Enfance 2010/3 N° 3

Couverture de ENF1_103

Article de revue

Quand faire des gestes permet de mieux apprendre

Pages 355 à 368

Notes

  • [1]
    Notre traduction de information packaging

1De nombreuses études ont montré l’importance des gestes de la main dans le développement conceptuel des enfants. En étant attentif aux gestes des enfants, un observateur bien formé peut observer la compréhension croissante d’un enfant durant l’acquisition d’un nouveau concept ou la résolution du problème (Church & Goldin-Meadow, 1986 ; Goldin-Meadow, 2003 ; Pine, Lufkin & Messer, 2004). Les gestes que les enfants produisent en expliquant comment les objets tiennent en équilibre ou comment résoudre un problème mathématique ne sont pas des mouvements arbitraires faits au hasard. Ils ne sont pas non plus un simple outil de communication pour les aider à transmettre de l’information. La littérature actuelle indique nettement que ces gestes font partie intégrante des processus de réflexion et d’apprentissage des enfants (Pine, Lufkin & Messer, 2007 ; Perry, Church & Goldin-Meadow, 1988). Dans cet article, nous passerons en revue les preuves de l’existence de ces fonctions avant d’explorer la façon dont ces gestes peuvent être maximisés, ou manipulés pour améliorer et faciliter l’apprentissage. Nous discuterons ensuite brièvement d’un point de vue neurologique l’importance de s’appuyer sur les liens entre les représentations motrices cérébrales et le système conceptuel pour créer un mécanisme d’apprentissage puissant.

2Lorsque les enfants font des gestes avec leurs mains, ils révèlent clairement le contenu de leurs pensées. De plus, le fait de réaliser des gestes les aide à réfléchir. Ceci pourrait expliquer l’apparition de gestes lorsque l’information est difficile à conceptualiser. L’acte même de faire des gestes aide l’enfant à intégrer dans son esprit l’information provenant de différences sources afin de construire un message doté de sens, ce processus est nommé « empaquetage de l’information »  [1] (Kita, 2000). Les gestes peuvent aussi être un moyen par lequel l’information implicite est rendue exprimable (Broaders, Wagner Cook, Mitchell & Goldin-Meadow, 2007). La charge cognitive pourrait aussi être allégée pour l’enfant lorsque certains aspects du problème sont externalisés via les gestes (Goldin-Meadow, 2003). Puisque les gestes constituent un système non codé, ils pourraient être utilisés pour exprimer des notions imagées ou holistiques qui peuvent être difficiles à exprimer par la parole (Goldin-Meadow, 2003). Ici, nous allons brièvement examiner les éléments qui viennent soutenir le rôle des gestes dans la pensée chez l’enfant, en nous appuyant sur les données issues d’études qui montrent comment les gestes révèlent les connaissances transitoires, le savoir émergeant, et la réflexion complexe.

Les gestes révèlent des connaissances transitoires

3Lorsqu’ils doivent expliquer des tâches, les enfants réalisent souvent des gestes spontanément. Nous avons trouvé que les enfants semblent poussés à bouger leurs mains en expliquant une tâche d’équilibre, dans laquelle ils doivent mettre en équilibre des tiges (similaires à des règles avec un ou plusieurs blocs à une extrémité) sur un support étroit (voir Karmiloff-Smith et Inhelder, 1974). Les enfants produisent de manière systématique des gestes similaires en décrivant les variables saillantes de la tâche, poids et distance du point d’appui. De plus, la façon dont les enfants produisent des gestes est liée au stade de compréhension (Pine et al., 2004) et les gestes peuvent être fidèlement codés quant à l’aspect de la tâche auquel ils se réfèrent, puisque des observateurs indépendants attribuent la même signification au même geste (Fletcher & Pine, 2006). Parfois, l’enfant peut réaliser des gestes discordants avec ses paroles, c’est-à-dire qu’il parle d’un élément de la tâche mais en indique un autre par le geste, dans ce cas il est plus à même de bénéficier d’enseignement. Ces discordances entre la parole et le geste révèlent que l’enfant est dans une phase transitoire entre deux états de connaissance. Elles sont ainsi très importantes pour évaluer ce que l’enfant sait, sans s’appuyer sur le canal verbal, et pour identifier le moment optimal pour apporter des éléments (Church & Goldin-Meadow, 1986 ; Pine et al. 2004).

Les gestes révèlent des connaissances émergentes

4Les modèles de développement cognitif suggèrent que la connaissance émerge dans l’esprit en passant d’un état non-verbal, implicite, à un état verbal, explicite et plus stable (Karmiloff-Smith, 1992). Fréquemment, les enfants savent quelque chose de manière implicite mais ne peuvent pas l’exprimer verbalement. Dans une analyse microgénétique des gestes et paroles d’enfants expliquant une tâche d’équilibre, nous avons trouvé que les enfants expriment souvent des informations plus sophistiquées par les gestes que dans leurs explications orales (Pine, Lufkin & Messer, 2007). Nous avons proposé que, lorsque la connaissance émerge à l’esprit, elle transparaît dans les gestes des enfants avant d’apparaître dans leur propos. Ceci a des implications en termes d’évaluation des connaissances des enfants et de leur compréhension implicite d’un concept. De plus, cela implique que les méthodes d’enseignement devraient avoir pour objectif de faire émerger cette connaissance implicite afin de la rendre explicite.

5 Une autre preuve du rôle des gestes dans l’expression de connaissances implicites et émergentes provient de nos travaux auprès d’enfants qui ont des difficultés de compréhension pragmatique. Ces enfants ont des difficultés à utiliser le contexte ou des inférences non explicitées dans leur interprétation du discours. Par exemple, un enfant pourra dire « Est-ce que je peux aller jouer dans le jardin ? » et l’un des parents répond « Mais tu portes ta nouvelle robe ». L’information contenue dans la réponse de l’adulte n’est pas explicite (c’est-à-dire « tu pourrais salir ta nouvelle robe »), et la plupart des enfants sont capables d’extraire ce sens à partir de l’âge de trois ans (Ryder, 2003). Cependant, certains enfants avec un trouble spécifique du langage (TSL) en lien avec la compréhension pragmatique, n’en sont pas capables (Botting & Adams, 2005). Il a été mis en évidence que les gestes avaient un effet facilitateur sur la compréhension de demandes ambigües des adultes en termes pragmatiques (Kelly, Barr, Breckinridge Church & Lynch, 1999) et nous avons montré que les enfants souffrant de TSL interprètent plus fréquemment une affirmation de manière correcte lorsqu’elle est accompagnée d’un geste que lorsqu’ils l’entendent en l’absence de gestes (Kirk, Pine & Ryder, in press).

Les gestes révèlent la réflexion complexe

6Church et Goldwin-Meadow (1986) ont tout d’abord attiré l’attention sur les discordances paroles-gestes des enfants, c’est-à-dire le fait d’exprimer une idée par la parole et une autre par les gestes. Leur interprétation était que ces discordances résultent des connaissances transitoires, peut être lorsque l’enfant essaie de résoudre un nouveau problème ou est aux prises avec deux idées à la fois. Nous avons confirmé la validité prédictive de ce point de vue en induisant des représentations duelles avec une tâche de fausse croyance, et nous avons trouvé que les gestes des enfants sont bien plus fréquents lorsqu’ils maintiennent deux idées en même temps en mémoire comparativement à une seule (Thurnham & Pine, 2006). Ainsi, la production de gestes augmente avec la complexité cognitive. Les gestes peuvent représenter un canal pour l’expression de l’information qui n’est pas appropriée à la structure analytique du langage, et être un moyen de réduction de la charge cognitive pendant les tâches complexes de réflexion ou d’expression orale en externalisant certains processus cognitifs (Goldin-Meadow, 2003). Les gestes ont donc le potentiel de résoudre le conflit cognitif, ainsi l’exploitation de ce potentiel pourrait constituer un puissant outil pour apprendre.

7Les enfants rencontrent souvent des états « sur-le-bout-de-la-langue » en essayant de retrouver les noms d’objets connus mais peu familiers, et les gestes peuvent les aider à retrouver ces mots. Le fait d’empêcher les enfants de produire des gestes rend plus difficile le rappel de ces mots. En d’autres termes, leur rappel lexical est amélioré par les gestes (Pine, Bird & Kirk 2007). Bien que cet effet de facilitation souligne à la fois la fonction lexicale et cognitive des gestes, il semble se restreindre à un type de mot particulier, en particulier ceux possédant un aspect praxique (c’est-à-dire qui sont manipulés manuellement, comme « fouet » ou « ciseaux »). La production de gestes pourrait aider le rappel lexical en maintenant l’activation des propriétés sémantiques de l’objet, peut-être via un tampon de mémoire spatiale, jusqu’au rappel du mot. La détermination de la nature du lien entre les systèmes moteurs et lexicaux du cerveau mérite des explorations plus poussées mais ceci suggère tout de même que le fait de s’appuyer sur les liens entre les représentations motrices et le système conceptuel des enfants peut les aider à apprendre.

8Un aspect crucial de l’étude des gestes réside dans la méthodologie employée pour les interpréter et les catégoriser. Les enfants ont tendance à réaliser des gestes iconiques très similaires pour le même concept et nous avons constitué une méthode fiable et valide pour coder les gestes des enfants dans le domaine des tâches d’équilibre et de la dénomination d’objets (Pine et al. 2004). Il a été montré que des observateurs sans formation sont capables d’interpréter les gestes réalisés par les enfants lorsqu’ils évoquent l’équilibre, même en l’absence de parole (Fletcher & Pine 2006). La fiabilité du codage des gestes implique que nous pouvons identifier les gestes associés à la compréhension d’un concept et les enseigner aux enfants. L’identification de ces gestes et leur transmission aux enfants ouvrent des possibilités excitantes tant au plan théorique, pour tester les modèles de développement cognitif qu’appliqué, pour les pratiques pédagogiques.

9Lorsque les enfants sont encouragés à produire des gestes, ils révèlent leurs connaissances implicites sous la forme de nouvelles stratégies pertinentes de résolution de problème. Broaders et al. (2007) ont étudié des enfants auxquels il avait été demandé de produire des gestes ou de ne pas produire des gestes en expliquant leurs réponses à un problème mathématique. Les enfants n’ont pas reçu d’exemples de « gestes corrects » mais étaient encouragés à utiliser leurs propres gestes pour accompagner leur explication orale. Ceci était suivi par une leçon durant laquelle l’expérimentateur expliquait, en utilisant à la fois la parole et les gestes, comment résoudre le problème. Au moment du post-test, le groupe auquel il avait été demandé de produire des gestes, avait appris davantage que le groupe auquel il avait été demandé de ne pas produire de gestes. Certains enfants du groupe « avec gestes » ont utilisé de nouvelles stratégies qui n’avaient pas été observées jusqu’alors, et ont réalisé des performances significativement supérieures au post-test. Cette étude était la première à montrer qu’une nouvelle connaissance pouvait être manipulée de l’extérieur en forçant les enfants à réaliser des gestes, et en ouvrant ainsi la voie à de nouveaux apprentissages. Les gestes des enfants étaient spontanés et notre étude prolonge cette recherche en encourageant les enfants à produire des gestes que nous savons être congruents avec les variables enseignées.

10Même si les enfants n’ont qu’une connaissance incomplète du concept, nous proposons que ce mécanisme puisse être plus puissant dans l’acquisition du concept qu’une leçon orale.

11 L’utilisation des gestes en tant qu’outil pédagogique est encore soumise au fait de savoir si l’observation des gestes suffit en soi pour provoquer l’acquisition de nouvelles connaissances ou si l’enfant doit lui-même les produire. De plus, à ce jour, l’effet d’enseigner aux enfants des gestes spécifiques à des concepts et de les amener à les incorporer à leurs répertoires oraux n’a jamais été testé. Ainsi, cette étude comprend à la fois une condition « gestes observés » dans laquelle l’enfant observe les gestes corrects en même temps que l’explication, et une condition « imitation » dans laquelle l’enfant est encouragé à imiter les gestes en même temps que l’explication. Elle comprend aussi à titre de contrôle, une condition d’intervention sans geste, avec seulement une démonstration et une explication verbale. Wagner Cook et al. (2008) ont trouvé que l’information devenait plus facilement accessible après avoir produit des gestes. Ainsi, le fait d’observer des gestes pourrait ne pas agir sur l’apprentissage, mais en réalisant les gestes eux-mêmes, le savoir implicite des enfants, pourrait être rendu accessible, en activant de l’information stockée, et être disponible pour les performances et le type de compréhension évalués dans notre étude.

Méthode

Design

12Nous avons réalisé une étude expérimentale avec trois conditions inter-sujets : « gestes-observés », « gestes-imités » et « absence de geste ». Les variables dépendantes étaient les progrès en termes de performance entre le pré-test et le post-test (nombre de tiges en équilibre) et de compréhension (niveau de savoir explicite dérivé du modèle de redescription représentationnelle, Karmiloff-Smith, 1992, Pine et al., 2004)

Participants

13Soixante-treize enfants (30 garçons et 43 filles) d’âge moyen 69,81 mois (ET = 3,73) provenant de quatre écoles du Royaume-Uni ont participé à la recherche. Dix enfants obtenant un score plafond lors du pré-test n’ont pas participé à l’intervention. L’échantillon final comprend ainsi 63 enfants.

Matériel

14Au pré-test, deux tiges en bois ont été utilisées, toutes deux comportant un bloc à chaque extrémité, en équilibre au centre. Le pré-test et le post-test ont utilisé six tiges asymétriques, celles-ci étant déséquilibrées vis-à-vis du centre. Une tige asymétrique a été conçue pour l’intervention. Une base en bois avec une barre fixée au milieu servait de point d’appui. Toutes les sessions ont été enregistrées à l’aide d’un caméscope Sony.

Procédure

15Les enfants ont été testés individuellement, assis à une table avec le matériel placé devant eux. Au pré-test, il était demandé aux enfants d’essayer de mettre chacune des tiges en équilibre, une à la fois, puis d’expliquer comment ils procédaient pour parvenir à l’équilibre, ou s’ils échouaient, pourquoi l’équilibre ne pouvait pas être obtenu. Les enfants qui réussissaient avec les six tiges asymétriques ne poursuivaient pas l’étude.

16Pour l’intervention, les enfants étaient assignés au hasard à l’une des trois conditions :

17Sans Geste : l’expérimentateur montrait à l’enfant comment mettre en équilibre l’une des tiges et expliquait soigneusement à l’enfant comment la tige asymétrique avait été mise en équilibre, qu’un côté était plus lourd que l’autre et que donc la distance compensant le poids, il fallait la placer de manière excentrée. L’expérimentateur ne réalisait aucun geste en fournissant ces explications à l’enfant, et demandait ensuite à l’enfant, « Alors maintenant dis-moi, comment avons nous fait pour mettre celle-là en équilibre ? ».

18Gestes observés : la procédure ci-dessus était répétée mais l’expérimentateur utilisait les gestes corrects pour le poids et la longueur pour accompagner l’explication. Les gestes « corrects » étaient ceux spécifiques au concept et utilisés par les enfants ayant une bonne compréhension du concept (voir Pine, Lufkin & Messer, 2004). Ils étaient constitués d’un mouvement du haut vers le bas avec le poing fermé exprimant le « poids », et un geste de balayage avec la main à plat pour la « distance » De nouveau, il était demandé à l’enfant de répéter l’explication de l’expérimentateur en lui demandant « Alors maintenant dis-moi, comment avons nous fait pour mettre celle-là en équilibre ? ».

19Gestes imités : la procédure ci-dessus était répétée après que l’expérimentateur ait réalisé les gestes corrects et que l’enfant ait été encouragé à répéter l’explication en utilisant les mêmes gestes. L’expérimentateur lui a alors demandé « Alors maintenant dis-moi, comment avons nous fait pour mettre celle-là en équilibre ? Refais avec les mains les mêmes gestes que ceux que j’ai faits. »

20 Le post-test a de nouveau répété la procédure du pré-test, en utilisant les six tiges asymétriques et en évaluant de nouveau la performance de chaque enfant (nombre de tiges équilibrées) et sa compréhension (à partir de ses explications).

21 Codage des explications : l’explication verbale et les gestes de chaque enfant au pré- et post-test ont été codés à partir des enregistrements vidéo, à partir d’un système précédemment développé (Pine et al., 2004). Les enfants ont fourni des explications pour les essais avec deux tiges symétriques et avec six tiges asymétriques au pré-test et à nouveau avec six tiges asymétriques au post-test. Les tiges asymétriques sont plus difficiles à équilibrer, les enfants n’ayant pas équilibré plus d’une d’entre elles au pré-test, ils présentaient une marge d’amélioration. Ainsi, le nombre de tiges symétriques n’a pas été inclus dans le codage du post-test, qui s’appuyait exclusivement sur la capacité à équilibrer les tiges asymétriques. Les explications ont été codées selon les niveaux de leur caractère explicite comme suit :

22 Implicite : L’enfant est capable d’équilibrer plus de la moitié des tiges, au moins ½ des symétriques et 4/6 des asymétriques, mais il n’a pas de stratégie systématique pour équilibrer ou pour placer la tige sur le point d’appui. L’enfant est incapable de donner une explication de sa réussite et peut simplement répondre : « Je ne sais pas », « Je l’ai fait, tout simplement », lorsqu’il est interrogé. Les explications n’incluent pas les variables pertinentes de poids et de distance.

23 Transition implicite : l’enfant est capable d’équilibrer pas plus d’une tige symétrique et deux tiges asymétriques, mais place toutes les tiges sur le point d’appui au niveau de leur centre. Les explications sont similaires à celle du niveau implicite.

24 Abstraction non-verbale : L’enfant est capable d’équilibrer les tiges symétriques mais échoue pour la majorité des asymétriques, ne réussissant à en équilibrer qu’un maximum de deux. Il utilise visiblement une stratégie de centrage, puisque toutes les tiges sont placées au centre du point d’appui, mais l’enfant ne peut pas le verbaliser et peut affirmer que les tiges asymétriques sont impossibles à équilibrer.

25 Abstraction verbale : la performance est équivalente à celle de l’abstraction non-verbale mais les explications font référence à la stratégie de centrage, par exemple : « Il faut la mettre au milieu ».

26 Transition explicite : l’enfant est capable d’équilibrer à la fois les tiges symétriques et au moins quatre tiges asymétriques et est capable de donner une stratégie permettant d’équilibrer les deux types de tiges. Par exemple : « Celle-ci va au milieu » pour les symétriques, et « Il faut mettre celle-ci un peu plus sur le côté », pour une asymétrique. Cependant, les explications ne font pas référence aux variables clés : poids et distance.

27 Explicite : l’enfant est capable d’équilibrer les deux tiges symétriques et généralement toutes, ou au moins cinq, des tiges asymétriques. Les explications comportent des références aux variables de poids et de distance. Par exemple, « Ce côté a plus de poids, donc je fais ce côté plus long pour que ce soit pareil ».

28 Au pré-test, le niveau le plus élevé atteint par un enfant était celui de l’Abstraction verbale. Les enfants qui avaient réussi à équilibrer toutes les tiges avec des explications complètes étaient exclus de l’étude suite au pré-test. La cotation au post-test s’est faite en aveugle, les évaluateurs ignoraient le niveau de l’enfant au pré-test et la condition. Un second expérimentateur a côté une partie des données (11 %). Le kappa pour l’accord inter-juge était de 0,862 (p < 0,001), indiquant un niveau d’accord moyen à élevé.

Résultats

29 Nous avons comparé les effets des trois types d’interventions sur les performances des enfants (score sur 6 pour les tiges asymétriques correctement équilibrées) et sur leur compréhension (niveau de compréhension explicite) à la fois au pré-test et au post-test.

Figure 1. Moyenne du nombre de tiges correctement équilibrées au pré- et post-test (cf. Figure 1) pour chaque condition

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Figure 1. Moyenne du nombre de tiges correctement équilibrées au pré- et post-test (cf. Figure 1) pour chaque condition

30Une analyse de variance (ANOVA) à deux facteurs avec la condition comme facteur inter-sujets (3 niveaux), et le moment de l’évaluation comme facteur intra-sujets (2 niveaux : pré- et post-test), et le score comme variable dépendante correspondant au nombre de tiges équilibrées a mis en évidence un effet significatif de la condition, [F(2,60) = 5,977, p = 0,004], ainsi qu’un effet significatif du moment de l’évaluation [F(1,60) = 77,010, p < 0,001]. L’examen des moyennes (pré-test = 2,428, post-test = 4,127) indique surtout que les enfants ont réalisé de meilleures performances au post-test. L’interaction entre la condition et le pré-post-test était aussi significative, [F(2,60) = 4,035, p = 0,023], indiquant que l’amplitude de l’effet diffère selon la condition.

31 Un test post-hoc de Bonferroni a montré des différences significatives entre la condition « absence de geste » et la condition « gestes imités » (p = 0,043), ainsi qu’entre la condition « gestes observés » et « gestes imités » (p = 0,004). La différence entre la condition « absence de geste » et la condition « gestes observés » n’était pas significative.

32 Nous avons ensuite examiné la différence entre le niveau de compréhension en fonction de la condition, en notant le niveau pré-test et post-test des enfants et en évaluant l’amélioration du score de ceux qui avaient progressé sur les trois conditions. Chaque niveau de compréhension accompagne une représentation plus complète et explicite, et la progression d’un niveau implicite vers un niveau plus explicite de compréhension constitue un gain en termes d’apprentissage.

33 Comme il est indiqué dans le , davantage d’enfants ont amélioré leur compréhension après avoir observé les gestes comparativement à ceux placés dans la condition « absence de geste », et ils sont encore plus nombreux à avoir réalisé des progrès après avoir imité les gestes. Dans la condition « absence de geste », peu d’enfants ont progressé et dans les deux conditions « avec gestes », le nombre d’enfants qui ont progressé est supérieur au nombre de ceux qui n’ont pas progressé. Puisque les données étaient catégorielles (un enfant avait amélioré son niveau de compréhension ou pas), un test de Chi² a été réalisé sur les données. Les résultats de ce test ont montré une association significative entre les trois conditions et l’amélioration de la compréhension de l’enfant entre le pré- et post-test, X2 (2, N = 63) = 9,782, p = 0,008.

Tableau 1.

Nombre et pourcentage d’enfants ayant fait des progrès de compréhension entre le pré- et le post-test en fonction de la condition

tableau im2

Nombre et pourcentage d’enfants ayant fait des progrès de compréhension entre le pré- et le post-test en fonction de la condition

34Bien que l’objectif principal des analyses fût de déterminer les effets des différentes interventions sur les variables dépendantes au post-test, nous avons aussi examiné les gestes des enfants au post-test. Ici le but était d’identifier si les enfants qui avaient observé ou imité des gestes durant l’intervention reproduisaient ces gestes au post-test. Les enregistrements vidéo des sessions post-test ont été visionnés et chaque geste de « poids » et de « distance » produit par un enfant pour accompagner une explication a été compté. La moyenne du nombre de gestes est de M = 11,42 (ET = 10,37) pour le groupe « gestes imités », de M = 2,75 (ET = 3,11) pour le groupe « gestes observés » et de M = 1,79 (ET = 1,62) pour le groupe « absence de geste ». Une analyse de variance (ANOVA) à un facteur a mis en évidence une différence significative entre les trois groupes, [F(2,59) = 14,7, p = 0.001]. Les comparaisons post-hoc à l’aide du test de Tukey mettent en évidence que le groupe « gestes imités » diffère significativement des deux autres (p = < 0,01).

Discussion

35Cette investigation empirique reposait sur l’hypothèse que les enfants possèdent des idées incomplètes mais naissantes qui peuvent, grâce à l’enseignement, devenir plus rationnelles et stables et nous avons exploré si l’utilisation de gestes pouvait activer ce processus. Pour cela nous avons testé les effets de trois conditions d’intervention : « sans geste », « gestes observés » et « gestes imités » et nous avons trouvé que chacune menait à une amélioration significative de la performance entre le pré- et post-test. Cependant, les enfants dans la condition « gestes imités » ont réalisé davantage de progrès que les autres enfants dans leur capacité à équilibrer les tiges, et ce de manière significative. Ils ont également fait des progrès dans leur compréhension du concept d’équilibre. Ceci souligne un avantage de la production de gestes sur le fait de simplement les observer et suggère que la production de gestes facilite davantage l’apprentissage.

36 Les enfants de cette étude possédaient tous initialement une compréhension incomplète du concept d’équilibre et nous avons examiné les effets des trois interventions sur leurs connaissances au post-test. Puisqu’il a été montré que la connaissance des enfants vis-à-vis de cette tâche progresse d’un format implicite ou incomplet en termes de représentation vers un format plus complet et explicite, nous avons côté leurs explications en utilisant un système précédemment développé (Pine et al. 2004) et hautement fiable. Ces analyses ont montré une amélioration significative dans la compréhension des enfants lorsqu’ils ont été exposés à des gestes, soit à travers des processus d’observation ou d’imitation. Le fait de fournir à ces enfants une explication verbale sans geste ne suffisait pas à améliorer leur compréhension. Le pourcentage des enfants qui a progressé dans chaque groupe suggère un avantage supplémentaire dans le groupe « gestes imités » comparé à la condition « gestes observés ». Ceci pourrait s’expliquer par l’engagement, via le canal gestuel, du système moteur dans le cerveau, activant ainsi les savoirs implicites par un processus d’amorçage transmodal (Krauss, 1998). Le modèle de feedback gestuel (Morsella & Krauss, 2004) propose que les gestes activent des aspects encodés dans la représentation sémantique d’objets à travers le feedback d’effecteurs ou de commandes motrices. Le fait d’encourager les enfants à réaliser des gestes spécifiques à un concept, repérés comme étant calqués de manière motrice sur les variables sous-tendant le concept d’équilibre, pourrait avoir aidé à activer la représentation implicite sémantique et à la constituer. Une explication alternative serait que les variables de « poids » et de « distance » étaient facilement encodables dans des gestes et le fait de les produire a aidé les enfants à reconnaître les aspects clés de la tâche. Il a été montré que lorsqu’il est demandé aux enfants de réaliser des gestes tout en parlant, ils ont tendance à remarquer des aspects d’un problème ou d’un événement qu’ils n’avaient pas saisi auparavant. Stevanoni et Salmon (2005) ont montré que ceci aidait les enfants à se rappeler de davantage de détails (par exemple de lieu et de dimensions) lors d’un entretien ultérieur à propos de l’événement. Wagner Cook, Mitchell et Goldin-Meadow (2008) suggèrent que les gestes constituent une façon alternative de représenter l’information. Ces auteurs ont trouvé que les enfants à qui il était demandé de réaliser des gestes retenaient cette information, et la maintenaient plus facilement disponible. Ceci vient soutenir l’idée selon laquelle les gestes aident à encoder l’information de manière à faciliter le rappel, peut être en l’associant à des savoirs implicites pré-existants.

37L’une des questions à laquelle cette étude ne répond pas est celle de savoir si les apprentissages induits par une intervention gestuelle persistent dans le temps. Le résultat que les enfants ayant imité les gestes spécifiques à un concept les reproduisaient davantage pour accompagner leurs explications verbales au post-test suggère qu’ils les avaient intégrés dans leurs représentations. La prolongation de l’existence d’une représentation plus complète comparée à celle d’une représentation temporaire induite par un processus d’imitation, est sûrement due à un mécanisme similaire à celui du traitement de surface et de profondeur dans le stockage mnésique (Craik & Lockhart, 1972). L’observation des gestes pourrait activer l’information implicite pendant une courte période de temps, qui permet une amélioration au post-test, alors que l’imitation des gestes ‒ impliquant le système moteur ‒ pourrait mener à un encodage plus profond permettant le rappel de l’information par la suite (Pine et Messer, 2000). Les recherches futures devraient examiner ce phénomène sur des périodes de temps plus longues de manière à analyser le maintien des apprentissages acquis.

38 Avant cette étude, Broaders et al. (2007) avaient montré que les enfants à qui il était demandé de faire de gestes étaient plus réceptifs à un enseignement que ceux à qui il était demandé de ne pas en produire. Dans leur étude, la variable « gestes » était manipulée avant l’intervention et le résultat observé. Les enfants à qui il était demandé de réaliser des gestes retiraient davantage de bénéfices de l’enseignement. Dans notre étude, nous avons plutôt choisi de manipuler la façon dont les gestes étaient utilisés à l’intérieur de l’enseignement, puisque nous nous intéressions à leur valeur pédagogique potentielle. Ainsi, certains enfants ont eu une leçon courte sans geste, certains ont observé des gestes, d’autres encore en ont produit, cette dernière condition entraînant les plus grands bénéfices. Les gestes observés (et dans certains cas imités) par les enfants étaient spécifiques au concept, c’est-à-dire qu’ils étaient repérés comme étant ceux produits par les enfants possédant une compréhension complète du concept étudié. Une limite possible serait le manque de spontanéité induit par le fait de montrer les gestes aux enfants. Cependant, nous avons observé que les enfants qui les ont appris, ont plus tard réalisé les gestes appropriés en évoquant la variable correspondante, ce qui suggère qu’ils les ont facilement intégrés à leurs propos et leurs représentations.

39À ce jour, la majeure partie de la recherche dans le domaine des gestes chez l’enfant, a montré qu’ils constituent pour les enseignants une riche source d’information concernant la pensée et un moyen d’évaluation de leur disposition à apprendre, de sorte que l’enseignement puisse être approprié en termes de moment opportun et de contenu. Nous proposons maintenant que la recherche se centre davantage sur les possibilités de canalisation du potentiel des gestes dans l’apprentissage, et sur leur manipulation à des fins d’apprentissage. Notre utilisation de gestes spécifiques à un concept peut être étendue à d’autres domaines scientifiques, où les gestes « d’experts » peuvent être identifiés et enseignés aux « novices » pour améliorer les méthodes d’enseignement traditionnelles et fournir ainsi une technique pédagogique innovatrice et efficace.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : apprentissage, concepts, gestes

Mise en ligne 01/11/2017

https://doi.org/10.3917/enf1.103.0355

Notes

  • [1]
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