Notes
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Pierre-Brice Lebrun, titulaire d’un de d’éducateur spécialisé, d’un defa et d’un dea de droit pénal, enseigne depuis quinze ans le droit dans les secteurs sanitaire, social et médicosocial, en formation initiale diplômante, en formation continue et sous forme de conférences. Il anime un blog juridique : www.profdedroit.net pierrebricelebrun@free.fr
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[1]
Ce texte a servi de support à l’intervention de Pierre-Brice Lebrun lors de la journée de réflexion sur l’autorité organisée le 22 mai 2015 à l’iut de Figeac par l’anras et l’ifrass.
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[2]
Je profite de l’occasion pour conseiller la lecture d’un rapport fort intéressant du Conseil supérieur du travail social, Refonder le rapport aux personnes (2015), pour son sous-titre tout particulièrement : « Merci de ne plus nous appeler usagers ».
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[3]
L’ouvrage de Cesare Beccaria est téléchargeable gratuitement (et légalement) sur le site des Éditions du Boucher : sa lecture est fortement conseillée à tous ceux qui, dans leur vie privée ou professionnelle, sont amenés à fixer des règles et à les faire respecter.
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Nul crime, nulle peine sans loi.
1Le concept d’autorité peut, en droit, recouvrir plusieurs réalités différentes. On évoque ainsi l’autorité de la justice, l’autorité administrative, l’autorité de la chose jugée, l’autorité parentale, l’autorité de tutelle, une décision fait autorité, comme les propos d’un expert ou le savoir d’un professeur, mais la même question se pose à chaque fois : en quoi cette autorité est-elle légitime ? Légitime pour légiférer, réglementer, ordonner ou sanctionner [1].
2L’autorité peut acquérir sa légitimité par l’élection : c’est le principe de la démocratie.
3Le maire et le président du conseil départemental, dans leurs collectivités respectives, représentent « l’autorité qui a pouvoir de nomination » : ils en dirigent le personnel, et disposent du pouvoir de le sanctionner (en droit, derrière le concept d’autorité, se profile toujours celui de sanction).
4Le maire, sitôt élu, obtient des pouvoirs de police administrative (elle est préventive : il peut signer des arrêtés) et de police judiciaire (elle est répressive : il peut infliger des amendes). Le maire est officier de police judiciaire – ce n’est pas rien – et officier d’état civil : il a autorité sur les actes et les registres tenus dans sa commune. Son autorité de tutelle est le procureur de la République.
5La plus haute autorité de l’État est élue, elle aussi : c’est le président de la République. Le pouvoir exécutif – exercé par le gouvernement et ses représentants – peut prendre seul des décisions autoritaires : il détient le pouvoir réglementaire, qui lui permet de publier des décrets. Il n’est pourtant pas élu : il est nommé, mais surveillé par le Parlement, élu par le peuple à cet effet (l’équilibre des pouvoirs est d’une amusante et ludique subtilité).
6Le pouvoir exécutif est assisté de « tout un tas » d’autorités dites indépendantes, comme la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (hadopi), la Haute Autorité de santé (has) ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (csa). On ajoute alors « haute » ou « supérieure » à « autorité », pour bien montrer qui commande (il n’y en a pourtant aucune qui se dise « basse » ou « inférieure »), et on précise bien qu’elles sont indépendantes, pour balayer les derniers doutes : l’autorité est aussi une histoire de vocabulaire, de titres et de majuscules. Une autorité sans pouvoir n’a qu’un rôle consultatif et la Commission nationale pour l’informatique et les libertés (cnil) est dramatiquement dépourvue des moyens (humains, financiers) qui lui permettraient de réellement lutter contre le fichage systématique et la vidéosurveillance, pardon : protection ! la vidéo-protection ! L’autorité bienveillante ne surveille pas, elle protège !
L’autorité de tutelle
7L’autorité de tutelle est celle qui agrée, surveille, fixe les règles, celle qu’il ne faut pas se mettre à dos, même si personne ne sait très bien d’où elle tire sa légitimité : ceux qui la fréquentent se posent d’ailleurs régulièrement la question.
8Souvent : elle finance. De là vient alors sa légitimité : le client est roi.
9On dit par exemple – je l’ai entendu ! – que les avis et les recommandations de l’anesm font autorité : or, il ne faut jamais poser une question juridique à l’anesm, et si, par mégarde, on s’y aventure, il ne faut tenir aucun compte de la réponse. Les « recommandations de bonnes pratiques » permettent seulement d’apprendre à faire plaisir aux évaluateurs, en aucun cas de respecter la moindre loi [2].
10Pour asservir une population, rien de tel que de lui imposer son autorité avec une certaine finesse, auréolée de beaux principes : les Romains ont si bien implanté leurs lois et leur logique chez les Gaulois (sauf dans un petit village, qui résiste encore et toujours) que notre justice fonctionne toujours sur les principes du droit romain. Les peuples conquis, devenus européens, l’ont à leur tour imposé à tous les pays qu’ils ont colonisés : du coup, le Chili et l’Australie respectent toujours, comme nous, les principes issus du Code Justinien (529 ap. J.-C.) sans avoir jamais vu débarquer le moindre centurion.
11Et Constantin 1er ? Le christianisme, devenu religion d’État, lui a permis d’asseoir tranquillement son autorité et de restaurer celle du saint Empire romain germanique : quoi de mieux qu’une légitimité divine ? Les rois de France n’ont rien inventé.
L’autorité de la chose jugée
12L’autorité de la chose jugée interdit de remettre en cause un jugement, en dehors des voies de recours ordinaires que sont l’appel (devant la Cour d’appel), et le pourvoi (devant la Cour de Cassation, juridiction suprême du droit privé, qui exerce sur les décisions des magistrats une autorité essentiellement morale). On parle de vérité légale, comme si la justice disait toujours la vérité, comme si la vérité sortait de la bouche de la justice, alors que tout le monde sait qu’elle sort de la bouche des enfants, qui ont pourtant beaucoup de mal à se faire entendre et qui doivent obéir à ceux qui – pour leur bien et dans leur intérêt – exercent l’autorité parentale.
13L’autorité de la chose jugée a un effet positif : elle permet à celui dont le droit a été reconnu par un jugement de se prévaloir de l’autorité de la chose jugée dans le cadre d’un autre litige.
14C’est la fameuse jurisprudence, qui n’a qu’une autorité relative : elle rappelle que, dans telle situation à peu près similaire, tel tribunal a pris telle décision. La jurisprudence n’est qu’indicative, on peut s’en servir pour illustrer une démonstration juridique (un peu comme quand on fait des dessins pour faire comprendre quelque chose de compliqué, pour le rendre concret), mais on ne peut pas se baser sur la jurisprudence pour étayer un raisonnement, justifier un protocole, imposer une procédure.
15L’autorité de la chose jugée a aussi un effet négatif : elle empêche les parties de recommencer un nouveau procès qui porterait sur un différend qui aurait été déjà jugé.
La séparation des pouvoirs
16Pour être légitime, une autorité doit être indépendante des autres. Un adage populaire le confirme : on ne peut être juge et partie. D’abord, l’autorité qui fixe les règles ne peut pas être celle qui sanctionne leur non-respect : c’est tout de même ce qui arrive en général dans les esms (établissement social ou médico-social) ou dans les établissements scolaires (et aussi au sein des familles).
17La séparation des pouvoirs, ultime rempart contre l’absolutisme, est pourtant l’un des principes fondateurs de notre République, développé par Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire (constitutionnellement ramené dans notre démocratie au rang de simple autorité) se surveillent, se complètent et s’équilibrent (la Justice n’est-elle pas représentée avec une balance, source de son discernement, même si elle est aveugle, c’est-à-dire neutre ?).
18Ensuite, l’ensemble des décisions autoritaires (une décision autoritaire est imposée par une autorité) doit pouvoir bénéficier d’un second examen (appel, recours, pourvoi, saisine du Conseil constitutionnel, etc.) : c’est rarement le cas dans les esms.
19La loi 2002-2 prévoit même que « l’usager » doit être informé via le livret d’accueil des possibilités de recours qui lui sont offertes : rares sont les livrets d’accueil qui n’oublient pas de traiter cette partie, et je n’ai jamais vu un livret d’accueil qui – par exemple – rappelle au mineur qu’il peut se faire assister d’un avocat, qui lui explique comment faire, où le trouver, et lui rappelle que le mineur bénéficie de droit de l’aide juridictionnelle ; c’est une des dérives possibles de l’autoritarisme, de tronquer l’information. Les droits réels, quand on les exerce, sont des possibilités de remettre en cause l’autorité (le lycéen trouvera rarement au bureau de la vie scolaire le décret qui fixe le fonctionnement du conseil de discipline, des fois que ce jeune procédurier exige qu’il soit respecté !).
20Il n’est pas innocent qu’une dictature soit qualifiée de « régime autoritaire » (et que l’autoritarisme d’un dirigeant soit critiqué : reste néanmoins à définir la frontière entre autorité et autoritarisme, « donner un ordre » et harceler, dont les définitions changent souvent selon le parallaxe de leur analyse).
L’élément légal
21Enfin, « l’élément légal » (c’est ainsi que l’appellent les pénalistes) impose qu’un texte législatif ou réglementaire, compréhensible par tous et porté à la connaissance de tous (citoyens ou usagers), crée l’infraction (le comportement incriminé) et prévoie la sanction encourue, ou la sanction maximale encourue. Le principe millénaire qui rappelle que « nul n’est censé ignorer la loi » – donc : de savoir ce qui est autorisé ou interdit – remonterait à Hammurabi (1750 av. J.-C.), qui a eu la bonne idée, pour asseoir son autorité, de rendre accessible le code qui portait son nom, en faisant graver sur un bloc de basalte les 252 articles de ses lois principales.
22Ce principe fondateur de notre droit pénal (le droit qui – comme son nom l’indique – a pour mission de « punir » en infligeant une « peine ») a été développé par Cesare Beccaria dans Des délits et des peines (1764) [3] : Nullum crimen, nulla pœna sine lege [4]. L’existence d’un élément légal préalable interdit – ou limite – l’arbitraire.
La sanction n’est pas une vengeance
23De la légitimité de l’autorité découle la légitimité de la sanction : si l’autorité n’est pas légitime, la sanction ne l’est pas non plus, et l’autorité perd de sa légitimité en infligeant ou en prévoyant des sanctions illégitimes (démesurées, humiliantes, barbares – l’éternel débat autour de la peine de mort et des punitions corporelles, de la fessée à la lapidation – ou non-prévues par un texte, etc.). L’absence ou l’insignifiance de la sanction infligée peuvent aussi la rendre illégitime aux yeux des autres : une autorité peut perdre sa légitimité en étant « trop » sévère ou pas assez. Arrive alors un cortège d’interrogations sur la proportionnalité, l’exemplarité et la finalité de la sanction : qu’est-ce qu’une « bonne » sanction ? À partir de quand une sanction est-elle démesurée, inefficace, inutile, acceptable ou non ? À partir de quand est-elle suffisante ? La défense, pour être légitime, doit être proportionnée et un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 4 décembre 1908 précise que le droit de correction qu’ont les instituteurs sur les enfants qui leur sont confiés, « pour demeurer légitime, doit être limité aux mesures de coercition qu’exige la punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant ».
24Limité par la gravité de l’acte d’indiscipline, c’est-à-dire : proportionnel.
25L’autorité peut sanctionner en engageant la responsabilité disciplinaire de celui sur qui elle a autorité : l’enfant (les parents, les enseignants), le salarié (l’employeur), le sportif (l’arbitre, le coach, la fédération).
26En droit pénal, ce n’est pas la victime qui demande la peine, c’est le procureur de la République, en toute objectivité et en notre nom à tous : on dit qu’il exerce la fonction de ministère public. Il représente l’autorité judiciaire et défend les intérêts de la société. Lorsque la victime demande la peine, c’est de la vengeance, et la victime ou ses ayants-droit peuvent exiger une sanction à la hauteur de leur peine, ou de leur préjudice.
Les trois sources de légitimation
27Les trois sources de légitimation de l’autorité sont les règlements, les structures et les capacités.
28L’autorité d’un magistrat tient de la loi, ainsi que de sa fonction au sein de la justice (règlement et structure), mais il peut être reconnu compétent ou non (capacité).
29L’autorité d’un directeur ou d’un chef de service tient de sa fonction au sein de l’établissement (règlement et structure), mais il peut être reconnu compétent ou non (capacité) : quand il ne l’est pas, il se fait appeler responsable, il se désigne, c’est cohérent, par une posture immobile (je suis responsable, posture passive, au lieu de je dirige, je décide, je commande, j’arbitre, postures actives). Il est celui qui est, à défaut d’être celui qui fait : l’inflation de responsables à tous les étages explique en partie l’amplification de la force d’inertie.
30L’autorité d’un parent tient de sa fonction au sein de la famille (structure), la loi encadre sa fonction (règlement), mais il peut être reconnu « bon » ou « mauvais » (capacité).
31Dans un groupe informel, l’autorité d’une personne (le leader) tient de la reconnaissance de ses attitudes, connaissances et compétences (capacité) et de rien d’autre (ni règlement, ni structure explicite).
L’autorité parentale
32L’épouse devait jadis obéissance à son mari, qui lui devait protection : on parlait alors de puissance maritale. Le mari avait le droit de corriger son épouse, de la punir si elle ne lui obéissait pas. L’obéissance est l’attitude de la personne qui se soumet à l’autorité : d’ailleurs, l’enfant à tout âge doit honneur et respect à ses père et mère (Code civil, art. 371), et ce n’est pas réciproque (ils doivent respecter sa personne, mais – intéressant paradoxe – ils peuvent lui mettre des gifles).
33L’autorité – heureusement ! – peut aussi être protectrice : l’autorité parentale appartient aux parents pour élever, éduquer et protéger leur enfant. Tous les enfants, en France, sont donc placés sous une mesure de protection appelée « minorité », exercée de fait par les parents, sous le contrôle du juge (la liberté éducative des parents a comme limites la mise en danger de l’enfant). Lorsque les parents sont défaillants, la minorité est renforcée par une mesure d’assistance éducative, judiciaire ou administrative, mais seule la justice – même si l’ase feint de l’ignorer – peut limiter les pouvoirs d’un des parents, en suspendant l’exercice de son autorité parentale (ce qui est de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales : le juge des enfants est incompétent en la matière).
34L’enfant, même mineur, même « très » mineur, peut s’affranchir de cette autorité naturelle : il peut se faire soigner (c’est pourquoi l’autorisation de soins et d’opérer n’existe pas : pour que ses parents ne puissent pas la lui refuser), il a accès à la contraception, à l’avortement, à un avocat, sans que ses parents puissent s’y opposer.
35Dans la section du Code pénal qui traite de l’abus d’autorité (elle précède celle sur les manquements au devoir de probité), on trouve pêle-mêle les atteintes à la liberté individuelle « par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission », les discriminations, les atteintes à l’inviolabilité du domicile et au secret des correspondances.
36Le titulaire de l’autorité est en effet parfois tenté d’abuser de son autorité, et le fait qu’il en soit titulaire est une circonstance aggravante, il convient de protéger sa victime potentielle, dont le discernement pourrait être altéré par l’autorité détenue par son agresseur : ainsi, le « mineur de quinze ans » peut avoir avec un adulte des relations sexuelles consenties (c’est la majorité sexuelle déduite de l’article 227-25 du Code pénal), sauf si cet adulte est « un ascendant ou […] toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait », ou « une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (Code pénal, art. 227-27).
37Comme l’écrivait Sénèque, « plus on a d’autorité, plus on doit montrer de modération et de prudence » (Fragments, Ier siècle), d’ailleurs « rien n’est plus dangereux que l’autorité en des mains qui ne savent pas en faire usage » (Jean-Jacques Rousseau).
Mots-clés éditeurs : autorité, obéissance, sanction, pouvoir, indépendance
Date de mise en ligne : 14/04/2016.
https://doi.org/10.3917/empa.101.0087Notes
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Pierre-Brice Lebrun, titulaire d’un de d’éducateur spécialisé, d’un defa et d’un dea de droit pénal, enseigne depuis quinze ans le droit dans les secteurs sanitaire, social et médicosocial, en formation initiale diplômante, en formation continue et sous forme de conférences. Il anime un blog juridique : www.profdedroit.net pierrebricelebrun@free.fr
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Ce texte a servi de support à l’intervention de Pierre-Brice Lebrun lors de la journée de réflexion sur l’autorité organisée le 22 mai 2015 à l’iut de Figeac par l’anras et l’ifrass.
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Je profite de l’occasion pour conseiller la lecture d’un rapport fort intéressant du Conseil supérieur du travail social, Refonder le rapport aux personnes (2015), pour son sous-titre tout particulièrement : « Merci de ne plus nous appeler usagers ».
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L’ouvrage de Cesare Beccaria est téléchargeable gratuitement (et légalement) sur le site des Éditions du Boucher : sa lecture est fortement conseillée à tous ceux qui, dans leur vie privée ou professionnelle, sont amenés à fixer des règles et à les faire respecter.
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Nul crime, nulle peine sans loi.