Enfance 2013/4 N° 4

Couverture de ENF1_134

Article de revue

Les conceptions de l’intelligence chez les élèves en fin du primaire en France

Pages 393 à 413

Notes

  • [1]
    Dans le cadre d’une étude pilote, effectuée auprès de 246 élèves de CM2 (issus de 12 autres classes), nous avions également envisagé la question de savoir si l’intelligence est perçue par les enfants comme modifiable sous l’influence de l’environnement (interaction avec autrui : adultes, enseignants, pairs) ; ceci sur la base des courants « socioconstructiviste » et « historico-culturel ». Les analyses factorielles exploratoires et confirmatoires n’ont pas abouti à une structure valide incluant des items ayant trait au l’influence de l’environnement (exemples d’items : « quand l’enfant discute avec l’adulte, il peut devenir plus intelligent » « les explications de l’enseignant permettent à l’enfant de devenir plus intelligent ».
  • [2]
    Une analyse préliminaire a montré que les corrélations inter-items des 2 des items (exemple d’item « quand on grandit, l’intelligence peut changer »), inclus dans la sous-dimension conception « malléable » de l’intelligence, sont très faibles (variant entre 0,07 et 0,19). Aussi, le coefficient de consistance interne, alpha de Cronbach, avait une valeur très basse en présence des items en question (0,45).

1. Introduction

1D’après le modèle motivationnel développé par Dweck et ses collaborateurs (Dweck, 1999 ; Dweck, 2010 ; Dweck & Bempechat, 1983 ; Dweck & Leggett, 1988), les conceptions que les élèves se font de l’intelligence, connues sous le terme « théories implicites de l’intelligence », exercent un pouvoir prédictif puissant sur les buts d’accomplissement qu’ils adoptent ainsi que sur la manière dont ils s’investissent dans les tâches scolaires et les réalisent. Selon ces auteurs, les élèves peuvent développer deux conceptions de l’intelligence : la théorie de l’entité selon laquelle l’intelligence est une capacité fixe et non contrôlable et la théorie incrémentielle, envisageant l’intelligence comme une qualité dynamique et améliorable grâce aux efforts fournis. Si les élèves adhèrent à la théorie de l’entité, considérant l’intelligence comme une capacité fixe et stable, ils auront tendance à interpréter leurs expériences scolaires comme révélatrices de leur potentiel et n’envisageront pas la poursuite de buts et de stratégies en vue d’accroître leurs connaissances, mais se focaliseront principalement sur la performance. En situation de réussite, ils s’estimeront « doués » et viseront des tâches qui leur permettent de faire la démonstration de leurs capacités. En situation d’échec, ils auront tendance à se sentir « nuls », voire « impuissants » et chercheront à éviter les tâches difficiles qui pourraient révéler leurs « incapacités » et faire l’objet d’un jugement négatif de la part de l’enseignant. À l’inverse, si les élèves souscrivent à la théorie incrémentielle et pensent que l’intelligence est une capacité qui peut évoluer, ils considéreront les apprentissages comme un moyen de développement ; par conséquent, ils ne craindront pas l’échec, ni même la dépréciation de la part de leurs enseignants et seront prêts à relever des défis.

2De nombreuses études, principalement anglo-saxonnes, s’interrogent sur le bien-fondé du modèle décrit ci-dessus. Un certain nombre d’entre elles le confirment, attestant que la manière dont les élèves envisagent la nature de l’intelligence est associée aux buts qu’ils adoptent ou encore qu’elle permet d’expliquer leurs orientations motivationnelles et leurs stratégies en cas d’échec et de réussite (Blackwell, Trzeniewski, & Dweck, 2007 ; Dweck, 1999 ; Dweck & Bempechat, 1983 ; Dweck, Chiu, & Hong, 1995 ; Henderson & Dweck, 1990 ; Hong, Chiu, Dweck, Lin, & Wan, 1999 ; Kinlaw & Kurtz-Costes, 2007 ; Mueller & Dweck, 1998 ; Nussbaum & Dweck, 2008). Cependant, d’autres investigations obtiennent des résultats moins consistants, ou encore, ne démontrent pas l’existence des liens de dépendance ou de causalité entre les différents construits mis en relation dans le modèle de Dweck et Leggett (1988), tels que les théories implicites de l’intelligence, les orientations motivationnelles (buts d’accomplissement, perceptions de son efficacité), les stratégies d’apprentissage et les performances scolaires. Ainsi, la recherche de Dupeyrat et Mariné (2005) ne valide que partiellement l’hypothèse du pouvoir prédictif des théories implicites de l’intelligence. Ces chercheurs constatent que les étudiants optant pour des buts d’apprentissage rejettent la conception « fixiste » de l’intelligence, mais n’adhèrent pas non plus à une conception incrémentielle. Quant aux buts de performance, ils ne sont déterminés de manière significative par aucune des deux théories de l’intelligence. Les résultats de l’étude de Vezeau, Bouffard et Dubois (2004) vont également dans ce sens, indiquant notamment que les buts de performance sont très faiblement liés aux deux conceptions de l’intelligence. Par ailleurs, les étudiants souscrivant à la conception dynamique sont plus susceptibles de poursuivre des buts d’apprentissage, mais d’autres paramètres (jugement d’utilité et perception de sa compétence) jouent un rôle plus important. Stipek et Gralinski (1996), quant à eux, observent que l’effet des croyances des élèves est peu médiatisé par les buts d’accomplissements et qu’elles peuvent exercer une influence directe sur leurs stratégies d’apprentissage et sur leurs performances scolaires. La recherche récente de Chen et Pajares (2010) met en évidence des résultats semblables en démontrant que l’impact des théories implicites de l’intelligence sur les performances scolaires en sciences est à la fois direct et indirect, mais qu’il est surtout médiatisé par les croyances épistémiques.

3La majorité des études obtenant des résultats inconsistants quant à l’influence des théories implicites de l’intelligence sur les orientations motivationnelles des élèves font également ressortir que celles-ci ont entre elles des relations qui sont, soit quasi nulles, soit négatives mais faibles. Autrement dit, un élève peut adhérer à la fois aux deux conceptions, alors que Dweck et ses collaborateurs postulent que l’accord avec l’une des croyances implique le désaccord avec l’autre et vice versa. Pour Dweck et ses collaborateurs, les deux conceptions de l’intelligence doivent être considérées comme dichotomiques, c’est-à-dire mutuellement exclusives, constituant du point de vue métrique les deux extrémités d’un continuum. Les recherches récentes ayant examiné les relations entre les deux théories implicites, supposées être antagonistes, aboutissent à des résultats divergents. Ainsi, Chen et Pajares (2010) trouvent une corrélation négative d’ampleur importante (-0,52, p < 0,001) entre les deux théories implicites, ce qui tend donc à démontrer leur caractère opposé. En revanche, la recherche de Da Fonseca, Schiano-Lomoriello, Cury, Poinso, Rufo et Therme (2007), portant sur trois échantillons différents d’élèves du secondaire inférieur en France, aboutit à des corrélations négatives mais très faibles entre les deux théories implicites de l’intelligence (variant entre -0,15 et -0,17), ce qui amène les chercheurs à s’interroger sur leur caractère mutuellement exclusif. On peut penser que, dès lors que les deux conceptions de l’intelligence ne sont pas antagonistes comme c’est le cas dans la recherche de Da Fonseca et al. (2007), il n’est pas surprenant de constater que l’impact des théories de l’intelligence est difficile à établir.

4Vezeau et al. (2004) avancent deux raisons pour expliquer la difficulté de mettre en évidence le rôle des théories implicites de l’intelligence dans la dynamique motivationnelle des élèves : l’une met en cause la conceptualisation de ces théories par Dweck et Leggett (1988) et l’autre leur opérationnalisation et, donc, leurs mesures. Du point de vue théorique, Vezeau et al. (2004) évoquent un problème de contenu et estiment que la conceptualisation de Dweck et Leggett (1988) reste très générale et ne tient pas compte de ce que le concept d’intelligence renvoie à plusieurs capacités mentales, telles que la capacité de compréhension, de vitesse, de traitement d’information, de mémorisation, etc. Rappelons, en effet, que Dweck et Leggett (1988) partent d’une hypothèse générale concernant la manière de percevoir le caractère (malléable ou fixe) de différentes capacités humaines ; cette hypothèse générale, ils l’appliquent à l’intelligence. Sur le plan méthodologique, Vezeau et al. (2004) considèrent que l’inconsistance des résultats des recherches évoquées précédemment peut s’expliquer par la variabilité des mesures utilisées pour appréhender les croyances concernant l’intelligence. Les premiers questionnaires élaborés comportent des questions à choix forcé ou phrases en paire mettant l’accent soit sur la dimension statique, soit sur la dimension dynamique (Bempechat, London, & Dweck, 1991 ; Braten & Olaussen, 1998). D’autres instruments comportent uniquement des énoncées ayant trait à la conception statique (Dupeyrat & Escribe, 2000 ; Henderson & Dweck, 1990). Ces dernières années, les échelles qui se sont développées permettent d’estimer le degré d’adhésion des élèves, soit à l’une, soit à l’autre conception. Ceci constitue assurément une avancée. Cependant, il nous semble qu’un autre problème persiste, qui concerne la formulation de certains énoncés. Par exemple, l’échelle élaborée par Da Fonseca et al. (2007), en s’inspirant de l’échelle de Dweck (1999), une des rares en langue française en vue de valider la structure des deux théories implicites des élèves, se compose d’items, parmi lesquels certains permettent d’appréhender ce que l’élève pense de l’intelligence de manière générale et d’autres, ce qu’il pense de « son intelligence ». Ainsi, la formulation d’un item qui renvoie à une croyance d’ordre général se présente comme suit : « le niveau d’intelligence change peu même si on fait des efforts » ; et celle d’un item qui considère l’intelligence comme une qualité personnelle comme : « ton intelligence s’améliore obligatoirement en travaillant ». Selon nous, cette opérationnalisation qui ne distingue pas la perception relative à soi-même de la perception d’une qualité de manière générale, pose un problème méthodologique que les futurs travaux devraient prendre en compte.

5La nature controversée des résultats relatifs au modèle de Dweck et Leggett (1988), plus particulièrement concernant le lien entre les deux conceptions de l’intelligence et leur rôle dans la dynamique motivationnelle des élèves, ainsi que le problème méthodologique inhérent à certains instruments de mesure justifient que l’on reconsidère tant la conceptualisation générale invoquée que sa mesure. C’est l’objectif principal du présent article qui s’inscrit donc dans la foulée de la réflexion critique de Vezeau et al. (2004).

2. Hypothèses

6Afin de cerner les croyances des élèves relatives à l’intelligence et mettre en évidence leur caractère opposé ou non, il nous semble nécessaire de s’intéresser tant à leur diversité qu’à leur structuration. Il s’agit donc pour nous de tenter d’identifier quelles sont les croyances des élèves concernant l’intelligence ainsi que de cerner leurs articulations. Complémentairement, il s’agira de déterminer comment les élèves se positionnent ou autrement dit dans quelle mesure ils adhèrent aux diverses croyances distinguées, en opposition ou en concomitance. Pour pouvoir répondre à toutes ces interrogations, nous adopterons en définitive deux stratégies d’analyses :

  • - la première s’intéressera aux variables et examinera la structure factorielle des conceptions et leurs corrélations, ainsi que la consistance interne de chaque facteur ;
  • - la seconde se focalisera sur les individus afin d’identifier des profils d’élèves selon leur adhésion plus ou moins forte aux conceptions de l’intelligence distinguées dans la première phase d’analyse.

7Pour étudier les conceptions des élèves et leurs postures face à la notion d’intelligence, nous prenons ancrage dans la conceptualisation de Dweck (1999) selon laquelle l’intelligence serait perçue de deux manières distinctes qui attribueraient un rôle différent à l’effort et avançons les hypothèses suivantes :

  • - H1 : Les conceptions « fixiste » et « malléable » de l’intelligence s’articulent de manière opposée ;
  • - H2 : Les élèves qui perçoivent l’intelligence comme une capacité immuable et statique, ont tendance à ne pas prendre en considération l’importance de l’effort ;
  • - H3 : Les élèves qui perçoivent l’intelligence comme une qualité qui peut évoluer, considèrent que l’effort et le travail sont sources de développement1.

8En nous inspirant d’autres [1] modèles théoriques, notamment celui qui reconnaît la nature multidimensionnelle de l’intelligence (voir le modèle de synthèse de Carroll, 1993) et celui qui considère que la perception des capacités intellectuelles (Schommer, 1990) est associée à la perception de la capacité et de la vitesse d’apprentissage, nous pensons que des élèves, même jeunes, en tout cas en fin de primaire, commencent à percevoir non seulement le caractère stable ou évolutif de l’intelligence et ses liens avec l’effort, mais également sa nature et ses liens avec d’autres capacités. Ceci nous conduit à formuler une hypothèse complémentaire, également en accord avec les remarques de Vezeau et al. (2004) :

  • - H4 : Certains élèves conçoivent l’intelligence comme la capacité de comprendre rapidement et, par conséquent, pensent que les plus intelligents ont moins d’efforts à consentir pour apprendre.

9Par ailleurs, en s’appuyant sur les travaux suggérant que l’appartenance sociale (Croizet, Désert, Dutrevis, & Leyens, 2003 ; Souchal & Toczek, 2010) et les feedbacks et jugements scolaires (Butler, 2000, Dweck, 2010) influencent les théories que les élèves élaborent à propos de l’intelligence, nous avançons une dernière hypothèse :

  • - H5 : Les élèves d’origine socio-économique défavorisée et de faible niveau scolaire souscrivent davantage à une conception stable et fixiste de l’intelligence ; à l’inverse, les élèves d’origine socio-économique favorisée et ayant un bon niveau scolaire envisagent davantage l’intelligence comme une qualité dynamique et malléable.

3. Méthodologie

3.1. Échantillon

10 L’étude a été effectuée auprès de 1 112 élèves (49,6 % de filles et 50,4 % de garçons) scolarisés en CM2 (dernière année du primaire). Leur âge varie entre 9 et 11 ans (M = 10,67 ans, ET = 0,66). Les élèves étaient issus de 50 classes de CM 2 (5e primaire) réparties dans trente-neuf écoles primaires, situées dans trois circonscriptions du département de la Haute-Savoie en France. Les classes comptaient entre 16 et 29 élèves.

3.2. Instrument de mesure

11Nous avons soumis aux élèves un questionnaire composé de propositions permettant d’appréhender leur adhésion à diverses conceptions de l’intelligence, plus quelques questions portant sur leur appartenance socio-économique et sexe. Nous nous sommes adressés aux enseignants pour estimer leur niveau scolaire.

12 Comme nous l’avons précisé précédemment, pour explorer les conceptions qu’ont les élèves de l’intelligence, nous nous appuyons sur la conceptualisation développée par Dweck (1999), mais également sur le modèle de Schommer (1990) sur les croyances épistémiques et sur celui de Carroll (1993) qui considère l’intelligence comme un concept multidimensionnel. Nous supposons donc que les élèves en fin du primaire peuvent percevoir l’intelligence, d’une part, du point de vue de son caractère malléable ou stable, et d’autre part du point de vue de ses liens avec la notion d’effort et de compréhension, en particulier en rapport avec la rapidité de compréhension. Au départ, nous avons soumis un questionnaire, composé de quatorze itemsqui permettent d’évaluer ce que pensent les élèves de l’intelligence de manière générale, sans jamais évoquer « leur » intelligence afin d’éviter l’équivoque dénoncée ci-dessus à propos de l’étude de Da Fonseca et al. (2007). Citems se répartissent dans deux domaines théoriques :

13Le premier domaine thématique repose sur la théorie de Dweck (1999) et traite la question de la perception de l’origine de l’intelligence. Selon cette conceptualisation, certains élèves perçoivent l’intelligence comme ayant un caractère héréditaire et stable tandis que d’autres considèrent qu’elle se développe et change. Dans le premier cas, l’effort sera perçu comme inutile alors que, dans le second, il contribuera à l’évolution de l’intelligence. Pour évaluer dans quelle mesure les élèves s’accordent avec ces conceptions, nous avons distingué deux dimensions :

  • - la première dimension renvoie à deux conceptions opposées de l’intelligence : d’une part à la conception « fixiste » (4 items, soit les items 3, 6, 8 et 9, voir les statistiques descriptives dans le ) et à la conception « malléable » (2 items, soit les items 4 et 12)2;
  • - la seconde dimension se compose de 3 items (soit les items 2, 5 et 11) véhiculant l’idée de l’utilité de l’effort.
Tableau 1

Statistiques descriptives

tableau im1

Statistiques descriptives

14Le second domaine [2] thématique s’inspire des modèles de Schommer (1990) et de Carroll (1993), plus particulièrement de l’idée que l’intelligence peut être perçue en lien étroit avec la vitesse de traitement cognitif. Elle se compose de trois items (1, 7 et 10) permettant de voir dans quelle mesure les élèves adhèrent ou non à une conception de l’intelligence se caractérisant par la rapidité de compréhension.

15 Les items que nous avons formulés forment une échelle de type Likert, en 4 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 4 (tout à fait d’accord). Notre choix s’est volontairement porté sur une échelle en quatre points afin de permettre aux jeunes d’adhérer ou de rejeter les items, retirant ainsi la possibilité de se réfugier dans une position centrale et neutre (Offer, Ostrov & Howard, 1981). Par conséquent, lorsque la moyenne relative à un item est inférieure à 2, cela signifie que les élèves se sont exprimés en moyenne contre la proposition correspondante ; à l’opposé, lorsque la moyenne est supérieure à 2, cela signifie que les élèves se sont exprimés en moyenne en faveur de la proposition correspondante.

16Concernant le niveau scolaire des élèves, nous nous sommes basés sur le jugement exprimé par l’enseignant de la classe sur la valeur scolaire des élèves sur une échelle allant de 1 (très faible) à 4 (très bon). À partir de leurs réponses, nous avons créé un indicateur de jugement scolaire correspondant à une échelle de 1 à 4 (1 correspondant à un niveau « très faible » ; 2 à un niveau « faible » ; 3 à un « bon » niveau et 4 à un « très bon » niveau). Nous avons également créé un indicateur pour l’appartenance socio-économique. En fonction des réponses des élèves concernant le métier exercé par leur père et sur la base de la classification de l’Insee des catégories socioprofessionnelles, nous avons affilié chaque élève à l’une des catégories suivantes : « autre » (sans profession et au chômage) ; ouvrier ; employé ; profession intermédiaire ; cadre supérieur ; agriculteur.

3.3. Procédure

17Nous avons demandé une autorisation auprès de l’Inspection Départementale de l’Éducation. Les passations des questionnaires se sont déroulées en présence de la chercheuse, de manière collective et anonyme, en salle de classe durant les heures scolaires. En début de chaque séance, la chercheuse présentait aux élèves les consignes et l’objet de l’étude, leur assurait qu’il n’y avait ni bonnes ni mauvaises réponses et précisait qu’ils étaient libres de répondre au questionnaire. Au besoin, pendant la passation, elle répondait en privé aux questions des élèves.

4. Analyse des données et résultats

18Afin d’identifier la structure des conceptions et leurs articulations, les données recueillies à l’aide du questionnaire ont d’abord été soumises à des analyses descriptives (distribution des items, degré d’asymétrie et d’aplatissement) et à des analyses factorielles exploratoires avec rotation oblique. Ensuite, pour tester la validité de la structure identifiée, nous avons conduit une analyse factorielle confirmatoire. Des analyses de variance ont également été conduites pour vérifier l’effet de l’appartenance sociale, du niveau scolaire des élèves, ainsi que de leur sexe sur leurs croyances.

19Pour mettre en évidence des profils d’élèves selon leur conception de l’intelligence nous nous sommes intéressés aux individus et avons réalisé des analyses en cluster. Les résultats seront présentés en suivant les hypothèses formulées ci-dessus.

4.1. Identification de la structure des conceptions de l’intelligence

20L’analyse descriptive de la distribution des fréquences relatives aux items (voir le ) composant l’échelle adressée aux élèves a révélé que l’item 2 présente un effet de plafonnement très important (moyenne de 3,89 et indice d’asymétrie de -4,22), indiquant donc une adhésion massive à cette proposition mettant en avant l’importance des efforts fournis. Sans pouvoir discriminatif, cet item a été exclu des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires (qui ont donc porté sur 11 items au total) ; il ne sera cependant pas oublié lors de l’interprétation générale des résultats, vu l’adhésion générale des élèves à l’idée que l’effort est nécessaire à la réussite scolaire.

21 L’analyse factorielle exploratoire finale a produit une solution à 2 facteurs. Elle explique en tout 59,38 % de la variance totale observée. Les valeurs de l’indice de Kaiser, Meyer et Olkin (0,85) et du test de sphéricité de Bartlett (χ2 (28) = 4 535,88, p < 0,001) montrent que les données forment un ensemble cohérent et adéquat et que la structure factorielle extraite peut être acceptée. Les sept items saturant l’un ou l’autre facteur présentent un poids factoriel élevé (voir le ). Trois items présentant un poids factoriel très faible (moins de 0,30) ont été exclus des analyses successives (le 7e, 10e et 11e).

Tableau 2

Analyse factorielle des conceptions de l’intelligence des élèves

tableau im2

Analyse factorielle des conceptions de l’intelligence des élèves

22Le premier facteur explique une part très importante de la variance totale, à savoir 46,86 %. Il s’organise autour des quatre items selon lesquels l’intelligence serait à la fois fixée à la naissance, et deux autres estimant plutôt qu’elle a un caractère évolutif. Il apparaît donc comme un facteur opposant deux conceptions concernant l’origine et le caractère de l’intelligence : l’une « fixiste » et l’autre malléable. D’un côté, il y a les items soutenant l’idée que les enfants naissent avec des aptitudes différentes qui ne se modifient pas plus tard et, de l’autre côté, il y a les items qui reflètent l’idée que l’intelligence est la même pour tous à la naissance et qu’elle peut changer plus tard. Cette manière binaire de concevoir l’intelligence rejoint la conception bipolaire de Dweck selon laquelle les élèves considèrent l’intelligence soit comme un trait statique, soit comme une aptitude dynamique qui peut se modifier et confirme l’hypothèse 1. Par conséquent, on peut nommer ce facteur bipolaire « origine fixiste ou acquise de l’intelligence ». La consistance interne des deux dimensions est bonne, l’alpha de Cronbach étant respectivement de 0,88 pour la première, de type « stable », et de 0,85 pour la seconde, qualifiée comme « malléable ». Ceci atteste donc de l’homogénéité des deux dimensions.

23Le second facteur couvre 12,53 % de la variance et réunit deux items : un, selon lequel les élèves intelligents n’ont pas besoin de beaucoup d’explication pour comprendre et un autre qui considère que ces mêmes élèves n’ont pas besoin de faire des efforts pour réussir. À première vue, ce facteur dont la cohérence interne est acceptable (l’alpha de Cronbach est de 0,68), paraît véhiculer l’idée selon laquelle l’intelligence serait considérée par les élèves comme une aptitude caractérisée par la facilité de compréhension et la capacité de réussir sans effort. Il faut cependant rester prudent dans l’interprétation de ce facteur qui est composé de deux items seulement dont l’un a une moyenne de 1,77 (item 5). Par ailleurs, parmi les items qui n’apparaissent pas dans la structure factorielle, on trouve :

  • - les items 2 et 11, qui sont liés au rôle de l’effort dans la réussite scolaire et dont les moyennes sont élevées (respectivement, 3,89 et 3,53), ce qui indique une adhésion massive ;
  • - les items 7 et 10, dont la formulation lie le plus clairement intelligence et rapidité de compréhension et dont les moyennes sont également élevées (respectivement : 3,01 et 2,95), indiquant une large adhésion.

24Ainsi, parmi les trois items ciblant la vitesse de traitement cognitif et le rôle de l’effort dans la réussite, seul l’item 1 (avec une moyenne de 2,41) se retrouve dans le facteur 2. Or, celui-ci souligne davantage le besoin d’explications dont les plus intelligents auraient moins besoin que la rapidité de compréhension. Ceci laisse supposer que c’est le besoin d’aide qui est significatif dans l’apparition de cet item dans le facteur 2. Selon nous, pour bien interpréter ce facteur, il importe également de remarquer que l’item 5 partage un même début de formulation avec l’item 1 : « les élèves intelligents n’ont pas besoin de travailler beaucoup pour réussir », idée avec laquelle une majorité est en désaccord (la moyenne est inférieure à 2). Cette formulation distingue cet item 5 de l’item 2 (« Même quand on est intelligent, il faut travailler pour réussir à l’école ») et de l’item 11 (« Quand on est moins intelligent, il faut faire plus d’effort pour réussir »). Ces deux items contiennent la locution « il faut » qui peut être comprise comme indiquant un impératif moral. En définitive, il n’est pas impossible que les élèves considèrent qu’effectivement, les élèves intelligents ont besoin de travailler pour réussir (item 5), mais surtout il est souhaitable et/ou recommandable qu’ils le fassent. Quant aux élèves moins intelligents, il serait assurément souhaitable et recommandable qu’ils le fassent (item 11). Quant au facteur 2, il signifie que, selon les élèves interrogés, les plus intelligents d’entre eux n’ont pas besoin de recevoir beaucoup d’explications pour comprendre, ce qui ne les dispense pas de travailler pour réussir.

25Notons encore que la corrélation entre les deux facteurs est positive mais très faible (r = 0,10**, p < 0,01), ce qui indique plutôt leur indépendance.

26Ces différents résultats ne permettent pas de conforter les hypothèses 2 et 3, fondées sur la théorie de Dweck (1999) stipulant que la conception fixiste de l’intelligence serait liée à une perception négative de l’effort et à l’inverse que la conception malléable serait associée à une vision positive de l’effort. Prenant en considération, les moyennes élevées des items 2 et 11, il est tentant de conclure que, pour la majorité des élèves de l’échantillon, l’effort est reconnu comme important ou, en tout cas, souhaitable pour réussir à l’école, et ceci quelle que soit leur conception de l’intelligence.

27Enfin, concernant l’hypothèse 4, il est difficile de se prononcer. En effet, les deux items (7 et 10) dont la formulation lie le plus clairement intelligence et rapidité de compréhension et ayant les moyennes les plus élevées, sont exclus de la structure factorielle.

4.2. Effets du jugement scolaire, du sexe et de l’appartenance sociale sur la manière de concevoir l’intelligence

28Pour examiner l’influence du jugement scolaire, du sexe et de l’origine socio-économique des élèves sur la manière dont ils conçoivent l’intelligence, nous avons réalisé des analyses de variance. Celles-ci révèlent que le jugement scolaire exerce un effet sur la manière dont les élèves conçoivent l’intelligence, mais les différences significatives concernent seulement deux groupes d’élèves (voir le ) : par rapport aux élèves « très bons », les élèves « très faibles » rapportent des scores plus élevés sur le facteur 1 ce qui veut dire qu’ils adoptent davantage une conception fixiste (F = (3, 1 088) = 4,10, p < 0,01). Par ailleurs, ces mêmes élèves rapportent également des scores plus élevés aussi sur le 2e facteur par rapport aux groupes des « très bons » et pensent donc que les élèves intelligents n’ont pas besoin de beaucoup d’aide pour comprendre (F = (3, 1 088) = 2,29, p < 0,01). Il faut cependant interpréter ces résultats avec prudence puisque les tailles de l’effet taille sont faibles (voir le tableau 3).

Tableau 3

effet du jugement scolaire sur les conceptions de l’intelligence

tableau im3

effet du jugement scolaire sur les conceptions de l’intelligence

29 Concernant le sexe, des différences ont été constatées concernant le second facteur (voir le Tableau 4) : les filles estiment davantage que l’effort et les explications pour comprendre sont importants et contrôlent l’intelligence. Nous reviendrons dans la discussion sur ce résultat intéressant.

Tableau 4

effet du sexe sur les conceptions de l’intelligence

tableau im4

effet du sexe sur les conceptions de l’intelligence

30 De même, un effet de l’appartenance sociale apparaît en ce qui concerne le facteur 2 et concerne seulement deux catégories d’élèves : « employé » et « cadre supérieur » (voir le tableau 5). Les élèves dont les pères sont employés, ont tendance à penser que lorsqu’on est intelligent, il n’est pas nécessaire de recevoir beaucoup d’explications avant de comprendre (F = (5, 1 086) = 2,70, p = 0,02) alors que les élèves de la catégorie « cadre supérieur » ont tendance à rapporter le contraire. Il faut à nouveau interpréter ces résultats avec précaution puisque les tailles d’effet-taille sont extrêmement faibles.

Tableau 5

Effet de la catégorie socioprofessionnelle du père sur les conceptions de l’intelligence

tableau im5

Effet de la catégorie socioprofessionnelle du père sur les conceptions de l’intelligence

31 Partant de ces constats, il semble que notre hypothèse 5 n’est que partiellement validée. L’appartenance sociale semble peu affecter la perception de l’intelligence. Celle-ci a principalement tendance à se différencier en fonction du jugement scolaire. Les élèves dont les enseignants estiment comme ayant un très faible niveau scolaire souscrivent davantage à une conception stable et fixiste de l’intelligence ; à l’inverse, les élèves ayant un bon niveau scolaire envisagent davantage l’intelligence comme une qualité dynamique et malléable.

4.3. Validation de la structure des conceptions de l’intelligence

32L’analyse factorielle confirmatoire a porté sur la structure bi-factorielle des conceptions de l’intelligence que nous avons identifiée. L’estimation de la qualité du modèle testé a été réalisée sur la base de trois indices d’ajustement : absolu, comparatif et de parcimonie. L’indice d’ajustement absolu concerne le Chi-deux qui serait nul si le modèle s’ajuste parfaitement aux données ; l’indice d’ajustement comparatif CFI montre si la structure s’ajuste bien aux données (il doit être au moins égal à 0,90) ; et l’indice d’ajustement de parcimonie RMSEA indique un bon ajustement s’il ne dépasse pas 0, 05. Les valeurs de ces indices estimés pour le modèle testé montre que celui-ci présente de bonnes qualités (le Chi-deux (dl = 12) = 46,99 ; RMSEA = 0,05 ; CFI = 0, 99). Il importe de mentionner que la qualité de ce modèle a été obtenue en acceptant 2 covariances d’erreur entre les items du premier facteur qui recouvrent des réalités communes : par exemple, d’une part entre les items qui mettent l’accent sur le caractère héréditaire de l’intelligence et d’autre part, entre les deux items focalisant sur l’aspect évolutif. L’analyse confirmatoire met également en évidence que les deux facteurs sont très faiblement liés entre eux (r = 0,10).

4.4. Identification de profils d’élèves eu égard à leurs conceptions de l’intelligence

33Une fois les croyances des élèves à l’égard de l’intelligence identifiées, le second objectif de cette recherche consistait à explorer leur positionnement face à chacune des croyances et identifier des profils de conceptions. Pour ce faire, nous avons procédé à des analyses en cluster (analyse hiérarchique et de K-moyenne) à partir des scores factoriels. Ces analyses ont fait apparaître 3 groupes d’élèves présentant des scores contrastés sur les deux facteurs.

34 Comme on peut le constater sur la figure 1, le groupe majoritaire, composé de 491 élèves, rapporte des scores négatifs sur les deux facteurs ; ceux-ci sont particulièrement bas en ce qui concerne le facteur 1 « origine » de l’intelligence et plus près du 0 (-0,11) en ce qui concerne le facteur 2 « besoin d’effort et non besoin d’explications pour les élèves intelligents ». C’est donc un groupe qui se caractérise par une adhésion forte à la conception « malléable » de l’intelligence et a une position plutôt « neutre » face à l’idée que « les élèves intelligents n’ont pas besoin d’aide pour comprendre » mais doivent tout de même consentir des efforts pour réussir (facteur 2). Les deux autres groupes affichent des scores élevés pour le premier facteur ce qui montre l’adhésion des élèves appartenant à ces deux groupes à la conception fixiste. La différence entre le 2e et le 3e groupe est au niveau du facteur 2. Le deuxième groupe (n = 360), présente des scores négatifs en relation avec ce second facteur, tandis que le troisième (n = 241) a des scores élevés à cet égard. Le groupe 2 estime que les élèves intelligents ont besoin de fournir des efforts pour réussir mais ils n’ont besoin d’aide pour comprendre, tandis que les élèves du groupe 3 affiche le positionnement contraire, c’est-à-dire que les élèves intelligents n’ont pas besoin de consentir beaucoup d’efforts mais besoin d’explications pour comprendre.

Figure 1. Profils d’élèves face aux conceptions de l’intelligence

tableau im6

Figure 1. Profils d’élèves face aux conceptions de l’intelligence

35 Ces résultats ne confortent que partiellement nos hypothèses 2 et 3 et ne vont pas complètement dans le sens de la théorie de Dweck (1999) selon laquelle les élèves percevant l’intelligence comme une qualité stable et définitive attribueraient peu de valeur à l’effort. Comme on a pu le constater, ceci est valable pour certains élèves, notamment ceux du profil 3, mais pas pour tous. Pour la majorité des élèves, la perception du caractère stable ou acquis de l’intelligence s’accompagne de positions mitigées quant à la perception de l’utilité de l’effort et le besoin d’explications. Les relations entre ces aspects semblent être plus complexes que celles envisagées dans le modèle de Dweck (1999).

5. Discussion et conclusion

36 Les théories implicites de l’intelligence que les élèves peuvent adopter ainsi que leurs effets sur leur comportement scolaire ont fait l’objet de nombreuses études, réalisées principalement dans le monde anglo-saxon, et ciblant les élèves du secondaire ou les étudiants universitaires. Pour notre part, notre recherche s’est centrée sur les élèves plus jeunes, notamment en fin du primaire, car l’aptitude ou la notion de l’intelligence est de plus en plus évoquée dans le discours des enseignants et des parents, dès l’école élémentaire, pour expliquer la réussite ou l’échec des enfants (Croiset & Neuville, 2004). Par conséquent, même les jeunes élèves commencent à attribuer de l’importance et signification à cette notion. Partant de ces constats, nous avons considéré qu’en fin de primaire, les enfants ont déjà pu accumuler une expérience scolaire riche qui leur permet de se former des visions diverses de l’intelligence et d’adopter des postures différentes.

37 Les analyses factorielles ont mis en évidence que les élèves considèrent l’intelligence soit comme une caractéristique dispositionnelle et stable, soit comme une qualité qui se développe. Dans ce sens, nos résultats confortent le postulat de Dweck et Leggett (1988) selon lequel les deux théories implicites de l’intelligence ne peuvent exister dans l’esprit des élèves de manière simultanée. En tout cas, c’est ce que déclarent les élèves français de notre échantillon. En d’autres termes, les élèves en fin de primaire en France s’expriment de manière assez tranchée sur le caractère stable/malléable de l’intelligence. Ces résultats diffèrent de ceux de la recherche de Da Fonseca et al. (2007), l’une des rares, réalisée également en France mais auprès des élèves du secondaire inférieur, donc plus âgés (de 11 à 16 ans). Ces auteurs avaient démontré l’existence de deux conceptions (statique/dynamique), mais étant faiblement liées, ce qui veut dire qu’elles peuvent être adoptées par la même personne. Une interprétation possible de ce constat est d’avancer l’hypothèse que les adolescents, à la différence des élèves plus jeunes, élaborent des conceptions plus complexes et plus nuancées de l’aptitude et ceci pouvant dépendre de disciplines ou de tâches scolaires, de plus en plus différenciées. Par exemple, un élève du secondaire pourrait penser qu’ils existent des intelligences multiples et différents éléments contribuant au développement. Le questionnaire élaboré par ces auteurs ne comporte pas d’énoncés permettant de répondre à ces questions. Par ailleurs, celui-ci est différent du nôtre. Pour ces raisons, il est difficile d’aboutir à une conclusion définitive. Ce que l’on peut, en revanche, retenir de notre recherche, est le fait que les enfants en fin du primaire, différencient et opposent clairement les deux conceptions en question.

38 Nos résultats ont fait également ressortir que les élèves en fin de primaire peuvent se former une troisième conception se rapportant à l’idée qu’il faut travailler pour réussir, même lorsqu’on est intelligent et, a fortiori, lorsqu’on l’est moins. Cette conception reste tout de même plus délicate à interpréter car elle rassemble un item stipulant que « les élèves intelligents n’ont pas besoin de travailler beaucoup pour réussir », par rapport auquel les élèves interrogés s’expriment en désaccord, et un item affirmant que « les élèves intelligents n’ont pas besoin de beaucoup d’explications pour comprendre », par rapport auquel les élèves interrogés expriment leur accord. Quoi qu’il en soit, ces propos laissent entrevoir que les élèves en fin de primaire commencent à associer l’intelligence aux notions de compréhension et d’effort et ne l’envisagent pas seulement sous le prisme de son caractère stable ou malléable. Dans ce sens, l’apport de notre recherche est important : la majorité des précédentes recherches étudiait les conceptions de l’intelligence des élèves en âge scolaire en se basant uniquement sur la théorie de Dweck (1999), c’est-à-dire du point de vue de son caractère immuable ou modifiable. Ce résultat est également intéressant car il laisse penser que le travail et l’effort – valeurs importantes dans notre société sont bien véhiculées à l’école et intériorisées par les élèves. Entendre des parents ou des enseignants dire « cet élève a des facilités ou bien il comprend vite » ou encore « celui-ci est lent ou ne fournit pas assez d’efforts », semble affecter les élèves du primaire, comme cela a été soutenu par Croizet et Neuville (2004). Nous pouvons à partir de là faire l’hypothèse que les commentaires des parents et les évaluations des enseignants contribuent à la formation de cette conception.

39 Par ailleurs, en mettant en évidence trois profils d’élèves, les analyses par cluster confirment l’existence des trois conceptions ressorties à travers l’analyse factorielle et montrent comment les élèves les combinent. Près de la moitié des élèves interrogés (491 sur 1 112) ont de l’intelligence une conception malléable et ne se prononcent pas de manière très tranchée quant à l’idée que les élèves intelligents ont besoin de peu d’explications pour comprendre et de faire des efforts pour réussir. Les autres élèves, soit 601 sur 1112, donc la majorité, ont une conception fixiste de l’intelligence. Ce résultat est fort intéressant et montre le bien-fondé de l’idée qu’avancent Croiset et Neuville (2004), à savoir que la conception de l’intelligence fixiste, prédomine actuellement à la fin de l’école primaire. Ce résultat n’est en soi pas très rassurant car comme le montre la littérature, croire que l’aptitude est un trait dispositionnel peut avoir des conséquences négatives pour l’adaptation scolaire, voire sociale. Cependant, nos élèves « fixistes » ne semblent pas si « fatalistes » car ils se distinguent eu égard au facteur 2 : certains (n = 360) adhèrent à l’idée que les élèves ont besoin de faire des efforts pour réussir, mais pas besoin de beaucoup d’explications pour comprendre, tandis que les autres (n = 241) n’adhèrent pas à cette idée.

40Une autre contribution de nos analyses est qu’elles ne permettent pas de confirmer la théorie de Dweck (1999), selon laquelle il y aurait un lien étroit entre la théorie évolutive de l’intelligence et l’idée qu’il faut consentir des efforts pour réussir. Plus exactement, nos résultats montrent bien que la perception de l’effort n’est pas dichotomique et qu’il est possible d’accorder de l’importance à l’effort et d’adhérer à la conception fixiste de l’intelligence. Cette conclusion nous amène à avancer l’hypothèse que les relations entre les deux notions, celle de l’intelligence et l’autre de l’effort sont probablement plus complexes que ne les avait imaginées Dweck (1999). Par ailleurs, l’adhésion massive des élèves à l’item 2 « il faut travailler pour réussir » suggère une fois de plus que la valeur du travail, de l’effort est fortement partagée dans notre société actuelle et intériorisée par les enfants.

41Notre recherche a également mis en évidence que la manière dont les élèves perçoivent l’intelligence se différencie principalement en fonction du jugement scolaire des enseignants à leur égard, et dans une moindre mesure en fonction du sexe et de l’appartenance sociale. Ce sont davantage les élèves jugés comme étant « faibles » qui adoptent une conception fixiste de l’intelligence et n’adhèrent pas à l’idée de l’effort. Ces constats vont dans le sens des conclusions de Butler, (2000) et de Dweck, (2010) soulignant l’impact des évaluations et laissant penser que les résultats scolaires sont bien un indicateur d’aptitude pour certains élèves, en tout cas pour les élèves les plus « faibles ». Quant aux filles, celles-ci semblent accorder plus de rôle à l’effort. Ce résultat n’est pas très étonnant étant donné que souvent à l’école les filles sont félicitées pour leur labeur et effort et les garçons pour la rapidité de compréhension, ce qui pourrait bien être expliqué avec la prégnance des stéréotypes du genre et la différenciation accordées à l’identité féminine ou masculine (Croiset & Neuville, 2004).

42 Bien évidemment, des études de réplication dans des contextes différents seraient utiles afin de pouvoir juger de la généralisabilité de nos constats. Par ailleurs, nous tenons également à souligner que nous n’excluons pas la possibilité de voir que dans des situations différentes, comme cela a été révélé dans le cadre des recherches expérimentales (Dweck, 1999), les élèves ont recours à des stratégies diverses pouvant être révélatrices de leur adhésion à l’une ou à l’autre conception ou aux deux à la fois. Mais comme notre étude n’est pas de type expérimental et ne tient pas compte de paramètres situationnels, nous ne pouvons pas évaluer leur rôle. Ceci pourrait être l’objet d’études ultérieures.

43Il est également important de rappeler que dans notre recherche, les questions ciblaient ce que les élèves pensent des capacités intellectuelles de manière générale. Il serait intéressant dans le futur d’examiner s’il existe des différences dans la manière d’appréhender ses capacités intellectuelles personnelles et l’intelligence globalement.

44 Du point de vue méthodologique, cette recherche a proposé et validé la structure d’une échelle qui a des qualités psychométriques prometteuses et qui peut servir à mesurer les conceptions de l’intelligence dans le cadre des recherches ultérieures. De futurs travaux pourraient cependant améliorer sa qualité en ajoutant de nouveaux items permettant de mieux cerner les liens avec la notion d’effort et de compréhension.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : profil, validation, conceptions de l’intelligence des éléves, intelligence, échelle de mesure

Mise en ligne 01/11/2017

https://doi.org/10.3917/enf1.134.0393

Notes

  • [1]
    Dans le cadre d’une étude pilote, effectuée auprès de 246 élèves de CM2 (issus de 12 autres classes), nous avions également envisagé la question de savoir si l’intelligence est perçue par les enfants comme modifiable sous l’influence de l’environnement (interaction avec autrui : adultes, enseignants, pairs) ; ceci sur la base des courants « socioconstructiviste » et « historico-culturel ». Les analyses factorielles exploratoires et confirmatoires n’ont pas abouti à une structure valide incluant des items ayant trait au l’influence de l’environnement (exemples d’items : « quand l’enfant discute avec l’adulte, il peut devenir plus intelligent » « les explications de l’enseignant permettent à l’enfant de devenir plus intelligent ».
  • [2]
    Une analyse préliminaire a montré que les corrélations inter-items des 2 des items (exemple d’item « quand on grandit, l’intelligence peut changer »), inclus dans la sous-dimension conception « malléable » de l’intelligence, sont très faibles (variant entre 0,07 et 0,19). Aussi, le coefficient de consistance interne, alpha de Cronbach, avait une valeur très basse en présence des items en question (0,45).
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