Couverture de EDPE_220

Article de revue

Redéfinir l’approche de la formation dans les entreprises artisanales

Pages 111 à 121

1 Les entreprises artisanales forment peu leurs salariés. Ce constat n’est pas propre à la France, comme le soulignent les résultats des enquêtes européennes CVTS (Continual Vocation Training Survey). La formation dans les très petites entreprises (TPE) représente, notamment pour les nouveaux opérateurs de compétences (OPCO), un défi majeur et difficile à surmonter. Comment convaincre des entreprises réticentes, voire hostiles, à la formation ? Une partie de la réponse à cette question peut venir des entreprises artisanales elles-mêmes. Si, pour la plupart, elles apparaissent comme étant très éloignées de la formation, leur comportement est loin d’être homogène. En effet, nombre d’entre elles, à contre-sens de leurs congénères, sont très fortement engagées dans la formation, y compris externalisée. L’étude conduite en 2014-2015 par Constructys, alors organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la construction, vise à apporter un éclairage sur les pratiques de formation des entreprises artisanales du BTP, en se focalisant notamment sur les TPE les plus formatrices du secteur. Les résultats de cette étude ont permis d’identifier et de caractériser quatre familles de TPE : les réticentes, les convaincues exploratrices, les convaincues stratèges et les habituées. Ils invitent à nuancer l’image des TPE « par nature » hostiles à la formation, et à faire preuve d’un certain optimisme concernant l’avenir de la formation dans l’artisanat du BTP.

Les entreprises artisanales sont-elles par nature hostiles à la formation ?

2 Il y aurait une contradiction essentielle entre la nature des TPE et la formation, du moins sous sa forme externalisée ou codifiée. Cette contradiction serait due à leurs caractéristiques intrinsèques : dirigeants hostiles, effectifs réduits, manque de planification stratégique, faible formalisation des pratiques ressources huaines (RH), absence de moyens pour contrôler l’efficacité des actions de formation… Selon cette approche, les PME, à plus forte raison les TPE, seraient « naturellement » éloignées de la formation externalisée.

3 D’abord, les dirigeants de TPE assimileraient la formation codifiée à des savoirs scolaires, qui les renverraient à des expériences personnelles laborieuses (Bentabet, 2010). Souvent sortis de manière précoce du système scolaire, ils entretiendraient une relation distante, voire hostile, à la formation qui, sous sa forme externalisée, leur paraît être déconnectée des besoins du terrain et en inadéquation avec les modes d’apprentissage de leurs salariés (Bentabet, 2008). Cette défiance conduirait les dirigeants à contourner la formation externe (Bentabet et Trouvé, 1996) et à arbitrer en faveur de modalités de formation internes, plus adaptées selon eux à leurs besoins : autoformation, formation sur le tas, formation par imprégnation, tutorat…

4 Ensuite, la taille réduite des entreprises artisanales constituerait un frein naturel au développement de la formation externalisée. En effet, le coût de production associé au départ d’un salarié en formation est d’autant plus préjudiciable au bon fonctionnement de l’entreprise que sa taille en réduite par effet de proportion (l’absence temporaire d’un salarié contraint l’entreprise à limiter son activité), ou par effet de nombre (l’absence d’un salarié peut priver momentanément l’entreprise de compétences indispensables). Les coûts « cachés » de la formation seraient ainsi démultipliés au sein des TPE par effet de grossissement (Mahé de Boislandelle, 1996). La taille est un facteur d’autant plus convaincant qu’il semble corroborer le lien presque linéaire entre la taille de l’entreprise et le taux de formation.

5 En outre, la temporalité de la formation serait difficilement compatible avec l’horizon stratégique des entreprises artisanales (Julien, 1997). La mise en œuvre d’un plan de formation exige une démarche de planification, et la capacité de se projeter à moyen terme, à trois ans en moyenne (Bentabet, 2010). Or les entreprises artisanales, les PME de manière plus générale, semblent être pilotées à court-terme selon une stratégie intuitive, bâtie autour de la « vision » de leurs dirigeants.

6 Par ailleurs, dans la perception du chef d’entreprise et de ses salariés, la formation externalisée entrerait en conflit avec le mode de fonctionnement de l’entreprise, caractérisé par l’informel et la proximité interpersonnelle (Torrès, 2004). A ce titre, la formation représenterait moins une opportunité qu’un risque : crainte du dirigeant de perdre le contrôle en déléguant la compétence vers ses salariés ; peur que la montée en compétences soit associée à un regain de prétentions salariales ; idée que la formation engendre un turnover dans un contexte où les opportunités de mobilité sont limitées, voire nulles.

7 Enfin, en l’absence d’outils dédiés à l’évaluation, les entreprises artisanales ne seraient pas en capacité d’appréhender les bénéfices concrets de la formation (Jameson, 2000). Cette hypothèse est confortée par les études internationales (Monnot, 2014) qui soulignent la faible disposition des PME à mettre en œuvre une évaluation structurée.

8 Une telle vision de la PME, artisanale en particulier, ne peut que conduire à une forme de fatalisme : comment convaincre des chefs d’entreprise que la formation externalisée non seulement n’est pas inutile, ni risquée, ni déconnectée des problématiques de terrain, ni préjudiciable au bon fonctionnement de l’entreprise, et qu’elle est au contraire susceptible d’apporter une plus-value ?

Les PME « managériales » : des petites entreprises qui forment comme les grandes

9 L’idée selon laquelle les PME constitueraient un ensemble homogène est largement remise en cause, diverses études ayant mis en lumière leur grande disparité en matière de formation. Ainsi, les résultats du dispositif d’enquêtes sur les formations et itinéraires des salariés (Défis), portant sur les entreprises de 3 à 49 salariés, ont révélé l’existence de trois types de PME : les « managériales », les « traditionnelles » et les « entrepreneuriales » (Beraud et Noack, 2018). A rebours d’une vision simpliste des très petites et petites entreprises, celles dites « managériales » se distinguent par des comportements de formation similaires à ceux des grandes entreprises. Elles présentent des caractéristiques spécifiques : elles appartiennent souvent à un groupe, un réseau d’enseignes ou de franchises ; leur activité est centrée sur des services spécialisées (comptabilité, pharmacie, droit notamment) ; le niveau de formation de leur dirigeant est sensiblement plus élevé que dans les autres PME (plus de 80 % ont un niveau bac+2). Elles forment 44 % de leurs salariés (contre 24 % pour les « traditionnelles » et 31 % pour les « entrepreneuriales »). Notons qu’elles sont très peu présentes dans le BTP.

10 Ces observations confortent l’hypothèse, développée par les tenants de l’approche contingentielle des PME dès les années 1970 (Torrès, 1997), selon laquelle l’effet de taille pourrait être supplanté par d’autres facteurs : le profil du dirigeant, le secteur d’activité, l’environnement institutionnel, l’organisation de l’entreprise ou encore l’insertion dans un réseau d’entreprises. Autrement dit, les PME, parmi lesquelles les entreprises artisanales, ne sont pas éloignées de la formation « par nature ». Considérer que les dirigeants de PME sont tous distants à l’égard de la formation en raison de leur origine scolaire est très réducteur. Différentes études tendent à conforter l’idée selon laquelle le niveau de formation des chefs d’entreprise a un lien avec les pratiques d’affaires mises en œuvre dans les PME, notamment en matière de GRH (Saint-Pierre et al., 2003). De plus, tous les dirigeants ne considèrent pas la formation comme un risque, une partie d’entre eux s’engageant dans des politiques volontaristes (Beraud et Noack, 2018) et planifiées. Les PME peuvent tout à fait développer des pratiques formalisées de GRH, l’image d’une organisation dominée par l’informel s’avérant très caricaturale au regard de la diversité des pratiques RH mises en œuvre dans ces entreprises (Nkakleu, 2016). Enfin, loin d’être inattentives aux effets de la formation, les PME se montrent au contraire particulièrement soucieuses de mesurer l’efficacité des actions de formation, parfois plus que les grandes entreprises (Beraud, 2015).

11 La formation dans les PME est un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît : on ne peut nier le fait que, pour des raisons bien identifiées, elles forment peu leur salariés, et que leurs pratiques sont très diversifiées. Cette complexité est stimulante pour les chercheurs qui se focalisent sur les déterminants des comportements de formation des PME, et encourageante pour les praticiens en quête de leviers pour convaincre ces entreprises de l’intérêt de la formation continue.

Dans les entreprises artisanales du BTP, des comportements très différenciés

12 En 2014, l’OPCA Constructys, dans le cadre d’un contrat de recherche avec l’université Paris-Dauphine, a lancé une étude sur les attentes et les besoins en formation des entreprises artisanales du BTP. L’objectif final du projet était de construire une segmentation opérationnelle du portefeuille d’entreprises de moins de dix salariés adhérentes à l’OPCA, et de proposer une offre d’accompagnement différenciée.

13 Les résultats de l’étude s’appuient principalement sur les témoignages de trente-cinq chefs d’entreprise, choisis selon deux principes : le panel devait refléter la diversité des comportements de formation des TPE du BTP (en intégrant des dirigeants formateurs mais également des patrons d’entreprises n’ayant formé aucun salarié sur une période de trois ans) ; les facteurs les plus influents sur le comportement de formation de ces entreprises devaient être pris en compte : la localisation de l’entreprise (rural, urbain, grande agglomération), sa taille, son activité (par métier). Ces facteurs ont été identifiés à partir d’un examen approfondi de la base de données des entreprises de moins de dix salariés adhérentes à l’OPCA. Les groupes de discussion se sont déroulés à Rennes, Paris, Strasbourg, Marseille, Bordeaux, Lille, Lyon et Nantes. Les échanges ont été intégralement retranscrits et codés autour de trois thèmes : le profil du dirigeant et son rapport à la formation (trajectoire biographique, notamment scolaire, représentations de la formation) ; l’activité de l’entreprise (insertion dans un réseau, typologie de marché) et son organisation (ligne hiérarchique, existence d’une fonction administrative, spécialisation…) ; les objectifs associés à la formation externalisée. L’analyse des données a permis de faire émerger quatre familles de TPE.

Les entreprises réticentes : éviter la formation

14 Les dirigeants « personnels » et « claniques » partagent des caractéristiques communes en termes de trajectoire scolaire et professionnelle. Ils sont sortis très tôt du système scolaire, avec un CAP ou un baccalauréat professionnel (pour les premiers), voire sans diplôme (pour les claniques). Ils conçoivent leur entreprise comme un patrimoine personnel ou familial qu’ils envisagent de transmettre à un membre de leur famille ou à un salarié de confiance. Eux-mêmes, souvent, ont pris la tête de l’entreprise dans le cadre d’une transmission familiale. La plupart des dirigeants correspondant à ce profil considèrent explicitement la formation comme un coût et comme un risque : comme un coût parce qu’ils estiment qu’il leur est très difficile de se passer d’un salarié, ou parce que la formation, même prise en charge par un financeur, génère des problèmes de trésorerie ; comme un risque parce que le développement des compétences des salariés peut se traduire par des exigences nouvelles en termes de rémunération ou de responsabilités, et peut encourager les salariés à quitter l’entreprise. Pour contrôler ce risque, les dirigeants font le choix de concentrer l’effort de formation sur les personnes les plus sûres, c’est-à-dire eux-mêmes et, le cas échéant, les membres de leur famille. Ces dirigeants sont réticents à l’idée de former leurs salariés, et la formation se limite souvent aux obligations légales réglementaires (santé et sécurité). Ils disposent de peu de moyens pour identifier leurs besoins en formation (conseil externe pour l’OPCA ou par une organisation professionnelle, outils RH). Défiants à l’égard de la formation externalisée, ils préfèrent former en interne, parfois en s’appuyant sur les fournisseurs. La perspective d’une transmission de l’entreprise peut néanmoins les amener à investir dans la formation d’un successeur.

Tableau 1

Typologie des entreprises artisanales du BTP.

Tableau 1. Typologie des entreprises artisanales du BTP.

Typologie des entreprises artisanales du BTP.

Encadré 1. La formation comme un risque (témoignage d’un dirigeant réticent).

L a difficulté, ça m’est déjà arrivé, c’est que deux mois après la formation, il me donne sa démission en disant : « Je vais travailler chez un confrère qui me paie plus. » Le risque, c’est le départ du salarié ou les prétentions salariales. La prétention salariale me gêne moins puisqu’il y a toujours un moyen de négocier. Mais quand le salarié quitte l’établissement, elle est beaucoup plus pénalisante parce qu’il quitte non seulement l’entreprise mais avec un acquis et, à la limite, il vous fait un pied de nez pour vous dire : « Vous avez vu, vous m’avez formé, j’ai une qualification, merci de m’avoir formé. » Et ça, non merci !

Les entreprises convaincues : former pour se différencier et se structurer

15 Les dirigeants « participatifs » et « collégiaux » n’ont pas eu la même trajectoire biographique que les précédents. Les participatifs sont souvent des experts dans leur métier, au terme d’une expérience professionnelle longue et diversifiée, en amont de la création ou de la reprise de leur entreprise. C’est le cas des dirigeants issus du compagnonnage. Les collégiaux renvoient à des modes de gouvernance partagée, qu’il s’agisse d’un duo de dirigeants (commercial associé à un homme de métier) ou d’un groupe d’associés plus large. Leur approche de la formation est beaucoup plus large que celle des dirigeants personnels et claniques. Ils considèrent que la montée en compétences doit être collective et que tous les salariés sont concernés. Ces entreprises ne se limitent pas à former leurs salariés pour répondre à des contraintes légales réglementaires, elles s’engagent dans des démarches à dominante technique métier, pour renforcer leur capacité à se différencier de la concurrence, ou à investir dans les formations tertiaires, afin d’accompagner la spécialisation de leur fonction support (administration et gestion). Même si ces entreprises maîtrisent imparfaitement les rouages de la formation (contenus disponibles et modalités de financement), elles sont convaincues de son intérêt.

Encadré 2. Une approche collective de la formation : le témoignage d’un dirigeant convaincu explorateur (profil participatif).

Par contre, aller mettre mes gars une semaine chez les compagnons… parce qu’on sait qu’on va se retrouver avec des doutes […] On va gagner du temps à apprendre, peut-être une semaine avec le chef d’équipe pour se remettre bien les choses en main et puis que le chantier se déroule nickel […] Et après, il y a effectivement les compagnons, les aides-couvreurs ainsi de suite, je suis encore une jeune structure, donc c’est difficile… A la base, j’aimerais toujours faire partir tous mes salariés. A terme je devrais pouvoir le faire…

16 Parmi ces entreprises, on distingue deux groupes. Les entreprises exploratrices, souvent créées ou reprises récemment, n’ont pas précisément identifié leur stratégie mais ont la volonté de se différencier. Elles utilisent la formation pour expérimenter des méthodes ou des techniques. Les entreprises stratèges, plus anciennes, ont une connaissance claire de leurs objectifs et, à ce titre, planifient les actions de formation parfois à très long terme. Elles cherchent également à se développer vers d’autres marchés ou à accroître leur capacité à gérer simultanément différents chantiers, ce qui les conduit à structurer leurs fonctions-supports (formations tertiaires).

Encadré 3. Une approche planifiée de la formation : le témoignage d’un dirigeant convaincu stratège (profil collégial).

En fait, on n’y a pas accès en direct [aux marchés de rénovation des monuments historiques]. Donc, on est obligé de travailler en sous-traitance pour X [autre entreprise spécialisée dans les monuments historiques], voilà… Donc au niveau qualification, on vise notre qualification « monuments historiques ». Nous, ça fait sept ans qu’on est dessus. Ça fait sept ans qu’on sait où on va.

Les entreprises habituées : former comme les grandes entreprises

17 Enfin les dirigeants « délégatifs » et « industriels » sont, sans conteste, les champions de la formation des salariés. Leur trajectoire scolaire et professionnelle explique en grande partie leur appétence pour la formation externalisée. Le délégatif a un niveau de formation initiale élevé relativement à ses homologues, pas dans le métier mais le plus souvent en gestion. Il a créé et repris une entreprise avec la volonté d’en assurer la rentabilité économique, éventuellement pour la revendre à moyen terme. En raison de sa formation, il n’a pas une expertise technique et se considère essentiellement comme un gestionnaire. Il centre son activité sur les aspects commerciaux et délègue la conduite des chantiers à une ligne hiérarchique souvent très structurée (chefs d’équipe, chefs de chantiers, parfois conducteurs de travaux). L’industriel, quant à lui, a pour particularité de venir d’un grand groupe où il a pu acquérir une connaissance précise des pratiques, notamment RH, des grandes entreprises. Son objectif est d’appliquer ces pratiques dans le contexte de la TPE, qu’il dirige comme une « grande entreprise en miniature ». Il a tendance à mettre en place une organisation du travail spécifique dans la mesure où son entreprise est très structurée : existence d’une ligne hiérarchique plutôt longue avec une délégation de la conduite de chantier (vers les chefs de chantiers voire les conducteurs de travaux) et existence d’une fonction administrative. Ces deux types de dirigeants investissent très fortement dans la formation de leurs salariés pour se positionner soit sur des marchés de niche où l’expertise est rare, soit sur des activités externalisées par les grands groupes du BTP. Ils se distinguent des dirigeants « convaincus » par une fréquence de formation plus élevée, une tendance à mobiliser des formations dans l’ensemble des domaines (management, tertiaire, métier, obligatoire réglementaire) et pour l’ensemble des salariés. Ils se différencient également par leur volonté de personnaliser la formation, ce comportement étant lié au fort degré de spécialisation des salariés, comparativement à ce que l’on observe généralement dans les TPE.

Encadré 4. Une approche personnalisée de la formation : le témoignage d’un dirigeant habitué (profil industriel).

J’envoie des gens en formation par rapport à de futurs chantiers ou de futures expériences qu’on pourrait avoir. On n’est plus dans le « j’ai besoin d’une formation pour un chantier » ; on est déjà dans le dimensionnement « il y a une formation parce que je me suis aperçu qu’il allait y avoir un besoin »… en regardant ce qui se passe autour de nous quoi […] Aujourd’hui, les formations, c’est une manière aussi de dire qu’on se positionne comme une grande entreprise.

Les TPE sont-elles naturellement éloignées de la formation externalisée ?

18 Les résultats de l’étude conduite par Constructys mettent en lumière la grande hétérogénéité des comportements de formation des entreprises artisanales du BTP, en termes de focalisation, de fréquence de formation, de planification et de formalisation des pratiques. Alors que certains dirigeants forment essentiellement en réponse à des obligations légales réglementaires, sans réelle anticipation (les réticentes), d’autres mobilisent la formation pour identifier et acquérir des compétences distinctives (les convaincues exploratrices), pour servir un projet clairement défini et accompagner le développement de l’entreprise (les convaincues stratèges), ou pour se spécialiser dans des activités de niche, souvent en soustraitance pour des grands groupes (les habituées).

19 Face à ces disparités, l’hypothèse de la réticence naturelle des entreprises artisanales ne tient pas :

  • en raison de leur variété, les profils des dirigeants de TPE du BTP sont déterminants pour appréhender le comportement de formation de ces entreprises ;
  • si certains dirigeants considèrent la formation sous l’angle des coûts et des risques, d’autres sont très sensibles aux potentialités de la formation pour se différencier, accompagner le déploiement d’une nouvelle stratégie, se positionner sur des marchés de niche… ;
  • la capacité des TPE à se projeter dans l’avenir est très variable, certains dirigeants se montrant parfaitement enclins à s’engager dans une démarche de planification stratégique à long terme à condition d’être accompagnés par l’OPCA ou par une organisation professionnelle.

21 Autrement dit, l’effet de taille ne saurait être considéré comme un déterminant unique qui réduirait mécaniquement le recours à la formation dans les TPE. L’effet de grossissement peut fort bien être contrebalancé par d’autres facteurs, en particulier l’activité de l’entreprise (la sous-traitance, le positionnement sur des activités de niche) et, surtout, le profil du dirigeant. Sur ce point, nos conclusions rejoignent en partie celles proposées par les tenants de la diversité des PME.

Peut-on encourager les TPE du BTP à s’engager dans la formation ?

22 La diversité des situations observées invite à une forme d’optimisme quant à la possibilité de convaincre les entreprises artisanales de l’intérêt de la formation externalisée. Pour autant, qu’elles soient convaincues ou habituées, les entreprises formatrices ne sont-elles pas marginales ? Si le comportement de formation dépend du profil du dirigeant, est-il envisageable de « convaincre » les réticents et d’ « habituer » les convaincus ?

23 La réponse à la première question a suscité un important travail de qualification de la base de données de l’OPCA Constructys, au terme duquel la répartition suivante a été mise en évidence : sur environ 45 000 entreprises adhérentes, 27 % sont considérées comme réticentes (taux de formation faible, formations essentiellement obligatoires et réglementaires), 32 % sont « convaincues exploratrices » (taux de formation moyen, formations à caractère technique métier), 20 % sont « convaincues stratèges » (taux de formation moyen, formations sensiblement orientées vers les activités tertiaires) et 21 % sont « habituées » (taux de formation élevé, tous les domaines de formation). Ces chiffres doivent être considérés avec précaution dans la mesure où ils ne concernent que les entreprises connues par Constructys, c’est-à-dire celles dites actives (au moins une formation financée sur une période de trois ans). Ils ont néanmoins le mérite d’attester du fait que les entreprises convaincues et habituées sont loin d’être marginales.

24 La réponse à la deuxième question est plus complexe. A la suite de l’étude, différents outils à destination des conseillers ont été construits afin d’ajuster l’accompagnement à chaque famille d’entreprises. L’efficacité de cette approche est difficilement évaluable à court terme. Deux tendances de fond laissent cependant présager que le rapport à la formation de ces entreprises est susceptible d’évoluer favorablement dans les années à venir. Premièrement, le renouvellement actuel des dirigeants peut modifier la donne, en raison de l’élévation du niveau de formation des chefs d’entreprise d’une part, et de l’entrée massive de dirigeants issus de grands groupes (industriel) ou qui ne sont pas issus du métier (délégatif) d’autre part. Deuxièmement, la généralisation des normes, notamment de qualité, pourrait, mécaniquement, amener les entreprises artisanales à s’engager plus fortement dans la formation de leurs salariés. Autrement dit, sous l’effet de facteurs de contingence externe (démographiques, économiques ou réglementaires), les comportements des TPE pourraient se rapprocher des pratiques des grandes entreprises.

Conclusion

25 C’est un fait, les TPE artisanales ne sont pas des entreprises comme les autres. Néanmoins, l’idée selon laquelle elles seraient « par nature » hostiles à la formation est largement contredite par la réalité, les entreprises artisanales adoptant des postures contrastées à l’égard du développement des compétences de leurs salariés, y compris dans le BTP. Aussi est-il permis d’être optimiste. Si la formation dans les TPE représente un défi important, particulièrement pour les nouveaux OPCO, ce défi n’est pas insurmontable, comme le démontre l’existence de TPE formant « comme des grandes entreprises ». Le renouvellement – actuel et à venir – des chefs d’entreprises artisanales ainsi que l’évolution générale de leur environnement pourraient représenter un contexte favorable pour redéfinir l’approche de la formation au sein de ces entreprises.

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Date de mise en ligne : 23/06/2022

https://doi.org/10.3917/edpe.220.0111

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