Notes
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[*]
Serge Bédère, docteur en psychologie, intervenant au Point rencontre de Bordeaux, administrateur à la ffer, psychanalyste, membre d’espace analytique. serge.bedere@gmail.com
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[**]
Emmanuelle Moraël, médiatrice familiale, chargée d’études ffer. www.espaces-rencontre-enfants-parents.org
emmanuelle.morael@hotmail.fr -
[1]
Association française des centres de conseil conjugal.
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[2]
ffer : www.espaces-rencontre-enfants-parents.org.
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[3]
Andrée Gaubert, sœur de Marie-Françoise El Khouri qui a travaillé comme analyste à Paris, comme accueillante à la Maison verte avant d’émigrer au Canada, a organisé le voyage d’étude de Françoise Dolto au Québec.
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[4]
M.-H Malendrin, cofondatrice avec Françoise Dolto et Bernard This du projet Maison verte ; alors éducatrice spécialisée, elle est devenue plus tard analyste.
-
[5]
Actes du colloque de Nîmes « Protéger et soutenir, enjeux et fonctions de la limite dans l’intervention des espaces de rencontre », disponibles sur le site ffer.
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[6]
S. Bédère, M. Lajus, B. Sourou et l’équipe du Point rencontre de Bordeaux, Rencontrer l’autre parent. Les droits de visite en souffrance, Toulouse, érès, 2011.
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[7]
La ffer a organisé une journée d’étude sur ce thème : « Venir rencontrer un parent différent », le 23 juin 2014 à Lille ; le cahier de cette journée est disponible sur le site ffer.
1L’invention des espaces de rencontre, dispositif d’accueil dédié aux situations de séparation ou divorce conflictuel, est contemporaine de l’apparition du terme de parentalité. Leur clinique suit les évolutions liées aux nouvelles configurations et à l’évolution législative. Les études et recherches réalisées depuis trente ans autour de cette pratique ont souligné des évolutions et n’ont pas démenti la pertinence de l’intention de départ, au contraire.
2Il est intéressant de repérer leur histoire sociale et d’essayer de pointer les inter-évolutions entre cette pratique, ses modulations et l’évolution sociétale.
3L’évolution du contexte social, ses répercussions sur le droit de la famille, leur inscription dans le Code civil, dans le Code de l’action sociale rendent ce travail indispensable pour que les pratiques des espaces de rencontre ne se sclérosent pas au moment où ils se trouvent institutionnalisés.
Construction d’un dispositif
4L’histoire est toujours importante à suivre pour tenter d’approcher l’âme d’une démarche.
5Il ne paraît pas anodin de resituer quelques-unes des étapes qui, sans aucune intervention de l’appareil d’État, ont vu en quinze ans l’ensemble du territoire se doter d’espaces de rencontre, au point que l’on en recense aujourd’hui 145, plus ou moins bien répartis selon les régions, mais couvrant l’ensemble du territoire. Alors que chacun ne disposait que de moyens disparates et souvent fragiles, le montage financier est en passe de se pérenniser au niveau national suite à la parution en 2013 des décrets d’application de la loi de 2007.
6Le premier d’entre eux a ouvert ses portes à Bordeaux en 1986 dans un contexte particulier ; il a été créé d’une certaine façon sans le vouloir. Bordeaux a été historiquement la première juridiction à s’être dotée d’une Chambre de la famille ; il existait bien avant 1986 une culture partagée par les différents acteurs qui formaient ensemble un réseau.
7Ainsi l’afccc [1] avait créé une consultation conjointe avocat-conseiller conjugal ; et un groupe de travail sur « l’intérêt de l’enfant dans le divorce » qui réunissait des praticiens du droit (avocats, magistrats), des enseignants, des médecins, des travailleurs sociaux, des psychologues, des conseillers conjugaux, un samedi matin par mois, dans les locaux du tribunal pour enfants. Ce groupe s’est réuni au départ sans autre intention que de produire un écrit. Dans ce groupe, il a été évoqué une mission particulière qui avait, au titre d’expérimentation, été confiée à l’une des conseillères conjugales/thérapeutes de couple, Madie Lajus. Elle devait médiatiser des rencontres entre un ou des enfants et l’un de ses parents dans des situations qui paraissaient bloquées en incarnant une position tiers, en utilisant des lieux du social ordinaire : jardin public, buffet de la gare…
8Cette expérience, croisée avec d’autres, a donné le levain de ce qui est devenu un projet : créer un lieu d’accueil dédié à ces situations, porté par un dispositif permettant de les travailler véritablement. Projet réfléchi dans la pluridisciplinarité.
9La plupart des participants du groupe ayant à un moment de leur parcours rencontré la psychanalyse, soit dans le cadre de leur formation, soit à travers une expérience personnelle – nous étions alors au cœur de ce que l’on appellera parfois les « années Dolto » –, la psychanalyse a infléchi une certaine orientation quant à la façon de penser l’enfant comme sujet de son histoire, y compris dans ce qu’elle comporte d’aléas. La colonne vertébrale de ce projet tenait d’ailleurs en une phrase, dans laquelle tout reposait sur une virgule : « La souffrance de l’enfant, c’est son histoire. »
10Une virgule qui ouvrait le champ de la subjectivité propre de l’enfant : quels que soient les événements, les aléas de son histoire, il était essentiel de lui permettre un espace où il pourrait librement en penser, en élaborer quelque chose sans courir le risque d’être fixé à l’une ou l’autre des positions qu’il pourrait prendre, d’une manière pouvant évoluer dans le temps.
Première parenté
11Les acteurs de ce projet étaient marqués par leurs trajectoires singulières. Au premier rang, les conseillers conjugaux/thérapeutes de couple, dont la fonction ne reposait pas sur une formation de type universitaire, mais sur une formation personnelle solide à travers le cursus mis en œuvre au sein de l’afccc qui les en avaient décalés. Certains d’entre eux avaient auparavant exercé une profession très différente (ex-enseignants) ou aucune profession. Parmi les trois fondateurs de ce qui allait devenir le Point rencontre de Bordeaux, deux fondatrices exerçaient en tant que conseillers conjugaux/thérapeutes de couple et le troisième, psychologue alors en analyse, deviendra analyste par la suite.
12Ces éléments permettent de repérer le style de travail qui sera en œuvre collectivement dans le cadre du projet, labellisé dans un premier temps « Point rencontre afccc », puis en 1994 « espace de rencontre » par la Fédération française des espaces de rencontre [2] qui appuie la pratique sur un code de déontologie rédigé après un très important travail de réflexion (92 des 145 espaces de rencontre adhèrent à la ffer et se réfèrent à ce code).
13Un rappel de l’histoire paraissait indispensable. Il fallait bien qu’une culture commune préexiste pour que, sans aucune volonté d’organisation de l’appareil d’État, ils se soient mis à pousser comme des champignons, en particulier entre 1990 et 2000. Au sein de cette culture, il y aura eu le rapport à la psychanalyse et le décalage par rapport à une position ou une formation d’origine.
14Le Point rencontre de Bordeaux n’a en effet pas fait œuvre de franchisation, les autres ouvertures ne se sont pas faites en copié/collé, mais en référence à une culture commune implicite, une parenté, qui a donné un certain style dans la manière de répondre à un besoin émergeant dans le social.
15L’une de ces parentés concerne le travail d’accueil et la posture d’accueillant désindexée des fonctions que les uns et les autres occupent par ailleurs – telle qu’on la trouve aussi dans le projet originel de la Maison verte. Nous avons rencontré les fondateurs des laep (Lieux d’accueil enfants-parents) avant l’ouverture de leur premier lieu parce qu’il y avait entre nous des connexions [3], et pas dans l’esprit de vouloir chercher ou prendre modèle. Cette parenté d’esprit et de dispositif fut évidente dans une rencontre avec Marie-Hélène Malendrin [4] alors que nous intervenions chacun dans un colloque il y a quelques années.
Deuxième parenté
16L’autre parenté concerne le travail en institution et une certaine conception du « travail à plusieurs ». Il se trouve que, travaillant par ailleurs depuis longtemps dans le champ de la psychiatrie, j’étais dans un lien de grande proximité avec Jean Oury et les amis de la clinique de La Borde, où je suis allé souvent. Nous avions l’habitude, avec Jean Oury, d’échanger sur nos pratiques, mais pendant plus de dix ans, nous n’avons pas fait de lien avec la pratique de Point rencontre, comme si elle restait hors champ. Il a fallu l’invitation de Joseph Rouzel pour que ce lien se fasse : lors d’un congrès de Psychasoc à Montpellier où nous intervenions, Jean Oury, Michel Lecarpentier et Marie-Christine Hiebel sont venus écouter mon propos, qui s’appuyait sur cette pratique et la décrivait. C’est là que le lien véritable s’est fait, avec une façon de repérer la dimension du travail à plusieurs, en se retrouvant en particulier autour de la question de l’ambiance, des conditions d’émergence, du travail indirect et de la fonction d’accueil. C’est suite à ces échanges que Jean Oury viendra à la journée d’étude ffer à Nîmes [5] faire une intervention portant sur la fonction d’accueil, que nous reprendrons dans l’ouvrage collectif [6] publié en 2011.
Une double filiation
17Il s’agit d’une sorte de double parenté non voulue et libre, mais en cohérence profonde, sans qu’il se soit jamais agi d’exporter des modèles. On retrouvera cette même cohérence dans la façon de s’appuyer sur le collectif et l’accueil non spécifique lorsqu’un des parents est porteur d’un problème de structure psychique. L’intervention de Pierre Delion en 2014 [7] portait la marque de cette cohérence.
18Il y a donc implicitement dans nos dispositifs une sorte de culture du décalage, un mode de pensée qui permet de dissocier rôle/statut/fonction et qui fait que chacun, nommé sous le titre « d’intervenant(e) », se décale de sa formation d’origine – éducateur(trice), assistant(e) social(e), psychologue, thérapeute de couple – pour se retrouver déspécifié et déhiérarchisé pour assumer ce travail d’accueil. Cette posture, qui a une efficace incomparable, est une posture de non-savoir, faite de dessaisissement, qui permet de travailler les choses « en creux », de veiller aux conditions de possibilité d’une fonction d’accueil portée collectivement par les intervenant(e)s et interagit avec le collectif constitué par les personnes, enfants et parents accueillis.
19Il s’agit d’assurer les conditions de possibilité d’une fonction d’accueil qui modifie en profondeur l’ambiance et la rend porteuse ; cela ne peut se faire qu’en prenant en compte des niveaux d’une grande complexité et en utilisant des logiques indirectes (abductives aurait dit Oury). Il s’agit d’assurer un travail invisible qui rend travaillables sans grand bruit les situations accueillies et qui aide beaucoup à réduire un imaginaire prêt à flamber et qui se trouverait renforcé par des interventions directes du type « one to one ».
Rencontrer un parent présentant un problème de structure psychique
20Une fillette de 11 ans n’a pas vu son père depuis huit ans. La mère et le père ont été reçus individuellement en entretien préalable dans notre bureau, qui n’est pas le lieu où se déroulent les visites (nous utilisons les locaux d’un centre de loisirs très adaptés à notre travail). Ce samedi-là, le père est accueilli par l’un d’entre nous dans une partie du bâtiment alors que la mère et la fillette sont avec un autre intervenant dans une autre partie des locaux. Chacun est tendu et ému. La fillette, anxieuse du départ de sa mère, verse quelques larmes, elle ne semble pas disposée à laisser facilement partir sa mère.
21En traversant la cour, elle rencontre une copine d’école avec qui elle a fait deux ans d’équitation et qui est là elle aussi pour voir son père. Spontanément, les deux fillettes s’installent sur un banc et se mettent à parler en oubliant le reste du monde pendant un bon quart d’heure. La mère peut quitter les lieux sans aucun problème. Nous repérons bien ce qui se passe mais nous nous gardons d’intervenir ; nous sommes au moins avertis que les bulles de savon sont aussi précieuses que fragiles. Au bout de ce long moment, les deux fillettes vont spontanément se séparer ; l’une va retrouver son père avec qui elle était, l’autre se dirige d’elle-même vers le lieu où son père l’attendait.
22Cet impromptu a restauré une spontanéité dans une situation qui était saturée par les attentes, angoisses et craintes de chacun. L’émotion est là, mais la reprise de contact s’est déroulée simplement et rapidement, la fillette et son père sont visiblement « rebranchés ».
23D’une certaine façon, c’est sans le savoir que la petite copine a fait ce qui demandait à être fait, et nous avons pris son intervention comme une chance et l’avons laissée faire. Nous nous sommes abstenus d’intervenir, nous trouvant à contre-emploi des fonctionnements que nous pratiquons ailleurs, et avons accepté de porter le poids de ne rien faire. Oury disait que le plus difficile dans le travail consistait à « organiser le hasard »… On peut penser que si nous avions pris la fillette à part pour qu’elle parle de son ressenti, on n’aurait fait qu’empêcher les choses en donnant corps à la part de son imaginaire qui était faite de crainte et d’opposition.
24Il s’agit dans ce lieu de trouver des modalités d’intervention judicieuses et astucieuses qui tiennent compte davantage d’un temps logique qui se déroule sous nos yeux, avec sa part impossible à anticiper, que d’un temps chronologique planifiable à l’avance. D’une certaine façon, là est le secret de l’efficace de notre dispositif.
25Nous arrivons à travailler la position des uns et des autres, et à ménager un espace où les enfants peuvent vérifier qu’il est moins impossible qu’il est dit d’aller d’un pôle à l’autre de leur histoire sans ravage supplémentaire. Ce travail, qui requiert tout notre savoir-faire sans en avoir l’air, utilise des logiques indirectes pour alléger le plus possible les enjeux et réduire les jouissances agissant en filigrane.
26Le fait que cet « intime » soit reçu et travaillé dans un espace collectif est un facteur aidant pour réduire l’imaginaire et y substituer une figuration de « l’extime » qui fait davantage place à la question de la division subjective à laquelle nul, enfant ou parent, ne saurait échapper. Le collectif en somme figure cette extériorité à soi-même qui est la condition irréductible du sujet. Rappelons-nous l’aphorisme rimbaldien : « Je est un autre… Il est faux de dire “je parle”, on devrait dire “on me parle”… »
27Ce dispositif se montre précieux dans des situations réputées difficiles ou supposées relever de compétences spécifiques, en particulier dans le cas où la structure psychique de l’un des parents pose problème. De longue date, ces situations qui inquiètent ne nous semblent pas poser au sein de notre espace de rencontre plus de problèmes que ça, voire moins que les situations qui font l’ordinaire de notre pratique, celles qui sont envahies des débordements des conflits exacerbés entre les parents. Il y a juste une question de « paramétrage » et de réglage du dispositif en fonction des particularités de tel ou tel fonctionnement. Ce paradoxe vaut qu’on s’y arrête de plus près ; vingt-cinq ans de recul permettent de tirer des enseignements sur la façon dont les situations évoluent.
28Le premier constat, bien sûr, est celui de la durée : dans ces situations, le « provisoire » dure, nécessairement, car la poursuite des rencontres, même si les choses évoluent, si les enfants grandissent, a du mal à pouvoir s’envisager en se passant de la structure offerte par l’espace de rencontre.
29Le fait que ces situations soient accueillies au sein du collectif, sans aucune stigmatisation, a en soi un caractère apaisant, puisqu’il reconnaît d’entrée de jeu ces parents comme « parents ordinaires dans un lieu ordinaire ». Parfois à elle seule, cette composante suffit à réduire les difficultés et les oppositions : la présence des autres est normalisante, crée un espace de sociabilité entre pairs, non démentie par la discrétion de nos interventions.
30Nous avons appris, au fil du temps, que la pacification de ces situations tenait en général à peu de choses, à une attention aux détails qui se joue au moment de l’accueil : dissocier le regard et la voix en disant bonjour, respecter le fait qu’un parent ait besoin dans un premier temps de s’isoler un moment dans une pièce sans qu’on lui demande rien, jouer d’un sas au niveau du ou des enfants pour qu’il lui apparaisse décontaminé de l’influence de l’autre. Autant de « bonnes manières », comme disait Jean Oury, qui sont efficaces parce qu’articulées à un repérage clinique précis.
31Bien sûr, il n’y a rien de magique, mais l’utilisation de logiques indirectes s’avère extrêmement précieuse dans ces situations qui requièrent une grande délicatesse ; l’autre facteur est bien de veiller à ce qu’une juste proportion existe par rapport aux autres situations présentes. Si ces facteurs d’ambiance sont efficients pour le parent différent, ils le sont aussi pour l’enfant, sensible à l’accueil paisible d’un parent souvent réputé « impossible » ou « irresponsable », à travers l’attention non stigmatisante dont il est l’objet de notre part.
32Louis, qui a presque 18 ans, vient depuis plus de dix ans. Nous avons en quelque sorte échangé une mère « impossible », voire dangereuse, contre une mère « exotique, mais fréquentable », digne de notre attention et de notre respect. Celle-ci, enseignante de formation, souvent mise en difficulté par sa structure maniaco-dépressive, a trouvé dans notre dispositif de quoi pacifier sa propension à se sentir stigmatisée et persécutée ; elle a peu à peu quitté la défiance qui la rendait agressive et interprétative à notre égard et difficile à aborder dans cet état pour son fils. Celui-ci, au fil du temps, a pu prendre du champ, manifester de l’opposition à certains moments, dans des mouvements que nous avons authentifiés comme légitimes, tout en les rendant supportables à sa mère qui sinon aurait pu réagir en miroir et violemment. Voir aujourd’hui ce jeune homme, qui a adopté un look étudiant, arriver, nous disant bonjour en souriant, déposer son ordinateur dans notre bureau de façon décontractée pour aller passer un moment à discuter avec une mère détendue et ravie de le voir investir ses études est en soi un mode de validation du parcours accompli. Bien sûr, il nous a fallu mobiliser tous nos savoirs cliniques et faire bien des trouvailles pour rendre ce chemin possible et sortir d’impasses, mais le pari valait d’être tenu.
33Louis, qui a un lien fort avec sa mère, nous sollicite aujourd’hui pour l’aider à réfléchir à comment continuer à rencontrer sa mère au-delà de sa majorité.
34Pour Alixia et Ineta, deux jumelles de 16 ans, c’est un parcours de plus de dix ans dans leur rencontre avec leur père, schizophrène, qui a souvent été inquiétant pour elles, surtout au moment de leur entrée dans l’adolescence. Durant de nombreux mois, il nous a fallu border le fait qu’elles mettaient en scène leur opposition d’une façon éprouvante (pour nous), mais qui aura été constructive (pour elles). Elles nous ont d’ailleurs interpellés pour revoir un documentaire vidéo réalisé avec leur participation alors qu’elles étaient enfants, et ont repris avec nous toute une historisation de leur parcours, nommant ce qui aura été leur peur devant ses « bizarreries », leur crainte de les « attraper », leur honte de son apparence ou de ses propos, et finalement la façon pacifiée dont elles ont appris à se situer maintenant, à l’aise dans leur histoire, fières de leurs réussites scolaires, confiantes en leur avenir, relativement dégagées du conflit opposant parfois toujours leurs parents.
Un dispositif qui questionne le social
35Nombreux sont les exemples de ce type, où les effets d’une pathologie ont été allégés par le dispositif d’espace de rencontre et rendus supportables aux enfants, qui ont pu se dégager et faire un véritable travail de subjectivation. Nos interventions sur un mode mineur auront permis un accompagnement véritable à propos duquel on peut parler d’effets thérapeutiques, ou tout du moins de prévention.
36Ces interventions très cliniques et soutenant les effets de structuration des enfants sont comparables à celles qui sont mobilisées dans les laep (Lieux d’accueil enfants-parents) à partir de l’expérience princeps de la Maison verte.
37Légers et mobiles, mobilisant un panel de compétences et de savoir-faire rarement réunis pour un coût financier dérisoire, les espaces de rencontre témoignent d’une grande inventivité et efficacité. Proposant des dispositifs dont le seuil d’accès est réduit au minimum, offrant un accompagnement aux processus de subjectivation des enfants à travers leur positionnement dans la banalité du social ordinaire, loin d’une simple gestion des conflits ou des « droits de visite », les espaces de rencontre, nourris d’une éthique du sujet, prennent en compte sans les revendiquer les éclairages issus de la psychanalyse.
38Ils offrent une réponse spontanée et responsable face aux mutations du social et à l’évolution des parentalités. Et témoignent de l’engagement constructif de professionnels acteurs de dispositifs tissés de transversalités et de compétences croisées mises au service du social dans une éthique de la citoyenneté responsable ; pour donner un ordre d’idée, ce sont actuellement 25 000 enfants par an qui sont en France accueillis et « aidés à grandir ». Il y a là des effets de transmission, dans la mesure où les premiers enfants que nous avons reçus sont maintenant devenus parents à leur tour, inventeurs sans doute d’évolutions qui décaleront les effets de répétition, et sont « modifiés » dans leur façon d’être parents à leur tour par la façon dont ils ont travaillé leur position d’enfant et leur prise dans les problématiques non réglées de leur parents.
39Si l’on fait une projection, sur une expérience de trente ans, cela donne toute une tranche de la population qui, enfant, aura à un moment ou à un autre rencontré un type d’écoute particulier dans son rapport à son histoire. Il y aura donc eu des effets de décalage dans les modes d’aliénation et leur repérage, une manière de faire passer des façons de nuancer les aliénations propres aux histoires de chacun et peut-être à travers cela d’amoindrir les effets de l’aliénation sociale.
Bibliographie
- Bédère, S. ; Lajus, M. ; Sourou, B. et l’équipe du Point rencontre de Bordeaux. 2011. Rencontrer l’autre parent. Les droits de visite en souffrance, Toulouse, érès.
- Kruse, C., 2004. « L’intervention au piège des pathologies », Dialogue, n° 164.
Mots-clés éditeurs : espace de rencontre, justice, accueil spécifique, pathologies
Date de mise en ligne : 06/06/2016
https://doi.org/10.3917/empa.102.0078Notes
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Serge Bédère, docteur en psychologie, intervenant au Point rencontre de Bordeaux, administrateur à la ffer, psychanalyste, membre d’espace analytique. serge.bedere@gmail.com
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Emmanuelle Moraël, médiatrice familiale, chargée d’études ffer. www.espaces-rencontre-enfants-parents.org
emmanuelle.morael@hotmail.fr -
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Association française des centres de conseil conjugal.
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[2]
ffer : www.espaces-rencontre-enfants-parents.org.
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[3]
Andrée Gaubert, sœur de Marie-Françoise El Khouri qui a travaillé comme analyste à Paris, comme accueillante à la Maison verte avant d’émigrer au Canada, a organisé le voyage d’étude de Françoise Dolto au Québec.
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[4]
M.-H Malendrin, cofondatrice avec Françoise Dolto et Bernard This du projet Maison verte ; alors éducatrice spécialisée, elle est devenue plus tard analyste.
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Actes du colloque de Nîmes « Protéger et soutenir, enjeux et fonctions de la limite dans l’intervention des espaces de rencontre », disponibles sur le site ffer.
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[6]
S. Bédère, M. Lajus, B. Sourou et l’équipe du Point rencontre de Bordeaux, Rencontrer l’autre parent. Les droits de visite en souffrance, Toulouse, érès, 2011.
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[7]
La ffer a organisé une journée d’étude sur ce thème : « Venir rencontrer un parent différent », le 23 juin 2014 à Lille ; le cahier de cette journée est disponible sur le site ffer.