1L’exposition à la violence conjugale n’est pas un phénomène isolé et touche un nombre important d’enfants. Au Québec, comme au Canada, plus de 20 % des femmes vivant ou ayant vécu avec un conjoint ont déclaré avoir été agressées physiquement ou sexuellement au moins une fois par ce dernier au cours de leur vie (Gouvernement du Québec, 1995 ; Statistique Canada, 2001). On estime que 80 à 90 % des enfants vivant en contexte de violence conjugale sont exposés à cette violence, ce qui pourrait représenter plus de 10 % des enfants canadiens (Jaffe et Poisson, 2000). Des chiffres tout aussi préoccupants proviennent de l’enquête enveff (Jaspard, Brown, Condon et coll., 2003) révélant que, en 2001, 10 % des femmes en France avaient été victimes de violence conjugale et, pour le quart d’entre elles, d’agressions physiques répétées. À l’exception des violences sexuelles, les enfants avaient assisté aux scènes de violence dans plus de la moitié des cas, le cumul des agressions subies augmentant la probabilité que les enfants en soient témoins.
2Les recherches sur les enfants exposés à la violence conjugale permettent actuellement de disposer de données solides sur les conséquences néfastes de cette violence pour l’enfant et également sur les processus qui rendent compte de ces effets. Le fait de mieux comprendre pourquoi les enfants exposés à la violence conjugale manifestent des difficultés d’adaptation conduit à identifier des cibles d’intervention plus nombreuses, ces dernières renvoyant à la fois aux effets de la violence sur l’adaptation de l’enfant et aux facteurs sous-jacents. Les lignes qui suivent veulent rappeler les conséquences néfastes de la violence conjugale pour l’enfant. Elles visent également à montrer comment les explications proposées pour rendre compte de l’impact de cette violence conduisent à identifier les besoins d’aide pour l’enfant et, surtout, à reconnaître la nécessité de soutenir la mère si l’on veut aider l’enfant.
3Les violences conjugales auxquelles nous référerons impliquent une femme victime et un homme agresseur. En dépit de la réciprocité de la violence au sein du couple suggérée dans certaines enquêtes épidémiologiques, les enfants sont davantage susceptibles d’être témoins d’actes de violence contre leur mère que contre leur père, et de voir ou d’entendre les agressions les plus graves contre leur mère (Rinfret-Raynor et Cantin, 1994). En outre, les situations de violence conjugale prises en charge dans les contextes cliniques, communautaires ou judiciaires reflètent surtout celles d’hommes agresseurs et de femmes victimes. Que ce soit en Europe, en Amérique ou au Québec, les femmes représentent 85 % à 95 % des victimes de situations rapportées de violence à la maison (Riou, Rinfret-Raynor et Cantin, 2003).
Difficultés de l’enfant exposé à la violence conjugale
4L’exposition à la violence conjugale est une forme de mauvais traitement psychologique qui se manifeste de plusieurs façons puisqu’elle a pour effet de terroriser l’enfant, de l’isoler par crainte ou honte de la violence et, enfin, de le corrompre en le socialisant à l’abus de pouvoir et à des formes inadaptées de relations interpersonnelles (Holden, 2003).
5Tous les enfants ne sont pas affectés de la même manière et avec la même intensité par la violence conjugale à laquelle ils sont exposés, mais les difficultés d’adaptation observées sont comparables à celles d’autres formes de maltraitance. On note ainsi des problèmes de santé physique et mentale, des problèmes d’ordre cognitif (problèmes de concentration) ou académique (retard ou échec scolaire) et des problèmes sur le plan du fonctionnement social (Kitzmann, Gaylord, Holt et Kenny, 2003 ; Wolfe, Crooks, Lee, McIntyre-Smith et Jaffe, 2003). Les difficultés peuvent s’exprimer différemment selon l’âge de l’enfant, celles les plus souvent rapportées étant l’anxiété, la dépression, les troubles de conduite et l’état de stress post-traumatique. Une fois devenus adultes, les enfants exposés à la violence conjugale sont plus à risque de vivre des relations intimes violentes (Rinfret-Raynor et Cantin, 1994).
6Certains facteurs accentuent les difficultés de l’enfant exposé à la violence conjugale, notamment la présence d’autres formes de maltraitance envers l’enfant (tels les abus physiques ou la négligence) et certaines caractéristiques du parent (problèmes de santé mentale, consommation de drogues ou d’alcool) (Edleson, 2001 ; Wolfe et coll., 2003). En revanche, des facteurs de protection peuvent diminuer l’intensité des effets de la violence conjugale. C’est le cas en particulier du sentiment de compétence et de l’estime de soi de l’enfant, de même que de la richesse de son réseau social (Fortin, Trabelsi et Dupuis, 2002).
7Le fait qu’il n’y ait pas à proprement parler de symptômes propres à l’enfant exposé à la violence conjugale invite à contrer les difficultés d’adaptation de l’enfant selon les protocoles déjà connus. Mais une attention particulière doit être apportée à l’identification du profil singulier des difficultés de l’enfant de façon à soutenir ce dernier dans les différents modes d’expression de sa détresse, selon son âge et son niveau de développement, en prenant aussi en compte les facteurs de risque en présence. Une démarche visant à promouvoir l’estime de soi de l’enfant et, de façon plus générale, à miser sur ses capacités de résilience semble essentielle à l’efficacité des actions.
Comment expliquer les difficultés de l’enfant ?
8Plusieurs explications contribuent à notre compréhension des difficultés de l’enfant exposé à la violence conjugale.
Imitation des conduites parentales
9Le modèle de l’apprentissage social (Bandura, 1977) est souvent utilisé pour expliquer l’apparition de conduites agressives chez l’enfant exposé à la violence conjugale et rendre compte du phénomène de la transmission intergénérationnelle de cette violence. Sous l’influence de modèles puissants aux yeux de l’enfant comme le sont les parents, celui-ci serait conduit à imiter les conduites parentales violentes, à reconnaître la valeur instrumentale de la violence (avec la violence, j’obtiens ce que je veux) et à en justifier le recours (Kalmus, 1984).
10Sur le plan de l’intervention, une telle analyse conduit à promouvoir les compétences sociales de l’enfant et à être attentif à l’interprétation biaisée qu’il pourrait faire des situations interpersonnelles (intention hostile attribuée à autrui, manque d’empathie). Cela invite aussi à tenter de diminuer la tolérance et la justification de la violence chez l’enfant.
Qualité de la relation mère-enfant
11La violence conjugale peut ternir la qualité de la relation qui unit l’enfant à chacun de ses parents. Jusqu’ici, c’est surtout la relation mère-enfant qui a été étudiée. Plus la qualité de la relation mère–enfant est affectée, plus l’enfant exposé à la violence conjugale manifeste des difficultés d’adaptation (Bourassa, 2003 ; Harper, Arias et House, 2003 ; Levendosky et Graham-Bermann, 1998). Au-delà des effets que la violence exerce sur l’enfant lui-même, les conséquences négatives que produit la violence sur la qualité de la relation mère-enfant accentuent la détresse de l’enfant.
12Le climat d’incertitude et de terreur induit par la violence conjugale peut entraver l’adoption de conduites maternelles de soutien et de chaleur, essentielles à la qualité de relation mère-enfant. La mère devient moins sensible aux besoins et aux demandes de l’enfant alors que celui-ci peut vivre de grandes difficultés qui appelleraient à davantage de soutien de la part de sa mère. Le dur exercice du rôle parental est ainsi exacerbé par les difficultés que peut présenter l’enfant et qui sont des conséquences directes de la violence. La violence conjugale peut également avoir un impact sur la capacité de la mère à discipliner l’enfant et à exercer, d’une manière positive et constante, son rôle d’éducatrice. La violence fait aussi éclater les routines, les règles qui sont nécessaires au maintien de la vie familiale et qui procurent à l’enfant un sentiment de sécurité. Les moments de la journée qui devraient constituer des espaces relationnels sécuritaires et affectueux (l’heure des repas, le coucher des enfants, les pratiques d’hygiène) peuvent devenir prétextes à des explosions de violence, privant la mère et l’enfant de contacts chaleureux. Le silence qui entoure la violence conjugale est un élément additionnel qui peut miner la relation mère-enfant. Bon nombre de mères ne parlent pas de la violence avec leurs enfants. Elles redoutent leurs questions et craignent leurs reproches. Elles craignent aussi d’abîmer l’image du père. De nombreux enfants préfèrent fermer les yeux sur la violence plutôt que de devoir ébranler les fondations familiales et s’en sentir responsables. Dans certaines familles, le déni est généralisé. Il permet de faire face aux situations difficiles mais rend plus improbable pour l’enfant de trouver du soutien pour exprimer ses sentiments.
13De plus en plus de programmes d’intervention ciblent la relation mère-enfant pour prévenir les effets néfastes de la violence conjugale chez l’enfant (Fortin, 2005a ; Humphreys, Mullender, Thiara, et Skamballis, 2006 ; Krane et Davies, 2007). Mais, cela exige souvent au préalable une aide à la mère sur le plan personnel pour que celle-ci comprenne mieux la dynamique de la violence conjugale et ses impacts (Fortin, Côté, Rousseau et Dubé, 2007). Cette démarche de conscientisation renvoie à une reconnaissance du cycle de la violence selon ses quatre phases, de tension, d’éclatement de la violence, de justification et de rémission, lesquelles se répètent sans fin et créent l’illusion que la situation peut s’améliorer. Une telle démarche porte également sur l’identification des nombreuses stratégies de protection utilisées par la femme pour survivre à la violence (déni, repli, négociation, etc.), des rationalisations invoquées pour excuser cette violence (banalisation, minimisation, déresponsabilisation de l’agresseur, etc.) et des nombreuses barrières qui empêchent de se sortir de la violence (valeurs, croyances religieuses, ressources financières, etc.). Tout en permettant à la femme de se déresponsabiliser face à la violence, cela la conduit aussi à comprendre pourquoi elle a mis du temps à rompre avec son conjoint et comment il se fait qu’elle n’a pu se rendre compte de l’impact de la violence sur elle-même et sur son enfant. Même si cette prise de conscience peut amener la femme à éprouver de la culpabilité, elle lui permet aussi de mieux contenir ce sentiment parce qu’elle devient alors en mesure d’agir pour aider son enfant.
Bien-être physique et psychologique de la mère
14Une étude récente (de la Sablonnière, 2007) révèle que le bien-être physique et psychologique de la mère victime de violence conjugale constitue un facteur de protection de la qualité de la relation mère-enfant : les mères qui présentent peu de problèmes de santé physique et peu de détresse psychologique, en dépit de la violence subie, parviennent à maintenir une relation avec leur enfant de bonne qualité et nettement supérieure à celle des mères qui présentent davantage de problèmes. Mais, faut-il le rappeler, la violence conjugale exerce trop souvent un impact négatif sur la santé physique des femmes (maux de tête, insomnie, anémie, asthme, etc.), sans compter les blessures provoquées par la violence (Rinfret-Raynor et Cantin, 1994). Environ 50 % des femmes victimes de violence conjugale auront un diagnostic de dépression alors que ce pourcentage se situe à 7 % chez les femmes qui ne sont pas victimes d’abus de la part de leur conjoint (Giles-Sims, 1998). L’état de stress post-traumatique est fréquemment rapporté, le taux de prévalence des symptômes associés à ce syndrome variant entre 45 % et 84 % (Woods, 2000). Cela raffermit encore la position voulant que le fait de promouvoir la qualité de la relation mère-enfant sans apporter à la mère une aide sur le plan personnel aurait moins de chance de réussite. En revanche, les actions menées auprès des femmes pour les soutenir dans leur recherche de solutions et de moyens pour contrer les effets négatifs de la violence sur elles-mêmes sont déjà une aide à l’enfant. Ce point mérite d’être souligné car il renvoie à la nécessaire continuité et à la complémentarité entre les actions menées pour venir en aide à la mère sur le plan personnel et dans son rôle de parent.
Point de vue de l’enfant sur la violence
15La situation de l’enfant exposé à la violence conjugale ne saurait être confondue avec celle de l’enfant exposé aux conflits conjugaux, la violence reflétant un abus de pouvoir et non un mode de résolution des conflits (Dobash et Dobash, 1979 ; Walker, 1984). Mais les modèles théoriques développés dans les études traitant des effets des conflits conjugaux sur l’enfant (Davies et Cummings, 1994 ; Grych et Fincham, 1990) se sont révélés utiles pour comprendre l’impact de la violence conjugale chez l’enfant en inspirant l’analyse du point de vue de l’enfant sur la violence.
16L’enfant n’est pas passif face à la violence conjugale. Il essaie d’interpréter la signification de cette violence et d’évaluer le rôle qu’il peut jouer dans l’apparition de la violence ou dans sa résolution. L’enfant qui se blâme pour la violence est plus à risque de manifester de la détresse, notamment des symptômes dépressifs (Fortin, 2005b). Jusqu’ici, on connaît mal les raisons qui font que certains enfants se blâment pour la violence alors que d’autres le font peu ou pas. Mais il se pourrait que les contextes de violence (prétexte déclencheur de la violence, incapacité de l’enfant à faire cesser la violence), davantage que la fréquence ou la sévérité des violences, soient en cause (Fortin, Damant, Doucet et de la Sablonnière, 2006).
17La violence conjugale peut représenter une violation sérieuse des besoins de sécurité de l’enfant et créer chez lui un sentiment de menace. Plus la violence est fréquente et sévère, plus l’enfant devient sensible et vigilant face à tout indice annonciateur de violence. Les enfants exposés à la violence conjugale, comme leur mère, sont ainsi soumis au cycle de la violence. Ils adaptent leur quotidien au gré des phases. Ils ressentent la tension, subissent les effets de l’éclatement de la violence et caressent, lors de la phase de rémission, l’espoir que la violence ne se reproduira plus. Cette grande vigilance est source de détresse. Une exposition répétée à la violence provoque des sentiments de peur, de menace et d’impuissance, lesquels, en retour, suscitent des réponses moins adaptées au stress et aux défis du quotidien (Grych, Harold et Miles, 2003 ; Kerig, 1998).
18Le fait de comprendre le point de vue de l’enfant sur la violence semble ainsi nécessaire pour diminuer les difficultés d’adaptation de l’enfant. Une telle démarche doit conduire à rectifier l’analyse biaisée que l’enfant peut faire de son rôle et de sa responsabilité face à la violence. Elle doit également permettre de contrer chez l’enfant les sentiments de frayeur, d’impuissance et d’imprévisibilité. Elle doit aussi aboutir à la mise en place de scénarios de protection pour assurer sa sécurité.
Frontières au sein de la famille
19L’analyse systémique de la famille (Amiguet et Julier, 1996 ; Minuchin, 1974) enrichit notre compréhension de l’impact de la violence conjugale pour l’enfant en montrant l’importance de maintenir des frontières claires entre les différents systèmes au sein de la famille. Dans les familles confrontées à la violence conjugale, ces frontières sont parfois diffuses, ce qui donne lieu à différents dysfonctionnements du système familial pouvant notamment conduire l’enfant à vivre des conflits de loyauté importants ou encore à jouer un rôle de parent dans sa famille.
20Le conflit de loyauté survient lorsque l’enfant se sent pris entre ses parents et croit possible de perdre l’un ou l’autre. Captif de cette situation, l’enfant ne se sent plus libre d’exprimer sa loyauté envers un parent en présence de l’autre. Les discordes, l’hostilité et la violence entre les parents amènent l’enfant à se sentir pris entre les deux (Eisikovits et Winstok, 2001; Eisikovits, Winstok et Enosh, 1998). Il peut alors ressentir beaucoup d’ambivalence envers ses deux parents. Le père peut être vu tantôt comme instable, agressif et violent face à une mère en souffrance qui a besoin de protection, et tantôt comme puissant et le plus fort face à une mère fragile et soumise (Boutin, 1998). En cas de séparation, la mère peut aux yeux de l’enfant devenir la responsable de l’éclatement de la famille. Les enfants en conflit de loyauté se sentent souvent coupables, anxieux et déprimés (Wang et Crane, 2001). À l’adolescence, les conflits de loyauté sont associés à davantage de comportements déviants. Certains parents peuvent accentuer les conflits de loyauté chez l’enfant en le sollicitant pour former une coalition. Ils essaient d’obtenir la sympathie ou le soutien de l’enfant contre l’autre parent et de contrer ainsi leur propre détresse. D’autres encore vont critiquer ou dénigrer l’autre parent, sans se soucier de la présence de l’enfant, alimentant chez celui-ci le sentiment d’être déchiré et de devoir choisir son « camp ».
21Tous les enfants ne vivent pas de conflits de loyauté. Certains peuvent préférer faire alliance avec un parent ou se détacher d’un parent parce qu’un tel éloignement relationnel est réaliste et justifié. Cependant, ces alliances ou ces manifestations de rejet sont généralement temporaires et coexistent avec des manifestations d’amour et d’affection envers les deux parents. Un accompagnement est souvent nécessaire pour soutenir l’enfant dans ses ambivalences, dans ses choix et dans son droit et son besoin d’amour envers ses deux parents. À cet égard, la mère peut avoir besoin d’un soutien tout particulier pour maintenir la distinction nécessaire entre le père de l’enfant et le conjoint envers qui elle peut ressentir des sentiments très négatifs.
22La diffusion des frontières dans la famille conduit souvent l’enfant exposé à la violence conjugale à jouer un rôle de parent. L’enfant parentifié devient responsable des tâches domestiques, éducateur des plus jeunes, protecteur du parent, confident, ami, médiateur ou gardien de la paix (Earley et Cushway, 2002 ; Goldblatt et Eisikovits, 2005). Ces responsabilités souvent très grandes, peu adaptées à l’âge de l’enfant, mal définies et non accompagnées du soutien parental suscitent la détresse de l’enfant. L’enfant parentifié souffre d’isolement social, ce qui s’accompagne souvent d’anxiété et de dépression (Fortin, 2005b). Mais l’enfant peut aussi retirer une certaine valorisation à exercer un rôle de parent. Les responsabilités accrues peuvent atténuer son sentiment d’impuissance et constituer en quelque sorte une reconnaissance de sa maturité. Elles peuvent aussi être une façon de diminuer la culpabilité que l’enfant ressent face à la violence (Fortin et coll., 2006). Certains parents seraient plus susceptibles que d’autres de parentifier l’enfant, notamment ceux dont les capacités à affronter le stress sont plus limitées ou encore dont les propres besoins dans l’enfance n’ont pas été comblés de manière satisfaisante. Le fait que, pour une proportion importante de femmes, la violence conjugale suscite beaucoup de détresse et de la dépression n’est peut-être pas étranger aux surcharges imposées à l’enfant.
23La création de nouveaux lieux d’épanouissement pour l’enfant est souvent nécessaire pour contrer chez lui l’attrait de la parentification. La démarche entreprise auprès de la mère sur le plan personnel et dans son rôle de parent favorise également chez l’enfant la reprise de son propre rôle. La parentification doit aussi être située selon le mode de fonctionnement de la famille : que signifie mettre des frontières ? ces frontières existaient-elles dans la famille avant la survenue de la violence ?
Conclusion
24Les besoins d’aide des enfants exposés à la violence conjugale sont nombreux et invitent à une action multicible. Le soutien à apporter ne peut se limiter aux difficultés d’adaptation de l’enfant qui apparaissent comme des conséquences directes de l’exposition à la violence conjugale. L’action doit promouvoir les compétences de l’enfant, favoriser son estime de soi et prendre en compte son analyse de la violence. Elle doit aussi viser à rétablir les frontières au sein de la famille et miser sur la force de la relation mère-enfant.
25Si l’on veut espérer des effets permanents dans l’aide apportée à l’enfant, on ne peut faire l’économie d’aider la mère de façon à ce que cette dernière puisse jouer adéquatement son rôle auprès de l’enfant. Dans un ouvrage précédent (Fortin, 2005a), nous avons proposé un cadre conceptuel susceptible d’orienter le choix des actions à mener pour venir en aide aux enfants exposés à la violence conjugale et qui amenait à consentir autant de ressources à la mère qu’à l’enfant. Plus récemment, nous avons élaboré un guide à l’intention des intervenantes des maisons d’aide et d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants, visant à soutenir les mères pour prévenir les effets néfastes de la violence chez l’enfant (Fortin et coll., 2007). Cela traduit une conviction profonde, celle que la mère est une personne essentielle au développement de l’enfant et que l’on ne peut aider l’enfant exposé à la violence conjugale sans soutenir la mère victime de cette violence.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : violence conjugale, enfant, besoins d'aide, mère
Mise en ligne 05/06/2009
https://doi.org/10.3917/empa.073.0119