Enfance 2018/2 N° 2

Couverture de ENF2_182

Article de revue

Comment les adolescent/es perçoivent la relation avec leur camarade préféré/e

Pages 323 à 342

Notes

  • [1]
    Nous utiliserons « ami » pour désigner indifféremment un ami ou amie, tout comme « camarade préféré » et « adolescent » font référence à la fois aux filles et aux garçons.
  • [2]
    De 16 à 12 items, la sélection ne reposait certes pas sur un grand nombre d’items, mais cette pré-enquête avait elle-même été préparée par des travaux de recherche d’étudiants en 4e année d’étude, faisant appel eux aussi à des analyses factorielles exploratoires.
  • [3]
    Le modèle en trois facteurs obliques est aussi bien ajusté aux données si l’on se limite aux élèves dont le camarade préféré est le meilleur ami que si l’on se centre sur ceux pour qui ce n’est pas le cas. Nous ne présentons pas ces deux analyses, car leurs résultats sont quasi-identiques à ceux de l’analyse exposée dans cet article.

1La perception de la relation avec sa ou son camarade de classe préféré.e à l’adolescence.

Introduction

2L’amitié à l’adolescence a de longue date été reconnue comme une expérience qui compte dans la formation de la personne. Cette conception est apparue chez Rousseau et elle est formulée à titre spéculatif dès les premiers traités de psychologie de l’adolescence, par exemple celui de Mendousse (1907), comme l’a analysé dans une perspective historique Vincent-Buffaut (1995). On la retrouve dans la deuxième moitié du xxe siècle lorsque la psychologie de l’adolescence devient l’objet de recherches empiriques, avancée inaugurée en France par la thèse de Bianka Zazzo (1966), pour qui l’ami [1] à l’adolescence « est le moyen de mieux se définir, de mieux se connaître. » (p. 293). La présente recherche avait pour but de repérer des dimensions par lesquelles les adolescents français perçoivent la relation avec leur camarade de classe préféré. Il s’agissait d’identifier des dimensions qui soient complémentaires et non l’expression d’une même qualité homogène de cette relation par définition positive. Le camarade de classe préféré n’est pas nécessairement le meilleur ami ou même seulement un ami, mais il est théoriquement dans la classe l’ami le plus probable. Notre objectif était aussi de savoir si la perception de la relation avec le camarade de classe préféré varie selon qu’il est ou n’est pas le meilleur ami de l’élève en dehors du collège, selon aussi que cette préférence interpersonnelle est plus ou moins ancienne et selon enfin le sexe de l’adolescent.

La qualité perçue de la relation avec le camarade de classe préféré

3Faute de recherches ayant porté sur la perception de la relation avec le condisciple préféré, nous nous sommes appuyés sur celles ayant étudié la perception de la relation avec le meilleur ami. Les recherches réalisées depuis plusieurs décennies mettent en évidence l’importance accordée à l’amitié par les enfants et les adolescents et ses effets sur le développement (pour une vue d’ensemble, Bukowski, Motzoi, & Meyer, 2009). Par exemple, avoir au moins un ami protège les jeunes adolescents contre l’émergence de sentiments anxieux ou dépressifs (Pedersen, Vitaro, Barker, & Borge, 2007), mais une relation d’amitié peut aussi, selon les caractéristiques de l’ami, constituer un facteur d’augmentation des conduites délinquantes (Brendgen, Vitaro, & Bukowski, 2000).

4Le fait d’avoir au moins une relation d’amitié d’une part, l’identité de l’ami ou des amis d’autre part, ce sont là selon Hartup (1996) deux des trois principaux éléments qu’il convient de prendre en compte pour étudier l’amitié et ses effets sur le développement. Le troisième élément est ce qu’on s’accorde pour appeler la « qualité » de l’amitié, c’est-à-dire les principales propriétés que l’enfant ou l’adolescent reconnaît à une de ses relations d’amitié. On évalue la qualité de l’amitié en interrogeant les adolescents ou les enfants, grâce à des questionnaires élaborés à cette fin. La qualité a beau être subjective, elle n’est pas pour autant fantaisiste, car lorsqu’on demande à deux adolescents amis d’évaluer leur relation, on s’aperçoit que leurs perceptions sont concordantes (Waldrip, Malcolm, & Jensen-Campbell, 2008). La qualité de l’amitié à l’adolescence est associée notamment à l’estime de soi, la bonne humeur et la satisfaction à l’égard de la vie (Raboteg-Saric & Sakic, 2014).

Une qualité multidimensionnelle

5Si l’on a pris soin de distinguer différentes propriétés de cette qualité perçue, c’est pour mieux comprendre comment l’amitié intervient dans le développement. La plupart des questionnaires distinguent plutôt cinq ou six dimensions. Ainsi, le questionnaire utilisé par Waldrip, Malcom et Jensen-Campbell (2008) dans la recherche citée ci-dessus, mis au point par Bukowski, Hoza et Boivin (1994), en comporte cinq : Réconfort ; Intimité ; Entraide ; Camaraderie ; Absence de conflit. Les dimensions distinguées entretiennent en général de fortes corrélations positives, ce qui est certes conforme à leur statut théorique de facettes d’une même qualité positive générale de l’amitié, mais ce qui également atteste de leur large recouvrement conceptuel, c’est-à-dire d’une redondance peu compatible avec le principe de parcimonie. Ce chevauchement s’observe aussi lorsqu’on étudie la perception de l’amitié chez l’adulte, pourtant cognitivement plus à même que l’enfant ou le jeune adolescent de se représenter distinctement différentes propriétés de l’amitié. Par exemple, entre les six échelles du McGill Friendship Questionnaire de Mendelson et Kay (2003), la moyenne des corrélations est de 0,74, ces dernières variant de 0,68 entre les échelles Intimité et Camaraderie stimulante à 0,83 entre les échelles Intimité et Sécurité émotionnelle.

6Pour la population française, il n’existe pas d’autre instrument ayant fait l’objet d’une étude de validation que celui de Mallet et Vrignaud (2000), approprié à la classe d’âge allant de 8-9 à 12-13 ans. Il comporte trois dimensions : Soutien-attachement, Compréhension mutuelle et Activités extrascolaires partagées. Les deux premières, qui sont celles identifiées comme fondamentales par Savin-Williams et Berndt (1993), s’avèrent fortement corrélées (r = .71), elles le sont moins avec la troisième (rs = .45 et .46, respectivement). Souhaitant analyser la perception de la relation avec un ami chez des adolescents, nous nous sommes orientés vers cet instrument. Toutefois, il nous a paru contestable de reconnaître à la dimension Activités extrascolaires partagées le statut de propriété de la qualité de l’amitié, car, au moins dans la première moitié de l’adolescence, la fréquence de ces activités résulte encore largement de facteurs extérieurs à la dyade amicale, tels que la proximité entre les domiciles et les pratiques éducatives parentales. Nous avons donc exclu cette variable théoriquement peu pertinente. De même, nous n’avons pas retenu la Compréhension mutuelle, trop étroitement intriquée avec le Soutien-attachement. Cette intrication manifeste les rapports entre la qualité de la communication et les émotions induites par le partenaire : l’attachement à l’ami et le sentiment de se comprendre intimement se renforcent réciproquement. Une recherche exploratoire (présentée plus bas dans la partie Méthode) apportait un soutien empirique au caractère psychologiquement redondant de ces deux dimensions.

Une perception de la relation avec le camarade préféré structurée par trois fonctions adaptatives

7La dimension Soutien-attachement, seule conservée, fait référence à la joie de se retrouver, à la peine en cas de séparation, au désir de maintenir la relation, et au partage verbal des expériences émotionnelles marquantes. Il s’agit donc doublement d’une composante émotionnelle de la qualité de l’amitié : émotions ressenties lors des séparations et des retrouvailles et plus généralement émotions communiquées. On peut y voir l’expression d’un besoin de ces sentiments de sécurité personnelle que procure une relation stable avec un partenaire préféré, tel qu’on trouve ce besoin conceptualisé dans la « théorie de l’attachement » (Ainsworth & Bowlby, 1989 ; Bowlby, 1978). Quelles qu’aient pu être les fonctions adaptatives ayant guidé la sélection de ce besoin au cours de l’évolution de notre espèce, le système d’attachement vise chez l’humain à rétablir un état personnel de sécurité émotionnelle, en particulier en cas de stress, par la recherche de proximité physique et psychologique avec un partenaire électif avec qui est entretenue une relation ayant un minimum de stabilité (Cassidy, 1999). Cette dimension de la perception de l’amitié peut donc être considérée refléter dans quelle mesure le système d’attachement de l’adolescent est activé dans la relations avec tel ami.

8Afin de saisir des composantes de la qualité de l’amitié qui soient complémentaires de cette dimension centrale et qui se recouvrent elles-mêmes le moins possible, il convenait à la fois d’en limiter le nombre et d’identifier une ou plusieurs autres propriétés de la qualité perçue de l’amitié qui remplissent des fonctions fondamentales et spécifiques.

9Dans cette perspective, nous avons pris en compte la valeur adaptative générale de l’amitié dans un contexte social écologique : le groupe classe. Même si elle présente des variations culturelles, qui s’expriment dans les conceptions que s’en font les enfants et les adolescents (Krappmann, 1996), il semble bien que l’amitié soit universelle. On en retrouve les principaux traits dans toutes les régions du monde où l’on a entrepris de l’étudier, comme l’illustrent plusieurs des contributions à l’ouvrage de Chen, French et Schneider (2006). Repérable dès la fin de la première année de vie et non apprise, elle se caractérise par une empathie réciproque entre bambins et tout spécialement un partage d’affects positifs (Howes & Lee, 2006). Elle se caractérise aussi par une coordination des actions, qui devient une véritable coopération, dans les jeux d’imagination à partir de 18 mois (Dunn, 2004).

10Se fondant sur les recherches en psychologie comparée, portant en particulier sur les singes, les éléphants, les dauphins ou les chevaux, Seyfarth et Cheney (2012) considèrent que les origines phylogénétiques de l’amitié se situent dans la valeur adaptative de relations préférentielles stables caractérisées par une empathie réciproque (De Waal, 2007), procurant consolation et réconfort, mais aussi constituant une ressource fiable de coopération et d’entraide. Dans ces différentes espèces, ces liens procureraient une protection contre les attaques de congénères et augmenteraient l’efficacité dans l’accès aux ressources, en particulier dans les situations de compétition intra- ou intergroupes.

11S’agissant de l’amitié à l’adolescence, elle a de bonnes raisons d’être entretenue entre élèves d’une même classe. Le milieu des condisciples à l’adolescence est un facteur de stress, plus ou moins intense selon les individus (La Greca & Lopez, 1998) et les intimidations entre élèves ne sont pas exceptionnelles (pour une revue, voir Salmivali & Peets, 2009 ; pour la France, voir Grandjean, 2016). Dans ce contexte, on a constaté que l’augmentation du taux de cortisol salivaire (indice de stress physiologique) et la baisse de l’estime de soi qui suivent les intimidations ou agressions par des condisciples sont beaucoup plus faibles si elles se produisent alors que l’élève a son meilleur ami près de lui (Adams, Santo, & Bukowski, 2012). De nombreuses autres recherches confirment les effets protecteurs de la relation avec le meilleur ami contre les agressions et leurs conséquences néfastes (pour une revue, Bagwell & Schmidt, 2011). Percevoir son condisciple préféré comme prêt à apporter son aide face à une éventuelle agression nous paraissait constituer une propriété complémentaire par rapport aux sentiments d’attachement.

12Par ailleurs, l’institution scolaire est le cadre d’une compétition entre élèves, explicitement hiérarchisés selon leurs performances académiques, dont ils savent qu’elles sont déterminantes pour leur profession et leur position dans la société à l’âge adulte. Or, la relation avec son meilleur ami peut renforcer la motivation de l’élève pour réussir scolairement (Wentzel, McNamara Barry, & Caldwell, 2004). Compte tenu des défis cognitifs que constituent les programmes scolaires, nous faisions l’hypothèse que le sentiment de pouvoir compter sur l’aide de son condisciple préféré, de se sentir prêt à faire appel à lui pour surmonter des difficultés de compréhension, pouvait constituer une troisième propriété de la qualité de l’amitié, distincte des deux précédentes. Notre première hypothèse était donc que les adolescents évalueraient de façon distincte ces trois aspects de la relation avec leur camarade de classe préféré : attachement, protection attendue contre les agressions, et sentiment de pouvoir spontanément lui demander de l’aide pour le travail scolaire.

Variations de la qualité de l’amitié

13Dans la plupart des recherches on a constaté qu’à l’adolescence les filles ont une perception plus positive que les garçons de la relation avec leur meilleur ami (Brendgen, Markiewicz, Doyle, & Bukowski, 2001). Cette différence peut être considérée comme manifestant dans le contexte de l’amitié une différence plus générale entre garçons et filles, ces dernières étant en moyenne plus empathiques et enclines à verbaliser leurs sentiments, les garçons davantage portés vers le partage d’activités physiques et groupales (pour une revue, Rose & Rudolph, 2006). La genèse de ces différences est encore mal connue, mais repose vraisemblablement en partie sur l’expérience des interactions unisexuées entre pairs, qui prévalent fortement pendant les années d’école élémentaire et transmettent ou renforcent des styles d’interaction différents (Maccoby, 1999). En effet, la différence inter-sexe de perception de la qualité de l’amitié n’apparaît pas lorsqu’il s’agit de l’amitié entre un garçon et une fille (MacDougall & Hymel, 2007). La plupart des garçons et filles au milieu de l’adolescence ayant surtout des amis de même sexe (Bukowski, Gauze, Hoza, & Newcomb, 1993), c’est sur cette catégorie de relation que s’est focalisée la présente recherche. Selon une deuxième hypothèse, nous nous attendions à ce que les filles accordent en moyenne une plus grande valeur que les garçons à la relation avec leur camarade préféré.

14Lorsque le camarade de classe préféré est aussi le meilleur ami de façon générale, par définition la relation est encore plus élective. Or, on sait que la valeur adaptative d’une relation d’amitié n’est pas la même selon sa position dans la hiérarchie des relations d’amitié. Ainsi, par exemple, dans la recherche d’Adams, Santo et Bukowski (2012) mentionnée plus haut, l’effet d’amortissement du stress est spécifique de la relation avec le meilleur ami ; la présence d’autres amis au moment du stress n’a pas cet effet. C’est pourquoi, selon notre troisième hypothèse, la relation avec le camarade préféré devait être perçue de façon plus positive lorsqu’il était le meilleur ami aussi en dehors du contexte scolaire.

15En outre, on pouvait théoriquement avancer que la qualité perçue d’une relation d’amitié devrait être d’autant plus positive qu’elle a résisté à l’épreuve du temps. Sa continuité temporelle, synonyme de stabilité, solidité du lien, en fait une ressource sur laquelle on peut compter. Cette fidélité, inspirant une confiance mutuelle, devrait se traduire par une perception positive de la relation, une telle perception ayant réciproquement de quoi donner envie de préserver une aussi précieuse relation. À l’appui de cette hypothèse, on a constaté que les préadolescents et les jeunes adolescents dont la relation avec le meilleur ami s’avère stable dans les six mois qui suivent le début de la recherche en ont une meilleure perception que ceux pour qui elle s’interrompt (Bukowski, Hoza, & Boivin, 1994 ; Waldrip, Malcolm, & Jensen-Campbell, 2008). Mais qu’en est-il pour des durées plus longues ? Suivant notre quatrième hypothèse, nous nous attendions à ce que les adolescents aient une perception de la relation avec leur camarade préféré d’autant plus positive que cette relation était ancienne.

Méthode

Procédure et participants

16Les adolescents ont répondu individuellement par écrit à un questionnaire, dans le cadre de leur établissement scolaire, en participant à une enquête nationale réalisée par le ministère de l’Éducation nationale. Les 18 222 élèves interrogés (52 % de filles) âgés en moyenne de 15 ans et 4 mois, constituaient un échantillon représentatif de la population française des adolescents scolarisés en classe de troisième. Les élèves, leurs parents et les responsables des établissements avaient donné leur consentement éclairé à la participation des élèves à la recherche. Les passations étaient assurées par des expérimentatrices et expérimentateurs ayant pour mission de veiller à ce que les élèves ne communiquent pas entre eux durant la séance et de répondre à leurs éventuelles questions. Parmi l’ensemble des questionnaires, 1043 (soit 7,35 % du total) ont été exclus des analyses parce qu’ils comportaient des réponses manquantes. Ces questionnaires ne présentaient pas de différences significatives par rapport aux 16883 conservés pour les analyses quant à l’âge ou à la proportion de garçons et filles.

Instrument

17À l’intérieur d’un questionnaire portant sur différents aspects de l’ajustement au milieu scolaire, un ensemble de 12 items destinés à évaluer les trois propriétés de la qualité perçue de l’amitié que nous avions distinguées avaient été inclus, présentés aux élèves suivant l’ordre dans lequel ils figurent en annexe 1. Les items visant à saisir la force de l’attachement perçu étaient repris du questionnaire de Mallet et Vrignaud (2000). Afin que le questionnaire soit le moins long possible et compte tenu de la forte homogénéité de cette sous-échelle en sept items, seuls quatre d’entre eux (items 2, 4, 7 et 10) ont été conservés pour cette recherche. Quatre autres visaient à saisir le fait de s’attendre à ce que l’ami apporte spontanément sa protection en cas de menace ou d’agression par des condisciples (items 3, 6, 9 et 11). Quatre autres encore avaient été conçus pour évaluer dans quelle mesure l’élève se sentait prêt à demander de l’aide à l’ami pour faire son travail scolaire ou surmonter des difficultés de compréhension (items 1, 5, 8 et 12). L’élève indiquait à l’aide d’une échelle en cinq points, allant de 1 (Pas du tout) à 5 (Tout à fait) dans quelle mesure chaque proposition correspondait à la relation avec son condisciple préféré.

18Les items sélectionnés pour évaluer ces trois dimensions avaient auparavant été inclus dans une pré-enquête par questionnaire effectuée auprès de 1034 élèves (54 % de filles) destinée à préparer l’enquête réalisée auprès de l’échantillon représentatif [2]. Outre ces trois dimensions, le questionnaire visant à évaluer la perception de la relation comportait quatre items relatifs à une quatrième dimension : la compréhension et la confiance mutuelles. Ces items étaient empruntés à Mallet et Vrignaud (2000), par exemple : « Il vous arrive de vous parler en sachant que ce que vous dites restera entre vous. »

19Une analyse factorielle exploratoire en composante principale a fait apparaître trois valeurs propres supérieures à 1. Elles (et leur % de variance) étaient les suivantes : 7,05 (44,09), 1,70 (10,61) et 1,07 (6,71). De plus, la courbe des valeurs propres étant presque plate après la troisième, nous avons opté pour une solution en trois facteurs. Afin de dégager des facteurs aussi distincts les uns des autres que possible, nous avons effectué une rotation Varimax. Sur le premier facteur saturaient le plus fortement les items conçus pour évaluer l’attachement ou la compréhension et la confiance mutuelles. Les saturations étaient en moyenne de 0,71 pour les quatre items d’attachement et de 0,66 pour les quatre de compréhension et confiance mutuelles. Les quatre items d’aide saturaient le plus fortement sur le deuxième facteur et les quatre items de protection attendue sur le troisième (saturations moyennes de 0,79 et 0,70, respectivement). Compte tenu de la contrainte de l’enquête nationale de restreindre le nombre d’items au strict nécessaire et afin d’avoir trois dimensions à la signification psychologique aussi univoque que possible, nous avons exclu les quatre items de compréhension-confiance mutuelles.

20En préambule aux douze items retenus, les élèves lisaient la consigne suivante : « Les phrases suivantes portent sur la relation avec le ou la camarade de ta classe, de même sexe que toi, avec qui tu t’entends le mieux. S’il y en a plusieurs, choisis en un(e) et c’est toujours sur la relation avec lui/elle que porteront les phrases ci-dessous. » Puis le participant répondait par oui ou non à la question suivante : « Est-ce ton/ta meilleur(e) ami(e), y compris en dehors du collège ? » Nous avons ainsi pu constater que pour 67 % des élèves le condisciple préféré était aussi le meilleur ami en dehors du collège. Ensuite, pour répondre à la question : « Depuis combien de temps est-il/elle ton/ta camarade de classe préféré(e) ? », il disposait de quatre modalités : Depuis l’école primaire, Depuis ces trois dernières années, Au moins depuis septembre dernier et Depuis moins de trois mois. Il est apparu que 25 % des élèves avaient le même camarade de classe préféré depuis l’école primaire, que pour 42 % c’était le cas depuis l’entrée au collège, pour 29 % au moins depuis la rentrée dernière, et pour les 4 % restant seulement depuis tout au plus trois mois.

Résultats

Structure factorielle de la qualité perçue de la relation avec le camarade préféré

21Suivant la première hypothèse, la perception de la qualité de la relation avec le camarade préféré devait être structurée par trois sources de différences individuelles correspondant à trois domaines de l’expérience de la relation avec le camarade préféré ne se recouvrant que partiellement : les émotions témoignant de l’attachement à l’ami, l’attente qu’il apporte sa protection en cas de besoin, et le fait de se sentir prêt à lui demander de l’aide pour faire face aux exigences académiques. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, il importait non seulement d’évaluer l’adéquation des réponses des adolescents au modèle structuré par trois facteurs, mais aussi de démontrer que cette adéquation était meilleure que pour un modèle plus simple, constitué d’un facteur unique de perception globalement positive de la relation. Pour ce faire, compte tenu que les items avaient préalablement été sélectionnés au moyen d’une analyse factorielle exploratoire sur un échantillon de participants distinct issu de la même population parente, nous avons eu recours à deux analyses factorielles confirmatoires.

22La distribution des variables des différents items étant normale, nous avons opté pour l’usage de la méthode du maximum de vraisemblance. Pour vérifier l’ajustement de ces deux modèles aux données nous avons retenu certains indices généralement recommandés (voir Hu & Bentler, 1999 ; Jöreskog & Sörbom, 1985) : le χ2, le rapport du χ2 au nombre de degrés de liberté, l’indice comparatif d’adéquation (CFI), l’index de Tucker-Lewis (TLI), l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (RMSEA) et l’indice de la racine du carré moyen d’erreur (SRMR). Lorsqu’un modèle est considéré comme bien ajusté aux données, la valeur du χ2 ne doit pas être significative. Celle-ci étant dépendante de la taille de l’échantillon, il est toutefois conseillé d’utiliser le rapport du χ2 au nombre de degrés de liberté, qui doit être inférieur à trois pour un bon ajustement, plutôt que la seule valeur du χ2 (Hooper, Coughlan, & Mullen, 2008; Kline, 1998). Toujours en vue d’un bon ajustement du modèle théorique aux données, la valeur du RMSEA est considérée comme acceptable si elle est inférieure à 0,08, et comme rendant compte d’une bonne adéquation en dessous de 0,06. Dans cette perspective également, la valeur attendue du SRMR doit être inférieure à 0,08 et celles du TLI et du CFI sont considérées comme acceptables si elles sont supérieures à 0,90, et comme indiquant une bonne adéquation à partir de 0,95.

23Les résultats de l’analyse confirmatoire sont présentés dans le tableau 1. Le modèle unidimensionnel de la représentation de la relation avec le camarade préféré présente de mauvais indices d’ajustement. Tous les indices montrent des valeurs éloignées des seuils considérés comme acceptables pour une bonne adéquation du modèle aux données. Le modèle théorique en trois facteurs présente en revanche de bons indices d’ajustement : les TLI et CFI ont des valeurs supérieures à 0,95, le RMSEA est inférieur à 0,06, et la valeur du SRMR est bien inférieure à 0,08. Seul le rapport du χ2 au nombre de degrés de liberté reste très élevé, bien supérieur à la valeur seuil de trois. La valeur élevée de ce rapport peut être imputée à la très grande taille de l’échantillon et ne peut en conséquence être considérée comme l’indice d’un mauvais ajustement.

Tableau 1.Indices d’ajustement de l’analyse factorielle confirmatoire pour trois modèles

Modèlesχ2 Ddl*p χ2 / ddlCFITLIRMSEASRMR
1. Modèle à 1 dimension27481,3754.001508,914.70.63.17.10
2. Modèle à 3 dimensions2345,2751.00145,986.97.97.05.04
3. Modèle 3 dimensions avec covariances erreurs1006,6443.00123,410.99.98.04.02

Tableau 1.Indices d’ajustement de l’analyse factorielle confirmatoire pour trois modèles

*ddl : degrés de libertés ; N = 16883

24En dépit des bons indices de ce modèle, nous avons souhaité savoir dans quelle mesure il pouvait être amélioré. Nous avons analysé les covariances entre les erreurs résiduelles afin de les intégrer dans le modèle (Byrne, 2001). L’analyse des résidus standardisés montre que huit paires d’items ne sont pas expliquées de façon optimale par le modèle en trois dimensions. Parmi ces huit paires, trois relient des items saturés majoritairement par deux facteurs différents : 1-2, 7-8 et 3-4. Les deux items de ces trois paires étant contigus dans le questionnaire, on pourrait les attribuer en partie à un effet de contamination. En outre, les items 1 et 2 ont en commun de faire penser, plus que les autres, au temps extrascolaire. Et on peut voir une certaine similitude entre l’idée de « priorité » donnée au camarade préféré évoquée par l’item 8 et celle d’être « impatient » de le revoir (item 7). Les cinq autres covariances d’erreur associent deux items d’un même facteur : 1-5 et 5-8 (Perspective d’aide scolaire) ; 3-6, 3-9 et 3-11 (Protection attendue). Pour la paire d’items 3-6, la covariance d’erreur tient probablement au fait qu’ils sont les seuls à évoquer l’idée d’être moqué par d’autres élèves. Même si pour les quatre autres paires, l’interprétation est plus difficile, le modèle en trois facteurs et intégrant des covariances d’erreurs présente d’excellents indices d’ajustement (tableau 1), si l’on se réfère aux valeurs seuils indicatives rappelées ci-dessus.

Analyse des différences de qualité de la relation avec le camarade préféré selon trois variables

25Nous avons considéré que les trois ensembles d’items correspondant aux trois facteurs structurant la qualité de la relation avec le camarade préféré pouvaient constituer trois sous-échelles distinctes : Attachement, Protection attendue et Perspective d’aide scolaire. Pour chacune d’elles, la fiabilité est apparue satisfaisante, avec des coefficients α de Cronbach de 0,82, 0,82 et 0,83, respectivement. Pour l’ensemble des douze items, il est de 0,88.

26Pour chaque sous-échelle nous avons calculé des scores individuels qui correspondent à la moyenne du participant aux quatre items. Les trois variables ainsi constituées sont apparues corrélées de façon assez conséquente. Entre Attachement et Protection attendue, r = .56, entre Attachement et Perspective d’aide scolaire, r = .52 et entre cette dernière et Protection attendue, r = .42 (p < .001 pour les trois corrélations).

27Compte tenu de ces corrélations, pour tester nos autres hypothèses, nous avons pratiqué une seule analyse multivariée de la variance (Manova) pour l’ensemble des trois sous-échelles. Les variables indépendantes étaient : (a) le sexe du participant ; (b) le fait que le camarade préféré était ou non son meilleur ami ; et (c) depuis combien de temps il était son camarade de classe préféré.

28La Manova a révélé un effet principal de chacun des trois facteurs, sans aucun effet d’interaction significatif entre eux. Pour l’effet du sexe, Λ (Lambda de Wilks) = 0,92, p < .001 (la quantité [1- A] exprime la part de variance expliquée par le facteur). Comme le tableau 2 permet de le constater, comparativement aux garçons, les filles ont évalué en moyenne à des niveaux plus élevés les trois sous-échelles, l’écart étant plus marqué pour Attachement et Perspective d’aide scolaire, que pour Protection attendue.

29Lorsque le camarade préféré était le meilleur ami, les trois dimensions ont été évaluées à des niveaux plus élevés que lorsque ce n’était pas le cas. Pour cet effet, Λ = 0,95, p < .001. La lecture du tableau 3 permet de se rendre compte que la différence de moyennes entre les deux groupes d’élèves est du même ordre de grandeur pour les trois dimensions.

30Quant à l’ancienneté de la relation avec le camarade préféré, elle est associée, elle aussi, à la perception de sa qualité, même si c’est plus faiblement que pour les deux facteurs précédents : la relation est perçue de façon d’autant plus positive qu’elle est ancienne. Pour cet effet, Λ = 0,99, p < .001. L’examen du tableau 4 indique que c’est principalement entre la modalité Depuis moins de trois mois et les autres modalités que se produit un certain décrochage, les relations privilégiées les plus récentes étant perçues de façon moins positive que celles plus anciennes, en particulier pour la dimension Attachement

Discussion

Attachement, perspective d’aide scolaire, protection attendue : trois dimensions distinctes

31La perception que les adolescents de quinze ans ont de la relation avec leur camarade de classe préféré n’est pas unidimensionnelle. Ce serait trop la simplifier que la réduire à une simple valence plus ou moins positive.

Tableau 2.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié pour les garçons et pour les filles

Garçons (n = 8021)Filles (n = 8862)
ME.T. ME.T.
Attachement3,650,984,330,78
Protection attendue3,221,033,690,97
Perspective d’aide scolaire3,271,124,000,99

Tableau 2.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié pour les garçons et pour les filles

Tableau 3.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié selon que le condisciple préféré est ou non le meilleur ami en dehors du collège

Le condisciple préféré est-il le meilleur ami ?
Juste condisciple préféré
Oui (n = 11312)Non (n = 5571)
ME.T. ME.T.
Attachement4,190,853,651,04
Protection attendue3,580,983,211,07
Perspective d’aide scolaire3,791,073,391,16

Tableau 3.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié selon que le condisciple préféré est ou non le meilleur ami en dehors du collège

Tableau 4.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié selon l’ancienneté de la relation d’amitié

Depuis l’école primaire
(n = 4186)
Depuis trois ans

(n = 7122)
Depuis septembre dernier
(n = 4839)
Depuis moins de trois mois
(n = 736)
ME.T.ME.T.ME.T.ME.T.
Attachement4,080,914,100,883,910,993,551,21
Protection attendue3,531,013,491,003,391,053,201,15
Perspective d’aide scolaire 3,651,123,741,063,601,143,321,21

Tableau 4.Moyennes et écarts-types des trois dimensions de la qualité perçue de l’amitié selon l’ancienneté de la relation d’amitié

32Au sein de cette dernière, on peut distinguer au moins trois dimensions. Ainsi, faire partie des élèves qui sont le plus fortement attachés, émotionnellement, à leur camarade de classe préféré n’implique pas forcément que l’on soit de ceux qui s’attendent le plus à être secouru par lui en cas de difficultés avec d’autres élèves, ou que l’on soit parmi les plus enclins à solliciter son aide pour surmonter une difficulté de compréhension. De même, faire partie des élèves les moins disposés à demander une telle aide à son camarade ne signifie pas pour autant que l’on soit de ceux qui voient le plus en lui un improbable soutien face à des élèves hostiles. En effet, les parts de variance commune à l’intérieur de ces trois paires de variables, si elles ne sont pas négligeables, témoignant de la cohérence de cette perception, ne sont respectivement que de 31 %, 27 % et 18 %.

33Ainsi les trois composantes distinguées conceptuellement et théoriquement sont-elles aussi assez nettement distinctes dans la représentation que les adolescents ont de la relation avec leur camarade préféré. Cette différenciation suggère que ces trois dimensions de l’expérience de la relation obéissent à des facteurs en partie différents. Une même perception globalement positive d’une relation d’amitié peut recouvrir chez des adolescents différents des variations intra- individuelles différentes. Par exemple, à perception globale identique, ce que certains valorisent le plus dans leur relation d’amitié, c’est la possibilité de soutien dans les apprentissages académiques, alors que d’autres privilégient le sentiment de protection contre d’éventuelles agressions. Il peut y avoir de bonnes raisons, variables selon les élèves et les classes, pour valoriser une dimension plus que les autres. Par exemple, on sait qu’un élève agressif ou en retrait social est plus à risque d’être victimisé par d’autres élèves et que ce risque diminue s’il a au moins une relation d’amitié (Bukowski, Motzoi, & Meyer, 2009). Pour ces adolescents, pouvoir recourir à un ami pour surmonter une difficulté de compréhension scolaire sera peu important, pour d’autres ce sera primordial.

34L’attachement, parce qu’il est celui des trois composantes qui entretient les corrélations les plus fortes avec les deux autres, apparaît central dans la perception que les adolescents, garçons et filles, ont de la relation avec leur camarade préféré. Cette composante socio-émotionnelle peut théoriquement favoriser la recherche d’aide scolaire auprès de l’ami et renforcer la foi en sa protection. Mais réciproquement, ces deux domaines d’expériences offrent des occasions de renforcer les sentiments de confiance en la personne du camarade préféré, source de sécurité personnelle car perçu comme protecteur et prêt à aider. Seules des données longitudinales permettraient de saisir les relations causales entre ces différentes dimensions.

35Outre ces possibles relations de cause à effet, les corrélations entre les trois dimensions pourraient aussi tenir au fait qu’elles ont en commun de refléter des comportements activés sous stress et visant à rétablir des sentiments de sécurité. La « théorie de l’attachement » initiée par Bowlby et Ainsworth (Ainsworth & Bowlby, 1989) a beau avoir assez peu servi de cadre aux recherches sur les relations privilégiées entre enfants ou adolescents, ces recherches n’en fournissent pas moins de nombreux arguments empiriques en faveur d’une capacité des relations d’amitié à procurer des sentiments de sécurité personnelle. C’est le cas de la recherche de Waldrip, Malcom et Jensen-Campbell (2008), déjà citée, et on en trouvera d’autres exemples dans le chapitre de Vitaro et Cantin (2012) et l’ouvrage de Mallet (2015). En contexte scolaire, même si le camarade préféré n’est pas le meilleur ou même seulement un ami, il est théoriquement susceptible lui aussi d’atténuer les effets du stress par ces trois types de comportement.

Variations interindividuelles de la qualité de la relation avec le camarade préféré

36Les résultats suggèrent que les deux tiers des adolescents de 15 ans scolarisés en France ont leur meilleur ami dans leur classe, ce qui témoigne de la valeur du groupe-classe comme milieu de socialisation. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que, à l’adolescence, les médias numériques (réseaux sociaux, messageries instantanées, jeux en lignes, etc.), réputés connecter les adolescents avec des milliers d’e-amis, soient en fait avant tout utilisés par les groupes d’amis constitués en milieu scolaire, comme l’ont constaté Boberg (2008) en Finlande, Greenfield (2008) en Amérique du Nord ou Rodriguez (2014) en France.

37À l’appui également de cette fonction de la petite communauté de la classe dans la culture de l’amitié, même s’il ne s’agit pas pour tous d’un ami, un quart des adolescents interrogés avaient le même camarade de classe préféré depuis l’école primaire et 42 % depuis l’arrivée au collège. Dans cette classe d’âge, ce sont donc plus des deux tiers des adolescents qui ont le même camarade de classe préféré depuis au moins trois ans. On dispose de peu de données permettant de comparer ces résultats, mais une exception est la recherche classique de Kandel (1978) sur la similarité entre amis, dans laquelle l’auteur avait interrogé 2000 garçons et filles de 13 à 18 ans aux États-Unis d’Amérique. De façon assez convergente avec nos résultats, elle constatait que pour 79 % leur meilleur ami en classe l’était aussi en dehors de l’école, et pour 73 % ils se connaissaient depuis au moins trois ans. Cette convergence est d’autant plus remarquable qu’elle apparaît malgré le décalage de plusieurs décennies entre les deux recherches et les différences des conditions de scolarisation.

38Ces différences individuelles, quant à la présence ou non du meilleur ami en classe et quant à la durée de cette relation préférentielle, sont associées à la qualité perçue de la relation avec le camarade préféré. Les adolescents ont une meilleure perception de cette relation s’il s’agit véritablement de leur meilleur ami, y compris en dehors du collège. C’est donc un atout, pour ces deux tiers des élèves qui ont leur meilleur ami en classe, car ils perçoivent en son sein une relation privilégiée qui, plus que pour les autres élèves, est de nature à leur faire éprouver des sentiments de sécurité, de pouvoir compter sur un allié prêt à les soutenir. La recherche de Barbé (2016) illustre, elle aussi, le rôle positif plus fort de la relation avec le meilleur ami, comparativement au rôle des relations avec les autres amis ou simples camarades préférés. Cet auteur a demandé à 721 élèves de 15 à 19 ans internes dans leur établissement scolaire d’évaluer le soutien social perçu dans la relation avec leurs amis d’internat. Il apparaît que lorsque leur meilleur ami dans l’absolu fait partie de ces derniers, le soutien perçu est significativement plus fort.

39S’agissant du lien entre la durée de la relation et la qualité perçue de la relation avec le camarade préféré, la différence se situe entre les relations électives les plus récentes – moins de trois mois – et les autres. Que cette relation remonte à l’école élémentaire, à l’arrivée au collège ou à la dernière rentrée scolaire, cela ne change pas grand-chose à la qualité perçue. Par contre, comme c’est le cas pour 4 % des élèves, lorsqu’elle ne date que de trois mois tout au plus (c’est-à-dire de nettement moins pour beaucoup d’élèves), la qualité perçue de la relation est moins bonne, en particulier l’attachement au partenaire est moins fort. On sait que l’important pour l’ajustement entre l’élève et son milieu scolaire, par exemple pour ne pas être harcelé par des pairs, c’est d’avoir au moins une relation d’amitié en classe, même si cet ami n’est pas le même au cours de l’année scolaire (Wojslawowicz, Bowker, Rubin, Burgess, Booth-LaForce, & Rose-Krasnor, 2006). On voit toutefois qu’une relation privilégiée toute récente n’est pas perçue de façon aussi positive qu’une amitié stable depuis plus de trois mois.

40Par rapport aux constats rapportés dans d’autres recherches, d’un lien entre la qualité de l’amitié et sa stabilité à six mois d’intervalle (Bukowski, Hoza, & Boivin, 1994 ; Waldrip, Malcolm, & Jensen-Campbell, 2008), nos résultats précisent qu’ajouter des années d’ancienneté à une relation élective ne semble pas en améliorer la qualité perçue. Si une durée minimum de trois mois d’existence est favorable à la qualité perçue de la relation, cela peut tenir aux raisons mises en avant en introduction : la confiance inspirée par la résistance du lien à l’épreuve du temps et le souci de conserver une relation parce qu’on la perçoit de façon très positive. Mais on aurait pu s’attendre à ce que ces deux facteurs aient d’autant plus de poids que la relation élective avait une histoire ancienne, or il n’en est rien. On peut se demander si une condition pour qu’un adolescent ait une perception optimale d’une telle relation ne serait pas qu’il ait eu le temps de « juger sur pièce », ce qui serait le cas à partir de trois mois. La qualité perçue d’une relation élective, plutôt que de constituer un capital se bonifiant au fil des années, résulterait du « raccourci cognitif/émotionnel » que Seyfarth et Cheney (2012, p. 167) ont conceptualisé pour rendre compte des amitiés chez différentes espèces animales. Pour ces auteurs, ce mécanisme permettrait à l’individu de décider de façon automatique d’avoir ou non une conduite prosociale envers un ami, sans avoir à examiner à chaque fois ses derniers échanges avec lui. Il reposerait sur une mémoire synthétisant en continu les aspects affectifs des interactions passées, prenant en compte les services mutuellement rendus, les coopérations et les émotions éprouvées en empathie réciproque. Chez l’humain, à l’adolescence en milieu scolaire, ce « raccourci cognitif/émotionnel », nécessitant trois mois d’exercice de la relation avec son camarade préféré, fournirait au moins trois indices : l’intensité des émotions d’attachement induites par l’ami, le sentiment plus ou moins fort de pouvoir lui demander une aide scolaire, et celui de pouvoir compter sur sa protection.

41L’absence de liens significatifs constatés entre des durées plus longues de la relation avec le camarade préféré et sa qualité perçue ne permet pas de conclure que, au-delà de trois mois, la longévité de cette relation élective serait sans effet sur le contexte interpersonnel et psychologique qu’elle constitue pour l’individu. En particulier, les souvenirs d’une histoire commune, avoir été témoins l’un de l’autre en des temps de la vie révolus (l’arrivée au collège, l’année de cours préparatoire…), pouvoir évoquer ensemble des états passés de soi, comme on le fait avec des membres de sa famille, ce cadre sociocognitif constitue vraisemblablement un atout pour la formation de l’identité personnelle, mais il reste à ce jour d’ordre spéculatif.

42Une autre variation de la perception de la qualité de la relation avec le camarade préféré tient au sexe de l’adolescent, les filles évaluant à des niveaux plus élevés les trois propriétés. Ce résultat, s’agissant de la dimension Attachement, corrobore les recherches antérieures, analysées par Rose et Rudolph (2006), les deux autres précisent l’étendue de cette différence. Elle porte aussi sur ces actions de coopération en situation scolaire, que sont l’entraide pour surmonter les défis académiques et le fait de prendre publiquement la défense d’un camarade de classe. La perception plus positive que les filles ont de leurs relations d’amitié ou avec leur camarade préférée comparativement aux garçons apparaît donc encore un peu plus générale.

43Compte tenu que l’intimité interpersonnelle évaluée à partir de la durée des regards mutuels a été constatée comme plus forte entre filles qu’entre garçons dès l’âge de quatre ans (Russo, 1975) et que dès 6-8 mois la préférence pour le groupe par rapport à la dyade est plus marquée chez les garçons que chez les filles (Benenson, Duggan, & Markovits, 2004), on pourrait être tenté d’attribuer la différence que nous constatons à l’adolescence à une prédisposition d’origine phylogénétique, en invoquant la valeur adaptative pour la survie et le développement des jeunes de disposer de mères spécialement empathiques, bien équipées pour comprendre leurs besoins. Toutefois, le fait que cette différence, constatée à nouveau par nous entre pairs de même sexe, n’apparaisse pas entre pairs de sexe différent (MacDougall & Hymel, 2007 ; Mallet, 2003) suggère que son développement a pu être guidé par la socialisation différenciée entre pairs, garçons et filles grandissant dans des « cultures » différentes (Maccoby, 1999).

Limites

44Cette recherche présente des limites. Quand bien même la structure en trois facteurs est identique chez les élèves dont le camarade préféré est le meilleur ami et chez ceux pour qui ce n’est pas le cas [3], elle ne peut être considérée caractériser la représentation de la relation avec le meilleur ami d’une manière générale. En effet cette dernière s’est théoriquement formée au fil d’expériences plus diversifiées, car ne se limitant pas au contexte scolaire. Elle est susceptible d’être plus riche en dimensions différentes. Et dans ce cadre représentationnel plus large, on ne peut exclure que les trois dimensions identifiées dans la présente recherche soient plus étroitement inter-corrélées ou même assimilées de façon indistincte à une dimension unique de soutien.

45Pour justifier plus avant l’intérêt de distinguer à l’adolescence ces trois dimensions de la qualité de la relation avec le camarade préféré, il conviendrait de démontrer qu’elles n’ont pas les mêmes corrélats socio-adaptatifs et en particulier que chacune a une validité prédictive qui lui est propre. Par exemple, être tout disposé à demander de l’aide à son camarade préféré pour comprendre une leçon devrait avoir plus de poids que les deux autres dimensions sur le progrès des résultats scolaires. Les données que nous avons recueillies ne fournissent aucune indication de cette nature, seules des données longitudinales pourront apporter un soutien empirique en ce sens. Une autre limite tient au fait que la présente recherche, si elle s’appuyait sur un effectif de participants très élevé, n’a porté que sur une seule classe d’âge, celles des adolescents de quinze ans. Théoriquement, ce modèle tridimensionnel devrait être valable aussi pour des adolescents plus jeunes ou plus âgés, mais seules d’autres recherches pourront le confirmer.

Remerciements

46Nous remercions les adolescents qui ont contribué à cette recherche ainsi que la direction de l’évaluation, la prospective et la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, en particulier Jacqueline Levasseur et Bruno Trosseille. Nous tenons aussi à remercier les experts dont les remarques nous ont permis d’améliorer la première version du manuscrit.

47Cette recherche a bénéficié des moyens mis à notre disposition par l’université Paris Nanterre (Laboratoire Éthologie, Cognition, Développement, EA 3456) et le Conservatoire national des arts et métiers, Paris (Centre de recherche sur le travail et le développement, EA4132).

Annexe. Échelle de perception de la qualité de l’amitié pour adolescents (EPQ2A).

481. En cas de besoin, pour t’aider dans un travail scolaire, tu n’hésiterais pas à l’appeler.

492. Il t’arrive de repenser à des bons moments que vous avez passés ensemble.

503. Si tu ne savais pas faire un exercice au tableau et que les autres élèves rigolaient, tu as l’impression qu’il/elle leur ferait signe d’arrêter.

514. Ça t’embêterait que quelque chose vous empêche de vous voir pendant longtemps.

525. Si tu n’avais pas compris un cours, tu lui demanderais de t’expliquer.

536. À la sortie du collège, si il/elle voyait des élèves en train de te ridiculiser, il/elle ne les laisserait pas faire.

547. Si il/elle avait été absent(e) pendant longtemps et que vous vous apprêtiez à vous retrouver, tu serais impatient(e) de le/la revoir.

558. Imagine que tu aies besoin d’un coup de main pour préparer un contrôle, c’est à lui/elle que tu penserais en priorité.

569. Si d’autres personnes de ton âge t’embêtaient, tu penses qu’il/elle prendrait ta défense.

5710. Quand tu vis quelque chose de fort, tu aimerais bien lui en parler.

5811. Si d’autres élèves te cherchaient des ennuis, tu crois qu’il/elle te protègerait.

5912. Il te paraîtrait tout naturel de faire appel à son aide si tu avais eu du mal à suivre un cours.

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Mots-clés éditeurs : adolescence, qualité de la relation, camarade de classe préféré, contexte scolaire, questionnaire

Date de mise en ligne : 20/07/2018.

https://doi.org/10.3917/enf2.182.0323

Notes

  • [1]
    Nous utiliserons « ami » pour désigner indifféremment un ami ou amie, tout comme « camarade préféré » et « adolescent » font référence à la fois aux filles et aux garçons.
  • [2]
    De 16 à 12 items, la sélection ne reposait certes pas sur un grand nombre d’items, mais cette pré-enquête avait elle-même été préparée par des travaux de recherche d’étudiants en 4e année d’étude, faisant appel eux aussi à des analyses factorielles exploratoires.
  • [3]
    Le modèle en trois facteurs obliques est aussi bien ajusté aux données si l’on se limite aux élèves dont le camarade préféré est le meilleur ami que si l’on se centre sur ceux pour qui ce n’est pas le cas. Nous ne présentons pas ces deux analyses, car leurs résultats sont quasi-identiques à ceux de l’analyse exposée dans cet article.
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