Empan 2004/1 no53

Couverture de EMPA_053

Article de revue

Conjugaison : singulier-pluriel

Pages 40 à 42

Notes

  • [*]
    Adjoint de direction du cpva, association arpade, 32, boulevard Deltour, 31500 Toulouse.
  • [1]
    M. Gillots, pédopsychiatre, Rhizome, n° 12.
  • [2]
    J. Harrisson, écrivain, En marge, Paris, Christian Bourgois.
  • [3]
    L.-R. des Forêts, Ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouter…, Éditions William Blake.
  • [4]
    R. Juarroz, Fragments verticaux, Paris, José Corti.

1 L’énoncé reste pour moi une énigme : « Trajets de femmes au risque du social ! »

2 Au mot à mot, ça s’éclaire. En écho, je suis tenté d’y répondre.

3 Depuis quelques semaines, ayant en tête ce texte à écrire, j’ai le sentiment que tout ce que je lis et que j’entends s’en approche.

4 Être un homme dans le travail social d’une institution accueillant des femmes ? Modes d’être ?

5 Aborder la question du genre donne la chair au discours[1].
Trop simple, crois-je.
Bien qu’un jour, mon Jivaro préféré, du fin fond de son fauteuil, se soit écrié : « Ne rejetez pas une interprétation que vous trouvez trop simple… »

6 Première évidence, c’est que je ne reçois pas de la même façon une femme ou un homme.

7 Une phrase m’est arrivée, comme inscrite déjà sans que je le sache : « Les hommes devraient-ils se conjuguer au féminin ? »

8 Attendez ! Je reviens à cette phrase ! Pas d’impatience devant mon imprudence !

9 Dans l’édito de la revue Rhizome n° 11, « La souffrance est-elle sexuée ? », Marie Gillots écrit : « La précarité s’incarne dans des sujets sexués. »

10 Sujets.
Sexués.
Trajectoires sexuées comme telles !

11 Et elle termine son texte de façon tout aussi éclairante : « Se reconnaître comme sujet sexué ouvre pour chacun l’appréhension de la précarité dans sa dimension d’incompétence et de vulnérabilité [1]. »

12 La mission la plus importante qui nous incombe, c’est de découvrir ce dont nous souffrons et de nous soigner. Le but est d’en éliminer l’horreur[2].
Incomplet et vulnérable.
Jamais comblé – Atteint.
Ce n’est pas au féminin qu’il va falloir se conjuguer. Pas dans le genre.
Mais dans le nombre. Au singulier-pluriel.
Se conjuguer : « Sous le même joug », joindre ensemble, combiner !
De l’autre, je ne sais rien.
Du masculin-féminin je fais une question plurielle.
C’est parce que je ne sais pas que je me sens atteint et précaire.
La question de la sexualité est une question de l’enfance, c’est toujours précaire.

13 Alors dans cette rencontre !…

14 – Qu’en est-il de ce face-à-face ? Quelle altérité va donc pouvoir advenir, hors, dans le regard, au risque d’aller à l’encontre de l’objet de la rencontre ?

15 – Est ce que je sais suffisamment que ce face-à-face me met en situation de pouvoir. De fait !

16 – Comment puis-je m’assurer que cette inscription outrancière dans le spéculaire de notre espace de rencontre n’inscrit pas cette autre dans l’immobilisme ?

17 Et la séduction, corruption conquête attirance fascination ascendance…

18 « Façon sommaire d’emmener à l’écart », de « détourner du vrai pour tomber dans l’erreur », est-il écrit dans le dictionnaire.
Je n’ai que peu de réponses.
Et coquin de sort, heureusement.
Quant aux questions, je me les répète.
Quelle est la place de la séduction dans la rencontre avec cette femme ?
De quel homme s’agit-il pour « elle » ?
Quelle peur je rouvre, quel désir, quel non-savoir je remobilise ?
Et bien sûr, je ne suis à l’abri de rien.
De quelle femme s’agit-il pour moi ?
Qu’est-ce qui se mobilise, se rouvre en moi ?
Oh zut ! Et le transfert ?…

19 La question qui m’agite, dans cette rencontre, c’est celle de l’unité perdue chez cet autre. Perte qui le condamne à la solitude de l’observateur déraciné. Vouloir l’interpréter, ce n’est pas retrouver un sens déjà là, c’est construire un sens qui n’a jamais existé comme tel.

20 Cette unité, cette solitude, cette recherche de sens, de femmes, dans l’étrangeté de la résonance en moi, m’obligent, me convoquent. À du nouveau. À du déplacement. À nouveau dans l’apprentissage d’une nouvelle conjugaison. Combiner. Joindre ensemble, comme je l’ai dit : « unir sous le même joug ».

21 Je ne suis pas dans le supposé d’une position théorique ou clinique éthérée, juste. Je m’en moque.

22 Dans chaque confrontation à l’Autre, homme ou femme, je suis, même différent, dans l’inconnu qui m’attend. Je tente d’en faire une posture.

23 « Chaque chose saigne dans l’Autre », dit J. Harrisson.

24 « Nul ne saura jamais ce que gagne ou perd une existence à être réactualisée par le mot, moins que tout autre celui qui fait la part belle à l’invention langagière dont il s’étonne le premier qu’elle ait besoin pour prendre corps et chose plus stupéfiante, d’affirmer son authenticité [3]. »

25 De mon expérience avec et auprès d’adolescentes et de jeunes majeurs, puis de personnes adultes, deux histoires.

De la parole à la place

26 1.
– Je me le ferais bien, dit-elle discrètement à sa copine.
« Elle », c’est M. accueillie au foyer, 16 ans.
« Le », c’est moi. 40 balais. Responsable du service. Travailleur social.
La réponse est immédiate. Sur-le-champ.
Violente, dans l’absence d’équivoque.
Le cadre en paravent. En butoir. Le ton est sec. Remise en place. Sa place. La mienne.
Et après !…
Qu’en est-il ? Qu’en sera-t-il comme après coup ? Dans l’après-coup ?
D’où m’adresse-t-elle ces propos. « M ». L’apostrophe désigne qui ? M’apostrophe-t-il vraiment ?
Quel possible cela suppose ?
Quel fantasme agite-t-elle ?
Quel fantasme ai-je généré ?
Ce qui « nous » appartient devra donc être abordé. Sur le versant clinique, peut-être.
Mais sur le versant social, assurément.
Sur une possibilité (in)certaine d’une rencontre asexuée.
Sur un possible énoncé d’une recherche de place.
La juste place.
Celle du sans danger.
Celle où possible et impossible sont identifiés.
« La reconnaissance d’une position prend sa source dans la division (au sens de distribution) de la responsabilité », ai-je lu sans trop savoir où. Je vous prie de m’en excuser…

27 2.
Elle : « La première fois, M. G., j’ai cru que c’était par hasard.
Mais ensuite, que sa main, chaque fois qu’il passe près de moi, atteigne mon entrejambe ! Et cette façon de venir chez moi, chemise ouverte, débraillée…
C’est parce que j’ai été pute qu’on peut s’autoriser ça avec moi ?
Ce sera ma parole contre la sienne, je m’en doute. »
Je l’écoute.
J’ai honte. D’être homme.
Lui : « Tu vas pas la croire, non ? »
Avec ça me voilà bien !
Une parole lâchée et un déni.
Une parole bafouée et une bassesse.
Moi :
« Portez plainte contre l’institution.
Portez plainte pour diffamation. »
Les deux se sont tus.
Par ailleurs, les langues se délient.
La parole se délivre.
Nous le savions ?
Mais alors, qui a « pris le risque » de parler ? De dire ?
Lâcheté, peur.
Incapacité, nous aussi, d’assumer, de soutenir une trajectoire, d’initier un trajet !…
« Afin de pouvoir dormir, il faudrait d’abord savoir se réveiller [4]. »
Alors, c’est quoi le risque du social ?


Date de mise en ligne : 01/10/2005

https://doi.org/10.3917/empa.053.0040

Notes

  • [*]
    Adjoint de direction du cpva, association arpade, 32, boulevard Deltour, 31500 Toulouse.
  • [1]
    M. Gillots, pédopsychiatre, Rhizome, n° 12.
  • [2]
    J. Harrisson, écrivain, En marge, Paris, Christian Bourgois.
  • [3]
    L.-R. des Forêts, Ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouter…, Éditions William Blake.
  • [4]
    R. Juarroz, Fragments verticaux, Paris, José Corti.

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