Notes
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[1]
Ces quartiers sont définis pour des besoins statistiques (îlots regroupés pour l’information statistique) et regroupent environ 2 000 habitants.
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[2]
Par exemple, dans le cas de la ville de Paris, Fack et Grenet [2016] mettent en évidence que, même si les familles tiennent compte du niveau scolaire de l’établissement dans leur choix de lycée, elles expriment également, en général, une préférence pour des établissements proches de leur domicile.
-
[3]
L’adresse est celle utilisée par le collège pour contacter les parents (telle que disponible à la fin de l’année scolaire 2015-2016). Dans le cas de parents séparés, une seule adresse est disponible, qui correspond à la première adresse donnée par les parents. Cette adresse peut différer de l’adresse de résidence : l’utilisation de « boîte aux lettres », distincte de l’adresse réelle du domicile, comme stratégie de contournement de la carte scolaire a été documentée (voir par exemple Barrault-Stella [2017]), et peut conduire à sous-estimer l’évitement vers le public, même si l’adresse qui est utilisée ici est celle pendant la scolarisation au collège et non celle fournie aux rectorats à la fin de l’école primaire au moment de l’affectation.
-
[4]
Le nombre d’élèves qui sont dans un collège public autre que celui assigné par la carte scolaire n’est pas une mesure directe des dérogations acceptées, dans la mesure où il ne provient pas des données contenant les demandes de dérogations. À titre d’exemple, pour l’année 2003 et les quartiers de Paris, Gilotte et Girard [2005] ont constaté que 10 % des élèves (1 309) ont obtenu une dérogation pour s’inscrire dans un autre établissement public que celui qui leur avait été assigné (au 1er juillet). En début d’année scolaire, 1 362 élèves étaient inscrits dans un autre établissement public que celui correspondant théoriquement à leur lieu de résidence (au 15 octobre). Les légères différences peuvent s’expliquer en particulier par les déménagements en cours d’été.
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[5]
Ces deux catégories correspondent à 34 % des élèves vivant ou scolarisés dans la commune de Bordeaux et 30 % à Clermont-Ferrand. Pour Paris, cette proportion est seulement de 11 %, et la restriction à l’échelon communal est donc moins sujette aux biais. En revanche, il n’est pas possible pour cette même raison de faire des analyses au niveau des arrondissements parisiens pris isolément. Pour 29 % des élèves vivant ou scolarisés à Paris, l’arrondissement de résidence est différent de celui de leur collège.
-
[6]
Des collèges multisecteurs ont été introduits en 2017.
-
[7]
Respectivement 4 et 6 dans les villes-centres.
-
[8]
Profession du parent « de référence », qui par défaut est le père. La profession de la mère est prise en compte lorsqu’aucune information sur la profession du père n’est disponible.
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[9]
Ce résultat a déjà été documenté dans d’autres publications du ministère de l’Éducation nationale. Thaurel-Richard et Murat [2013] observent que le milieu socio-économique moyen des élèves qui fréquentent un autre collège public que celui de secteur est inférieur à la moyenne des élèves des collèges publics, mais cela est dû en partie au fait qu’ils incluent des élèves inscrits en SEGPA, qui proviennent pour la plupart de milieux défavorisés. Dans Chausseron [2001], ces élèves sont surreprésentés à la fois parmi les enfants dont les parents sont enseignants et parmi ceux dont les parents sont au chômage.
-
[10]
Il s’agit d’une version normalisée de l’indice d’information mutuelle, le mot « normalisé » faisant référence au dénominateur h(P) dans l’équation 1.
-
[11]
On a et où h(Public) est l’entropie pour les élèves du secteur public, pris dans leur ensemble, et πPublic est la proportion d’élèves dans le secteur public.
-
[12]
La contribution totale de l’enseignement privé est exactement équivalente au terme qui serait obtenu avec les techniques de simulation mentionnées précédemment. Il en va de même pour la contribution du choix du collège dans le secteur public.
-
[13]
Dans le cas théorique où les collèges privés seraient uniquement situés dans les quartiers aisés et scolariseraient les enfants des environs, la contribution de la segmentation public-privé locale serait proche de zéro.
-
[14]
Les indices de ségrégation diminuent lorsque les unités considérées sont moins nombreuses (school division property, voir par exemple Frankel et Volij [2011] et Givord et al. [2016a]), puisque les élèves provenant de différents secteurs sont regroupés dans un ensemble limité de collèges (comme dans l’exemple 1 de la figure 4).
-
[15]
On a et .
Introduction
1La ségrégation sociale à l’école est devenue un thème important du débat public français. On lui reproche de porter atteinte à la cohésion sociale. En outre, alors que les élèves défavorisés sur le plan socio-économique bénéficient généralement de moins de ressources sociales, culturelles et financières que leurs camarades plus favorisés pour réussir à l’école, la ségrégation scolaire peut encore creuser cet écart de réussite (OCDE [2019b]). Un degré élevé de ségrégation sociale entre établissements scolaires signifie que les élèves de milieux défavorisés risquent davantage d’être inscrits avec de nombreux camarades de classe en difficulté scolaire, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur leurs conditions d’apprentissage. En outre, les établissements qui concentrent les désavantages peinent souvent à attirer les enseignants les plus expérimentés et les plus qualifiés (Hanushek, Kain et Rivkin [2004] ; Sass et al. [2012]).
2Le degré de diversité sociale dans les écoles dépend fondamentalement de la manière dont les élèves sont affectés aux établissements, mais d’une façon complexe. La mixité sociale d’une école reflète au moins partiellement la composition sociale du secteur scolaire dans lequel elle se trouve. Dans de nombreux pays, la règle d’affectation des élèves aux écoles s’appuie sur l’adresse de leur domicile. Comme les familles à faibles revenus n’ont pas toujours les moyens financiers de résider à proximité des « meilleures » écoles, les élèves de milieu social défavorisé n’ont parfois accès qu’à des établissements peu performants. D’autre part, les possibilités de choix scolaire, qui donnent plus de liberté aux parents concernant la scolarisation de leurs enfants, peuvent également entraîner la polarisation des établissements selon le milieu social ou le niveau scolaire des élèves. C’est le cas lorsque seuls les parents les plus favorisés peuvent exercer ce choix entre écoles (par exemple, parce qu’ils sont en mesure de payer des frais supplémentaires ou des frais de transport, ou simplement parce qu’ils sont les mieux informés sur la performance des écoles). En outre, même si les possibilités de choix scolaires permettent à certains élèves d’accéder à une école plus favorisée socialement, elles peuvent détériorer la mixité sociale ou les conditions d’apprentissage dans les écoles moins attractives, notamment si les écoles les plus demandées sont capables de sélectionner les élèves les plus prometteurs. Lesquels de ces mécanismes influençant la ségrégation sociale entre collèges sont les plus influents ? Cette question n’a pas de réponse tranchée a priori.
3Cet article contribue à ce débat, en s’appuyant sur le cas français. Le système scolaire français fournit une illustration intéressante de l’impact du choix scolaire sur la ségrégation entre établissements, car il combine une affectation géographique assez stricte des élèves dans les collèges publics, avec l’existence d’établissements privés financés par l’État, qui ne sont pas soumis à la carte scolaire. En utilisant une approche d’équilibre partiel, les résultats empiriques de cet article donnent une mesure des contributions relatives de la ségrégation urbaine et du choix du collège sur la ségrégation scolaire pour trois zones urbaines françaises (Bordeaux, Clermont-Ferrand et Paris). En utilisant les limites précises des secteurs de recrutement scolaire mises à disposition pour ces trois villes, et les données administratives exhaustives sur les élèves inscrits au collège, il a été possible d’identifier, pour chaque élève, le collège public dans lequel il aurait dû être inscrit selon la règle d’affectation, et le collège qu’il fréquente effectivement. On peut comparer le degré de ségrégation scolaire qui serait observé si tous les élèves étaient inscrits dans le collège public de leur quartier, qui correspond à la ségrégation résidentielle, au degré réel de ségrégation sociale dans les collèges. La différence entre la ségrégation résidentielle et la ségrégation scolaire indique dans quelle mesure le choix des familles de ne pas fréquenter leur collège public de secteur aggrave ou, au contraire, atténue l’impact de la ségrégation résidentielle sur la ségrégation scolaire. En outre, la décomposition proposée permet de mesurer les deux principaux mécanismes opposés qui peuvent expliquer cette relation, appelés ici les effets de « réallocation » et d’« évitement ». Le premier effet est lié au fait que les élèves qui choisissent d’éviter leur collège de secteur peuvent ainsi côtoyer des camarades de classe plus diversifiés socialement qu’ils ne l’auraient été dans ce collège de secteur. Le second effet correspond au fait que les familles qui font ce choix sont généralement plus favorisées que celles qui ne le font pas, et que la mixité sociale dans les collèges évités peut ainsi se détériorer.
4Sur le plan méthodologique, cet article propose un nouvel outil pour décomposer les indices de ségrégation, en s’appuyant sur une mesure de la ségrégation couramment utilisée, l’indice d’entropie normalisé, version normalisée de l’indice d’information mutuelle. Cet indice fournit une mesure de l’homogénéité de la composition sociale entre entités (par exemple les collèges) et a la propriété d’être décomposable de manière additive (Frankel et Volij [2011]), ce qui signifie que l’on peut analyser la ségrégation à différents niveaux en agrégeant les entités en différents ensembles (par exemple, l’ensemble des collèges privés par rapport à l’ensemble des collèges publics).
5Cet article montre comment cette propriété de décomposition peut être exploitée dans un contexte où les individus (ici, les élèves) sont répartis entre deux ensembles d’entités distincts mais qui se chevauchent (ici, soit des écoles, soit des quartiers résidentiels). Cette décomposition bilatérale est utilisée pour quantifier les contributions relatives de la ségrégation résidentielle et des choix de contournement de la carte scolaire par les familles (vers des écoles publiques ou privées) à la ségrégation scolaire globale.
6Les résultats confirment que dans ces trois villes françaises, le niveau de ségrégation observé entre collèges reflète en grande partie le niveau de ségrégation urbaine, ce qui est cohérent avec le fait que le système d’affectation des élèves français est étroitement lié au lieu de résidence. Cependant, les possibilités de choix scolaire, et notamment l’inscription dans les collèges privés, contribuent à réduire encore la mixité sociale dans les collèges de ces trois villes.
7Selon les estimations, le fait que certains parents évitent le collège de secteur contribue pour 37 % à 49 % au niveau de ségrégation dans les collèges, selon la ville considérée. Ce résultat est, pour les trois villes étudiées, essentiellement déterminé par l’évitement vers l’enseignement privé. Les résultats montrent également que si la mixité sociale se détériore dans les collèges publics évités, la polarisation sociale entre collèges privés est également marginalement plus élevée (et dans le cas de Paris, significativement plus élevée) que celle observée au niveau local. Il faut néanmoins rester prudent, ces résultats ne pouvant pas être interprétés comme l’effet causal de la limitation – ou de l’augmentation – des politiques de choix scolaire, car celles-ci ont sans doute un impact sur les préférences résidentielles des ménages. Des réglementations plus strictes peuvent entraîner une aggravation de la ségrégation urbaine et, par conséquent, de la ségrégation scolaire. Cependant, ces estimations empiriques statiques fournissent des éléments descriptifs utiles pour informer sur la dynamique et les mécanismes de la ségrégation scolaire. Elles suggèrent notamment que dans le contexte actuel, les pratiques de contournement de la carte scolaire sont étroitement liées au milieu socio-économique et au lieu de résidence des familles, et sont un mécanisme déterminant de la ségrégation scolaire.
8La deuxième section passe en revue la littérature existante sur la ségrégation scolaire et le choix de l’école, tandis que la troisième section présente le système français d’affectation des élèves aux collèges et ses effets présumés sur la ségrégation entre collèges. La quatrième section propose une décomposition de la ségrégation sociale mesurée au niveau des collèges, entre une partie liée à la ségrégation urbaine associée aux secteurs scolaires, et une autre résultant des pratiques d’évitement du collège public local. Les résultats sont présentés dans la cinquième section, et la dernière section conclut.
Revue de la littérature : impact et causes de la ségrégation scolaire
9De nombreux travaux ont souligné les conséquences négatives de la ségrégation scolaire sur l’équité dans l’éducation. Dans tous les pays, les élèves de statut socio-économique défavorisé ont généralement des résultats scolaires inférieurs à ceux des élèves issus de familles plus favorisées, car ils disposent de moins de ressources sociales, culturelles et financières pour réussir à l’école. La fréquentation d’une école qui concentre de nombreux élèves issus de milieux défavorisés peut également être préjudiciable aux acquis scolaires. Par exemple, ces écoles peuvent avoir du mal à attirer les meilleurs enseignants, ont généralement un taux de rotation des enseignants plus élevé et la proportion d’enseignants remplaçants y est plus forte (Botton et Miletto [2018] ; Allen, Burgess et Mayo [2018] ; Goldhaber, Gross et Player [2011] ; Hanushek, Sarpa et Yilmaz [2011] ; OCDE [2018]) que dans les écoles plus favorisées. Cet effet peut être amplifié si le fait d’être inscrit dans un établissement où les résultats scolaires sont faibles a un impact négatif sur les performances (voir par exemple Sacerdote [2011] pour une revue de littérature sur les effets des pairs à l’école). La ségrégation sociale et scolaire peut donc accroître les inégalités d’éducation entre les élèves de milieux défavorisés et favorisés (Monso et al. [2019] ; OCDE [2019b]). En outre, si la composition de la classe a un impact différent sur les élèves en fonction de leurs aptitudes initiales (en d’autres termes, lorsque les effets des pairs sont non linéaires), la ségrégation scolaire peut finalement affecter la performance globale du système scolaire. Par exemple, cela peut être le cas si, comme le suggèrent des travaux empiriques récents (Lavy, Silva et Weinhardt [2012] ; Burke et Sass [2013] ; Mendolia, Paloyo et Walker [2018]), les élèves très performants bénéficient moins de la présence de camarades eux-mêmes très performants que les élèves peu performants ne pâtissent de la présence de camarades également en difficulté scolaire. Dans ce cas, l’effet agrégé de la ségrégation des élèves par niveau scolaire est négatif.
10Les possibilités laissées aux parents de choisir l’école de leur enfant améliorent-elles ou, au contraire, aggravent-elles la ségrégation sociale entre les écoles ? D’une part, l’affectation des écoles basée strictement sur les zones géographiques de recrutement signifie que la composition sociale d’une école reflétera directement la composition sociale de son quartier. D’autre part, avec une sectorisation stricte, la ségrégation en matière de logement peut être exacerbée car les familles tiennent compte de la réputation des écoles dans leurs choix de résidence (Epple et Romano [1998]). Les familles aisées peuvent plus facilement résider dans le voisinage des meilleures écoles, où les prix des logements sont en général plus élevés (voir Black [1999] et Fack et Grenet [2010]), alors que les familles de milieux défavorisés habitent plus souvent au voisinage d’écoles peu performantes. Les politiques favorisant un choix de l’école par les familles peuvent en théorie donner à tous les élèves accès aux écoles les plus prestigieuses. Cependant, la plupart des études existantes suggèrent qu’elles tendent à détériorer plutôt qu’à améliorer la mixité sociale dans les écoles (Musset [2012]). Par exemple, Söderström et Uusitalo [2010] observent que la réforme à grande échelle qui a eu lieu en Suède en 2000 a conduit à une augmentation de la ségrégation sociale et ethnique entre écoles. Pour la France, Fack et Grenet [2012] montrent que la politique de choix scolaire mise en œuvre en 2007 dans le but d’« assouplir » la carte scolaire a donné des résultats mitigés en matière de ségrégation sociale entre les collèges, malgré la priorité accordée aux élèves issus de familles à faibles revenus. Les élèves de ces familles restent en général scolarisés dans les collèges qui leur ont été assignés par la carte scolaire, alors que la politique a augmenté le contournement de certains collèges situés dans les zones défavorisées et donc la concentration des élèves de milieux défavorisés dans ces collèges.
11De nombreux travaux expliquent également pourquoi les politiques de choix scolaires non encadrées ont peu de chances de réduire la ségrégation scolaire. Les parents les plus enclins à utiliser les possibilités de choix scolaires sont souvent issus des classes supérieures ou moyennes. En France, cette caractéristique est très marquée pour les parents qui choisissent des écoles privées (voir par exemple Thaurel-Richard et Murat [2013] en utilisant le panel des élèves entrés au collège en 2007). De plus, les préférences de ces familles sont souvent plus orientées vers les établissements dont les résultats scolaires sont les plus élevés (voir Fack et Grenet [2016] pour une analyse des lycées parisiens). Les familles les plus aisées peuvent également avoir un accès plus facile aux informations concernant la qualité de l’enseignement que les autres familles, et sont en mesure de payer les frais supplémentaires (par exemple, les frais de scolarité pour l’école privée ou les frais de déplacement) impliqués par le choix de ne pas fréquenter l’établissement public de secteur. Enfin, comme les écoles les plus demandées sont souvent surchargées et ne peuvent pas accepter tous les candidats, elles peuvent être tentées de sélectionner les élèves les plus prometteurs. Ces pratiques de sélection des meilleurs élèves sont le moyen le plus simple de maintenir leur bonne réputation (voir par exemple OCDE [2019a]).
12En raison des possibilités de choix de l’établissement scolaire, on constate généralement que la ségrégation scolaire est plus importante que la ségrégation résidentielle. Cela a été observé en Allemagne (Riedel et al. [2010]), au Royaume-Uni (Allen [2007] ; Johnston et al. [2006]) et au Danemark (Rangvid [2007]). En particulier dans les pays où les enfants sont assignés aux écoles publiques par le biais de secteurs de recrutement, le niveau de ségrégation scolaire est plus élevé que le niveau de ségrégation résidentielle entre les secteurs scolaires, qui est le niveau théorique de ségrégation dans le cas où chaque enfant irait dans l’école qui lui est assignée.
13Plusieurs études françaises ont décrit la ségrégation entre les collèges. Le niveau global de ségrégation est généralement plus élevé dans les grandes villes (voir par exemple Givord et al. [2016a] et Courtioux et Maury [2020]) en raison d’un niveau de ségrégation résidentielle plus élevé et de possibilités de choix scolaires plus étendues. En outre, les différences de statut social entre les familles qui choisissent le secteur privé et le secteur public sont importantes, et cette caractéristique contribue fortement à la ségrégation, en particulier lorsque cette dernière est mesurée à l’échelle locale, c’est-à-dire d’une ville (Ly et Riegert [2016]). Cependant, à notre connaissance, seules quelques études françaises ont tenté de relier la ségrégation scolaire à la ségrégation résidentielle. Oberti et Savina [2019] ont calculé le niveau de ségrégation résidentielle pour Paris et les départements environnants. Ils s’appuient sur la répartition de la population résidente entre des quartiers de petite taille [1]. À titre d’exemple, l’indice de ségrégation entre quartiers, calculé sur la proportion d’ouvriers, atteint un niveau égal à 70 % de l’indice de ségrégation entre collèges, calculé sur la proportion d’enfants de parents ouvriers.
14D’autres études s’appuient sur les secteurs scolaires réels, qui permettent aux chercheurs de mesurer l’effet du contournement du collège public local. Pour les quartiers de Paris, et les élèves entrés en sixième en 2001, François [2002] constate un degré de ségrégation scolaire supérieur à la ségrégation urbaine, cet écart étant principalement dû au choix des collèges privés. Cependant, l’augmentation globale du niveau de ségrégation liée au contournement de la carte scolaire est modéré. Plus récemment, Grenet et Souidi [2018] constatent que près de la moitié de la ségrégation observée dans les collèges parisiens en 2017 peut être attribuée aux différences de composition sociale des secteurs de collèges publics. L’autre moitié de la ségrégation est presque entièrement due au choix du secteur privé.
15Enfin, dans une étude sur la ville de Clermont-Ferrand et ses environs, Cadoret [2017] constate que la moitié de la ségrégation sociale des collèges en 2015 peut être attribuée à la ségrégation entre secteurs scolaires. L’autre moitié peut être attribuée au contournement de la carte scolaire, et surtout au choix du secteur privé. Les élèves qui suivent une filière spécifique (comme une section linguistique ou sportive), ou destinée aux élèves à besoins éducatifs particuliers (grandes difficultés scolaires, handicap), ne contribuent que marginalement à la ségrégation globale.
16La plupart des études françaises sont donc conformes aux recherches internationales, car elles constatent un niveau de ségrégation scolaire bien plus élevé que la ségrégation résidentielle. Dans les études qui comparent la ségrégation résidentielle et la ségrégation scolaire sur la base de secteurs scolaires réels, la décomposition découle d’un exercice de simulation. À partir d’un scénario théorique initial dans lequel tous les élèves sont dans le collège public qui leur est assigné (le niveau de ségrégation y est donc égal à la ségrégation entre secteurs scolaires), le comportement effectif de chaque type d’élève est pris en compte à chaque étape (par exemple, les élèves qui vont dans une école privée). L’augmentation de la ségrégation pouvant être attribuée à ce type de contournement est ainsi calculée. Les études françaises précitées soulignent que le secteur privé joue un rôle essentiel dans l’effet global associé au contournement de la carte scolaire, et que le choix au sein des écoles publiques n’a qu’un rôle marginal.
17Cependant, la décomposition proposée dans cet article permet d’aller plus loin en mesurant l’impact du « choix sélectif » fait par les parents en faveur de certaines écoles sur la mixité sociale des autres écoles. Cela signifie que les familles qui exercent ce choix sont généralement les plus aisées et réduisent ainsi la mixité sociale dans les écoles les moins demandées. Enfin, cette méthodologie permet de séparer ces effets d’évitement des effets de « réallocation ». Ces derniers signifient que les élèves qui vont dans une autre école que celle de leur secteur de recrutement peuvent contribuer à accroître la mixité sociale dans les écoles où ils s’inscrivent.
L’affectation des élèves dans les collèges en France
18En France, l’affectation des élèves aux collèges publics est principalement basée sur le lieu de résidence. Tous les élèves se voient généralement attribuer un unique collège public, défini suivant la carte scolaire. La sectorisation des collèges est illustrée sur la figure 1, qui présente le plan détaillé d’une partie de ville, avec ses collèges publics et les limites de leurs secteurs de recrutement. La carte scolaire des collèges est définie par les autorités locales (conseil départemental). Les collèges sont souvent situés vers le centre de leur secteur de recrutement. Cependant, pour une partie des familles, le collège attribué n’est pas celui le plus proche de leur domicile, notamment dans les zones denses.
Exemple de carte scolaire dans une zone urbaine
Exemple de carte scolaire dans une zone urbaine
Lecture : Les lignes grises épaisses correspondent aux limites de la carte scolaire, chaque collège public correspondant étant indiqué par un rond gris et les collèges privés par un carré noir (un secteur peut contenir plusieurs collèges privés ou aucun).19Les familles qui ne sont pas satisfaites du collège public correspondant à leur domicile peuvent demander une dérogation pour inscrire leur enfant dans un autre collège public. Depuis 2007, les possibilités de dérogation ont été élargies et les motifs des parents sont traités selon des degrés de priorité, le plus élevé étant accordé aux enfants handicapés ou ayant des besoins médicaux particuliers. Les élèves boursiers (c’est-à-dire issus de familles à faibles revenus) bénéficient également d’un degré de priorité parmi les plus forts. En revanche, les demandes de sections spécifiques, comme l’apprentissage d’une langue rare, sont peu prioritaires. Cependant, Merle [2011] a observé qu’en pratique, ce type de motifs peut représenter une part assez importante des dérogations acceptées, et même la majorité à Paris.
20En outre, la règle de sectorisation n’est pas appliquée si l’élève est affecté à des sections pour élèves à besoins éducatifs particuliers, à la fin de l’école primaire. Ces filières sont principalement destinées aux enfants ayant des difficultés d’apprentissage importantes, mais ne sont proposées que dans certains collèges. Elles représentaient 3 % des enfants entrés au collège en 2007, dont la moitié n’étaient pas dans le collège correspondant à leur secteur de recrutement. Globalement, selon les dernières données disponibles, en moyenne 11 % des enfants français entrés au collège en 2007 étaient inscrits dans un établissement public distinct de celui attribué par la carte scolaire (Thaurel-Richard et Murat [2013]).
21Les possibilités de choix scolaires pour les familles sont également permises par le biais d’établissements privés subventionnés par l’État et les collectivités locales (établissements privés sous contrat). En 2015, 22 % des élèves français entrant au collège sont scolarisés dans un établissement privé, un chiffre qui est resté stable depuis les années 1980. Les collèges privés bénéficiant d’un financement public sont majoritaires, et représentent 92 % des collèges privés et 99 % des élèves inscrits dans le privé en 2015. Les collèges privés sous contrat d’association doivent se conformer aux mêmes normes que les collèges publics en ce qui concerne les programmes scolaires et les conditions de diplôme de leurs enseignants. Toutefois, les collèges privés ont plus d’autonomie pour gérer les ressources et recruter des enseignants, et leur financement s’appuie en partie sur les frais de scolarité demandés aux familles. Selon le Secrétariat général de l’enseignement catholique [2019], dans les collèges catholiques privés (qui scolarisent environ 95 % des élèves des collèges privés sous contrat), les frais de scolarité moyens s’élèvent à environ 800 euros par an. Le montant de ces frais varie considérablement en fonction de la réputation et de l’emplacement des collèges privés.
22Les collèges privés ne sont pas soumis à la sectorisation et peuvent fixer leurs propres critères d’admission des élèves. La sélection se fait généralement sur la base d’entretiens visant à évaluer la motivation des élèves et tient compte de leurs résultats scolaires antérieurs. L’ensemble du processus apparaît sélectif, et peut même être discriminatoire. Comme l’ont montré par exemple Brodaty, du Parquet et Petit [2014] en utilisant des tests de discrimination (envoi de lettres fictives pour demander l’admission dans des écoles privées), les familles dont le nom suggère une origine étrangère sont moins susceptibles de recevoir des réponses positives que les autres familles faisant une demande similaire.
23Enfin, pour des raisons historiques, la plupart des collèges ou lycées privés français sont situés à proximité des quartiers les plus favorisés (voir Givord et al. [2016b] pour une analyse sur les agglomérations de Marseille et de Paris, et Champion et Tabard [1996]), plutôt dans les centres-villes, comme l’illustre la figure 1 (les collèges privés sont représentés par des carrés noirs, et le centre-ville plus dense se trouve en haut à droite de la carte). Comme de nombreux parents peuvent être réticents à envoyer leurs enfants dans un collège situé très loin de leur domicile (ce qui impliquerait un long temps de trajet) [2], il se pourrait que le choix d’un collège privé parmi les familles de milieux favorisés résulte, en partie, du fait que ces familles vivent plus près de ces écoles. En 2015, 20 % des élèves fréquentant un collège privé étaient issus de familles de milieux défavorisés (parents ouvriers ou inactifs) : cette proportion est plus de deux fois plus faible que celle observée dans les collèges publics (43 %).
Décomposition des indices de ségrégation scolaire
Données et mesures de l’origine sociale
24L’analyse présentée dans ce document repose sur une source administrative exhaustive, la base de données Scolarité, qui fournit des informations sur les élèves des collèges et des lycées, y compris leur adresse résidentielle géolocalisée [3], pour l’année 2015. Cette base de données est combinée avec les limites précises de la carte scolaire pour l’affectation dans les collèges publics, obtenues auprès des administrations françaises concernées, relatives aux trois villes de Bordeaux, Clermont-Ferrand et Paris. Le ministère de l’Éducation nationale ne collecte pas les données sur la carte scolaire de façon centralisée. Pour les trois villes étudiées ici, il a été possible d’obtenir, de manière directe, les contours de la carte scolaire, sous une forme numérique exploitable à des fins statistiques. L’utilisation de l’adresse de résidence et des informations sur le secteur scolaire permet d’identifier, pour chaque élève, le collège public auquel il devrait être affecté d’après la carte scolaire, et si ce collège correspond à l’établissement où il est effectivement inscrit [4].
25Dans ce qui suit, l’échantillon est limité aux élèves entrant en sixième au collège pour la première fois. Les élèves inscrits en section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) sont cependant exclus de l’échantillon. L’inscription dans cette filière, proposée dans un nombre limité d’établissements, ne peut pas être considérée comme un choix des parents pour contourner la carte scolaire. Le fait de les prendre en compte peut affecter les résultats, compte tenu du profil particulier à la fois de ces élèves, en général issus d’un milieu social plutôt défavorisé, et des établissements qui les proposent, presque exclusivement publics.
26Pour Bordeaux et Clermont-Ferrand, l’analyse est faite à l’échelle de leurs agglomérations (« Bordeaux Métropole » et « Clermont Auvergne Métropole » définies par les « intercommunalités », les établissements publics de coopération intercommunale français, EPCI). Ce choix est dicté par le fait que la méthode de décomposition demande que les élèves résident et soient localisés dans la même zone géographique. Dans le cas des secteurs scolaires de Bordeaux et de Clermont-Ferrand, se restreindre à l’échelle communale conduirait à exclure de l’échantillon de nombreux élèves qui soit résident dans la commune mais sont scolarisés ailleurs, soit au contraire sont inscrits dans un collège de la commune mais vivent ailleurs [5]. En raison de la disponibilité des données, l’analyse du secteur privé est limitée aux collèges privés sous contrat, qui représentent de 97 à 100 % des élèves du secteur privé parmi les élèves qui vivent et sont scolarisés dans les trois villes étudiées ici.
27Ces trois villes présentent des contextes urbains très différents, notamment du point de vue de la densité de population et de la composition sociale. Paris (intra-muros) est de loin la ville la plus densément peuplée (cf. tableau 1). Selon l’Insee, en 2016, avec une population de 2,2 millions d’habitants, Paris est quinze fois plus dense que l’agglomération bordelaise et vingt fois plus dense que celle de Clermont-Ferrand. Si les habitants de Paris sont globalement plus riches que ceux des deux autres agglomérations considérées (le revenu disponible médian par unité de consommation en 2016 est supérieur à 26 000 euros, alors que cet indicateur est inférieur d’au moins 5 000 euros dans les métropoles de Bordeaux et Clermont-Ferrand), les inégalités de revenus sont également plus importantes à Paris. Le ratio interdéciles du revenu disponible était de 6,3 à Paris en 2016, alors qu’il était d’environ 3,6 à Clermont Auvergne Métropole et de 3,5 à Bordeaux Métropole.
Description des trois zones urbaines (2016)
Nombre d’habitants | Densité de population (hab. par km2) | Revenu médian* | Rapport interdécile de revenu** | |
---|---|---|---|---|
Bordeaux Métropole | 783 081 | 1 354,2 | 21 693 | 3,5 |
Clermont Auvergne Métropole | 288 435 | 959,4 | 21 270 | 3,6 |
Paris | 2 190 327 | 20 781,1 | 26 808 | 6,3 |
Description des trois zones urbaines (2016)
* Revenu disponible médian par unité de consommation en euros.** Rapport interdécile de revenu disponible.
28Cette plus grande densité de population à Paris va de pair avec un nombre plus élevé de collèges, qui sont également plus concentrés géographiquement (cf. tableau 2). Cent soixante-treize collèges étaient situés dans la ville même de Paris en 2015. Parmi ceux-là, 113 établissements étaient publics, ce qui correspond également au nombre de secteurs scolaires [6] et 60 collèges étaient privés. En moyenne, il y avait 16 écoles tous les dix kilomètres carrés, contre 1 à Clermont-Ferrand et à Bordeaux [7].
Nombre et densité des collèges dans les trois zones urbaines
Collèges | Publics (secteurs scolaires) | Privés | Densité (de collèges par 10 km²) | |
---|---|---|---|---|
Bordeaux Métropole | 63 | 49 | 14 | 1,1 |
Clermont Auvergne Métropole | 26 | 17 | 9 | 0,9 |
Paris | 173 | 113 | 60 | 16,4 |
Nombre et densité des collèges dans les trois zones urbaines
29Une plus grande densité urbaine et un niveau plus élevé de disparités économiques peuvent exacerber le niveau de ségrégation résidentielle par le biais des mécanismes du marché du logement (Charlot, Hilal et Schmitt [2009]). D’autre part, cela peut faciliter le contournement des collèges de secteur, car il existe souvent plus d’établissements à proximité.
30Du fait de l’écart en nombre d’habitants entre Paris et les deux agglomérations urbaines considérées, les élèves parisiens représentent près des deux tiers de l’échantillon. À Paris, environ 19 000 élèves étaient inscrits pour la première fois dans un collège en 2015 (cf. tableau 3), tandis que l’échantillon comprend environ 8 000 élèves à Bordeaux Métropole et moins de 3 000 à Clermont Auvergne Métropole. Dans les trois zones urbaines, un peu plus d’un élève sur dix a choisi un autre collège public que celui qui lui a été assigné par la carte scolaire. Cependant, alors qu’à Bordeaux Métropole et Clermont Auvergne Métropole, respectivement 21 % et 23 % des élèves sont inscrits dans un collège privé, c’est le cas de près d’un élève sur trois à Paris. Dans la suite, le premier groupe d’élèves est désigné par le terme « movers » vers un collège public (Mpu) et le second groupe « movers » vers un collège privé (Mpr), tandis que les élèves qui sont inscrits dans le collège affecté par la carte scolaire sont désignés par le terme « stayers » (S).
Proportions de « stayers » et « movers »
Nombre d’élèves | Proportion | |||
---|---|---|---|---|
Movers (secteur privé) | Movers (secteur public) | Stayers | ||
Bordeaux Métropole | 7 927 | 21 % | 11 % | 68 % |
Clermont Auvergne Métropole | 2 903 | 23 % | 12 % | 65 % |
Paris | 18 850 | 30 % | 12 % | 58 % |
Proportions de « stayers » et « movers »
Lecture : Dans la métropole de Bordeaux, 7 927 élèves sont entrés pour la première fois en sixième en 2015. 68 % d’entre eux étaient dans le collège public de secteur correspondant à la carte scolaire, 11 % dans un autre collège public, 21 % dans un collège privé.31Le milieu social des élèves est connu à un niveau fin, à travers la profession des deux parents, en utilisant la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS). Bien que cette nomenclature soit directement disponible sous une forme détaillée (32 catégories), son utilisation peut conduire à des niveaux élevés de ségrégation de manière purement mécanique (certaines catégories pouvant être totalement absentes de certains collèges). Nous nous appuyons donc principalement sur une classification en quatre catégories des professions parentales [8] : « Très favorisées » (y compris les cadres, enseignants et professions libérales), « Favorisées » (y compris contremaîtres, techniciens), « Moyennes » (y compris les employés) et « Défavorisées » (ouvriers, inactifs). Cette classification est spécifiquement utilisée par le ministère de l’Éducation nationale pour étudier les questions éducatives.
32Le tableau 4 présente la composition sociale des élèves dans chaque zone urbaine, en fonction de leur choix au regard de la carte scolaire (Mpr/Mpu/S). Bien que la composition sociale au niveau agrégé diffère entre les trois zones urbaines (Paris comptant 50 % d’élèves de milieu social « très favorisé », Bordeaux 36 % et Clermont-Ferrand 29 %), les constats généraux sur l’origine des élèves qui contournent la carte scolaire pour le privé ou le public sont similaires. Dans les trois zones urbaines étudiées, les élèves de milieu social très favorisé sont surreprésentés dans les collèges privés, tandis que les élèves de milieu défavorisé sont sous-représentés. À Paris, près des trois quarts des élèves des collèges privés sont d’origine sociale très favorisée (contre un sur deux parmi les élèves parisiens), tandis que moins d’un sur vingt est d’origine sociale défavorisée (contre un sur cinq parmi les élèves parisiens). À Bordeaux, 10 % des élèves scolarisés dans le privé sont d’origine défavorisée (contre 27 % des élèves de cette zone) et à Clermont-Ferrand cette proportion s’élève à 16 % (contre 33 % des élèves de cette zone), et les élèves d’origine très favorisée sont également surreprésentés dans le secteur privé. Dans les trois zones urbaines étudiées, les proportions d’élèves d’origine favorisée et intermédiaire dans les collèges privés sont proches de celles observées dans l’ensemble de l’aire.
Milieu social des élèves qui contournent la carte scolaire (movers) et de ceux qui sont inscrits dans le collège public de secteur (stayers)
Bordeaux | Movers (secteur privé) | Movers (secteur public) | Stayers | Ensemble |
Très favorisé | 57 % | 27 % | 31 % | 36 % |
Favorisé | 11 % | 13 % | 13 % | 13 % |
Moyen | 22 % | 29 % | 26 % | 25 % |
Défavorisé | 10 % | 32 % | 31 % | 27 % |
Clermont-Ferrand | Movers (secteur privé) | Movers (secteur public) | Stayers | Ensemble |
Très favorisé | 41 % | 24 % | 26 % | 29 % |
Favorisé | 15 % | 09 % | 13 % | 13 % |
Moyen | 28 % | 24 % | 24 % | 25 % |
Défavorisé | 16 % | 43 % | 37 % | 33 % |
Paris | Movers (secteur privé) | Movers (secteur public) | Stayers | Ensemble |
Très favorisé | 73 % | 39 % | 40 % | 50 % |
Favorisé | 07 % | 08 % | 08 % | 08 % |
Moyen | 16 % | 27 % | 26 % | 23 % |
Défavorisé | 04 % | 26 % | 26 % | 19 % |
Milieu social des élèves qui contournent la carte scolaire (movers) et de ceux qui sont inscrits dans le collège public de secteur (stayers)
Lecture : Dans la métropole de Bordeaux, parmi les élèves qui sont entrés en sixième en 2015, 36 % étaient issus d’un milieu social très favorisé. Parmi les élèves qui étaient inscrits dans un collège privé, ce pourcentage était de 57 %.33L’origine sociale des élèves qui évitent leur collège de secteur pour un autre collège public est en moyenne similaire à celle des élèves qui fréquentent le collège qui leur a été assigné, voire légèrement plus défavorisée à Clermont-Ferrand. Dans cette ville, 43 % des élèves qui fréquentent un autre collège public que celui de secteur sont issus d’un milieu social défavorisé, alors que ce n’est le cas que de 33 % des élèves de la métropole et 37 % des élèves qui sont inscrits dans le collège de secteur [9].
Décomposer la ségrégation sociale entre collèges
34La ségrégation sociale entre les collèges est mesurée à l’aide de l’indice d’entropie normalisé H (Reardon et Firebaugh [2002]). Cet indice a notamment la propriété de pouvoir être étendu à une version multigroupe (comme celle utilisée ici, puisque quatre groupes sociaux sont considérés) et d’être facilement décomposable lorsque l’on considère conjointement plusieurs types d’établissement, comme par exemple les collèges publics et privés (pour une discussion détaillée, voir par exemple Frankel et Volij [2011] ou dans le contexte français, Givord et al. [2016a]). Formellement, lorsque l’on considère une population d’élèves qui peut être décrite par quatre groupes sociaux, et qui sont inscrits dans des collèges k = 1, …, K, l’indice d’entropie normalisé est défini comme suit :
36où P = (q1, q2, q3, q4) sont les proportions des quatre groupes sociaux dans l’ensemble de la population, pk = (qk1, qk2, qk3, qk4) sont les proportions des quatre groupes dans le collège k. L’entropie est définie comme : et πk est la proportion d’élèves qui fréquentent le collège k. L’entropie peut être considérée comme une mesure de la diversité respectivement dans la population et dans le collège. L’indice d’entropie normalisé mesure à quel point les groupes sont uniformément répartis entre les collèges (voir Massey et Denton [1988] pour une classification des différentes dimensions de la ségrégation), ou encore si la diversité sociale observée au sein de l’ensemble de la population est plus ou moins reproduite dans les collèges. L’indice d’entropie normalisé va de 0 à 1 [10]. Une valeur plus élevée est attendue lorsque la diversité sociale dans les collèges diverge de celle mesurée au niveau de la population. Une valeur de 1 de l’indice d’entropie normalisé correspond à une situation hypothétique où les élèves sont systématiquement séparés dans des collèges distincts en fonction de leur groupe social. Cela peut se produire, par exemple, lorsque certains établissements ne scolarisent que des élèves de milieu défavorisé, tandis que d’autres ne scolarisent que des élèves d’origine favorisée. Une valeur nulle de l’indice correspond à une situation où, au contraire, la diversité sociale dans chaque collège reflète parfaitement la diversité sociale telle qu’elle est observée dans l’ensemble de la population.
37L’indice d’entropie normalisé vérifie une propriété de décomposition additive. Cette propriété signifie que si l’ensemble des collèges est divisé en deux sous-ensembles (par exemple, les collèges privés et les collèges publics), l’indice de ségrégation calculé sur l’ensemble des collèges peut être décomposé de manière additive en une composante correspondant aux deux sous-ensembles (correspondant à la ségrégation entre collèges publics et privés), et deux composantes qui mesurent le niveau de ségrégation scolaire au sein de chacun de ces sous-ensembles (i.e. la ségrégation parmi les collèges publics d’une part, et la ségrégation sociale parmi les collèges privés de l’autre). Formellement, la propriété de décomposition additive s’écrit :
39où HPublic (respectivement HPrivate) est l’indice d’entropie normalisé mesurant le niveau de ségrégation parmi les collèges publics (respectivement privés) avec les λ un ensemble de pondérations (dépendant en particulier de la taille du secteur) [11]. Enfin, HPublicvsPrivate est l’indice de ségrégation comparant la composition sociale de l’ensemble des élèves du secteur public avec celle de l’ensemble des élèves du secteur privé. La décomposition est présentée dans le tableau 5. Quelle que soit la zone urbaine considérée, la plus grande contribution à la ségrégation scolaire totale est due au secteur public (ce qui s’explique en partie par le fait que ce secteur comprend la plus grande partie des élèves). Cependant, cette part est plus petite pour Paris que dans les deux métropoles : elle représente 46 % de la ségrégation scolaire totale entre collèges à Paris, 56 % à Bordeaux et 64 % à Clermont-Ferrand. La contribution de la segmentation entre enseignement public et privé s’échelonne de 20 % dans la métropole de Clermont-Ferrand à 33 % à Paris. La contribution de la segmentation sociale parmi les collèges privés est aussi conséquente (environ 17 %-20 %).
Décomposition agrégée de la ségrégation entre les collèges publics et privés
Bordeaux | Indice de ségrégation | % de la ségrégation scolaire |
Ségrégation scolaire totale | 0,099 | 100 % |
HPublicvsPrivate | 0,025 | 24,7 % |
λPublicHPublic | 0,056 | 55,8 % |
λPrivateHPrivate | 0,019 | 19,5 % |
Clermont-Ferrand | Indice de ségrégation | % de la ségrégation scolaire |
Ségrégation scolaire totale | 0,085 | 100 % |
HPublicvsPrivate | 0,017 | 19,9 % |
λPublicHPublic | 0,054 | 63,5 % |
λPrivateHPrivate | 0,014 | 16,6 % |
Paris | Indice de ségrégation | % de la ségrégation scolaire |
Ségrégation scolaire totale | 0,149 | 100 % |
HPublicvsPrivate | 0,050 | 33,3 % |
λPublicHPublic | 0,069 | 46,2 % |
λPrivateHPrivate | 0,031 | 20,5 % |
Décomposition agrégée de la ségrégation entre les collèges publics et privés
Lecture : Dans la métropole de Bordeaux, l’indice de ségrégation sociale parmi les élèves entrant en sixième est de 0,099 ; 55,8 % peuvent être attribués à la ségrégation entre les collèges publics ; 19,5 % peuvent être attribués à la ségrégation entre les collèges privés ; enfin, 24,7 % peuvent être attribués à la différence de composition sociale entre l’enseignement public et l’enseignement privé.40Cependant, cette décomposition ne donne qu’une image partielle des différents mécanismes qui contribuent à la ségrégation scolaire. Tout d’abord, les collèges privés ne constituent pas la seule alternative pour les parents qui souhaitent contourner la carte scolaire. Les parents peuvent obtenir une dérogation pour inscrire leur enfant dans un collège public distinct de celui correspondant à l’application de la carte scolaire. D’autre part, la décomposition ci-dessus ne permet pas de distinguer la composante liée au choix du collège, à proprement parler, de celle liée à la ségrégation résidentielle. Les villes françaises sont en général caractérisées par une forte ségrégation résidentielle en termes de revenus. Comme la carte scolaire correspond à l’adresse résidentielle, son application stricte doit aboutir mécaniquement à une ségrégation sociale entre collèges. La ségrégation résidentielle peut donc affecter la ségrégation entre collèges publics, puisque le recrutement des collèges publics dépend directement de la carte scolaire. En outre, la ségrégation résidentielle peut également affecter la ségrégation entre collèges privés. Bien que les écoles privées ne soient pas soumises à la carte scolaire, de nombreux parents préfèrent choisir une école située à proximité de leur domicile. La contribution de l’enseignement privé à la ségrégation sociale entre collèges peut donc refléter en partie la segmentation résidentielle. Toutefois, elle peut également être due à un comportement distinct de contournement de la carte scolaire des familles selon leur profil socio-économique. Cela peut être le cas par exemple si le choix de contourner la carte scolaire est surtout fait par les familles les plus socialement favorisées au sein des quartiers socialement mixtes.
41La décomposition proposée dans cet article permet d’isoler les contributions à la ségrégation sociale entre collèges de la ségrégation résidentielle, d’une part, et du contournement de la carte scolaire de l’autre. Le principe de la décomposition (détaillé en annexe) repose sur différentes partitions de l’ensemble des élèves, en considérant d’une part la partition constituée par la répartition des élèves entre collèges, et d’autre part la partition des élèves selon leurs secteurs de résidence (tels que définis par la carte scolaire). Cette décomposition demande de connaître pour chaque élève à la fois le collège dont il dépend selon l’application stricte de la carte scolaire et le collège dans lequel il est scolarisé.
Principale décomposition : de la ségrégation urbaine à la ségrégation scolaire
42Dans un premier temps, seuls deux types d’élèves sont pris en compte : ceux qui respectent la carte scolaire (et qui sont donc inscrits dans le collège public qui correspond à leur adresse de résidence), indexés ci-après de S (pour « stayers »), et ceux qui sont inscrits dans un autre collège que celui de leur quartier, indexés de M (pour « movers »), qu’ils soient inscrits dans un collège privé ou un autre collège public que celui correspondant à la carte scolaire. Il est donc possible de comparer HSch, l’indice de ségrégation mesuré entre les collèges (déterminé par les élèves effectivement inscrits), à HZ, l’indice de ségrégation mesuré entre les secteurs résidentiels, tels que définis par la carte scolaire (en utilisant l’adresse de résidence des élèves), de la manière suivante :
44où ΔHM correspond à la contribution du contournement de la carte scolaire au niveau total de ségrégation sociale entre collèges. Il peut être démontré que ΔHM est la somme de trois termes (cf. la démonstration en annexe) :
46Le premier terme, , correspond à la segmentation sociale locale, définie au niveau de chaque zone z correspondant à un secteur défini par la carte scolaire, entre les élèves qui sont inscrits dans le collège de quartier et ceux qui contournent la carte scolaire. HSvsMz est l’indice d’entropie mesuré entre les « stayers » S et les « movers » M en restreignant le calcul à la zone z (les différents λ correspondant à des poids). L’écart entre HSch et HZ peut donc se produire si, dans chaque secteur de la carte scolaire, les origines sociales des élèves qui contournent la carte scolaire diffèrent des origines sociales des élèves qui la respectent. Le fait qu’un élève d’origine favorisée décide de ne pas s’inscrire dans son collège de quartier aura moins de conséquence sur la diversité sociale de ce collège si ce dernier a plutôt un recrutement également favorisé que si son recrutement est plutôt défavorisé socialement. Ce mécanisme est illustré schématiquement par la figure 2 : l’exemple 1 représente un secteur A, composé en proportion identique d’élèves issus de milieu social favorisé (carrés gris foncés) et d’élèves issus de milieu social défavorisé (carrés gris clairs). Dans cet exemple la composition sociale de ceux qui contournent la carte scolaire est identique à celle de ceux qui restent, donc HSvsMA = 0. Dans l’exemple 2, les élèves qui contournent le collège de leur quartier ont la même composition sociale que dans l’exemple précédent, mais dans le cas de la zone B ils laissent derrière eux uniquement des élèves issus de milieu défavorisé. Ce comportement de contournement sélectif réduit la diversité sociale et augmente la ségrégation sociale entre collèges : pour le secteur B, HSvsMB > 0.
Illustration d’un contournement égalitaire vs sélectif (niveau des secteurs résidentiels)
Illustration d’un contournement égalitaire vs sélectif (niveau des secteurs résidentiels)
Lecture : Les carrés gris foncé et gris clair correspondent à deux types d’élèves (par exemple, des élèves issus d’un milieu favorisé et d’autres issus d’un milieu défavorisé). Dans les deux secteurs A et B, les deux types sont également représentés parmi les élèves qui contournent la carte scolaire (movers). Cependant, alors que dans le secteur A, les élèves qu’ils laissent derrière eux (stayers) sont aussi des deux types, un seul type d’élève est effectivement scolarisé dans le collège du secteur B.47À l’inverse, les élèves qui évitent leur collège de quartier peuvent contribuer à augmenter la diversité sociale du collège dans lequel ils sont finalement inscrits, s’ils sont issus d’un milieu social distinct de celui des élèves qui fréquentent également ce collège. traduit cet effet de diversité : HSvsMsch est l’indice d’entropie mesuré entre les élèves qui évitent et les élèves qui sont scolarisés dans le collège de secteur sch. Pour un collège donné sch, cet effet augmente lorsque les élèves inscrits dans sch alors qu’ils sont théoriquement affectés à un autre collège (les movers) sont socialement différents des élèves qui sont inscrits dans ce collège du fait de la carte scolaire (les stayers). Cet effet est illustré sur la figure 3.
Illustration d’un effet de réallocation (niveau collège)
Illustration d’un effet de réallocation (niveau collège)
Lecture : Les carrés gris foncé et gris clair correspondent à deux types d’élèves (par exemple, des élèves issus d’un milieu favorisé et d’autres issus d’un milieu défavorisé). Dans les deux exemples, les élèves qui sont inscrits dans les deux collèges 1 et 2 alors qu’ils étaient en principe affectés à un autre collège par la carte scolaire (movers) sont composés des deux types. Cependant, alors que les élèves affectés au collège 1 par la carte scolaire et qui y sont effectivement inscrits (stayers) sont également des deux types, dans le collège 2 ces stayers sont d’un seul type et l’arrivée des movers augmente donc la diversité dans ce collège.48Ici encore, les élèves qui sont inscrits dans un autre collège que celui de la carte scolaire (movers) sont composés des deux types dans les exemples 1 et 2. Cependant, dans l’exemple 1, ces élèves sont inscrits dans un collège dont la composition est également mixte, et la contribution à la ségrégation est donc nulle (HSvsM1 = 0). En revanche, dans l’exemple 2 ces élèves arrivent dans un collège qui serait totalement homogène en leur absence, car composé d’un seul type d’élève. Cela signifie que le niveau de ségrégation scolaire diminue du fait de l’arrivée de ces movers (–HSvsM2 < 0). Cette situation correspond par exemple aux cas décrits par François [2002], illustrés par le 6e arrondissement de Paris. La préférence pour l’enseignement privé de familles résidant dans des quartiers socialement favorisés permet à des familles de la classe moyenne d’avoir accès à des établissements dont le recrutement est généralement très favorisé, ce qui a pour effet d’augmenter la diversité sociale localement.
49Cette décomposition illustre la contribution a priori ambiguë du choix du collège à la ségrégation sociale dans les collèges, lorsque le choix prend la forme d’un contournement de la carte scolaire. Alors que le terme A est mécaniquement positif, le terme B est à l’inverse toujours négatif. Le fait que certains parents contournent la carte scolaire peut augmenter le niveau de ségrégation parce que dans un quartier, les élèves qui choisissent d’éviter le collège de quartier peuvent être différents de ceux qui restent. Mais à l’inverse, cet évitement peut aussi faire diminuer le niveau de ségrégation s’il permet aux enfants issus de milieu défavorisé ou moyen de s’inscrire dans des collèges au recrutement par ailleurs plus privilégié socialement.
50Enfin, le terme (C) = λM (HMSch – HMZ) inclut deux composantes. La première est HMSch, qui correspond à l’indice d’entropie mesuré parmi les élèves qui contournent la carte scolaire (movers), compte tenu de leur répartition entre les collèges où ils sont effectivement inscrits. Le second terme est HMZ, l’indice d’entropie entre ces mêmes movers, mais en considérant cette fois la partition définie par les secteurs de carte scolaire (lieu de résidence). Les movers peuvent être mélangés dans des collèges similaires, indépendamment de leur origine sociale, ce qui a pour effet de réduire la ségrégation, au regard du niveau qui prévaudrait s’ils étaient scolarisés dans leur collège de secteur (HMSch – HMZ < 0). Au contraire, ils peuvent être scolarisés dans des collèges différents en fonction de leurs origines sociales, auquel cas le niveau de ségrégation peut être plus élevé que le niveau de ségrégation résidentielle initial (HMSch – HMZ > 0). Par exemple, C peut être négatif si des élèves, dont certains sont socialement favorisés et d’autres sont défavorisés, se retrouvent scolarisés dans un même collège. Un tel cas est illustré dans la figure 4. Ce schéma ne représente, pour simplifier, que les élèves qui évitent leur collège de quartier (les movers). Ces élèves proviennent de deux secteurs A et B qui sont socialement distincts (la zone A est principalement composée d’un seul type, tandis que la zone B est composée des deux types). Dans l’exemple 1, les movers issus de ces deux secteurs différents sont finalement inscrits dans le même établissement, ce qui contribue à augmenter la diversité au niveau de ce collège (λM(HMSch – HMZ) < 0). L’exemple 2 montre un cas où le collège 1 n’accueille que des élèves d’un seul type (provenant des deux secteurs A ou B), tandis que le collège 2 n’accueille que ceux de l’autre type. Cette « spécialisation » des collèges se traduit par un degré de stratification sociale plus élevé que celui qui est observé en raison de la ségrégation résidentielle parmi les movers, et donc le terme λM(HMSch – HMZ) est positif.
Illustration d’une augmentation et d’une diminution de la diversité parmi les movers (du secteur de résidence au collège)
Illustration d’une augmentation et d’une diminution de la diversité parmi les movers (du secteur de résidence au collège)
Lecture : Les carrés gris foncé et gris clair correspondent à deux types d’élèves (par exemple, des élèves issus d’un milieu favorisé et d’autres issus d’un milieu défavorisé) – ici seuls les movers sont représentés. Dans l’exemple 1, tous les élèves qui contournent la carte scolaire sont finalement mélangés dans un seul collège, quel que soit leur quartier de résidence, tandis que dans l’exemple 2, ils sont répartis dans deux collèges différents en fonction de leur type.Décomposition complète de l’indice de ségrégation entre collèges
51La décomposition ci-dessus illustre les différents mécanismes distincts qui contribuent à la ségrégation finale entre les collèges. On peut aller plus loin dans la décomposition et mesurer les contributions à la ségrégation scolaire du contournement de la carte scolaire selon qu’il se fait en faveur d’un collège privé ou d’un autre collège public que le collège de quartier. Si l’on désigne par PR = MPR les élèves qui contournent la carte scolaire pour un collège privé (les movers vers un collège privé), par MPU ceux qui contournent pour un autre collège public (les movers vers un collège public) et par PU = MPU + S tous les élèves qui sont inscrits dans un collège public (qu’il corresponde au collège de quartier ou non), on peut démontrer que (cf. la démonstration en annexe) :
53avec :
55L’interprétation est la même qu’auparavant, avec 1 et 2 les équivalents pour les collèges privés des termes A et C de l’équation 4 ; et 1ʹ et 2ʹ les équivalents pour les movers vers les collèges publics de A et B+C respectivement.
56Deux remarques doivent être faites. Premièrement, tous les élèves inscrits dans des collèges privés sont par définition des movers en utilisant cette taxonomie (les collèges privés ne sont pas concernés par la carte scolaire), par conséquent les élèves qui contournent la carte scolaire pour un collège privé ne peuvent pas se mélanger, dans ces collèges privés, avec des élèves qui restent scolarisés dans leur collège de secteur. Cela explique pourquoi pour les collèges privés, il n’y a pas de contrepartie du deuxième terme B dans la décomposition générale 4 : le seul effet de réallocation se fait entre les élèves scolarisés dans le privé. Dans le cas des collèges publics, nous désignons par effet de « réallocation » la combinaison de l’effet de diversité B dans les collèges où les élèves sont effectivement inscrits et de l’effet de « spécialisation sociale » C parmi les élèves des collèges publics.
57Deuxièmement, le premier terme n’est pas calculé exactement de la même manière quand on regarde l’évitement pour le privé ou pour un autre collège public, dans la décomposition proposée dans l’équation 7. Dans cette décomposition, les élèves inscrits dans le privé sont considérés séparément de tous les autres [12], et sont ensuite comparés aux élèves des collèges publics (pris dans leur ensemble) ; puis la contribution de l’évitement est calculée sur le sous-ensemble des élèves inscrits dans l’enseignement public. Ainsi, pour le même secteur résidentiel z, pour les élèves inscrits dans un collège privé sont considérés parmi l’ensemble des élèves résidant dans ce secteur, tandis que pour les élèves évitant vers le public sont comparés au sous-ensemble des élèves résidant dans le même secteur et scolarisés dans le public (i.e. sans tenir compte des élèves scolarisés dans le privé). Une autre option aurait été de distinguer d’abord les élèves qui évitent pour un autre collège public, puis de comparer les élèves qui évitent vers le privé avec ceux qui sont scolarisés dans le collège public de leur secteur de résidence. En théorie, le résultat en utilisant cette séquence alternative peut différer de ceux obtenus avec notre spécification principale. Toutefois, il a été vérifié que les principales conclusions concernant l’importance relative des différentes composantes de la décomposition demeurent.
Résultats
58La décomposition détaillée est effectuée pour chacune des trois villes considérées : Bordeaux, Clermont-Ferrand et Paris (cf. tableau 6). Pour chacune, la ségrégation scolaire reflète partiellement le niveau de ségrégation résidentielle, traduisant le fait que la plupart des élèves sont inscrits dans des collèges publics, et que leur affectation dépend le plus souvent de leur adresse de résidence. Cependant, quelle que soit la ville considérée, la contribution du contournement du collège de secteur est substantielle. À Paris, elle représente près de la moitié (49 %) du niveau de ségrégation scolaire observé dans les collèges. À Bordeaux, elle s’élève à 39,2 % du niveau de ségrégation scolaire, et 37,1 % à Clermont-Ferrand. Cependant, l’ampleur des effets n’est pas directement comparable d’une ville à l’autre, étant donné les différents périmètres considérés (limites strictes de la ville pour Paris, zones urbaines élargies pour les métropoles de Bordeaux et Clermont-Ferrand).
Décomposition détaillée de la ségrégation sociale à l’entrée en sixième
Décomposition détaillée de la ségrégation sociale à l’entrée en sixième
Lecture : Dans la métropole de Bordeaux, l’indice de ségrégation sociale entre collèges vaut 0,099. Les pourcentages se réfèrent à ce nombre : 61 % proviennent de la ségrégation résidentielle, définie par les secteurs de la carte scolaire ; 39 % proviennent du fait que certaines familles contournent le collège local assigné par la carte scolaire. L’effet principal provient du choix d’une école privée (33 %). Plus précisément, il provient principalement du fait que les familles concernées sont issues d’un milieu social plus favorisé (31 %). Enfin, le choix d’un collège public autre que celui du secteur ne joue qu’un rôle marginal (6 %). Bien que les origines sociales de ces élèves diffèrent de celles des élèves qui restent dans le collège de secteur (12 %), ces évitants apportent également une certaine diversité sociale dans leur collège public de scolarisation (– 6 %).Note : (.) p < 0,1 ; * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001 ; ns non significatif. Les erreurs types sont calculées par bootstrap. Les informations sur les niveaux de significativité ne sont pas pertinentes lorsque la valeur ne peut être que positive, et ne sont pas affichées dans ce cas.
59Dans les trois villes, la contribution des stratégies de contournement à la ségrégation scolaire est principalement due au choix de l’enseignement privé. Nos résultats sont ainsi en ligne avec les études françaises soulignant la forte contribution du secteur privé à la ségrégation scolaire au collège, et notamment les travaux de Cadoret [2017] et Grenet et Souidi [2018]. Notre décomposition nous permet également d’approfondir la compréhension de cet effet. Au sein de cette contribution de l’enseignement privé, la part la plus importante provient de l’effet « évitement » (terme 1 de la décomposition 6). Dans chaque secteur de recrutement, l’origine sociale des élèves qui contournent le collège de secteur pour fréquenter un établissement privé diffère largement de celle des élèves qui demeurent dans le secteur public. Les élèves qui restent scolarisés dans le collège public sont ainsi moins diversifiés socialement que ceux résidant dans le secteur de recrutement. Cet effet sélectif en termes d’origine sociale des élèves du privé représente 31,2 % de la ségrégation scolaire à Bordeaux, 32,9 % à Clermont-Ferrand et 39,8 % à Paris. Cette contribution ne peut être attribuée à une localisation plus fréquente des collèges privés dans les quartiers favorisés, car nous mesurons ici la segmentation public-privé au niveau local [13].
60Comme nous l’avons vu dans la section précédente, si le contournement sélectif du collège de secteur vers les collèges privés augmente mécaniquement le niveau de ségrégation, ce terme peut en principe être au moins partiellement annulé si, au sein des collèges privés, des élèves d’origines sociales diverses sont finalement mélangés (c’est-à-dire en raison du terme de réallocation 2 dans la décomposition 6). C’est plus précisément le cas si les élèves qui sont inscrits dans l’enseignement privé sont moins segmentés socialement entre les collèges privés où ils sont inscrits qu’entre leurs quartiers de résidence. Cependant, selon les estimations effectuées pour la ville de Paris, cet effet de réallocation a la conséquence inverse d’augmenter le niveau général de ségrégation de 4,7 %, significatif au seuil de 5 %. À Bordeaux et Clermont-Ferrand, cette contribution à la ségrégation scolaire est également positive mais très faible et non significativement différente de 0, au seuil de 10 %.
61Dans les trois villes considérées, le niveau de ségrégation sociale entre collèges privés est au moins égal au niveau de ségrégation des élèves concernés entre secteurs de recrutement, même si ces collèges ne sont pas soumis à la sectorisation, et sont moins nombreux que les secteurs de recrutement [14]. Cela peut être dû en partie à un phénomène de spécialisation parmi les collèges privés. Dans les quartiers densément peuplés, chaque établissement privé peut être tenté de proposer une offre éducative distincte, afin d’attirer des élèves de types spécifiques, faisant face à une demande suffisante pour cela, comme l’illustrent Barthon et Monfroy [2006] dans une analyse sur la ville de Lille. Certains établissements accueillent principalement des élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage ou, au contraire, des enfants très performants, et d’autres accueillent également des élèves issus de milieux sociaux divers.
62Selon nos résultats, le contournement vers un autre collège public que le collège de secteur ne contribue que faiblement à augmenter la ségrégation : la contribution totale est de + 5,9 % pour Bordeaux et de + 4,5 % pour Paris. Pour Clermont-Ferrand, la contribution du choix d’un autre collège public n’est pas significativement différente de 0. Là encore, cette contribution est principalement liée à l’effet évitement (terme 1ʹ dans la décomposition 7) qui contribue à augmenter la ségrégation sociale : il varie de 7,9 % à Paris à 16,9 % à Clermont-Ferrand. Il est presque annulé par un effet de réallocation (terme 2ʹ car les élèves qui contournent leur collège de secteur contribuent finalement à accroître le niveau de diversité sociale dans les collèges qu’ils fréquentent. Cela peut par exemple se produire si ce sont principalement des familles de classe moyenne qui se retirent des collèges situés dans des quartiers socialement mixtes et inscrivent leurs enfants dans des collèges publics de quartiers plus favorisés. Ces enfants de classe moyenne peuvent accroître la mixité sociale dans des collèges qui, autrement, n’accueilleraient que des enfants de familles de milieu social favorisé.
63Le fait que l’évitement vers le public ne contribue que marginalement à accroître la ségrégation peut, tout d’abord, provenir d’une régulation plus forte des comportements par les autorités publiques locales (rectorats), alors que ce n’est pas le cas pour ce qui est des collèges privés. En outre, certains des parents qui souhaitaient un collège public spécifique en ont déjà tenu compte dans le choix de leur lieu de résidence. Il n’est pas possible avec les données utilisées de prendre en compte ces choix stratégiques de localisation. Comme nous l’avons déjà évoqué, la ségrégation résidentielle est en partie le résultat de ces choix scolaires anticipés.
Conclusion
64La première contribution de ce document est de fournir une description détaillée de la ségrégation sociale dans les collèges de trois villes françaises caractérisées par des conditions locales très différentes : Bordeaux, Clermont-Ferrand et Paris. La décomposition proposée nous permet d’illustrer l’ampleur des composantes qui peuvent expliquer la ségrégation sociale entre les collèges de ces villes. Les résultats suggèrent qu’au moins la moitié du niveau de ségrégation scolaire est due à la ségrégation résidentielle initiale, induite par l’application stricte de la carte scolaire. Toutefois, le degré de ségrégation sociale entre collèges est aggravé par les stratégies d’évitement. La composition sociale des élèves qui choisissent de contourner leur collège de secteur est souvent distincte de celle des élèves qui restent dans le collège local. Il en résulte une moindre mixité sociale dans les collèges évités. Cet effet peut en théorie être annulé par une plus grande mixité sociale dans les collèges (publics ou privés) dans lesquels les évitants s’inscrivent finalement. Cependant, en pratique, l’ampleur de ce mécanisme potentiellement compensateur est au mieux marginale et, dans le cas des collèges privés parisiens, contribue au contraire à accroître la stratification sociale des élèves. Au total, la contribution à la ségrégation scolaire de l’évitement vers le privé varie d’un tiers dans les agglomérations de Bordeaux et Clermont-Ferrand, à près de la moitié à Paris.
65Les différences observées entre ces trois villes suggèrent néanmoins l’importance des contextes locaux, et qu’il n’est donc pas possible d’extrapoler ces résultats à l’ensemble des grandes villes françaises, et encore moins sur les mécanismes de ségrégation à l’œuvre dans les petites villes ou dans les zones rurales. Disposer d’un recueil systématique des données sur la sectorisation sur l’ensemble du territoire serait indispensable pour établir une analyse plus complète.
66Par ailleurs, nos résultats fournissent des éléments descriptifs et non une évaluation causale de l’impact des règles de sectorisation. Il est attendu que le recours à une affectation stricte aux établissements en fonction du lieu de résidence exacerbe la ségrégation résidentielle. Par exemple, Fack et Grenet [2010] observent que l’élasticité plutôt faible du prix des logements à la performance des collèges dans le cas de Paris s’explique par l’offre importante de collèges privés. La limitation de telles possibilités de contournement pourrait à terme accroître la ségrégation résidentielle et donc exacerber la ségrégation scolaire. Cependant, les données internationales existantes suggèrent que le choix scolaire sans réglementation augmente généralement la ségrégation (OCDE [2019a]). Dans des pays aussi divers que le Chili, la Nouvelle-Zélande ou la Suède, qui ont introduit des politiques à grande échelle visant à donner aux parents une totale liberté de choix de l’école où ils souhaitent inscrire leurs enfants, on a observé un degré plus élevé de stratification des élèves en fonction de leurs aptitudes et de leur origine ethnique et sociale (Hsieh et Urquiola [2006] ; Ladd et Fiske [2001]), sans que cela ait un impact significatif sur l’efficacité des écoles. Toutefois, la manière dont le choix de l’école est régulé peut contribuer à équilibrer ces effets de stratification, soit du côté de la demande (en encourageant toutes les familles à recourir à la liberté de choix d’établissement), soit du côté de l’offre (en limitant la possibilité des écoles de contrôler la composition de leur recrutement). Par exemple, les vouchers (financement public des frais de scolarité des élèves, quelle que soit l’école dans laquelle ils choisissent de s’inscrire), lorsqu’ils sont destinés à des étudiants à faibles revenus ou défavorisés, devraient accroître l’équité (Ladd [2002] ; Epple, Romano et Urquiola [2017]). Aux Pays-Bas, les écoles qui scolarisent des élèves issus de milieux défavorisés reçoivent un soutien financier plus important de l’État afin de réduire la stratification sociale. Les conditions d’admission, en particulier pour les écoles très demandées, peuvent également être contrôlées afin d’éviter que les meilleures écoles ne retiennent que les élèves les plus prometteurs. Dans certains programmes de vouchers (comme le programme Milwaukee aux États-Unis), les écoles ayant plus de candidats que de places disponibles sont tenues de scolariser une fraction de leur effectif par le biais d’un tirage au sort afin de garantir l’équité des procédures de sélection. Enfin, dans de nombreux endroits, la régulation du choix de l’école au niveau du quartier ou de la ville est désormais assurée par des algorithmes d’appariement centralisés. L’inclusion de critères socio-économiques dans la procédure semble être un moyen efficace d’accroître la mixité sociale dans les écoles, comme Fack et Grenet [2016] l’ont montré dans le cas des lycées publics parisiens. Cependant, pour endiguer la stratification sociale, il faudrait qu’écoles publiques et privées soient traitées de manière équivalente. Par exemple, aux Pays-Bas ou en Belgique, les écoles publiques et privées reçoivent des financements publics mais sont également tenues de respecter les mêmes réglementations, notamment en ce qui concerne les procédures d’admission.
67D’autres politiques encore peuvent contribuer à atténuer l’impact de la ségrégation résidentielle sur la ségrégation scolaire. La modification ou la suppression des contours de la carte scolaire en certains endroits peut être utilisée pour créer des secteurs scolaires plus diversifiés sur le plan social. Toutefois, la mise en œuvre de telles politiques peut être rendue difficile en raison de réticences locales ou par le fait que les familles adaptent leur comportement en matière de choix d’établissement, par exemple en choisissant plus fréquemment des écoles privées. Dans le cas de Paris, les premières évaluations des expérimentations visant à supprimer les frontières entre deux secteurs adjacents pour créer des collèges bi-secteurs (plan « Agir pour une mixité sociale et scolaire dans les collèges », lancé en 2015) indiquent que celles-ci peuvent améliorer la mixité sociale dans les écoles correspondantes (Grenet et Souidi [2018]).
68Sur le plan méthodologique, ce document propose une nouvelle technique pour décomposer les indices de ségrégation courants avec deux partitions alternatives de la population. En isolant les différentes composantes qui contribuent à la ségrégation (effets d’évitement contre effets de réallocation), elle donne une image plus précise des mécanismes qui sous-tendent la ségrégation. Une telle décomposition peut être utilisée dans des contextes différents de celui étudié ici, comme par exemple l’analyse des évolutions de la ségrégation résidentielle, en se fondant sur les lieux de résidence à deux dates distinctes. On peut alors déterminer dans quelle mesure les processus de mobilité résidentielle renforcent ou atténuent les schémas de ségrégation préexistants, en analysant à la fois les mobilités en provenance et à destination des quartiers défavorisés, ou au contraire privilégiés.
Décomposition
69Pour un ensemble de R secteurs définis par la carte scolaire, Rx3 groupes sont définis par le croisement entre le secteur et le statut de l’élève (évitant vers le public / évitant vers le privé / non évitant). Le principe de la décomposition de l’indice de ségrégation repose sur le fait que cette partition en Rx3 groupes peut être réorganisée de deux façons : l’une en fonction des secteurs scolaires (liés au lieu de résidence), l’autre en fonction du collège où l’élève est scolarisé. Un indice de ségrégation peut donc être défini en utilisant la partition complète en Rx3 groupes, et en la décomposant ensuite soit en unités résidentielles, soit en unités scolaires. La figure A1 illustre ces deux options dans le cas des élèves qui peuvent choisir de fréquenter un autre collège public que celui de secteur : les élèves qui évitent le collège de leur secteur A sont scolarisés dans le collège B, et dans le secteur du collège B ceux qui contournent la carte scolaire sont scolarisés dans le collège C. Dans cet exemple illustratif, par souci de simplicité, l’existence d’un contournement vers le secteur privé n’est pas représentée, et on considère qu’aucun élève ne cherche à éviter le collège du secteur C. Il y a donc dans cet exemple un ensemble de cinq groupes. La mesure de la ségrégation correspondant à cette partition complète (ici la partition en cinq groupes) n’est pas un objet d’intérêt en soi, mais sera utilisée pour comparer les mesures de la ségrégation résidentielle et de la ségrégation scolaire.
70De manière plus générale, désigne l’indice d’entropie calculé à partir de la partition complète de toutes les entités correspondant à l’interaction entre le type k (élèves non évitants – stayers S –, évitants vers le public – movers MPU –, évitants vers le privé – movers MPR) et les secteurs résidentiels z. Comme déjà mentionné, cet indice qui utilise les deux dimensions n’est employé qu’à des fins de calcul car il n’a pas d’interprétation directe en soi.
72où P est la distribution des élèves en termes de groupes socio-économiques au sein de l’ensemble de la population, Pkz sont les distributions correspondantes dans les secteur z pour les élèves de type k, et πkz les proportions de ces élèves dans l’ensemble de la population. Plus précisément, on a où N[(k, z)] = Card (i de type k et dans la zone z) et NT la taille de la population totale. Cet indice peut être décomposé de deux manières différentes. D’abord, en se concentrant sur les secteurs de résidence :
Illustration de la ségrégation résidentielle à la ségrégation scolaire
Illustration de la ségrégation résidentielle à la ségrégation scolaire
Note : Chaque tuile correspond à un élève, par exemple les élèves de milieu favorisé en gris foncé. Les cinq sous-groupes (au milieu) peuvent être divisés en trois secteurs (en haut) ou trois collèges (en bas). La ségrégation totale entre les cinq sous-groupes peut donc être liée, d’une part, à la ségrégation entre secteurs et, d’autre part, à la ségrégation entre collèges.74avec l’indice d’entropie correspondant à la ségrégation résidentielle (en considérant tous les élèves d’un secteur résidentiel), l’indice d’entropie limitant l’échantillon aux élèves résidant dans le secteur z, et comparant la distribution des groupes sociaux parmi les élèves scolarisés dans le privé avec celle des élèves scolarisés dans le public, l’indice d’entropie limitant l’échantillon aux élèves résidant dans un secteur z et scolarisés dans un collège public, et comparant la distribution des groupes sociaux parmi les élèves scolarisés dans un collège public de secteur avec celle des élèves évitant ce collège pour un autre collège public. Les termes λ1z et λ2z correspondent à des pondérations [15].
75En décomposant ensuite ce même indice selon les types k (plutôt que les secteurs) on a aussi :
77avec qui correspond à l’indice d’entropie obtenu en considérant une partition qui dépend du type de l’élève (stayers, movers vers le public, movers vers le privé) seulement, et l’indice d’entropie mesurant la ségrégation résidentielle, quand on restreint l’échantillon à un seul type k.
78On peut aussi faire le même type de décomposition en considérant la partition complète de toutes les entités correspondant à l’interaction entre le type k et le type s du collège. En considérant maintenant les entités basées sur le type et le collège de scolarisation (au lieu du zonage résidentiel), on a une décomposition similaire :
80Il est utile de souligner des simplifications possibles. Dans les collèges privés, tous les élèves sont du type k = MPR et dans les collèges publics, ils sont soit de type S soit MPU. Comparé à la décomposition ci-dessus, le second terme ici est nul. Avec des notations similaires on a donc :
82la seconde ligne est obtenue quand on considère seulement la partition selon le type d’élève. On a donc :
84Finalement, on obtient :
86comme par définition des stayers (les élèves non évitants, scolarisés dans leur collège de secteur), et en notant et .
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : indices de ségrégation, indice d’entropie, choix de l’école, mixité sociale
Mise en ligne 17/09/2021
https://doi.org/10.3917/reco.725.0717Notes
-
[1]
Ces quartiers sont définis pour des besoins statistiques (îlots regroupés pour l’information statistique) et regroupent environ 2 000 habitants.
-
[2]
Par exemple, dans le cas de la ville de Paris, Fack et Grenet [2016] mettent en évidence que, même si les familles tiennent compte du niveau scolaire de l’établissement dans leur choix de lycée, elles expriment également, en général, une préférence pour des établissements proches de leur domicile.
-
[3]
L’adresse est celle utilisée par le collège pour contacter les parents (telle que disponible à la fin de l’année scolaire 2015-2016). Dans le cas de parents séparés, une seule adresse est disponible, qui correspond à la première adresse donnée par les parents. Cette adresse peut différer de l’adresse de résidence : l’utilisation de « boîte aux lettres », distincte de l’adresse réelle du domicile, comme stratégie de contournement de la carte scolaire a été documentée (voir par exemple Barrault-Stella [2017]), et peut conduire à sous-estimer l’évitement vers le public, même si l’adresse qui est utilisée ici est celle pendant la scolarisation au collège et non celle fournie aux rectorats à la fin de l’école primaire au moment de l’affectation.
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[4]
Le nombre d’élèves qui sont dans un collège public autre que celui assigné par la carte scolaire n’est pas une mesure directe des dérogations acceptées, dans la mesure où il ne provient pas des données contenant les demandes de dérogations. À titre d’exemple, pour l’année 2003 et les quartiers de Paris, Gilotte et Girard [2005] ont constaté que 10 % des élèves (1 309) ont obtenu une dérogation pour s’inscrire dans un autre établissement public que celui qui leur avait été assigné (au 1er juillet). En début d’année scolaire, 1 362 élèves étaient inscrits dans un autre établissement public que celui correspondant théoriquement à leur lieu de résidence (au 15 octobre). Les légères différences peuvent s’expliquer en particulier par les déménagements en cours d’été.
-
[5]
Ces deux catégories correspondent à 34 % des élèves vivant ou scolarisés dans la commune de Bordeaux et 30 % à Clermont-Ferrand. Pour Paris, cette proportion est seulement de 11 %, et la restriction à l’échelon communal est donc moins sujette aux biais. En revanche, il n’est pas possible pour cette même raison de faire des analyses au niveau des arrondissements parisiens pris isolément. Pour 29 % des élèves vivant ou scolarisés à Paris, l’arrondissement de résidence est différent de celui de leur collège.
-
[6]
Des collèges multisecteurs ont été introduits en 2017.
-
[7]
Respectivement 4 et 6 dans les villes-centres.
-
[8]
Profession du parent « de référence », qui par défaut est le père. La profession de la mère est prise en compte lorsqu’aucune information sur la profession du père n’est disponible.
-
[9]
Ce résultat a déjà été documenté dans d’autres publications du ministère de l’Éducation nationale. Thaurel-Richard et Murat [2013] observent que le milieu socio-économique moyen des élèves qui fréquentent un autre collège public que celui de secteur est inférieur à la moyenne des élèves des collèges publics, mais cela est dû en partie au fait qu’ils incluent des élèves inscrits en SEGPA, qui proviennent pour la plupart de milieux défavorisés. Dans Chausseron [2001], ces élèves sont surreprésentés à la fois parmi les enfants dont les parents sont enseignants et parmi ceux dont les parents sont au chômage.
-
[10]
Il s’agit d’une version normalisée de l’indice d’information mutuelle, le mot « normalisé » faisant référence au dénominateur h(P) dans l’équation 1.
-
[11]
On a et où h(Public) est l’entropie pour les élèves du secteur public, pris dans leur ensemble, et πPublic est la proportion d’élèves dans le secteur public.
-
[12]
La contribution totale de l’enseignement privé est exactement équivalente au terme qui serait obtenu avec les techniques de simulation mentionnées précédemment. Il en va de même pour la contribution du choix du collège dans le secteur public.
-
[13]
Dans le cas théorique où les collèges privés seraient uniquement situés dans les quartiers aisés et scolariseraient les enfants des environs, la contribution de la segmentation public-privé locale serait proche de zéro.
-
[14]
Les indices de ségrégation diminuent lorsque les unités considérées sont moins nombreuses (school division property, voir par exemple Frankel et Volij [2011] et Givord et al. [2016a]), puisque les élèves provenant de différents secteurs sont regroupés dans un ensemble limité de collèges (comme dans l’exemple 1 de la figure 4).
-
[15]
On a et .