Notes
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[*]
Alias Bruno Ranchin, membre du comité de rédaction d’Empan et parent d’un enfant dyslexique.
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[1]
Patrick Quercia, ophtalmologiste.
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[2]
G. Dalgalian, Enfances plurilingues, témoignage pour une éducation bilingue et plurilingue, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 32.
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[3]
Article 3-4 de la charte des calandretas.
-
[4]
Chapitre 2-2, Un mode de vie collectif, Charte de l’Association nationale pour le développement de l’École nouvelle (voir site Anen.fr).
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[5]
A. Raymond, « La coéducation dans l’éducation nouvelle », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 18, 2003.
-
[6]
V. Bertereau, 30 septembre 2014, L’étudiant.fr.
-
[7]
B. Galand, « Réussite scolaire et estime de soi », Sciences humaines, n° 5, octobre 2006.
-
[8]
Le programme pisa (acronyme pour Program for International Student Assessment en anglais, et pour Programme international pour le suivi des acquis des élèves en français) est un ensemble d’études menées par l’ocde et visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. La première étude fut menée en 2000.
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[9]
J.-M. Zakhartchouk, « Le redoublement, c’est cher, simple, et cela ne rapporte pas gros », Cahiers pédagogiques. Quelles alternatives au redoublement ?, 2009.
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[10]
N. Gamondès, « Nous d’Eux ou l’aventure de la procréation médicale assistée », Empan, n° 47, Malaises dans la famille, 2002/3.
-
[11]
La prévalence (nombre des cas dans une population donnée à un moment donné) du syndrome de Klinefelter est de 1 sur 1 200 (1 garçon sur 600). Ce syndrome n’est donc pas rare.
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[12]
Pour les problèmes d’infertilité, une Assistance médicale à la procréation (amp) est envisageable pour les hommes atteints du syndrome de Klinefelter. Ainsi, après spermogrammes et biopsie ou ponction testiculaire, si des spermatozoïdes sont retrouvés, on pourra alors proposer au jeune de les congeler et de les conserver. Un service du chu de Lyon est à la pointe de ces opérations.
1Théo mélange les mots. Son orthographe est phonétique. Ou il inverse des syllabes ou des lettres à l’intérieur des syllabes. Il épelle difficilement les mots plus longs, plus « compliqués ». Théo change des mots. Pendant la lecture.
2Théo use de stratégies pour parvenir à calculer. Il a du mal à mémoriser, à trouver des résultats. Ses doigts lui servent souvent, et il peut confondre les signes.
3Théo a du mal avec la géographie, la nôtre et la sienne. Parfois, il a du mal à se repérer dans l’espace et dans le temps.
4Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec une orthophoniste. Théo vient d’avoir 6 ans. Après deux séances, c’est déjà un premier bilan. Théo est dyslexique, dysorthographique et dyscalculique. Et peut-être dyspraxique. Je me précipite sur le dictionnaire et je ne vois plus que le préfixe « dys- », qui vient du grec, exprimant « la difficulté, le mal, le manque ». Théo va faire partie de ceux qui sont « en mauvais état ». L’école va le broyer, il n’est pas dans la norme. Elle va le laisser au bord de la route. Trop lent, pas assez réactif. Ni logique, ni cérébral. Il va être sacrifié là, sur l’autel de la compétition, de la rentabilité immédiate, de la performance.
5Et pourtant, nous parents, sommes si souvent les derniers à le remarquer. Car « les enfants dyslexiques sont intelligents. Ils font des efforts et on les traite comme des cancres ou des paresseux. Ils sont conscients de leur handicap, tellement las d’être considérés comme de mauvais élèves alors qu’ils travaillent plus que les autres [1]. » Et voilà Théo rejoignant les plus de 500 000 enfants dyslexiques en France.
6Et pourtant, Théo raconte des histoires, il se raconte des histoires et commence même à les écrire. Il transforme les objets, même les plus laids, les plus insignifiants, en pièces rares, en pièces d’art. Il crée, il imagine. Et il a toujours le sourire, même si parfois c’est un sourire un peu triste.
7Et pourtant, il aime les autres. Et la compagnie de la vie aussi.
Son redoublement et ses effets néfastes
8Nous avons rendez-vous avec les deux institutrices qui le guident, l’accompagnent, l’instruisent, l’escortent, au choix. Et là, sans aucun recours, elles nous assènent leur point de vue. Unilatéral. Il va falloir envisager le redoublement de Théo. Il a trop de mal à suivre. À assimiler. Le programme, les apprentissages, la langue, les autres. Théo est volontaire, il avance, mais il est lent, trop lent. « Et vous savez, cela va s’accélérer pour lui, il va être de plus en plus “largué”. »
9Théo est inscrit depuis son plus jeune âge dans une calandreta. En immersion. Dans une autre langue. Celle originelle de ses lointains aïeux. Avons-nous fait le bon choix ? Le fait de moins travailler le français, d’être en permanence baigné dans la langue occitane, ne complexifie-t-il pas son travail d’initiation, de structuration, de mémorisation ? Des mots, des phrases, des paragraphes, des tonalités d’occitan. Et le travail en parallèle avec le français.
10Cependant, cette immersion permet notamment d’acquérir et de disposer d’« une conscience sémantique (appréhension du sens) riche d’avoir réussi très jeune à se détacher de l’illusion que “le mot, c’est la chose” et que tel objet ne peut se désigner que par un seul mot : apprentissage précoce donc du caractère conventionnel et arbitraire du lien entre les choses et les mots d’une langue, comme de l’autre langue (réactivité des mots) ; et, par suite, d’une énorme activité de mémorisation pour associer chaque sens à plusieurs désignations possibles [2] ».
11Les calandretas sont des écoles qui s’inspirent des pédagogies nouvelles. Alors nous nous sommes demandé : comment peut-on envisager de faire redoubler un enfant dans ce cadre de travail précis ? Une calandreta développe une méthode de pédagogie qui tient compte principalement, dans sa pratique, des travaux des courants pédagogiques « techniques Freinet » et de la « pédagogie institutionnelle [3] » – cette dernière est portée par Fernand Oury et Raymond Fonvieille. Ces deux courants, manifestement très peu connus par ces deux enseignantes et leur équipe pédagogique, ont favorisé, rappelons-le, les prémices du mouvement de l’éducation nouvelle, qui elle-même a défini une mixité co-éducative dans laquelle s’inscrit pleinement le mouvement calandreta.
12Cette équipe enseignante a complètement oblitéré que l’éducation nouvelle « reconnaît comme une richesse la coresponsabilité des différents acteurs. Parents, éducateurs, enseignants, intervenants, enfants se partagent les responsabilités liées à leurs rôles respectifs et s’en rendent compte mutuellement. Chaque groupe organise les structures de sa propre vie et rencontre institutionnellement les autres groupes pour des échanges, des bilans, des projets. Ainsi l’élève fait l’apprentissage de la vie sociale et de la démocratie. L’adulte est lui aussi amené à réfléchir sur son propre rôle [4] ».
13Les parents, dans cette école, ne sont que pourtant très rarement associés à ce travail fondamental, les rares fois où ils sont autorisés à s’y atteler, c’est dans une perspective complètement descendante, où l’enseignant conserve la totale maîtrise des projets, de peur de ne plus pouvoir exercer une emprise sur les événements ou sur les perspectives éducatives. Et je pense alors à Annick Raymond quand elle repose la question suivante, cette réflexion s’appliquant tout particulièrement aux pratiques de cette équipe enseignante actuelle : « N’y a-t-il pas à redécouvrir l’importance d’une véritable coéducation, un apprentissage à vivre ensemble la première des différences, une éducation adaptée à chaque enfant, fondée sur l’influence positive réciproque, selon l’intuition des pionniers de l’éducation nouvelle ? [5] »
14Tout cela trotte dans ma tête au moment où, lors de ce rendez-vous, ces deux professionnelles nous posent le redoublement comme une obligation si l’on veut que Théo puisse rester dans cette école. Nous pourrions engager une procédure, leur rappeler qu’on ne peut imposer un redoublement si la famille s’y oppose. Mais on baisse une première fois les bras devant tant d’hermétisme. Théo ne sera gardé à la calandreta que s’il passe par un maintien dans sa classe de ce1, nous signifie-t-on.
15Et voilà Théo plongé dans les affres du redoublement de classe, avec tout ce que cela engendre. Moqueries des copains, stigmatisation des adultes, de l’école, de toute une société. Théo en a souffert, en souffre, et en gardera des traces à jamais en sa mémoire.
16Le redoublement s’avère inefficace au sens où les élèves qui ont redoublé ne sont généralement pas meilleurs après. Toutes les enquêtes s’accordent, en effet, sur le fait que le redoublement n’a pas d’effet positif sur les performances scolaires [6]. Il peut même se révéler nocif dans la mesure où il s’accompagne, le plus souvent, d’une perte d’estime de soi. Ainsi, le redoublement scolaire a fréquemment un impact négatif durable, et peut faire basculer l’élève dans un cercle vicieux de faible confiance et d’échec [7].
17De nombreux pays comme la Finlande, qui arrive en tête des classements pisa [8], le Japon ou le Canada ne l’utilisent d’ailleurs quasiment plus. « Les résultats de pisa nous montrent d’ailleurs de façon très inquiétante que l’école française fonctionne de moins en moins bien pour la seconde moitié des élèves, ceux qui n’ont pas de bons résultats et où on trouve une grande proportion des “doublants”, il paraît urgent de nous mobiliser non pas tant pour obtenir “du chiffre” (moins de redoublements) que pour permettre à tous de réussir sa scolarité, dans une école qui serait moins impitoyable pour les “perdants” et ne se préoccuperait pas seulement de dégager une élite, fût-ce en élargissant celle-ci [9]. »
18Selon le cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), l’effet négatif du redoublement agirait même au-delà de l’école. Les jeunes adultes qui ont redoublé au cours de leur scolarité ont un revenu et une position professionnelle inférieurs aux autres.
Sa dyslexie et le collège
19Théo est maintenant ado. Haut. Il dépasse son frère jumeau d’une bonne tête. La pratique du basket en compétition l’aide à assumer sa taille. Théo est maintenant au collège. Le dernier bilan de l’orthophoniste rappelle que Théo bénéficie d’un suivi orthophonique hebdomadaire depuis maintenant dix ans, pour une dyslexie-dysorthographie, qui est un trouble spécifique d’apprentissage de la lecture et de l’orthographe, et plus précisément un trouble de l’identification du mot écrit. Certes, il poursuit sa progression de façon constante et même s’il a mis de bonnes stratégies de compensation en place, la dyslexie reste un trouble durable, structurel. Il persiste des difficultés et l’orthophoniste souligne qu’il est important qu’elles soient prises en compte.
20Sur le plan de la vitesse de lecture – notamment pour des textes longs, car ils accentuent la fatigabilité –, il faudrait être vigilant à ce qu’il ait suffisamment de temps sous peine d’être (très) pénalisé dans sa compréhension. Sur le plan de l’orthographe, Théo est en mesure de traiter la multiplicité des informations mais il a besoin de temps supplémentaire dans la mesure où les notions complexes (temps composés par exemple) restent particulièrement difficiles à intégrer et à appliquer.
21L’orthophoniste préconise la reconduction d’un Projet d’accompagnement individualisé (pai) pour sa scolarité, en proposant des adaptations pédagogiques concernant la lecture dans toutes les matières et la production des écrits : ne pas lui demander de lire à haute voix en classe, évaluer sa lecture silencieuse par des questions à l’oral, pour réduire l’effet de la fatigabilité. Fractionner les consignes dans leur présentation (phrases simples), s’assurer qu’elles ont été comprises. Proposer des photocopies adaptées pour les évaluations (police, interligne, paragraphes espacés). Favoriser les dictées préparées, ne pas pénaliser les fautes produites si elles ne font pas partie de la leçon. Accorder plus de temps, réduire les quantités, envisager un système de notation adapté à la dysorthographie. Ne pas pénaliser les fautes dans les autres matières. Réduire en proportion le volume des évaluations et adapter le barème. D’une façon générale, mettre l’accent sur les progrès (même minimes) et les efforts. Donner des appréciations positives, encourageantes, car Théo lutte pour s’améliorer. Il faudrait donc essayer de dégager ses progrès personnels plutôt que de signaler des difficultés inhérentes à la dyslexie-dysorthographie.
22Juste l’impression que rien de tout cela ne fut appliqué à Théo depuis sa scolarisation en primaire. Ses difficultés, malgré nos alertes aux institutrices, aux professeurs, ont été le plus souvent plutôt pointées comme des défauts, des manques de volonté de travailler, ou alors elles ont été négligées, minimisées, voire ignorées.
23Pour la mise en place du pai, de ses reconductions, il faut chaque année batailler (démarches administratives, coups de téléphone, entre autres). Celui-ci n’est pas installé avant la fin du premier trimestre. On sent bien que le collège rechigne à le concrétiser, il y a trop de demandes de pai. Et puis, lorsqu’il est enfin déclenché, ce n’est pas la panacée non plus. Certains professeurs sont plus sensibilisés que d’autres. Le besoin crucial pour Théo d’avoir plus de temps pour répondre aux exigences des évaluations ne peut matériellement se mettre en place. Le fait de poser une ou deux questions de moins lors des « contrôles » est rarement appliqué. Quelques professeurs prennent conscience des besoins spécifiques que devrait générer la dyslexie de Théo. Mais cela ne se traduit pas réellement par des dispositions, des modalités pédagogiques. Pour nous parents, la tentation de baisser les bras, l’impression de se heurter à des murs trop hauts, plus hauts que Théo.
24Théo arrive jusqu’à l’échéance du brevet tant bien que mal ; nous avons demandé un tiers temps supplémentaire pour les épreuves et nous avons réalisé le dossier administratif auprès du rectorat. Refusé. Sans aucune explication. Nous ne laissons pas tomber, réunissons des soutiens par écrit des deux professeurs que nous avions sentis les plus concernés par le « facteur dyslexique ». Nous demandons un complément d’information à l’orthophoniste. Nous obtenons enfin une réponse favorable. La veille de l’examen !
Les causes de sa dyslexie
25Je me retrouve à présent, avec Théo, en face de l’andrologue qui m’avait accompagné dans ma démarche de procréation médicale assistée, celle longue (une décennie), difficile et douloureuse qui nous avait permis d’avoir deux garçons (Nathaël et Théo) en même temps [10]. Cet homme, médecin, humain, valant bien des psychologues, est là – toujours des cheveux longs, signifiant que ce n’est pas une tenue en blanc qui va le priver de son originalité, de sa liberté et de sa fraternité. On attend le verdict. Dans un silence pesant. Dans un moment s’étirant trop longtemps. Le verdict lié au syndrome que l’on a découvert à Théo récemment. Le diagnostic nous avait été délivré froidement par une spécialiste suite à une prise de sang liée aux excroissances mammaires que Théo ne supportait plus et nous suppliait de faire enlever ; il résonnait quasiment mot pour mot dans mon esprit :
« Le syndrome de Klinefelter est dû à une anomalie chromosomique présentant une grande variabilité d’expression avec un signe constant, l’infertilité. Seuls les garçons peuvent être atteints par le syndrome de Klinefelter. Ce syndrome est présent dès la naissance mais souvent les manifestations ne sont visibles qu’à la puberté. Le syndrome de Klinefelter est une affection due à la présence d’un chromosome X supplémentaire (anomalie chromosomique de nombre). L’apparition de ce syndrome est la conséquence d’un “accident génétique” : l’enfant est porteur de ce syndrome alors que ses parents ne le sont pas. Les manifestations sont variables d’un individu à l’autre et n’apparaissent pas chez tous les porteurs du syndrome de Klinefelter. Les manifestations physiques sont souvent imperceptibles durant l’enfance et elles apparaissent à la puberté. À la puberté, dans 50 % des cas, le volume des glandes mammaires augmente (gynécomastie) d’un ou des deux côtés. Les testicules restent petits (hypogonadisme) mais le pénis est de taille normale la plupart du temps ainsi que les bourses (scrotum). La pilosité peut être peu développée. Les enfants porteurs du syndrome de Klinefelter n’ont pas de déficit intellectuel, avec des variations comme dans la population générale. Par contre, les enfants porteurs de ce syndrome peuvent présenter des retards dans les premières acquisitions : apprentissage du langage, de la lecture, développement de la motricité. Ces problèmes relèvent d’une prise en charge adaptée [Nous y voilà. Heureusement que nous n’avons pas attendu votre diagnostic pour mettre en place cette prise en charge. Nous y voilà. Voilà d’où viennent les « dys » de notre fils !]. À la puberté peuvent apparaître des troubles émotionnels, une anxiété, une timidité. Toutes ces manifestations sociales et psychologiques ne sont pas spécifiques du syndrome de Klinefelter mais se retrouvent plus fréquemment que dans la population générale. Comme pour l’apprentissage, ces troubles peuvent bénéficier d’une prise en charge adaptée. À l’âge adulte, les hommes porteurs de ce syndrome sont infertiles avec une absence quasi complète de spermatozoïdes (azoospermie). Enfin, leur taille est souvent plus grande que celle de la fratrie. »
Les effets des causes de sa dyslexie
27Le portrait de Théo se dessinait à grands traits pendant que cette spécialiste nous égrenait froidement ce qu’est le syndrome de Klinefelter [11]. Sont-ce ces troubles émotionnels qui l’avaient poussé à faire une tentative de suicide dans sa chambre, peu de temps après avoir entendu cette spécialiste lui dire maladroitement, si maladroitement, qu’il ne pourrait avoir d’enfants ? Était-ce cette pression scolaire constante que les enseignants et inconsciemment ses parents exerçaient sur lui ? Ou bien les deux ?
28Nous avions retrouvé une lettre posée sur son lit quand sa maman l’avait décroché juste à temps d’une écharpe tendue attachée à la grande porte-fenêtre de la chambre et refermée sur son cou.
29Si je me suicide aujourd’hui c’est que je n’ai pas apprécié ma vie, trop de stress. Trop de pressions dans mes cours pour réussir dans la vie.
30Je n’oublierai pas tous les moments que j’ai passés avec tous mes amis et avec ma famille.
31Ma vie était le basket-ball.
32Désolé d’avoir dû partir Élisa.
33J’embrasse toute ma famille.
34Mais chaque instant je me demandais pourquoi j’étais là. Chaque jour j’hésitais, je me disais : « Allez Théo, si tu n’aimes pas la vie, alors suicide-toi » mais je n’ai jamais eu le courage par contre aujourd’hui.
35Mon code du portable est 0708.
36En plus si je galère alors que je suis qu’en troisième, je me demande comment je vais faire pour les années futures.
37Bref au revoir Adieu !
38Et maintenant, nous sommes suspendus aux lèvres de l’andrologue qui commence par une question à Théo :
39« Qu’est-ce que tu perçois de ce qui se passe pour toi Théo ? Qu’est-ce que tu en comprends ?
40– Que je n’ai pas de spermatozoïdes pour avoir des enfants. » (Au repas de midi, entre le recueil et ce rendez-vous, il m’avait confié qu’il avait rêvé qu’il n’avait pas de spermatozoïdes, qu’il le sentait dans son corps, lors du repas que nous avions pris en commun entre les deux examens.)
41« Exactement Théo. (Et s’adressant à nous, ses parents) Mais ce qui lui importe le plus à votre fils, c’est de se faire enlever ses excroissances mammaires parce qu’il souffre de cela devant les copains, sous la douche, ou ailleurs. Et qu’il veut se sentir comme les autres de son âge, chaque chose en son temps. Je ne l’inciterai pas à aller à Lyon, s’il ne le souhaite pas [12]. »
42Théo ne se projette pas. C’est bien compréhensible. Même si, plein de bon sens, il nous avait dit aussi, lors de cet entretien, que s’il avait une compagne qui l’aimait plus tard, elle ne tiendrait pas cas de son infertilité, elle le soutiendrait et ils verraient ensemble ce qu’ils pouvaient envisager pour leur avenir…
43Théo aime la vie mais ne supporte pas ses différences. Serait-ce parce qu’elles sont constamment pointées du doigt, dans notre société hyper normée ?
44La dyslexie de Théo s’origine donc dans ce syndrome de Klinefelter. Les deux font partie de son originalité. Plus que jamais nous pensons, nous, ses parents, que les normes imposées par l’Éducation nationale ne tiennent pas compte de la singularité des personnes ; plus que jamais nous éprouvons, plus généralement, que dans une société hyper normative, qui impose invariablement des modèles quasi identiques, se sentir original peut créer une certaine souffrance. Celle de ne pas correspondre aux critères affichés partout. Théo, écrasé par les normes « virilistes » des vestiaires de sport (mais aussi plus largement les normes attendues « sociétalement » d’un « jeune garçon de l’époque moderne »), m’avait dit juste avant son opération : « Papa, je ne veux pas cultiver mon originalité, je veux juste être normal. » Tu es surtout, Théo, une belle personne.
45Depuis, l’estime de soi que Théo se porte à lui-même s’est encore dégradée. Mais, selon Edgar Morin, « contre la dégradation des choses, la vie a deux réponses ; la régénération et la métamorphose ».
Mots-clés éditeurs : coéducation, redoublement, dyslexie, pédagogie nouvelle, société normative
Mise en ligne 14/04/2016
https://doi.org/10.3917/empa.101.0072Notes
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[*]
Alias Bruno Ranchin, membre du comité de rédaction d’Empan et parent d’un enfant dyslexique.
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[1]
Patrick Quercia, ophtalmologiste.
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[2]
G. Dalgalian, Enfances plurilingues, témoignage pour une éducation bilingue et plurilingue, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 32.
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[3]
Article 3-4 de la charte des calandretas.
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[4]
Chapitre 2-2, Un mode de vie collectif, Charte de l’Association nationale pour le développement de l’École nouvelle (voir site Anen.fr).
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[5]
A. Raymond, « La coéducation dans l’éducation nouvelle », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 18, 2003.
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[6]
V. Bertereau, 30 septembre 2014, L’étudiant.fr.
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[7]
B. Galand, « Réussite scolaire et estime de soi », Sciences humaines, n° 5, octobre 2006.
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[8]
Le programme pisa (acronyme pour Program for International Student Assessment en anglais, et pour Programme international pour le suivi des acquis des élèves en français) est un ensemble d’études menées par l’ocde et visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. La première étude fut menée en 2000.
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[9]
J.-M. Zakhartchouk, « Le redoublement, c’est cher, simple, et cela ne rapporte pas gros », Cahiers pédagogiques. Quelles alternatives au redoublement ?, 2009.
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[10]
N. Gamondès, « Nous d’Eux ou l’aventure de la procréation médicale assistée », Empan, n° 47, Malaises dans la famille, 2002/3.
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[11]
La prévalence (nombre des cas dans une population donnée à un moment donné) du syndrome de Klinefelter est de 1 sur 1 200 (1 garçon sur 600). Ce syndrome n’est donc pas rare.
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[12]
Pour les problèmes d’infertilité, une Assistance médicale à la procréation (amp) est envisageable pour les hommes atteints du syndrome de Klinefelter. Ainsi, après spermogrammes et biopsie ou ponction testiculaire, si des spermatozoïdes sont retrouvés, on pourra alors proposer au jeune de les congeler et de les conserver. Un service du chu de Lyon est à la pointe de ces opérations.