1Malgré les définitions et classifications, la description des perturbations des habiletés motrices et gestuelles ne fait pas consensus. Ainsi on parle de maladresses, de difficultés d’intégration sensorielle, de retards et troubles de l’apprentissage moteur ou des apprentissages non-verbaux, de décalages perceptivomoteurs, de déficits mineurs de la coordination motrice d’origine développementale, etc. On différencie également des types de dyspraxies. Dans les dyspraxies constructives visuospatiales, aussi appelées visuomotrices, c’est la mise en relation entre les informations visuelles externes et le geste à fournir pour reproduire un modèle visuel dans un espace cadré qui pose problème. Certaines dyspraxies sont liées à des troubles idéomoteurs purs, c’est alors le projet moteur qui est défaillant. Dans les formes mixtes des troubles spécifiques de la coordination motrice sont associés aux deux caractéristiques précédentes (Vaivre-Douret, Lalanne, Cabrol et coll., 2011). Ces trois types de dyspraxies sont des troubles psychomoteurs (Potel, Saint-Cast, Vacher, 2013).
2Le trouble psychomoteur est une perturbation de l’équilibre psychocorporel. Par définition et spécifiquement, il ne répond pas à une atteinte neurologique unique et il exprime une souffrance psychique par la voie corporelle. Il ne peut être compris que dans le contexte psychosocial. Toutes les fonctions psychomotrices peuvent en être affectées. Souvent les perturbations touchent plusieurs fonctions psychomotrices. On peut alors parler de comorbidité ou de syndrome associant plusieurs types et niveaux de perturbations (Jover, 2012). Les troubles psychomoteurs ne sont pas des organisations nosographiques stables et closes. Leur expression, leur forme et leur intensité peuvent évoluer en fonction :
- de l’âge chez un même enfant, parce que l’organisation des fonctions psychomotrices et leurs liens entre elles se complexifient au fil de la maturation et que les comportements psychomoteurs sont de plus en plus diversifiés ;
- des circonstances au même âge, parce que l’expression volontaire ou involontaire des émotions, par le canal tonico-émotionnel et des communications non verbales, participe à la genèse et/ou se surajoute à la défaillance ;
- des cadres de l’action, parce que des compensations transitoires et dépendantes des circonstances immédiates peuvent masquer des troubles des apprentissages non résolus. Leur première description fut proposée par de Ajuriaguerra et Soubiran (1960) :
- 1° Les syndromes psychomoteurs ne répondent pas à une lésion en foyer donnant des syndromes neurologiques classiques ;
- 2° Ils sont plus ou moins automatiques, plus ou moins motivés, plus ou moins subis, plus ou moins voulus ;
- 3° Liés aux affects, mais attachés au soma par leur fluence à travers la voie finale commune, ils ne présentent pas pour cela uniquement des caractéristiques de dérèglement d’un système défini ;
- 4° Persistants ou labiles dans leur forme, mais variables dans leurs expressions, ils restent, chez un même sujet, intimement liés aux afférences et aux situations ;
- 5° Ils ont souvent un caractère expressionnel caricatural et gardent des caractères primitifs, quoique modifiés par l’évolution ultérieure, qui les rapprochent de phases primitives de contact ou de répulsions, de passivité ou d’agression. Parfois ils n’ont même plus la forme du mouvement primaire mais seulement la valeur de symbole (Ajuriaguerra, Soubiran, 1960, p. 424).
3Cette description fut complétée par Albaret (2001) : les troubles psychomoteurs sont des troubles neuro-développementaux qui affectent l’adaptation du sujet dans sa dimension perceptivo-motrice. Leurs étiologies sont plurifactorielles et transactionnelles associant des facteurs génétiques, neurobiologiques et psychosociaux qui agissent à différents niveaux de complémentarité et d’expression. Ils sont souvent situationnels et discrets, entravant en priorité les mécanismes d’adaptation, constituant une source de désagrément et de souffrance pour le porteur et le milieu social. La psychomotricité tente de saisir l’enfant dans sa globalité, en lien avec sa maturation progressive. Elle propose pour cela une vision intégrative qui permet de considérer le lien entre l’activité physique, les émotions et la représentation mentale au sein du contexte psychologique et social, de la vie quotidienne et de ses aléas. Les apprentissages sont ainsi décrits comme à la fois rendus possibles et traversés par ces différentes dimensions, sans qu’aucune ne soit moins importante. C’est par l’activité et l’expérience de son corps que l’enfant développe les capacités, puis éventuellement les compétences, qui lui permettent de se connaître, de connaître son monde, d’y agir et de s’y adapter (Soppelsa, Albaret, 2011). Les médiations corporelles mises à la disposition de l’enfant lors des séances visent à engager ce mouvement développemental. Cette manière de décrire l’enfant qui grandit et apprend propose une compréhension de son organisation fonctionnelle et donc de ses dispositions pour apprendre.
Le dialogue tonico-émotionnel, le développement et l’expression des fonctions psychomotrices
4Pour appréhender ces troubles nous pouvons les replacer dans le contexte plus global du développement psychocorporel de l’enfant.
5À la naissance, le bébé présente, entre autres caractéristiques, sa néoténie, sa dépendance à l’égard de son entourage et son implication affective et émotionnelle. C’est sous le double effet de la maturation physiologique et des échanges au travers du corps avec son environnement, qu’il devient capable d’agir volontairement et de se construire. Les émotions sont fondamentales dans ce processus car elles font le lien entre le bébé et l’adulte. C’est ici une articulation importante pour la psychomotricité car les émotions sont également toujours ressenties et exprimées en étant accompagnées d’une modification musculaire. « […] la diversité des émotions est liée à l’hyper ou à l’hypotension du tonus, à son libre écoulement en gestes et en action ou à son accumulation sans issue et à son utilisation sur place dans des spasmes » (Ajuriaguerra, 1970, p. 596).
6L’immaturité entraîne une hypotonie de l’axe du corps et une hypertonie des membres. Le processus de maturation va permettre peu à peu d’équilibrer les synergies musculaires et ainsi de rendre volontaires les déplacements du corps et de ses différentes parties. Ce processus se déroule alors que les adultes communiquent avec le bébé par le dialogue tonico-émotionnel, et c’est par l’alternance entre l’hypertonie d’appel et l’hypotonie de confiance que le bébé répond, s’accorde dans ces jeux en spirales interactives et intègre les bases d’un sentiment suffisant ou non de sécurité personnelle. Les informations, gratifiantes ou non, sont ainsi collectées et leur intégration centrale permet la maturation des zones et circuits de traitement cognitif.
7L’enfant communique donc très tôt par des comportements alternés d’imitation immédiate/imitation différée, rapprochement/éloignement, attente/ réponse, etc. entraînant des modifications de son état musculaire (spasmes, contractions, décharges cloniques et relâchements). L’adulte va y répondre, l’apaiser, le stimuler ou l’exciter (Robert-Ouvray, Duvernay, 2016). La récurrence des interactions, les éprouvés émotionnels impriment ainsi sur le corps une certaine qualité musculaire : la « charpente tonique » de l’enfant. Le tonus est l’état de tension permanent fondamental des muscles striés. Ainsi l’adaptation motrice et l’adresse sont largement dépendantes de la régulation tonique (Albaret, 2001). Si l’enfant est soumis à des informations et des contenus affectifs qui ne lui correspondent pas, qui l’inquiètent ou le submergent, il s’en protégera en se contractant ou en se relâchant à l’extrême.
8Dans la rencontre avec l’environnement, sous l’influence des réponses des adultes, la maturation neuro-motrice permet des actions de plus en plus diversifiées, différenciées et volontaires. La charpente musculaire se renforce et s’équilibre jusqu’à permettre la station debout et les actions coordonnées puis dissociées, les praxies. Le dialogue tonico-émotionnel accompagne ensuite les échanges verbaux. Dans ces rencontres corps à corps, les autorégulations du bébé et les actions plus ou moins automatiques ou intentionnelles de l’adulte s’accordent en spirales interactives, en ajustements de posture, en contacts plus ou moins intenses, en rapprochements et éloignements, rythmés, cadencés, plus ou moins adéquats, prévisibles, satisfaisants, apaisants, stimulants, bénéfiques. Si son entourage lui est adapté, si l’environnement est à la fois assez riche, diversifié et sécurisant, s’il est en bonne santé et ne souffre pas physiquement, l’enfant s’y déploiera en tirant profit affectif et cognitif de ses actions. Les divers contacts, notamment corporels, deviennent des expériences sources de stimulations, mémorisées et intégrées dans leurs différentes modalités. Chaque jour, dans les soins qu’il reçoit et où il devient de plus en plus acteur ou proactif, le bébé intériorise des informations et éprouve des sentiments. Ces deux faces de l’expérience corporelle fondent, dans l’échange avec les autres, son équilibre émotionnel et sa capacité à penser et à agir. Si, à l’un des niveaux physique, matériel ou émotionnel, il se trouve confronté à des événements discordants, des carences ou des dystimulations ; s’il est empêché de ressentir, percevoir, agir ou s’exprimer par l’extérieur ou par un handicap ; s’il ne peut pas répéter et refaire à sa guise ou diversifier ses réalisations, toutes ou certaines facettes de son développement psychomoteur s’en trouveront entravées. La régulation des émotions étant particulièrement sensible et délicate, si l’enfant n’est pas satisfait et apaisé dans ce registre, parce que les émotions façonnent le tonus musculaire, et que du tonus musculaire dépendent la liberté d’action et toutes les réalisations physiques, cet équilibre psychocorporel sera menacé.
9Le corps n’est pas un entre-deux passif mais une interface active entre le sujet et son monde. Dans le vécu du corps touchant-touché, dans la perception cénesthésique à la fois segmentaire et globale, se construit, en un continuel remaniement expériencié, la représentation que se fait le sujet de lui-même (Dastur, 1993 ; Merleau-Ponty, 1945, 1967). L’activité corporelle est au centre de l’acquisition des notions de quantité, mouvement, conservation, similitude, espace, temps, grâce à l’expérience pratique, répétée et modifiée, aux imitations et à la communication avec les autres. L’activité impulsive et réflexe du nouveau-né s’organise progressivement. Il passe d’un fonctionnement sensori-moteur en îlots à des coordinations d’actions oro-chirales, visuo-manuelles et auditivo-manuelles. Dans la rencontre avec l’environnement, l’action se diversifie au fur et à mesure que la maturation neuro-motrice et sensorielle permet d’agir de manière plus différenciée et volontaire. La motricité se complexifie par articulations successives de patterns de développement. Les combinaisons d’actions et de déplacements sont plus contrôlées et précises.
10Cette conception du développement n’est pas incompatible avec le cadre de référence socioconstructiviste de Vygotsky (1931), notamment dans la rupture de ce dernier avec les théories basées sur le conditionnement (Siksou, 2008). La maturation physique et les mécanismes sensoriels sont entremêlés avec les processus culturellement déterminés pour produire les fonctions psychologiques. Selon cette approche, les fonctions supérieures sont conçues comme des transformations intériorisées de modèles issus de l’interaction sociale. La conscience est une fonction complexe qui reflète la réalité et trouve son origine dans les activités de transformation de la matière. Ainsi la pensée n’est pas déterminée structurellement mais fonctionnellement, donc par la forme du monde externe, et cette détermination est de nature sociale. Pour autant, si le sujet n’est pas un esprit préexistant, il n’est pas non plus un reflet passif de son milieu mais le fruit de sa relation au milieu. Les fonctions supérieures ne sont pas un prérequis à la communication mais le résultat de celle-ci. Avec l’introduction du concept d’activité, il dépasse le mécanicisme au profit de la systémique. « Dans le développement culturel de l’enfant, toute fonction apparaît deux fois : dans un premier temps au niveau social et dans un deuxième temps au niveau individuel ; dans un premier temps entre personnes (interpsychologie) et dans un deuxième temps à l’intérieur de l’enfant lui-même (intrapsychologie). […] Lorsque l’enfant peut établir la relation entre sa tentative et la réaction de sa mère, une nouvelle fonction se développe ; la simplification physique de l’acte établit la base de son intériorisation » (Vygotsky, 1978, p. 55).
11Dans la continuité de ces travaux, pour Luria (1979) les systèmes fonctionnels sont des organisations de complexité croissante dont les propriétés ne se trouvent pas dans les systèmes plus simples qui les composent. En clinique on ne peut donc pas localiser les unités fonctionnelles à une partie limitée du cerveau ou du système nerveux, mais plutôt tenter de comprendre comment un système fonctionnel est distribué sur différentes zones, ainsi que le rôle que chacune y joue. Les fonctions dépendent de la coopération d’un ensemble de systèmes. Chaque organisation fonctionnelle partielle ou intermédiaire préserve une certaine stabilité, pour que chaque étape se déroule et pour mettre ainsi en œuvre les enchaînements qui aboutissent au comportement et donc parvenir au résultat souhaité, par feed-back et feed-forward. Il s’agit d’une définition de la fonction comme système d’éléments variables, aux assemblages complexes et doté d’une autorégulation dynamique. Pour les fonctions psychomotrices, leur dynamique est tonico-émotionnelle.
Les fonctions psychomotrices
12Les fonctions psychomotrices dépendent de niveaux et d’organisations différents : elles sont intermodales et façonnées par les émotions. Elles sont liées par l’expérience corporelle. C’est la notion d’équilibre psychomoteur qui se construit progressivement par la maturation sous l’effet des stimulations, qui sont perçues, ressenties, liées à l’intentionnalité, à l’engagement dans l’action et qui produisent la représentation qui fonde l’expérience. Il en est ainsi de la régulation tonique, de la dominance latérale, des conduites motrices et gestuelles, des praxies, de la perception, mémorisation, organisation et adaptation rythmiques et temporelles et dans l’espace, de la représentation du corps. Ces sphères psychomotrices, bien que différenciées, sont en interrelations et en jeu lors des apprentissages comme le résume ce schéma récapitulatif du profil psychomoteur (Matta-Abizeid, 2006, p. 109) :
13Les troubles psychomoteurs expriment ainsi une double perturbation de la relation entretenue par le sujet avec son environnement : tonicoémotionnelle et fonctionnelle, dans des formes et des associations souvent personnelles (Boscaini, 2005). Leurs conséquences peuvent comprendre des troubles des apprentissages, de l’adaptation et de la régulation, comme c’est le cas dans la dyspraxie.
Décrire la dynamique de la dyspraxie
14Après cette mise en contexte, revenons à la dyspraxie qui, parmi les troubles psychomoteurs, est un trouble de la réalisation du geste, parfois de sa programmation. Elle est également constituée par le trouble d’autres fonctions psychomotrices. L’enfant dyspraxique présente un fond tonico-émotionnel instable avec par exemple la présence de syncinésies, de paratonies, d’une hypotonie axiale, etc., qui perturbe sa posture et son expression (Vaivre-Douret, 2006). Sa dominance latérale est souvent mal affirmée. Il utilise sa main droite ou sa main gauche, ce qui freine l’intégration praxique par répétition et lui demande un effort d’autocontrôle supplémentaire. Son attention recrutée trop intensément peut alors céder brusquement. Ces hésitations peuvent aussi parfois brouiller la différenciation droite et gauche. La mauvaise intégration des informations sensorielles reçues entraîne une perception erronée du corps. Ainsi la somatognosie est incomplète, les gnosies digitales sont altérées et les mouvements sont mal distribués dans l’espace (Albaret, 1995 ; Breton, Léger, 2007). Le rythme vécu est souvent désorganisé, l’enfant ne sait pas manier correctement l’ordre et la durée des événements. C’est tout cet ensemble, constitué du vécu tonico-émotionnel, qui va générer aussi la difficulté pour apprendre à écrire : la dysgraphie (Sage, Zesiger & Garitte, 2009).
Arthur
15Une situation clinique permet d’illustrer ce propos.
16Arthur a 5 ans et 5 mois lorsque nous nous rencontrons. Ce fils unique grandit avec ses deux parents. Ils ont tous les deux une activité professionnelle stable et sont très investis dans l’éducation de leur fils. Face à la nouveauté de leur expérience de parents, ils se disent parfois démunis, préoccupés et motivés pour répondre à ses besoins.
17Les différentes étapes du développement psychomoteur se sont déroulées habituellement en regard des normes qualitatives et échelles de développement. Les premières difficultés sont repérées par sa maîtresse, dès le début de sa scolarisation.
18En petite section de maternelle il présente des difficultés de motricité fine et de graphisme. Se sentant en échec, il refuse pendant plusieurs mois de dessiner, de laisser une trace. Cette réticence à s’exprimer a motivé une première prise en charge en psychomotricité, pendant sept mois, à la suite de laquelle Arthur a peu à peu investi le plaisir de tracer. La maîtresse trouve néanmoins qu’il manque encore de force et d’agilité dans les activités graphiques. C’est donc sur ses conseils confirmés par la prescription du pédiatre qu’Arthur et ses parents consultent à nouveau une psychomotricienne, en même temps qu’ils réalisent un bilan neuropsychologique.
19Arthur est décrit par ses parents comme un petit garçon expressif et sociable mais qui s’oppose souvent et parfois réagit comme un enfant plus jeune. Au travers de ces descriptions et de sa demande d’aide, sa maman apparaît très inquiète. Maladroit, Arthur manque d’autonomie pour s’habiller par exemple, demande souvent l’aide de l’adulte. Dans les activités corporelles larges, il est prudent mais aime aller au judo.
20De son point de vue, Arthur est conscient de ses difficultés et exprime bien sa demande d’aide.
21Le bilan psychomoteur (Soubiran, Coste, 1975) nous révèle ce profil.
22Sa belle morphologie plutôt fine est bien équilibrée. L’attache du pouce à la main est encore profonde. Ses mains sont pouponnes. La constitution musculaire de fond est hypotonique mais la laxité ligamentaire n’est pas homogène. Le fond de réactivité tonicoémotionnelle est donc plutôt instable avec beaucoup de réactions de prestance.
23Les conduites motrices de base (marche, course et sauts) sont bien déroulées mais il a tendance à se laisser emporter par ses élans. Il tombe donc, se lance au sol. C’est aussi parce qu’il engage trop de force qu’il se fatigue dans les sauts et que son équilibre n’est pas toujours stable. Réaliser une action précise lui est également difficile. Il ajuste bien sa posture pour lancer et viser mais il peine à coordonner ses mains pour rattraper le ballon.
24Les rotations des mains (marionnettes) sont un peu lentes et heurtées, les coudes sont fixes mais les mains sont trop ouvertes. À l’accélération, il se crispe et a alors mal aux bras. Il saisit bien du bout des doigts, guide sa main du regard mais l’orientation manuelle n’est pas toujours appropriée au geste réalisé. Ainsi les mouvements fins sont lents et manquent de précision. Se sentant en difficulté, il se disperse, on observe alors de nouveau des réactions de prestance.
25L’ambivalence de la dominance latérale et le fait qu’il ait tendance à changer de main directrice en cours de réalisation de certaines tâches brouillent les praxies. Ce type d’hésitation n’est cependant pas rare à son âge.
26Son rythme spontané n’est pas encore stabilisé, ce qui renforce l’impression de labilité tonico-émotionnelle. Il n’identifie pas encore les cadences mais suit facilement les plus lentes en frappant dans ses mains comme en se déplaçant. Par contre, accélérer lui est plus difficile car il se laisse alors emporter par son élan. Il ne fait pas encore le lien entre son anniversaire et son âge.
27Son occupation spontanée de l’espace est liée à ses élans. Il devrait bientôt pouvoir projeter sa taille pour évaluer son espace de préhension et d’action. Les repères spatiaux de base sont intégrés. Il situe bien droite et gauche sur lui mais ne se représente pas la réversibilité (retournement sur autrui).
28La connaissance des différentes parties du corps pourrait être plus détaillée. Il montre plus facilement les différentes parties du corps qu’il ne les dénomme. Pour la reconstitution du puzzle corporel de face (Meljac, Fauconnier, Scalabrini, 2010), les résultats au test sont inférieurs à la moyenne des enfants de son âge. Il reconnaît bien les différentes parties du corps mais pas leurs positions respectives. Pour imiter les gestes simples et larges (Bergès, Lezine, 1978), son axe du corps manque de fixité et il se retrouve en difficulté. Il ne combine pas très bien les différents plans de l’espace (diagonale et profondeur). Il peut reproduire certains gestes complexes fins en pièce à pièce et avec contrôle visuel. La représentation du corps dans le dessin est habituelle pour son âge. Le petit personnage occupe néanmoins peu de place dans la feuille, ce qui peut évoquer un manque d’assurance de l’image du corps en cours d’élaboration.
29Il s’installe bien pour les activités graphiques, mais rester dans cette position est un peu difficile pour lui ; après quelques minutes il peut se retrouver dans une position inconfortable (assis sur le bord de la chaise par exemple). Sa manière de tenir le crayon (prise à quatre doigts, trop près de la mine) ne favorise pas le glissé de la main sur la feuille. La main de soutien est stable. Il investit bien le dessin et fait preuve de beaucoup d’imagination. Il se sent en difficulté pour copier les figures géométriques et a besoin d’être rassuré (Wallon, Mesmin, 1960). Il s’applique, copie bien les formes simples mais néglige les intrications et certains éléments secondaires. Les résultats au test confirment les difficultés visuopraxiques mises en évidence lors des imitations de gestes. Pour la copie des préscripturaux (composantes des lettres), il s’y reprend à plusieurs fois pour progresser le long de la ligne. La translation du bras sur la feuille n’est pas encore fluide. Le sens de la graphie apparaît cependant intégré et les boucles simples vers le haut comme le bas sont bien automatisées, ce qui confirme ses dispositions pour apprendre. Lorsque les tracés deviennent plus complexes (doubles boucles), il a tendance à se crisper et ne parvient pas à reproduire le modèle. Il écrit son prénom et le mot « maman » en larges capitales d’imprimerie, de mémoire. Lorsqu’on lui donne le modèle, il recopie les mots également en capitales d’imprimerie. Écrire semble lui demander un effort particulier, il se concentre et tire la langue.
30Arthur apparaît ainsi comme un enfant sensible qui sait bien communiquer et s’exprimer. Peu confiant, il pose de nombreuses questions lorsqu’il se sent fatigué ou en difficulté, ce qui témoigne à la fois de sa vivacité et de son anxiété dans cette situation nouvelle. Parfois il est également un peu opposant et intolérant à la frustration mais cela s’apaise peu à peu. Peu persévérant face à la difficulté, il a besoin d’être rassuré pour se remobiliser.
31Les situations proposées en psychomotricité favoriseront la régulation tonico-émotionnelle pour qu’il déploie et contrôle mieux ses compétences d’action larges et fines. Elles permettront aussi l’entraînement des capacités visuopraxiques. L’intégration du corps comme repère sécurisant dans l’espace et le temps sera favorisée. Enfin la graphomotricité soutiendra de plus la préparation de l’apprentissage de l’écriture.
32Arthur aime construire des parcours d’activités corporelles larges. Les premières séances, il sort beaucoup de matériel, sans réussir à s’organiser dans une succession. Il prend ensuite plus de temps pour choisir les objets et, guidé, il investit de manière plus adaptée l’espace de la salle, commence à s’organiser et à y projeter la taille de son corps. Arthur est imaginatif, ce cadre lui permet donc de s’exprimer et d’investir son corps pour le vivre comme compétent.
33D’une séance à l’autre son état tonico-émotionnel est variable mais, dès le début, il investit les temps de relaxation. Plusieurs séances seront nécessaires pour qu’il s’y installe avec de moins en moins de réactions de prestance et de paratonies. Il a d’abord découvert les différents états de contraction/décontraction, pris conscience de son propre état tonique et commencé à le réguler. Certaines séances, il a même réussi à se relâcher complètement. Il apprécie ces moments de calme où il se sent bien. Cela l’aide à aborder le reste de la séance plus sereinement : activités manuelles ou de graphomotricité notamment. En effet ses réactions de prestances amplifient ses maladresses. Le dégagement du symptôme tonico-émotionnel ouvre un espace de découverte et d’expériences gestuelles. La détente du fond musculaire facilite aussi l’automatisation praxique. Arthur choisit souvent les perles ou un jeu où il doit saisir des petits objets avec une pince à linge. Il agit avec l’une ou l’autre de ses mains de manière aléatoire, l’accompagnement corporel et verbal lui permet alors de mieux s’organiser. Par exemple il est incité à prendre conscience des informations sensorielles internes (proprioceptives) et externes (tactiles principalement) afin d’améliorer leur mise en relation. La relation tonico-émotionnelle engagée lui propose un étayage sécurisant, un cadre ouvrant à de nouvelles expériences où l’erreur n’est pas un échec déstabilisant.
34Il progresse à son rythme : il gagne un peu en rapidité et laisse moins souvent échapper les petits objets. Les coloriages et dessins libres permettent d’aborder la graphomotricité par des activités qu’Arthur investit déjà avec plaisir. C’est sa manière de s’installer qui s’améliore le plus rapidement : il prend conscience de ses progrès et aime montrer qu’il peut s’asseoir seul. Confortablement installé, il se fatigue moins car son axe est plus stable. Quand on le lui rappelle, il change sa manière de tenir le crayon. Les préscripturaux sont abordés en jouant, toujours en s’appuyant sur son imagination.
35Ces expériences perceptivo-motrices semblent participer à son évolution. Il accepte plus facilement d’être aidé, paraît plus confiant et se laisse moins envahir par ses émotions. Sa maman abandonne la poussette. Sur la base d’expériences corporelles, tonico-émotionnelles, qui favorisent son développement fonctionnel et ses apprentissages, Arthur commence à gagner en autonomie, ce dont il est fier.
Conclusion
36Devant les très nombreux aspects personnels, environnementaux, psychologiques, sociologiques, médicaux et cognitifs qui concourent à la réussite scolaire d’un enfant, la psychomotricité se positionne en complément des autres approches et propositions pédagogiques et d’interventions, de thérapies, de remédiations. Par cette dynamique, on tente d’aborder certains processus d’apprentissage et leurs perturbations à partir d’une approche à la fois globale et nuancée, fondée sur la prise en considération des liens entre l’activité corporelle, les ressentis et expressions émotionnelles et les fonctions cognitives ; en se référant au dialogue tonico-émotionnel, creuset relationnel où se fondent les liens entre le fonctionnement neuromoteur et les éprouvés affectifs et émotionnels, et d’où émergent les fonctions psychomotrices qui permettent progressivement au sujet de contrôler sa gestualité, de se représenter son corps, de se situer dans l’espace et le temps.
37Le développement d’un enfant est un processus complexe, soumis à de nombreux aléas. C’est une réalité multiforme, mouvante. Aucun corpus théorique ne nous permet de le saisir totalement. Il est fait d’élans, de croissance, de confrontations, de frustrations, de sentiments, d’expériences, de mentalisation, etc. Nous ne sommes jamais trop dans l’équipe éducative et médicosociale pour tenter de le comprendre. L’enjeu nous dépasse. Proposer de considérer les émotions comme ce qui ferait la continuité entre le biologique et le psychologique, via le corps agi, perçu, représenté, orienté, participe à ce projet. Restent à préciser les articulations entre compétences et dispositions scolaires et à affiner la description des temporalités développementales. Car si on pressent bien que la dysharmonie est cousine de la pathologie, les dimensions de continuité et discontinuité dans le développement, d’homogénéité ou non à l’intérieur des stades nous promettent encore des réflexions et des débats.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : graphomotricité, dyspraxie, bilan psychomoteur, dysgraphie, relaxation psychomotrice, fonctions psychomotrices
Mise en ligne 24/11/2016
https://doi.org/10.3917/ep.071.0066