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Article de revue

Nouveau-né et animal de compagnie : chacun a sa place

Pages 76 à 83

1Les animaux de compagnie font désormais partie intégrante de la société occidentale : aujourd’hui, plus d’un foyer français sur deux en possède un, et ce généralement dans une grande promiscuité. La France est ainsi au premier rang européen pour la possession des animaux de compagnie : elle n’en compte pas moins de 65 millions.

2Certains considèrent l’animal de compagnie, notamment le chien et le chat, davantage comme un membre de la famille, un ami, voire un enfant. La tendance est à l’anthropomorphisme : on prête à ces animaux des comportements et des sentiments humains. Ils sont traités comme des enfants : ils partagent le dîner et la chambre à coucher de leurs maîtres, ils sont pris dans les bras comme des bébés, ils sont habillés, embrassés, emmenés chez un psychanalyste… A contrario, certains animaux sont malnutris, laissés à l’abandon, quelquefois victimes de coups.

3Des sociologues et des anthropologues pointent les dérives auxquelles donne lieu cette nouvelle place de l’animal de compagnie dans la société. Dans certains foyers, il représente le seul élément stable et constant : toujours présent et dépendant de l’homme. Pour reprendre Jean-Pierre Digard (1999), ces indifférenciations et ces confusions au sein de nombreuses familles font « la litière de l’animal familier fusionnel et abusif, en lequel pères fragilisés, mères cumulantes et enfants flottants trouvent un délégué narcissique et un substitut cathartique d’enfant, de conjoint ou de parent ». De son côté, le sociologue Paul Yonnet voit également dans les animaux de compagnie des substituts d’enfants : « Dans l’élevage d’un animal familier, l’homme teste sa capacité éducative de façon analogue à la manière dont il interroge son statut d’éducateur parental au travers des réactions d’un enfant à son égard. »

4L’animal de compagnie sert aussi, parfois, de faire-valoir aux yeux des autres : c’est un « animal miroir » grâce auquel l’individu détermine sa place et son identité dans la société. L’éthologue autrichien Konrad Lorenz écrit d’ailleurs que : « Le fait de posséder un animal procure à celui qui le possède une sensation d’équilibre, voire d’autosatisfaction. »

5La place de l’animal demeure difficile à définir car l’homme s’adresse souvent à l’animal comme il le ferait à un être humain. Or une juste distance permet à l’animal de conserver son vrai statut d’animal : il faut respecter son caractère, ses besoins et son mode de vie, différents de ceux de l’homme. K. Lorenz ajoute que : « Mieux connaître l’animal, c’est mieux connaître l’homme, et l’harmonie du comportement animal et humain dépend de son espace vital et de ses rapports avec ses congénères. »

Quels risques pour un nouveau-né ?

6Les avantages psychoaffectifs de la relation entre le nouveau-né et l’animal de compagnie sont nombreux. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue la vulnérabilité du nourrisson face à un animal familier quel qu’il soit, de par son immaturité immunitaire, sa sensibilité aux infections, ses faibles défenses physiques, ainsi que sa dépendance totale à l’égard des adultes. Les principaux risques médicaux encourus par un nouveau-né aux côtés d’un animal de compagnie sont de trois types :

  • les infections, précisément les « zoonoses familiales non alimentaires » telles que la teigne, la toxoplasmose, la pasteurellose, la maladie des griffes du chat ;
  • les allergies aux animaux, traduites par l’asthme du nourrisson (d’une prévalence de 2 à 5 % !) ;
  • les accidents tels que les morsures, les griffures, l’asphyxie (45 % de ces traumatismes concernent les enfants âgés de 0 à 5 ans).
Le manque de données épidémiologiques ne permet pas d’apprécier la réelle fréquence de ces affections chez les nouveau-nés. Mais, devant le danger pour un nourrisson, et, face à un suivi vétérinaire des animaux de compagnie encore insuffisant, la vigilance et la prévention sont largement justifiées.

7Ces dangers et leur impact demeurent insuffisamment connus de leurs propriétaires. Il faut néanmoins souligner la prise de conscience grandissante de certaines femmes enceintes. En tant que sage-femme, je suis régulièrement sollicitée par des futures mères inquiètes de l’arrivée du nouveau-né au domicile et de ses futures interactions avec les animaux de compagnie déjà présents.

8À la fin de l’année 2005, dans le cadre de ma formation, j’ai réalisé une enquête, sous la forme d’entretiens, auprès de cinquante femmes propriétaires d’animaux familiers lors de leur séjour en maternité. Voici les principaux constats faits au cours de cette étude.

L’animal de compagnie : plus qu’un simple compagnon

9Évoquer le retour au domicile du nouveau-né dans un foyer possesseur d’un animal de compagnie implique de se référer à la cellule familiale et au statut de l’animal au sein du foyer. Il semblerait que l’animal ait un rôle fédérateur de l’image de la famille : 60 % des femmes déclarent avoir toujours partagé leur existence, depuis leur enfance, avec un animal de compagnie, comme une sorte de tradition. Ainsi, chiens et chats ont majoritairement accès à toutes les pièces du logement. Par exemple, plus de la moitié des couples sans enfant partagent leur chambre à coucher ou leur lit avec l’animal. Seuls les « nac » (les nouveaux animaux de compagnie tels que rongeurs, lagomorphes, oiseaux, carnivores sauvages comme le furet, poissons d’aquarium, reptiles…) disposent d’un accès limité à certaines pièces. L’animal de compagnie, malgré sa réalité biologique et ses besoins spécifiques, acquiert souvent une place humanisée, en vivant selon le même rythme familial que ses maîtres et en partageant en permanence leur foyer.

10Quant à la position hiérarchique du chien et du chat, elle est souvent au même niveau que celles des membres de la famille quant à l’accès à l’alimentation, à la gestion des espaces et des contacts. Cette place importante s’explique par le statut donné à l’animal : il est considéré comme un membre de la famille, un ami, un bébé, voire comme « un fils ». Il est un acteur familial à part entière, complètement intégré à la famille, avec toute la charge affective que cela représente. Les responsabilités induites par la possession d’un animal sont alors souvent ressenties comme celles qu’impose un « enfant ».

11Les femmes interrogées pensent offrir un cadre de vie épanouissant à leur compagnon animal. Mais les rythmes de vie, les espaces partagés, la promiscuité au sein du logement et la gestion de l’alimentation ne sont sûrement pas adaptés à la réalité animale. La place ambiguë cédée à l’animal peut devenir dangereuse : l’arrivée d’un nouvel individu, un nouveau-né, si elle n’est pas préparée et réalisée correctement, perturbe alors les habitudes humanisées de l’animal et peut être source de problèmes. Ces perturbations ne sont pas sans conséquence pour l’animal et un risque non négligeable pour le nouveau-né existe. De plus, il ne faut pas oublier qu’elles sont vectrices d’anxiété pour les parents.

Nouveau-né et animal de compagnie : une cohabitation sans dangers ?

12La naissance d’un enfant est, pour les parents, source de nombreux bouleversements, qu’ils soient d’ordre physique, psychique, générationnel ou affectif. C’est aussi un moment de crise potentielle où un nouvel équilibre au sein du foyer doit être inventé, où chacun doit trouver son rôle et sa place. D’après les entretiens réalisés, bon nombre de foyers considèrent leur animal de compagnie comme un membre de la famille à part entière : les responsabilités à l’égard de l’animal deviennent donc plus importantes lorsqu’un nouveau-né agrandit le foyer. L’adulte est à la fois responsable d’un animal mais aussi maintenant de son enfant. L’animal, perçu auparavant comme un bébé, un enfant, est alors une menace potentielle pour le nouveau-né. Dans certains foyers, lorsque la position hiérarchique de l’animal de compagnie est au même niveau que celle des humains qui le composent, ce nouvel équilibre est d’autant plus difficile à définir lors de la naissance d’un enfant.

13Les mères appréhendent les réactions de leur animal à l’égard du nourrisson. Pourtant, lorsqu’il a été demandé aux femmes si elles avaient connaissance des risques potentiels pour le nouveau-né liés à leur animal, aucune n’avait pu répondre avant que la nature de ces risques ne soit énoncée. Pour ces femmes, les dangers liés à l’animal ne sont pas identifiables spontanément et sont impossibles à nommer. Puis, lorsque les risques potentiels étaient qualifiés, les femmes ont rencontré des difficultés à les évaluer.

14Les femmes semblent conscientes des risques potentiels d’accidents, à défaut des risques d’infections et d’allergies. Souvent, elles ont avancé que leur animal est « propre » puisqu’il vit surtout à l’intérieur du domicile. Elles n’ont pas conscience qu’il est porteur de germes différents de ceux de l’homme, susceptibles d’être pathogènes, notamment pour un nouveau-né. Ceci pourrait également expliquer que le suivi vétérinaire des animaux est quasi inexistant. Et chiens, chats, quelquefois nac se promènent dans toutes les pièces du foyer, en alternance avec des sorties à l’extérieur, avant de rejoindre le canapé, le lit de leurs maîtres, voire le mobilier de bébé ! Selon l’étude, la majorité des mères vont éviter des contacts étroits entre l’animal et le nourrisson. Pourtant, d’après elles, il y a peu de danger à prodiguer des soins ou à donner à manger à l’enfant tout en manipulant l’animal. Cet exemple montre que toutes les précautions mises en place deviennent inutiles si les adultes, les parents, n’ont pas conscience, ou s’ils ne sont pas informés qu’ils peuvent transmettre indirectement des germes de l’animal à leur nourrisson. Des règles simples d’hygiène sont à respecter afin de conserver la relative rareté des infections.

15Cependant, au-delà des dangers potentiels pour le nourrisson liés à la présence animale, une autre préoccupation demeure : celle de favoriser l’acceptation et la reconnaissance du nouveau-né par l’animal (et non l’inverse !). Dans les foyers où l’animal est considéré comme un être humain, à l’égal d’un membre de la famille, les préoccupations et les anxiétés concernent surtout l’animal : « J’ai peur que mon animal se sente rejeté », « Comment va-t-il vivre l’arrivée du bébé ? ».

Quelques règles de vie

16Il faut bien tenir compte de tout l’environnement pour favoriser une prise en charge globale et adéquate de la femme enceinte et du nouveau-né. Écouter, informer de manière claire et juste, et conseiller les femmes ou les couples propriétaires d’animaux permettraient d’améliorer les rapports qu’ils ont avec leur animal, de diminuer leur anxiété et leurs appréhensions, et de limiter les risques pour le nouveau-né.

17En connaissant les dangers liés à une cohabitation exiguë ou inadaptée avec un animal de compagnie, il semble nécessaire de rappeler à ces couples les conseils élémentaires d’hygiène de vie afin que le foyer soit sans danger pour l’arrivée du nouveau-né.

18L’animal transporte des germes différents de ceux des hommes, qui peuvent s’avérer pathogènes. Par conséquent, il faut :

  • se laver systématiquement les mains avec du savon après avoir touché ou caressé l’animal, pour éliminer tous les germes qui auraient pu s’y réfugier, d’autant plus avant tout contact avec le nouveau-né ou tout autre élément de sa vie (langes, peluches, berceau…) ;
  • éviter de dormir avec l’animal dans sa chambre à coucher ou dans son lit ;
  • interdire à l’animal l’accès à la cuisine et éviter d’y installer son panier, sa cage, sa litière, ses gamelles ;
  • ne pas faire manger son animal à sa table, ni dans son assiette, ni le laisser lécher la vaisselle, ni le caresser pendant que l’on mange ;
  • ne pas se faire lécher par l’animal ;
  • mettre des gants pour nettoyer la litière du chat, la cage de l’oiseau, le terrarium des reptiles, changer l’eau de l’aquarium.
L’hygiène et la santé de l’animal de compagnie doivent aussi être assurées. Des règles élémentaires s’appliquent à tous, quelle que soit l’espèce animale, et permettent également de préserver la santé des membres du foyer :
  • la toilette ou le brossage de l’animal doivent être faits régulièrement ;
  • l’animal doit être suivi correctement par un vétérinaire : son état de santé doit être contrôlé et il doit être vacciné contre les principales maladies connues, avec des rappels réguliers ;
  • lorsque l’animal est malade ou présente des troubles du comportement, il faut consulter un vétérinaire ;
  • chiens et chats doivent être vermifugés régulièrement pour les débarrasser d’éventuels parasites intestinaux et ils doivent être traités par des antiparasitaires en prévention des puces et des tiques ;
  • il faut respecter les besoins spécifiques de chaque animal, afin d’éviter tout problème de santé et tout trouble du comportement pouvant nuire aux membres de la famille.
Comme l’animal est porteur de micro-organismes susceptibles de nuire aux hommes, tout ce qu’il touche ou utilise doit être régulièrement nettoyé : récipient pour sa nourriture, cage, litière, jouets, textiles… Ses objets ou son linge ne doivent pas être lavés avec ceux des propriétaires afin d’éviter toute contamination croisée. Les sols des zones où l’animal de compagnie a accès doivent être nettoyés régulièrement, avec une attention toute particulière pour les moquettes et autres textiles, réservoirs d’allergènes.

Avant la naissance de l’enfant

19Il faut modifier progressivement des éléments qui pourraient s’avérer gênants par la suite : par exemple, changer le lieu de couchage de l’animal ou sa place dans la voiture. Il faut aussi faire peu à peu évoluer le mode de contact avec l’animal (interdire le léchage, le couchage dans le lit…) En cas de terrain familial allergique, il serait souhaitable de renforcer les mesures d’hygiène (nettoyer régulièrement la maison avec un aspirateur muni de filtres spéciaux), éviter moquettes, tapis, coussins et peluches, humidifier à l’eau tiède le pelage de l’animal une fois par semaine et laisser à l’animal une place où le risque de réaction allergique est minime pour les membres du foyer.

20Bien sûr, il faut éviter de :

  • changer brutalement les habitudes de l’animal ;
  • tenir l’animal complètement à l’écart des membres du foyer pour des raisons de sécurité et/ou d’hygiène ;
  • se séparer de l’animal provisoirement en attendant une période moins à risque ;
  • accepter des comportements inadaptés de l’animal, même lors de jeux (mordillements, grognements…).

Après la naissance de l’enfant

21Les nourrissons et les enfants au contact d’animaux de compagnie peuvent être victimes d’une agression par l’animal, d’une allergie ou d’une maladie provenant de lui. Des précautions simples et une attitude préventive réfléchie des parents en limitent l’apparition. Certaines attitudes (voir en marge) peuvent être adoptées à la maternité et au retour au domicile : elles favoriseront cette première prise de contact entre l’animal de compagnie et l’enfant.

Faire
– Pendant que le bébé est encore à la maternité, faire sentir quotidiennement un lange du nouveau-né à l’animal pour un premier contact et pour le familiariser à cette odeur.
– Laisser la maman rentrer en premier au domicile pour y être accueillie par l’animal : le nouveau-né arrive par la suite avec le père ou une autre personne.
– Surveiller attentivement le premier contact visuel et olfactif entre le nourrisson et l’animal, et maintenir quelque temps cette surveillance.
– S’occuper de l’animal en présence du nourrisson pour éviter toute sensation de rejet de la part des maîtres.
Ne pas faire
– Autoriser les contacts directs entre l’animal et le bébé (jusqu’à ce que le nourrisson ait au minimum 3 mois).
– Laisser le bébé seul avec l’animal (même si ce dernier est calme, gentil et supposé ne jamais faire de mal).
– Laisser l’animal lécher le nourrisson, s’installer à côté du bébé ou accéder au mobilier de l’enfant.

Conclusion

22Depuis une décennie, des craintes justifiées apparaissent à l’égard des animaux domestiques ou d’élevage, en France, en Europe et dans le monde : les bovins ont la maladie de Creutzfeld-Jacob, les oiseaux la grippe aviaire, et le moustique dissémine le Chikungunya. Tous ces risques inquiètent les scientifiques, les éleveurs et chacun d’entre nous. Aussi assiste-t-on à une multiplication des mesures et moyens de protection à l’égard de ces animaux. Mais il en va autrement dans les familles françaises qui entretiennent une relation de grande promiscuité avec leurs animaux de compagnie.

23Pourtant, les risques de transmission de zoonoses, de sensibilisation allergisante et d’accidents sont bien réels, notamment pour un nouveau-né aux faibles défenses immunitaires et physiques. Devant un suivi vétérinaire insuffisant des animaux familiers, la prévention des risques médicaux et l’éducation à la santé sont nécessaires, notamment pour permettre la prise en charge globale de la femme enceinte et du nouveau-né.

24Dans les foyers tiraillés entre l’arrivée du nouveau-né et la sauvegarde de la relation à l’animal, un soutien par un professionnel de santé devient primordial afin de recadrer la place de l’animal en tant que membre « particulier » de la famille et non humanisé, de diminuer les dangers liés à une relation inadaptée avec l’animal et de préserver la santé du nouveau-né. Des interrogations demeurent cependant : lorsque les adultes n’ont pas préservé leur « territoire » à l’égard de l’animal de compagnie, que ce dernier est « tout-puissant », quels seront les limites et les repères de l’enfant nouveau-né ?

Bibliographie

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  • Rossant, L. ; Villemin, V. 1996. L’enfant et les animaux, Paris, Ellipses.
  • Vallet, B. ; Mittler, B. ; Flusin, J.L. 1996. « Conduite à tenir devant morsures, griffures et envenimation en urgence », Encyclopédie médicale et chirurgicale, Paris, Elsevier.

Mots-clés éditeurs : dangers, prévention, animal de compagnie, zoonoses, nouveau-né, traumatismes, mères

Mise en ligne 01/06/2007

https://doi.org/10.3917/ep.035.0076

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