Notes
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[1]
Comme le montre le cas des chimpanzés de laboratoire, qui sont étudiés pour leur grande ressemblance avec l’homme, mais qui en même temps sont utilisés comme de la « simple » matière… C’est ainsi qu’on en arrive à des situations absurdes où l’on va tester l’efficacité d’un antidépresseur chez un chimpanzé sans reconnaître la dimension mentale de son affection, et sans réellement prendre en compte sa souffrance… Il est donc traité comme pareil à nous pour ce qui concerne la matière, mais irréductiblement différent pour ce qui concerne son intériorité.
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[2]
La contagion des émotions concerne bien sûr tout autant les émotions négatives, comme le montre l’escalade dans la peur, qui peut survenir très vite.
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[3]
Évidemment, il faut que l’animal lui-même soit tranquille (un chien qui gronde, qui aboie, qui a peur ou est agité n’a pas le même effet !) et que l’enfant n’ait pas peur des chiens.
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[4]
Évidemment, l’inverse est vrai aussi : si on ne peut plus attribuer à un humain ces traits, il ne sera pas, ou sera difficilement, traité comme une personne.
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[5]
Il convient alors de définir le terme « thérapeutique » et de le distinguer du récréationnel. Pour ce qui concerne la « thérapie facilitée par l’animal », nous proposons de considérer comme thérapeutique ce qui engendre des apprentissages (des changements) permettant à la personne de mieux surmonter les problèmes (quels qu’ils soient) que lui pose l’existence. Si la présence de l’animal, pour gratifiante qu’elle soit, n’entraîne aucun changement dans la manière dont la personne gère ses difficultés, on ne peut parler de thérapie.
1Dans bien des endroits du monde, la distinction entre les humains et les animaux n’est pas conçue de la même manière que chez nous. En Amérique du Sud par exemple, il est commun de doter certaines espèces animales de propriétés sociales ou mentales que nous réservons à l’espèce humaine. Là-bas, se demander si la relation à l’animal « peut être » significative apparaîtrait tout à fait incongru : les animaux sont des partenaires sociaux à part entière. Nous vivons pour notre part dans une culture que l’anthropologue P. Descola appelle « naturaliste », ce qui signifie que notre mode principal de rapport à la nature est structuré par la croyance en une continuité animal-homme pour ce qui concerne l’extériorité, c’est-à-dire ici la matière (en gros l’anatomie et la physiologie), tandis que, pour ce qui concerne l’intériorité, les « qualités mentales », nous adhérons à la croyance en une coupure radicale. Une position que le naturaliste français Georges Buffon résume à la perfection par ces mots, en 1770 : le singe « n’est, dans la vérité, qu’un pur animal, portant à l’extérieur un masque de figure humaine, mais dénué à l’intérieur de la pensée et de tout ce qui fait l’homme ».
2Dans la culture scientifique dominante, les animaux n’ont pas d’idées, ni de croyances – on se demande d’ailleurs s’ils souffrent « vraiment » – et il faut être un auteur aussi dissident que M. Bekoff pour affirmer qu’ils ont une vie émotionnelle. Dans notre culture, ceux pour qui les animaux sont des autres signifiants, qui développent avec eux des interactions qu’ils ressentent comme réellement réciproques, et qui leur imputent diverses qualités mentales, sont tenus de se justifier. Voilà pourquoi nous sommes amenés à expliquer pourquoi le rapport à l’animal peut être significatif, donc thérapeutique. C’est que, culturellement, un rapport significatif avec un animal est perçu comme « anormal ». Personnellement, je pense que c’est plutôt l’inverse qui est « anormal » et qui devrait être expliqué : comment il est possible de ne pas avoir de relations significatives avec le monde animal… Je pense donc que la base culturelle, à partir de laquelle nous entrevoyons ces questions, est fausse. Mais, si le naturalisme est une cosmologie probablement fausse, il articule néanmoins l’ensemble de nos rapports au monde animal [1].
3Cette introduction est certainement un peu longue, cependant il est important de reconnaître le point de vue très général qui cadre et organise notre rapport au monde animal. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons tenter de comprendre quelles sont les dimensions de la relation et de l’interaction avec un animal qui permettront de l’introduire dans un cadre thérapeutique.
Nous sommes des êtres de communication
4Nous, les êtres humains, sommes des êtres de communication. Le nouveau-né est introduit dans un monde d’interactions et de stimulations qu’il sera très tôt capable d’organiser. Les études de Terry Brazelton par exemple montrent que les interactions d’un bébé de quelques semaines avec sa mère (ou son substitut) sont organisées et agencées selon une structure temporelle et rythmique, et que celle-ci est propre à chaque dyade. Cette « matrice » de communication et de langage est indispensable au développement du nourrisson, comme les observations de Spitz sur le syndrome d’hospitalisme l’ont montré, il y a longtemps déjà. Ainsi que l’attestent les graves troubles du développement des enfants qui ont grandi dans l’isolement, être en relation est une nécessité biologique pour les petits de notre espèce. À ce propos, signalons le cas des « enfants sauvages », qui sont des enfants abandonnés ou perdus qui trouvent refuge et sont adoptés par une mère animale (ours, loup, mouton, singe…). Ces enfants-là, apparemment, se développent et ne souffrent pas du syndrome d’hospitalisme. Déjà, il nous faut en conclure que les interactions avec une mère animale adoptive apportent à l’enfant cette dimension de communication et d’interaction suffisante pour supporter une vie affective dont il a besoin pour se développer et être en bonne santé.
5Étant devenus des êtres de langage, nous oublions trop souvent que notre communication est d’abord multicanal et permanente, et que le langage vient s’y insérer secondairement. Tant sur le plan du développement de l’enfant que sur celui de l’hominisation, c’est la communication qui est première ; le langage vient s’inscrire dans des structures « primatiques » (c’est-à-dire spécifiques aux primates) qui lui préexistent et qu’il ne modifie pas fondamentalement.
Quelques éléments d’interaction homme-animal
Le contact
6L’un des éléments de cette communication multicanale est le toucher. Dans les cliniques vétérinaires, le psychiatre Aaron Katcher a observé une forme de toucher particulière, un jeu distrait de la main (idle play) dans la fourrure de l’animal qui consiste à gratter, chatouiller, jouer dans les poils. Demaret l’a rapproché du grooming (épouillage ou toilettage social) des primates à fourrure, conduite instinctive réciproque qui a notamment pour fonction de créer des liens et d’apaiser les tensions dans un groupe de singes. Quand un animal en épouille un autre (à la recherche de parasites), il se détend, tout comme son partenaire. S’il doit par exemple accéder à des zones cachées, le groomeur soulève les membres du groomé sans entraîner aucune résistance de sa part. Quand les conflits sont fréquents dans un groupe de primates, notamment en cas de changements dans la hiérarchie, la fréquence du toilettage social augmente également, car les animaux éprouvent le besoin de se rassurer et de s’apaiser en toilettant leurs amis, alliés, parents. Si l’on en croit Demaret, le contact avec la fourrure d’un animal de compagnie a probablement chez nous ce même effet apaisant, rassurant et relaxant qu’a le toilettage social chez nos cousins primates.
7Nous avons, en effet, conservé le besoin de contact et de chaleur des primates (rappelons-nous les expériences de Harry Harlow, qui montrent qu’un bébé singe élevé sans sa mère préfère rester accroché à un mannequin doux et chaud qui ne dispense pas de lait plutôt qu’à un mannequin en fil de fer qui dispense du lait) et nous aurions également conservé une tendance au grooming, héritée elle aussi des primates, mais fortement réprimée dans nos sociétés. Pouvoir toucher la fourrure d’un animal permet donc la satisfaction de ce besoin. Beaucoup de personnes, à la vue d’un animal à fourrure, éprouvent le vif désir de le toucher – ce qui est d’ailleurs l’une des principales sources d’accident dans les zoos. « L’idle play décrit par Katcher est sans doute une forme d’épouillage spécifique déplacé sur l’animal », écrit Demaret. Cette fonction relaxante ou apaisante du toucher est celle-là même que met à son profit Bibi Degn dans son travail avec les chiens et les chevaux ; notons que les effets apaisants concernent tout autant l’animal que l’humain. Peu importe ici « qui commence » : animal et humain « font système », il y a contagion ou partage des émotions [2].
8Enfin, le toucher est aussi un indicateur de relation. Comme tous les modes de communication, le toucher fait l’objet d’interdits et de recommandations socialement codifiés. Toucher un inconnu est une violation de l’espace personnel (d’où le fait qu’un tel acte, même accidentel, est suivi d’excuses ou d’échanges réparateurs), en même temps qu’accepter de se laisser toucher, c’est accepter la pénétration d’un autre dans sa sphère intime. Le toucher indique une relation intime en même temps qu’il l’instaure. Les tabous sociaux liés au toucher ne sont pas mis en œuvre quand il s’agit d’animaux, car ceux-ci n’ont pas le statut de personnes sociales compétentes (c’est le cas aussi des enfants). Nous nous sentons donc autorisés à les toucher.
Le regard
9Le regard joue un rôle très considérable dans la régulation de l’interaction sociale. C’est un régulateur des tours de parole, mais c’est aussi le signal le plus puissant de tout notre répertoire de communication non verbale. Si un regard à lui seul peut déclencher une bagarre dans un bar, c’est aussi un des signaux les plus importants de la cour amoureuse. Le regard mutuel mais aussi le fait de regarder et d’être regardé sont des éléments essentiels de la communication interespèces. Le regard est une forme de contact et il offre la possibilité de créer une sphère de communication intime sans trop de complication relationnelle.
L’effet relaxant de la présence d’un animal de compagnie
10Dans une expérience maintes fois citée, Aaron Katcher et ses collaborateurs ont montré que la présence d’un animal de compagnie (en l’occurrence un chien) a pour effet de diminuer les indicateurs physiologiques du stress chez des enfants à qui on demande de lire un texte à haute voix. Cet effet apaisant ou « dé-stressant » de la présence d’un animal [3] a également été observé par Hansen et coll. (1999) : les comportements révélateurs de l’anxiété chez des enfants en visite chez le pédiatre diminuent quand un chien paisible est présent. Dans le même ordre d’idées, Fox avait observé, dès 1981, que la présence d’un chien à la maison était l’indice le plus fiable d’une survie à un an, après sa sortie d’hôpital, d’un patient souffrant de problèmes coronariens.
11Si, par la suite, un nombre incalculable d’études ont cherché à mettre en évidence l’influence bénéfique de la possession d’un animal de compagnie sur divers aspects de la santé (physique comme mentale), avec des résultats instables, on doit néanmoins s’interroger sur la manière dont fonctionne cet effet apaisant ou relaxant de l’animal quand le toucher n’entre pas en jeu.
12Un des éléments de réponse à cette question est, selon nous, qu’un animal de compagnie, comme un chien ou un chat paisible, offre peu de signaux à l’interprétation, et cela évite de surcharger nos systèmes perceptifs et interprétatifs. Nous n’avons pas idée de la quantité de signaux que notre cerveau doit sans arrêt traiter de manière quasi simultanée, dans la plupart des situations sociales humaines. D’un côté, nous avons besoin d’être en relation avec les autres, mais, d’un autre côté, cela peut s’avérer très fatigant et stressant. Or l’animal, parce qu’il renvoie assez peu de signaux et n’exige aucun traitement d’information verbale, favorise la concentration, l’observation, la tranquillité. Un second élément de réponse se trouve dans le fait qu’un animal paisible signale l’absence de danger, au contraire d’un animal stressé ou apeuré.
L’animal comme « facilitateur » de la communication sociale
13Les hommes politiques qui se font photographier avec leur chien savent bien que, dans notre société, un homme sera perçu de façon plus positive s’il est accompagné d’un animal de compagnie, chien ou chat. Mais la présence d’un animal permet, aussi, comme l’a montré une très belle étude de Messent au début des années 1980, d’augmenter les contacts sociaux : quelqu’un qui se promène dans Hyde Park avec un chien interagit plus souvent avec des étrangers que s’il se promène seul ou accompagné d’un enfant (Messent, 1983). L’animal joue ici le rôle de « catalyseur » ou de « lubrifiant » social : il facilite les interactions entre étrangers.
14Les interactions sociales, même les plus simples en apparence, sont en fait gouvernées par des règles et des rituels qui doivent être respectés sous peine de mettre en danger l’ordre social et d’inspirer la crainte. Ainsi, un homme qui adresse la parole à des étrangers sans respecter l’ordre rituel sera perçu comme menaçant. La présence d’un animal permet d’outrepasser la rigidité des rituels de salutation en provoquant une attention conjointe non menaçante. Cette attention conjointe est alors le socle de regards, de salutations ou parfois de conversations qui seront perçus comme anodins. Cet effet de « facilitateur social » va toutefois plus loin puisque Demaret a observé, dans son travail clinique, que la mention d’un animal de compagnie (par exemple en demandant au patient s’il en possède un) déclenche souvent un discours riche chez un patient par ailleurs assez inhibé.
Une structure interactionnelle simplifiée
15Avec les animaux, on se trouve au niveau des structures élémentaires des relations : peur, approche, retrait, confiance, stress, détente… Grâce à cette simplicité de l’interaction, je peux aussi voir l’effet que mon comportement a sur l’animal, ce qui est à la base du lien social (le lien social peut en effet être défini comme la réponse de A au comportement de B à son égard). Ces structures élémentaires de la relation qui sont mises en œuvre dans les relations avec les animaux se trouvent bien sûr aussi dans les relations avec les êtres humains. Mais elles sont là obscurcies par le langage, et par une quantité d’autres informations qui ne sont pas nécessairement significatives sur le plan de la relation, d’ailleurs.
16Comme Bibi Degn l’a dit, on peut, en travaillant avec des chevaux, apprendre à aller vers l’animal, à observer les réactions qu’il a à notre égard, à lire les signaux de son corps et ressentir, éprouver le lien (il a peur, il attend, il se méfie, il prend confiance…). Cela aussi favorise la concentration sur « ce qui compte » dans une relation. C’est un apprentissage important, qui nous aiderait certainement dans la gestion de nos relations quotidiennes. Il peut être difficile de faire ces choses simples, mais cela donne un ancrage solide, une position claire dans la relation (je sais qui je suis pour l’animal dans cette relation).
17Smith estime qu’une autre dimension de l’interaction sociale est simplifiée dans les interactions avec les animaux : sa structure temporelle et spatiale (Smith, 1983). Celle-ci est en réalité assez complexe, même si nous l’avons tellement bien intériorisée que nous n’en avons pas conscience. Une simple conversation, par exemple, exige de la part de tous les participants une collaboration étroite pour maintenir l’organisation spatiale, les tours de parole, la gestion de l’attention et de l’engagement. Or il se peut que certaines personnes éprouvent des difficultés à s’insérer dans une interaction comme une conversation, en raison de sa structure temporelle et spatiale trop compliquée. Avec un animal, c’est beaucoup plus simple. On peut être déficient sur le plan de l’organisation d’une conversation humaine et être capable de développer une interaction bien structurée avec un animal. En favorisant l’attention et la concentration, l’animal peut aussi aider à structurer une interaction. Il est sensible mais peu exigeant quant au respect de normes sociales humaines.
Le lien, l’attachement
18Nous avons parlé jusqu’à présent d’interaction, de regard, de contact, d’émotion et de communication. Il nous faut revenir à la question de « l’autre signifiant » qui nous était posée. Peut-on parler de « véritable lien » quand il est question d’un lien avec un animal non humain ? Cette question n’est pas pure rhétorique, car les sociologues, par exemple, considèrent que, l’animal n’étant pas un vrai sujet, il ne peut y avoir dans la relation avec lui cette intersubjectivité indispensable à tout véritable lien social. Pour eux, donc, la relation à l’animal s’apparente à une relation avec un objet, et c’est sur cette base que l’on qualifiera d’anthropomorphique toute imputation de qualités mentales à un animal.
19Pourtant, bien sûr, tous les propriétaires d’animaux savent que l’animal leur répond, et que ce n’est pas là pure illusion de leur part. Le sociologue Clinton Sanders s’est interrogé sur la manière dont les propriétaires d’animaux « font », de leurs animaux, des personnes (Sanders, 1993). Après avoir rappelé que le statut de personne est quelque chose d’éminemment social, qui n’est absolument pas automatique, il identifie quatre conditions permettant de considérer son animal comme une personne. Le propriétaire doit pouvoir lui attribuer :
- des processus de pensée (il se souvient, il déduit, il comprend, il croit…) ;
- une personnalité (il a une histoire particulière, des goûts, des préférences, etc.) ;
- la réciprocité (l’animal contribue à la relation autant que le maître y contribue, il joue sa partie) ;
- une place dans la famille, dans le groupe.
20Tous les éléments de communication dont nous avons parlé permettent de former avec un animal des interactions qui ont une structure significative pour les êtres humains, c’est-à-dire dans lesquelles ils peuvent entrer sans nécessairement perdre leurs repères. Ces interactions ont cependant suffisamment d’altérité ou d’étrangeté pour permettre à l’humain de faire l’expérience de modalités relationnelles nouvelles, et donc d’apprendre des choses sur lui-même.
Comment la relation à l’animal peut-elle devenir thérapeutique ?
21Depuis une quarantaine d’années, de nombreuses études ont fait état de programmes thérapeutiques utilisant des animaux pour une grande variété de patients. Les psychiatres Corson et Corson ont été, dans ce domaine, des précurseurs, auteurs notamment d’une étude pilote menée en hôpital psychiatrique, dont les résultats ont été publiés en 1975. Dans cette étude, les auteurs montraient l’impact considérable qu’avait eu l’introduction d’animaux de compagnie (des chiens) sur cinq patients, diagnostiqués schizophrènes, et chez lesquels aucun des traitements tentés n’avait été efficace. Tous les patients quittèrent leur position de repli et leur comportement social s’améliora considérablement. Dans le même ordre d’idées, Levinson avait, dès 1961, observé des résultats très similaires lorsqu’il avait laissé son chien jouer avec un enfant très en retrait, replié sur lui-même, qu’on lui amenait en urgence en consultation. À partir de ces deux études pilotes, et de quelques autres, dont les résultats étaient spectaculaires, un nombre incalculable de travaux ont tenté de mesurer, évaluer, tester, etc., les « effets thérapeutiques » d’animaux sur une variété de troubles. L’honnêteté scientifique nous oblige néanmoins à mentionner que les résultats de ces travaux sont extrêmement variables, et leurs méthodologies pas toujours très rigoureuses (Beck et Katcher, 1984). C’est comme si l’effet thérapeutique des animaux, observé et mis en évidence par des cliniciens dans le cadre de leur pratique, était très difficile à démontrer scientifiquement.
22On peut toutefois, et en dépit de l’incertitude quant à la « réalité » des effets thérapeutiques des animaux sur les humains, réfléchir à « ce qui », dans la communication et l’interaction avec des animaux non humains, pourra être une base pour construire une relation thérapeutique [5].
23Dans l’entretien thérapeutique ou dans un lien de vie thérapeutique, l’animal peut jouer un rôle à quantité de niveaux. Je ne citerai ici que les plus élémentaires.
241. Interagir avec un animal apporte au patient la satisfaction de besoins émotionnels fondamentaux comme le toucher et l’intimité d’une relation « enveloppante », dans un lieu qui est sans danger sur le plan des complications émotionnelles (par exemple, l’animal n’a pas, sauf exception, la possibilité d’abandonner ou de quitter le patient).
252. Présent (ou parfois seulement évoqué) dans une salle de thérapie, l’animal favorise le développement d’une relation thérapeutique, comme dans les études des époux Corson et de Levinson. Plusieurs facteurs jouent ici : un animal paisible va rassurer et apaiser le patient (effet relaxant) ; il va également favoriser le contact et la conversation (facilitation sociale) ; mais il y a plus : il est un véritable médiateur entre un patient très retiré, voire hostile, et un thérapeute parfois désemparé.
263. L’animal apporte aussi une aide au thérapeute, ce qui est moins souvent reconnu. Il lui permet, dans les moments de tension ou de difficulté, de ne pas mettre trop de pression sur le patient. En se tournant vers l’animal, le thérapeute se détend, patiente, se remet à l’écoute et se « recalibre » pour revenir ensuite vers le patient avec un esprit plus ouvert.
274. La présence d’un animal aide à structurer l’interaction thérapeute-patient sur le plan spatial et temporel, en orientant l’attention et favorisant tout naturellement le développement d’une attention conjointe.
285. La présence d’un animal favorise la concentration en temporisant l’interaction et en diminuant les parasites : centré sur un animal, sur l’observation de son comportement, de ses expressions, etc., un échange qui n’est pas trop saturé en éléments verbaux va comporter moins d’informations à traiter et prêtera moins à la distraction et à l’hyperactivité.
296. La présence d’un animal permet au patient d’évoluer selon des modalités de communication dans lesquelles il est aussi compétent (et parfois plus) que le thérapeute. En effet, tout le monde se met au niveau de fonctionnement de la communication non verbale (comportement, émotion). C’est la base de l’interaction avec un animal. Ici le patient n’est pas déficient, et la relation reste significative pour chacun.
307. La présence d’un animal va permettre de travailler à partir des relations « élémentaires » (la peur, la confiance, la réciprocité, etc.) et de construire du sens à partir de cela. Les possibilités de construction de sens, à partir des réactions de l’animal aux comportements du patient à son égard par exemple, sont infinies. Tout dépend alors des qualités du thérapeute.
318. Enfin, l’animal introduit de l’humour et de la souplesse dans des interactions parfois rigides et sérieuses.
32D’une manière générale, la présence d’un animal permet, en favorisant la créativité du thérapeute, de construire de « nouvelles réalités » pour le patient, par exemple des réalités où son déficit de langage n’est pas un obstacle au développement de relations gratifiantes. L’animal apporte un potentiel de changement important dans une relation thérapeutique. Il ouvre de nouvelles perspectives, sur la base de modalités de communication différentes.
33Revenons à présent, un instant, à la question sur « l’effet thérapeutique » des animaux, et au conflit entre chercheurs et praticiens. D’après ma propre expérience, il apparaît que les animaux en eux-mêmes n’ont pas d’« effet thérapeutique » sur les patients. Tout dépend de ce que va faire le thérapeute du potentiel de changement apporté par l’animal. On peut mettre un enfant sur un cheval et lui dire « tiens-toi droit »… Cela ne sera probablement pas très différent de son expérience quotidienne. On peut, aussi, lui faire découvrir un autre monde, dans lequel il se sentira capable, en confiance, bien. Il est donc finalement compréhensible que les chercheurs n’arrivent pas à reproduire les résultats des praticiens. Non pas parce que les praticiens ne sont pas assez rigoureux ou parce qu’ils « croient » que cela va marcher, mais tout simplement parce que les chercheurs mettent en place des procédures expérimentales qui, en exigeant que « toutes choses soient égales par ailleurs », empêchent précisément les thérapeutes de construire de nouvelles réalités avec leurs patients. Si je compare une situation avec animal et une situation sans animal et que tout, hormis la simple présence de l’animal, doit être pareil (ce qui est la base de l’expérimentation rigoureuse), j’interdis au praticien de développer, d’utiliser le potentiel de changement apporté par la présence de l’animal, et je neutralise l’« effet thérapeutique ». Si on veut agir avec un animal comme s’il n’était pas là, on limite grandement le champ des possibles. On peut donc en conclure que les procédures expérimentales en elles-mêmes « font disparaître » les effets bénéfiques des animaux, mais que ceux-ci ne sont pas illusoires pour autant.
34Enfin, je voudrais, pour conclure, insister sur le fait qu’il est important, dans les « usages » (quel vilain mot !) thérapeutiques des animaux, de ne pas déconnecter l’animal de la nature plus vaste à laquelle il appartient, ni du réseau de relations qui l’unit, et qui nous unit aussi, au monde naturel. Sinon, l’animal ne sera qu’un simple outil et on perdra une grande partie du potentiel de bienfait qu’il peut apporter. Le champ des possibles et la créativité qu’apporte la présence d’un animal en seront considérablement rétrécis alors qu’on augmentera les risques de mésusages de l’animal, c’est-à-dire d’usages non éthiquement corrects.
Bibliographie
Bibliographie
- Beck, A.M. ; Katcher, A.H. 1984. « A new look at pet-facilitated therapy », J. Am. Vet. Med. Ass., 184, p. 414-421.
- Bekoff, A. 2007. The emotional life of animals, Novato (Cal.), New World Library.
- Descola, P. 2001. « Par-delà la nature et la culture », Le débat, 144, p. 86-101.
- Bernard, P. ; Demaret, A. 1997. « Pourquoi possède-t-on des animaux de compagnie ? Raisons d’aujourd’hui, raisons de toujours », dans L. Bodson (sous la direction de), L’animal de compagnie : ses rôles et leurs motivations au regard de l’histoire, Liège, Université de Liège, p. 119-130.
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- Levinson, B.M. 1961 « The dog as a co-therapist », Mental Hygiene, 46, p. 59-65.
- Messent, P. 1983. « Social facilitation of contact with other people by pet dogs », dans A.H. Katcher et A.M. Beck (sous la direction de), New Perspectives on our Lives with Companion Animals, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, p. 37-46.
- Sanders, Clinton R. 1993. « Understanding dogs. Caretakers’ Attributions of Mindedness in Canine-Human Relationships », Journal of Contemporary Ethnography, vol. 22, n° 2, p. 205-226
- Servais, V. 1999b. « Enquête sur le “pouvoir thérapeutique” du dauphin, ethnographie d’une recherche », Gradhiva, 25, p. 92-105.
- Smith, Sharon L. 1983. « Interactions between pet dog and family members : an ethological study », dans A.H. Katcher et A.M. Beck (sous la direction de), New perspectives on our lives with companion animals, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, p. 29-36.
Mots-clés éditeurs : langage, effet thérapeutique, lien, attachement, animal, communication
Date de mise en ligne : 01/06/2007.
https://doi.org/10.3917/ep.035.0046Notes
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Comme le montre le cas des chimpanzés de laboratoire, qui sont étudiés pour leur grande ressemblance avec l’homme, mais qui en même temps sont utilisés comme de la « simple » matière… C’est ainsi qu’on en arrive à des situations absurdes où l’on va tester l’efficacité d’un antidépresseur chez un chimpanzé sans reconnaître la dimension mentale de son affection, et sans réellement prendre en compte sa souffrance… Il est donc traité comme pareil à nous pour ce qui concerne la matière, mais irréductiblement différent pour ce qui concerne son intériorité.
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La contagion des émotions concerne bien sûr tout autant les émotions négatives, comme le montre l’escalade dans la peur, qui peut survenir très vite.
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Évidemment, il faut que l’animal lui-même soit tranquille (un chien qui gronde, qui aboie, qui a peur ou est agité n’a pas le même effet !) et que l’enfant n’ait pas peur des chiens.
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Évidemment, l’inverse est vrai aussi : si on ne peut plus attribuer à un humain ces traits, il ne sera pas, ou sera difficilement, traité comme une personne.
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Il convient alors de définir le terme « thérapeutique » et de le distinguer du récréationnel. Pour ce qui concerne la « thérapie facilitée par l’animal », nous proposons de considérer comme thérapeutique ce qui engendre des apprentissages (des changements) permettant à la personne de mieux surmonter les problèmes (quels qu’ils soient) que lui pose l’existence. Si la présence de l’animal, pour gratifiante qu’elle soit, n’entraîne aucun changement dans la manière dont la personne gère ses difficultés, on ne peut parler de thérapie.