Notes
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[*]
Francis Ratier, psychanalyste ; fratier@ club-internet. fr
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[1]
Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », dans Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 2004, p. xxvi.
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[2]
Ibid., p. xix-xx.
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[3]
Élisabeth Roudinesco, La famille en désordre, Paris, Fayard, 2002, p. 108.
1L’adolescence n’est pas de définition facile. Et la difficulté à la définir nous est déjà une indication, un embarras mais également une indication, pour comprendre de quoi il s’agit.
2C’est bien connu, elle n’a pas partout et toujours les mêmes contours ; parfois elle n’a pas de contour du tout, elle n’est pas repérée en tant que telle, en tant qu’âge de la vie, moment découpé sur le cours uniforme du temps, ayant fonction et signification particulières.
3Nous ne savons pas précisément quand elle commence, et le film Tanguy nous donne à voir qu’elle éprouve des difficultés à finir.
4C’est depuis l’ensemble des significations que véhiculait la culture que l’adolescence trouvait à se singulariser, à se définir. La place qui en découlait, la place qui lui était faite, celle que les adolescents étaient attendus à occuper, était donc culturelle, symbolique.
5Le découpage de la vie humaine en âges, distingués les uns des autres, identifiés et proposés comme guide au déroulement de l’existence, obéissait à des déterminations symboliques qui, aujourd’hui, changent dans des proportions inouïes.
6En un sens, les adolescents sont difficiles parce que l’adolescence elle-même est difficile. Elle l’est aujourd’hui plus qu’hier dès lors que les modèles identificatoires proposés par la culture, certes persistent à exister, mais n’occupent plus la même place, ne remplissent plus la même fonction. Les adolescents d’aujourd’hui doivent affronter ce moment sans le secours des discours établis qui fournissaient en quelque sorte un mode d’emploi, à utiliser plus ou moins librement. Ils offraient une cartographie des chemins praticables, à charge pour le sujet de choisir ceux qu’il entendait emprunter.
7Comme objet historique, comme moment chronologique, socialement repéré, reconnu et circonscrit, l’adolescence tend à se diluer en amont et en aval, à s’étendre, à se répandre, à se dissoudre et à disparaître. L’armature identificatoire qui prescrit le rôle social à interpréter par chacun selon son génie propre ne fonctionne plus de la même manière.
8Il ne reste aujourd’hui de l’adolescence, de plus en plus, que le moment logique de rencontre avec le sexuel, moment permis à la fois par des modifications dans le corps et par leur prise en charge psychique. Cette rencontre ainsi dénudée ne trouve plus à s’encadrer de la même façon par des éléments symboliques.
9Si comme moment chronologique, tramé de symbolique, l’adolescence est de moins en moins saisissable, comme moment logique elle ne peut s’éliminer et n’en est que plus délicate à vivre.
10Cette évolution, cette disjonction de l’adolescence comme « âge de la vie » et de l’adolescence, comme moment logique de l’accession à la fonction sexuelle qui concentre l’adolescence sur la logique de la rencontre sexuée, réduit les éléments symboliques et emporte de nombreuses conséquences.
L’adolescence comme nécessité logique
11Dans un petit livre, La fabrique de l’homme occidental, Pierre Legendre, dans la veine du travail de tous les psychanalystes et même dans celle de tous ceux qui ne nient pas la dimension psychique de l’homme, développe la thèse d’une profonde pré- maturation de l’homme. Cette prématuration le distingue de l’animal.
12Dans le règne animal, l’individu arrive au monde adapté. Il peut survivre et sait s’orienter de façon sûre. Il connaît ce qu’il aime et sait ce qu’il lui faut. L’instinct règle de façon certaine son rapport au monde. Rapport univoque que l’individu n’éprouve pas la nécessité d’interroger. L’instinct qui règle le rapport de l’animal au monde le dispense de construire le monde dans lequel il prend place, celui-ci l’est déjà.
13Il en va différemment de l’humain. Son rapport au monde est à construire. Il n’est ni direct ni immédiat, mais plutôt différé et médiatisé. Pas réglé par l’instinct mais progressivement, en un double mouvement, connu et construit.
14Le monde de ses objets, les objets que contient son monde ne lui sont pas livrés par une programmation préalable. Des difficultés en surgissent. Le monde des objets humains n’est pas, de lui-même, programmable, déprogrammable, reprogrammable.
15Pour l’homme, la constitution du monde obéit d’une part à une temporalité à deux temps et d’autre part à un double mécanisme.
16Le monde humain, faute d’instinct, est à construire. Il n’est pas donné dans l’objectivité mais convoque le sujet à sa construction.
17C’est à partir de la constitution de soi-même que la difficulté commence, car c’est à partir de la constitution de soi-même, comme objet, que se construit pour l’homme le monde de ses objets. Soi, comme objet, constitue la matrice dans laquelle prennent sens et place les objets qui peuplent le monde.
18En effet, la prématuration et la prise dans le langage conduisent l’humain à devoir construire son identité.
19La prématuration rend impossible la préservation de la vie sans le secours d’un autre qui prend soin. Être pris comme objet de soin, d’amour, est une condition sine qua non de la préservation de la vie.
20Spitz a montré les ravages, chez de très jeunes enfants, d’une satisfaction des besoins vitaux déconnectée d’une préoccupation particulière. Un désir doit animer celui qui prend soin de l’humain pour que la vie s’accroche. L’existence de fait de l’enfant ne suffit pas, il lui faut se compléter d’une existence pour un autre, il faut qu’il compte, comme ci ou comme ça, pour un autre. Qu’il soit, au-delà de son existence de fait, un être pris dans le langage et le désir de celui qui le porte à l’être.
21C’est donc d’abord comme objet que l’enfant apparaît dans le monde ; il le reste et nous le restons tous, comme en témoigne le théâtre de Racine qui évoque : « L’objet de mes feux, de ma flamme, mon objet d’amour… »
22Sans cesser d’être objet, et la clinique nous montre à quel point cet « être-objet » est menaçant dans la psychose, il s’agit de devenir aussi sujet. L’enfant y procède lors du moment logique que constitue le stade du miroir.
23L’anecdote en est connue. À un certain moment, plus logique que chronologique, l’enfant reconnaît comme étant lui-même celui qu’il voit dans le miroir. On sait que le singe n’y parvient pas. Il se reconnaît, il assume son identité par identification à une image qui, au sens propre, se trouve en face de lui. Il se reconnaît être là où, en rigueur de terme, il n’est pas. Il se reconnaît dans cette image car cette reconnaissance s’accompagne d’une nomination : « C’est toi. »
24Dans un même mouvement, l’enfant se reconnaît dans une image et dans un nom. Nom et image rendent compte de son identité au prix de ce qu’il faut bien appeler une aliénation. En somme, il s’agit pour l’enfant de consentir ce saut qualitatif et même spatial, de se reconnaître là où il n’est pas, de se reconnaître dans une image qui porte un nom. Cette image qui porte ce nom, c’est lui.
25Pour un sujet déterminé, d’autres noms que son nom peuvent venir à la place de ce qui nomme l’image. C’est ce qui se rencontre dans les grandes nominations symboliques. Femme, Mari, Père, Président… Il est bien repéré par les cliniciens que chacune des grandes nominations peut constituer une occasion d’accident symbolique grave pour certains sujets. Devenir père et déclencher une psychose, le baby blues en forme de psychose puerpérale ou l’histoire du président Schreber que Freud analyse en fournissent des exemples éminents.
26Des noms, un nom, peuvent venir stabiliser une identité fuyante. C’est pourquoi sans doute faut-il manier avec précaution les noms dont le sujet se pare. C’est particulièrement sensible dans les addictions. Le nom vaut, parfois, en l’absence même de consommation. Symétriquement, d’autres images peuvent tenter de trouver un nom, de faire un nom.
27Selon l’instance qui domine, qui commande, le nom ou l’image obtiennent des résultats différents. Pour chacun, l’identité n’est que d’emprunt. « Le moi n’est que qualités empruntées », nous dit Pascal. À cette place, où il n’est pas, le sujet se reconnaît. Cet autre qu’il voit, c’est lui. « Je est un autre. » Il trouve, sur ce modèle, à cette place, tous les objets qui peupleront son monde.
28Deux temps sont nécessaires à la constitution du monde des objets. Tous deux concernent le changement d’objet d’amour et la mise en place diphasée, en deux temps, de la sexualité humaine.
29Il s’agit, pour l’humain, de passer de la sexualité infantile, fondamentalement auto-érotique, prenant le corps propre pour objet, une sexualité qui confond sujet et objet, à une sexualité qui trace un circuit dont la satisfaction passe par la présence d’un partenaire, réel ou fantasmé, en chair ou virtuel, mais différent du sujet.
30Pour ce faire, plusieurs changements se conjuguent : un changement de place et des changements dans le corps.
31À partir d’un certain âge, les enfants acceptent mal d’être les objets de leurs parents. Ils acceptent moins les marques d’affection et n’apprécient que modérément d’être attendus à la sortie du collège par exemple, d’être devant leurs pairs en place d’objet de leurs parents. Ils quittent progressivement cette place d’objet.
32La puberté et les transformations qu’elle comporte poussent à donner sens et place au sexuel orienté vers un partenaire. C’est des modifications qui affectent le corps que l’adolescence comme crise psychique s’efforce de répondre. Ce moment logique structural et structurant est appelé par les transformations corporelles qui voient l’apparition des signes sexuels secondaires mais ne s’impose pas à tous. C’est dire que toute puberté ne débouche pas sur une adolescence. Certaines expressions, par exemple « adolescents autistes », se soutiennent avec difficulté en ce sens.
33Cette crise psychique mobilise toutes les ressources antérieures, le rapport aux noms et aux images, aux idéaux qui prescrivent des conduites, les guident, les permettent, le mode de constitution des objets. Moment pris dans le collectif, dans le social, dans le mode contemporain de constitution des noms, des objets, des images, dans leurs rapports réciproques, il subit les modifications qui affectent ce monde. Le social et le singulier trouvent là une nouvelle occasion de s’y nouer.
34L’intrication individuel-social, la subordination de l’individuel au social, est clairement explicitée dans un texte de Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » : « Donc, il est bien vrai qu’en un sens, tout phénomène psychologique est un phénomène sociologique, que le mental s’identifie avec le social. Mais dans un autre sens, tout se renverse : la preuve du social, elle, ne peut être que mentale ; autrement dit, nous ne pouvons jamais être sûrs d’avoir atteint le sens et la fonction d’une institution, si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle. Comme cette incidence est une partie intégrante de l’institution, toute interprétation doit faire coïncider l’objectivité de l’analyse historique ou comparative avec la subjectivité de l’expérience vécue [1]. » L’idéal mord sur le sujet qui habite la structure, l’anime et lui donne chair.
Les conditions traditionnelles du déroulement de l’adolescence
35Tout le monde s’accorde à considérer que nous vivons une époque marquée par de profonds changements. Reste à préciser lesquels car en un sens toute époque vit de profonds changements. Ils ne se valent pas tous et ne prêtent pas tous à autant de conséquences. Les changements se mesurent, en effet, aux conséquences qu’ils produisent.
36Au-delà des changements de surface, dont le prince Salinas nous délivre la formule dans Le guépard de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que tout reste pareil », aujourd’hui, ce qui change ne laisse plus rien à l’identique.
37De l’Antiquité aux années 1950, la structuration du monde, quelle qu’en soit l’échelle, individuelle ou collective, suivait les lignes de force du principe d’autorité. L’Autorité dominait et encadrait la Liberté. Le texte de Claude Lévi-Strauss déjà évoqué nous permet d’en comprendre le mécanisme : « Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres […] aucune société n’est jamais intégralement et complètement symbolique ; ou, plus exactement, elle ne parvient jamais à offrir à tous ses membres, et au même degré, le moyen de s’utiliser pleinement à l’édification d’une structure symbolique qui, pour la pensée normale, n’est réalisable que sur le plan de la vie sociale. Car c’est à proprement parler celui que nous appelons sain d’esprit qui s’aliène, puisqu’il consent à exister dans un monde définissable seulement par la relation de moi et d’autrui [2]. » Le sujet reçoit son identité de l’autre social et sa liberté s’exerce dans le cadre d’une aliénation constituante et consentie.
38La promotion de la liberté comme perspective de desserrer l’étreinte de l’autorité se déduit de cette prégnance de l’aliénation structurante qui n’identifie le sujet et ne lui donne son assise sociale qu’au prix d’écraser un peu sa particularité. Au nom de la liberté, l’autorité se trouve mise en question. Quelle est la légitimité, sa cohérence, sa nécessité … ? Cette autorité surgissait, jusqu’à une date récente, de l’extérieur, de l’extérieur du sujet mais aussi de l’extérieur du corps social. Une autorité trouvait son principe à l’extérieur du tout qu’elle organisait. Le roi de droit divin dans notre histoire ou plus radicalement la loi naturelle promue par saint Thomas d’Aquin. La liberté de chacun s’encadrait par l’interdit, et la vie humaine trouvait place dans une dialectique entre le permis et le prohibé. Dans l’ordre de l’institution, de la constitution du sujet, l’Œdipe assurait la promotion de l’interdit et de l’autorité. Une organisation du sujet, dont la pièce maîtresse était le père comme représentant de l’autorité, s’en déduisait. Sans doute est-ce ce monde qui se défait sous nos yeux.
39Il peut exister d’autres mondes, structurés autrement, d’autres modes de faire l’humain. L’interdit, porté par « la fonction père », relayée par tout ce qui lui fait écho, ne constitue sans doute pas la seule voie d’humanisation de l’existence.
Les modifications actuelles
40Certes, les bouleversements qui affectent le monde contemporain modifient la prise de l’humain par le Symbolique. Les grandes identifications idéales qui orientaient et commandaient les conduites des sujets perdent de leur prégnance et des changements importants en résultent.
41En effet, un monde où la dialectique entre autorité et liberté fait émerger la question du pourquoi, celle de la justice, du permis et de l’interdit, un monde dans lequel l’hétéronomie supplante l’autonomie, où ce qui vient de l’extérieur commande tandis que l’intérieur se trouve commandé, provoque une souffrance ontologique constitutive de la condition humaine.
42Freud baptise celle-ci Malaise dans la civilisation ou dans la culture. Malaise inhérent à la prise de l’homme dans la culture, dans l’univers symbolique que porte le langage. Il distingue trois formes de ce malaise, de cette souffrance de l’être : « la puissance écrasante de la nature, la caducité du corps », les institutions inadéquates. Elles ne se modulent plus aujourd’hui de la manière qu’évoquait Freud.
43« La puissance écrasante de la nature », dont il fait une des trois sources de souffrance humaine, s’estompe et ses lois aujourd’hui découvertes se trouvent subverties par les productions de la science. La puissance écrasante de la science et des objets qu’elle produit aimante notre vie, l’aspire, la dévore. Michel Serres avance que la faiblesse change de côté et qu’il s’agit aujourd’hui de protéger la nature.
44« La caducité de notre corps » elle-même recule devant les progrès de la biologie et de la médecine. Le clonage et ses multiples applications en fournissent des exemples.
45La troisième source de souffrance, Freud la dit « sociale » ; elle s’origine dans le caractère insatisfaisant des institutions humaines. Ces dernières subissent aujourd’hui un profond remaniement qui est censé les rendre précisément… plus humaines. L’affaiblissement de l’autorité, en la faisant surgir de l’intérieur du corps social, par consensus, par contrat, en constitue le trait majeur.
46Au premier chef de ces modifications qui affectent les institutions sociales, le déclin de la figure du père et d’une certaine définition de la famille. Dans son livre La famille en désordre, Élisabeth Roudinesco nous montre l’éclatement du théâtre intime qui associait les affects et la place symbolique. Dans le chapitre intitulé « Le patriarche humilié », elle met en évidence le déclin de la figure du père et écrit : « … l’invention freudienne – du moins peut-on en faire l’hypothèse – fut à l’origine d’une nouvelle conception de la famille occidentale susceptible de prendre en compte, à la lumière des grands mythes, non seulement le déclin de la souveraineté du père, mais aussi le principe d’une émancipation de la subjectivité. Elle fut en quelque sorte le paradigme de la famille affective contemporaine, puisqu’elle rendait compte, en faisant de celle-ci une structure psychique universelle, d’un mode de relation conjugale entre les hommes et les femmes qui ne reposait plus sur une contrainte liée à la volonté des pères mais sur un choix librement consenti entre les fils et les filles. Le roman familial freudien supposait en effet que l’amour et le désir, les sexes et la passion fussent inscrits au cœur de l’institution du mariage [3]. » Se disjoint ainsi ce que la famille œdipienne conjoignait : la place symbolique et la relation d’objet.
47Nous pourrions résumer ces modifications par l’interrogation en acte, la mise en échec de la métaphore structuraliste qui, pour l’homme, substitue la culture à la nature. Les éléments symboliques ne parviennent plus de la même manière à encadrer la vie. Il ne sert à rien de le déplorer, les idéaux se sont effondrés et l’être humain en est transformé.
48L’affranchissement d’un certain nombre de limites fait reculer la puissance de l’interdit, du refoulement et du retour du refoulé lisible dans les symptômes ou les actes symptomatiques.
49La séquence interdit, refoulement, retour chiffré du refoulé, déchiffrage, libération, ne rend pas compte du mode contemporain de l’organisation psychique. Le conflit névrotique n’en est plus la grille de lecture éminente.
50La terrible formule de Georgina Dufoix, « responsable mais pas coupable », délie ce que le complexe d’Œdipe conjoignait, la responsabilité et la culpabilité.
51Il est très délicat de fonder aujourd’hui beaucoup d’espoir sur la culpabilité qui n’existe que par l’écart entre l’idéal auquel le sujet souscrit, qui lui impose une perte, et les motions, les exigences de satisfaction qui orientent véritablement sa vie.
52L’effondrement des idéaux livre le sujet à une régulation différente de son rapport à la satisfaction, une régulation qui ne passe plus, plus autant, par l’élément pacifiant, mais contraignant, humanisant mais mortifiant, que constituait l’idéal, un idéal.
Conclusion
53Le sujet moderne veut être heureux et faire accepter, plus que reconnaître, son mode singulier d’obtenir du plaisir. Les communautés de jouissance aux États-Unis – qui agrègent des sujets accédant à la satisfaction selon les mêmes voies et leur donnent ainsi une identité fondée non plus sur l’idéal, c’est-à-dire sur la domination du symbolique, mais sur le nom de cet accès à la jouissance – et l’émission de télévision « C’est mon choix » nous démontrent, dans deux registres différents, le bonheur comme une exigence et la jouissance comme un nom.
54La satisfaction, la jouissance plutôt, car le terme indique cet au-delà du principe de plaisir que Freud rencontre au cœur du psychisme, ne pose pas tant la question du pourquoi qui interroge la légitimité que celle du comment qui s’assure des moyens. Seuls des troubles dans l’accès à la jouissance en résultent, des troubles que l’on peut bien dire troubles de jouissance. Le binaire permis/interdit se voit remplacé par le couple possible/pas possible.
55Dès lors, la question de la satisfaction nue se pose avec davantage d’acuité, et requiert le bricolage par chacun des moyens symboliques à partir desquels il peut faire face aux exigences de la structure et à la nécessaire humanisation de la vie.
56C’est la tâche à laquelle les adolescents se trouvent aujourd’hui confrontés. Le prêt-à-porter de l’identification, la même pour tous, ne les dispense plus tout à fait d’une création propre à chacun. « Couture » en somme.
Mots-clés éditeurs : âges de la vie, puberté, symbolique, adolescence
Mise en ligne 01/09/2006
https://doi.org/10.3917/empa.062.0142Notes
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[*]
Francis Ratier, psychanalyste ; fratier@ club-internet. fr
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[1]
Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », dans Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 2004, p. xxvi.
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[2]
Ibid., p. xix-xx.
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[3]
Élisabeth Roudinesco, La famille en désordre, Paris, Fayard, 2002, p. 108.