Au carrefour de tous les enjeux
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La formation des maîtres est au cœur de toute société organisée. Elle conditionne et est conditionnée par son évolution, elle applique ses règles, elle participe à la construction de son identité et a sa place dans le monde. Cette liste est certes très schématique, mais elle permet de comprendre pourquoi les partenaires acteurs et observateurs sont si nombreux :
- le politique, dont la vision de l’évolution de notre société va amener, plus ou moins progressivement, à modeler le système éducatif ;
- le ministère de l’Éducation, bras armé du politique, et ses recteurs le représentant en région. Le premier définit les programmes de formation initiale et continue des maîtres et fixe les priorités (jeu subtil entre la compensation des déficiences constatées du système et la nécessité d’une vision prospective liée à l’évolution même de la société, et au maintien de sa position sur l’échiquier mondial), les seconds les font appliquer dans chaque académie compte tenu de ses caractéristiques locales ;
- les corps d’inspection, garants de la qualité du recrutement, de la mise en application des textes et du niveau des maîtres en activité ;
- les universités, d’où provient le vivier des candidats au métier de professeur et qui préparent aux concours de l’agrégation ;
- les iufm, dont le rôle est double : préparer aux concours du professorat (cape, capes, capet, caplp, capeps) et préparer les lauréats à leur futur métier ;
- les citoyens, qui (chacun ayant été élève, étant souvent parent d’élève), ont une idée précise de ce que doit être un maître ;
- les maîtres eux-mêmes qui, vivant à l’interface de la « norme », venant d’en haut et du terrain, sont conduits à une adaptation permanente de leurs compétences qui cumulent savoir, savoir-faire et savoir-être ;
- les syndicats, garants des intérêts et du respect de la profession.
2 Comment faire évoluer un tel système de formation et dans quel contexte ? Une analyse est nécessaire. En voici quelques éléments, biaisés sans aucun doute par le propre prisme déformant de l’auteur.
Un système en perpétuelle évolution, enfermé dans ses rigidités
3 Très parcellaire car présentée sous la forme de quatre constats, l’analyse suivante met en évidence des problèmes clés liés aux aspects de l’organisation du système éducatif, donc de l’institution, sans que soient abordés ceux liés aux contenus tels que : « Que doit-on enseigner ? Quand et comment ? »
4 • Premier constat : sans refaire l’historique du système éducatif, celui-ci a connu une évolution notable au début des années 1990 avec la création des iufm. Excellente idée d’avoir – enfin – un système de formation pensé globalement, cohérent, signe que l’enseignement ne constitue pas une « discipline artistique » mais un métier qui s’apprend réellement ; idée cependant à moitié aboutie du fait des rigidités de tous les partenaires et d’une insuffisante remise en cause d’une partie importante du dispositif.
5 • Deuxième constat : l’autonomie que l’on reproche parfois aux iufm est toute relative. Leur marge d’action et d’initiative est en fait extrêmement bridée : par les programmes des concours (qui, parfois, n’ont rien à voir avec ce que les enseignants auront à enseigner) ; par les directives et les cadrages nationaux qui provoquent une accumulation de « choses » à enseigner. Cette accumulation est génératrice de critiques justifiées de la part des stagiaires constatant le saupoudrage de sujets, certes intéressants, voire essentiels, mais dont on se contente de donner une vision superficielle alors même que leurs préoccupations sont liées essentiellement aux aspects pratiques de l’exercice de leur métier, du fait du peu de temps qu’ils ont avant de l’exercer pleinement.
6 Ces conditions ont pour origine un déficit d’anticipation, un manque de recul, de vision à long terme et de suivi des orientations qui font qu’aucun établissement ne peut travailler efficacement dans un tel contexte. Elles ont pour conséquence que les enseignants formés ont aussi un manque de recul sur leur métier. Peut-on imaginer former un médecin ou un ingénieur en moins d’un an et leur demander d’assumer immédiatement toutes les responsabilités auxquelles leurs métiers les amènent à faire face ?
7 La formation des maîtres nécessite du temps, ce n’est pas le cas actuellement, et ce n’est pas seulement un manque de moyens.
8 • Troisième constat : les iufm sont le melting-pot du système éducatif, tous les enseignants s’y retrouvent, ou plus exactement s’y croisent, du primaire au supérieur. Cela comporte bien sûr des avantages et des inconvénients.
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Parmi les inconvénients :
- des populations ayant des objectifs et des intérêts très différents, ce qui participe du fait que le système est à évolution très lente et engendre aussi les critiques, parfois extrêmes, émises par des stagiaires ;
- une organisation très difficile car située au carrefour de toutes les contraintes académiques ;
- des masses critiques difficiles à atteindre tant du point de vue disciplinaire que de lieu – du fait des nombreuses implantations départementales que du potentiel de recherche – les effectifs des enseignants-chercheurs atteignant seulement le quart des personnels affectés.
- une grande richesse du fait de toutes les cultures qui cohabitent et interagissent, et une homogénéisation de ces cultures même si le processus est lent du fait notamment des difficultés d’interaction ;
- un impact accru de l’enseignement transversal qui devrait être favorisé par le mélange des cultures, mais qui dépend cependant de la volonté de l’établissement de lui donner sa place ;
- une articulation possible des trois niveaux : école, collège, lycée.
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Des inconvénients :
- notre système nous pénalise à l’égard de la communauté internationale tant pour les enseignants français qui voudraient enseigner à l’étranger que pour les étrangers qui souhaiteraient enseigner en France. La non-délivrance de diplôme bac+5, c’est-à-dire de master, est l’une des causes de cette incompatibilité. L’autre est liée au fait que l’État français forme et recrute simultanément par le principe même du concours et de sa place ;
- la reconversion vers, ou en provenance, d’autres métiers pratiquée couramment dans les pays anglo-saxons est beaucoup plus difficile en France, pour les mêmes raisons.
- le recrutement à bac+4 permet aux étudiants d’effectuer leur dernière année dans de bonnes conditions financières ;
- la formation est relativement homogène sur tout le territoire ou du moins est-elle basée sur les mêmes exigences. Cela n’est pas un avantage déterminant car on procède différemment dans bien d’autres métiers sans que la qualité des formations soit pour autant suspecte.
11 De façon toujours très schématique, on peut envisager deux scénarios :
- une remise à plat complète du dispositif. Le passage au lmd, qui occupe actuellement les universités françaises et une partie des universités européennes, encourage d’envisager un tel scénario et de rendre, enfin, le système de formation des enseignants compatible avec la durée nécessaire pour former à un tel métier et à l’ouverture internationale. Cependant, aux difficultés du lmd s’ajouteraient simultanément celles de la remise en cause du principe actuel des concours, ce qui rend cette hypothèse peu réaliste à court et moyen terme ;
- une évolution progressive consistant à combiner le système actuel avec l’évolution permise par le lmd en gardant toujours comme objectifs de permettre l’accroissement du temps de formation et l’ouverture internationale. Cette évolution a fait l’objet de nombreuses réflexions. La Conférence des directeurs d’iufm (cdiufm) les a présentées sous la forme du texte synthétique qui suit, dont les propositions incluent aussi l’exercice du métier.
Cinq constats et douze propositions pour une formation professionnelle universitaire
Cinq constats
- Les viviers actuels s’avéreront rapidement insuffisants pour permettre un recrutement de qualité des enseignants. Les besoins représentent 20 à 25 % des étudiants licenciés ;
- Les filières universitaires actuelles ne permettent pas de choisir le métier d’enseignant en connaissance de cause et de s’y préparer suffisamment tôt ;
- Les concours ne sont pas bien adaptés au recrutement des enseignants :
- de par leur place en fin de première année d’iufm qui perturbe la mise en œuvre d’une réelle formation ;
- de par la nature des compétences professionnelles évaluées, qui varie d’une discipline à l’autre ;
- de par l’absence de prise en compte d’une partie des compétences spécifiques au métier.
- La formation professionnelle étant construite sur un modèle consécutif (formation disciplinaire puis formation professionnelle) et non simultané (intégrant l’alternance), l’enseignant-stagiaire est amené à prendre la responsabilité d’une classe sans préparation suffisante pour garantir un enseignement et un encadrement de qualité des élèves ;
- Le cursus de formation des enseignants d’une durée de 5 ans après le bac ne conduit pas à une reconnaissance master, ce qui ne participe pas de l’harmonisation au niveau européen.
Douze propositions pour une formation professionnelle universitaire
- Les métiers de l’éducation, de l’enseignement et de la formation, doivent faire l’objet d’une sensibilisation dès l’entrée à l’université par des modules optionnels pendant les deux premières années de licence.
- En 3e année de licence (lmd) le choix de l’étudiant pour lesdits métiers doit être explicite (et les parcours de préprofessionnalisation correspondants doivent être identifiés en termes de crédits).
- En fin d’année de licence, le ministère employeur organise un pré-recrutement valant admissibilité au concours et admission en iufm.
- Les épreuves de prérecrutement doivent permettre de vérifier la maîtrise des champs disciplinaires ainsi qu’une culture générale de base.
- Les candidats recrutés à l’issue de la première année d’iufm deviennent professeurs stagiaires. Ils poursuivent leur formation en alternance. L’affectation dans les établissements d’accueil doit prendre en compte les besoins des stagiaires et les exigences du modèle de formation.
- À l’issue de la deuxième année d’iufm, l’institut valide la formation. Le ministère employeur titularise le stagiaire.
- Pendant les cinq années du cursus post-bac, l’université et l’iufm valident la formation (dans le cadre de leur convention) par des crédits (ects) obtenus indépendamment de l’admission aux concours de la fonction publique française.
- Les étudiants remplissant les conditions de crédits et de parcours obtiennent le diplôme de master (indépendamment des concours). D’éventuels compléments peuvent être acquis dans le cadre de la formation continue.
- La première affectation du professeur doit offrir des conditions facilitant son intégration professionnelle, notamment par un accompagnement organisé dans le cadre d’un partenariat iufm/employeur.
- Pour mener à bien leur mission, les iufm doivent organiser l’encadrement de la formation autour de différents types de formateurs, préparés à leurs fonctions spécifiques, avec un souci d’équilibre entre formateurs permanents et formateurs associés.
- Le développement de la recherche en éducation-formation est un levier puissant pour le développement d’une formation professionnelle de qualité garantissant l’adaptation des enseignants aux évolutions du système éducatif.
- La formation continue diplômante ou qualifiante, placée sous l’autorité du recteur, doit être développée en partenariat avec les universités et les iufm.
Et le supérieur, pourquoi ne pas en parler ?
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Dès lors que l’on évoque la recherche, on pénètre dans le domaine universitaire et il est légitime de s’interroger sur la formation des enseignants-chercheurs. Sans entamer une énumération des parcours qui amènent au métier d’enseignant-chercheur, partons là aussi de quelques constats :
- les vocations s’expriment souvent tardivement pour plusieurs raisons, l’une d’entre elles est liée au fait que de nombreuses disciplines sont « inconnues » au primaire et au secondaire, y compris pendant les premières années d’université ;
- ces vocations proviennent souvent de la fascination que peut exercer un bon professeur ; par opposition, l’effet dévastateur du « mauvais » professeur sur le rejet d’une discipline est considérable ;
- l’engouement pour la recherche, son impact sur la société en termes d’identité, de bien-être, d’indépendance, est un facteur déterminant du choix de ce métier, que l’enseignant-chercheur se doit de susciter chez ses étudiants.
- savoir situer le contexte de sa discipline (épistémologie), voire de sa spécialité à l’intérieur de sa discipline ;
- savoir maîtriser le savoir et sa structuration, l’étayer en présentant les applications et leur impact sociétal et en alternant savoirs et applications ;
- savoir évaluer et respecter l’étudiant, ce qui exige un équilibre subtil entre exigence et tolérance et nécessite une grande disponibilité.
15 La deuxième hypothèse est certainement la plus plausible et les questions qui viennent sont alors : Quels moyens faut-il mettre, avec quelle structure ? Quelles devraient être les conditions de recrutement, de promotion ?
16 Sujets souvent débattus pour lesquels il reste sans doute de nombreuses réponses à apporter : les cies (Centres d’initiation à l’enseignement supérieur) sont-ils les bons outils, les iufm devraient-ils être concernés, les universités sont-elles organisées pour former leurs propres cadres, etc.?
17 Nous sommes là aussi devant un système à évolution lente. Il reste à espérer que les difficultés actuelles permettront au corps enseignant d’en tirer les enseignements qui lui donneront la motivation et les moyens de renforcer et d’améliorer les générations futures d’enseignants. Il va ainsi de l’évolution positive des espèces, si le politique l’accompagne… bien sûr.
18 Depuis l’écriture de ce texte, le projet de loi en cours d’élaboration montre que nous allons rester, encore et pour « un certain temps », loin de ces propositions et dans un schéma franco-français. La seule phrase pertinente est donc la dernière du texte.