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Article de revue

Les élèves-ingénieurs maghrébins dans les écoles françaises : discours sur soi et production d’éthos

Pages 191 à 205

1L’internationalisation de l’enseignement supérieur en France conduit à l’accueil de nombreux étudiants étrangers : selon les chiffres de l’Unesco cités par Campus France (2014), la France est le troisième pays au monde en 2013-2014 avec près de 300 000 étudiants accueillis. Parmi les pays d’origine, le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) occupe une place privilégiée, avec la Chine et l’Italie. Dans les écoles d’ingénieurs, l’accueil d’étudiants maghrébins est une tradition déjà ancienne. Elle s’appuie sur divers dispositifs de coopération comme les classes préparatoires françaises établies au Maroc et sur un ensemble de relations politiques, économiques et culturelles riches et complexes.

2Les déterminants sociaux de la mobilité, la fuite des cerveaux, le rôle des diasporas, le développement économique de ces pays et le rayonnement industriel de la France sont autant de sujets sur lesquels se porte déjà l’attention des politiques et des chercheurs. Mais la manière dont les individus concernés vivent leur formation sur le terrain et le sens qu’ils donnent à leur parcours sont moins regardés. Les étudiants maghrébins venant étudier dans les écoles d’ingénieurs françaises jouent un rôle éminent, en tant qu’élite intellectuelle destinée au développement industriel et technologique. Cette population suscite l’intérêt pour ses motivations, ses aspirations et ses ressentis, dans l’enseignement supérieur français soumis lui-même à des évolutions rapides. Comment les élèves ingénieurs maghrébins vivent-ils le temps de leur formation ? Dans quelle mesure leurs projets professionnels, tels qu’ils se construisent dans ce temps spécifique, correspondent-ils à ces grandes tendances perçues à l’échelle des mobilités internationales et des changements de l’enseignement supérieur ?

3Cette analyse des discours des élèves ingénieurs maghrébins sur leurs études, leurs parcours et leurs projets s’appuie sur les matériaux d’une enquête plus large auprès d’ingénieurs maghrébins formés en France entre 1995 et 2015 (projet Tassili, Partenariat Hubert Curien 11MDU 840). À partir d’entretiens qualitatifs d’une quarantaine d’étudiants dans cinq écoles d’ingénieurs françaises, l’étude présentée porte sur le travail de construction d’un éthos d’élève ingénieur, au croisement des environnements sociaux, des conditions politiques et des aspirations propres à chacun. Par rapport à l’internationalisation de l’enseignement supérieur, au développement des mobilités étudiantes et à l’évolution des échanges entre les pays du Maghreb et la France, l’objectif est de saisir, par une approche microsociologique, sur quelles références ces élèves ingénieurs se construisent une image d’eux-mêmes pour donner sens à leur parcours.

Devenir élève ingénieur en France

Les mobilités étudiantes entre le Maghreb et la France

4Cette étude s’inscrit dans l’internationalisation générale de l’enseignement supérieur, ses conséquences sur les mobilités étudiantes transfrontalières et particulièrement les circulations Sud-Nord. Anciens entre le Maghreb et la France, ces mouvements s’en trouvent reconditionnés (Musselin 2008). Le passage d’une logique de partenariat entre les États, reposant sur un principe de solidarité avec les pays du Maghreb, à une logique de marché (Leclerc-Olive et al. 2011, Mendez et al. 2011, Streitwieser et al. 2014) reconfigure la nature de cette mobilité autour de la gestion des flux. Cette logique de marché installe comme système de référence un rapport entre coûts et avantages, autant du point de vue des États que des étudiants concernés.

5Ces derniers semblent surtout motivés par leur intérêt personnel : continuer leurs études et réussir une certaine promotion sociale (Terrier 2009). Ils peuvent aussi être poussés, dans leur famille, par les normes sociales dominantes valorisant l’expérience de la formation à l’étranger. Les arguments prédisposant une élite à partir concernent l’ouverture culturelle, la formation d’un individu mobile et autonome dans un esprit de “bonne volonté internationale” (Nogueira & Aguiar 2008) visant l’élévation sociale par les acquis d’une pratique au-delà des frontières. Dans les faits, cette mobilité dépend largement du type et du degré des attaches familiales (Gobe et al. 2013). Elle s’établit aussi au regard de l’exode des cerveaux (Maingari 2011), qui pèse parfois sur les étudiants dans le rapport de loyauté qu’ils entretiennent avec leur pays.

6La littérature scientifique (plus large que les sources citées) éclaire les grands déterminants sociaux de cette mobilité autour du développement du marché des formations, de la quête partagée d’un capital culturel et social, du rapport des étudiants à leur famille et leur pays d’origine. De façon plus resserrée, le propos est ici d’observer, au moment de la formation, comment les acteurs s’approprient ou non ces cadres de référence, quelles significations ils leur donnent pour justifier leur parcours et exister comme élèves ingénieurs dans les écoles françaises.

Une étude des logiques de sens servant à la construction d’un éthos

7Pour expliquer et justifier leurs parcours et leurs choix de vie, les étudiants interrogés doivent se situer par rapport à leur origine sociale, leur famille, le système éducatif où ils ont baigné, la profession d’ingénieur, les études techniques, leur départ pour l’étranger, le choix de la France, les contraintes économiques et sociales environnantes, leurs aspirations personnelles, etc. Les logiques de sens construites par chacun permettent autant de gérer en apparence des contradictions, des incertitudes, des obstacles, que de légitimer des stratégies et d’évaluer des opportunités.

8Lors des entretiens, les étudiants sont face à la nécessité de donner personnellement du sens à leur chemin de formation, de leur enfance à leur carrière future. Les questions portent sur leur parcours de vie (origine familiale, scolarité, etc.), sur la manière de voir les études en France (contenus de la formation, conditions offertes, etc.) et sur la carrière d’ingénieur (type de poste, projet de retour, etc.). Quarante-deux entretiens de type semi-directif ont été recueillis, de trente minutes à deux heures. S’il n’existe pas de statistiques officielles sur les populations d’élèves ingénieurs d’origine étrangère en France, des tendances sont manifestes dont la forte représentation de marocains et le faible nombre de femmes. Le panel des interrogés les reflète, il comprend : 25 élèves marocains, 14 Tunisiens, 3 Algériens, dont 13 femmes sur les 42. Il reflète aussi des types de formations d’ingénieurs : INSA de Lyon, Écoles centrales de Lille et de Marseille, Télécom Bretagne et ENSTA Bretagne. D’après les réponses fournies, les trois quarts des pères de ces étudiants sont cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure, contre la moitié des mères. Pour plus des deux tiers, leur famille a un niveau de vie “correct” et pour un cinquième “élevé”, l’origine modeste restant une exception. Ces jeunes Maghrébins sont pour la plupart pourvus d’un capital économique, social et culturel important et peuvent être héritiers d’une tradition familiale d’études à l’étranger (Gérard 2008). Selon leur pays d’origine, les établissements fréquentés, les conseils des parents ou des enseignants, leur goût pour les sciences et leur réussite, ils vivent des parcours et des expériences personnelles assez variés. Leur conception de leur carrière future l’est tout autant, selon le secteur industriel, le genre d’entreprise et de poste visés, le désir de retour ou non, des aspirations plus personnelles. L’approche de ces discours est ici de type herméneutique pour comprendre les logiques de sens que révèlent ceux des personnes interrogées. Il s’agit de percevoir des orientations intellectuelles et morales justifiant les choix de vie et les projets professionnels.

Une analyse des formes d’éthos discursif

9Parmi les référents dont dispose l’élève ingénieur pour parler de lui, de ses activités et de son parcours (par exemple la volonté de ses parents, son niveau en sciences, etc.), il en sélectionne certains qu’il active. En les instanciant dans son discours, il leur attribue une valeur, un rôle, positif ou négatif, de cause ou de conséquence, etc. Il construit ainsi un cadre de référence qui donne sens à son parcours et à ses choix. C’est une manière d’être dans le discours autant qu’une façon de construire le monde autour de soi.

10Cette étude s’appuie donc sur l’analyse de l’éthos discursif, tel qu’il se manifeste dans les entretiens d’enquête. Utilisée dans les sciences sociales aujourd’hui (Fusulier 2011, Jorro 2014), la notion d’éthos est ici abordée dans ses dimensions sociologique et linguistique (Amossy 2010). Elle permet d’observer dans les discours, la mobilisation de référents socioculturels et l’attitude intellectuelle et morale adoptée par rapport à eux. L’analyse dépasse la description des parcours de vie, qui risque “l’illusion biographique” (Bourdieu 1986, Clot 1989) par une reconstruction intentionnelle du récit. Elle éclaire la manière dont ces élèves ingénieurs se construisent un rôle, un personnage, une façon d’être, sur la base d’une analyse des faits de langue, marqueurs de cet éthos discursif.

11Le premier retenu est l’embrayage (Maingueneau 2009), c’est-à-dire la manière dont le locuteur instancie les différents thèmes évoqués, comment il les situe par rapport à ici et maintenant. Il s’agit des embrayeurs de la personne –pronoms “je”, “on”, “le nôtre” ; adjectifs possessifs “mon”, “leur” ; adverbes “personnellement”, mais aussi des embrayeurs temporels –adverbes “ici”, “tout de suite” ou expressions nominales “à cette époque”–, qui permettent de classer les éléments instanciés dans un passé, un présent et un futur. L’attention se porte en outre sur les modalités de l’énonciation surtout celles relevant d’une modalité évaluative –“j’aime”– ou volitive –“je veux”, “je peux”–, considérées comme des marques de la subjectivité. L’analyse des discours identifie la nature des référents mobilisés au regard de ces formes d’actualisation. Les énoncés ainsi sélectionnés sont regroupés et comparés, afin d’étudier comment les élèves ingénieurs représentent leurs temps de vie (passé avant l’école, temps de la formation, avenir professionnel) et sur quelles idées préconçues, quelles normes socioculturelles ils construisent le sens qu’ils donnent à leur parcours.

Les représentations des temps de vie

Le passé au Maghreb

12Un constat majeur de l’analyse est que le passé au Maghreb n’est presque jamais présenté comme le temps de choix personnels réfléchis, du mûrissement d’un projet professionnel, mais plutôt comme celui de l’indécision et de l’ignorance. Les interrogés laissent souvent entendre que les circonstances les ont amenés à suivre cette voie : “Je me suis rendu compte de ça deux ans avant le bac, j’ai commencé à me familiariser avec ça, mais sinon je voulais prépa mais ce n’était pas non plus une vocation” (étudiante tunisienne). Les deux expressions verbales “je me suis rendu compte” et “j’ai commencé à me familiariser”, embrayées à la première personne, laissent penser que les choix de formation reposent sur une prise de conscience personnelle (assez tardive) et une capacité à saisir une réalité extérieure et mal définie, représentée par le pronom déictique “ça”, à valeur péjorative. Il n’est pas fait mention d’aide extérieure ; l’interrogée semble avoir été livrée à elle-même. L’opposition entre l’expression “je voulais prépa” et le terme “vocation” suggère qu’il n’y a pas d’adhésion de fond au parcours de sélection et de formation, mais des réactions d’adaptation au système ou des jeux de circonstances présidant à l’orientation. Souvent, les interrogés donnent l’impression de ne pas disposer de clés de compréhension du système. Il est vrai que tant la formation des ingénieurs en France que les moyens d’y accéder sont difficiles à connaître, car les voies d’accès sont multiples (entrée après le bac sur dossier, concours après les classes préparatoires, admission sur dossier en deuxième ou troisième année du cycle ingénieur) et l’offre de formation est diversifiée –200 formations répertoriées en France. Les étudiants passés par la voie classique et bien tracée, les classes préparatoires, ne sont pas les mieux dotés sur ce point : “Moi, je trouve qu’en prépa, il y a un grand problème, c’est qu’ils ne t’apprennent pas à choisir ce que tu veux, tu sais que tu dois réussir à ton concours, que tu dois choisir la meilleure école possible, mais on ne sait pas les critères de la meilleure école” (étudiant tunisien). L’embrayeur de la personne (“moi, je trouve”) établit une distance et suggère une posture critique vis-à-vis de cette situation jugée défavorable. L’étudiant crée le flou autour de ceux qui dirigent le système, désignés par le pronom “ils” (on ne sait pas qui ils sont), par opposition au “tu” de généralité représentant les étudiants dans son cas. En Tunisie comme au Maroc existent depuis longtemps des classes préparatoires proches du système français, vues comme un accès facile aux écoles d’ingénieurs françaises (Mellakh 2011). Si, dans ces deux pays, le système éducatif est censé faciliter l’accès aux écoles françaises, les étudiants insistent sur la difficulté à maîtriser les règles du jeu, à connaître les codes de sélection et les enjeux des choix. En Algérie, les classes préparatoires ayant été créées en 2009, la maîtrise des codes semble encore plus ardue, ce qui peut expliquer le faible nombre d’élèves ingénieurs originaires de ce pays.

13La France apparaît souvent comme une destination naturelle pour les étudiants interrogés, sans que les causes en soient raisonnées : “Depuis que j’étais petite, j’ai toujours rêvé de venir en France, c’était un rêve, je ne sais pas pourquoi maintenant que je me pose la question, je ne sais même pas pourquoi.” Ici les embrayeurs de la personne montrent un décalage entre le passé de l’enfance présenté comme un rêve, qui a laissé place au doute, comme le suggèrent la formule répétée de façon insistante “je ne sais pas pourquoi” et le présent marqué par l’acquisition d’une conscience réflexive. Parfois, le système éducatif et la présence de dispositifs de coopération dédiés sont mis en avant, tantôt l’usage de la langue française explique que le choix de la France s’impose comme “naturel”, pour de jeunes étudiants désirant suivre des études d’ingénieur à l’étranger.

14Certains soulignent que la culture industrielle et la figure de l’ingénieur ne sont pas familières à leur pays d’origine (même si leur statut est prestigieux), ce qui induit ce déficit d’information : “Je pense qu’après le bac on ne sait pas vraiment ce que l’on veut, nous sommes très, très perdus, ce n’est pas comme ici où durant toute la scolarité on leur parle de ce que c’est qu’un ingénieur” (étudiant marocain). La généralisation du “je” en “on” puis en “nous”, la répétition de l’adverbe “très” sont des procédés d’insistance qui signalent le désarroi des bacheliers. A contrario la France (“ici”) est vue comme un pays où la culture de l’ingénieur est largement répandue dans l’enseignement secondaire (“toute la scolarité” étant d’ailleurs une exagération). Les étudiants montrent souvent un décalage entre les représentations dominantes partagées dans leur pays d’origine et la réalité des formations à l’international.

15Comme attendu pour un choix d’études assez élitaires (Gobe et al. 2013), les mécanismes de la reproduction familiale sont largement mis en avant pour expliquer l’orientation vers le métier d’ingénieur et son corollaire la venue en France : “En fait, mon frère est un ingénieur et mon père est un ingénieur, donc, il y a déjà deux ingénieurs dans la famille et surtout, c’est ce métier… je me sens bien.” Le mécanisme de la reproduction est ici souligné par les adverbes “en fait” et “déjà”, qui donnent comme une évidence partagée par le destinataire (et donc par tous ?) le fait de vouloir devenir ingénieur pour imiter père et frère.

Le présent en France

16L’arrivée en France est peu présentée comme un choix original et personnel. Pour autant, il existe une grande variété dans la manière de vivre le temps de la formation en France. Dans les discours, ce présent est dominé par la perception de différences et de ressemblances, d’oppositions entre le pays d’origine et la France, d’évaluation des avantages et des handicaps à gérer dans une sorte d’esprit de compétition généralisé. La confrontation au monde de la formation des ingénieurs en France pousse à développer un esprit critique, une conscience aiguisée des défis d’apprentissage. Un étudiant généralise et systématise ainsi les atouts et les manques à combler pour s’assurer à terme des compétences professionnelles attendues : “Le Marocain est très fort en maths et en physique, mais il est moins bon côté relations humaines, niveau contact humain, niveau management d’une équipe, etc. Il aura beaucoup de difficultés par rapport à un Français qui a fait quelques années. Ici, ce n’est pas que des connaissances, c’est aussi une manière de se comporter, c’est aussi une manière de réfléchir, c’est vraiment autre chose que ce que nous avons vu au Maroc.” L’opposition entre le “Marocain” et le “Français” n’est pas à comprendre comme des différences culturelles ontologiques, mais comme le résultat de systèmes de formation ayant évolué différemment. Le Maroc a conservé, notamment en classes préparatoires, des exigences élevées dans les savoirs scientifiques théoriques (mathématiques, physique), alors que l’évolution allait en France vers l’acquisition de savoir-faire méthodologiques de recherche, par exemple avec la mise en place des Travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE). La dimension coopérative du travail en équipe y est aussi plus valorisée dans l’enseignement supérieur. Ces différences de formation et de culture de professionnalisation sont donc très sensibles pour un étudiant-ingénieur qui s’y confronte quotidiennement et donc probablement exagérées dans son discours.

17Certains étudiants mentionnent une autre expérience de formation à l’étranger, hors de France. Deux profils se dessinent : les étudiants dont l’espace de mobilité se situe entre leur pays et la France et ceux pour lesquels la France n’est qu’une destination possible parmi d’autres, une sorte de tremplin pour l’internationalisation de leur parcours. Les élèves ingénieurs de cette seconde catégorie profitent volontiers des occasions de séjour dans un autre pays. Une étudiante a ainsi bénéficié des partenariats académiques de son école pour partir un temps en République tchèque, dans une formation en double diplôme : “Si on met dans le cadre que je suis tunisienne, la France c’est un peu différent, mais en général non. Surtout qu’en fait, c’est que, quand je suis partie en dehors de la France, j’ai vu que la France, ce n’était pas un pays étranger pour moi, en fait. Tout était à peu près la même chose.” La comparaison s’établit pour elle différemment, le pays tiers jouant le rôle de révélateur de la relation particulière entre la Tunisie et la France. La proposition qui embraye l’énoncé “si on met dans le cadre que je suis tunisienne” établit un implicite, la Tunisie et la France se ressemblent, idée développée ensuite par la présence des pronoms personnels de première personne et la répétition de l’adverbe “en fait”, insistant sur le ressenti personnel et intime de cette proximité de culture. Les écoles d’ingénieurs françaises accueillant beaucoup d’étudiants étrangers venus de leurs équivalents les plus grands et prestigieux dans le monde, la vie dans ces établissements conduit à une expérience interculturelle étendue, qui relativise les différences entre les pays du Maghreb et la France. Certains étudiants confessent pourtant qu’ils rencontrent passagèrement des difficultés d’acculturation et d’intégration, surtout au début de leur séjour, qu’ils se donnent toujours comme mission de surmonter.

18Dans les discours recueillis, ce temps de la formation en France est riche en termes de construction identitaire. À travers le regard de l’autre et ce qu’ils perçoivent des usages, des manières de penser et de faire, des normes sociales et des valeurs partagées, les élèves ingénieurs maghrébins apprennent à mieux savoir qui ils sont, ce qu’ils peuvent et veulent faire au-delà du diplôme d’ingénieur. Ainsi s’expliquent le flou caractérisant à rebours l’évocation du passé, le sentiment d’ignorance du système et d’une orientation subie.

L’avenir professionnel

19Les entretiens permettent de dégager une matrice de grand récit, que partagent la plupart de ces étudiants : le passé vécu comme une épreuve initiatique de sélection pour partir faire leurs études en France, grâce à leur réussite scolaire et malgré les arcanes du système éducatif et leur relative méconnaissance des formations et du métier d’ingénieur ; le présent donnant lieu à des ressentis et des formes d’éthos variables, mais unanimement représenté comme le temps de la lucidité, du développement d’une conscience réflexive ; le futur, envisagé en général comme des possibles offerts, des choix bien maîtrisés, mais diversifiés selon les individus.

20L’avenir imaginé est le fruit d’une intention de rationalisation de l’activité professionnelle et d’une organisation des temps de la vie : “J’aimerais bien travailler en France ou dans n’importe quel pays européen, c’est-à-dire dans une entreprise qui produit de l’énergie, tout ce qui est énergie verte, donc peut-être après retourner au Maroc, mais genre, vraiment, cinq ans d’expérience”. Cet énoncé illustre un projet raisonnable et maîtrisé, comme l’exprime le volitif prudemment au conditionnel (“j’aimerais bien”), autour de la détermination d’un secteur industriel porteur et développé au Maroc et le retour prévu. Le temps, assez lointain pour un étudiant, est conforme aux discours dominants sur la manière de mener une carrière d’ingénieur : se faire une première expérience technique de quelques années avant de rentrer, pour acquérir une légitimité professionnelle.

21Dans ce découpage du temps et de l’espace, le retour est souvent envisagé comme un horizon, pour satisfaire un devoir de loyauté : “Dans l’avenir proche, je me vois toujours à l’international, je ne vais pas dire où, en Inde ou ailleurs, mais je pense que dans dix ans je serai en Tunisie”. Les embrayeurs de première personne (“je”) montrent que cette étudiante veut afficher un éthos d’individu libre et indépendant dans ses choix. La modalité épistémique (“je me vois”, “je ne vais pas dire”, “je pense”) donne l’image d’une maîtrise raisonnée de soi et de son avenir. Le “je” de “je ne vais pas dire” embraye avec la situation d’énonciation de l’entretien, expression d’une liberté revendiquée, pour dire “je ne veux pas me prononcer, je veux conserver l’idée de ma liberté”. L’Inde donne une image exotique, synonyme de l’étendue des possibles et d’une grande autonomie. Le retour est vu de façon assez lointaine (“dix ans”) et sujet à caution, comme l’exprime le modalisateur “je pense que”.

22La comparaison des entretiens recueillis montre de manière édifiante que le rapport au retour est une affaire intime. Les aspirations personnelles président à la destinée, telle que racontée dans le discours, et non des déterminants externes politiques ou économiques. Cet étudiant marocain l’exprime, comme d’autres : “C’est d’autant plus dans mon type de personnalité, c’est que j’aime bien planifier, mais pas trop pour ne pas être déçu. Ce sont les grandes lignes, c’est assez tracé dans ma tête, mais je me dis qu’il se peut qu’il y ait des imprévus et ça peut changer mon projet professionnel”. Par l’usage répété des déictiques (“c’est”, “c’est que”, “ce sont”), cet élève ingénieur montre une grande maîtrise de lui-même et de sa situation, une conscience aiguë de ce qu’il est et des réalités du monde. Ces étudiants mettent souvent en scène leur conscience réflexive en décrivant leurs raisonnements sur leur condition et leur projet professionnel. S’exprime ainsi une posture assez individualiste qui consiste à se décrire soi comme bénéficiaire principal des efforts consentis : “Comme je vous l’ai dit, je cherche surtout l’épanouissement personnel. Je veux travailler dans quelque chose qui m’intéresse” (élève ingénieur marocain).

23Une intégration des normes dominantes sur la formation des cadres et leur carrière s’observe chez ces étudiants à travers les injonctions à l’autonomie, la construction d’un projet personnel, la gestion maîtrisée de la carrière. En fin d’études, ils affichent presque unanimement un éthos d’acteur rationnel, conscient de son parcours, maître de sa destinée et de ses choix de vie.

Les principaux topoï des discours des élèves ingénieurs sur leur projet professionnel

24La construction d’une image de soi repose sur la mobilisation, au sein des discours, d’idées toutes faites, de lieux communs, appelés topoï –idées préconçues, idées communes primitives– qui, mobilisés par le locuteur, font partie de la production de son éthos discursif (De Felipe 2002). Le topos se repère comme le lien entre un argument et une conséquence présentée comme naturelle, inévitable exprimée comme un avis, un jugement : avoir fait des études en français conduit à venir faire ses études en France. Ceux que les interrogés utilisent leur servent à se légitimer, à se donner une certaine image face à leur interlocuteur. Expliquer son choix de venir étudier en France et de construire tel ou tel projet professionnel par des topoï –volonté parentale, maîtrise du français, réussite dans les études scientifiques– révèle le réservoir idéologique où puisent les élèves ingénieurs maghrébins pour bâtir leur logique de sens. Parmi ces lieux communs, trois dominent qui peuvent se résumer ainsi : “partir à l’international est un moyen de s’émanciper” ; “l’acquisition d’un diplôme d’ingénieur est un avantage social” ; “penser à retourner plus tard dans le pays d’origine est un devoir de loyauté”.

L’international comme moyen de l’émancipation

25Les études en France sont plutôt perçues comme le moyen de tester sa capacité à évoluer à l’international, d’évaluer les possibilités offertes, d’en percevoir les avantages et d’apprendre les codes sociaux qui régissent cette mobilité. Que le discours soit sincère ou convenu, la mobilité internationale est synonyme de liberté et d’autonomie accrues. Il se peut que ces étudiants se persuadent du bien-fondé de leur choix, aient peine à avouer une erreur ou un mal-être, voire à contredire l’idéologie dominante. Celle-ci pousse à l’internationalisation des études et du modèle professionnel d’ingénieur, sous l’effet des marchés de l’enseignement supérieur et de l’emploi dans les entreprises industrielles ou techniques (Mazzela 2009, Elliott et al. 2011, Paradeise 2012). La plupart des étudiants s’exprimant sur le sujet manifestent une conviction évidente, à l’image de cette étudiante : “Moi, je trouve que j’ai évolué sur le plan personnel vu que le fait d’être en France, peut-être ce n’est pas spécifique à la France, le fait d’être à l’international, loin de chez soi, ça pousse à réfléchir sur soi-même, sur ce qu’on veut, sur sa vocation dans la vie”. L’étudiante généralise son expérience personnelle en France à celle des étudiants qui partent à l’étranger. L’émancipation évoquée est celle du sujet (“j’ai évolué sur le plan personnel”) et repose sur l’acquisition d’une plus grande conscience réflexive (“réfléchie sur soi-même”), gage d’autonomie.

26Dans un certain nombre de cas, il peut s’agir d’une volonté de s’affranchir d’un cadre familial, religieux ou politique, perçu comme trop contraignant : “ça fait presque cinq ans que je suis en France et on est habitué à une certaine mentalité, à une certaine ouverture d’esprit, qu’on n’a pas du tout au Maroc. Donc là-bas, c’est dur d’imaginer une femme qui a un bon poste, un bon travail, qui est indépendante, je ne sais pas” (étudiante marocaine). Les normes sociales et culturelles du pays d’origine apparaissent comme des entraves au projet professionnel, en raison de la place de la femme dans la société.

27Certains interrogés ont pleinement intégré le modèle de la mobilité internationale : “Je suis très intéressé par le domaine de recherche et développement et je pense que les pays où je peux vraiment faire ça, c’est en France, États-Unis ou Angleterre. Aux Pays-Bas, je ne sais pas trop après, il y a aussi le côté salaire aux Pays-Bas” (étudiant marocain). L’éthos manifesté ici est celui d’un acteur rationnel calculant ses possibilités de carrière et les avantages. Le choix du pays est subordonné au goût pour l’activité professionnelle et la préoccupation du salaire. Cet étudiant se donne à voir comme totalement affranchi de ses liens avec son pays, voire la France, et doté d’une grande liberté d’initiative. Mais dans presque tous les discours, les interrogés évoquent la possibilité d’un retour.

Le diplôme d’ingénieur comme un avantage social

28Un des résultats surprenants de l’enquête est que les élèves ingénieurs maghrébins n’expriment pas une forte attirance ou une vocation spécifique pour le métier d’ingénieur. Peut-être est-ce dû au fait, déjà souligné, que la profession d’ingénieur n’est pas bien connue, même si elle paraît prestigieuse. Les étudiants interrogés expliquent leur parcours par leur attirance pour les mathématiques et la physique. Souvent, ils hésitent entre médecin (très valorisé dans ces pays) et ingénieur, ce sont les circonstances qui décident. Dans la plupart des cas, le métier d’ingénieur s’offre comme le moyen d’assumer une vocation technique avec un statut avantageux. Le choix d’une spécialité n’est généralement pas le fait d’une attirance ancienne pour un métier (génie civil, construction navale, agronomie) mais se construit en fonction d’opportunités liées aux possibilités d’emploi, en France, à l’international et à terme dans le pays d’origine. De manière plus large, devenir ingénieur signifie accéder à une certaine élite sociale, acquérir de l’autonomie, être maître de son destin professionnel et personnel.

29C’est souvent chemin faisant que ces étudiants découvrent les opportunités : “Je me rends compte que ça ouvre vraiment, vraiment, beaucoup de portes. Déjà l’option que j’ai choisie me permet de travailler quasiment dans énormément de milieux et elle est liée beaucoup plus au milieu le plus connu, c’est l’automobile, l’aéronautique, parce qu’il y a vraiment beaucoup de mécanique, mais ce qui m’a plu aussi, c’est que par exemple, je peux revenir faire tout ce qui est du domaine de la médecine par exemple” (étudiant tunisien). Les embrayeurs (“je me rends compte”, “déjà”, “mais ce qui m’a plu aussi”, “je peux”) suggèrent non des choix calculés a priori mais une découverte progressive et une satisfaction grandissante au regard des possibilités offertes, y compris concilier l’attirance pour la médecine et le métier d’ingénieur, via l’ingénierie médicale.

30Cette alternative entre les études médicales et d’ingénieur, rarement évoquée dans les discours d’élèves ingénieurs français, est très présente dans ceux des Maghrébins : “Je pouvais faire médecine, mais ça fait treize ans d’études avec spécialité, donc je n’ai pas choisi ça du coup. Je trouve que bac + 5, ingénieur, tu passes moins de temps à l’école et pas beaucoup sur beaucoup de compétences et beaucoup plus de choix de métiers surtout. Et ce qui m’intéresse, c’est de travailler partout dans le monde, de voyager partout dans le monde. Ça, en étant ingénieur, c’est très faisable” (étudiant tunisien). Les embrayeurs (“je pouvais”, “donc je n’ai pas”, “je trouve”, etc.) donnent l’image d’un acteur rationnel maîtrisant ses choix, apte à évaluer les études en termes de coûts et d’avantages pour accéder à une position sociale dominante, synonyme d’un affranchissement, d’une liberté de mouvement illimitée.

31Le parcours d’études vers le diplôme d’ingénieur est aussi présenté comme un sacrifice nécessaire, un investissement personnellement coûteux, dont on attend un bénéfice professionnel important : “J’ai envie d’être indépendante, de réussir ce que j’ai entrepris. J’ai beaucoup travaillé, étudié pour arriver à faire une école d’ingénieurs, pour arriver à ce stade. Parce que ce n’est pas facile. J’ai fait des classes préparatoires, c’étaient deux années d’enfer. Au final, j’aimerais me récompenser moi-même, en ayant un poste qui soit important, des responsabilités, que je sois indépendante financièrement, voilà” (étudiante marocaine). Les avantages perçus ne se situent moins dans l’assouvissement de la passion pour un domaine technique que dans l’accès à la classe dirigeante, à une position sociale dominante qui affranchit de toute dépendance à autrui. Beaucoup d’interrogés conjuguent cette motivation sociale à leur goût pour les sciences.

Le retour comme un horizon de fidélité et de loyauté

32Dans les entretiens, la question de l’avenir liée à celle du possible retour au pays est spontanément abordée par les interrogés. Dans de très rares cas, c’est pour l’exclure, au moins dans l’immédiat, comme ces jeunes filles voulant s’affranchir d’un mariage préparé par les parents. Dans d’autres, il est souhaité et prévu à court terme. Mais le plus souvent, il est présenté comme un objectif second, après une première expérience à l’international. L’échéance parfois lointaine (cinq ou dix ans) laisse entendre qu’elle est plus ou moins réaliste. Constatant qu’il est difficile pour un étudiant de se projeter à cinq ou dix ans, une hypothèse est que ces élèves ingénieurs adoptent, consciemment ou non, un discours convenu répondant à des normes sociales sur la carrière d’ingénieur telle que présentée dans les écoles et les entreprises : commencer par des postes techniques bien cadrés puis évoluer plus librement vers d’autres perspectives, comme créer une entreprise. Ces normes intègrent la fidélité au pays d’origine, vu comme ayant un fort besoin d’essor économique et industriel, qui a permis à l’étudiant interrogé de suivre un parcours d’élite en France. Elles touchent aussi la loyauté à la famille, qui a fourni des efforts et s’est parfois sacrifiée pour favoriser l’ascension sociale des enfants.

33Cet étudiant algérien, après un parcours difficile en France, exprime ainsi sa fidélité : “Je pense que ça me rendrait fier d’avoir étudié ici et d’aller travailler en Algérie, sachant que j’ai beaucoup de difficultés à travailler en France, parce qu’en plus le cadre là-bas est vraiment intéressant. Aussi, participer au développement qui se déroule en Algérie, ça me plairait bien. Il y a toujours cette idée reçue de dire : oui, les élites algériennes elles doivent revenir, et la réponse est de dire, oui, mais facilitons d’abord les élites algériennes qui sont en Algérie, et après on verra pour les élites algériennes qui vivent à l’étranger. En fait, ce qui me plairait le plus, c’est de me spécialiser dans un domaine particulier et d’aller enseigner en Algérie”. Les embrayeurs du discours, les adverbes “aussi” et “en fait” montrent ici trois temps de réflexion : d’abord celui des ressentis (“ça me rendrait fier”), des contraintes (“j’ai beaucoup de difficultés”) et des avantages perçus (“vraiment intéressant”) ; ensuite celui de l’affirmation d’un engagement au service du pays (“participer au développement”) ; enfin celui du projet personnel (“aller enseigner en Algérie”). Cet étudiant s’inscrit dans le discours politique algérien dominant sur les élites, en s’identifiant spontanément à cette catégorie et en adhérant à un discours de promotion des élites sur place. L’intérêt personnel est lié à celui du pays. Cette manière de lier intérêts personnels et du pays s’exprime avec des contrastes dans les entretiens, qu’il s’agisse de la famille, du cadre de travail (volonté de créer son entreprise), voire de la spécialité technique, certains se spécialisant dans des métiers jugés utiles au développement (l’offshore ou l’informatique pour le Maroc).

34Cette citation illustre le devoir de fidélité à la famille : “Je pense que je me consacrerai à fond pour mon début de carrière. Après, on ne va pas toujours penser à la carrière, il y a un moment pour fonder une famille et tout. C’est pour ça que je dis, par exemple, dans dix ans, est-ce que ça va se calmer un peu, je ne serai pas aussi actif et ambitieux parce qu’après, il faut penser à sa famille, à sa stabilité. Après, ce sont nos enfants qui vont prendre le relais. Mes parents ont fait un effort incroyable pour passer d’une situation à une autre, d’une vie très modeste à une vie niveau moyen. Comparé au niveau de vie au Maroc, c’est à mon tour de préserver ce niveau, c’est le strict minimum, et pourquoi ne pas l’augmenter pour les prochaines générations”. Les exigences de la carrière sont présentées ici comme contraires à celles de la famille. La résolution de cette contradiction se fait dans la succession des temps de vie : d’abord la carrière, puis la famille et dix ans est une visée lointaine pour un étudiant ! À la perspective de mener sa carrière correspond l’emploi du pronom personnel “je”, à la celle de fonder une famille la troisième personne du pluriel (les enfants, les parents) et à des locutions verbales impersonnelles exprimant la modalité déontique : “il y a un moment pour”, “il faut”, “c’est à moi de”. Dans ce scénario de vie, l’étudiant se trouve comme rattrapé dans sa carrière par le devoir de fonder une famille. Le raccourci entre “nos enfants” et “mes parents” suggère que cette idée est d’abord une façon d’honorer et de perpétuer les efforts consentis par ses parents.

Conclusion

35L’analyse des discours des élèves ingénieurs maghrébins en France montre que la production d’éthos est loin d’être facile. Elle révèle les écueils rencontrés à concilier des aspirations personnelles, des contraintes et des devoirs qui les tirent souvent dans des sens différents. C’est probablement ce qui les amène à développer une conscience réflexive aiguë, pour bâtir des projets de vie susceptibles de résoudre ces tiraillements, tout en sachant interpréter le réel, évaluer les opportunités pour rendre ces projets réalisables. La production de formes d’éthos montre comment ils gèrent les formes de doxa qui pèsent sur les mobilités internationales. Ces étudiants déploient des discours à la fois rationnels et vraisemblables, conjuguant leurs intérêts propres, leurs aspirations, leur loyauté vis-à-vis de leur pays, mais aussi les conditions industrielles et économiques environnantes, les effets des politiques internationales sur leur avenir.

36Le résultat majeur de cette enquête est que l’éthos manifesté par ces étudiants est celui d’acteurs qui se veulent autonomes et rationnels, aptes à évaluer leurs atouts sur le marché de l’emploi à l’international, à calculer coûts et avantages des choix à opérer et à anticiper à court et moyen termes (entre cinq et dix ans) leur évolution de carrière. Ils manifestent une grande capacité à parler d’eux, à manifester une pensée sur eux et leur avenir. Ils intègrent donc à l’excès, au moins dans l’image qu’ils renvoient, l’idée que l’expérience internationale permet l’ouverture, l’acquisition d’une autonomie et une meilleure réalisation de soi. Mais cette étude souligne aussi que les formes d’éthos montrées divergent fortement selon les personnes selon la valeur qu’elles accordent aux différents cadres de référence dans lesquels elles baignent.

37En définitive, peu affichent l’éthos de l’ingénieur mondialisé (global engineer), en adoptant la rhétorique de l’internationalisation. Ceux-là se déclarent relativement détachés des liens familiaux, voyant leur formation en France comme un tremplin pour d’autres expériences. La plupart des étudiants interrogés manifestent au contraire une certaine dépendance vis-à-vis de leur pays, de leur famille ou d’intérêts plus personnels. Rester en France ou rentrer au pays relèvent de calculs de coût et d’avantages, faiblement de formes d’engagement et de fidélité à des principes. En ce sens, on peut retenir que ces étudiants ont pleinement intégré, dans l’éthos qu’ils manifestent, une forme de morale individualiste érigeant la réussite et l’épanouissement personnels comme objectifs premiers.

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Mise en ligne 22/12/2015

https://doi.org/10.3917/es.036.0191

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