Enfance 2018/3 N° 3

Couverture de ENF2_183

Article de revue

Agir ou ne pas agir ?

Réactions des élèves témoins de harcèlement

Pages 441 à 453

1Depuis plusieurs décennies, le terme de harcèlement entre pairs (school-bullying au niveau international) est utilisé pour décrire des comportements nuisibles perpétrés par un ou plusieurs élèves à l’encontre d’un camarade dans le milieu scolaire. Le recours à cette notion implique une répétition des actes malveillants ainsi qu’un déséquilibre réel ou perçu des forces entre l’auteur et la cible du harcèlement (Gladden, Vivolo-Kantor, Hamburger, & Lumpkin, 2014 ; Olweus, 2013).

2À partir du milieu des années 1990, les travaux publiés à ce sujet ont évolué vers des approches tenant davantage compte des processus de groupe sous-jacents à cette forme de relation sociale. Dépassant une « simple » relation dyadique mettant en scène un agresseur et une victime, les études disponibles montrent que le harcèlement implique de nombreux témoins pouvant jouer des rôles variés (Kubiszewski, 2016 ; Olweus & Limber, 2010 ; Salmivalli, Lagerspetz, Björkqvist, Österman, & Kaukiainen, 1996). Les effets que les réactions des observateurs ont sur la pérennisation ou non des agissements négatifs commencent à être bien documentés et les actions de prévention ciblent désormais fréquemment le rôle des témoins (e.g. Hutchings & Clarkson, 2015 ; Nocentini & Menesini, 2016 ; Salmivalli, Poskiparta, Ahtola, & Haataja, 2013 ; voir l’article de Garandeau dans le présent numéro). Pour nourrir et guider ces actions, la littérature scientifique, notamment en psychologie sociale, offre de nombreux éclairages sur la place occupée par les élèves témoins ainsi que sur leurs réactions. Ces aspects, essentiels à considérer pour affiner la prévention, seront présentés dans cet article.

Le harcèlement entre pairs : une pratique à large audience

3Lorsqu’un élève est la cible de l’un ou de plusieurs de ses camarades, nombreux sont ceux qui ont connaissance de la situation en étant présents au moment du harcèlement. Des enquêtes basées sur des observations estiment que plus de 80 % des épisodes d’intimidation surviennent devant des témoins (Atlas & Pepler, 1998 ; Hawkins, Pepler, & Craig, 2001). D’autres études, réalisées à partir de questionnaires auto-administrés, corroborent ce résultats et soulignent qu’une part importante des élèves échantillonnés indiquent en avoir été témoins (Kubiszewski, 2016 ; Rivers, Poteat, Noret, & Ashurst, 2009). Or, des données complémentaires, tant quantitatives que qualitatives, suggèrent que, loin d’être protectrice vis-à-vis des effets néfastes du harcèlement, la position de témoin est associée à l’expérience d’une forme de détresse psychologique et à une vision dégradée de l’environnement scolaire (Hutchinson, 2012 ; Kubiszewski, 2016 ; Rivers et al., 2009). Autant d’arguments qui invitent à ne pas négliger ces élèves face au harcèlement et à sa prévention.

4Plusieurs chercheurs ont contribué à décrire la diversité des rôles pouvant être occupés par ces témoins. Salmivalli et collègues (Salmivalli et al., 1996) listent des comportements très différents tels que renforcer l’agresseur, voire assister ce dernier, défendre la victime ou encore rester passif sans prendre parti. De leur côté, Olweus et Limber (2010) proposent une catégorisation proche, basée sur l’attitude pro-victime, pro-agresseur ou désengagée de l’observateur, qu’ils ont couplée à la manifestation de cette attitude en comportement agi ou non. Le « cercle du bullying » qu’ils proposent distingue ainsi les élèves ayant, par exemple, une attitude empreinte d’affects et de cognitions très négatives vis-à-vis du harcèlement mais n’adoptant pas de comportements explicites en faveur de la victime, des élèves pour lesquels cette même attitude s’actualise par une aide du camarade ciblé. Les différentes façons d’aider et les facteurs qui y sont associés constituent un premier aspect à approfondir.

Des réactions en faveur de l’élève victime

5Les témoins peuvent se positionner du côté de l’élève harcelé en adoptant des comportements de défense étant soit orientés vers la victime (la réconforter, lui témoigner son soutien, révéler son inquiétude pour cette dernière à un camarade ou à un adulte) soit orientés contre l’agresseur (en l’affrontant). Ces deux types de réactions de défense sont traités indifféremment dans beaucoup d’études (e.g. Salmivalli et al., 1996 ; Pouwels, Lansu, & Cillessen, 2016). Or, Reitjnes et collègues (Reitjnes et al., 2016) ont récemment invité à les distinguer explicitement et à en tenir davantage compte dans le cadre de travaux futurs. En effet, comparé aux comportements de défense orientés vers la victime, faire face à l’assaillant constitue une stratégie risquée susceptible d’entraîner la riposte de l’agresseur et de ses soutiens. Un tel comportement ne serait alors adopté que par quelques élèves présentant certaines caractéristiques les distinguant d’autres camarades « défenseurs ». Il impliquerait entre autre un niveau élevé de sentiment d’efficacité personnelle à défier l’agresseur, ou encore une réputation et un statut élevés au sein du groupe de pairs. Les données de Reitjnes et collègues (Reitjnes et al., 2016) indiquent d’ailleurs que des caractéristiques individuelles (telles que le sexe ou le fait d’être auteur de harcèlement) et sociométriques (popularité, appréciation sociale) sont associées différemment à l’adoption de ces deux catégories de comportements de défense.

Les effets bénéfiques des réactions pro-victimes

6Qu’ils soient orientés vers la victime ou contre l’agresseur, les comportements de défense présentent un réel intérêt, documenté empiriquement à différents égards. Hawkins et collègues (Hawkins et al., 2001) ont ainsi identifié que lorsque des observateurs agissent, leur intervention est souvent efficace en mettant fin à la situation dans les dix secondes.

7Plusieurs recherches indiquent également que le soutien apporté explicitement aux élèves victimes de harcèlement a, non seulement un effet modérateur sur leurs niveaux de détresse psychologique, mais qu’il est également associé à des niveaux plus faibles de harcèlement (Hodges, Boivin, Vitaro, & Bukowski, 1999 ; Isaacs, Hodges, & Salmivalli, 2008 ; Juvonen & Graham, 2014 ; Sainio, Veenstra, Huitsing, & Salmivalli, 2011). L’adoption fréquente de comportements pro-victimes élèverait le coût social associé aux pratiques de harcèlement, conduisant les agresseurs à se raviser. Dans le cas des stratégies de défense orientées contre l’agresseur, à ce surcoût s’ajouterait le déclin des bénéfices généralement obtenus par ces derniers – notamment en termes de position dominante (Reitjnes et al., 2016).

8En outre, les comportements pro-victimes présentent un intérêt dans la mesure où ils rendent saillants une position active dans la prévention du harcèlement, position dont l’éventuel constat par les pairs est susceptible d’amorcer un changement d’attitude et d’encourager un élan défensif au sein du groupe (Hutchinson, 2012 ; Gini, Pozzoli, Borghi, & Franzoni, 2008). Par ailleurs, l’observation de ces comportements pro-victimes peut mener tant à leur apprentissage vicariant qu’à nourrir le répertoire stratégique de certains camarades jusqu’alors démunis quand il s’agissait de défendre un élève.

9Enfin, le fait de prendre parti pour une victime envoie un message sécurisant aux autres observateurs (Gini et al., 2008). Ces derniers, constatant la possibilité d’obtenir de l’aide en cas d’attaque dans l’établissement, pourraient avoir une perception plus favorable du climat scolaire, condition par ailleurs propice aux apprentissages et à la qualité de vie à l’école.

Facteurs associés aux comportements de défense

10Devant les nombreux arguments soutenant le recours aux comportements pro-victimes, l’identification de facteurs qui y sont associés a fait l’objet de plusieurs recherches. Il apparaît, par exemple, que le sexe ou encore l’âge sont des déterminants significatifs. Les élèves les plus jeunes et les filles sont plus enclins à défendre leurs camarades (Meter & Card, 2015, 2016 ; Pöyhönen, Juvonen, & Salmivalli, 2012 ; Pozzoli, Ang, & Gini, 2012 ; Pozzoli, Gini, & Vieno, 2012 ; Reijntjes et al., 2016 ; Rigby & Johnson, 2006). Le profil sociométrique joue, lui aussi, un rôle clé (Meter & Card, 2016). Les élèves qui prennent le parti des victimes sont souvent ceux qui ont un statut social élevé, qui sont bien acceptés par leurs camarades et intégrés dans des groupes populaires (Reijntjes et al., 2016 ; Sainio et al., 2011 ; Salmivalli et al., 1996). Par ailleurs, des études ont mis en évidence que les comportements pro-victimes étaient négativement corrélés au désengagement moral (Caravita, Gini, & Pozzoli, 2012 ; Thornberg & Jungert, 2013 ; Thornberg, Wanstrom, Sung Hong, & Espelage, 2017). Les jeunes qui défendent leurs pairs sont ainsi moins soumis aux processus sociocognitifs impliquant le recours à des justifications pour rendre un comportement transgressif acceptable sur le plan moral (e.g. euphémisation, blâme de la victime). Un niveau élevé de sentiment d’efficacité personnelle à intervenir constitue une autre variable individuelle liée aux comportements de défense (Gini, Pozzoli, Borghi, & Franzoni, 2008 ; Pronk, Goossens, Olthof, De Mey, & Willemen, 2013 ; Thornberg et al., 2017). Pour agir, il apparaît comme essentiel que les élèves croient en leur capacité à déployer efficacement le comportement de défense envisagé. L’empathie (Gini, Albiero, Benelli, & Altoè, 2007 ; Gini, Albiero et al., 2008), notamment l’empathie émotionnelle (Machackova & Pfetsch, 2016 ; Peets, Pöyhönen, Juvonen, & Salmivalli, 2015), favoriserait également la perception des souffrances des victimes et accroîtrait la probabilité d’adopter un comportement prosocial en conséquence. Enfin, concernant les données mettant en lumière le rôle joué par les perceptions normatives des élèves, une part significative de la variance liée aux réactions de défenses est expliquée par la perception que les élèves ont des comportements adoptés par leurs camarades observant du harcèlement (= norme descriptive) et par les attentes qu’ils perçoivent de la part de leur entourage quant au comportement propice à adopter (= norme prescriptive) (Kubiszewski, Auzoult, Potard, & Lheureux, soumis ; Pozzoli, Ang et al., 2012 ; Pozzoli & Gini, 2010 ; Pozzoli, Gini et al., 2012 ; Rigby & Johnson, 2006 ; Salmivalli & Voeten, 2004).

11Plusieurs éclairages théoriques ont été dégagés, notamment des approches évolutionnistes et de la théorie de l’identité sociale, concernant ces comportements pro-victimes (Tajfel & Turner, 1986 ; Volk, Farrell, Franklin, Mularczyk, & Provenzano, 2016). D’une part ces derniers permettraient d’assurer une forme de cohésion et de sécurité à chacun au sein d’un groupe social donné, limitant alors la vulnérabilité aux agressions émanant d’autres groupes. D’autre part, face aux attaques contre un membre de son propre groupe (endogroupe) par un jeune appartenant à un autre cercle (exogroupe), les comportements de défense auraient non seulement pour fonction de protéger ce membre mais également de maintenir une image positive et un statut élevé de l’endogroupe et de soi-même. Enfin, certains témoins instrumentaliseraient la défense d’un camarade en affrontant l’agresseur de façon à affirmer, eux-aussi, une position dominante (Reijntjes et al., 2016). En d’autres termes, certains défenseurs adopteraient ce comportement comme un moyen d’accroître ou d’asseoir leur statut dans le groupe en défiant l’assaillant qui représente alors un adversaire « ambitieux » à affronter.

12Plusieurs pistes d’intervention se dégagent de ces différentes considérations. Par exemple, les actions qui œuvrent en faveur de processus d’identification au groupe « école », de l’expression et de l’affichage de normes, de valeurs et de caractéristiques communes permettraient aux élèves de se sentir appartenir à un même ensemble dont chaque membre est à défendre (Christensen, Rothgerber, Wood, & Matz, 2004). Dans ce sens, les activités basées sur la coopération, mettant en valeur les compétences sociales, tout comme les programmes institutionnalisés de soutien par les pairs (e.g. médiation entre pairs, mentorat), ont des effets prometteurs (Cowie, 2014).

L’inaction, un comportement répandu

13Alors même que les comportements pro-victimes sont ceux les plus susceptibles d’enrayer le harcèlement et de limiter les souffrances des victimes, force est de constater que la réponse la plus communément adoptée par les témoins relève de l’inaction. Les observateurs affrontent rarement les élèves agresseurs préférant s’abstenir d’agir, et ce même s’ils ne cautionnent pourtant pas les pratiques de harcèlement (O’Connell, Pepler, & Craig, 1999 ; Oh & Hazler, 2009 ; Rigby & Johnson, 2006 ; Salmivalli & Voeten, 2004). À titre d’illustration, l’étude menée par O’Connell et ses collègues (1999), basée sur 53 évènements de type harcèlement enregistrés par vidéo, montre que dans la majorité des cas les témoins demeurent passifs, ne prenant parti ni pour l’agresseur ni pour la victime. De leur côté, à partir d’un recueil de données rétrospectif ciblant des témoins de harcèlement, Oh et Hazler (2009) ont constaté que plus de la moitié de leur échantillon révélait avoir adopté une position de retrait dans la situation qu’ils avaient à relater. Or, une telle passivité incite, d’une part, la victime à se rendre responsable de ce qu’elle subit et développe, d’autre part, un sentiment d’impunité chez l’agresseur contribuant à pérenniser ses agissements. Il est d’ailleurs apparu dans le travail d’O’Connell que l’agression avait davantage tendance à durer s’il y avait des observateurs.

14En dépit du nombre important d’élèves faisant part de leur intention d’aider les victimes quand ils sont soumis à des situations fictives de harcèlement (Rigby & Johnson, 2006), des études observationnelles suggèrent que le recours effectif à ces comportements in situ ne serait constaté que dans environ 10 % des épisodes de harcèlement (Atlas & Pepler, 1998 ; Craig, Pepler, & Atlas, 2000). Plusieurs raisons peuvent être évoquées concernant cet écart entre l’attitude pro-victime et les comportements réellement observés (Garandeau & Cillisen, 2006 ; Salmivalli, 2010 ; Volk et al., 2016).

15En premier lieu, « l’effet spectateur » et la dilution de responsabilité expliqueraient que des victimes puissent se retrouver livrées à elles-mêmes malgré la présence de nombreux individus (Bandura, 1999 ; Darley & Latane, 1968). La dilution de responsabilité est un processus amenant ainsi chacun des observateurs à compter sur l’intervention des autres et conduisant à ne pas se sentir soumis personnellement au devoir d’agir. De plus, le constat de l’inaction des pairs tend bien souvent à minimiser la gravité perçue des faits. Autrement dit, si les camarades n’interviennent pas, c’est que la situation n’est peut-être pas si dérangeante.

16En second lieu, l’assimilation de certains actes agressifs (comme le fait de donner des surnoms, des coups…) à des agissements « normaux » ou ludiques dans le milieu scolaire et leur banalisation sont également à considérer pour rendre compte de la fréquence de l’inaction. Nombre d’élèves ne manquent pas de signaler, après l’adoption d’un acte nuisible, qu’ils ont agi « pour rire » (Wong, Cheng, & Chen, 2013), envoyant le message aux témoins que la situation n’est pas à prendre au sérieux et limitant la probabilité de percevoir que la victime a besoin d’aide.

17L’inaction face à une situation de harcèlement peut également constituer une stratégie adaptative pour de nombreux élèves, et ce à plusieurs égards. S’abstenir d’afficher des liens avec un élève victime est considéré par beaucoup comme limitant le risque d’être pris pour cible à son tour (Boulton, 2013). Le coût associé aux comportements de défense serait ainsi souvent perçu comme dépassant les ressources jugées mobilisables par les observateurs. De plus, des processus d’influences sociales, tels que le conformisme (Asch, 1956), amèneraient des élèves, pourtant en opposition avec le harcèlement, à le cautionner publiquement sous la pression perçue. En effet, une éventuelle résistance aux processus d’influence sociale peut affecter les relations en favorisant l’exclusion ou le défaut de considération par les pairs. Cela constitue autant de risques de mises à l’écart du groupe auxquels sont particulièrement sensibles les enfants et les adolescents.

18Citons enfin, l’effet pervers du biais d’attribution de responsabilité (Chapin & Coleman, 2017 ; Garandeau & Cillessen, 2006) qui conduirait les élèves à tenir leurs camarades ciblés comme responsables de leur sort. Les auteurs de harcèlement visent généralement quelques élèves précis, souvent perçus comme vulnérables. Or la persistance des attaques à l’encontre de mêmes élèves peut donner l’impression que ce sont ces victimes qui présentent finalement des caractéristiques « déviantes » (en termes de personnalité par exemple). Cet aspect amènerait dès lors certains témoins à justifier et accepter les brimades à l’encontre de ces victimes, diminuant la probabilité de leur venir en aide. L’expérience d’une dissonance cognitive, inconfortable pour les témoins, contribuerait à générer ce processus de rationalisation des attaques constatées. L’observation d’une situation qui les mettrait mal à l’aise, mais face à laquelle ces témoins resteraient malgré tout passifs, serait particulièrement favorable à l’émergence de stratégies de désengagement moral – telles que l’attribution de la responsabilité des brimades à la victime elle-même et son dénigrement (Bandura, 1999).

19Notons, que certaines caractéristiques de l’environnement sont susceptibles de limiter ces processus de désengagements moraux et l’inaction des témoins. C’est notamment le cas des milieux ciblant la qualité des liens entretenus entre les individus et le développement de stratégies d’actions co-construites (Bandura, 1999). Dans les écoles, il est ainsi important de développer des temps et des lieux propices à la rencontre entre les individus, aux échanges prosociaux entre eux, et à la diffusion des modalités d’interventions à expérimenter face au harcèlement constaté. La promotion de l’affirmation de soi (e.g. par le biais de mises en situation ou de responsabilités confiées) favorisant la résistance aux pressions du groupe constitue un autre versant à travailler avec les élèves. Enfin, les mesures visant l’expression et la valorisation des compétences de chacun, y compris celles ne relevant pas directement du domaine académique, sont également des pistes à saisir pour favoriser les regards positifs posés sur chaque camarades et limiter le risque d’acceptation des actes malveillants qui les cibleraient.

Les réactions de soutien aux élèves auteurs de harcèlement

20Les observateurs peuvent se joindre plus ou moins directement à l’élève auteur de harcèlement. Il est également possible qu’ils le renforcent en lui laissant percevoir des signaux tels que des rires ou des encouragements tant gestuels que verbaux (Olweus & Limber, 2010 ; Salmivalli et al., 1996).

21Ces comportements, de par la récompense sociale qu’ils délivrent à l’agresseur, tendent bien souvent à pérenniser le harcèlement. C’est ainsi qu’au sein de classes il a été constaté que plus les élèves adoptaient des comportements pro-agresseurs, plus le harcèlement y était fréquent (Kärnä, Salmivalli, Poskiparta, & Voeten, 2008, cité dans Salmivalli, 2010). Ajoutons que les effets de ce type de réaction ne concernent pas uniquement l’agresseur. Ils sont également associés à l’état émotionnel de la victime. En effet, le lien entretenu entre, d’une part, le fait d’être victime de bullying et, d’autre part, l’anxiété sociale et le rejet par les pairs se révèle exacerbé dans les classes où les élèves soutiennent davantage l’agresseur qu’ils ne l’affrontent (Kärnä, Voeten, Poskiparta, & Salmivalli, 2010).

22L’existence de réactions pro-agresseurs peut être appréhendée en faisant appel à diverses pistes explicatives. La désinhibition et l’excitation générée par certains processus de groupes émergeant dans les cours de récréation peuvent conduire à une contagion sociale qui pousse des élèves à agir d’une façon dont ils ne sont pas coutumiers ou qu’ils n’approuvent pourtant généralement pas (O’Connell et al., 1999).

23Les comportements de harcèlement observés dans le milieu scolaire peuvent également être perçus comme des modèles à suivre (Bandura, 1977). Certains élèves constatant que le bullying est associé à des bénéfices sociaux (e.g. domination de l’élève qui en est à l’initiative) y seraient sensibles pour le perpétuer à leur tour. De plus, rendre saillante une forme de proximité aux harceleurs en les soutenant offrirait la possibilité de partager un statut élevé au sein du groupe et d’être vu comme occupant également une position dominante (O’Connell et al., 1999 ; Volk et al., 2016).

24De surcroît, les comportements pro-agresseurs auraient une fonction de protection. En diffusant l’image d’un élève soutenant le harcèlement et proche d’autres jeunes y ayant recours, le risque d’être visé à son tour serait réduit (Volk, Camilleri, Dane, & Marini, 2012).

25Enfin plusieurs travaux montrent, à la lumière de la théorie de l’identité sociale et des processus d’influence sociale, que les élèves ont davantage tendance à cautionner et à suivre les pratiques négatives adoptées par les membres de leur propre groupe qu’ils ne le font lorsque ces comportements émanent de jeunes perçus comme plus éloignés (Bastiaensens et al., 2014 ; Duffy & Nesdale, 2009).

26Depuis peu, tout un questionnement se développe autour des mesures qui pourraient être adoptées dans les établissements scolaires et qui tiendraient compte de ces éléments de réflexions (Ellis, Volk, Gonzales, & Embry, 2016 ; Kubiszewski, 2017 ; Volk et al., 2016). Il s’agit ainsi d’identifier des dispositifs et des procédures qui pourraient être vecteurs de modèles positifs, qui favoriseraient le recours à des comportements non-problématiques pour atteindre le statut dominant recherché par de nombreux élèves, ou encore qui les amèneraient à se sentir en sécurité sans avoir à rendre saillantes leurs capacités de riposte et leur affiliation à des camarades persécuteurs. Dans cet axe de réflexion, nous pouvons citer le dispositif de meaningful roles qui a fait l’objet d’une étude pilote publiée en 2016 (Ellis et al., 2016) et qui est actuellement évalué à plus large échelle aux Pays-Bas. L’approche novatrice de ce programme réside dans la volonté de s’appuyer sur, plutôt que de lutter contre, les motivations qui sous-tendent et renforcent le harcèlement. Il s’agit notamment d’inciter les élèves à s’engager dans des activités socialement acceptables qui seraient fonctionnellement équivalentes aux pratiques de harcèlement (ou de soutien au harcèlement) mais non compatibles avec ces dernières. D’une part, ces activités sont qualifiées de fonctionnellement équivalentes dans le sens où elles sont pensées pour être attractives et valorisantes. Elles sont proposées de façon à répondre au besoin de certains élèves de sortir leur épingle d’un « nouveau » jeu social offrant alors davantage d’opportunités compatibles avec le bien-être de chacun. D’un autre côté, ces activités mobilisent les élèves sur des temps, des lieux et sur la base de valeurs non compatibles avec les pratiques de harcèlement. Un dispositif basé sur ce type de considérations est également en cours de déploiement dans une trentaine d’établissements du premier et du second degré de l’académie de Besançon (Kubiszewski, 2017).

Complémentarité des approches individuelles et contextuelles des comportements des témoins

27La façon de présenter certains résultats empiriques donne souvent l’impression qu’un témoin serait, de façon assez figée, soit défenseur, soit assistant ou supporter, soit passif, et que certaines de ses caractéristiques individuelles sont à cibler prioritairement dans le cadre de la prévention (e.g. Salmivalli et al., 1996 ; Pouwels et al., 2016 ; Pozzoli, Gini, & Thornberg, 2017). Les recherches invitent pourtant bien à dépasser l’idée que le harcèlement et les réactions qu’il suscite chez les observateurs reposent principalement sur des processus individuels pour accorder un poids plus important au contexte dans lequel il survient (Haslebo & Lund, 2015 ; Galand, Hospel, & Baudouin, 2014 ; Peets et al., 2015). Le fait qu’un élève ait été identifié comme « défenseur » à un instant T, n’implique pas qu’il s’agit du seul rôle qu’il est amené à adopter. Selon le contexte, les élèves peuvent occuper des positions différentes (Haslebo & Lund, 2015 ; Reijntjes et al., 2016). L’environnement scolaire dans lequel évoluent les élèves est plus ou moins propice au déploiement accru de comportements de défense de par les valeurs qui y sont rendues saillantes, les normes perçues concernant ces réactions et les bénéfices sociaux pouvant y être associés. En complément d’actions destinées à agir sur les caractéristiques individuelles des élèves, des mesures touchant plus largement le climat scolaire sont à cibler. Le travail autour des normes sociales véhiculées semble constituer une orientation prometteuse (e.g. Perkins, Craig, & Perkins, 2011). C’est également le cas pour l’offre de temps et de lieux institutionnalisés permettant l’affirmation et la valorisation de chacun dans un environnement explicitement imprégné de valeurs choisies par tous (e.g. Bosworth & Judkins, 2014).

Bibliographie

Références

  • Asch, S.E. (1956). Studies of independence and conformity: I. A minority of one against a unanimous majority. Psychological Monographs: General and Applied, 70(9), 1-70.
  • Atlas, R.S., & Pepler, D.J. (1998). Observations of bullying in the classroom. The Journal of Educational Research, 92(2), 86-99.
  • Bastiaensens, S., Vandebosch, H., Poels, K., Van Cleemput, K., Desmet, A., & De Bourdeaudhuij, I. (2014). Cyberbullying on social network sites. An experimental study into bystanders’ behavioural intentions to help the victim or reinforce the bully. Computers in Human Behavior, 31, 259-271.
  • Bandura, A. (1977). Social Learning Theory. Englewood Cliffs, NJ : Prentice-Hall.
  • Bandura, A. (1999). Moral disengagement in the perpetration of inhumanities. Personality and social psychology review, 3(3), 193-209.
  • Bosworth, K., & Judkins, M. (2014). Tapping into the power of school climate to prevent bullying: One application of schoolwide positive behavior interventions and supports. Theory Into Practice, 53(4), 300-307.
  • Boulton, M.J. (2013). The effects of victim of bullying reputation on adolescents’ choice of friends: Mediation by fear of becoming a victim of bullying, moderation by victim status, and implications for befriending interventions. Journal of experimental child psychology, 114(1), 146-160.
  • Caravita, S., Gini, G., & Pozzoli, T. (2012). Main and moderated effects of moral cognition and status on bullying and defending. Aggressive Behavior, 38(6), 456-468.
  • Chapin, J., & Coleman, G. (2017). Children and adolescent victim blaming. Peace and Conflict: Journal of Peace Psychology, 23(4), 438-440.
  • Christensen, P.N., Rothgerber, H., Wood, W., & Matz, D.C. (2004). Social norms and identity relevance: A motivational approach to normative behavior. Personality and Social Psychology Bulletin, 30(10), 1295-1309.
  • Cowie, H. (2014). Understanding the role of bystanders and peer support in school bullying. International Journal of Emotional Education, 6(1), 26.
  • Craig, W.M., Pepler, D., & Atlas, R. (2000). Observations of bullying in the playground and in the classroom. School Psychology International, 21, 22-36.
  • Darley, J., & Latane, B. (1968). Bystander intervention in emergencies: Diffusion of responsibility. Journal of Personality and Social Psychology, 8, 377-383.
  • Duffy, A.L., & Nesdale, D. (2009). Peer groups, social identity, and children’s bullying behavior. Social Development, 18(1), 121-139.
  • Ellis, B.J., Volk, A.A., Gonzalez, J.M., & Embry, D.D. (2016). The meaningful roles intervention: An evolutionary approach to reducing bullying and increasing prosocial behavior. Journal of research on adolescence, 26(4), 622-637.
  • Galand, B., Hospel, V., & Baudoin, N. (2014). Prévenir le harcèlement via les pratiques de classe ? Une étude multiniveaux. Revue québécoise de psychologie, 35(3), 137-156.
  • Garandeau, C.F., & Cillessen, A.H. (2006). From indirect aggression to invisible aggression: A conceptual view on bullying and peer group manipulation. Aggression and violent behavior, 11(6), 612-625.
  • Gini, G., Albiero, P., Benelli, B., & Altoè, G. (2007). Does empathy predict adolescents’ bullying and defending behavior? Aggressive behavior, 33(5), 467-476.
  • Gini, G., Pozzoli, T., Borghi, F., & Franzoni, L. (2008). The role of bystanders in students’ perception of bullying and sense of safety. Journal of school psychology, 46(6), 617-638.
  • Gladden, R.M., Vivolo-Kantor, A.M., Hamburger, M.E., & Lumpkin, C.D. (2014). Bullying surveillance among youths: uniform definitions for public health and recommended data elements, Version 1.0. National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention and U.S. Department of Education.
  • Haslebo, G., & Lund, G.E. (2015). Practicing Relational Thinking in Dealing with Bullying in Schools. In Education as Social Construction, Contribution to theory, research and practice (pp 168-189). Taos Institute Publications : Ohio.
  • Hawkins, L.D., Pepler, D.J., & Craig, W.M. (2001). Naturalistic observations of peer interventions in bullying. Social Development, 10(4), 512-527.
  • Hodges, E.V., Boivin, M., Vitaro, F., & Bukowski, W.M. (1999). The power of friendship: Protection against an escalating cycle of peer victimization. Developmental Psychology, 35, 94-101.
  • Hutchings, J., & Clarkson, S. (2015). Introducing and piloting the KiVa bullying prevention programme in the UK. Educational and Child Psychology, 32(1), 49-61.
  • Hutchinson, M. (2012). Exploring the impact of bullying on young bystanders. Educational Psychology in practice, 28(4), 425-442.
  • Isaacs, J., Hodges, E.V., & Salmivalli, C. (2008). Long-term consequences of victimization by peers: A follow-up from adolescence to young adulthood. International Journal of Developmental Science, 2, 387-397
  • Juvonen, J., & Graham, S. (2014). Bullying in schools: The power of bullies and the plight of victims. Annual Review of Psychology, 65, 159-185.
  • Kärnä, A., Voeten, M., Poskiparta, E., & Salmivalli, C. (2010). Vulnerable children in different classrooms: Classroom-level factors moderate the effect of individual risk on victimization. Merrill-Palmer Quarterly, 56, 261-282.
  • Kubiszewski, V. (2016). Prévalence des élèves témoins de harcèlement scolaire et difficultés associées: résultats préliminaires. Pratiques psychologiques, 22(3), 205-219.
  • Machackova, H., & Pfetsch, J. (2016). Bystanders’ responses to offline bullying and cyberbullying: The role of empathy and normative beliefs about aggression. Scandinavian Journal of Psychology, 57, 169-176.
  • Meter, D.J., & Card, N.A. (2015). Defenders of victims of peer aggression: Interdependence theory and an exploration of individual, interpersonal, and contextual effects on the defender participant role. Developmental Review, 38, 222-240.
  • Meter, D.J., & Card, N.A. (2016). Identifying defenders of peer victimization. Journal of Adolescence, 49, 77-80.
  • Nocentini, A., & Menesini, E. (2016). KiVa Anti-Bullying program in Italy: evidence of effectiveness in a randomized control trial. Prevention science, 17(8), 1012-1023.
  • O’Connell, P., Pepler, D., & Craig, W. (1999). Peer involvement in bullying: Insights and challenges for intervention. Journal of Adolescence, 22, 437-452.
  • Oh, I., & Hazler, R.J. (2009). Contributions of personal and situational factors to bystanders’ reactions to school bullying. School Psychology International, 30, 291-310.
  • Olweus, D. (2013). School bullying: Development and some important challenges. Annual Review of Clinical Psychology, 9, 751-780.
  • Olweus, D., & Limber, S.P. (2010). Bullying in school: Evaluation and dissemination of the Olweus Bullying Prevention Program. American Journal of Orthopsychiatry, 80(1), 124-134.
  • Peets, K., Pöyhönen, V., Juvonen, J., & Salmivalli, C. (2015). Classroom norms of bullying alter the degree to which children defend in response to their affective empathy and power. Developmental Psychology, 51, 913.
  • Perkins, H.W., Craig, D.W., & Perkins, J.M. (2011). Using social norms to reduce bullying: A research intervention among adolescents in five middle schools. Group Processes & Intergroup Relations, 14(5), 703-722.
  • Pozzoli, T., Ang, R.P., & Gini, G. (2012). Bystanders’ reactions to bullying: A cross‐cultural analysis of personal correlates among Italian and Singaporean students. Social Development, 21, 686-703
  • Pozzoli, T., & Gini, G. (2010). Active defending and passive bystanding behavior in bullying: The role of personal characteristics and perceived peer pressure. Journal of Abnormal Child Psychology, 38, 815-827.
  • Pozzoli, T., Gini, G., & Thornberg, R. (2017). Getting angry matters: Going beyond perspective taking and empathic concern to understand bystanders’ behavior in bullying. Journal of adolescence, 61, 87-95.
  • Pozzoli, T., Gini, G., & Vieno, A. (2012). The role of individual correlates and class norms in defending and passive bystanding behavior in bullying: A multilevel analysis. Child Development, 83, 1917-1931
  • Pouwels, J.L., Lansu, T.A., & Cillessen, A.H. (2016). Participant roles of bullying in adolescence: Status characteristics, social behavior, and assignment criteria. Aggressive behavior, 42(3), 239-253.
  • Pöyhönen, V., Juvonen, J., & Salmivalli, C. (2012). Standing up for the victim, siding with the bully or standing by? Bystander responses in bullying situations. Social Development, 21, 722-741.
  • Pronk, J., Goossens, F.A., Olthof, T., De Mey, L., & Willemen, A.M. (2013). Children’s intervention strategies in situations of victimization by bullying: Social cognitions of outsiders versus defenders. Journal of School Psychology, 51, 669-682.
  • Reijntjes, A., Vermande, M., Olthof, T., Goossens, F.A., Aleva, L., & van der Meulen, M. (2016). Defending victimized peers: Opposing the bully, supporting the victim, or both? Aggressive behavior, 42, 585-597.
  • Rigby, K., & Johnson, B. (2006). Expressed readiness of Australian schoolchildren to act as bystanders in support of children who are being bullied. Educational Psychology, 26, 425-440.
  • Rivers, I., Poteat, V.P., Noret, N., & Ashurst, N. (2009). Observing bullying at school: The mental health implications of witness status. School Psychology Quarterly, 24, 211-223.
  • Sainio, M., Veenstra, R., Huitsing, G., & Salmivalli, C. (2011). Victims and their defenders: A dyadic approach. International Journal of Behavioral Development, 35, 144-151.
  • Salmivalli, C. (2010). Bullying and the peer group: A review. Aggression and violent behavior, 15(2), 112-120.
  • Salmivalli, C., Lagerspetz, K., Björkqvist, K., Österman, K., & Kaukiainen, A. (1996). Bullying as a group process: Participant roles and their relations to social status within the group. Aggressive Behavior, 22, 1-15.
  • Salmivalli, C., Poskiparta, E., Ahtola, A., & Haataja, A. (2013). The implementation and effectiveness of the KiVa antibullying program in Finland. European Psychologist, 18, 79-88.
  • Salmivalli, C., & Voeten, M. (2004). Connections between attitudes, group norms, and behaviour in bullying situations. International Journal of Behavioral Development, 28, 246-258.
  • Tajfel, H., & Turner, J.C. (1986). The social identity theory of intergroup behaviour. In S.Worchel, & W.G. Austin (Eds.), Psychology of intergroup relations (pp. 7e24). Chicago, IL:  Nelson-Hall.
  • Thornberg, R., & Jungert, T. (2013). Bystander behavior in bullying situations: Basic moral sensitivity, moral disengagement and defender self-efficacy. Journal of adolescence, 36(3), 475-483.
  • Thornberg, R., Wanstrom, L., Sung Hong, J. & Espelage, D. (2017). Classroom relationship qualities and social-cognitive correlates of defending and passive bystanding in school bullying in Sweden: A multilevel analysis. Journal of school Psychology, 63, 49-62.
  • Volk, A.A., Camilleri, J.A., Dane, A.V., & Marini, Z.A. (2012). Is adolescent bullying an evolutionary adaptation? Aggressive behavior, 38(3), 222-238.
  • Volk, A.A., Farrell, A.H., Franklin, P., Mularczyk, K.P., & Provenzano, D.A. (2016). Adolescent bullying in schools: An evolutionary perspective. In Evolutionary perspectives on child development and education (pp. 167-191). Springer : Cham.
  • Wong, C.T., Cheng, Y.Y., & Chen, L.M. (2013). Multiple perspectives on the targets and causes of school bullying. Educational Psychology in Practice, 29(3), 278-292.

Mots-clés éditeurs : influence sociale, Harcèlement entre pairs, régulation individuelle, témoins

Mise en ligne 12/10/2018

https://doi.org/10.3917/enf2.183.0441

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.170

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions