Notes
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[1]
Une version préalable de cet article a été publiée sous forme de chapitre dans un ouvrage collectif : Pierrehumbert, B., Brytek-Matera, A., Torrisi, R. (2015). Le stress : Ocytocine et attachement. In Boris Cyrulnik (éd.), Comment fonctionnent nos émotions ? Savigny-sur-Orge : Éd. Ph. Duval, pp. 93-101.
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[2]
Pierre Bustany, communication personnelle.
Introduction
L'attachement
1Les humains, probablement en raison de leurs origines nomades et grégaires, montrent une propension évidente, dès la toute petite enfance, à chercher la sécurité auprès de leurs congénères. L'expérience de sécurité qui s'ensuit fait des partenaires sociaux des maillons indispensables pour la régulation des émotions de l’individu. Dans les termes de la théorie de l’attachement de Bowlby (1982), on parlera de « havre de sécurité » (safe haven). Lorsque tel partenaire procure effectivement à l’individu un sentiment de sécurité, il fonctionnera alors, toujours pour la théorie de l’attachement, comme une « base de sécurité » (secure base : Ainsworth, Blehar, Waters, & Wall, 1978) permettant l'exploration du monde. Soulignons au passage cette remarquable capacité adaptative, que nous partageons avec un certain nombre d’animaux : pouvoir agir sur notre système nerveux autonome (associé aux émotions mais qui, par définition, échappe au contrôle conscient) grâce à des comportements volontaires d’engagement social, notamment dans l'adversité (Porges, 2005 ; Mikulincer & Florian, 2004).
2Pour la théorie de l’attachement, ces comportements d'engagement social dans l’adversité sont, chez l'humain, particulièrement sélectifs. En effet, déjà avant la première année de vie, l’enfant manifeste une forte différenciation de ses partenaires sociaux, réservant la recherche de sécurité par la proximité qu’auprès de partenaires spécifiques ; cette préférence accordée à des personnes particulières dépendrait, déjà à cet âge, de l'histoire relationnelle de l’enfant avec chacune de celles-ci. On parlera alors de « figures d'attachement ». Dès lors, attachement et sentiment de sécurité, ou en d’autres termes attachement et « stress » vont former un couple théorique indissociable. Mais qu’entend-on exactement par « stress » ?
3Pour ce § ci-dessus, peut-on avoir qq références suppl (à celle de Bowlby) je crois que c’est important pour les lecteurs non experts du sujet, de compléter un peu les références bibliographiques.
Le stress
4Habersaat (2013) rappelle que Robert Hooke (XVIIe siècle) utilisait déjà ce terme dans le domaine de la résistance de structures construites ; il distinguait alors la « charge » (load), c'est-à-dire les forces extérieures, le « stress » (la structure soumise à la charge) et la « pression » (strain), qui se réfère à la déformation causée par la charge. Dans cette première définition, la notion de stress subi implique des facteurs externes (load) et des conséquences internes (strain). L'utilisation métaphorique du terme dans une perspective psychologique est beaucoup plus récente et étroitement associée aux guerres du XXe siècle. Ainsi, le Shell Shock, état de décompensation chez les soldats du front durant la première guerre mondiale, était expliqué par des dommages cérébraux dus au bruit des bombes ; c'est durant la seconde guerre que l'armée américaine s'est intéressée à ce concept, en relation avec la santé et les performances des soldats. L'extension du concept dans un contexte médical et psychiatrique est associée à la guerre du Vietnam, lorsque le diagnostic d'« état de stress posttraumatique » a été décrit, en réponse aux revendications des vétérans : le diagnostic de PTSD a été introduit dans la troisième édition du DSM (American Psychiatric Association, 1980).
5Le concept de « stress » souffre d'ambiguïtés ; si l'on se réfère à la définition de Hooke, on confond souvent la « charge » (les conditions adverses), le « stress » lui-même (l'état du système, en l’occurrence l’état subjectif de la personne, la détresse), ainsi que la « pression » (la réponse du système, en l'occurrence l'activation du système nerveux autonome). Il est important de souligner que la réponse du système est de nature adaptative, destinée à la mobilisation des ressources de l'organisme. En effet, lorsqu’un individu est confronté à une situation adverse ou menaçante, l'une des réponses les plus évidentes de son organisme est l'activation de l'« axe HPA » (abréviation de « hypothalamique-pituitaire-adrénocortical » ; en raccourci, l'axe de la « réponse de stress »). Ses manifestations sont la libération d'un certain nombre d'hormones dans le cerveau (CRH, ACTH) et dans les fluides corporels par les glandes surrénales (glucocorticoïdes, ou cortisol). Le rôle du cortisol dans le corps est de préparer à une dépense importante d'énergie, en stimulant l'augmentation du glucose sanguin ; le cortisol inhibe également certaines réponses du système immunitaire.
6Dans le § ci-dessus peut-on avoir des datations précisées.
L'« hormone de stress »
7Le terme lui-même d’« hormone de stress » constitue un raccourci sémantique puisque l’on devrait parler d’une « hormone de résolution du stress » (Bustany [2]) ; cela dit, le taux de cortisol dans les fluides corporels, par exemple dans la salive, constitue un indicateur autant précieux que pratique de l'activation de l'axe HPA.
8Plusieurs chercheurs, dans le sillage de Spangler & Grossman (1993) ont montré que l'activation de l'axe HPA (cortisol salivaire) dans une situation menaçante était associée, chez l'enfant, à la qualité de ses relations d'attachement, c'est-à-dire à sa capacité de se sécuriser auprès d'une figure familière. On peut alors se demander comment opère l’interaction entre ces deux systèmes, le « système d'attachement » et le « système de stress ».
L'« hormone d’attachement »
9L'ocytocine (du grec « naissance rapide ») est parfois désignée – un peu rapidement – « hormone de l’attachement ». La raison est que cette hormone, sécrétée dans le cerveau par l’hypothalamus, est particulièrement associée aux comportements sociaux chez les mammifères ; plus précisément, elle est associée aux activités concernant la reproduction : donner et recevoir des soins (caregiving et caretaking), allaitement, intimité physique avec le partenaire chez les espèces monogames, entre autres. Sue Carter, pionnière dans ce domaine, a montré dans les années 1990 chez le campagnol des prairies – espèce monogame – que l'intimité physique avec le partenaire entraîne une sécrétion d’ocytocine dans le cerveau et que, réciproquement, l’injection d'ocytocine (cette hormone est synthétisée) dans le liquide céphalo-rachidien de ces animaux facilite le lien entre les partenaires (Carter, 1998).
10La suite des études dans ce domaine va montrer que l’interaction entre les hormones du stress et de l'attachement reflètent, confirment et précisent certains aspects de la théorie de John Bowlby.
L'hormone de l'attachement inhibe l’axe de stress
11Sue Carter, toujours chez le campagnol des prairies, a montré que l'injection d'ocytocine inhibe l'activité de l’axe HPA (en l’occurrence la sécrétion de corticostérone, équivalent du cortisol chez les campagnols). Mais la seconde partie de l'étude de Sue Carter est encore plus intéressante : on obtient la même inhibition de l’axe HPA lorsque l'on met en contact le campagnol avec son (sa) partenaire. En recoupant ces expériences, il apparaît que l'intimité relationnelle permet d'atténuer l'activité de l'axe de stress, et ceci grâce à la sécrétion de l'« hormone d'attachement ».
12Ces constats ont pu être reproduits chez les humains adultes. On le doit en grande partie aux travaux de Markus Heinrichs, dans une suite d’études (p. ex. Heinrichs, Meinlschmidt, Neumann, Wagner, Kirschbaum, Ehlert, & Hellhammer, 2001 ; Heinrichs, Baumgartner, Kirschbaum, & Ehlert, 2003 ; Heinrichs, von Dawans, & Domes, 2009) ; ces études utilisent un paradigme de stress psychosocial expérimental, le Trier Social Stress Test (TSST), imaginé par Kirschbaum, Pirke et Hellhammer (1993). Ce dispositif, que nous avons également utilisé dans la présente étude, est décrit dans la section Méthode. De nombreuses études ont montré que le TSST entraîne une élévation conséquente de l'activité de l'axe de stress – en l'occurrence une élévation du taux de cortisol dans la salive ; voir par exemple la revue de Kudielka, Hellhammer et Wüst (2009).
13Une manière de faire parvenir de l'ocytocine artificielle dans le cerveau est de la « sniffer » ; le passage vers le cerveau est plus direct que par une injection dans le circuit sanguin, et plus éthique que l'injection dans le liquide céphalorachidien, comme on peut le faire avec les campagnols. Lorsque Markus Heinrichs et ses collègues proposent au sujet de « sniffer » de l'ocytocine avant la passation du TSST et que, de surcroît, ils demandent à celui-ci de venir dans la salle d'expérimentation accompagné de sa/son partenaire, ils observent une atténuation significative de la réponse de stress (c’est-à-dire une moindre élévation du taux de cortisol dans la salive). L’apport d’ocytocine d'origine à la fois externe – le sniff et interne -la proximité du partenaire protégerait ainsi contre le stress (plus précisément atténuerait l’activité de l’axe HPA lors de l’exposition à une situation menaçante : Heinrichs et al., 2003).
14Lors d’une autre expérience, Markus Heinrichs et ses collègues (Heinrichs et al., 2001) ont proposé le TSST à deux groupes de jeunes mères allaitantes ; à celles du premier groupe ils leur ont demandé d'allaiter juste avant le TSST et à celles du second groupe de passer le TSST quelques heures après le dernier allaitement. On sait que le fait d'allaiter ainsi que l’intimité physique avec le bébé sont associés à une sécrétion d'ocytocine dans le cerveau ; plus besoin donc d'en « sniffer ». Le niveau de cortisol dans la salive des femmes du premier groupe s'est trouvé significativement inférieur à celui des femmes du second groupe. En résumé, la proximité physique tempère l'activité de l'axe HPA lors de l'exposition à une situation stressante, ceci très vraisemblablement par l'intermédiaire de l'« hormone d'attachement ».
15Tout s'emboîte harmonieusement et semble parfaitement compatible avec la théorie de l'attachement : l'ocytocine, « hormone d'attachement », est associée à un état apaisé, de bien-être (Uvnäs-Moberg, 1998), à l'intimité relationnelle, et elle entraîne une réduction de la production de l'« hormone de stress ». Or, comme souvent, la suite des études montre que les choses sont un peu plus compliquées qu'il n'y paraît.
Le stress stimulerait l’« hormone d'attachement »
16En 2000, Shelley Taylor, psychologue à Los Angeles, a publié avec ses collègues un article qui a fait date dans les milieux de l'éthologie, des neurosciences ainsi que dans le milieu féministe (Taylor, Klein, Lewis, Gruenewald, Gurung & Updegraff, 2000). On connaît l'adage fight or flight : face à des conditions adverses extrêmes, la réponse commune de l'animal est de combattre ou fuir (à quoi certains ajoutent un troisième « f » : freeze, comportement « gelé »). Mais là n'est pas la question. Shelley Taylor et al. suggèrent que la notion de fight or flight est en quelque sorte sexiste, centrée sur les mâles : ces comportements ne seraient pas forcément adéquats pour les femelles ; les auteurs proposent alors, en miroir, la notion de tend and befriend (prendre soin et resserrer les liens), réponse davantage adaptée pour les femelles, notamment lorsque celles-ci se trouvent dans une situation de reproduction (grossesse, soins aux jeunes). Afin de soutenir leur hypothèse, les auteurs proposent une série d'observations, qu'il n'est pas question de discuter ici. Ce qui nous intéresse est la partie de l’argumentation consacrée aux mécanismes supposés. Celle-ci repose sur le fait que les animaux, sous stress, auraient tendance à produire de l'ocytocine, autant les mâles que les femelles. Chez ces dernières, l’hormone déploierait tout son effet : comportements d'affiliation et de cohésion sociale avec les proches (en ce qui concerne les non familiers, il faut dire que l’injection d’ocytocine a été associée à des comportements d’agression défensive contre les intrus n’appartenant pas au groupe, voir par exemple Consiglio, Borsoi, Pereira, & Lucion, 2005). Par contre, l’effet de cette hormone serait diminué chez les mâles, du fait d'une sécrétion plus conséquente de testostérone, un antagoniste de l'ocytocine (alors que les œstrogènes en renforçaient au contraire les effets).
17Les hypothèses de Shelley Taylor reposaient sur des études réalisées avec des animaux ; qu'en est-il alors de l'humain ? Jusque-là, plusieurs travaux utilisant le TSST ont échoué à montrer une élévation du niveau d’ocytocine sous stress (par exemple Heinrichs et al., 2001 ; Taylor, Gonzaga, Klein, Hu, Greendale, & Seeman, 2006).
18 Nous avons proposé nous-mêmes une étude, dont l’un des objectifs était de tenter de mettre en évidence la possible élévation d’ocytocine sous stress au cours du TSST, en incluant des participants ayant une histoire particulière concernant le stress, et en envisageant de possibles différences interindividuelles, en l’occurrence le rôle de l’attachement. Nous relatons dans cet article les résultats de cette étude.
Méthode
Le Adult Attachment Interview
19 Le Adult Attachment Interview (AAI) est un entretien semi-structuré explorant les souvenirs d'enfance de la personne interrogée, plus particulièrement ses émotions associées aux figures d'attachement. Il s’agit donc d’accéder par un narratif autobiographique aux « modèles internes opérants » (Bowlby, 1982) de la personne ou, dit autrement, à son « état d'esprit » (Main, Hesse, & Goldwyn, 2008) à l'égard des relations d'attachement. Les personnes décrites comme « sécures » par Mary Main (Main & Goldwyn, 1997), élève de Bowlby et conceptrice de cet instrument, manifestent un accès aisé aux souvenirs, heureux ou malheureux, et sont à même d'en construire un narratif cohérent ; celles dites « insécures » ne montrent qu'un accès limité aux souvenirs de nature émotionnelle et en font un narratif certes cohérent, mais peu crédible (insécure-détaché), ou alors se montrent au contraire débordées par les émotions associées aux souvenirs de l'enfance (insécure préoccupé), avec un narratif chaotique et difficile à suivre. Certaines personnes enfin se montrent occasionnellement perturbées au cours de l’entretien au point de perdre le contrôle du discours, notamment lorsqu’il est question de l’évocation de moments particulièrement difficiles (insécure-désorganisé).
Le Trier Social Stress Test
20Le Trier Social Stress Test (TSST), du nom de la ville de Trêves où il a été imaginé par Kirschbaum et al. (1993) est une procédure consistant à demander à des personnes de se présenter pour un entretien factice d'embauche ; il s'agit en fait d'un jeu de rôle dans lequel deux compères, présentés comme experts en communication, reçoivent le pseudo-candidat, en blouse blanche et avec une attitude volontairement froide, qui n'est pas sans rappeler l'expérience du « visage impassible ».
21Cette procédure a été utilisée dans de très nombreuses études (voir par exemple Kudielka et al., 2009) et il a été démontré qu’elle constitue une procédure de choix pour étudier l’activation de l’axe HPA dans différentes populations adultes.
La mesure de l’ocytocine durant le TSST
22Chez l’humain, la mesure du niveau de sécrétion d’ocytocine dans le cerveau – qui plus est sous stress – est évidemment plus délicate que chez l’animal : il est évidemment exclu de prélever du liquide céphalorachidien, en soumettant de surcroît la personne à un stress expérimental. Avant la procédure TSST, nous avons posé un cathéter sur le bras du sujet de manière à prélever des échantillons sanguins à différents moments de l'expérience ; nous avons ensuite dosé ces échantillons pour l'ocytocine. Les taux de cette hormone relevés dans le sang – on parlera d’ocytocine périphérique – ne sont pas corrélés à 100 % à ceux présents dans le cerveau, toutefois de nombreuses études montrent l'existence d'une claire interaction entre les deux (par exemple, Insel, 2010).
Participants
23Cette étude comprend un sous-échantillon important de sujets adultes ayant été confrontés dans le passé à des événements potentiellement traumatisants, et de ce fait particulièrement susceptibles d’être sensibles au stress (voir par exemple Heim, Newport, Heit, Graham, Wilcox, Bonsall et al., 2000). L’échantillon comprend en effet, outre des sujets témoins, des sujets adultes ayant été exposés à trois types d’expériences potentiellement traumatiques durant l'enfance ou l'adolescence ou encore dans la période néonatale : abus sexuel dans l’enfance ou l’adolescence pour le sous-échantillon I, cancer de l’enfance pour le sous-échantillon II, grande prématurité pour le sous-échantillon III.
24Le sous-échantillon I est composé de personnes ayant subi un ou plusieurs abus sexuels pendant l'enfance et/ou l'adolescence ; les participants ont été recrutés dans des centres offrant une assistance anonyme aux adultes victimes d'abus, en Suisse francophone. 24 participants ont complété l’ensemble du protocole.
25Le sous-échantillon II est composé de 22 adultes ayant été traités pendant leur enfance dans les services onco-hématologiques pédiatriques des hôpitaux universitaires de Lausanne et de Genève (traitement pendant au moins cinq ans). Les participants des sous-échantillons I et II sont décrits plus en détail dans une publication antérieure (Pierrehumbert, Torrisi, Ansermet, Borghini & Halfon, 2012).
26Le sous-échantillon III est composé de 14 jeunes adultes nés grands- ou extrêmes-prématurés (25-32 semaines de gestation), sans séquelles répertoriées, ayant été hospitalisés dans l’unité de néonatologie de l’hôpital universitaire de Lausanne.
27Un sous-échantillon IV est composé de 40 adultes recrutés comme sujets témoins (n’ayant pas été exposé à une situation potentiellement traumatisante, à la connaissance de la personne) ; ces participants ont été recrutés par des publicités postées dans des centres commerciaux ou des centres communautaires.
28 Au total, les analyses présentées ici portent sur 100 participants, dont 40 témoins et 60 personnes ayant subi une forme de traumatisme potentiel dans l’enfance (abus, cancer, grande prématurité) ; l’échantillon complet est composé de 37 hommes et 63 femmes ; l’âge moyen est de 28 ans. Il s’agit donc d’un échantillon de convenance, hétérogène. Toutefois, la présence de sujets avec des traumatismes potentiels variés de l’enfance est intéressante puisque plusieurs études précédentes (par exemple, Heinrichs et al., 2001) ont échoué à montrer, sur des sujets non-cliniques, une élévation des taux d’ocytocine dans le TSST ; or, on peut supposer que chez des sujets ayant des antécédents de traumatismes passés, davantage susceptibles d'être sensibles au stress, les chances d’observer une élévation de l’ocytocine sous stress pourraient être meilleures.
29 Les données concernant les sous-échantillons I, II et partiellement IV ont fait l’objet de publications antérieures (Pierrehumbert, Torrisi, Laufer, Halfon, Ansermet, & Beck Popovic, 2010 ; Pierrehumbert et al., 2012). La présente publication inclut, de façon exclusive, l’échantillon complet de 100 participants.
Procédure
30La même procédure a été appliquée sur les 4 sous-échantillons. Les participants sont venus quatre fois au laboratoire. Un entretien préliminaire mené par un psychologue ou un psychiatre a été réalisé afin de vérifier que le sujet remplissait les critères d'inclusion, pour évaluer la présence éventuelle de critères d'exclusion (présence de symptômes psychopathologiques significatifs, troubles de l'alimentation, abus de substances, utilisation de psychotropes, grossesse) et pour estimer si la participation à l'étude pourrait être potentiellement dangereuse pour le sujet. Lors d’une seconde session, le AAI a été proposé. Le TSST a été réalisé dans une troisième session. Considérant les courbes circadiennes des indicateurs endocriniens, le TSST démarrait systématiquement à 14 heures ; les participants restaient pendant deux heures au laboratoire. À l’arrivée, un cathéter était inséré par une infirmière. Le TSST lui-même (10 minutes) avait lieu entre 45 et 55 minutes après l’arrivée au laboratoire. Trois échantillons de sang pour les analyses d’ocytocine étaient recueillis (une minute avant le TSST puis 1 et 20 mn après le TSST). Les tubes à essais étaient centrifugés et stockés à moins 80 °C jusqu'à leur envoi pour les analyses.
31La quatrième visite était une séance de « débriefing » avec le psychologue ou le psychiatre. En raison d'un impact significatif du cycle menstruel et des contraceptifs oraux sur les réponses au stress endocrinien, la session avec le TSST était reportée si nécessaire afin d’évaluer les femmes en phase lutéale ; en outre, les femmes sous contraceptifs oraux devaient cesser de prendre la pilule pendant toute la durée du cycle durant lequel se déroulait le TSST.
32 Les comités d'éthique pour la recherche clinique des hôpitaux universitaires de Lausanne et de Genève ont accepté la procédure. La participation était rémunérée.
Analyses
33La quantification radio-immunologique de l'ocytocine dans le plasma sanguin a été réalisée par l'université de Regensburg, en Allemagne (Dr Inga Neumann). Étant donné la forte asymétrie de l’histogramme des dosages d’ocytocine, les mesures brutes ont subi une transformation logarithmique avant analyse ; cette transformation est usuelle.
34 Pour des raisons pratiques, les échantillons ont été envoyés pour analyse en plusieurs lots. Des déviations de calibrage des mesures entre différents lots ont été observées. Afin de pouvoir intégrer les différents lots dans les analyses, les valeurs ont été réduites en scores T par lots afin d’éviter l’effet possible des lots.
35Les transcriptions des AAI ont été analysées par deux codeurs certifiés et fiables (R.M. et F.B.-S.), formés par Mary Main et Erik Hesse.
Résultats
36Dans une première série d’analyses sur les sous-échantillons I, II et en partie IV, notre équipe a pu confirmer que les humains sécrètent effectivement et significativement de l'ocytocine périphérique sous stress (Pierrehumbert et al., 2010).
37 Dans une seconde série d’analyses sur les mêmes sous-échantillons, nous avons ensuite trouvé de nouveaux éléments, amplifiant l'intérêt de ce premier constat. Nous avons cette fois pris en compte l’attachement du sujet (catégories du AAI). Nous avons trouvé que les personnes « sécures » sécrètent davantage d'ocytocine sous stress que les personnes insécures (détachées, préoccupées ou désorganisées), et ceci indépendamment de leur appartenance aux différents sous-échantillons de participants (traumatisme ou non) et indépendamment de leur sexe (Pierrehumbert et al., 2012).
38 Les analyses publiées ici en exclusivité ont été pratiquées sur un échantillon encore plus large, incluant le sous-échantillon III et le sous-échantillon IV complété, menant à un total de 100 participants. Le but était de valider sur cet échantillon plus large que les précédents, incluant des personnes exposées ou non à des situations potentiellement traumatisantes, le fait que l’ocytocine augmente bien sous stress. S’agissant de confirmer les résultats précédents, nous avons opté pour une statistique unilatérale.
39 L’analyse confirme effectivement les publications précédentes ( et Figure 1) : les personnes « sécures » produisent davantage d'ocytocine périphérique lors d’un stress psychosocial, relativement aux autres personnes. La différence « Sécure »-« Insécure » (toutes catégories insécures confondues) est de F (98, 1) = 3,03, p = 0,04 (test unilatéral).
Illustration de la table 1.
Illustration de la table 1.
Niveaux moyens (sur 3 mesures) d’ocytocine plasma sous stress (TSST), selon le type d’attachement (AAI) ; n = 100 sujets ; les niveaux d’ocytocine, après transformation logarithmique, sont exprimés sous le format de scores T.Figure 1. Illustration de la table 1.
Figure 1. Illustration de la table 1.
Discussion
Ocytocine et stress
40Nous avons trouvé une élévation du taux d’ocytocine sous stress chez les sujets humains. Certaines études réalisées par d’autres équipes avaient déjà tenté sans succès de montrer une telle élévation, également au cours du TSST. Si notre équipe a réussi là où d’autres avaient préalablement échoué, cela est vraisemblablement dû à l’hétérogénéité de nos échantillons, constitués notamment de personnes ayant subi des traumatismes de l’enfance. Il est possible que ces personnes, exagérément perturbées par des conditions stressantes, aient permis de constater un phénomène peut-être présent mais trop ténu pour être significatif chez des participants tout-venant. Ce qui aurait pu passer pour un biais méthodologique de notre étude – l’hétérogénéité de la population – se serait finalement révélé être un avantage.
Mimer la présence de l'autre
41Notre étude a été la première, déjà en 2010, à confirmer l’hypothèse de Taylor et al. (2000), appuyant la notion de tend and befriend, de l’existence d’une sécrétion d’ocytocine sous stress chez l’humain, du moins dans une situation de stress psychosocial. Dans notre étude toutefois nous n’avons pas été en mesure d’évaluer l’impact comportemental de cette sécrétion, respectivement chez l’homme et chez la femme. Nous avons également trouvé que les personnes « sécures » sont à même d'activer un système neuroendocrinien qui d'ordinaire est activé dans les situations d’intimité sociale. Ceci bien que ces personnes soient seules physiquement dans la situation de stress expérimental.
42 Nous pouvons alors concevoir l'hypothèse suivante : dans des conditions adverses, les personnes « sécures », à l'aise dans leurs émotions, en particulier celles associées aux figures d'attachement, seraient capables de « mimer » dans leur corps la présence de l'autre.
43 Produire de l'ocytocine sous stress pourrait avoir comme finalité adaptative de contribuer à la régulation de l'axe de stress. Il est alors remarquable que dans notre dispositif, où la personne vient seule, sans son partenaire, son bébé ou son parent, son corps est amené à se comporter « comme si » l'autre était présent.
44 Cette capacité remarquable confirme l'importance des fameux « modèles internes opérants » décrits par Bowlby (1982) ; ceux-ci se définissent comme une sorte d'« internalisation » des expériences de sécurité, permettant à l'individu de réguler ses émotions en l'absence de l'autre. L'endocrinologie rejoint, confirme et souligne ainsi la pertinence des intuitions du fondateur de la théorie de l'attachement.
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Mots-clés éditeurs : traumatisme, attachement adulte, réponse de stress, ocytocine
Date de mise en ligne : 16/01/2018
https://doi.org/10.3917/enf1.174.0429Notes
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[1]
Une version préalable de cet article a été publiée sous forme de chapitre dans un ouvrage collectif : Pierrehumbert, B., Brytek-Matera, A., Torrisi, R. (2015). Le stress : Ocytocine et attachement. In Boris Cyrulnik (éd.), Comment fonctionnent nos émotions ? Savigny-sur-Orge : Éd. Ph. Duval, pp. 93-101.
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[2]
Pierre Bustany, communication personnelle.