1Infirmière depuis 1982, dans mes différents postes j’ai rencontré et je rencontre des personnes aidantes auprès de leur proche, parent âgé, handicapé par la maladie (Parkinson, sclérose en plaques, enfant psychotique, accidenté de la route ou maladie dégénérative...). Je travaille dans un milieu rural où la famille devait, traditionnellement, s’occuper des siens dans leur grand âge. En effet, ils avaient bien souvent transmis l’outil de travail à cet enfant ou ce proche, qui devenait de fait l’aidant familial.
2La démence et plus particulièrement la maladie d’Alzheimer nous obligent aujourd’hui à envisager non plus uniquement le caractère médical de cette maladie, mais aussi son caractère social. Ce caractère social de la maladie d’Alzheimer est pris en compte dans les objectifs de santé publique, qui demandent à « maximiser, optimiser la qualité de vie », en considérant le couple aidant-aidé comme une entité de prise en charge. La société utilise l’aidant, mais ne le reconnaît pas. La morale collective pense qu’il est normal de s’occuper de ses parents, de son (sa) conjoint (e), quand ils sont malades. Les aidants ont cependant des limites et nous devons travailler au plus près sur les difficultés qu’ils rencontrent ainsi que sur les bouleversements que la maladie provoque dans l’organisation familiale.
Le rôle et la place de l’aidant familial
3Pour l’Union nationale des associations familiales (unaf), « l’aidant familial est une personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non. Cette aide peut prendre plusieurs formes : nursing, soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, démarches administratives, coordination, vigilance et veille, soutien psychologique, communication, activités domestiques… »
4L’aidant familial est une femme dans deux cas sur trois, elle-même âgée la plupart du temps. Il s’agit fréquemment des conjointes, filles ou belles-filles des personnes malades. Les voisins ou amis sont rarement les aidants principaux. L’âge moyen du conjoint aidant est de 71 ans. Les enfants ne sont les aidants principaux que dans 20 % des cas et une fille de la personne malade dans 80 % des cas. Par ailleurs, 70 % des enfants aidants cohabitent avec le malade et leur âge moyen est de 52 ans.
5L’unaf estime qu’en France, il y a au moins deux millions de personnes qui assument le rôle d’aidant familial. Ces aidants familiaux appartiennent le plus souvent à l’entourage familial proche de la personne dépendante : conjoint, parents, enfants, ce sont en grande majorité des femmes. Ils interviennent auprès des personnes âgées dépendantes, des personnes handicapées, mais également des personnes gravement malades. Ces aidants familiaux hésitent généralement à demander de l’aide pour eux-mêmes, car pour eux s’occuper de leur proche est un devoir. Ils n’osent pas exprimer leurs difficultés, par culpabilité vis-à-vis de leur proche handicapé ou malade et par peur de l’incompréhension de l’entourage familial ou amical.
6Jusqu’en 2005, il y avait peu de reconnaissance du statut d’aidant familial par la société. Cependant, la loi de compensation du handicap (du 11 février 2005) a permis une meilleure reconnaissance de cette fonction. Elle reconnaît à l’aidant le droit à un accompagnement et à un soutien dans la vie quotidienne, à un dédommagement financier par rapport à l’aide fournie pour suppléer les incapacités dues au handicap, et à une protection sociale accrue. Un aidant familial qui interrompt son activité professionnelle pour s’occuper d’un proche pourra désormais être rémunéré. On s’oriente donc vers un réel statut.
7La mise en application pratique de la loi sera toutefois plus difficile dans d’autres domaines tels que l’hébergement temporaire, faute de places suffisantes. Il est reconnu aux aidants familiaux le droit de pouvoir bénéficier de périodes de repos, avec un maximum de 90 jours par période de douze mois. Cette ou ces périodes de repos peuvent être réalisées en une seule fois ou plusieurs fois dans l’année à condition de trouver une structure d’hébergement temporaire pour le proche malade. Elles permettent à la famille de se ressourcer, de garder son unité, son potentiel éducatif et ses possibilités d’accompagner la personne tout au long de l’année, afin d’éviter « le risque d’épuisement des aidants familiaux ».
Les répercussions de l’épuisement de l’aidant familial
8Lors de mes soins et accompagnements, j’ai pu relever différentes attitudes des aidants familiaux qui me paraissent refléter leur épuisement. Il est fréquent que le couple se sépare lorsque le handicap devient plus important et a de nombreuses répercussions dans la vie quotidienne – séparation souvent à l’initiative de l’aidant, qui n’arrive plus à vivre avec la maladie de son conjoint. Peu à peu, le couple, tout en vivant dans la même maison, instaure des espaces de vie différents, chacun vivant de façon séparée tout en habitant sous le même toit. Dans ce cas-là, l’aide apportée à la personne dépendante est en grande partie prise en charge par des soignants et des auxiliaires de vie. Il y a peu de stimulation et de soutien de la personne dépendante par son environnement familial. Mais cette prise de distance n’est pas sans créer une réelle culpabilité chez « l’aidant ».
9Les conduites addictives, en particulier l’alcoolisme, se rencontrent parfois chez les aidants familiaux qui sont dans l’épuisement sans espoir de voir la situation s’améliorer. Ces conduites sont généralement à mettre en parallèle avec une dépression de l’aidant familial. Un aidant familial qui va être sollicité de façon très intense peut quelquefois développer une attitude agressive envers la personne qu’il est censé aider, quand il n’a pas la possibilité d’exprimer, à un moment donné, sa souffrance et son ras-le-bol de cette situation. Cette agressivité peut aussi être dirigée contre les autres personnes intervenant auprès de la personne atteinte d’un handicap (soignant, aide à domicile). Les comportements des aidants familiaux retentissent dans la prise en charge globale de la personne réalisée par les services de soin à domicile. Les aidants familiaux sont nos partenaires dans le maintien à domicile de la personne dépendante : s’ils sont défaillants, ils n’assurent plus leur rôle de coordination et le maintien à domicile va s’en trouver fragilisé. Par ailleurs, j’ai pu constater que l’épuisement des aidants familiaux, s’il perdure dans le temps, retentit bien souvent sur la dynamique des soins. Les soignants, se trouvant constamment en face de personnes démunies moralement, peuvent à leur tour ressentir une situation d’épuisement.
10Les aidants s’expriment souvent par des formules telles que :
« Même informé sur la maladie et ses conséquences, je n’imaginais pas à quel point cette charge pouvait être lourde. »
« Je suis dans un état psychologique épouvantable, je n’existe plus. »
« J’ai les nerfs à bout, c’est abominable. » « J’ai eu des périodes où j’étais franchement déprimée. »
« Mon énergie ne part que là-dedans. »
« On se demande combien de temps on va tenir. »
12Les difficultés des aidants doivent être évaluées et prises en compte, pas simplement pour soulager l’aidant, mais parce qu’elles ont des implications directes sur la qualité des soins fournis au patient dépendant. Certains aidants admettent ouvertement que leur « sentiment de dépassement » les pousse à maltraiter leurs proches :
« Il y a des jours, quand je suis fatiguée, j’ai tendance à le secouer »
« Je m’énerve pour rien, tout m’agace dans le comportement de maman alors je suis exécrable avec elle. »
14De plus, les aidants souffrant de détresse émotionnelle prolongée sont moins aptes à pouvoir continuer à s’occuper de leur parent à domicile que les aidants qui se sentent soutenus. Ces situations d’usure finissent souvent par un placement hâtif ou mal préparé du patient, ce qui engendre des problèmes supplémentaires au sein de la famille, touchant aussi au bien être de la personne âgée. Pour prévenir ces situations, dans la structure hospitalière où je travaille, la filière psychogériatrie propose à ces familles des séjours de rupture d’une semaine toutes les six à huit semaines, selon les situations, pour éviter l’épuisement et améliorer la qualité de vie des aidants et des personnes aidées.
Un malade, c’est toute une famille qui a besoin d’aide
15La reconnaissance précoce de la souffrance de la personne malade est primordiale. La réaction à l’annonce d’un diagnostic (en particulier dans la maladie d’Alzheimer) est dans l’ensemble une réaction de souffrance, avec la peur d’être rapidement discrédité, puis de « devenir fou », si les explications des soignants ne sont pas fournies attentivement et renouvelées avec patience.
16C’est la confrontation permanente à l’échec qui est fréquemment soulignée par les proches. Le malade ressent fortement la perte progressive de son indépendance, la difficulté à exprimer son ressenti. Il doit s’en remettre à son aidant familial principal, ce qui représente pour lui une grande fragilisation de son identité expliquant bien souvent les réactions de déni.
17Les bouleversements dans l’environnement familial surviennent rapidement à l’annonce du diagnostic. La souffrance devient celle de la famille entière. Il faut réorganiser la vie quotidienne et les relations à l’intérieur de la famille : opérer le deuil de l’ancienne relation, évoluer en permanence dans la relation, éviter les bouleversements et les cassures de la cellule familiale. Il y a toujours renversement des rôles :
- la conjointe, de façon générale, est habituée à ce que son mari gère les papiers de la maison, voire le budget. Dès que la maladie survient, elle va devoir remplir ces tâches dont elle ne s’est jamais acquittée, d’où un stress supplémentaire. Son mari perd le rôle de soutien familial qui était dévolu socialement à l’homme ;
- le conjoint va se trouver amené à exécuter des tâches ménagères et à assurer l’intendance familiale. Il doit faire la cuisine et bien souvent s’occuper de l’hygiène de sa femme ;
- les enfants, eux, sont confrontés à la problématique de devenir les parents de leurs propres parents. Ils ont la responsabilité des choix et de l’entretien de leur père ou mère : « Mes enfants ont décidé de le placer », « Je l’admirais tellement… elle faisait n’importe quoi, j’en arrivais à me demander si je ne perdais pas la raison ».
18Il est nécessaire pour ces familles de faire le deuil de celui que le malade était, et de construire d’autres modes de relations intrafamiliales. « Des fois je lui dis : tu écoutes ce que je te dis », exprime une fille en parlant de sa mère.
19Les attentes de l’aidant familial concernent l’accompagnement dans la vie quotidienne, la démarche de compréhension de l’autre, une présence rassurante pour limiter l’angoisse, la continuité dans la relation. Le regard du malade est à la recherche de la compréhension et de la sécurité que peut lui apporter l’aidant principal. La continuité dans cette relation d’aide est souvent très difficile à assurer lorsque le conjoint travaille encore.
20Si l’aide extérieure ne survient pas précocement, les conséquences pour l’aidant familial sont rapides et généralement redoutables avec :
- le stress : anxiété permanente de ne pas pouvoir faire face ;
- la culpabilité de ne pas être à la hauteur de la situation : la culpabilité est un sentiment récurrent que la connaissance de la maladie et les soins prodigués n’apaisent pas, « Je culpabilisais à mort quand je lui donnais son traitement » ;
- le sentiment de solitude, car les familles modernes sont le plus souvent éclatées ;
- l’épuisement physique et psychologique avec le fardeau de la menace sur la santé, l’aidant est épuisé car il subit les conséquences d’une situation non désirée. « Mon emploi du temps est bien chargé mais qui peut la garder sauf moi » ; « Je n’ai plus de courage », dit une dame dont le mari est en soin longue durée ;
- les aidants familiaux développent fréquemment des pathologies réactionnelles, avec des troubles du sommeil, des troubles cutanés, des troubles cardio-vasculaires, digestifs, et souvent des risques de cancer.
21En conclusion, nous pouvons dire qu’une attitude préventive pour soutenir les aidants familiaux dans leur accompagnement de leur proche est essentielle. La disponibilité des services sociaux et de soins joue un rôle majeur. Des structures reliées à des associations ou à des ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) offrent des accueils de jour. Pour la maladie d’Alzheimer, l’association France Alzheimer propose des formations, le support de groupes de parole et un Guide des aidants qui peut être utile quel que soit le type de handicap. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la difficulté des familles à faire face à une charge financière lourde. Généralement, les familles éprouvent de la honte et n’osent pas demander. C’est donc aux services à aller au-devant d’elles.
22Face à ce problème de société que représentent le vieillissement et la dépendance, les aidants familiaux sont une ressource, une richesse qui mérite d’être prise en considération et soutenue.
Mots-clés éditeurs : rôle, limites, soutien, aidants familiaux, place, risques
Mise en ligne 20/06/2014
https://doi.org/10.3917/empa.094.0031