Notes
-
[1]
Voir par exemple Anselin et O’Loughlin [1992], Bara [2014], Black [2013], Braithwaite [2005], [2006], Gleditsch [2002], [2007], Hegre et Sambanis [2006], Most et Starr [1980], Starr et Most [1983] et Ward et Gleditsch [2002].
-
[2]
Voir par exemple Lemke [2002], Buzan et Wæver [2003], Rubin [2002], [2006], Mincheva [2005] et Ansorg [2011] dans la littérature en sécurité internationale. Voir aussi le récent livre édité par Olowu et Chanie [2016]. Dans la littérature sur les politiques de développement, voir Vallings et Moreno-Torres [2005] pour une discussion du concept de fragilité. Moreno-Torres et Anderson [2004] discutent de la dimension régionale de la fragilité en Afrique de l’Ouest, et l’OCDE [2004] étudie plus particulièrement le processus de paix et le développement de la République démocratique du Congo. Enfin, les économistes se sont aussi penchés sur les externalités régionales de la fragilité. Chauvet et Collier [2004] montrent que le voisin d’un pays à faible revenu en situation de stress (en anglais, low-income country under stress, ou LICUS) perd en moyenne 1,6 point de croissance.
-
[3]
Voir Bara [2014], Buhaug et Gleditsch [2008], Cederman, Girardin et Gleditsch [2009], Cederman, Gleditsch et Buhaug [2013], Forsberg [2008], Gleditsch [2007] et Salehyan [2011].
-
[4]
Par exemple, Ofcansky [1996] décrit comment Idi Amin a pu recruter des mercenaires soudanais inemployés pour étoffer son armée en Ouganda. Bakke [2013] mentionne que la rébellion tchétchène a été favorisée par des combattants étrangers s’engageant au nom d’une cause islamiste qui transcenderait les frontières. Hazen et Horner [2007] montrent que les armes introduites clandestinement dans la région du delta du Niger à la fin des conflits au Liberia et au Sierra Leone ont contribué à alimenter les violences.
-
[5]
Voir par exemple DCAF et Geneva Call [2011] pour une revue de la littérature sur ces acteurs non étatiques dans les conflits régionaux.
-
[6]
De la guerre froide à aujourd’hui, le commerce clandestin des armes à feu est une industrie lucrative qui se nourrit des conflits régionaux et des frontières poreuses. Deux tiers des 875 millions de petites armes à feu en circulation dans le monde sont entre les mains d’entités ou de personnes privées. Voir par exemple http://www.smallarmssurvey.org/publications/by-type/yearbook.html/ pour une analyse des grandes tendances sur le marché des petites armes à feu entre 2001 et 2010.
-
[7]
Voir Salehyan et Gleditsch [2006], Adelman [1998], Rufin [1999], Salehyan [2007] et Atzili [2006]. Ansorg [2011] propose une revue récente de la littérature, et Rüegger [2013b] analyse plus précisément le rôle des camps de réfugiés pour les réseaux transfrontaliers de rebelles.
-
[8]
Dans cet article, nous ne considérons pas les conflits extérieurs. Typiquement, les ressources servant à maintenir l’ordre et à mener une guerre civile sont les mêmes que celles qui servent à mener une guerre extérieure. Stricto sensu, l’article traite de pays qui ne sont pas en conflit avec leurs voisins, ou bien des conflits larvés, découragés par les ressources militaires existantes de part et d’autre.
-
[9]
Ainsi, Sobek [2010] et Thies [2010] affirment que la capacité étatique n’a pas d’effet mesurable sur le conflit, mais qu’en revanche le conflit est un prédicteur fort de la capacité étatique. Tilly [1985], Levi [1988] et Brewer [1989] montrent aussi que les guerres incessantes ont joué un rôle important dans le développement de la capacité fiscale en Europe. À l’opposé, Besley et Persson [2008], [2009b], [2010] suggèrent que le risque d’une guerre civile diminue les incitations pour le gouvernement à investir dans la capacité de l’État.
-
[10]
Acemoglu et Robinson [2001] considèrent les déterminants politiques de l’engagement à redistribuer, et en particulier les changements de régime et l’élargissement du suffrage. À l’instar d’Azam [2006] et de Besley et Ghatak [2010], le modèle se focalise ici sur la crédibilité de l’État.
-
[11]
Pour prouver le lemme, il suffit de considérer que dans le cas d’un conflit, le gouvernement maximise NG – MG + (1 – Π)R avec Π = 1 si et Π = π sinon. Dans le cas de la paix, le gouvernement maximise NG – MG + R – θT sous la contrainte d’incitation. Puisque , il est profitable d’investir dans les deux cas. Même dans le cas de la paix, le gouvernement investit au moins dans le conflit, afin de dissuader un opposant.
-
[12]
Voir aussi Isoke [2015] pour une étude de cas en Ouganda, et Rüegger [2013a] pour une revue de la littérature.
-
[13]
La preuve de la proposition s’obtient en comparant les utilités de coin du gouvernement à θ = 0 et , autrement dit à . Il en découle immédiatement que le gouvernement investit dans des institutions au niveau si et seulement si , ce qui est équivalent à la condition de la proposition.
-
[14]
À nouveau, rappelons que tous les paramètres sont spécifiques à chaque pays, ce dont nous pourrions rendre compte grâce aux exposants correspondants sur les variables s, π, NG, et α.
Introduction
1Les exemples de concentration régionale de conflits civils sont nombreux dans le monde : région des Grands Lacs en Afrique centrale, Corne de l’Afrique, pays des Balkans, pays d’Asie centrale après la chute du bloc communiste, ou plus récemment le « Printemps arabe », cette vague de contestations populaires et de mouvements révolutionnaires qui ont secoué de nombreux pays du Maghreb et du Moyen-Orient au début de la décennie 2010. Deux explications principales (et souvent présentées comme antagonistes) sont avancées pour expliquer ce type de phénomène. D’abord, des pays voisins peuvent présenter des caractéristiques similaires en termes géographiques, climatiques, de dotations de ressources ou encore d’organisation sociale. Dans une telle perspective, un même choc peut alors déstabiliser ces pays de la même manière, induisant une corrélation spatiale fondée sur le simple fait que les pays partagent de mêmes spécificités internes. La littérature qui étudie les déterminants et caractéristiques des pays fragiles ou touchés par une guerre civile contribue à cette ligne d’explication (voir Sambanis [2002] et Blattman et Miguel [2010] pour des revues détaillées de cette littérature, et Besley et Persson [2011a] pour des éléments théoriques du lien entre capacité étatique et guerres civiles).
2La deuxième explication de la concentration régionale de conflits civils repose sur l’idée d’externalités de voisinage et de contagion transrégionale des conflits civils (voir notamment la littérature abondante en science politique [1], en développement et en sécurité internationale [2]). En ce sens, une source de diffusion particulièrement discutée relève de l’existence de liens ethniques entre groupes rebelles des deux cotés d’une frontière dite « poreuse » [3]. Par ce biais, un conflit voisin peut en effet permettre à un groupe rebelle de s’armer plus facilement, d’acquérir de l’information ou de l’expérience [4]. Les liens ethniques transfrontaliers favorisent la transmission de l’information sur la faisabilité et l’opportunité des conflits (Forsberg [2008] et Weidmann [2015]). De même, la présence d’acteurs armés « non étatiques » (milices, mercenaires, crime organisé) incite à la diffusion des conflits à travers une région [5].
3Un autre vecteur de contagion des conflits aussi largement documenté par la littérature est la prolifération des petites armes à feu (pistolets, fusils, carabines, mitraillettes et mitrailleuses) [6]. En raison du manque de transparence des principaux exportateurs d’armes, ces armes tombent facilement entre les mains des acteurs non étatiques et facilitent de ce fait les externalités transfrontalières de guerres civiles (Wolff [2010] ; DCAF et Geneva Call [2011]).
4Les déplacements de réfugiés en provenance de zones de conflits et de populations en provenance d’États fragiles constituent aussi un autre canal d’externalités de conflit régional. L’arrivée de réfugiés peut en effet mettre sous pression les ressources locales et de nouveaux équilibres ethniques et sociaux qui peuvent exacerber les rivalités économiques. Les réfugiés peuvent également favoriser l’extension des réseaux de rebelles et la diffusion d’armes et d’idéologies [7].
5Motivé par ces observations, l’objet de cet article est de présenter un cadre théorique permettant d’analyser plusieurs enjeux centraux de la diffusion des guerres civiles. Pourquoi certains pays sont-ils plus vulnérables que d’autres à la contagion de conflits voisins ? Pourquoi certains pays parviennent-ils à améliorer leurs institutions publiques et politiques face à cette menace ? Pourquoi les conflits rampants semblent-ils se regrouper par régions géographiques, sans respecter les frontières politiques ?
6Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous proposons un modèle simple de guerre civile et de répression avec deux pays. Dans chaque pays, le groupe au pouvoir (le « gouvernement ») peut exploiter une ressource. Un autre groupe (« opposant ») peut tenter de mettre la main sur cette ressource. Cependant, le conflit est coûteux pour chacun. Le gouvernement peut décourager une rébellion grâce à deux instruments de politique publique : un transfert au groupe opposant conditionnel à une stratégie pacifique de ce dernier, et un investissement accru dans la répression (police ou armée), pour augmenter le coût du conflit [8]. L’issue de cette interaction, à l’équilibre politique, dépend alors de deux paramètres importants : le coût d’opportunité du conflit pour le groupe opposant, et la capacité institutionnelle du gouvernement à s’engager sur un programme crédible de redistribution des ressources.
7Sans interactions régionales et selon les valeurs de ces deux paramètres, trois types d’équilibres politiques peuvent alors apparaître : un régime « redistributif » pacifique, un régime « répressif » pacifique (dans lequel le gouvernement réussit par la répression à éviter le conflit civil) et enfin un régime avec conflit civil. Typiquement, le conflit civil sera inévitable lorsque le coût d’opportunité du conflit pour le groupe opposant est faible et que le gouvernement ne peut pas s’engager de manière crédible. À l’opposé, pour des valeurs plus élevées de ces paramètres, l’équilibre politique sera un régime de paix civile. Par ailleurs, le gouvernement préfère la redistribution à la répression lorsque la redistribution est suffisamment crédible (et donc moins coûteuse).
8Dans un contexte régional, un conflit civil dans un pays voisin affecte le coût d’opportunité du conflit pour le groupe opposant domestique. Par ce biais, il peut changer la nature du régime d’équilibre politique domestique. Nous montrons alors que le risque d’une diffusion des guerres civiles génère des complémentarités stratégiques entre régimes politiques à l’échelle régionale. Un gouvernement est d’autant plus incité à trouver une solution pacifique que son voisin fait de même. Naturellement, cela débouche sur une situation d’équilibres multiples : un équilibre où les deux pays sont en guerre civile, et un autre où les deux sont parvenus à trouver un accord avec leurs challengers respectifs. Selon la coordination des anticipations des différents gouvernements locaux, on observera donc, à fondamentaux économiques et sociaux identiques, des situations radicalement différentes de profils régionaux de conflits civils. Ainsi ce résultat suggère tout d’abord l’imprévisibilité intrinsèque de la diffusion régionale des guerres civiles. Il souligne aussi l’importance d’une coordination régionale des politiques nationales pour éviter un équilibre régional de conflits domestiques.
9Nous étendons ensuite notre analyse à un cadre où les gouvernements peuvent investir dans leur capacité institutionnelle à effectuer des politiques de redistributions crédibles. Aux externalités directes de diffusion de conflits civils s’associent alors des externalités régionales de construction institutionnelle. Spécifiquement, lorsqu’un conflit civil a des effets transfrontaliers fortement déstabilisateurs, l’incitation de chaque gouvernement à améliorer sa capacité étatique dépend du comportement d’investissement institutionnel de l’autre pays. La fragilité institutionnelle d’un pays peut alors entraîner la fragilité institutionnelle des voisins. De nouveau, des équilibres régionaux institutionnels multiples peuvent apparaître : un équilibre de fragilité institutionnel généralisé ou un équilibre de solidité institutionnel régional. La complémentarité stratégique des politiques domestiques se transpose donc en une complémentarité institutionnelle entre pays d’une même région. Ce type de résultat propose une perspective différente sur les explications de conflits civils fondées sur les caractéristiques institutionnelles internes à chaque pays, et aussi sur les mécanismes de diffusion interrégionaux. Notre analyse suggère que chaque littérature tient insuffisamment compte de la dimension mise en lumière par l’autre approche. Dans un cadre complet régional où conflits civils et structures institutionnelles sont endogènes, les facteurs spécifiques à chaque pays ont non seulement une incidence directe sur la possibilité d’un conflit interne, mais aussi des effets de diffusion de conflits entre pays voisins. En retour, les effets de diffusion transfrontaliers des conflits civils modifient les systèmes d’incitations internes pour chaque pays à investir dans ses institutions. Par conséquent, ils affectent aussi la façon dont chaque pays aborde le risque d’une guerre civile. Plutôt qu’opposées, les deux approches sont donc complémentaires pour la compréhension des phénomènes de groupement régional de guerres civiles.
10Notre cadre d’analyse associe naturellement plusieurs branches de la littérature sur les conflits civils. D’un côté, en mettant en avant l’importance de variations des coûts d’opportunité de conflits, nous somme proches de nombreux travaux mettant en lumière le rôle de chocs économiques comme déterminants de ces coûts (Chassang et Padró i Miquel [2009] ; Besley et Persson [2009a] ; Brückner et Ciccone [2007] ; Collier et Hoeffler [2004] ; Dube et Vargas [2013] ; Miguel, Satyanath et Sergenti [2004]). D’un autre côté, notre accent sur la capacité étatique comme facteur important des conflits civils est relié à une littérature importante analysant les liens de causalité entre capacité étatique et conflits (Braithwaite [2010] ; Fearon et Laitin [2003] ; Fjelde et De Soysa [2009] ; Hendrix [2010] ; Keefer [2008] ; McBride, Milante et Skaperdas [2011]) [9]. En accord avec cette littérature, notre cadre d’analyse souligne des liens réciproques entre capacité étatique et conflit civil.
11En partant de ces deux déterminants, le modèle débouche sur trois régimes différents. L’État peut utiliser un transfert pour maintenir la paix sociale (régime redistributif), il peut investir dans la capacité militaire (régime répressif), ou il peut laisser éclater une guerre civile. Ces trois régimes sont associés à des niveaux décroissants de capacité de l’État. Cette typologie et cette propriété sont en accord avec la littérature empirique sur le sujet, malgré des nuances sémantiques. Besley et Persson [2009a], [2010], [2011b] appellent le régime redistributif « paix », (mais Taydas et Peksen [2012] montrent qu’il s’agit bien d’un régime avec transfert). McBride, Milante et Skaperdas [2011] et Phillips [2015] préfèrent qualifier le régime répressif de « militaire ».
12Finalement, l’importance des effets de contagion des guerres civiles est un fait bien établi (Anselin et O’Loughlin [1992] ; Bara [2014] ; Black [2013] ; Braithwaite [2005], [2006] ; Gleditsch [2002], [2007] ; Hegre et Sambanis [2006] ; Most et Starr [1980] ; Starr et Most [1983] ; Ward et Gleditsch [2002]). Notre modèle aussi suggère une seconde externalité des conflits, positive cette fois. Un gouvernement qui fait face au risque de contagion peut décider d’investir dans la capacité de l’État, pour éviter que n’éclate une guerre civile localement. Cette prédiction du modèle trouve une confirmation empirique dans Braithwaite [2010] et McBride, Milante et Skaperdas [2011]. Plus généralement, notre travail suggère que la contagion possible des conflits pourrait avoir, outre l’effet de régionalisation des conflits, un effet de régionalisation de la capacité étatique.
13Le plan de l’article est le suivant. Nous proposons dans la deuxième section un modèle de base simple, et nous en tirons les différents régimes politiques pour un pays pris isolément. La troisième section aborde le cadre avec deux pays en interaction. Dans la quatrième section, les institutions sont rendues endogènes et nous discutons de la possibilité d’équilibres régionaux institutionnels multiples. Dans la cinquième section, nous confrontons les grandes étapes du Printemps arabe aux différentes facettes de notre modèle. Enfin, nous concluons dans la sixième section.
Un modèle simple de redistribution et de guerre civile
14Notre point de départ est une version simple du modèle de guerre civile présenté par Azam [2006] dans le contexte d’un pays isolé. Nous considérons une économie composée de deux groupes, identifiés par les indices G et O pour Gouvernement et Opposant. Par hypothèse, chacun des deux groupes se comporte comme un agent unique. Le modèle rend compte de la possibilité d’un conflit pour la distribution d’une ressource R. Les groupes peuvent investir MG ≥ 0 et MO ≥ 0 dans le conflit. La technologie de conflit est décrite simplement par la probabilité de renversement du gouvernement :
16Le paramètre γ représente l’efficacité du groupe O dans le conflit, relativement au gouvernement. O est plus efficace que G si γ > 1, et moins efficace sinon. Ce paramètre rend compte de la technologie guerrière, qui peut être favorable au gouvernement ou à une guérilla ; il rend aussi compte des conditions de terrain, du degré de mobilisation politique, ou bien encore du moral des troupes régulières. Le paramètre décrit un effet d’échelle dans la capacité de défense du gouvernement. Le gouvernement doit assurer un minimum de dépenses militaires s’il souhaite pouvoir se défendre contre une rébellion. Le paramètre π est la probabilité que le gouvernement soit effectivement renversé, conditionnellement à l’existence d’une rébellion. Une valeur de π plus élevée signifie qu’un opposant aura plus de chance de renverser le gouvernement une fois le conflit engagé. π peut lui aussi être affecté par les conditions du conflit, notamment l’accès des rebelles à des armes et à des mercenaires. Il est intéressant de noter que cette modélisation de la technologie de conflit reflète l’intuition d’une fonction de probabilité en forme de S, comme les technologies de conflits plus usuelles décrites par Skaperdas [1992]. Les discontinuités et linéarités introduites permettent une caractérisation analytique simple des équilibres. Compte tenu de cette technologie de conflit, le gouvernement peut combattre une insurrection, dissuader par la force le conflit ou bien encore payer le prix de la paix par la redistribution de la ressource R, comme dans Azam [2001].
17Nous faisons l’hypothèse suivante pour garantir que le niveau des ressources est suffisant pour motiver un conflit éventuel entre les deux parties.
19G et O peuvent allouer leurs dotations initiales NG et NO entre la production et le conflit. Nous adoptons une technologie de production aussi stylisée que possible :
21NG et NO sont les dotations disponibles de chaque groupe, et MG et MO sont les quantités investies dans le conflit. Si le gouvernement n’est pas renversé, il contrôle en outre la ressource R. S’il est renversé, le contrôle de R passe à l’autre groupe. R peut s’interpréter comme la présence de ressources minérales, pouvant être accaparées par quiconque au pouvoir. Le paramètre a représente l’efficacité productive du groupe O relativement au gouvernement. O est plus efficace que G si a > 1, et moins efficace sinon. De façon stylisée, a capture la productivité relative des deux groupes, mais aussi éventuellement l’évolution de prix relatifs affectant les dotations disponibles initiales, lorsque le gouvernement et l’opposant font face à des chocs de prix différenciés.
22Le jeu comporte quatre étapes, comme illustré par la figure 1 :
231. Le gouvernement investit tout d’abord MG ≥ 0, et propose à l’autre groupe un « contrat social », qui consiste en un transfert T ≥ 0 du gouvernement, sous condition que l’autre groupe ne se rebelle pas : Π = 0, ce qui revient à la condition γMO < MG. L’investissement MG est irréversible.
242. L’opposant investit à son tour MO ≥ 0.
253. Si γMO ≥ MG, une guerre civile s’enclenche. Sinon, la paix s’établit. Dans ce dernier cas, le transfert promis par le gouvernement est effectué avec une probabilité θ (pour l’instant exogène), reflétant la capacité de l’État à s’engager avec crédibilité sur ce transfert.
264. Les acteurs produisent et consomment, et obtiennent l’utilité suivante :
28χ est un indicateur de paix. Il vaut 0 en cas de conflit, et 1 en cas de paix.
Déroulement du jeu
Déroulement du jeu
29Ces utilités capturent les enjeux d’une guerre civile dans un pays en développement, particulièrement s’il dispose de ressources minérales sous le contrôle de l’État. Notons que θ, notre concept opérationnel de capacité étatique, ne capture qu’une dimension de ce que les économistes entendent généralement par capacité de l’État. En particulier, il ne rend pas compte des capacités fiscale ou légale, telles que décrites par Besley et Persson [2009b], et de leur impact sur les incitations productives des deux groupes. La capacité étatique est ici modélisée comme l’engagement maximal dont est capable l’État, à travers un investissement dans la capacité étatique locale (police, administration, etc.) ou dans des grands projets d’infrastructures régionaux [10]. Le modèle se focalise sur le groupe le plus menaçant pour la stabilité du pays, et sur sa propre capacité à s’engager vis-à-vis de ce groupe. Typiquement, ce groupe est localisé dans une région peu accessible, proche d’une frontière. Que ce soit pour son isolement, ou en raison des externalités transfrontalières, le coût d’opportunité de l’investissement dans ces régions peut se révéler particulièrement élevé.
30Le gouvernement est soumis à une contrainte de budget BC, il ne peut jamais promettre plus que ce qu’il peut produire en temps de paix.
32Lorsqu’il accepte le contrat à l’étape 2, le groupe opposant n’investit aucune ressource dans le conflit et MO = 0. S’il préfère revendiquer le contrôle de la ressource, il investit MO = MG / γ. Par conséquent, il accepte le contrat social si et seulement si :
34Le terme de gauche de cette condition est le transfert espéré de la part du gouvernement sous un régime pacifique. Le terme de droite reflète le gain espéré du conflit civil pour le groupe opposant. Le paramètre α = a / γ représente l’avantage comparatif du groupe O à produire plutôt que combattre. Intuitivement, α prend en compte le coût d’opportunité du conflit pour le groupe O, exprimé en unités de consommation. Nous pouvons simplifier cette condition grâce au résultat suivant :
35Lemme 1. Si la condition 2 est satisfaite, alors .
36Lorsque la valeur de la ressource R est suffisamment grande, le gouvernement investit toujours à minima dans le niveau de capacité militaire qui lui permet de combattre un opposant possible, soit . S’il s’attend à un conflit, alors cela lui permet de réduire la probabilité d’être renversé. Investir dans lui permet aussi de décourager un groupe potentiellement contestataire, et permet de réduire le risque d’un conflit extérieur [11].
37Nous pouvons ainsi simplifier la contrainte d’incitation IC :
39Le transfert nécessaire pour faire en sorte que O accepte le contrat proposé par le gouvernement est d’autant plus bas que α et MG sont élevés, et π et R faibles. D’une part, les ressources R augmentent la tentation d’un conflit, et la probabilité π joue en faveur du groupe opposant O. D’autre part, le coût d’opportunité α et le niveau de la dissuasion MG découragent O, ce qui diminue pour le gouvernement le coût d’éviter un conflit.
40Les contraintes BC et IC considérées conjointement définissent l’ensemble de faisabilité des contrats sociaux qui peuvent être mis en œuvre. Le contrat « pacifique » optimal pour le gouvernement est le résultat du programme suivant :
42Nous avons affaire à un programme simple de programmation linéaire dont la solution est la suivante :
43Proposition 1. Définissons
45Sous l’hypothèse 2, le contrat pacifique optimal est caractérisé comme suit :
461. Lorsque α < 1 et , alors
482. Lorsque πR / (R + NG) ≤ α < 1 et , alors
503. Lorsque α > 1, alors
52θ est à la fois le coût d’opportunité pour le gouvernement d’une unité de transfert T et le gain espéré pour le groupe rebelle. Du point de vue du gouvernement, le coût d’opportunité d’une unité de dépenses militaires est 1. Pour le groupe rebelle, en revanche, il faut investir α dans le conflit pour rééquilibrer le conflit. S’il veut décourager une rébellion, le gouvernement préfère donc recourir à un transfert si α < 1 et à des dépenses militaires si α > 1.
53Lorsque α < 1, le gouvernement n’est pas nécessairement en position de remplacer toutes les dépenses militaires par un transfert : il ne peut pas s’engager à un transfert au-delà des ressources dont il dispose sous la contrainte de budget BC. Si la capacité de l’État est suffisamment élevée (c’est-à-dire si ), alors chaque unité de dépenses militaires peut être avantageusement remplacée par un transfert marginal de α. Si la capacité de l’État n’est pas suffisamment élevée, le gouvernement compense les transferts qu’il ne peut pas promettre par des dépenses militaires.
54Enfin, pour α < πR / (R + NG) et , le gouvernement n’est pas en mesure de proposer un contrat qui soit acceptable pour le groupe opposant : la guerre civile est inévitable.
55La proposition 1 définit trois régimes pacifiques. Le régime (1) correspond à un État « redistributif », qui assure la paix grâce au partage des ressources, soit T > 0, sans avoir recours à la dissuasion, soit . C’est le régime optimal lorsque le coût d’opportunité du conflit est suffisamment bas (soit α < 1) et la crédibilité du gouvernement suffisante (soit ). Le régime (2) correspond à un État « répressif » : le gouvernement ne parvient à imposer la paix qu’en mobilisant à la fois un transfert T > 0 et des dépenses militaires . Ce régime est optimal lorsque le coût d’opportunité du conflit et la crédibilité du gouvernement sont tous deux bas (soit πR / (R + NG) ≤ α < 1 et ). Enfin, le régime (3) peut être décrit comme « prétorien », car il repose uniquement sur la dissuasion : T = 0 et (Azam [2006] discute plus en détail ce dernier régime).
56Pour éviter une discussion fastidieuse, nous nous concentrons sur les deux premiers régimes, soit les cas où α < 1. La frontière entre les deux régimes correspond au point où la contrainte BC devient saturée. Elle est décrite par l’équation . décroît avec α. Intuitivement, à la fois le coût d’opportunité et la capacité de l’État sont favorables au régime redistributif. Une hausse de θ permet donc de compenser une baisse de α, et réciproquement. De plus, décroît avec , et croît avec R et π. Si le niveau de dépenses militaires nécessaire pour contrôler l’État est plus élevé, c’est aussi favorable au régime redistributif. À l’opposé, une augmentation du montant des ressources R pouvant être contestées réduit la possibilité du régime redistributif (comme prédit par Bazzi et Blattman [2014]).
57Étant donné le régime optimal pour le gouvernement en régime pacifique, il reste à déterminer les conditions sous lesquelles la paix plutôt que le conflit civil sera réalisée. Pour cela, on peut écrire l’utilité indirecte du gouvernement dans chaque cas :
- Régime redistributif : .
- Régime répressif : .
- Régime prétorien : VG = NG + R – MG.
- Guerre civile : .
58Une comparaison simple de ces utilités montre que le régime redistributif, ainsi que le régime prétorien, sont toujours supérieurs à celui de la guerre civile. D’un autre côté, le gouvernement préfèrera un régime pacifique répressif à une guerre civile si et seulement si :
60 décroît avec α et , et croît avec R. En premier lieu, capacité étatique et coût d’opportunité du conflit sont une fois de plus substituables pour favoriser un régime pacifique. En deuxième lieu, l’avantage militaire du gouvernement favorise une solution pacifique. Finalement, lorsque l’enjeu de la guerre civile augmente, une solution pacifique est plus difficile à réaliser (en ligne avec les résultats de Collier et Hoeffler [2004], Fearon [2005], Dube et Vargas [2013] et Berman et al. [2017]).
61La figure 2 résume le lemme 1 et la proposition 1. Elle décrit dans l’espace des deux paramètres (α, θ) les différents régimes d’équilibre politiques.
Typologie des différents régimes
Typologie des différents régimes
62On peut noter qu’une guerre civile éclate lorsqu’à la fois le gouvernement n’est pas crédible et le coût d’opportunité du conflit est faible. Quand la capacité étatique θ augmente et que le gouvernement est de plus en plus en mesure de s’engager à partager les ressources qu’il contrôle, la guerre civile est plus facilement évitée. Pour des niveaux élevés de θ, la dissuasion devient toutefois plus efficace que la redistribution. De même, dans des cas de faible capacité étatique θ, un coût d’opportunité du conflit suffisamment élevé permet à l’État de maintenir l’ordre, grâce à un régime répressif. Lorsque α augmente encore, le gouvernement passe même en régime prétorien : il n’a plus besoin de redistribuer, le coût d’opportunité du conflit étant en effet trop élevé pour que l’opposant O constitue une menace crédible pour le gouvernement.
La contagion régionale des conflits
63Considérons maintenant le modèle précédent, élargi au cas de deux pays A et B. À chaque fois que cela est nécessaire, nous spécifions à quel pays une variable fait référence par un exposant A ou B. Pour alléger les notations, nous omettrons cependant cet exposant pour des situations génériques sans ambiguïté concernant un pays particulier.
64Nous pouvons imaginer plusieurs canaux de transmission des conflits entre deux pays voisins. Par exemple, une guerre civile dans le pays B peut faciliter pour les rebelles du pays A l’accès à des armes, des mercenaires, etc. De même, la littérature empirique mentionne que les réfugiés qui fuient un théâtre de conflits peuvent déstabiliser la région vers laquelle ils se déplacent, que ce soit par la congestion de ressources locales sur le plan économique ou écologique ou par les tensions sociales qu’ils génèrent avec les populations locales. Pour rendre compte de ces diverses externalités, nous supposons qu’une guerre civile dans le pays B diminue le coût d’opportunité du conflit dans le pays voisin A, du niveau αA au niveau αA – βA. βA mesure donc l’externalité de la guerre civile. Un βA élevé reflète un impact domestique fort d’un voisin instable. Les externalités peuvent aussi aller du pays A vers le pays B : nous pouvons donc de même définir βA. Enfin, pour nous assurer qu’une contagion est possible, nous faisons les hypothèses suivantes dans un pays donné i = A, B :
66ainsi que dans l’autre pays
68H1 assure qu’un conflit est possible dans le premier pays i si sa capacité étatique est suffisamment faible, même s’il ne subit pas d’influences extérieures. H2 assure que le second pays j est vulnérable à la contagion d’un conflit voisin (lorsque sa capacité étatique est aussi suffisamment faible). Pour simplifier l’exposé, nous supposons que H1 est vérifiée dans les deux pays. Cela nous permet aussi d’envisager que chacun des deux pays peut être une source de déstabilisation régionale. Notons dans la formulation de H1 et H2 que rien n’empêche chaque paramètre d’être différent d’un pays à l’autre :
70Ce cadre est dont suffisamment général pour caractériser un grand nombre de dyades de pays potentiellement différents : les pays peuvent ou non disposer de ressources minérales importantes (R), être ou non vulnérables à une insurrection civile (π) ou disposer ou non d’un avantage militaire structurel .
71Nous pouvons, de plus, introduire les notations utiles suivantes :
73Ces notations décrivent les seuils respectifs de capacités étatiques à partir desquelles un pays passe de la guerre civile à la paix, et d’un régime répressif à un régime redistributif, suivant que le pays voisin est en guerre civile (W) ou en paix (P). On peut remarquer que si α – β ≤ πR / (R + NG), alors , et si α ≤ πR / (R + NG) alors . Comme et décroissent tous les deux, et : une guerre civile voisine augmente le niveau de capacités étatiques requis pour qu’un gouvernement préfère un régime redistributif, ainsi que le niveau requis pour qu’il choisisse l’ordre plutôt que la guerre civile. Un pays qui, sans conflit voisin, serait parvenu à éviter une guerre civile, peut être contraint par un conflit voisin à affronter sa propre insurrection. De même, un pays qui, sans conflit voisin, serait parvenu à mettre en place un régime redistributif, peut être contraint par un conflit voisin à la répression. Lorsque l’externalité du conflit voisin est très forte (soit lorsque ), alors ce conflit peut même transformer un régime redistributif en guerre civile. La figure 3 rend compte de ces différents éléments.
Externalité (forte) d’une guerre civile
Externalité (forte) d’une guerre civile
74Ces considérations s’appliquent évidemment potentiellement à chacun des deux pays. Pour chaque pays, nous nous intéressons plus particulièrement aux seuils en deçà desquels le gouvernement préfère laisser éclater une guerre civile, respectivement et , selon que le pays voisin est lui aussi en proie à une guerre civile ou en paix. Ces deux seuils résument l’information pertinente pour déterminer l’équilibre régional de conflits. Notons quelques situations particulièrement claires et intéressantes. Lorsque dans les deux pays , alors il existe un équilibre régional où chacun des deux pays est pacifique. En l’absence d’un voisin déstabilisateur, chaque gouvernement est capable de maintenir l’ordre sur son territoire. En revanche, lorsque dans les deux pays , alors il existe un équilibre régional où chacun des deux pays est en situation de guerre civile. Une guerre civile peut être indépendante de la situation régionale (cas où ), et elle peut être le résultat d’une déstabilisation régionale (cas où ).
75La figure 4 propose une caractérisation des différents systèmes régionaux de régimes politiques dans l’espace des capacités étatiques (θA, θB). Un pays fragile (tel que ) ne peut éviter une guerre civile, quoi qu’il arrive dans le pays voisin. À l’opposé, un pays fortement institutionnalisé (tel que ) est immunisé contre la contagion de guerres civiles voisines. Guerre civile et paix ne peuvent donc coexister pour des pays voisins que si les gouvernements ont des capacités à s’engager très différentes. À capacités étatiques comparables, des pays voisins seront soit tous deux en guerre civile, soit en paix, avec de bonnes institutions. De façon claire, le modèle rend compte de la récurrence de concentrations régionales de pays en situation de guerre civile. De même, il suggère que certains équilibres régionaux sont particulièrement sensibles à l’existence de déterminants extrinsèques qui ne peuvent pas facilement être associés à des fondamentaux économiques. L’existence d’équilibres multiples indique en effet qu’il est difficile de savoir à l’avance dans quel équilibre une région émergera.
Équilibres régionaux avec externalités
Équilibres régionaux avec externalités
76L’équilibre qui prévaut dépend évidemment de la manière dont les pays coordonnent leurs anticipations par rapport à la stabilité politique de leur voisinage. Si ces anticipations sont pessimistes, un équilibre régional de guerre civile se matérialise ; mais si les anticipations sont optimistes, alors les deux gouvernements peuvent proposer un contrat social acceptable. Un équilibre régional se révèle vulnérable à une modification des anticipations des agents, ce qui peut entraîner un risque de diffusion très rapide des conflits. L’équilibre régional de guerre civile est désavantageux pour chacun des deux gouvernements, et en ce sens, l’échange d’information et la communication au niveau intergouvernemental peut être un moyen efficace de coordonner les anticipations sur la nature de l’équilibre régional qui prévaut in fine. Toutefois, le déclenchement d’une guerre civile dépend aussi des anticipations des groupes rebelles : le modèle rend bien compte que rien ne s’oppose à ce que ce soit l’équilibre régional Pareto-dominé de guerre civile qui prévale.
77La discussion précédente s’est concentrée sur le risque d’une guerre civile. Notre cadre d’analyse permet aussi de discuter, en cas de paix, quel régime domestique politique prévaut à l’équilibre régional. Lorsque les externalités du conflit sont suffisamment faibles, c’est-à-dire quand , alors une inspection simple des équilibres multiples montre que l’équilibre sans guerres civiles sera constitué de régimes répressifs. Au contraire, si les externalités de conflits sont élevées (soit lorsque ), alors l’équilibre pacifique régional n’est pas nécessairement répressif. En particulier pour , on obtient un équilibre redistributif.
78Finalement, notre analyse nous conduit à identifier une forme supplémentaire que peut prendre la diffusion de la fragilité. Si , alors le pays qui, tout seul, aurait mis en place un régime redistributif, est contraint par un conflit voisin à mettre en place un régime répressif.
79Pour résumer cette discussion, un conflit peut se diffuser à travers les frontières ; il peut aussi se diffuser par manque de coordination régionale, alors même que la région aurait pu être en paix. Enfin, un conflit peut favoriser la répression dans les pays voisins.
80Statiques comparatives. Notre cadre d’analyse fournit aussi des statiques comparatives intéressantes permettant par exemple de discuter comment un choc économique dans un pays donné peut avoir des répercussions politiques dans toute la région. Par exemple, prenons le cas d’un pays dont les institutions sont suffisantes pour l’immuniser contre la contagion . Une augmentation du prix de la ressource R que contrôle le gouvernement élèverait , ce qui pourrait réduire l’immunité du pays. Bien que cela ne soit pas forcément une source de conflit en soi, cela pourrait induire ce pays à devenir vulnérable à la contagion d’un conflit voisin , ou bien rendre possible un équilibre multiple auparavant impossible. Une augmentation supplémentaire de R pourrait déstabiliser le pays, et par la suite déstabiliser la région entière .
81Une modification de l’avantage militaire intrinsèque du gouvernement aurait l’effet inverse. La technologie de contrôle de la population peut devenir plus abordable, ou le gouvernement peut bénéficier de l’appui militaire de pays alliés (pas nécessairement régionaux). Un groupe domestique susceptible de mener une rébellion peut alors être découragé d’engager un conflit si l’avantage devient suffisamment élevé. De la sorte, une augmentation de peut transformer un pays, d’une source de déstabilisation dans une région , en un pays où un conflit ne pourrait arriver qu’en réponse à un conflit voisin , voire en un pays immunisé contre la contagion .
82Réseaux transfrontaliers de rebelles. La littérature identifie qu’un mécanisme fréquent de la déstabilisation régionale opère via des communautés et des groupes ethniques installés de part et d’autre d’une frontière, sur des territoires de la frontière poreuse, que les gouvernements ne contrôlent pas (Checkel [2014]) [12]. Grâce à ces réseaux régionaux, un groupe rebelle dans un pays donné peut bénéficier de plusieurs avantages significatifs : coordination régionale, protection et soutien des membres de la même ethnie de l’autre côté de la frontière. Naturellement, de tels groupes favorisent largement la transmission des conflits à travers les frontières de pays faiblement institutionnalisés. De plus, lorsque ces réseaux interagissent avec d’autres mécanismes de contagion, on peut s’attendre à des cercles vicieux, susceptibles de déstabiliser la région entière.
83Une façon simple de prendre en compte ces effets de réseaux ethniques est la suivante. Supposons que le groupe opposant OA dans le pays A est de la même ethnie que le groupe opposant OB dans le pays B, et supposons que les deux groupes peuvent décider de leur mobilisation ensemble. Notamment, les deux groupes peuvent facilement mobiliser des ressources de l’autre groupe et partager les gains espérés d’une guerre civile. Compte tenu de la mobilité des ressources dans la frontière poreuse, le coût d’opportunité du conflit pour l’opposant d’un pays donné est simplement le minimum des deux coûts d’opportunité : α = min[αA, αB]. Sans perte de généralité, on peut supposer que αA < αB. Alors, l’existence de réseaux ethniques entre les pays A et B produit une externalité négative du pays A sur le pays B. Plus précisément, lorsque , ce réseau ethnique entraîne un conflit ouvert dans le pays B, qui n’aurait pas exister en l’absence de ce mécanisme. Cela peut arriver même si le pays A a pour sa part la capacité institutionnelle suffisante pour éviter un conflit avec son propre opposant, c’est-à-dire quand . En revanche, dans ce cas, le pays A ne peut pas empêcher la contagion du conflit civil dans le pays B. De façon intéressante, l’existence de réseaux ethniques peut avoir des « effets de retour » sur le propre pays A, source de la première externalité négative sur le voisinage. En effet, alors que le pays A est en mesure d’éviter une guerre civile s’il est isolé, il peut être à son tour déstabilisé par l’externalité régionale de conflit civil qu’il a induit dans le pays voisin. Les réseaux ethniques transfrontaliers catalysent donc les autres mécanismes de contagion des guerres civiles, ce qui renforce le phénomène de regroupement régional des guerres civiles et la fragilité institutionnelle des États.
Investissement dans la capacité étatique et contagion institutionnelle
Un modèle simple d’investissement dans la capacité étatique
84Jusqu’ici, nous avons considéré la capacité étatique θ de chaque pays comme étant exogène. Supposons maintenant que l’État puisse investir dans sa crédibilité institutionnelle θ. à un coût C1(θ). Pour un pays en isolation, l’analyse de la troisième section nous permet d’écrire l’utilité indirecte du gouvernement, en fonction des deux paramètres α et θ :
86Tant qu’il est en situation de guerre civile ou dans un régime redistributif, le gouvernement est indifférent au niveau de capacité institutionnelle. Dans le cas intermédiaire, où le gouvernement met en place un régime répressif, il est facile de voir que l’utilité du gouvernement est croissante et convexe en θ. Ces propriétés sont illustrées dans la figure 5.
Utilité indirecte du gouvernement
Utilité indirecte du gouvernement
87Le gouvernement choisit alors θopt pour maximiser V(θ) – C1(θ). Supposons pour fixer les idées que le coût d’investissement dans les institutions est linéaire :
89Le paramètre s reflète le coût marginal d’investissement dans la capacité étatique θ. Dans ce cadre, la solution du programme s’obtient facilement :
90Proposition 2. Soit
92Sous l’hypothèse H3, l’investissement optimal dans la capacité étatique est donné par :
94Le gouvernement n’investit pas dans de meilleures institutions si le coût d’opportunité du conflit est trop faible pour le groupe opposant. La propension de ce groupe à s’insurger est trop forte pour que le gouvernement ait intérêt à s’y opposer. Le gouvernement réalise alors que la meilleure option est de laisser éclater une guerre civile, et, dans ce cas, les institutions n’ont pas d’importance. À l’opposé, si le coût d’opportunité des conflits est suffisamment grand, c’est-à-dire quand , alors le gouvernement a une incitation à investir dans des institutions de qualité [13], [14].
95Si l’État investit dans ses institutions, alors il investit au niveau , le niveau minimal nécessaire pour s’assurer que le régime mis en œuvre sera redistributif. Rappelons que décroît avec α et , et croît avec R et π : un coût d’opportunité du conflit ou un avantage militaire plus élevés permettent au gouvernement de mettre en place de moins bonnes institutions. À l’opposé, les ressources R et la probabilité qu’une insurrection soit couronnée de succès π induisent un investissement dans de meilleures institutions (toujours conditionnellement à investir dans ses institutions).
96Notons que l’investissement dans la capacité étatique n’est pas monotone en α. L’intuition est simple : pour des niveaux de α suffisamment faibles (soit lorsque ), le gouvernement préfère une guerre civile et n’a pas intérêt à dépenser des ressources pour améliorer ses institutions. Au-dessus du seuil , en revanche, il préfère une solution pacifique. Lorsque le coût d’opportunité α augmente, le groupe opposant est susceptible d’accepter la paix à un niveau d’engagement moindre de la part du gouvernement. Ainsi θopt diminue. La figure 6 rend compte de ces éléments.
Investissement dans la capacité de l’État
Investissement dans la capacité de l’État
97L’investissement dans la capacité étatique n’est pas non plus monotone dans les autres paramètres considérés dans le modèle. En particulier, une augmentation des ressources R encourage l’investissement dans de meilleures institutions, jusqu’au point où R est tel que . Au-delà, le gouvernement préfère combattre les rebelles et n’investit plus dans ses institutions.
Complémentarités stratégiques des institutions régionales
98Réintroduisons notre modèle régional avec un second pays. Chaque pays peut maintenant décider d’un investissement institutionnel en capacité étatique. Rappelons aussi qu’un conflit voisin diminue le coût d’opportunité α d’une guerre civile pour un opposant, d’une quantité β. Nous pouvons alors aisément caractériser les équilibres de Nash en investissements institutionnels entre les deux pays. La figure 7 illustre les équilibres régionaux qui en découlent, en fonction de la structure régionale des coûts d’opportunité (αA, αB).
Équilibres régionaux de capacité de l’État
Équilibres régionaux de capacité de l’État
99Comme l’indique la figure 7, lorsque les coûts d’opportunité du conflit sont très différents au sein d’une région, il arrive qu’une guerre civile éclate dans le pays A, mais que le pays B soit en situation d’éviter la contagion (et réciproquement). La guerre civile dans le pays A abaisse le coût d’opportunité du conflit dans le pays B, pas suffisamment pour décourager ce dernier de maintenir une solution pacifique, mais suffisamment pour le contraindre au contraire à améliorer la qualité de ses institutions. En effet, pour éviter une insurrection, le gouvernement du pays B met en place des institutions au niveau θBopt (αB – βB) > θBopt (αB). Il est ainsi en mesure d’éviter un conflit lorsque le pays est intrinsèquement stable (αB élevé) ou que l’externalité βB du conflit voisin est faible. D’un autre côté, pour que le pays A soit en guerre civile, il faut que ce dernier pays soit intrinsèquement instable (αA faible). En effet, même si A n’était qu’intermédiairement stable , l’absence de conflit en B lui permet de rester en paix.
100En résumé, de larges asymétries de coût d’opportunité au sein de la région induisent des asymétries encore plus fortes en capacités étatiques. Le risque d’une contagion d’un conflit voisin est parfois la motivation nécessaire pour améliorer les institutions d’un pays déjà relativement stable.
101Lorsque les asymétries sont moins prononcées, le modèle ne prédit pas seulement un regroupement régional de guerres civiles, mais aussi une concentration régionale de mêmes niveaux institutionnels en termes de capacités étatiques. Sauf dans le cas où le pays B est très stable et où les externalités d’un conflit voisin sont suffisamment faibles, son gouvernement préfère laisser une guerre civile éclater, plutôt que d’investir dans une plus grande crédibilité des institutions. Une guerre civile dans le pays A entraîne alors une guerre civile dans le pays B, et aucun des deux gouvernements n’investit en capacités étatiques. Pour des niveaux intermédiaires du coût d’opportunité dans les deux pays, cette corrélation spatiale est particulièrement évidente. Les deux pays sont simultanément en paix, et tous deux investissent dans la capacité étatique, ou bien tous les deux sont en guerre civile sans aucun investissement en crédibilité institutionnelle. Notre cadre d’analyse suggère donc que la contagion possible de guerres civiles entraîne aussi des complémentarités stratégiques entre institutions de pays voisins.
102Enfin, pour des niveaux faibles du coût d’opportunité, un pays est en guerre civile quoi qu’il arrive dans la région. Cela peut avoir des effets dans les pays voisins, selon deux mécanismes possibles : le conflit entraîne un conflit chez un voisin vulnérable. Cependant, un voisin un peu plus résilient peut aussi au contraire investir dans des institutions de meilleure qualité et ainsi éviter une contagion de conflit civil.
Le Printemps arabe
103Le Printemps arabe a commencé le 17 décembre 2010 avec la révolution tunisienne, et s’est propagé à de nombreux pays de la Ligue arabe et à leurs voisins. Des insurrections d’importance ont éclaté en Syrie, en Libye et au Yémen, des révoltes en Égypte et au Bahreïn, de larges manifestations en Algérie, en Irak, en Jordanie, au Koweït, au Maroc et en Oman, et même l’Arabie saoudite a connu des manifestations mineures.
104La région a visiblement connu des externalités fortes du conflit tunisien, qui ont affecté de manière différenciée les divers pays. La première vague de révolutions et de manifestations s’était éteinte au milieu de l’année 2012, mais certaines avaient déjà permis de renverser plusieurs régimes (Tunisie, Libye, Irak) et, dans certains pays, elles se sont prolongées en guerres civiles de grande ampleur (Syrie, Libye, Irak). En Syrie, la guerre civile qui a commencé en mars 2011 a favorisé l’apparition de groupes djihadistes, notamment l’État islamiste en Irak et au Levant (EIIL), aussi connu sous les acronymes anglais ISIS ou ISIL et sous le nom de Daech. Ces trajectoires politiques présentent des caractéristiques qui sont cohérentes avec les implications de notre modèle.
105D’abord, le regroupement de pays en guerre civile, ou tout au moins vulnérables, qui a conduit au renversement de plusieurs gouvernements dans la région (Libye, Égypte, Syrie, Irak), suggère l’existence de complémentarités stratégiques entres les institutions des différents pays, comme l’indique notre modèle. Cependant, certains pays sont parvenus à maintenir un certain ordre après le choc initial (Tunisie, Algérie, Maroc). L’un de ces pays (la Tunisie) a opéré une transition vers une démocratie constitutionnelle, et le Maroc est resté stable face au risque de contagion du Printemps arabe. Le contraste entre les pays du Maghreb et le reste du monde arabe est cohérent avec l’idée des équilibres multiples telle qu’elle est suggérée par la proposition 2.
106Le Maroc est un exemple intéressant qui laisse à penser qu’il existe une incitation à renforcer les institutions du pays lorsqu’un pays voisin entre dans un conflit potentiellement déstabilisateur (comme le suggère la discussion de la section précédente). Certes, des manifestations ont eu lieu au Maroc en 2011-2012. Toutefois, lorsqu’elles ont eu lieu, le roi Mohammed VI a consenti à des réformes constitutionnelles qui ont probablement joué un rôle important, pour éviter que les manifestations ne deviennent une révolte. À aucun moment le roi n’a eu à demander une assistance militaire externe ou un soutien institutionnel. Comme le prédit notre modèle, pour éviter la contagion, le gouvernement a investi dans la crédibilité du contrat social de partage des ressources. Les réformes constitutionnelles de 2011 en sont une parfaite illustration. Les réformes se sont en effet focalisées sur un meilleur partage du pouvoir, et sur des gestes à la fois symboliques et substantiels en faveur des minorités. Pour ce qui concerne le premier point, le roi a renoncé à plusieurs pouvoirs discrétionnaires en faveur du Parlement. Par exemple, le Premier ministre doit maintenant être nommé au sein du parti majoritaire au Parlement, et il préside le gouvernement. L’indépendance du système judiciaire vis-à-vis des deux autres branches du gouvernement est renforcée. En ce qui concerne le second point, la réforme a accordé de nouveaux droits aux femmes, reconnu le berbère comme langue officielle et protège l’arabe hassanya comme un héritage culturel national.
Conclusion
107Guerres civiles et institutions ont tendance à se regrouper régionalement. Dans cet article, nous avons proposé un cadre théorique qui permet d’expliquer ce motif. Nous avons mis en valeur la complémentarité stratégique entre les institutions choisies par les gouvernements. Lorsqu’une guerre civile peut se diffuser à travers une frontière, les incitations pour un gouvernement à investir dans des institutions de qualité (ou à ne pas investir et à laisser éclater une guerre civile) dépendent crucialement des décisions prises par les gouvernements des pays voisins. Ce mécanisme génère naturellement des équilibres multiples au niveau régional, et explique la tendance au regroupement des guerres civiles dans l’espace et dans le temps. Il explique aussi pourquoi les pays fragiles se regroupent.
108Ce modèle rend compte de plusieurs mécanismes importants de la contagion des guerres civiles et de la fragilité institutionnelle des États. Il ouvre aussi la voie à plusieurs pistes de recherche future.
109D’abord, notre mécanisme repose sur l’idée qu’un conflit diminue le coût d’opportunité, pour les opposants de pays voisins, de mener leur propre insurrection. Nous sommes partis de cette idée, et nous en avons examiné les implications pour les équilibres régionaux. Il serait intéressant d’ouvrir la boîte noire de ce mécanisme et d’en établir des microfondations. Une idée serait de modéliser explicitement les flux de réfugiés, déplacés par une guerre civile, et leur impact sur la région qui les a accueillis. Une autre possibilité pourrait reposer sur l’existence d’acteurs non étatiques (chefs de guerre, organisations terroristes, crime organisé, trafic d’armes, intermédiaires) qui bénéficient du contrôle imparfait exercé par certains États sur leur territoire (la « frontière poreuse »). Ces agents, parfois caractérisés comme des « problèmes sans passeport » (Picciotto et al. [2005]), ont été largement décrits par la littérature en sécurité internationale comme des facilitateurs de la contagion des guerres civiles (Wolff [2010] ; DCAF et Geneva Call [2011]).
110Le modèle suggère aussi un bénéfice important pour la coordination des politiques publiques à l’échelle régionale, et indique que certains pays peuvent avoir intérêt à aider leur voisin à éviter une guerre civile, soit en les soutenant sur le plan institutionnel, soit en leur proposant une aide militaire pour gérer une rébellion. Ce sont des questions importantes pour la communauté internationale qui se demande par quels moyens éviter la régionalisation des conflits dans certaines parties du monde.
111Enfin, le modèle se focalise sur les effets de contagion des conflits domestiques et exclut explicitement de son champ les conflits extérieurs. Parce que les mêmes ressources peuvent servir à combattre des rebelles ou bien une armée étrangère, il faut s’attendre à ce que le risque d’un conflit extérieur affecte l’arbitrage domestique entre redistribution et répression. Cela pourrait permettre de rendre compte de la concentration régionale de conflits qui ont parfois les deux dimensions, domestique et internationale.
112Nous espérons que le cadre formel proposé ici ouvrira la voie à ces extensions futures.
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Mots-clés éditeurs : guerre civile, contagion, capacité étatique
Mise en ligne 06/12/2018
https://doi.org/10.3917/reco.696.0937Notes
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[1]
Voir par exemple Anselin et O’Loughlin [1992], Bara [2014], Black [2013], Braithwaite [2005], [2006], Gleditsch [2002], [2007], Hegre et Sambanis [2006], Most et Starr [1980], Starr et Most [1983] et Ward et Gleditsch [2002].
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[2]
Voir par exemple Lemke [2002], Buzan et Wæver [2003], Rubin [2002], [2006], Mincheva [2005] et Ansorg [2011] dans la littérature en sécurité internationale. Voir aussi le récent livre édité par Olowu et Chanie [2016]. Dans la littérature sur les politiques de développement, voir Vallings et Moreno-Torres [2005] pour une discussion du concept de fragilité. Moreno-Torres et Anderson [2004] discutent de la dimension régionale de la fragilité en Afrique de l’Ouest, et l’OCDE [2004] étudie plus particulièrement le processus de paix et le développement de la République démocratique du Congo. Enfin, les économistes se sont aussi penchés sur les externalités régionales de la fragilité. Chauvet et Collier [2004] montrent que le voisin d’un pays à faible revenu en situation de stress (en anglais, low-income country under stress, ou LICUS) perd en moyenne 1,6 point de croissance.
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[3]
Voir Bara [2014], Buhaug et Gleditsch [2008], Cederman, Girardin et Gleditsch [2009], Cederman, Gleditsch et Buhaug [2013], Forsberg [2008], Gleditsch [2007] et Salehyan [2011].
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[4]
Par exemple, Ofcansky [1996] décrit comment Idi Amin a pu recruter des mercenaires soudanais inemployés pour étoffer son armée en Ouganda. Bakke [2013] mentionne que la rébellion tchétchène a été favorisée par des combattants étrangers s’engageant au nom d’une cause islamiste qui transcenderait les frontières. Hazen et Horner [2007] montrent que les armes introduites clandestinement dans la région du delta du Niger à la fin des conflits au Liberia et au Sierra Leone ont contribué à alimenter les violences.
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[5]
Voir par exemple DCAF et Geneva Call [2011] pour une revue de la littérature sur ces acteurs non étatiques dans les conflits régionaux.
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[6]
De la guerre froide à aujourd’hui, le commerce clandestin des armes à feu est une industrie lucrative qui se nourrit des conflits régionaux et des frontières poreuses. Deux tiers des 875 millions de petites armes à feu en circulation dans le monde sont entre les mains d’entités ou de personnes privées. Voir par exemple http://www.smallarmssurvey.org/publications/by-type/yearbook.html/ pour une analyse des grandes tendances sur le marché des petites armes à feu entre 2001 et 2010.
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[7]
Voir Salehyan et Gleditsch [2006], Adelman [1998], Rufin [1999], Salehyan [2007] et Atzili [2006]. Ansorg [2011] propose une revue récente de la littérature, et Rüegger [2013b] analyse plus précisément le rôle des camps de réfugiés pour les réseaux transfrontaliers de rebelles.
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[8]
Dans cet article, nous ne considérons pas les conflits extérieurs. Typiquement, les ressources servant à maintenir l’ordre et à mener une guerre civile sont les mêmes que celles qui servent à mener une guerre extérieure. Stricto sensu, l’article traite de pays qui ne sont pas en conflit avec leurs voisins, ou bien des conflits larvés, découragés par les ressources militaires existantes de part et d’autre.
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[9]
Ainsi, Sobek [2010] et Thies [2010] affirment que la capacité étatique n’a pas d’effet mesurable sur le conflit, mais qu’en revanche le conflit est un prédicteur fort de la capacité étatique. Tilly [1985], Levi [1988] et Brewer [1989] montrent aussi que les guerres incessantes ont joué un rôle important dans le développement de la capacité fiscale en Europe. À l’opposé, Besley et Persson [2008], [2009b], [2010] suggèrent que le risque d’une guerre civile diminue les incitations pour le gouvernement à investir dans la capacité de l’État.
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[10]
Acemoglu et Robinson [2001] considèrent les déterminants politiques de l’engagement à redistribuer, et en particulier les changements de régime et l’élargissement du suffrage. À l’instar d’Azam [2006] et de Besley et Ghatak [2010], le modèle se focalise ici sur la crédibilité de l’État.
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[11]
Pour prouver le lemme, il suffit de considérer que dans le cas d’un conflit, le gouvernement maximise NG – MG + (1 – Π)R avec Π = 1 si et Π = π sinon. Dans le cas de la paix, le gouvernement maximise NG – MG + R – θT sous la contrainte d’incitation. Puisque , il est profitable d’investir dans les deux cas. Même dans le cas de la paix, le gouvernement investit au moins dans le conflit, afin de dissuader un opposant.
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[12]
Voir aussi Isoke [2015] pour une étude de cas en Ouganda, et Rüegger [2013a] pour une revue de la littérature.
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[13]
La preuve de la proposition s’obtient en comparant les utilités de coin du gouvernement à θ = 0 et , autrement dit à . Il en découle immédiatement que le gouvernement investit dans des institutions au niveau si et seulement si , ce qui est équivalent à la condition de la proposition.
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[14]
À nouveau, rappelons que tous les paramètres sont spécifiques à chaque pays, ce dont nous pourrions rendre compte grâce aux exposants correspondants sur les variables s, π, NG, et α.