Empan 2023/1 n° 129

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Article de revue

Comment aider les enfants et les adolescents à traverser l’expérience de la Covid‑19 ?

Pages 130 à 139

Notes

  • [1]
    Ce texte a été écrit en janvier 2022. Le contexte de la Covid-19 n’est plus le même aujourd’hui, mais cette situation peut revenir. De plus, à quelques aménagements près, ce texte peut s’appliquer à des enfants qui ont connu une situation de grand danger touchant leur famille, leur environnement, leur communauté, parfois même leur pays.
  • [2]
    J’écrirai « enfants » pour les enfants et les adolescents.

1 Les études publiées (à partir de questionnaires et de statistiques) sur les effets de la pandémie sur les enfants et les adolescents vont toutes dans le même sens [2] : ils ont souffert, leur qualité de vie et leur santé mentale se sont dégradées, surtout quand des pathologies préexistaient : anxiété et troubles du sommeil, dépressions, sentiment de solitude, peurs et cauchemars, détresse, troubles émotionnels, hyperactivité avec troubles de l’attention. Ils ont passé un temps excessif devant les écrans non scolaires, ont eu des conduites dangereuses (sociales et relationnelles, usage de toxiques, tentatives de suicide, décrochage scolaire ou professionnel) (Meherali et coll., 2021). Ces troubles ont été aggravés par les informations, excessives (ou leur censure, pour « les protéger »), confuses, exagérées ou minorées venues des parents ou d’en dehors de la famille, mais aussi par l’insécurité sociale, financière, professionnelle de ceux-ci, par leur attitude contradictoire ou négative envers les consignes contre la Covid (Dondi et coll., 2021). Je voudrais ici contribuer à la compréhension des mécanismes en jeu dans ces troubles afin de définir au mieux leur prévention et l’aide à apporter aux enfants. J’ai rassemblé dans cet article de nombreuses attitudes d’enfants et de parents que la pandémie a plus ou moins fortement déstabilisés. Il est évident que ce n’est pas le cas de tous, et que tous les éléments ici décrits ne les ont pas tous affectés, ni pareillement.

Le sentiment d’insécurité

2 Le sentiment d’insécurité semble être l’élément prédominant. Ses causes sont multiples. Les repères habituels de l’enfant sont déstabilisés de même que ses points d’appui et de confiance, et beaucoup de ce qui lui paraissait naturel, évident, rassurant, de ce qui lui avait été inculqué par ses parents et ses enseignants. Il est aussi confronté à des questions nouvelles pour lesquelles il n’était pas préparé, pas plus d’ailleurs que ses parents, incapables souvent de l’aider dans son questionnement. Sa fragilité ou sa résilience à cette situation dépendent évidemment de ses caractéristiques et de celles de ses parents, de leur histoire personnelle et familiale, et bien sûr de la situation actuelle. Celle-ci est marquée par des éléments contradictoires : une durée de la pandémie qui semble interminable, entraînant lassitude, découragement, perte de confiance dans les autorités politiques et médicales, mais également espoir dans les effets positifs des vaccins, et une certaine résilience d’habitude.

La mort

3 L’enfant la perçoit omniprésente en raison des informations données en permanence sur le nombre de morts, de l’inquiétude et des précautions inhabituelles de ses parents, mais aussi des morts de proches (famille, enseignants, voisins, etc.) (Hillis et coll., 2021). Il ne peut plus la repousser à un avenir si lointain qu’il n’y croit pas.

Sa vie quotidienne est désorganisée

4 Ses parents sont restés à la maison, confinés, au chômage, partiel ou total, ou en télétravail (et l’enfant ne sait plus, en fin de compte, s’ils travaillent ou pas), occupant parfois son espace. D’autres ont dû sortir pour aller travailler, la peur au ventre, ce que l’enfant perçoit bien. Il est inquiet pour eux ou il partage leur inquiétude sans toujours comprendre les éléments qui la causent. Il constate leurs failles, leur fragilité psychique ou physique (qui se révèlent ou s’aggravent : les éléments dépressifs, leurs colères et leur violence plus ou moins bien contrôlées) ou professionnelle, financière, sociale quand les relations aux amis se tarissent.

5 L’enfant est aussi inquiet pour ses grands-parents. Il entend qu’ils sont désormais des « personnes fragiles, à risque » et cette catégorisation remplace la bonne image affectueuse qu’il avait d’eux, les fait changer de statut, et il craint de les contaminer. Ses parents sont écartelés entre leur préoccupation pour lui et pour eux. Mais il les entend parfois se plaindre des « vieux », des soixante-huitards qui ont bien profité des Trente Glorieuses, qui sont responsables de la situation catastrophique de la génération actuelle qui, de plus, est confinée et au chômage pour les protéger. Leurs critiques, voire leur négligence des grands-parents, le font douter de la solidité des relations intergénérationnelles.

6 D’autres mots nouveaux sont apparus : pandémie, distanciation sociale, gestes barrières, confinement, couvre-feu – ce qui a réactivé dans certaines familles des souvenirs des années de guerre –, présentiel, Zoom et Skype, cas contact, commerces non essentiels, puis génocide et dictature – ici en France, maintenant –, crié par les manifestants anti-vaccins, ce qui a brouillé encore plus ses repères sur la hiérarchie des violences collectives et étatiques. L’enfant est aussi attentif à la façon dont ses parents parlent du virus et de la situation : terrifiante, terrifiée, tragique, en plaisantant ou banalisant, etc. Il s’efforce de la décrypter, peut en être influencé, en prendre le contre-pied, avoir du mal à trouver sa propre voix.

7 Les éléments qui structurent et rythment sa vie, qui lui donnent sens et plaisir, qui le rassurent sur la stabilité de l’ordre social, sont perturbés, de même que son sentiment de la temporalité. Ainsi, l’école et les lieux de loisirs et de socialité lui furent interdits ou limités plusieurs mois durant, la relation aux enseignants ou à ses grands-parents s’est faite en vidéos.

L’enfant voit parfois ses parents se transformer

8 Leurs façons d’être et de penser, leurs réactions, leurs comportements ne correspondent plus à la bonne image rassurante qu’il avait d’eux. Ils sont anxieux, déprimés, se laissent aller, leur emploi du temps est déstructuré, ils se lèvent tard, passent, comme lui, des heures devant les écrans (Radanovic et coll., 2021), aggravant la déstabilisation de ses repères temporels ; ils se disputent, sont envers lui trop ou pas assez exigeants, ont du mal à maintenir leur parentalité (Sloan et coll., 2021). Selon son âge et son œdipe, il est tenté de prendre modèle sur son père ou de défendre sa mère, souvent plus fragilisée professionnellement par la pandémie (Kotlar et coll., 2021) et en première ligne face à lui. Il faut être particulièrement attentif à la fragilité des femmes enceintes, le devenir de l’enfant qui naîtra pourrait en être affecté.

9 L’attitude de ses parents envers les autorités a changé. Ils lui ont toujours inculqué le respect de celles-ci et maintenant ils ne cessent de les critiquer quoi qu’elles fassent. Il n’a pas les moyens de distinguer les critiques justes de celles, systématiques, dues à la colère impuissante. Il ne sait plus qui croire, à qui faire confiance, d’autant qu’ils sont nombreux à parler aux informations, se contredisant, avec la même assurance et quel que soit leur métier. Comment distinguer le vrai du faux, le sûr de l’incertain, faire confiance au doute raisonnable plutôt qu’aux certitudes. Il risque de basculer d’une perte de confiance partielle et limitée à une perte de confiance globale dans l’ordre du monde qui le ferait tomber dans le vide. Tous ces adultes sont discrédités, de même que ses parents dont les opinions ne cessent de fluctuer. Mais ces fluctuations, comme celle des consignes des autorités, découlent aussi en partie de l’évolution de la situation sanitaire, du virus et des savoirs sur lui et sur ses effets. L’enfant découvre ainsi la nécessité de s’adapter, de ne pas être rigide, ni dans ses façons d’être ni dans ses pensées ou ses croyances. Faute d’être aidé à cette réflexion, il se demande qui le protégera si les autorités sont aussi impuissantes et peu fiables que ses parents. Oscillant entre doute généralisé et certitudes simplistes, il est alors tenté de reprendre à son compte les théories complotistes qu’il entend en continu sur ses réseaux sociaux.

10 Il en est de même en ce qui concerne le respect des règles. L’enfant voit ses parents chercher à transgresser les consignes, il y reconnaît, entre admiration et inquiétude, le jeu des gendarmes et des voleurs, une révolte impuissante, la préservation légitime de leur nécessaire liberté, ou une débrouillardise qui prétend évaluer les risques et les bénéfices (Certeau, 1990). Il ne sait pas non plus que penser quand il voit ses parents en télétravail devant l’ordinateur, le haut du corps bien habillé, le bas en short et tongs : division du corps, contradiction entre le tout et la partie, la réalité et l’apparence – et celle-ci est-elle contrôlée par son parent ou est-ce la partie cachée qui dit la vérité sur lui ? Le rôle de l’analyste est aussi d’accompagner la réflexion sur cette réalité complexe, nouvelle, exceptionnelle.

11 La tentation de certains adolescents de transgresser les consignes, outre l’incitation à imiter les parents, vient parfois de leur identification à un grand-père, vivant ou mort, qui est ou fut dans la légende familiale, ou de celle qu’ils se sont forgée, un « combattant », un « révolté », mais dans un tout autre contexte. D’où l’utilité de s’intéresser à l’histoire familiale, parfois sur plusieurs générations.

12 Ses parents lui ont aussi toujours appris que « cafter » était un vilain défaut. Alors, quand il les entend menacer de dénoncer les « irresponsables » qui ne respectent pas les gestes barrières, il ne sait s’il doit suivre leur exemple actuel ou leur ancienne règle. Il est bon de l’aider à distinguer la responsabilité collective et la délation. « Si un enfant de ta classe fait quelque chose de dangereux, pour lui ou pour les autres, plutôt que de faire semblant de ne rien voir, tu essaieras de l’en empêcher, seul ou avec d’autres, tu discuteras avec lui, tu préviendras un adulte avant qu’il ne soit trop tard. Mais tu te contenteras de discuter avec lui si ce qu’il fait est seulement gênant. »

13 Il importe d’aider les parents à comprendre les comportements de l’enfant, son questionnement et ses peurs, ses transgressions et provocations, qui ont également valeur de révolte – comme parfois les leurs –, ainsi que ses demandes, même quand elles prennent des formes confuses. Car cette période déstabilisante peut constituer un temps de vacance fertile, être une épreuve de maturation qui lui fait (re)découvrir la qualité et la complexité des relations au sein de sa famille et dans la société, en inventer de nouvelles formes. Nous ne devons pas négliger les parents car s’ils préservent leur parentalité et vont bien, l’enfant en bénéficiera. Mais n’oublions pas que certains parents sont plus fragiles que d’autres en raison de leur situation sociale et financière difficile, ou de leur histoire personnelle ou familiale traumatisante. Le confinement et plus globalement la pandémie, pour les enfants comme pour les adultes, ont accentué les inégalités préexistantes (Thierry et coll., 2021), sociales, culturelles, physiques.

Ses repères spatiaux, temporels, sociaux sont perturbés

14 Il a dû limiter, pendant le confinement de mars-juin 2020, ses déplacements et respecter des distances de sécurité – et il en garde la mémoire –, ce qui a pu réactiver ses tendances phobiques ou fusionnelles et ses difficultés à établir des relations sociales et affectives. Le virus et ses variants sont invisibles, peuvent être partout, pénétrer son corps comme ils ont pu traverser les frontières. Plus inquiétant encore, il existe des variants français, « nés chez nous » comme certains terroristes. Ces deux peurs s’additionnent et il ne sait plus en quel lieu il pourrait être en sécurité.

15 Il constate que les distinctions sociales sont plus complexes qu’il ne le pensait : à riches et pauvres, ou Noirs, Arabes, Blancs, etc., se sont ajoutés à risque et non à risque, protégés et non protégés, essentiels et non-essentiels, de première ou de deuxième ligne, etc., ce qui le fait s’interroger sur son identité et ses appartenances. Il oscille entre le sentiment d’une grande solitude, séparé de ses amis et de ses pairs, et la question de savoir s’il appartient toujours à la communauté des élèves, des adolescents ou des sportifs, par exemple (puisqu’il ne peut plus faire ce qu’il faisait avant), ou à des groupes nouveaux. Mais lesquels ? Les sujets à risque ou pas à risque, les possibles victimes – de la Covid, des consignes –, les vaccinés, les révoltés, ou encore celui, si vaste, de tous ceux, quelle que soit leur nationalité, auxquels s’appliquent les mêmes risques et les mêmes contraintes, qui vivent, en France et dans le monde, cette expérience historique, nouvelle, difficile mais aussi excitante, qui vient après celle des attentats terroristes et de l’immense manifestation contre eux qui a suivi.

Les informations qui l’atteignent et les questions qu’il se pose

16 La Covid lui fait peur. Il entend soir après soir égrener la liste des contaminés, des hospitalisés en réanimation, des morts, mais les chiffres, à la différence des descriptions et des récits, font de la réalité une abstraction qui empêche sa juste perception. L’enfant n’arrive plus à les différencier : tous les contaminés (il pourrait l’être) vont mourir, c’est plus simple de penser ainsi même si c’est plus effrayant. Les limites de sa compréhension ne font qu’augmenter sa peur, l’amenant à douter de tout. Le danger étant invisible, il induit une logique du tout ou rien : ne pas y croire et ne respecter aucune consigne ou le voir partout et s’enfermer. Il perçoit bien les attitudes inhabituelles et les paroles mal contrôlées de ses parents, qui trahissent leur peur et leur désarroi, qui augmentent les siens. D’où l’importance d’aider les parents à dialoguer de façon pertinente et informée avec lui (Radanovic et coll., 2021).

Les théories complotistes

17 Elles constituent certes des représentations fausses de la réalité mais aussi un symptôme psychopathologique, à décrypter. Il importe d’être attentif au désarroi, aux terreurs, à la fragilité narcissique et identitaire que l’enfant cherche ainsi à combattre ou encore à sa volonté légitime mais maladroite de ne pas suivre aveuglément les affirmations majoritaires, de se révolter. Nous avons à l’aider à sortir de ses certitudes et de l’affrontement savoir contre savoir, et à entrer dans le dialogue. Le premier pas est de respecter son désir de donner sens à l’inconnu inquiétant, à l’insensé incompréhensible, faute de quoi nous renforcerions ses convictions et confirmerions ses raisons de se méfier des adultes, Ensuite nous pourrons l’aider à faire la part entre les différents éléments causes de son besoin de certitudes, à reconnaître son mal-être, sans honte, et à accepter que les éléments positifs de ses positions prennent d’autres formes. Mais c’est dès l’enfance qu’est nécessaire l’éducation à la lecture critique des médias, des discours, des images (affiches, photos, vidéos) et au repérage de leurs techniques d’influence. L’est de même l’enseignement de l’organisation et du rôle de l’appareil d’État, des façons de faire et de penser présentes dans la société, ainsi que de l’histoire récente du pays. Car nombreux vivent avec leurs parents en vase clos et ils ont besoin de désamorcer cette peur du monde extérieur mal connu qui leur fait choisir des explications simplistes.

18 L’adolescent pas plus que ses parents ne sait trier et interpréter les informations médicales et leurs conséquences pratiques. Il est soit surinformé, soit empêché de l’être par ses parents, « pour le protéger » (Bray et coll., 2021). Or il a besoin de discuter avec ses parents ou des adultes de confiance, non pour recevoir des leçons mais pour réfléchir avec eux, proposer ses idées, même les plus absurdes en apparence (prêcher le faux pour savoir le vrai, les tester, aller au bout de ses doutes, de ses peurs, de ses espoirs). Il ne reproche pas à ses parents leur ignorance à condition qu’ils ne la masquent pas par un discours de certitude dont il perçoit bien la fragilité et l’artifice. Il est préférable, ses questions n’étant pas forcément les mêmes que les leurs, qu’ils lui montrent comment réfléchir à une situation certes nouvelle et exceptionnelle – avec ses aspects sociaux, politiques, éthiques – mais qui a également des points communs avec d’autres qu’il a connues. C’est aussi une façon de le préparer à affronter d’autres crises qu’il rencontrera inévitablement dans sa vie. Ainsi : comment choisir entre l’intérêt de tous, de telle catégorie (selon l’âge, la fonction sociale, la pathologie éventuelle, etc.), et celui de l’individu ? Peut-on faire le mal – contaminer –, sans l’avoir voulu, à un inconnu ou une personne aimée, et quelle serait alors notre responsabilité ? L’enfant ne sait caractériser ce virus, avec qui la coexistence se prolonge. Il n’est certes pas un humain mais il se comporte comme s’il l’était, méchant, rusé, insaisissable. Comme pour les robots, les super-ordinateurs, les extraterrestres, l’intelligence artificielle, il se demande où passe la frontière entre l’humain et ce qui ne l’est pas. Des peurs anciennes reviennent, comme celles des morts-vivants ou des monstres.

19 Ses questions sont réalistes ou fantasmatiques, exprimées clairement, allusivement ou masquées, sous forme de symptômes. Elles portent sur la situation actuelle autant que sur d’autres plus anciennes, toujours actives ou réactivées, et il est bon d’être attentif à leurs interactions et à leur hiérarchie, sachant également que la résolution des unes peut aider à celle des autres. Ainsi, la peur excessive de la Covid peut renvoyer, par exemple, à une fragilité narcissique ou à un manque de points d’appui identificatoires, symboliques. Le besoin de savoir insatiable (en lien avec le doute systématique) peut aussi porter un questionnement insatisfait sur l’origine des enfants ou sur celle des parents, sur les raisons de leur éventuelle séparation ou de leur rencontre, ou de lui donner naissance, ou encore sur tel événement familial tu. La Covid donne l’occasion de visiter ou revisiter l’histoire familiale : est-elle la première crise majeure que la famille a connue ? Comment les parents ou les grands-parents s’en sont-ils sortis ? Ainsi, la réticence de ses parents à s’inscrire sur « Stop-Covid » vient peut-être de leur mémoire que des oncles avaient obéi en 1940 à l’obligation de se déclarer juifs et qu’ensuite, raflés, ils étaient morts en déportation. Le terme « couvre-feu », utilisé en 2021, a réveillé dans d’autres familles les souvenirs de la guerre d’Algérie. L’enfant qui peut s’inscrire, avec ses difficultés actuelles, dans son histoire familiale sur plusieurs générations est plus solide dans l’épreuve.

20 L’enfant constate que les autorités utilisent envers les adultes (et donc aussi ses parents) les mêmes méthodes que ceux-ci envers lui : menaces (non appliquées : il n’a vu aucun contrôle du port des masques obligatoire dans le métro), arguments excessifs (discours de guerre), paternalisme, chantage, promesses, etc., et sa confiance envers tous en est fragilisée.

Il cherche un responsable, un coupable, contre qui tourner sa colère

21 Ce peut être « l’étranger » (le virus chinois, anglais, brésilien, indien), les parents (par définition responsables de tout le mal qui lui arrive), le gouvernement, ou il reste seul avec ses questions. Il est préférable qu’il comprenne que la solidarité est plus efficace que le chacun pour soi et que cette recherche vise surtout à le soulager de son sentiment d’impuissance, de peur et de culpabilité anticipatrices, celles de contaminer ses grands-parents ou ses parents, ou de l’être par eux. Ainsi se réactivent les vœux de mort.

Comment aider l’enfant à se confronter à la pandémie ?

22 L’objectif est de l’aider à passer sans déstabilisation excessive cette période difficile mais aussi d’en faire une épreuve de maturation traversée valeureusement avec ses parents et quelques autres. Il est bon également de l’aider à prendre conscience de ses points d’appui (« sur qui, sur quoi peux-tu compter ? »), qu’il s’agisse d’individus proches ou lointains, réels ou fictionnels, de savoirs ou de valeurs. Aussi qu’il prenne la juste mesure de la situation, en distinguant catastrophique, grave et gênant. Il importe de tenir compte des situations et de leur diversité. Ainsi, un enfant qui a connu (ou ses parents, parfois ses grands-parents) ou qui connaît des situations particulièrement difficiles, quelles qu’elles soient, peut considérer que la Covid est bien peu en comparaison, ou qu’elles l’ont immunisé contre ce nouveau risque ou, au contraire, que cette nouvelle épreuve s’ajoutant à celles qui l’ont précédée lui fait toucher les limites du supportable. De même, ceux dont les parents ont connu des régimes de dictature – et ils sont nombreux ceux qui maintenant vivent en France –, avec la délation et l’intrusion de l’appareil d’État dans tous les aspects de leur vie, et qui leur ont transmis une méfiance systématique, sont particulièrement sensibles à ce qui peut leur évoquer ces pratiques. Ce va-et-vient entre présent et passé, ici et ailleurs, réalité et imaginaire contribue à morceler la massivité écrasante et paralysante de la situation traumatique. Mais n’oublions pas que nous sommes certes pour l’enfant la représentation du père ou de la mère, mais aussi, entre autres, celui qui veut les aider ou les endoctriner, leur faire accepter passivement les consignes des autorités, celui qui critique les attitudes de leurs parents face à la Covid, celui qui les pousse à choisir entre eux et nous. Nous partageons par ailleurs avec eux nombre d’inquiétudes et de méconnaissances dont nous devons être conscients.

Aménagement des pratiques dans les psychothérapies

23 Le confinement a suscité un aménagement dans les psychothérapies, soulevant des questions, complexes et stimulantes, que les pratiques avec les autistes, comme c’est souvent le cas, ont particulièrement mises en lumière. Le confinement a certes été limité dans le temps mais il a laissé des traces fortes et durables, qui se réactivent quand le risque d’un nouveau confinement est évoqué, mais aussi quand les enfants ne peuvent retourner un temps à l’école en raison des protocoles sanitaires appliqués. De même, l’utilisation du masque, les absences du professionnel ou de l’enfant – en raison des contraintes sanitaires (être testé positif, être cas contact, fermeture de classe, etc.) – ont déstabilisé le cadre habituel. Pour tous les enfants qui ont besoin d’un contact physique ou de la perception d’une présence consistante, d’un cadre solide et stable, ou encore du jeu entre la réalité et l’image, le passage de la relation incarnée dans le même espace clos du cabinet (privé ou dans l’institution) à la relation virtuelle, où chacun est dans son espace physique et dans son écran, à distance (le cabinet d’un côté, l’appartement de l’autre), a dû être expliqué et apprivoisé dans l’expérience, par tâtonnements et invention. Pour certains, l’ordinateur, la tablette ou le téléphone et leurs écrans ont pu rester de simples objets d’usage pratique, pris à leurs parents, avec leur accord. Cette tolérance n’a pas toujours empêché que l’enfant brutalise ces objets, manifestant ainsi son agressivité envers eux ou l’analyste. Le retour ensuite à la situation antérieure de coprésence dans le même lieu a été difficile et a parfois provoqué une importante régression, malgré les explications données (Durban, 2021). Des enfants, ainsi que des patients adultes, lors d’entretiens par téléphone pendant le confinement demandaient où j’étais. Au-delà d’une certaine agressivité (« dans ma maison de campagne »), la question angoissée portait sur le lieu de la rencontre analytique : non plus dans le cadre rassurant qui s’était au fil des séances constitué mais nulle part.

24 L’utilisation du téléphone pendant le confinement a soulevé d’autres questions. Ainsi, un enfant autiste a utilisé le portable dans lequel apparaissait le visage de l’analyste comme élément de la maison qu’il construisait, le plaçant entre deux murs pour en faire le toit, avec la voix et l’image toujours présentes, ce qui avait bien sûr du sens (Cardoso de Mello, 2021). Mais les écrans qui permettent que le lien entre l’analyste et l’enfant se poursuive, dans la permanence et la différence, sont également les instruments d’une intrusion de l’analyste dans l’espace privé de l’enfant et de ses parents, parfois de l’enfant dans celui de l’analyste. L’enfant peut aussi les utiliser pour montrer à l’analyste l’espace dans lequel il vit, et ces images peuvent remplacer la parole, la compléter, la contredire, dans un jeu inconscient auquel il est bon d’être attentif. Ces appareils permettent en outre l’enregistrement de moments de la relation, qui peuvent être répétés en boucle dans une maîtrise excessive de celle-ci et du temps.

Conclusion

25 La pandémie de la Covid, et pas seulement les périodes de confinement, constitue une épreuve difficile pour les enfants et leurs familles. Pour les y accompagner au mieux, il importe de tenir compte des effets de la réalité actuelle autant que de la réactivation de peurs et de traumatismes plus anciens, mais également des changements que la pandémie introduit dans les pratiques des psychothérapies, en particulier en ce qui concerne le cadre et la relation. Chaque professionnel en relation aux enfants et aux adolescents doit réfléchir à ces questions nouvelles, seul et collectivement. Il lui est nécessaire d’être conscient de ses propres réactions (dans ses idées, ses émotions et ses actes) à cette situation qui s’inscrit dans la durée, de façon à être mieux disponible à bien évaluer celles de ses interlocuteurs et à dialoguer avec eux. Aussi à trouver envers eux la juste distance : ni trop près, dans le sentiment d’un partage important d’idées et de comportements, ni trop loin, dans un jugement critique sur eux. À l’heure actuelle, nul ne sait quel sera le devenir de cette pandémie, raison de plus pour continuer à se tenir au courant de l’évolution de sa situation et de ses conséquences, à développer les échanges d’expériences et la réflexion clinique et théorique.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bray, L. ; Carter, B. ; Blake, L. et coll. 2021. « “People play it down and tell me it can’t kill people, but I know people are dying each day”. Children’s health literacy relating to a global pandemic (Covid-19); an international cross-sectional study », PLoS One, vol. 16, n° 2, e0246405.
  • Cardoso de Mello, P. 2021. « Où habite l’analyste ? Sur le maniement du cadre dans l’analyse en ligne d’une petite fille autiste de 3 ans », dans A. de Staal, H.B. Levine (dir.), Psychanalyse et vie covidienne, Paris, Ithaque, p. 224-246.
  • Certeau, M. de. 1990. L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».
  • Dondi, A. ; Fetta, A. ; Lenzi, J. et coll. « Sleep disorders reveal distress among children and adolescents during the Covid-19 first wave: Results of a large web-based Italian survey », Italian Journal of Pediatrics, vol. 47, n° 1, p. 130 [En ligne : 4 juin 2021].
  • Durban, J. 2021. « Où habite la Covid ? Angoisses osmotiques diffuses, isolement et contenant en temps de peste », dans A. de Staal, H.B. Levine (dir.), Psychanalyse et vie covidienne, Paris, Ithaque, p. 247-264.
  • Hillis, S.D. ; Unwin, J.T. ; Chen, Y. et coll. 2021. « Global minimum estimates of children affected by Covid-19-associated orphanhood and deaths of caregivers: A modelling study » Lancet, 21 juillet, p. 391-402.
  • Kotlar, B. ; Gerson, E. ; Petrillo, S. et coll. 2021 . « The impact of the Covid-19 pandemic on maternal and perinatal health: A scoping review », Reproductive Health, vol. 18, n° 1, p. 10.
  • Meherali, S. ; Punjani, N. ; Louie-Poon, S. et coll. 2021. « Mental health of children and adolescents amidst Covid-19 and past pandemics: A rapid systematic review », International Journal of Environmental Research and Public Health, n° 18, p. 3432.
  • Radanovic, A. ; Micic, I. ; Pavlovic, S. et coll. 2021.« Don’t think that kids aren’t noticing: Indirect pathways to children’s fear of Covid-19 », Frontiers in Psychology, vol. 12.
  • Sloan, C.J. ; Fang, S. ; Feinberg, M. et coll. 2021. « Family vulnerability and disruption during the Covid-19 pandemic: Prospective pathways to child maladjustment », The Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 63, n° 1, p. 47-57.
  • Thierry, X. ; Geay, B. ; Pailhe, A. et coll. 2021. « Les enfants à l’épreuve du premier confinement », Populations et société, n° 585.

Mots-clés éditeurs : théories complotistes, écrans, aménagement du cadre, sentiment d’insécurité, Covid-19, perte des repères

Mise en ligne 10/05/2023

https://doi.org/10.3917/empa.129.0130

Notes

  • [1]
    Ce texte a été écrit en janvier 2022. Le contexte de la Covid-19 n’est plus le même aujourd’hui, mais cette situation peut revenir. De plus, à quelques aménagements près, ce texte peut s’appliquer à des enfants qui ont connu une situation de grand danger touchant leur famille, leur environnement, leur communauté, parfois même leur pays.
  • [2]
    J’écrirai « enfants » pour les enfants et les adolescents.
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