Notes
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[1]
Cf. dans ce même numéro l’article de Geneviève Welsh, « Bourreaux d’enfants ».
L’expérience en urgence dans les suites de l’attentat du 14 juillet
1 Les attentats récents sur le sol français ont bouleversé la communauté nationale et ont eu un fort impact traumatique. Cet impact traumatique touche d’abord les personnes directement impliquées mais aussi l’ensemble des professionnels au contact direct de l’événement en post-attentat : personnel de santé, protection civile, policiers, personnels de mairie, sans oublier les politiques et les journalistes.
2 À Paris, en 2015, c’est le lien social dans sa dimension festive et culturelle qui a été ciblé. À Nice, lors du feu d’artifice du 14 juillet 2016, c’est le symbole de la fête nationale qui était visé, mais aussi, pour la majorité des populations présentes ce soir-là, les vacances, la douceur de vivre, la fête populaire et touristique dans cette grande ville très active qui est aussi une station balnéaire réputée dans le monde entier : « la French Riviera ». L’attaque, pour la population niçoise, d’un lieu familier, familial, quotidien, où tous les enfants de la ville avec leurs parents ont appris pour la première fois à marcher, à nager, à faire du vélo. La « prom » (la promenade des Anglais), c’est le cœur battant de la ville, lieu de son histoire collective et individuelle.
3 Mais surtout, pour la première fois en France, un acte terroriste touche massivement une population d’enfants et d’adolescents, âgés de deux mois à 18 ans. Au-delà, ce sont l’organisation familiale et la fonction parentale qui ont été touchées. L’attaque sur la promenade des Anglais a été d’une violence rare. Un camion de 19 tonnes lancé sur des piétons a provoqué de nombreuses blessures physiques sévères : 32 blocs pédiatriques ont été recensés dans la nuit du 14 juillet au 15 juillet. L’atteinte du corps rend particulièrement vulnérables les enfants au risque de développement de troubles psychiques post-traumatiques (Augsburger et coll., 2016).
4 Ainsi les hôpitaux pédiatriques de Nice sont géographiquement situés à 200 mètres du lieu du drame. Ils ont reçu, au cours des premières deux heures, 44 patients dont 32 enfants nécessitant l’intervention immédiate des urgentistes, réanimateurs, chirurgiens et radiologues (Haas et coll., 2017). De plus, 4 patients dont 2 enfants sont décédés après leur admission. Dans le cadre du « plan blanc », une cump (cellule d’urgence médico-psychologique), regroupant pédopsychiatres, psychologues et infirmières en pédopsychiatrie, a également été activée (Askenazy, 2017).
5 Une foule nombreuse était présente sur site du fait de la configuration géographique, le long d’une promenade de plus de trois kilomètres, piétonne pour l’occasion. Il est impossible de quantifier le nombre de témoins de cette scène, depuis les balcons des appartements et des hôtels qui bordent la promenade. Une panique collective, liée en grande partie à un mouvement de foule immaîtrisable, a saisi une partie de la ville qui n’était pas exposée directement. Ainsi, par exemple, les rumeurs les plus folles ont circulé, les tirs nourris par la police se sont transformés en la croyance que des tigres (« tir » se transforme de bouche-à-oreille en mot « tigre ») avaient été lâchés dans la ville pour dévorer la population, rajoutant de l’effroi, du chaos, de la confusion et augmentant le mouvement de foule. De plus, du fait de la densité de population présente sur la promenade des Anglais, le mouvement de foule s’est transformé en une vague immense et grondante dans laquelle les personnes ont été prises de longues minutes sans pouvoir se dégager et sans savoir exactement ce qui se passait, dans une sensation de fin de monde. Par la suite, un grand nombre de personnes ont été confinées jusqu’au petit matin, dans des boutiques, des halls d’immeubles, des restaurants. Ainsi, dans ce contexte, déterminer le nombre et surtout le périmètre de l’implication sur le plan clinique devient très difficile.
6 Tout concourt donc au développement de situations singulières pour lesquelles aucune réponse ne peut être la même.
7 Enfin, il est à souligner que de nombreux touristes se trouvaient sur les lieux. Dix-huit nationalités ont été recensées. Ce traumatisme collectif a donc largement dépassé nos frontières et sa portée psychologique va s’exprimer différemment selon les cultures de chaque pays. De façon très pragmatique, l’expérience de terrain a permis de souligner l’importance d’anticiper la présence d’interprètes au sein des équipes médicales afin de faciliter le travail des soignants dans l’urgence, et de formations des psychiatres à la clinique transculturelle.
8 Devant l’impérieuse nécessité de répondre à la détresse des familles avec enfants, c’est l’ensemble des acteurs de la pédopsychiatrie de secteur qui s’est mobilisé pour faire face aux effets du traumatisme. Cela a permis, dès le premier soir et jusqu’à l’arrivée des renforts nationaux des cump dans les jours suivants, d’organiser très rapidement le travail basé sur la remise en lien, en espace sécurisant pour les premières personnes accueillies.
9 Pour faire face à un important afflux de victimes, en France ont été créées les cump qui ont été développées par Louis Crocq sous l’impulsion du président Chirac après l’attentat du rer b à la station Saint-Michel en 1995 (Cremniter, 2016 ; Crocq, 2003). Largement diffusés et médiatisés, ces dispositifs sont une spécificité française ; en Grande-Bretagne, en Belgique, ce genre de catastrophe relève du champ psychosocial, de supports familiaux et communautaires, plutôt que d’une psychiatrie spécialisée. Ces dispositifs ont des objectifs généraux bien établis :
10 – apporter des premiers soins aux enfants et aux parents, une écoute et une contenance ;
11 – orienter les enfants vers des structures de soin si nécessaire ;
12 – informer.
13 À Nice, en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, l’afflux de personnes sollicitant des consultations a été très important. Jusqu’à cent cinquante personnes ont été accueillies le 17 juillet, et cinquante consultations en moyenne ont été réalisées quotidiennement de la nuit du 14 au 15 juillet au 28 juillet à la cump du chu-Lenval. Malgré ce nombre considérable de demandes, il fallait offrir à chacun la possibilité d’une première rencontre sécurisante avec un des acteurs de la cump.
14 La cump pédiatrique du chu-Lenval a eu la particularité de pouvoir offrir, grâce à l’implication des secteurs, un travail d’équipe pluridisciplinaire, socle du fonctionnement de l’accueil ambulatoire en pédopsychiatrie. Ainsi il était possible de proposer l’aide immédiate des assistantes sociales locales qui connaissent très bien le terrain et qui ont pu orienter très rapidement les personnes selon leurs besoins, mais aussi des psychologues, des orthophonistes, des infirmières puéricultrices travaillant en psychiatrie, entre autres professionnels qui sont venus en renfort. Cela nous a permis d’assurer un travail en binôme pluridisciplinaire dans la majorité des cas et dans la mesure du possible : un psychiatre d’enfant et d’adolescent avec un psychologue, ou une assistante sociale, ou une infirmière. Travail indispensable afin de pouvoir rapidement séparer l’enfant de ses parents lorsque l’un des deux semblait trop envahi par les intrusions traumatiques et/ou présentait des éléments d’angoisse majeurs et/ou une dissociation péri-traumatique.
15 Le travail en binôme dans une situation d’urgence aussi sollicitante du fait de l’importance de la charge émotionnelle est une nécessité afin de pouvoir s’appuyer sur un cothérapeute, puis prendre à au moins deux la décision ou non de rédiger pour la personne un certificat médical initial pouvant, selon la loi française, conduire à une indemnisation (Olliac, 2012).
16 De même, deux spécificités de l’organisation des soins dans l’urgence sont à souligner en ce qui concerne la cump pédopsychiatrique du chu-Lenval.
17 Nous avons pu bénéficier d’une vraie organisation logistique dans la continuité et tout le temps de l’ouverture de la cump pédopsychiatrique du 14 au 26 juillet 2016 avec la présence d’un cadre de santé du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du chu-Lenval, qui a consacré tout ce temps à l’organisation quotidienne du travail. Sa connaissance du terrain local a participé grandement à faciliter l’accueil des personnes en grande souffrance, et le travail des soignants venus d’autres régions. Mais, surtout, la cump a pu ainsi s’organiser dans des locaux dédiés pédiatriques au sein d’un hôpital pour enfants, ce qui a permis, non seulement de recevoir les enfants dans un cadre pédiatrique et de bénéficier de tout le savoir-faire d’équipe pédiatrique dans ce domaine, mais aussi dans des lieux de consultations qui ont permis de réellement préserver l’intimité et la confidentialité de chacun. Tout ce dispositif apportait dans l’urgence une sécurité, non seulement pour ceux qui demandent de l’aide, mais aussi pour ceux qui sont là pour la donner. Ainsi par exemple, l’accueil était réalisé par des secrétaires habituées à travailler dans notre discipline et à faire face à des situations de détresse psychiatriques, le cadre avait organisé une salle d’attente vaste, où se trouvaient des crayons de couleur, des feuilles à disposition des enfants, de la nourriture sucrée et des boissons comme des jus de fruits.
18 La majorité des praticiens des équipes locales de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Nice ont une formation classique psychodynamique et/ou de thérapie familiale. C’est donc avec ces bases théoriques que la plupart des consultants ont été reçus. L’objectif principal défini pour chaque consultation était d’aider la personne consultant à se reconnecter avec la réalité si nécessaire, surtout les adultes (parents et ou collatéraux de l’enfant), de ré-humaniser la relation dans la perspective d’une reprise du cours de leur vie ; et, bien sûr, de tenter de prévenir le développement de complications syndromiques et/ou symptomatiques. Très rapidement un relais avec les centres médico-psychologiques avec un lien téléphonique, lorsque cela était possible au vu de l’affluence des demandes, était réalisé pour les patients pour lesquels l’évaluation d’urgence conduisait à prendre la décision de la nécessité d’être réévalué dans les jours suivants.
19 Les entretiens étaient longs, environ une heure, commençant par le récit de la situation traumatique. Dans les trois premiers jours, pour les parents et les adultes isolés qui sont venus consulter, l’effet cathartique était très fréquent avec des pleurs, des cris, de la douleur, parfois une surexcitation.
20 Notre but était de proposer un contenant à l’intensité des émotions, avec une attention portée à la singularité clinique et historique de chaque personne que nous rencontrions. Une première tentative de mise en récit était proposée commençant à relier traumatisme d’aujourd’hui et traumatisme ancien.
21 Pour les enfants, notre trousse d’urgence était constituée de petits personnages et/ou animaux, un petit camion blanc était à disposition des enfants, des feutres et crayons de couleurs pouvaient être utilisés par ceux qui étaient en mesure d’une plus grande capacité d’accès à la symbolisation. Pour les tout-petits, des symptômes comme celui du jeu pathologique nécessitant la mise en place de nouvelles consultations pour suivre une éventuelle complication étaient ainsi rapidement repérés par les équipes (Romano et coll., 2006). Le jeu pathologique chez l’enfant tout petit se décrit comme un jeu répétitif, que l’enfant agit seul en reproduisant toujours le même scénario. Il inclut en son sein des éléments du traumatisme. Par exemple, dans le cas du 14 juillet, on a pu observer des enfants qui prenaient des petits personnages et un véhicule qui venait les faire tomber.
22 Il faut aussi souligner la nécessité de tisser, dès ces premières interventions, la possibilité d’une continuité des soins. Tant sur le plan logistique que clinique l’intervention médico-psychologique ne doit pas se limiter à une approche ponctuelle, elle doit s’articuler précocement avec les structures de soins médico-psychologiques existantes et/ou les consultations psycho-traumatisme, pour la prise en charge au long cours de ceux qui conserveraient des signes de souffrance psychique durables ou pour ceux qui nécessitaient un nouveau bilan dans les jours suivants. Mais, surtout, ce lien de continuité doit se tisser dans la relation dans l’urgence entre le consultant et la personne traumatisée, par l’ouverture à la possibilité de revenir vers nous. Cela pose la question clinique d’offrir éventuellement la possibilité pour la personne d’être à nouveau reçue par le même consultant. Aujourd’hui, les moyens alloués et l’organisation des cump n’ont pas encore pris en compte cette nécessité clinique.
23 Le cadre offert, sécure et préservant l’intimité, avec des personnels de secteur a favorisé, à Nice, le travail vers la continuité dès la première nuit suivant l’attaque. Il permet de lutter contre l’organisation de défenses parfois lourdes de conséquences pour les familles. Par exemple, dans les suites de l’attentat, plusieurs personnes ont mis en place des conduites d’évitement, croyant qu’en quittant au plus vite la ville où s’est déroulé le traumatisme, tout allait rentrer dans l’ordre La continuité thérapeutique instaurée dès les premières heures peut permettre de lutter contre ces défenses, entre autres.
24 Beaucoup reste à dire sur ce travail de la cump pédiatrique dans ce contexte et à propos de notre expérience, mais il faut tordre le cou à au moins deux idées reçues.
25 La première concerne les tout jeunes enfants et leur capacité de résilience. Nous avons reçu et continuons à recevoir à Nice des tout-petits, dont les effets sur le développement (hypervigilance et/ou retrait parfois) nous montrent l’impact du traumatisme des parents au quotidien sur leur psychisme immature. Ce sont des populations qui demandent l’intervention de spécialistes et un suivi régulier. Ainsi nous avons pu, depuis le début du mois de janvier, organiser un groupe de bébés et de mères centré sur une approche sensorielle (musicothérapie, psychomotricité) et où nous recevons quatre bébés et leurs mères de façon hebdomadaire. Aujourd’hui, nous ne possédons pas le recul nécessaire pour communiquer sur cette expérience thérapeutique pilote.
26 La deuxième concerne les délais et la forme d’expression des troubles. En effet, nous continuons à observer des déclenchements chez l’enfant tant de troubles anxieux que d’autres expressions cliniques au-delà de six mois après l’évènement traumatique. Classiquement, le dsm souligne un temps de latence d’environ six mois. Notre expérience semble montrer que cela va malheureusement bien au-delà. Cependant, il est difficile de faire la part des choses avec les difficultés – pour la partie de la population la plus précaire de la ville – d’accéder aux soins, ce qui pourrait aussi expliquer ce constat.
27 Il faut également tenir compte de rechutes chez les patients psychiatriques, comme cette jeune Niçoise de 18 ans, de confession juive, présente non loin de l’attaque dans la ville le soir du 14 juillet et que je reçois pour une rechute anorexique, saisie par la peur que « Daesh » se rende chez elle pour décimer toute sa famille.
28 Pour conclure ce chapitre, cette expérience d’une cump spécifiquement pédiatrique, puis de la continuité de la prise en charge montre la possibilité d’offrir à la population générale ce genre de dispositif en cas d’attaque massive qui implique un large nombre d’enfants. La présence de personnels formés à la spécificité de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est une chance pour les enfants qui se trouvent dans cette situation. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, comme le « corner kids » qui a été mis en place lors des attentats du 11 septembre à New York [1], les équipes du chu-Lenval de Nice ont pu proposer une cump en milieu spécifiquement pédiatrique, ce qui a fourni d’emblée aux enfants un cadre sécurisant.
29 À ce jour, il est maintenant doublement nécessaire d’évaluer pour les populations pédiatriques les conséquences à long terme d’un événement de masse d’une telle ampleur en formant une cohorte de suivis longitudinaux ainsi que l’adéquation des soins à la demande. D’autre part, il faut proposer des techniques de soins innovantes et en réseau avec les partenaires de l’enfance afin d’approcher l’enfant traumatisé en situation écologique (c’est à dire dans son environnement habituel) et soutenir et former nos partenaires (comme l’Éducation nationale) pour faire face à ces difficultés.
L’expérience d’un cump pédopsychiatrique in situ lors de l’attaque du Lycée Tocqueville à Grasse le 16 mars 2017
30 L’attaque du lycée de Grasse quelques mois seulement après l’attentat de Nice a plongé à nouveau la région dans l’effroi et la peur de la récidive. Quelles qu’aient pu être la forme et la cause de l’attaque.
31 Très peu de temps après les premiers coups de feu, notre équipe, déjà éprouvée, a été appelée pour faire face à ce nouveau drame.
32 Cette fois, la cump s’est installée dans le gymnase où l’ensemble des adolescents du lycée avait été confiné. Le travail s’effectuait donc ce grand espace insécure, les adolescents se trouvaient au milieu de la protection civile, de la police, des membres du raid encagoulés, des politiques de tout bord locaux et de l’État, des personnels de l’Éducation nationale et du rectorat, ainsi que de la préfecture.
33 La plupart des adolescents se réunissaient par groupes de cinq à dix, dans lesquels il y avait toujours au moins l’un d’entre eux qui manifestait des symptômes d’angoisse importants dans la plupart des cas avec des expressions corporelles. Le groupe de pairs forme un premier traitement et constitue un « pare-feu » au risque de désorganisation anxieuse pour le plus fragile d’entre eux. Rapidement, celui repéré aisément comme le plus en difficulté était vu individuellement, pendant qu’un deuxième pédopsychiatre proposait un groupe de parole aux autres adolescents. D’autres tentaient de se réfugier dans les toilettes pour trouver un peu d’intimité dans leur détresse. Des effets de contamination ont été immédiatement observés, avec des adolescentes présentant des symptômes anxieux corporels, certaines jusqu’à des formes de conversion avec des paralysies des membres supérieurs.
34 Le travail du « psy » était très attendu, peut-être après la médiatisation importante du travail effectué le 14 juillet. Notre arrivée fut alors ressentie tant par les adultes présents que par les adolescents comme déjà un effet de soulagement.
35 Le travail se déroulait dans des conditions de fortune, assis par terre, dérangé par l’arrivée des politiques, des représentants de l’autorité. Il ne pouvait alors s’effectuer, ni par binôme, car nous n’étions pas suffisamment nombreux, ni dans des conditions d’intimité suffisamment satisfaisantes pour pouvoir recueillir l’angoisse et les témoignages de l’effroi. Il consistait principalement à contenir dans la mesure du possible le risque de débordement de l’angoisse de l’ensemble de ces populations présentes et de repérer les adolescents qui pouvaient développer des signes de dissociation.
36 Donner des consignes simples aux personnels présents, qui semblaient s’être perdus tant l’inquiétude était désorganisante même pour les adultes présents : donner de l’eau aux adolescents, de la nourriture, leur permettre dès que possible de rentrer chez eux pour prendre des nouvelles de leurs familles, la majorité d’entre eux étaient privés de leur téléphone portable pour les besoins de l’enquête préliminaire.
37 Une lycéenne de seconde d’origine tunisienne, était ainsi terrorisée à l’idée que son frère ait pu être une des victimes, car elle ne pouvait pas entrer en contact avec lui. Comme dans les suites immédiates de Nice, les rumeurs les plus folles pouvaient rapidement s’amplifier, le tueur pouvait revenir, c’était le début de la troisième guerre mondiale, etc.
38 Un autre, souffrant de tdah, connu mais non traité, ne pouvait s’arrêter de courir et de se désarticuler corporellement de façon impressionnante autour des tapis de sol du gymnase. Le travail de contenance consistait alors à s’asseoir près de lui dans la mesure du possible, le suivant dans sa désorganisation comportementale pour lui permettre d’accéder au langage.
39 Le psychiatre, alors dans ces conditions, par sa capacité interne à réguler ses propres émotions, recouvre de pare-excitation ces débordements qui amplifient l’angoisse. Il les recouvre tant par sa capacité de soutien psychique que par sa capacité à utiliser aussi sa contenance corporelle, tenir la main, une tête, allonger des enfants qui ont l’impression de ne plus arriver à respirer.
40 Dans ces circonstances, la mise en place de la continuité est délicate. Donner une feuille ou une carte de visite se limite à laisser une trace que seuls très peu de jeunes pourront s’approprier, l’absence de temps, de cadre sécure, et donc de réelle contenance psychique de l’angoisse, ne permettant qu’un travail de survie psychique.
Pour conclure
41 À si peu de distance des événements, il est encore très difficile de pouvoir approcher de conclusions fiables, mais l’expérience de la cump lors de l’attaque de Tocqueville conforte l’intérêt de l’expérience de la cump pédiatrique de Nice après l’attentat du 14 juillet. Ceci interroge sur la nécessité de l’implication des secteurs de pédopsychiatrie et de l’ambulatoire dans les situations d’urgence de ce type et sur la mise en place de consultations post-attentat au-delà de la première urgence.
42 Dans un monde idéal, des formations devraient se mettre en place pour les personnels pluridisciplinaires des secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sur l’ensemble du territoire. Elles auraient pour mission de favoriser l’organisation de plans blancs pédopsychiatrique au sein des hôpitaux ; qui pourraient ensuite organiser et accueillir des personnels cump zonaux ou territoriaux pendant un temps suffisamment long pour permettre aux enfants et à leur famille de se saisir de cette offre de soin. Le relais de ces cump pourrait être pris ensuite par des consultations psycho-traumatiques pédiatriques. Tout cela demande une vraie volonté et un engagement tant de la part des professionnels que des pouvoirs publics.
Bibliographie
Bibliographie
- Askenazy, F. 2017. « Nice le 14.07.16, la pédopsychiatrie au service des enfants » Revue de Neuropsychologie », vol° 9 (1), p. 61-65.
- Cremniter, D. 2016. « Cellule d’urgence médico-psychologique » (cump), Journal Européen des Urgences et de Réanimation, vol. 28 (2), p. 91-93.
- Crocq, L. 2003. « Clinique de la névrose traumatique », Le journal des psychologues, n° 211, p. 53-58.
- Haas, H. ; Fernandez, a. Breaud, J. et coll. 2017. « Terrorist attack in Nice. The central role of a children’s hospital », The Lancet, vol. 389, n° 10073, p. 1007.
- Olliac, B. 2012. « Spécificités du psychotraumatisme chez l’enfant et l’adolescent », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n° 60, (5) p. 307-314.
- Romano, H. et coll. 2008 «Le jeu chez l’enfant victime d’événements traumatiques », Annales Médico-psychologiques, n° 166 (9), p. 702-710.
Notes
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[1]
Cf. dans ce même numéro l’article de Geneviève Welsh, « Bourreaux d’enfants ».