle de soignant. La question du « repérage » est assez emblématique à cet égard. Le malaise réactivé par le rapport inserm de 2005 sur les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent persiste chez les professionnels. Les insuffisances de cette expertise – qui a analysé le problème sous le seul prisme biomédical – n’ont permis ni de mettre en avant le consensus de tous les acteurs du champ de l’enfance sur la nécessité d’accompagner le plus tôt possible les enfants en difficultés, ni de poser les bases d’un débat contradictoire serein sur les actions à envisager pour éclairer la décision politique dans une perspective de santé publique (Ehrenberg, 2006). La question du « repérage » doit nécessairement être reformulée et contextualisée dès lors qu’elle repose sur des actions en dehors du système sanitaire. Il s’agit, grâce à ces partenariats, de mettre en œuvre une réflexion collective qui soutienne les enseignants et qui puisse déboucher dans certains cas sur des réponses impliquant des soignants. Ces pratiques partenariales prolongent les réflexions sur les modalités d’institutionnalisation de la rencontre clinique et invitent les cliniciens à prendre en compte le contexte de leurs interventions au-delà de leurs aspects techniques spécifiques. Dans cette perspective, les travaux du psychologue américain Bruce Wampold nous semblent intéressants. Il distingue le modèle médical, qui veut que ce soit les techniques psychothérapiques elles-mêmes (par leurs aspects spécifiques) qui soient porteuses d’efficacité thérapeutique, du modèle contextuel « qui met l’accent … sur les facteurs contextuels de la psychothérapie, c’est-à‑dire sur ce dans quoi elle prend place, et non pas seulement sur ce qui prend place dans ce contexte. Plus précisément, c’est du contexte que ce qui y prend place prend son sens et son efficacité » (dans Briffault, 2016, p. 127-128). Des investigations restent à mener pour préciser les objectifs de ces partenariats en tenant compte des besoins des enfants, des attentes de leurs parents tout comme des contextes institutionnels et territoriaux dans lesquels ils s’inscrivent.
Conclusion
10La création de partenariats école-cmp réactualise la complémentarité des approches pédagogique, éducative et thérapeutique mise en œuvre de longue date par les professionnels en tenant compte de l’évolution des besoins des enfants et des ressources institutionnels tout comme des attentes parentales et sociétales. Si plusieurs équipes de secteur infanto-juvénile sont déjà engagées dans ce champ d’intervention, ces pratiques restent encore peu structurées et leurs impacts peu évalués. Leur contextualisation apparaît un enjeu crucial tant pour leur élaboration que leur mise en œuvre afin qu’elles participent à l’amélioration des pratiques professionnelles et des politiques locales en pédopsychiatrie. C’est tout simplement, un enjeu majeur de santé publique.
Bibliographie
Bibliographie
- Asen, E. ; Dawson, N. ; McHugh, B. 2001. Multiple Family Therapy: The Marlborough Model and its Wider Applications, Londres, Karnac.
- Briffault, X. 2016. Santé mentale, santé publique, Grenoble, pug.
- Ehrenberg, A. 2006. « Malaise dans l’évaluation de la santé mentale », Esprit, 2006/5.
- Faure-Fillastre, O. 2018. « Difficultés de comportement à l’école : des dispositifs de prévention », enfances&psy, n° 77, p. 94-105.
- Garcia Badaracco, J. 1999. Psychanalyse multifamiliale. La communauté psychanalytique thérapeutique à structure familiale multiple, Paris, Puf.
- Hazane, F.; Raynaud, J.-P. 2006. « Quand l’école devient difficile, un dispositif, une parenthèse », Empan, n° 63, p. 134-141.
- Igas. 2018. Mission relative à l’évaluation du fonctionnement des Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (camsp), des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (cmpp) et des Centres Médico-Psychologiques de psychiatrie infanto-juvénile (cmp-ij), rapport N°2018-005R réalisé par C. Branchu, J. Buchter, J. Emmanuelli, F.-M. Robineau
- http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/IGAS2018-005R_version_sept.pdf
- Inserm. 2009. Santé de l’enfant. Propositions pour un meilleur suivi. Expertise opérationnelle, Paris, Éditions Inserm.
- Inserm, 2005. Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent, Paris, Éditions Inserm.
- Moro, M.-R. ; Brison, J.-L. 2016. Mission Bien-être et santé des jeunes, Ministère des affaires sociales et de la santé.
- Zay, D. 2012. Qu’est-ce qu’une éducation inclusive : enjeux, dérives, obstacles. aede-France, iufm de Rennes, 3 octobre 2012. http://www.aede-france.org/Zay-Ecole-Inclusion.html
Notes
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Rapport d’enquête sur la collaboration entre les cmp/cmpp et les établissements scolaires. Marie Choquet, Étienne Ernault, inserm u669. Juin 2005. http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/08/circulaire_18_octobre_2005_suicide.pdf
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Professeurs des écoles, directeurs, assistants du service social, infirmiers, psychologues et médecins scolaires, atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles).
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Ayant exercé en tant que médecin au Centre Alfred Binet de 2012-2017, j’étais, à ce titre, responsable médical de ce dispositif.