Notes
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[*]
Institut universitaire de France et Toulouse School of Economics. Correspondance : Toulouse School of Economics, Manufacture des Tabacs, Aile Jean-Jacques Laffont, 21 allée de Brienne, 31015 Toulouse Cedex 6, France. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu
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[**]
CEMOI, Université de La Réunion. Correspondance : Faculté de droit et d’économie, 15 avenue René Cassin – CS 92003, 97744 Saint-Denis Cedex 9, France. Courriel : dominique.lepelley@univ-reunion.fr
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[***]
CREM, Normandie Univ, UNICAEN, CNRS. Correspondance : MRSH Bureau 131, Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14032 Caen Cedex 5, France. Courriel : vincent.merlin@unicaen.fr
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[‡]
Sciences Po, Centre d’études européennes (CEE) et LIEPP (ANR-11-LABEX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02). Correspondance : Sciences Po, 27 rue Saint-Guillaume, 75337 Paris Cedex 07, France. Courriel : nicolas.sauger@sciencespo.fr
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[1]
Si moins de deux binômes franchissent ce seuil, alors les deux binômes ayant obtenu le plus de voix sont qualifiés.
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[2]
Le nombre total de conseillers demeure presque inchangé. La loi du 17 mai 2013 et ses décrets d’application, qui ont défini le processus de redécoupage, prévoient que le nombre de nouveaux cantons par département est égal à la moitié du nombre de cantons existant avant le redécoupage, moitié cependant arrondie à l’entier impair supérieur. Par ailleurs, un minimum de treize cantons pour les départements d’au moins 150 000 habitants est prévu, dix-sept pour ceux avec plus de 500 000 habitants. Le nombre d’élus au niveau national a ainsi augmenté d’un peu plus d’une centaine, de 3 863 à 3 990 sur le territoire métropolitain.
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[3]
Source : Ministère de l’Intérieur, bureau des élections et des études politiques, « Les collectivités locales en chiffres 2013 », www.collectivites-locales.gouv.fr/collectivites-locales-chiffres-2013/.
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[4]
En espérance, car ex ante on ne sait pas avec certitude ce que sera l’état de l’opinion lors d’une élection donnée.
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[5]
D’après lui, ce mécanisme électoral aurait été proposé en 2012 par Karel Janeček, un financier, mathématicien et philanthrope tchèque.
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[6]
D’une certaine façon, l’ingénierie s’apparente au « mechanism design », à ceci près que le problème d’optimisation complet (objectifs et contraintes) est rarement écrit. À cet argument à charge on peut opposer un argument à décharge, à savoir que l’output du mechanism design peut être trop sensible à certains détails de l’optimisation et manquer de ce fait de robustesse.
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[7]
Voir Blais [1988], pour un essai de classification.
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[8]
La diversité des modes de scrutin à travers le temps et l’espace est immense. On en trouvera une description très détaillée dans Diamantopoulos [2004] et Martin [1997].
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[9]
On peut alternativement interpréter la chambre comme un collège de représentants (grands électeurs) élisant le chef de l’exécutif ou le président du territoire. Le mécanisme d’élection du président des États-Unis est de cette nature.
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[10]
Pour alléger les notations, la référence au profil P est omise.
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[11]
Ce mode de scrutin est utilisé pour l’élection d’un certain nombre de leurs députés (tous ou partie) à Djibouti, au Liban, à Singapour, en Tunisie, en Équateur, en Suisse et au Sénégal, et souvent en complément d’un vote par circonscription quand une circonscription doit pourvoir plusieurs sièges.
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[12]
On se distingue ici de Eggers et Fouirnaies [2013] qui considèrent le cas de listes ouvertes. Les électeurs ne peuvent ni panacher ni exprimer une préférence entre les candidats d’une même liste. Dans la version document de travail, nous ajoutons le scrutin majoritaire plurinominal avec listes ouvertes. Il est utilisé pour les élections sénatoriales en France dans certains départements. À proprement parler, si les listes sont ouvertes et s’il y a place pour un vote préférentiel, on a besoin d’un concept plus général convertissant les bulletins de vote possibles en listes de candidats élus. Cette extension n’est pas étudiée dans cet article parce que nous supposons que les caractéristiques personnelles des candidats n’affectent pas le choix des électeurs.
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[13]
Les références sur le sujet sont très nombreuses. Nous renvoyons au livre de Gehrlein et Lepelley [2010] et à l’article de Straffin [1977] pour une introduction.
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[14]
Dans la version document de travail de notre article, nous introduisons formellement deux autres indices : l’indice de disparité mesurant le déficit de représentation des femmes et l’indice de responsabilité mesurant le risque de déficit de représentation de l’intérêt général ou médian par les élus, identifié en langue anglaise sous le vocable « political accountability ». Comme nous l’avons déjà signalé dans la note 12, une mesure de la variation de ces indices pour différents systèmes électoraux suppose un comportement de vote moins mécaniquement guidé par l’affiliation partisane.
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[15]
Sans souci d’exhaustivité, on pourra renvoyer à Nurmi [1999], Feix et al. [2004] et Miller [2012].
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[16]
Remarquons que Maj(P) n’est défini que pour les profils P tels que nG (P) ≠ nD (P).
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[17]
Remarquons que C(rG,rD) n’est défini que lorsque rG ≠ rD.
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[18]
Ĩ1 (M,P) ne doit pas être confondu avec le déficit majoritaire (Beisbart et Bovens [2013]) attaché au profil P qui est défini par 0 si C(mG (P),mD (P)) = Maj(P) et nMaj(P) (P) – nMin(P) (P) si C(mG (P),mD (P)) ≠ Maj(P). Dans le cas où l’utilité ne prend que deux valeurs, cet indice est identique au critère utilitariste utilisé en ingénierie électorale théorique.
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[19]
On pourrait légitimement songer à séparer les deux composantes de l’indice en argumentant que les situations d’ex aequo reflètent plus un potentiel d’instabilité qu’un risque de dismajorité.
-
[20]
Pukelsheim ([2010], chap. 10) contient une remarquable synthèse des principaux d’entre eux. Un autre indice populaire est l’indice de Sainte-Laguë qui s’écrit, pour J partis :Dans le cas où J = 2, le lecteur pourra facilement vérifier qu’il varie toujours de la même manière que l’indice de Gallagher.
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[21]
Une version alternative consisterait à postuler un tirage IAC à l’échelle de chacun des « superdistricts », c’est-à-dire des tirages IAC au sein de chaque superdistrict et indépendants entre les superdistricts. Dans cette version, il devient plus compliqué de déterminer la géographie des votes dans la situation avant réforme.
-
[22]
Sachant que la variable score est discrétisée, il n’est pas possible de calculer la valeur exacte de I2. Nous avons choisi de considérer la moyenne de l’intervalle. Cette valeur n’a aucune raison de coïncider avec la moyenne conditionnelle (à l’intervalle et au nombre de sièges considérés) du score. Nous n’avons pas estimé l’amplitude de l’erreur résultant de cette approximation. Un encadrement de la « vraie » valeur de I2 peut cependant être obtenu en majorant et minorant entrée par entrée les valeurs intervenant dans le calcul de I2.
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[23]
La méthode générale de calcul est exposée dans l’appendice.
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[24]
On notera que, compte tenu de nos hypothèses probabilistes, le volume associé à l’ensemble des situations possibles tend vers 1 quand m tend vers l’infini.
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[25]
Il convient d’insister sur le fait que cette comparaison et celles qui suivent sont basées sur des approximations de vraies tables de contingence et de l’indice I2.
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[26]
Le détail des calculs et les tableaux associés sont présentés dans la version document de travail de cet article.
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[27]
Pout tout ρ > 0, on peut considérer la transformation . Dès lors, on obtient la transformation inverse . Ici nous avons retenu alors que Merrill retient ρ = 4 et Theil ρ = 1. Cela n’a aucune espèce d’importance dans le cas du problème considéré dans cet article. Si nous multiplions par une constante la fonction , il est impossible sur la base des données de faire une différence entre les vecteurs des paramètres (1,μ,Ω) et . Encore une fois, les questions d’identification, de normalité et d’estimation de notre modèle statistique ne sont pas examinées dans cet article.
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[28]
Un des arbitres a attiré notre attention sur le caractère « primitif » de ce simulateur et suggéré de nous orienter vers d’autres logiciels comme Mathlab et Mathematica. Loin de nous l’idée de le contredire. Notons cependant que notre simulateur produit des ordres de grandeur tout à fait acceptables pour dériver les comparaisons provisoires des différentes réformes électorales. Nous pensons à l’avenir perfectionner cet outil. Pour l’heure, signalons qu’il permet aussi de traiter les situations où la magnitude prend des valeurs quelconques. Notons également que les valeurs obtenues ne sont pas les valeurs exactes. Par exemple, les tables de contingence exactes sont symétriques dès l’instant où μ = 0 alors que notre simulateur produit des tables de contingence sensiblement asymétriques. Cela implique en particulier que les valeurs des indices I1 et I2 sont approximatives et devront principalement être utilisées comme des ordres de grandeur.
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[29]
On notera que dès l’instant où les districts sont indépendants, identiquement distribués et non biaisés, la loi marginale décrivant les sièges obtenus par la gauche dans le cas des mécanismes M0 et M1 est une loi binomiale dont les paramètres sont le nombre total de sièges dans le cas de M0 (et le nombre total de binômes dans le cas de M1) et tandis que la loi marginale décrivant le score fait par la gauche tend (en vertu de la loi des grands nombres) à se concentrer autour de lorsque K est suffisamment grand.
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[30]
Comme dans la quatrième section, pour calculer I2 nous avons choisi de retenir le centre de l’intervalle.
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[31]
En principe, la loi ne tolère que des écarts de 20 % à la moyenne, soit un écart maximal de . Cependant des exceptions peuvent être faites en fonction de contraintes géographiques fortes, ce qui est le cas pour le nouveau canton de Haute-Ariège.
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[32]
Par souci d’économie d’espace, les quatre tableaux de contingence ne sont pas insérés dans le texte. Ils peuvent être obtenus sur demande aux auteurs.
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[33]
Sur la base des résultats des premiers tours des élections cantonales/départementales de 2008, 2011 et 2015, on obtient après calcul que le score de la gauche est passé de 75,0 % (moyenne pondérée du nombre de votants de 68,79 % en 2011 et 79,25 % en 2008) à 72,28 % alors que sa part des sièges est passée de 86,36 % à 84,61 %. Par conséquent, la valeur empirique de l’indice I2 est passée de 0,1136 à 0,1233.
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[34]
Dans le cas d’un département historiquement à gauche comme l’Ariège, l’hypothèse d’absence de biais doit certainement être revue ainsi que l’absence de corrélation. L’hypothèse d’indépendance et d’absence de biais considérée ici conduit notamment à une masse de probabilité décrivant le score départemental de la gauche très centrée autour de 50 %. Dans le cas des vingt-neuf terroirs considérés ici, le simulateur produit des tableaux de contingence où la marginale des voix présente une masse de presque 90 % pour l’intervalle [40, 60]. À n’en pas douter, notre évaluation des différents mécanismes est biaisée par cette hypothèse.
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[35]
De tels indices sont proposés dans Grilli di Cortona et al. [1999] et Migheli et Ortona [2010].
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[36]
Le cas où il n’y a qu’un seul siège par district est assez conventionnel et donc omis ici. Le point important à souligner est que nous supposons que les briques/territoires de base sont indépendants entre eux du point de vue probabiliste. Ces territoires peuvent être les districts initiaux (avant une réforme) ou encore des unités de ces districts comme par exemple les communes composant ces districts. À partir de là, nous pouvons étudier n’importe quel (re)découpage et changement de magnitude. Dans cet article, nous partons d’un découpage cantonal avec une magnitude de 1 et nous regardons les réformes associées à des regroupements cantonaux et le passage à une magnitude de 2, donc deux changements concomitants. Mais nous pourrions tout aussi bien ne pas toucher au découpage et augmenter la magnitude de 1 à 2. Ou procéder au regroupement et ne pas toucher à la magnitude. Ou envisager des magnitudes supérieures à 2 et/ou des regroupements plus importants.
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[37]
La version document de travail de notre article contient une analyse préliminaire des situations d’égalité parfaite. Il suffit de reprendre l’analyse de cet appendice en supposant k1 + 2k2 = K et de dénombrer les solutions correspondantes. La valeur de I1 est l’addition de cette valeur affectée du coefficient et de la valeur calculée dans cet appendice.
-
[38]
La borne supérieure de dans la somme sur k2 découle du fait que la seconde inégalité du système 1 implique .
-
[39]
Un changement de même nature s’applique aux inégalités 3.
Introduction
1Cet article s’intéresse à une réforme récente du système électoral français : la réforme du mode d’élection des conseillers départementaux (nouvelle appellation des conseillers généraux). La loi 2013-403 du 17 mai 2013 instaure en effet que le mode de scrutin uninominal à deux tours dans le cadre de circonscriptions (cantons) est remplacé par un scrutin appelé scrutin binominal paritaire. Le principe en est simple. Il consiste dans l’élection d’une liste fermée de deux candidats (un binôme) par canton, liste devant obligatoirement comprendre un homme et une femme. La formule électorale, à deux tours, reste par ailleurs pour l’essentiel inchangée. La majorité absolue permet de l’emporter au premier tour. Sinon, peuvent concourir au second tour tous les binômes ayant obtenu un nombre de voix au moins égal à 12,5 % des inscrits [1]. Lors de ce second tour, le binôme qui a le plus de voix l’emporte. L’objectif de cet article est de proposer un modèle d’évaluation ex ante des effets de cette réforme, dans une perspective d’ingénierie électorale.
2La réforme du mode d’élection des conseillers départementaux modifie trois aspects principaux : le nombre des circonscriptions, par fusion et redécoupage des cantons [2] ; le nombre d’élus par circonscription (ou district magnitude), qui passe d’un à deux ; l’exigence de parité dans la formation des binômes de candidats dans ces circonscriptions. L’effet attendu de cette réforme est principalement une modification de la composition des assemblées départementales en termes de genre puisque, mécaniquement, les nouveaux conseils départementaux comptent autant d’hommes que de femmes. Les débats sur cette réforme ont d’ailleurs porté principalement sur l’exigence de parité. Il est clair que sur ce critère, les conseils généraux étaient les moins bien lotis, avec, avant la réforme, un taux de féminisation des représentants départementaux de seulement 15,3 % [3]. Mais le but est ici d’élargir l’exercice d’évaluation, pour savoir si ce qui est gagné d’un côté ne risque pas d’être perdu de l’autre.
3L’ingénierie électorale dont il est question ici va s’appuyer sur deux indices à la lumière desquels on obtient une image précise de ce que l’on pourrait appeler le code génétique du mode de scrutin. Chaque indice a pour objet de mesurer une qualité spécifique du système électoral considéré. Le premier indice (indice de dismajorité) mesure la probabilité que le mode de scrutin débouche sur une assemblée dont la couleur dominante diffère de l’opinion publique majoritaire. Le second indice (indice de disproportionnalité) mesure l’écart entre la représentation des opinions politiques dans la chambre (mesurée par les sièges) et la représentation politique dans l’opinion (mesurée par les voix).
4Naturellement, un architecte impartial du système électoral souhaiterait que ces indices aient les plus petites valeurs possibles en espérance [4]. Hélas, en voulant diminuer un indice, le législateur prend le risque d’en augmenter d’autres. Par exemple, en changeant le système pour améliorer la représentation des femmes, il peut introduire plus de disproportionnalité dans le système. L’objet de notre article est d’analyser ces arbitrages dans le contexte du nouveau mode d’élection des conseillers départementaux. D’une part, nous voulons évaluer les changements de valeur des deux indices proposés dans le passage de l’ancien au nouveau système. D’autre part, nous souhaitons aussi calculer les valeurs qu’ils auraient prises pour deux réformes alternatives, à savoir l’attribution des deux sièges du binôme à la proportionnelle au plus fort reste ou à la proportionnelle à la plus forte moyenne.
5Le reste de l’article est organisé comme suit. La seconde section introduit plus précisément le cas d’étude, en revenant sur le scrutin binominal. La troisième section présente notre approche de l’ingénierie électorale, le modèle retenu et la construction des indices. Les quatrième et cinquième sections présentent le traitement analytique de leur calcul. Dans cette version préliminaire de notre travail, nous ne procédons pas à une estimation des paramètres du modèle statistique choisi mais nous décrivons la méthode suivie et les possibilités offertes par un simulateur gaussien s’agissant du calcul des indices. L’application de notre méthode pose en effet deux types de problèmes qu’il convient de séparer. D’une part, un problème d’économétrie : comment estimer au mieux à l’aide des données électorales disponibles les paramètres de la loi de probabilité multidimensionnelle qui décrit les tirages des préférences droite-gauche à l’échelle de chaque département ? D’autre part, un problème de mathématique et d’informatique : étant donné cette loi de probabilité, comment calculer les valeurs espérées de ces indices ? La combinatoire du problème est loin d’être simple et la dérivation de formules analytiques exactes concernant la relation voix-sièges est pour tout dire hors de portée dès que le nombre de districts devient élevé. Nous présentons un outil qui nous permet de simuler la loi jointe voix-sièges et donc de calculer les valeurs de nos deux indices.
Le scrutin binominal et ses conséquences attendues
6Le scrutin binominal, nouvellement utilisé pour les élections départementales, n’est pas une invention complète. La version française innove cependant dans le sens où le ticket doit comprendre un homme et une femme.
7Cox [1984] rappelle que la valeur 2 pour la district magnitude était la norme (les deux autres magnitudes les plus fréquentes étant 1 et 3) dans les élections anglaises du xiiie siècle jusqu’au milieu du xixe siècle. Le système politique américain hérita des lois anglaises et la prédominance de circonscriptions avec une district magnitude égale ou supérieure à 2 perdura dans la période postcoloniale. Depuis la seconde guerre mondiale, la district magnitude de 1 s’est cependant imposée comme la norme au niveau fédéral. Aujourd’hui, des circonscriptions de district magnitude égale à 2 existent toujours dans neuf États pour l’élection des membres de leur chambre basse.
8Le choix d’une district magnitude égale à 2 était vu comme un remède potentiel à la disproportionnalité résultant d’une district magnitude égale à 1. Pour en juger, il faut bien sûr spécifier la formule électorale utilisée dans le cas où la district magnitude est égale à 2. Dans le cas anglo-saxon que nous venons d’évoquer, il s’agit du mécanisme majoritaire binominal avec listes complètement ouvertes. On pourrait aussi envisager un mécanisme majoritaire plurinominal avec listes fermées. On peut enfin penser à des formules proportionnelles avec listes semi-ouvertes ou fermées. Il est intéressant d’observer que dans l’argumentaire en faveur de l’adoption du scrutin binominal paritaire tel qu’il apparaît dans le rapport de Delebarre [2012] figure un encadré sur le système d’élection des parlementaires chiliens. Dans ce système binominal, les listes sont ouvertes (les candidats figurant sur les listes pouvant être ou non du même parti), la liste qui obtient le meilleur score emporte le premier siège (qui va à celui des candidats qui a reçu le plus de voix). Le second siège échoit aussi à cette liste si son score dépasse le double du score de la liste suivante. Sinon, il échoit à la liste en seconde position. Dans le cas de deux partis, ce système correspond à la méthode de Jefferson (plus forte moyenne) étudiée dans notre article. Si on avait remplacé double du score par triple du score, on aurait obtenu le système de Hamilton (plus fort reste) aussi étudié dans notre article. Il convient donc de préciser avec quelle formule électorale est couplée une district magnitude de valeur 2.
9Dans le cas anglo-saxon, le système majoritaire plurinominal ne produit pas beaucoup de proportionnalité entre les deux forces politiques : comme le note Gregor [2013], la part des résultats mixtes dans les districts américains utilisant ce système n’est que de 21 %. En revanche, le système chilien conduit à un indice de disproportionnalité plus bas, comme en atteste l’historique des élections parlementaires dans ce pays. Mais aucun de ces systèmes ne prévoit de clause paritaire.
10S’agissant d’ingénierie électorale, on peut se livrer à de nombreuses analyses dans la veine de celle conduite dans cet article. Deux articles (Gregor [2013] ainsi que Eggers et Fouirnaies [2013]) sont particulièrement proches de notre problématique car consacrés à l’analyse de l’impact de la district magnitude et de la formule électorale sur les performances du système électoral.
11Gregor [2013] se livre à un exercice d’ingénierie électorale sophistiqué où il compare, dans le cas d’une district magnitude égale à 2 et d’un ensemble de quatre types de candidats, les systèmes électoraux où chaque électeur dispose d’un certain nombre (maximal) de votes positifs (V+) et d’un certain nombre (maximal) de votes négatifs (V–). Les deux vainqueurs sont les candidats avec les scores nets les plus élevés. Le système majoritaire plurinonimal correspond au cas où V+ = 2 et V– = 0 Le système par approbation correspond au cas où V+ = 3 et V– = 0. Le système par approbation-désapprobation correspond au cas où V+ = 3 et V– = 3 Gregor démontre l’optimalité du système V+ = 2 et V– = 1 [5] lorsque l’évaluation est basée sur l’espérance du critère utilitariste (qui est le critère le plus utilisé dans l’ingénierie électorale unicritère).
12L’article de Eggers et Fouirnaies [2013] est le plus proche du nôtre. Ces auteurs revisitent deux énoncés traditionnels de la science électorale :
- Énoncé 1 : dans le cas où la formule électorale est une formule proportionnelle, l’accroissement de la district magnitude décroît la disproportionnalité ;
- Énoncé 2 : dans le cas où la formule électorale est le scrutin majoritaire plurininominal, l’accroissement de la district magnitude accroît la disproportionnalité.
13Ils font remarquer que l’énoncé 2 fait l’objet de conclusions contradictoires sur le plan empirique et pointent du doigt (à juste titre) le fait que la contrefactuelle n’est pas clairement définie : travaille-t-on à l’échelle d’un district dont la population est fixe ou à l’échelle de l’ensemble des districts, ce qui suppose une réduction par deux du nombre de districts ? Dans le cas où l’on compare, un unique district de magnitude 1, deux districts de magnitude 1 et un district de magnitude 2, ils montrent que l’énoncé 1 est valide quelle que soit la contrefactuelle alors que l’énoncé 2 l’est aussi sans ambiguïté dans le cas de la première contrefactuelle (« district level »), mais ne l’est pas en toute généralité dans le cas de la seconde (« system level »). Ils écrivent cependant : « At the system level, increasing district magnitude (and thus reducing the number of districts) is likely to increase disproportionality » (Eggers et Fouirnaies [2013], p. 273).
14Le fait que le passage d’une magnitude de 1 à 2 concomitante avec une réduction par deux du nombre de districts puisse augmenter la disproportionnalité a été illustré dans un article de Bekmezian [2015] paru dans Le Monde daté du 1er mars 2015 et consacré au cas du département de la Meuse. Avant le redécoupage, la gauche disposait de 13 cantons sur 31, soit 42 % des sièges. En s’appuyant sur les arguments du cabinet Liegey Muller Pons, l’article montre qu’en reportant à l’identique les scores obtenus par ses candidats aux élections cantonales précédentes dans les frontières des nouveaux cantons, la gauche n’obtiendrait plus que 5 victoires sur 17, soit seulement 29 % des sièges. Ainsi, le scénario retenu par le législateur, en divisant le nombre de cantons par deux, devrait renforcer le parti dominant dans un département donné, comme le suggère l’énoncé 2 de Eggers et Fouirnaies.
L’ingénierie électorale et ses arbitrages
L’ingénierie électorale
15Cet article s’inscrit ainsi dans une tradition d’ingénierie électorale [6] (voir par exemple Sartori [1997], Grilli di Cortona et al. [1999] et Norris [2004]). L’ingénierie électorale est une science appliquée relativement jeune mais qui plonge ses racines dans une tradition intellectuelle ancienne, au croisement entre théorie du choix social et science électorale, qui consigne et répertorie les différentes formules d’élection [7]. D’une certaine manière, la théorie du choix social et la science électorale ont en commun de mettre l’accent sur les propriétés attendues d’un mécanisme électoral (en théorie du choix social, on parlera d’axiomes) et les difficultés que l’on rencontre à exiger d’un mécanisme qu’il satisfasse une liste trop longue de propriétés. La théorie met alors en évidence les arbitrages (trade-offs), voire impossibilités, auxquels l’architecte du mécanisme est inévitablement exposé en accomplissant sa tâche de sélection. À des fins de transparence et d’éclairage, l’analyse comparative des avantages et défauts de chaque mécanisme devient alors essentielle [8].
16Dans cet article, nous employons le vocable « ingénierie électorale » pour désigner l’analyse d’un mécanisme électoral à l’aide d’une batterie de critères et d’indices mesurant chacun une dimension importante du mécanisme. Le mot peut cependant recouvrir des approches différentes qu’il convient de distinguer. De ce point de vue, trois aspects méritent d’être discutés. Tout d’abord, on doit se demander si l’analyse est théorique (y a-t-il un modèle causal qui explique analytiquement comment on passe des préférences aux sièges via les bulletins de vote ?) ou empirique (la dépendance entre les performances d’un mécanisme et les paramètres du mécanisme est-elle uniquement le reflet de régularités empiriques ?). Ensuite, dans l’éventualité où l’analyse est théorique, on doit examiner comment l’analyse causale prend en compte ou non les comportements des acteurs. Enfin, s’agissant de l’évaluation normative, on doit expliciter le ou les critères utilisés pour évaluer et mesurer les qualités des mécanismes et l’opportunité d’une réforme. Faut-il se limiter à un critère unique welfariste, cherchant à maximiser le bonheur ou l’utilité du plus grand nombre, ou envisager aussi des critères non welfaristes ?
17Le travail mené dans cet article est principalement théorique dans le sens précis où il repose sur une chaîne causale. Au départ, un mécanisme est une forme de jeu (« game form ») M qui transforme un vecteur de votes V en un vecteur de sièges S. La combinaison du mécanisme M et d’un profil de préférences ou utilités individuelles P définit un jeu non coopératif sous forme normale dont il faut analyser les équilibres V = E(M,P). Autrement dit, l’analyse d’un mécanisme passe par une étude des effets mécaniques mais aussi des effets psychologiques (pour reprendre la terminologie de Duverger) : le changement d’équilibre de V = E(M,P) à V′ = E(M′,P) peut aussi bien provenir des effets mécaniques du passage de M à M′ que de la modification du comportement des électeurs à l’équilibre. Dans notre article, nous supposons qu’il n’y a que deux types de candidats (gauche ou droite ; démocrate ou conservateur). Dans ce cas, l’effet psychologique disparaît car vote sincère et vote stratégique coïncident. En revanche dans le cas général, on ne peut faire l’impasse sur les complexités additionnelles résultant des réactions comportementales aux changements de règles du jeu.
18S’agissant de la dimension normative, notre approche, suivant en cela la science électorale, est multicritère. L’évaluation d’un mécanisme se fait à l’aune de plusieurs critères qui ne sont nullement agrégés. Cette approche doit être contrastée avec celle héritée du mechanism design et utilisée en théorie du vote (Weber [1977] ; Barberà et Jackson [2006] ; Bordley [1983] ; Chamberlin et Cohen [1978] ; Merrill [1985] ; Beisbart et Bovens [2013] ; Beisbart, Bovens et Hartmann [2005]), qui utilise un critère welfariste unique comme par exemple la valeur espérée des utilités individuelles. Le point commun entre l’approche de type « science électorale » utilisée dans cet article et l’approche mechanism design est le point de vue ex ante. L’évaluation du mécanisme se fait en effet avant de connaître le profil de préférences des électeurs. Il faut donc se doter d’un modèle décrivant la fréquence des différents profils sous la forme d’une loi de probabilité sur l’ensemble des profils de préférences.
19L’approche empirique en ingénierie électorale procède de manière différente. En lieu et place de causalités théoriques, elle identifie des régularités empiriques fortes entre les paramètres du système électoral et certains indices décrivant les conséquences du système : nombre de partis dans le paysage politique, taux de participation des femmes à la vie politique, représentation des différentes forces politiques au Parlement, corruption et responsabilité des hommes politiques… Un classique de cette approche est le livre de Taagepera et Shugart [1989]. On trouve dans la littérature récente de nombreuses publications d’ingénierie électorale portant sur des points plus particuliers. Citons notamment le travail de Carey et Hix [2011] portant sur l’impact de la district magnitude sur la disproportionnalité, le nombre de partis dans les coalitions gouvernementales ou au Parlement et la distance entre citoyens et gouvernement.
Le modèle : hypothèses et notations
20Comme les auteurs précédents, nous allons nous focaliser sur un petit nombre d’indices et mesures pour évaluer de manière pertinente les effets de la réforme de l’élection des conseillers départementaux. En préliminaire, il nous faut présenter notre modèle et nos hypothèses, qui précisent ainsi les conditions dans lesquelles nos conclusions resteront valides. Ce modèle conserve volontairement un niveau de généralité plus important que l’objet de son application empirique.
21On modélise l’élection du Parlement [9] (unicaméral) de taille R (ici fixé) d’un pays (ou territoire) N comprenant n électeurs. La chambre est composée de deux types possibles de représentants G ou D et chaque électeur i de N est décrit par sa préférence Pi. Il y a deux préférences possibles : G ou D. Un électorat est donc décrit ici par un profil de préférences : P = (P1,…,Pn) ∈ {G,D}n.. Un mécanisme électoral (scrutin plurinominal) est une application M définie sur {G,D}n et à valeurs dans ℕ2 : à tout profil P = (P1,…,Pn) ∈ {G,D}n, il attache une décision M(P) = (rG (P),rD (P)) ∈ ℕ2, avec rG (P) + rD (P) = R où rG (P) et rD (P) désignent respectivement le nombre d’élus de gauche et le nombre d’élus de droite dans l’assemblée.
22Dans cet article, nous allons nous intéresser à une classe de mécanismes électoraux d’un usage très répandu qui organise l’élection après avoir au préalable divisé le territoire en districts. Précisément, le mécanisme M sera décrit par deux paramètres : le découpage électoral d’une part et la formule de conversion voix/sièges utilisée dans chacun des districts. S’agissant de la première dimension, nous supposerons que la population N est partitionnée (on notera P la partition) en K districts électoraux (circonscriptions, etc.) : N = U1≤k≤K Nk avec Nk ⋂ Nl = ∅ pour tout k,l = 1,…,K, k ≠ l. Ici Nk désigne la population d’électeurs du district k et on notera nk la taille du district. Nous allons nous concentrer sur les mécanismes d’élection où chaque district k élit une partie de la chambre. Précisément, nous supposerons que le district k élit rk ∈ ℕ représentants et que seuls participent à cette élection les électeurs de Nk. L’élection est donc de ce point de vue la juxtaposition de K élections locales. Les résultats des K élections locales définissent une chambre composée de membres. Étant donné un profil P, on notera nGk et nDk le nombre d’électeurs de gauche et de droite dans le district k.
23S’agissant de la seconde dimension, à savoir la conversion des voix en sièges dans chacun des districts, nous allons supposer que chaque camp (G et D) présente dans chaque district k une liste ordonnée de rk noms. La formule convertissant dans le district k le vecteur (nGk,nDk) en un vecteur (rGk,rDk) [10] tel que rGk + rDk = rk sera notée Mk. En résumé, la description complète du mécanisme M comprend trois termes : l’entier K, le vecteur d’entiers r = (r1,…,rK) et le vecteur M = (M1,…,MK).
24Dans cet article, nous allons nous concentrer sur les trois formules électorales suivantes :
- M1 : scrutin majoritaire plurinominal [11] avec listes fermées [12]. La liste recevant le plus de suffrages emporte la totalité des rk sièges.
- M2 : scrutin proportionnel au plus fort reste (méthode de Hamilton). Pratiquement, on définit le quotient (de Hare) comme le nombre . Chaque camp c ∈ {G,D} reçoit autant de représentants que la partie entière de . Les résidus sont attribués au plus fort reste. Il est facile de remarquer qu’avec une magnitude 2, le seuil pour emporter le second siège est égal à 3/4 des voix.
- M3 : scrutin proportionnel à la plus forte moyenne (méthode de Jefferson-d’Hondt). On divise les scores de chaque parti par tous les entiers allant de 1 à rk les sièges étant distribués aux partis en allant du ratio le plus fort au plus faible jusqu’à épuisement du stock de sièges. Avec une magnitude 2, le seuil pour emporter le second siège est donc égal à 2/3 des voix.
25Pour évaluer ex ante un système électoral, il convient de savoir comment il va fonctionner pour chaque situation, c’est-à-dire ici pour chaque profil qui peut se présenter. Dans certaines élections, les votants seront très divisés ou polarisés, et dans d’autres élections, on aura plus d’homogénéité. Cette information probabiliste est décrite par un modèle de tirage aléatoire π du profil P. Deux modèles dominent la littérature [13]. Le premier est connu dans la littérature anglo-saxonne sous le vocable de Impartial Culture (IC). Il correspond à la situation où les Pi résultent de tirages indépendants et équiprobables. Notons T ⊂ N l’ensemble des votants choisissant G pour un tirage particulier de P. Dans ce cas, pour tout T ⊆ N. Le second est connu sous le vocable de Impartial Anonymous Culture (IAC). Il suppose que, conditionnellement au tirage uniforme du paramètre p dans l’intervalle [0,1], les tirages des préférences individuelles sont indépendants et identiquement distribués comme des Bernoulli de paramètre p. On obtient dans ce cas : , où t ≡ #T. Comme souligné par Straffin [1977], ce processus est équivalent au tirage de la valeur de nG (P) de manière uniforme entre 0 et n. Le modèle IAC a été originellement introduit de cette façon. Dans cet article, on considérera une version mixte entre IC et IAC identique à celle étudiée dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2016].
Des indices au service de l’ingénierie électorale
26L’objet principal de cette section est d’identifier à l’aide de deux indicateurs, un indice de dismajorité et un indice de disproportionnalité, quelques-uns des trade-offs qui apparaissent dans le choix d’un mode de scrutin. Cette grille d’indicateurs constitue du point de vue de l’ingénierie électorale un outil d’évaluation des qualités et défauts inhérents à tout système électoral. Une multitude d’indices alternatifs peuvent être également considérés. Implicitement, un indice de représentativité, en l’occurrence des femmes, est évidemment particulièrement pertinent dans le cadre de cet article, même si nous ne le traitons pas formellement. L’application de quotas stricts comme dans notre cas d’étude entraîne mécaniquement une réduction des disparités de représentation sur l’objet de ce quota. Il serait possible bien sûr de développer toute une famille d’indices de dissimilarité de représentation entre groupes sociaux ainsi que des indices de représentation territoriale, d’« accountability », de réactivité… Ces questions ne sont pas abordées ici mais peuvent faire l’objet de traitements similaires au prix d’un modèle plus sophistiqué [14].
Indice de dismajorité
27Rien n’interdit à un système électoral d’élire une chambre dominée, disons par une majorité de gauche, alors que l’opinion dans le pays est majoritairement à droite. Ce paradoxe a été abondamment discuté par les théoriciens du vote [15] sous diverses appellations (paradoxe du référendum, élections inversées). D’après Martin [2006], « un mode de scrutin est plus ou moins monotone selon qu’il respecte dans la répartition des sièges la hiérarchie des votes dans la répartition des voix ». Sous le vocable « concordance », Pukelsheim [2010] recense cette propriété comme une propriété intrinsèque d’une règle d’allocation des sièges (« apportionment rule »). Balinski et Young [2001] ne l’introduisent pas explicitement comme une propriété de base des méthodes d’allocation des sièges mais examinent les implications de propriétés de monotonie plus exigeantes que celle-là.
28Jusqu’à l’élection de Donald J. Trump avec 2 865 000 voix de moins que son adversaire Hillary R. Clinton en 2016, la victoire du président républicain George W. Bush, qui a recueilli moins de voix que son adversaire démocrate Al Gore lors des élections présidentielles américaines de 2000, était l’exemple le plus célèbre d’occurrence d’une élection inversée. Cette pathologie est identifiée dans cet article à l’aide d’un premier indice, I1, que nous allons maintenant décrire.
29Considérons un scrutin électoral arbitraire M : P = {G, D}n → (rG (P),rD (P)) et notons [16] Maj(P) et Min(P) les partis respectivement majoritaire et minoritaire pour P, i.e. :
31La couleur C(rG,rD) d’une chambre composée de rG députés de gauche et de rD députés de droite est notée [17] :
33Nous définirons Ĩ1(M,P) comme suit :
35La moyenne de cette variable aléatoire définit l’indice de dismajorité strict du mécanisme [18] M :
37Pour définir l’indice de dismajorité, il nous faut considérer les situations où les sièges sont partagés en parts égales entre les deux camps. Nous définirons Tie(M,P) comme suit :
39L’indice de dismajorité du mécanisme M est alors défini comme suit :
41Dans cette définition, nous avons supposé qu’en cas d’égalité des sièges, l’opinion majoritaire prévalait avec la probabilité [19]. L’indice de dismajorité désigne donc la probabilité que la hiérarchie des sièges inverse la hiérarchie des voix. De notre point de vue, il est préférable d’avoir un mécanisme pour lequel cet indice prend une valeur aussi petite que possible. Plus I1 (M) est grand et plus le risque d’être confronté à un traumatisme de type Bush-Gore ou Trump-Clinton est grand.
42Parmi les mécanismes avec districts, deux ont un indice minimal. C’est tout d’abord le cas du mécanisme associé à K = 1 : une seule (gigantesque) circonscription. Mais c’est aussi, à l’inverse, celui où K = n (démocratie directe) : cette fois chaque électeur siège dans une assemblée de taille gigantesque. Ce second mécanisme est irréaliste car des assemblées de trop grande taille sont inconcevables. Le premier en revanche ne l’est pas, mais il est souvent critiqué pour d’autres raisons comme par exemple le manque de proximité des représentants ainsi élus.
Indice de disproportionnalité
43Le premier indice concernait le respect de l’ordre des résultats en voix. Ce second va concerner le respect de la proportionnalité. La chambre doit refléter au mieux les poids respectifs des deux opinions ou idéologies. Comment mesurer la disproportionnalité d’une chambre ? Les politologues ont proposé de nombreux indices différents. Dans le cas général d’un paysage composé de J partis, l’indice de Gallagher [1991] est défini comme suit :
45où Vj et Sj désignent respectivement le pourcentage de voix et le pourcentage de sièges obtenus par le parti j. Dans le cas où J = 2, on obtient pour un mécanisme M et un profil P l’indice noté I2 (M,P) :
47L’indice consiste à considérer la valeur moyenne de cette variable aléatoire ; autrement dit, l’indice de disproportionnalité du mécanisme M est défini par :
49On veut que cet indicateur soit le plus petit possible. Bien entendu, si P est tel que le parti minoritaire dans l’opinion est majoritaire dans l’assemblée, I2 (M,P) est différent de 0. Par exemple, si le pourcentage de sièges obtenus par Min (P) est 60 alors que le pourcentage des voix obtenues par Min (P) est 40, alors I2 (M,P) vaut 20 %. On trouve aussi 20 % dans le cas où le pourcentage de sièges obtenus par Min (P) est 45 alors que le pourcentage des voix obtenues par Min (P) est 25. Les deux 20 % ne sont pas tout à fait identiques : le premier est comptabilisé par I1 (M,P) et I2 (M,P) alors que le second l’est uniquement par I2 (M,P).
50De nombreux autres indices ont été proposés et la littérature abonde de résultats [20]. Pour un district et une magnitude donnés, la méthode proportionnelle de Hamilton minimise l’indice de Gallagher atteint. Cela suggère qu’en retenant l’indice de Gallagher nous avons fait le choix « biaisé » implicite de mesurer la disproportionnalité par rapport à la méthode de Hamilton–Sainte-Laguë. Notons cependant que cet argument n’est que local dans le sens où d’Hondt appliqué localement peut parfois conduire à une plus petite valeur de l’indice de Gallagher que Hamilton appliqué localement. À titre d’illustration, considérons le cas de districts équipeuplés et d’une magnitude égale à 2, et supposons que la gauche fasse un score de 24 % dans la moitié des districts et un score de 70 % dans l’autre moitié. Son score global est donc de 47 %. Avec Hamilton, elle obtient 25 % des sièges et I2 vaut donc 0,22. Alors qu’avec Jefferson-d’Hondt, elle obtient 50 % des sièges et I2 vaut 0,03. On ne peut donc pas déduire de l’usage de l’indice de Gallagher qu’il biaise systématiquement le calcul de la disproportionnalité en faveur de Hamilton, car il existe des profils où ce n’est pas le cas. Le calcul en espérance qui dépend du modèle probabiliste retenu sera de ce point de vue critique.
Traitement analytique du cas symétrique
Considérations préliminaires
51Le traitement analytique complet du cas général est hors de portée. Il mêle plusieurs difficultés qu’il convient de distinguer. La première difficulté prend sa source dans le fait que la situation de départ n’est pas nécessairement symétrique. Tout d’abord, le couple d’entiers (nk,rk) peut varier d’un district à l’autre. Si l’architecte ne peut pas redessiner la carte des districts pour que tous les districts soient équipeuplés (ou presque équipeuplés modulo une tolérance raisonnable), alors la question du choix des entiers rk (question de l’apportionment) devient une question fondamentale qui a fait l’objet d’une littérature abondante (voir Balinski et Young [2001] et Pukelsheim [2010]). Une seconde source d’asymétrie tient au fait que le mécanisme peut varier d’un district à l’autre en fonction de paramètres exogènes : par exemple, les zones urbaines peuvent employer un mécanisme différent de celui employé dans les zones rurales.
52Ici, s’agissant de l’approche analytique, nous allons passer sous silence ces deux difficultés et nous concentrer sur le cas où R, égal à 1 ou à 2 et Mk = M pour tout k = 1,…,K où K est un entier pair. En d’autres termes, nous nous concentrerons sur le cas d’un territoire divisé en districts équipeuplés et envoyant de ce fait un nombre égal de représentants à la chambre (1 ou 2). En résumé, dans le cas d’école considéré ici, le mécanisme M est complètement décrit par : K le nombre de districts, la district magnitude r et l’une des trois formules électorales M décrites précédemment. Naturellement, dans le cas où r = 1 les trois formules coïncident. Dans ce contexte, nous allons comparer la situation de départ (avant la mise en place de la réforme) et trois situations d’arrivée (décrivant la situation après la mise en place d’une réforme). Les trois situations d’arrivée comprennent la réforme qui a été effectivement choisie en France par le législateur et deux réformes alternatives qu’il aurait pu envisager.
- Situation de départ : K districts et rk = 1 pour tout k = 1,…,K. Les trois formules coïncident avec le mécanisme majoritaire noté ci-après M0.
- Situation alternative : districts et rk = 2 tout . Les trois réformes possibles sont décrites par les trois formules électorales discutées précédemment : M1, M2 et M3. Pour évaluer les qualités et défauts des mécanismes associés à ces formules électorales, on souhaite procéder au calcul de I1 (M) et I2 (M) et mettre alors en évidence les trade-offs éventuels. Ces comparaisons seront conduites à l’aide de modèles probabilistes, présentés plus loin. Mais au préalable, pour se convaincre de la nécessité d’un modèle stochastique, commençons par montrer que pour i = 1,2,3, il n’est pas possible de déterminer les signes de et de indépendamment de P. Nous développons cet argument dans le cas de M1 et M2 (le cas de M3 étant très similaire à celui de M2) et K = 100.
Passage au scrutin binominal au plus fort reste
53Considérons le cas où la gauche est majoritaire dans tous les districts dont le numéro va de 1 à 98 avec un score de 70 % et perd les deux derniers avec un score de 20 %. L’opinion populaire est majoritairement à gauche et la gauche remporte 98 sièges. Donc I1 vaut 0. Si les superdistricts sont constitués par les districts adjacents, alors la gauche ne remporte plus que 49 sièges (puisqu’il faut 75 % des voix pour obtenir 2 sièges avec M2). Ici, le passage de M0 à M2 a été mauvais du point de vue de I1. Considérons maintenant le cas où la gauche fait un score de 80 % dans les districts dont le numéro va de 1 à 48 et un score de 49 % dans les 52 autres districts. L’opinion populaire est majoritairement à gauche mais la gauche ne remporte que 48 sièges. Donc I1 vaut 1. Si les superdistricts sont constitués par les districts adjacents, alors la gauche remporte 74 sièges. I1 prend maintenant la valeur 0. Dans ce cas, le passage de M0 à M2 a été bon du point de vue de I1.
54S’agissant de I2, on notera que dans le premier profil ci-dessus, I2 passe de la valeur 0,29 à la valeur 0,20. Dans ce cas, le passage de M0 à M2 a été bon du point de vue de I2. Considérons, à l’inverse, le cas où la gauche est majoritaire dans tous les districts dont le numéro va de 1 à 48 avec un score de 75,01 % et perd les 52 autres avec un score de 25,01 %. L’indice I2 prend la valeur 0,011. Si les superdistricts sont formés des districts adjacents, alors la gauche remporte 74 sièges et l’indice I2 grimpe à la valeur 0,2499. Ici, le passage de M0 à M2 a été mauvais du point de vue de I2.
Passage au scrutin majoritaire binominal
55Considérons le cas où la gauche est majoritaire dans tous les districts dont le numéro va de 1 à 51 avec un score de 51 % et perd les 49 autres avec un score de 19 %. L’opinion populaire est majoritairement à droite mais la gauche remporte 51 sièges. Donc I1 vaut 1. Supposons que dans la formation des superdistricts, les 49 premiers numéros sont appariés avec les 49 derniers et que les districts 50 et 51 sont appariés entre eux. Dans ce cas la gauche remporte 2 sièges et I1 vaut 0. Ici, le passage de M0 à M1 a été bon du point de vue de I1. Considérons maintenant le cas où la gauche fait un score de 80 % dans les districts dont le numéro va de 1 à 48, un score de 51 % dans les districts 49, 50, 51 et 52 et un score de 47 % dans les districts restants. L’opinion populaire est majoritairement à gauche et la gauche remporte 52 sièges. Donc I1 vaut 0. Supposons que, dans la formation des superdistricts, les 48 premiers numéros sont appariés entre eux ainsi que les 44 derniers numéros, et que les districts 49, 50, 51 et 52 sont respectivement appariés avec les districts 53, 54, 55 et 56. Dans ce cas, la gauche emporte 48 sièges et I1 vaut 0 : le passage de M0 à M1 a été mauvais du point de vue de I1.
56S’agissant de I2, on notera que dans le premier profil ci-dessus, I2 passe de la valeur 0,1568 à la valeur 0,3332. Dans ce cas, le passage de M0 à M1 a été mauvais du point de vue de I2. Considérons, à l’inverse, le cas où la gauche est majoritaire dans tous les districts dont le numéro va de 1 à 49 avec un score de 90 % et perd les 51 autres avec un score de 49 %. L’indice I2 prend la valeur 0,2009. Supposons que, dans la formation des superdistricts, les 24 premiers numéros sont appariés avec les 24 derniers numéros, que les 24 numéros suivants sont appariés entre eux, que le district 49 est apparié avec le district 50 et que les districts dont les numéros sont compris entre 51 et 76 sont appariés entre eux. La gauche remporte 74 sièges et I2 vaut maintenant 0,0491. Ici, le passage de M0 à M1 a été bon du point de vue de I2.
Hypothèses probabilistes
57À l’aune de ces exemples, nous déduisons que pour évaluer les qualités et défauts de ces quatre mécanismes, il nous faut considérer maintenant un modèle probabiliste de tirage des préférences. Pour ce faire, nous allons temporairement privilégier le modèle IAC. Comme nous l’avons fait remarquer, son intérêt vient de ce qu’il donne la même probabilité d’occurence à toutes les répartitions de n votants entre les deux partis. Cependant, il y a plusieurs façons de le décliner dans les détails, selon l’échelle (district ou superdistrict) où il s’applique. Nous allons ici privilégier une version [21] du modèle IAC notée IAC* qui postule des tirages IAC au sein de chaque district et indépendants entre les districts. La loi de répartition des votes dans le superdistrict sera donc une toute nouvelle loi, à préciser, résultant des deux tirages indépendants dans chaque district. Ce modèle IAC* est étudié dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2016].
58Notons que ce modèle diffère du modèle IAC. La version classique d’IAC impliquerait une corrélation entre les votes de tous les électeurs alors qu’IAC* implique des votes indépendants entre les électeurs appartenant à des districts différents.
59Pour le modèle stochastique défini ci-dessus, nous souhaitons idéalement calculer I1 (M) et I2 (M) pour les quatre mécanismes considérés. Ces huit calculs soulèvent des problèmes combinatoires qui sont loin d’être immédiats. Le calcul (exact dans certains cas, ou approché) de I1 (M) a été effectué par Feix et al. [2004], Lepelley, Merlin et Rouet [2011] et May [1948] dans le cas où r = 1 sous l’hypothèse IAC*. Si on souhaite importer leurs calculs dans notre article, il nous faut accepter de faire l’hypothèse que dans le passage de K à , on change de modèle probabiliste en passant de IAC* à une version de IAC* appliquée aux superdistricts au lieu d’être appliquée aux districts. Nous ne souhaitons pas aller dans cette direction mais notons cependant que, même dans ce cas, la comparaison n’est pas immédiate. En effet, en notant Pr(m,K) la probabilité d’une élection inversée dans le cas du modèle IAC* appliqué à une population divisée en K districts chacun peuplé de électeurs, il nous faudrait comparer et . Les calculs de ces auteurs suggèrent que la fonction Pr est une fonction croissante de ses deux arguments qui converge rapidement vers . Mais ici, en variant K, on fait varier les deux arguments dans des directions opposées et on ne peut rien déduire immédiatement de ces résultats.
60Puisque nous avons supposé que K est pair, la probabilité que la droite et la gauche aient le même nombre de représentants dans l’assemblée est non nulle. Elle le reste après la réforme pour les mécanismes M2 et M3. En revanche, dans le cas de M1, elle est non nulle ssi est pair. Sur la base d’un fichier d’élections cantonales, Lahrach et Merlin [2012] montrent que l’égalité parfaite s’est produite au moins quatre fois lors de chaque élection cantonale depuis 1982. Certaines années, le chiffre est nettement plus élevé et a même atteint la valeur record de 14 en 1988 !
Comparaison des mécanismes dans des cas simples
61En raison des difficultés analytiques discutées ci-dessus, nous offrons dans cette section un calcul exact de I1 (M) et I2 (M) pour les quatre mécanismes considérés ici dans des cas particuliers où l’analyse est possible. Du point de vue des trade-offs, ces calculs révèlent déjà des différences intéressantes entre les mécanismes. Il est cependant prématuré de déduire de cette étude particulière des principes généraux pour toute valeur de K.
62Le calcul procède en deux étapes. Dans une première étape, nous allons considérer le cas de trois districts et procéder au calcul de I1 (M) et I2 (M) dans le cas où la district magnitude est 1 puis dans le cas où la district magnitude est 2 pour chacune des trois formules électorales envisagées. Dans une seconde étape, nous considérons six districts et produisons les calculs de I1 (M) et I2 (M) pour les quatre mécanismes M considérés. Ce dernier calcul nous permet de comparer l’évolution des indices lorsque l’on passe de six districts à trois superdistricts pour chacun des mécanismes. L’analyse est menée sous l’hypothèse IAC* lorsque la population de chaque district devient infiniment grande.
63Dans la suite de cette section, nous utilisons une approximation discrète de la variable score avec un pas de 10 % [22].
Valeurs des indices avec trois districts : r = 1, r = 2
64Considérons donc en premier lieu un territoire composé de trois districts avec une district magnitude que nous prendrons égale à 1, puis à 2. L’objet de cette première étape est d’une part d’illustrer le calcul de I1 (M) et I2 (M) dans le cas le plus simple qui soit, et d’autre part d’offrir une première analyse de l’impact de la district magnitude sur la performance de chaque formule électorale.
65Si le calcul de I1 (M) repose sur des techniques éprouvées [23], celui de I2 (M) est nettement plus fastidieux car il impose la détermination préalable de la loi conjointe des variables VG et rG, qui, rappelons-le, désignent respectivement la proportion d’électeurs de gauche sur le territoire et le nombre de représentants de gauche au conseil du territoire. Le tableau 1 résume les résultats obtenus pour r = 1 (dans ce cas les trois mécanismes coïncident évidemment).
66La probabilité que la gauche obtienne entre 40 % et 50 % des voix sur le territoire (qui compte 3m électeurs) et un siège au conseil territorial est ainsi de 153/1000. Ce chiffre est obtenu en déterminant le volume du simplexe défini par les inégalités suivantes (où l’on a posé et supposé que m tend vers l’infini) [24] :
68ce qui donne 51/1000 et l’on obtient la probabilité de 153/1000 en multipliant par 3. Il y a donc une probabilité de 15,3 % pour que la gauche obtienne (en moyenne) 45 % des voix du territoire et seulement un tiers des conseillers, ce qui nous permet d’approximer un indice de disproportionnalité égal à sur l’intervalle. On peut ainsi donner une approximation de I2 (M) de la manière suivante (en tenant compte de la symétrie du tableau 1) :
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 1, M = M0
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 1, M = M0
70Il est clair que la loi conjointe permet aussi de calculer I1 (M) puisque la dismajorité se produit quand (par exemple) la gauche est majoritaire en voix et minoritaire en sièges. On notera que dans ce cas le calcul est exact (sous nos hypothèses probabilistes), car il ne dépend pas du pas de discrétisation. On obtient du tableau 1 :
72en accord avec le résultat obtenu par May [1948] et Feix et al. [2004] pour trois districts et m infini.
73Nous supposons maintenant que chaque district envoie deux représentants au conseil départemental, soit r = 2. Si le mécanisme est M1, les probabilités du tableau 1 sont inchangées (les valeurs de rG sont maintenant 0, 2, 4 et 6). Les indices I1 (M1) et I2 (M1) sont donc ceux que nous venons de calculer. Tel n’est plus le cas si l’on utilise les mécanismes M2 ou M3.
74Considérons en premier lieu M2 (proportionnelle au plus fort reste). Dans ce cas, le district k obtient 0 représentant de gauche si nGk < m/4, 1 représentant si m/4 ≤ nGk ≤ 3m/4 et 2 représentants si nGk > 3m/4. Appelons résultat du vote le vecteur (a,b,c) indiquant le nombre de représentants de gauche élus par chacun des districts. Les types de résultats associés à chaque valeur possible de rG sont précisés dans le tableau 2.
Configurations des résultats dans les trois districts
Configurations des résultats dans les trois districts
75Nous sommes alors en mesure de déterminer la loi conjointe de VG et rG. Par exemple, la probabilité que la gauche obtienne entre 20 % et 30 % des voix sur le territoire et deux sièges au conseil est obtenue en évaluant les volumes associés aux ensembles d’inéquations définis comme suit :
77et
79qui correspondent respectivement aux types de résultats (1, 1, 0) et (2, 0, 0). Nous obtenons R pour le premier et pour le second. La probabilité recherchée est donc donnée par :
81Le tableau 3 résume les résultats. Le mécanisme M2 réduit la disproportionnalité, puisque nous obtenons :
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 2, M = M2
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 2, M = M2
83contre 0,136 pour le mécanisme M1… mais cet avantage se paie par une augmentation sensible du risque de dismajorité. Nous avons en effet :
85contre 0,125 pour M1. Notons toutefois que cette valeur s’explique en grande partie par les situations dans lesquelles chaque camp obtient trois sièges. En effet :
87Nous considérons maintenant le mécanisme M3. L’analyse est identique à celle que nous avons menée pour le mécanisme M2, avec cette différence que le district k obtient 0 représentant de gauche si nGk < m/3 (au lieu de nGk < m/4), 1 représentant si m/3 ≤ nGk ≤ 2m/3 et 2 représentants si nGk > 2m/3. Les résultats obtenus pour la loi conjointe VG et rG sont présentés dans le tableau 4.
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 2, M = M3
Loi conjointe de VG et rG : K = 3, r = 2, M = M3
88Les valeurs de I1 (M3), Ĩ1 (M3) et Ĩ2 (M3) sont directement regroupées dans le tableau 5, qui présente la synthèse des résultats obtenus pour trois districts de magnitude 2.
Une synthèse des valeurs des indices pour trois districts de magnitude 2
Une synthèse des valeurs des indices pour trois districts de magnitude 2
89Le scrutin proportionnel à la plus forte moyenne, M3, apparaît dans le cas considéré et parmi les mécanismes étudiés comme celui qui offre le meilleur compromis [25] entre dismajorité, disproportionnalité et risque d’instabilité. Si la méthode du plus fort reste (M2) offre un léger avantage entre terme de risque de disproportionnalité, la plus forte moyenne réduit le risque de dismajorité pure et augmente modérément le risque d’instabilité par rapport à M1.
Le passage de six districts à trois districts de magnitude 2
90On s’efforce maintenant d’évaluer l’impact du passage au scrutin binominal sur la valeur des indices I1 (M) et I2 (M). On considère pour cela un territoire composé au départ de six districts. Il y a m votants par district et, dans la situation initiale, chacun des districts élit un représentant à la majorité des voix. On rappelle que dans chaque district le tirage du résultat obéit à l’hypothèse IAC, et comme les tirages sont indépendants, nous sommes bien dans le cas IAC*. On commence par calculer la valeur de nos deux indices dans un tel contexte. La loi conjointe des variables VG et rG est précisée dans le tableau 6.
Loi conjointe de VG et rG : K = 6, r = 1, M = M0
Loi conjointe de VG et rG : K = 6, r = 1, M = M0
91On vérifiera aisément que l’on obtient (en supposant qu’avec trois représentants de chaque bord, les décisions sont tirées au sort) :
93On suppose ensuite que les districts sont regroupés deux par deux pour constituer trois superdistricts (le premier est constitué des districts 1 et 2, le deuxième des districts 3 et 4 et le troisième des districts 5 et 6). Chaque superdistrict a 2m électeurs qui élisent deux représentants. Les valeurs de I1 (M) et I2 (M) vont alors dépendre du mode de scrutin : M1 (le scrutin de liste fermé), M2 (la proportionnelle au plus fort reste) ou M3 (la proportionnelle à la plus forte moyenne). La synthèse des résultats est présentée dans le tableau 7 [26].
L’évolution des indices lors du passage de six à trois districts
L’évolution des indices lors du passage de six à trois districts
94M = M3 apparaît là encore comme le meilleur compromis : il réduit (légèrement) à la fois le risque de dismajorité et la disproportionnalité par rapport à la situation initiale (six districts, un représentant par district). Par rapport à M = M1, il réduit significativement l’indice de disproportionnalité et accroît avec modération le risque de dismajorité/instabilité. M = M2 a des vertus comparables à l’exception d’une augmentation très significative du risque d’instabilité. C’est la conséquence du seuil très permissif de 75 %. Une voie, non explorée dans cet article, serait de faire chuter en deçà de 66 % le seuil à partir duquel le vainqueur obtient deux sièges, par exemple à 60 %, 55 % ou 52 %. Nous pourrions alors examiner l’évolution des indices à mesure que le système proportionnel se rapproche de plus en plus de M = M1, ce qui nous donnerait une vision plus fine des arbitrages possibles.
Traitement par simulation du cas asymétrique
95Dans la section précédente, nous avons procédé au calcul analytique des indices dans le cas d’un modèle aléatoire symétrique très important mais dont la motivation est principalement théorique. Pour évaluer empiriquement la qualité d’un mécanisme électoral M à l’aune des indices I1 (M) et I2 (M), nous allons développer dans cette section un modèle aléatoire plus flexible (entendant par là décrit par un grand nombre de paramètres) qui décrit les probabilités des différents profils susceptibles d’émerger au moment de l’élection.
Vers un modèle géographique du vote : variations sur les modèles de Theil et Merrill
96Dans cette section, nous allons nous écarter sensiblement du cadre retenu jusqu’à présent et considérer un modèle stochastique, où, dans chaque canton k (ou, plus généralement, chaque territoire considéré dans la partition initiale si le canton n’est pas l’unité de cette partition), la variable modélisée est la proportion d’électeurs pGk votant à gauche dans le canton k et pour l’élection et non nGk, le nombre d’électeurs du canton k qui ont voté à gauche dans l’élection : est naturellement comprise entre 0 et 1. En cela, nous empruntons un chemin proche de celui suivi par Merrill dans une série d’articles sur l’estimation de certains paradoxes du vote dans le cadre du collège électoral américain (Merrill [1978a], [1978b]) et par Theil [1970] dans son étude de la relation voix-sièges et la loi du cube.
97Précisément, on suppose que les proportions d’électeurs de gauche dans chaque canton sont tirées selon une loi de probabilité décrite comme suit. On commence par considérer un vecteur gaussien latent X = N(μ,Ω) de dimension K : μ ∈ ℝK et Ω ∈ ℝK×K désignent respectivement le vecteur moyenne et la matrice de variances-covariances de X. Le vecteur X est transformé en un vecteur pG dans [0,1]K à l’aide de la transformation logistique ci-dessous :
99À l’inverse, connaissant le vecteur p, on peut retrouver, pour chaque k = 1,…, K, les valeurs de la variable Xk à l’aide de la transformation inverse [27] :
101Pour rendre compte, par exemple, d’une tendance départementale, on peut définir le vecteur X de la façon suivante. On considère tout d’abord un vecteur aléatoire gaussien Y de taille K + 1 dont les coordonnées sont indépendantes d’où l’on déduit le vecteur gaussien X en considérant la transformation linéaire : Xk = Yk + YK+1 pour tout k = 1,…, K. La dernière variable Yk+1 joue le rôle d’une tendance départementale commune. En notant, θk, λk les paramètres de la kième coordonnée pour k = 1,…,K + 1, on obtient μk = θk + θK+1, σ2kk ≡ σ2k = λ2k + λ2K+1 et Cov(Xk, Xl) = λ2K+1. Il s’agit donc d’une spécification du modèle général où toutes les covariances sont supposées égales entre elles : cette hypothèse capture l’idée d’un déplacement du vote à gauche ou à droite consécutivement à un choc commun qui affecte donc dans la même direction tous les cantons. Rien n’empêche cependant de considérer à ce stade des matrices de variances-covariances plus générales où, à côté d’une covariance globale à l’échelle du département, figureraient des covariances locales capturant des interactions plus territorialisées.
102On notera que le modèle retenu ici est plus général que le modèle IAC* pour deux raisons. En premier lieu, la loi conjointe n’est plus le produit des lois marginales et nous autorise des covariances intercantonales arbitraires (en particulier différentes de zéro). Par ailleurs au niveau des lois marginales (propres à chaque canton), le modèle généralise IAC dans deux directions. D’une part, il n’est plus symétrique : par exemple, si μk > 0, le canton k est biaisé à gauche. D’autre part, la loi n’est plus uniforme. Si σk est « moyennement » grand, alors la masse de probabilité est, comme dans le cas de la loi uniforme, à peu près équitablement dispersée sur [0,1] alors que si σk est très petit, la masse de probabilité est concentrée autour de la moyenne comme dans le modèle IC. Si σk est relativement grand, alors, à l’inverse, la masse de probabilité tend à se concentrer sur les extrêmes.
103À chaque tirage du vecteur X est associé le profil (pG1, pG2,…,pGK), décrivant la géographie du vote à gauche canton par canton dans le département considéré. Le score pG de la gauche dans le département est alors égal à :
105Pour chacun des trois mécanismes, on peut calculer le nombre de sièges rGk obtenus par la gauche dans le canton k et donc le nombre total de sièges rG obtenus par la gauche dans le département : . Le vecteur (pG,rG) est la réalisation d’un vecteur aléatoire bivarié qui décrit la loi conjointe voix-sièges. Une détermination explicite de la densité de cette loi semble malheureusement hors de portée. Nous allons considérer dans ce qui suit une discrétisation de cette loi, le pas de discrétisation pouvant être choisi aussi petit que l’on veut. Le calcul de la loi conjointe est effectué par un simulateur programmé en R [28]. Il repose sur l’idée que si le nombre de simulations du vecteur gaussien est grand, d’après le théorème de Glivenko-Cantelli, l’histogramme empirique décrivant les différents événements élémentaires voix-sièges (en nombre fini après discrétisation) est voisin de l’histogramme exact. Plusieurs facteurs vont affecter et déterminer la géographie des votes et donc la relation voix-sièges ; il est utile de les séparer :
- l’intensité et la nature de la compétition entre les partis représentées par les lois marginales décrites ici par deux paramètres. Un canton sera intrinsèquement compétitif ou pivot lorsque la probabilité d’un petit intervalle centré sur sera élevée. Lorsque la loi marginale du district k est non biaisée, c’est-à-dire lorsque μk = 0, cela correspond aux cas où σk prend de petites valeurs ;
- l’intensité de la covariance. Il est clair qu’une forte covariance tendra à aligner les votes des différents districts et à produire des cartes plus homogènes ;
- l’intensité du malapportionment.
106Dans la suite, nous allons utiliser ce simulateur pour analyser des situations artificielles (en faisant varier le nombre de districts, les paramètres du Gaussien latent et le niveau de malapportionment) et réelles (nous nous concentrerons sur le département de l’Ariège) pour les quatre formules électorales précédemment décrites [29].
Le cas de trois districts
107Dans cette sous-section, nous laissons de côté la question du découpage électoral et du changement conséquent de formule électorale pour nous concentrer sur les possibilités offertes par le simulateur dans le cas le plus simple, cela afin de nous focaliser sur la loi conjointe et le calcul de I1 et I2 [30].
108Dans un premier temps, on suppose que tous les districts sont pivots, c’est-à-dire que μ = (0,0,0) et qu’il n’y a pas de problème de malapportionment (chaque district a le même poids démographique et élit un et un seul représentant). Commençons aussi par le cas où les covariances sont toutes nulles pour nous concentrer sur le rôle des variances, rôle évoqué plus haut dans la discussion de la distribution de Merrill. Le tableau 8 présente les résultats obtenus dans le cas de 105 simulations, d’un pas de discrétisation égal à 10 % et d’une matrice Ω avec un écart type égal à 6 dans tous les cantons (situation dans laquelle notre modèle se rapproche d’une simulation IAC*).
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0, σk = 6
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0, σk = 6
109On voit en particulier que la probabilité que la gauche soit minoritaire et remporte cependant deux des trois sièges est voisine de 0,0593 + 0,0032 = 0,0625. Pour la droite, ce chiffre est estimé à 0,0588 + 0,0030 = 0,0618. On obtient un I1 estimé à 0,0625 + 0,0618 = 0,1243. Pas loin de la valeur théorique de obtenue pour le modèle IAC* par Feix et al. [2004]. L’indice I2 est quant à lui obtenu grâce au calcul suivant :
111Lorsque l’écart type grimpe à la valeur 10, on obtient la loi estimée présentée dans le tableau 9. La probabilité que le parti minoritaire remporte cependant deux des trois sièges est maintenant voisine de 0,0033 + 0,0425 + 0,0405 + 0,0033 = 0,0896. Soit, une très nette diminution de I1 ! L’indice I2 est lui aussi en diminution puisqu’on obtient après calcul I2 = 0,1123. On remarque que certains événements négligeables avant prennent maintenant de l’importance : par exemple la probabilité que la gauche fasse moins de 10 % est désormais de l’ordre de 2 %. À l’inverse, la probabilité pour la gauche de n’obtenir aucun siège et un score entre 40 % et 50 % des voix est divisée par 4.
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0, σk = 10
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0, σk = 10
112Lorsque l’écart type tombe à la valeur , on se rapproche du modèle IC et on obtient le tableau 10. Désormais, la loi marginale des voix est concentrée sur l’intervalle [40 %, 60 %]. On voit que I1 est estimé à 0,0808 + 0,0824 = 0,1632, proche de la valeur théorique de obtenue pour le modèle IC par Feix et al. [2004]. On observe par ailleurs une augmentation de la disproportionnalité avec un indice estimé à I2 = 0,2164. Ces observations sont confirmées par le tableau 11 où la valeur de l’écart type tombe à et où l’on a affiné le pas de discrétisation, qui passe de 10 % à 5 %. De fait, toute la masse de probabilité est concentrée dans l’intervalle [45,55]. On en déduit bien sûr I1 = 0,1632 et une valeur de I2 = 0,2332.
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0,
Estimation de la relation voix-sièges pour trois cantons, μk = 0,
Zoom autour de 50 %, μk = 0,
Zoom autour de 50 %, μk = 0,
113Dans le tableau 12, nous examinons l’impact de la covariance (avec un écart type de 10) en introduisant une corrélation uniforme et modérée. Ici le coefficient de corrélation est égal à 0,3. On voit que I1 tombe à la valeur 0,00266 + 0,03414 + 0,034480 + 0,00322 = 0,0745. On obtient par ailleurs I2 = 0,1169. On note que la masse de probabilité est plus étalée : par exemple la fréquence de l’événement « la gauche fait un score départemental entre 10 et 20 % sans remporter de sièges » monte à 7,7 % (elle était plus faible jusqu’à présent). Ce phénomène sera évidemment amplifié avec un coefficient de corrélation plus élevé.
L’impact d’une covariance modérée : μk = 0, σ = 10, ρ = 0,3
L’impact d’une covariance modérée : μk = 0, σ = 10, ρ = 0,3
114Nous considérons maintenant l’impact de biais partisans. Que se passe-t-il si par exemple l’écart type est égal à 1, les covariances sont parfaites mais le canton 2 est biaisé à gauche alors que le canton 3 est biaisé à droite avec un biais d’amplitude 0,1 ? Les résultats reportés dans le tableau 13 sont éloquents. Deux événements absorbent la quasi-totalité de la masse de probabilité : « La gauche fait entre 40 et 50 % des voix et n’obtient aucun siège » et, symétriquement, « La droite fait entre 40 et 50 % des voix et n’obtient aucun siège ». Ici l’indice I1 est égal à 0 mais l’indice I2 est très élevé puisque l’on obtient I2 = 0,4127.
L’impact d’un biais : μk = (0, 0,1, –0,1), σ = 1, ρ = 1
L’impact d’un biais : μk = (0, 0,1, –0,1), σ = 1, ρ = 1
115Nous terminons cette section en examinant les effets du malapportionment sur les deux indices. Bien que chaque canton n’élise qu’un seul représentant, leurs populations peuvent varier fortement. Nous supposons ici l’absence de biais, l’absence de covariances et une variance identique égale à 1 dans tous les cantons. Dans le cas où le premier canton est dix fois plus peuplé que les deux autres, on obtient les résultats reportés dans le tableau 14 d’où l’on déduit I1 = 0,23 et I2 = 0,2207. Le malapportionment augmente ici très significativement le risque de dismajorité.
L’impact du malapportionment sur la relation voix-sièges n1 = 10, n2 = n3 = 1
L’impact du malapportionment sur la relation voix-sièges n1 = 10, n2 = n3 = 1
116Si le problème de malapportionment est plus équilibré, disons que le premier canton est deux fois plus peuplé que les deux autres qui eux sont de taille identique, disons (52, 24, 24), la masse de probabilité se place au centre avec I1 = 0,1806 et I2 =0,2166.
Un cas d’école : le passage de dix districts de magnitude 1 à cinq districts de magnitude 2
117Dans la section précédente, nous avons montré comment calculer I1 et I2 dans le cas d’un découpage fixe du département en K cantons de magnitude 1 et de la formule électorale la plus simple : dans chaque canton, le siège à pourvoir va au vainqueur majoritaire. L’objectif était d’étudier la sensibilité de ces deux indices aux différents paramètres du modèle de Merrill dont l’interprétation avait été donnée avant : nombre de cantons pivots, paramétrage marginal en IC (σ petit) ou IAC* (σ intermédiaire) ou extrémiste (σ grand) et covariances globales et locales petites ou pas. Nous avons conduit l’exercice pour K = 3 mais il peut être répété pour n’importe quelle valeur de K.
118Dans ce paragraphe nous souhaitons faire la même chose avec une difficulté supplémentaire. Pour chaque jeu de paramètres, nous souhaitons déterminer la loi conjointe voix-sièges pour quatre formules électorales : dix cantons de magnitude 1 et formule électorale classique (M0), cinq districts de magnitude 2 avec les deux sièges alloués au parti majoritaire (M1, chaque parti présentant un ticket HF), cinq districts de magnitude 2 avec les deux sièges alloués à la proportionnelle au plus fort reste (M2) et enfin cinq districts de magnitude 2 avec les deux sièges alloués à la proportionnelle à la plus forte moyenne (M3). Le calcul approximatif de cette loi est réalisé à l’aide d’une fonctionnalité plus sophistiquée du simulateur qui implique de coder le redécoupage électoral : par défaut, le premier canton fusionne avec le deuxième, le troisième avec le quatrième, etc. Ayant calculé la loi conjointe pour les quatre configurations considérées, il devient ensuite facile d’en déduire les valeurs de I1 et I2.
119Nous pourrons ainsi évaluer les conséquences sur I1 et I2 de la réforme électorale, et les conséquences sur I1 et I2 des deux réformes électorales alternatives qui auraient pu être envisagées en lieu et place du scrutin binominal finalement retenu. Nous conduisons l’analyse dans le cas du passage de 10 à 5 mais la même méthode pourrait être retenue pour n’importe quelle autre valeur de K. Par ailleurs, nous allons nous limiter, pour coller au plus près à IAC*, à une situation très symétrique : tous les cantons sont pivots, pas de malapportionment, pas de covariance et une variance un peu plus élevée que IAC*.
120La situation avant réforme (formule M0) est présentée dans le tableau 15. Si on laisse de côté le cas de l’égalité des sièges, on obtient que Ĩ1 vaut 0,0283 + 0,0016 + 0,0015 + 0,0276 = 0,0590. Le calcul de I2 donne une estimation égale à 0,0827. La probabilité d’une égalité en sièges vaut 0,0025 + 0,1193 + 0,1200 + 0,0024 = 0,2442.
La loi conjointe voix-sièges pour dix cantons, σ = 6
La loi conjointe voix-sièges pour dix cantons, σ = 6
121Avec le passage à cinq districts, en regroupant les cantons deux par deux (formule M1), on obtient la loi conjointe présentée dans le tableau 16. La probabilité d’ex aequo est désormais égale à 0. L’indice Ĩ1 vaut 0,0816 + 0,0036 + 0,0010 + 0,0813 + 0,0036 + 0,0006 = 0,1717. Il a presque triplé (on ignore dans cette comparaison les possibilités d’égalité en sièges qui peuvent se produire dans la situation initiale). La proportionnalité se détériore elle aussi puisque l’on obtient I2 = 0,1338.
La loi conjointe voix-sièges pour cinq cantons après fusion, σ = 6
La loi conjointe voix-sièges pour cinq cantons après fusion, σ = 6
122Dans le cas de la proportionnelle au plus fort reste (formule M2), on obtient le tableau 17. La probabilité d’ex aequo est très élevée puisqu’elle vaut maintenant 0,0149 + 0,1912 + 0,1905 + 0,0137 = 0,4103. Il ne faut cependant pas trop s’attarder sur ce point. Comme nous l’avons déjà souligné, il s’agit d’un artefact de la magnitude de 2 qui donne un intervalle de représentation très élevé. S’agissant de Ĩ1, on obtient 0,0254 + 0,0001 + 0,0251 + 0,0001 = 0,0507. La valeur de I2 est quant à elle de 0,0623.
La loi conjointe pour cinq cantons après fusion, plus fort reste, σ = 6
La loi conjointe pour cinq cantons après fusion, plus fort reste, σ = 6
123Dans le cas où l’allocation s’effectue à la proportionnelle à la plus forte moyenne (formule M3), on obtient la loi conjointe du tableau 18. La probabilité de l’égalité des sièges est de 0,0010 + 0,1364 + 0,1357 + 0,0009 = 0,2740. La valeur de Ĩ1 après exclusion des situations d’ex aequo vaut alors 0,0165 + 0,0001 + 0,0170 + 0,0001 = 0,0337. Celle de I2 vaut 0,0704.
La loi conjointe pour cinq cantons après fusion, plus forte moyenne, σ = 6
La loi conjointe pour cinq cantons après fusion, plus forte moyenne, σ = 6
124Le tableau 19 résume les valeurs des indices obtenues pour les différentes règles de vote.
Valeurs des indices : passage de K = 10 à K = 5
Valeurs des indices : passage de K = 10 à K = 5
125Une fois encore, le scrutin proportionnel à la plus forte moyenne, M3, apparaît offrir un meilleur compromis. Si la méthode du plus fort reste M2 domine marginalement la méthode de la plus forte moyenne du point de vue de la disproportionnalité, elle est très nettement dominée par cette dernière s’agissant du risque d’instabilité.
Le cas de l’Ariège
126Nous terminons ces premiers calculs des indices I1 et I2 par l’étude liminaire d’un cas concret, celui du département de l’Ariège. Ce département est peu peuplé et principalement rural : les deux principales villes (Foix et Pamiers) ne dépassent pas respectivement 10 000 et 15 000 habitants. Avant la réforme du mode de scrutin et le redécoupage qui l’accompagne, l’Ariège comptait vingt-deux cantons. Le tableau 20 résume les dernières données démographiques disponibles (2013).
Démographie cantonale de l’Ariège avant redécoupage
Démographie cantonale de l’Ariège avant redécoupage
127On voit que le problème du malapportionment était bien présent dans ce département. Le ratio des populations des plus grand et plus petit cantons vaut 28,47. Le nouveau découpage prévoit treize cantons, dont les données démographiques sont présentées dans le tableau 21. L’écart du plus gros au plus petit vaut désormais 2,06 [31]. Le problème de malapportionment n’a pas complètement disparu mais a été sérieusement amoindri…
La nouvelle démographie cantonale de l’Ariège
La nouvelle démographie cantonale de l’Ariège
128Outre la faible valeur de K, notre choix de l’Ariège trouve sa motivation dans une préoccupation pratique que nous décrivons maintenant. Dans la double opération consistant d’une part à résoudre le problème de malapportionment et d’autre part à diviser approximativement par deux le nombre de cantons, il se peut que des communes qui étaient ensemble avant ne le soient plus ensuite. S’agissant des cantons urbains, le phénomène n’est pas à écarter non plus, même si les zones urbaines sont relativement stables entre elles, car l’équilibre démographique urbain-périurbain peut lui avoir connu des modifications importantes.
129Ce point d’apparence mineure pose un problème pratique ici car les unités de base dans notre simulateur sont les cantons de départ et la commande suppose que les cantons se regroupent par deux, trois ou plus pour former des supercantons. Cela suppose implicitement que les communes restent appariées. Si ce n’est pas le cas (ce n’est jamais le cas), il y a deux réactions possibles. Prendre comme unité de base la commune au lieu du canton. Cela pose un gros problème calculatoire, car pour l’Ariège K passerait de la valeur 22 à la valeur 332 ! L’autre réaction, suivie ici, consiste à rechercher une partition plus fine que celle des cantons et qui permette, après regroupement intelligent, de retrouver la nouvelle structure cantonale en appliquant deux fois de suite le simulateur (une première fois sur l’attribution des nouvelles unités aux cantons et une seconde fois aux supercantons). Nous avons choisi d’appeler « terroirs » ces nouvelles unités parfois un peu plus petites que les cantons. Dans le cas de l’Ariège, la plus grosse partition qui remplit les conditions requises correspond à une valeur de K égale à 29. En effet, l’ancien canton 15 (Saint-Girons) a été affecté en partie au nouveau canton 3 et au nouveau canton 4, l’ancien canton 18 aux nouveaux cantons 1 et 12, l’ancien canton 19 aux nouveaux cantons 7 et 13, l’ancien canton 21 aux nouveaux cantons 5, 9, 12 et 13, et l’ancien canton 22 aux nouveaux cantons 8 et 10. La partition à considérer ne dépasse donc que de 7 unités le nombre d’anciens cantons.
130Le tableau 22 liste les vingt-neuf terroirs, leur population, et précise leur rattachement aux supercantons (nouveaux cantons). La deuxième colonne fait référence aux anciens cantons et la dernière aux nouveaux cantons.
Le découpage de l’Ariège en vingt-neuf « terroirs »
Le découpage de l’Ariège en vingt-neuf « terroirs »
131En utilisant les poids (populations) indiqués pour chaque terroir, nous avons pu calculer nos indices I1 et I2 avec différents jeux de paramètres. À des fins d’illustration, nous nous sommes limités ici au cas où tous les terroirs sont politiquement équilibrés, avec absence de covariance et un écart type égal à 6. Les résultats sont consignés dans le tableau 23 [32]. Comme dans la sous-section précédente, M0 renvoie à l’ancien système électoral, M1 au nouveau, M2 et M3 aux alternatives proportionnelles que nous avons envisagées. Le nouveau système électoral induit une détérioration de l’indice de disproportionnalité mais d’une amplitude moindre que celle estimée dans le cas des situations artificielles sans problème de malapportionment examinées dans les sections « Le passage de six districts à trois districts de magnitude 2 » et « Un cas d’école : le passage de dix districts de magnitude 1 à cinq districts de magnitude 2 » [33].
Estimation des indices pour l’Ariège (σk = 6, μk = 0)
Estimation des indices pour l’Ariège (σk = 6, μk = 0)
132En cela, on retrouve les conclusions du cabinet Liegey Muller Pons évoquées dans Le Monde du 1er mars 2015. L’indice de dismajorité du nouveau système électoral s’améliore de manière non négligeable, ainsi d’ailleurs que celui des deux formules électorales alternatives. La réduction du problème du malapportionment et l’élimination des possibilités d’ex aequo expliquent sans nul doute cette évolution. Comme dans les sections précédentes mais à un degré moindre, le mécanisme M3 semble dominer les trois autres du point de vue des trois indices : la légère perte par rapport à M2 sur le dernier indice est compensée par le gain sur les deux autres. Bien entendu, si l’attention est portée prioritairement sur l’instabilité mesurée par la possibilité d’égalité parfaite dans le partage des sièges, alors la formule M1 s’impose sans discussion.
133Il est cependant difficile d’isoler l’impact de la réforme proprement dite (division par deux du nombre de districts et adoption d’une district magnitude de 2) car les valeurs obtenues pour M1 dans notre tableau intègrent à la fois les effets de la réforme et ceux de la correction du problème de malapportionment.
134Comme nous l’avons déjà indiqué, faute d’une estimation économétrique poussée, il est difficile de dire quelles sont les valeurs des paramètres de Merrill les plus adaptées à la situation de l’Ariège [34]. Le calibrage du simulateur sur les données électorales réelles reste assurément la prochaine étape de cette recherche.
Conclusion
135Dans cet article, nous avons introduit un cadre analytique probabiliste destiné à évaluer la récente réforme du mode d’élection des conseillers généraux/départementaux selon plusieurs critères. Le travail d’ingénierie électorale réalisé ici s’est appuyé sur deux indices principaux. La réforme était principalement motivée et défendue par ses promoteurs par le désir d’en finir avec la sous-représentation criante des femmes dans les conseils généraux. Les questions soulevées dans notre article peuvent être formulées comme suit : en procédant comme il l’a fait, le législateur n’a-t-il pas perdu d’un côté ce qu’il a gagné de l’autre ? Si oui, peut-on quantifier les trade-offs et peut-on concevoir des mécanismes alternatifs qui domineraient le cas échéant le mécanisme retenu ?
136Il nous semble, à la vue des études et simulations que nous avons réalisées, que la réponse à la première question est assez claire quant à l’indice de disproportionnalité I2. La réduction du nombre de cantons par deux, associé à une magnitude 2, se traduit par une hausse de la disproportionnalité. C’est le principal prix à payer de l’exigence de parité telle que le législateur l’a conçue. L’impact de cette réforme sur l’indice de dismajorité I1 est plus ambigu, au sens où l’interprétation de nos résultats est perturbée par l’existence d’un nombre pair de cantons (et donc des possibilités de « ties ») dans certains départements avant la réforme.
137Notre étude est cependant loin d’épuiser les possibilités de réformes alternatives. On peut par exemple s’interroger sur le bien-fondé d’une district magnitude égale à 2. Dans le projet de loi, plusieurs solutions alternatives à celle proposée ont été évoquées. Parmi elles, on retiendra celle qui suggérait de retenir comme circonscription électorale l’arrondissement. Dans le cas d’un département composé de quatre arrondissements, cela revient à retenir une district magnitude de 10 à 12. La proportionnelle à la plus forte moyenne avec ou sans bonus pourrait alors être utilisée pour l’allocation des sièges. Une telle solution aurait permis d’atténuer le « gerrymandering » auquel le redécoupage a inévitablement donné lieu. Par ailleurs, les indices I1 et I2 auraient vu leur valeur diminuer par rapport à la situation de départ mais aussi par rapport au mode de scrutin binominal paritaire. On peut aussi imaginer qu’avec une telle district magnitude et une obligation de parité sur les listes, la disparité hommes-femmes aurait vu sa valeur chuter par rapport à la situation actuelle sans pour autant atteindre l’idéal absolu d’une parité parfaite.
138Dans cet article, nous avons supposé que la compétition électorale se déroulait entre deux partis politiques homogènes. Même si la division droite-gauche reste un élément majeur de lecture, force est de reconnaître que la situation politique courante invite à une révision de ce cadre de travail, notamment pour prendre en compte le troisième pôle que constitue aujourd’hui le Front national. Dans un contexte multipartite, il faudrait aussi comprendre les implications mécaniques mais aussi psychologiques des systèmes électoraux envisagés. Cette question n’est pas une mince affaire en soi mais même lorsqu’elle est réglée, se pose également la question de ce que la presse a appelé, non sans malice, le « troisième tour ». Dans le cas d’une simple opposition droite-gauche, cette question ne se pose pas sauf dans le cas d’une égalité parfaite. En revanche, lorsqu’au sortir du second tour, aucun parti ayant obtenu des conseillers départementaux ne possède à lui tout seul la majorité absolue, se pose la question des alliances et de la formation d’un exécutif départemental coalitionnel. Cela soulève alors la question de la gouvernabilité qui a fait l’objet d’une abondante littérature en ingénierie électorale. Il serait utile de mesurer les implications en termes de gouvernabilité d’un système électoral à l’aide d’un indice [35] de gouvernabilité et de calculer la valeur ex ante de cet indice. Encore une fois, répétons que ce travail pratique suppose néanmoins qu’au préalable aient été posées les bases du comportement des électeurs dans ce contexte multipartisan et du jeu de formation d’un exécutif départemental.
Calcul de l’indice ĩ1 des mécanismes 1, 2 et 3 dans le cas du modèle IAC*
139Dans la quatrième section, nous avons procédé, entre autres choses, au calcul asymptotique (lorsque m tend vers +∞) de l’indice I1 dans le cas K = 3 pour les trois mécanismes et une magnitude de 1 puis 2. Ensuite, nous avons considéré le cas où K = 6 avec une magnitude de 1 puis un redécoupage électoral en trois districts avec une magnitude de 2 et calculé l’indice I1 pour chaque mécanisme. L’objet de cet appendice est d’esquisser les principes de la méthode de calcul de Ĩ1 des mécanismes 1, 2 et 3 pour n’importe quel entier pair K et pour des valeurs finies de m. On présentera le calcul dans le cas où le découpage initial comprend K districts équipeuplés puis dans le cas où le nombre des districts est divisé par deux (nous avons appelé superdistricts ces nouveaux districts). Dans les deux cas, nous supposerons qu’il y a deux sièges par district [36]. Nous démontrons que cette évaluation équivaut pour l’essentiel à un calcul de dénombrement qui peut être résolu à l’aide des polynômes d’Ehrhart, puis nous présentons le calcul asymptotique. Nous exposons la méthode dans le cas du mécanisme 2 et expliquons en conclusion les ajustements auxquels il faut procéder pour étudier les deux autres mécanismes.
140Considérons tout d’abord le cas où il y a K districts. Pour ce faire, on commence par fixer [37] deux entiers k1 et k2 tels que k1 + 2k2 > K. On notera nGk le nombre de votes de gauche dans le district k.
141La première étape a pour objet de dénombrer les solutions entières n = (nG1,nG2,…,nGK) du système d’inégalités suivantes :
143Notons Π(k1,k2) et ϕ(k1,k2) son cardinal.
144Pour toute solution n = (nG1,nG2,…,nGK) ∈ Π(k1,k2) on notera π(n) sa probabilité. I1 (M2) vaut [38] :
146De l’indépendance entre les districts, on déduit que :
148Puisque pour tout et toute valeur de nGi, on déduit :
150et donc :
152S’agissant du comportement asymptotique de I1 (M2), en utilisant le fait que les variables aléatoires sont indépendantes et convergent en loi vers la loi uniforme sur [0,1] lorsque m tend vers +∞, on déduit que I1 (M2) est égale asymptotiquement à la mesure de Lebesgue du sous-ensemble de l’hypercube [0,1]K défini par les contraintes :
154Considérons maintenant le cas où il n’y a plus que districts. Sur le plan combinatoire, on duplique les variables dans chaque superdistrict. Soient deux entiers k1 et k2 tels que . Le problème est maintenant de dénombrer les solutions entières du système d’inégalités suivantes :
156Notons et son cardinal.
157Pour toute solution on notera sa probabilité. De l’indépendance entre les districts initiaux, on déduit que :
159et pour tout et toutes valeurs de nGi et mGi et donc :
161S’agissant du comportement asymptotique de I1 (M1), en utilisant à nouveau le fait que les variables aléatoires et sont indépendantes et convergent en loi vers la loi uniforme sur [0,1] lorsque m tend vers +∞, on déduit que I1 (M2) converge vers la mesure de Lebesgue du sous-ensemble de l’hypercube [0,1]K défini par les contraintes linéaires :
163Un calcul alternatif à celui présenté ci-dessus consiste à remarquer que la loi de pGi + qGi est la convolée de deux lois uniformes sur [0,1]. On peut se ramener alors à un calcul de mesure d’un sous-ensemble de l’hypercube au lieu de l’hypercube [0,1]K, mais la mesure n’est plus la mesure de Lebesgue mais le produit de mesures identiques absolument continues sur [0,1] décrites par la densité de la variable aléatoire où X et Y sont des variables aléatoires indépendantes et uniformes sur [0,1].
164Dans le cas du mécanisme 3, la démarche est en tout point identique après avoir remplacé par et par .
165Dans le cas du mécanisme 1, on a un seul indice (au lieu des indices k1 et k2 et les inégalités 1 doivent être remplacées par les inégalités [39] :
Bibliographie
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Notes
-
[*]
Institut universitaire de France et Toulouse School of Economics. Correspondance : Toulouse School of Economics, Manufacture des Tabacs, Aile Jean-Jacques Laffont, 21 allée de Brienne, 31015 Toulouse Cedex 6, France. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu
-
[**]
CEMOI, Université de La Réunion. Correspondance : Faculté de droit et d’économie, 15 avenue René Cassin – CS 92003, 97744 Saint-Denis Cedex 9, France. Courriel : dominique.lepelley@univ-reunion.fr
-
[***]
CREM, Normandie Univ, UNICAEN, CNRS. Correspondance : MRSH Bureau 131, Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14032 Caen Cedex 5, France. Courriel : vincent.merlin@unicaen.fr
-
[‡]
Sciences Po, Centre d’études européennes (CEE) et LIEPP (ANR-11-LABEX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02). Correspondance : Sciences Po, 27 rue Saint-Guillaume, 75337 Paris Cedex 07, France. Courriel : nicolas.sauger@sciencespo.fr
-
[1]
Si moins de deux binômes franchissent ce seuil, alors les deux binômes ayant obtenu le plus de voix sont qualifiés.
-
[2]
Le nombre total de conseillers demeure presque inchangé. La loi du 17 mai 2013 et ses décrets d’application, qui ont défini le processus de redécoupage, prévoient que le nombre de nouveaux cantons par département est égal à la moitié du nombre de cantons existant avant le redécoupage, moitié cependant arrondie à l’entier impair supérieur. Par ailleurs, un minimum de treize cantons pour les départements d’au moins 150 000 habitants est prévu, dix-sept pour ceux avec plus de 500 000 habitants. Le nombre d’élus au niveau national a ainsi augmenté d’un peu plus d’une centaine, de 3 863 à 3 990 sur le territoire métropolitain.
-
[3]
Source : Ministère de l’Intérieur, bureau des élections et des études politiques, « Les collectivités locales en chiffres 2013 », www.collectivites-locales.gouv.fr/collectivites-locales-chiffres-2013/.
-
[4]
En espérance, car ex ante on ne sait pas avec certitude ce que sera l’état de l’opinion lors d’une élection donnée.
-
[5]
D’après lui, ce mécanisme électoral aurait été proposé en 2012 par Karel Janeček, un financier, mathématicien et philanthrope tchèque.
-
[6]
D’une certaine façon, l’ingénierie s’apparente au « mechanism design », à ceci près que le problème d’optimisation complet (objectifs et contraintes) est rarement écrit. À cet argument à charge on peut opposer un argument à décharge, à savoir que l’output du mechanism design peut être trop sensible à certains détails de l’optimisation et manquer de ce fait de robustesse.
-
[7]
Voir Blais [1988], pour un essai de classification.
-
[8]
La diversité des modes de scrutin à travers le temps et l’espace est immense. On en trouvera une description très détaillée dans Diamantopoulos [2004] et Martin [1997].
-
[9]
On peut alternativement interpréter la chambre comme un collège de représentants (grands électeurs) élisant le chef de l’exécutif ou le président du territoire. Le mécanisme d’élection du président des États-Unis est de cette nature.
-
[10]
Pour alléger les notations, la référence au profil P est omise.
-
[11]
Ce mode de scrutin est utilisé pour l’élection d’un certain nombre de leurs députés (tous ou partie) à Djibouti, au Liban, à Singapour, en Tunisie, en Équateur, en Suisse et au Sénégal, et souvent en complément d’un vote par circonscription quand une circonscription doit pourvoir plusieurs sièges.
-
[12]
On se distingue ici de Eggers et Fouirnaies [2013] qui considèrent le cas de listes ouvertes. Les électeurs ne peuvent ni panacher ni exprimer une préférence entre les candidats d’une même liste. Dans la version document de travail, nous ajoutons le scrutin majoritaire plurinominal avec listes ouvertes. Il est utilisé pour les élections sénatoriales en France dans certains départements. À proprement parler, si les listes sont ouvertes et s’il y a place pour un vote préférentiel, on a besoin d’un concept plus général convertissant les bulletins de vote possibles en listes de candidats élus. Cette extension n’est pas étudiée dans cet article parce que nous supposons que les caractéristiques personnelles des candidats n’affectent pas le choix des électeurs.
-
[13]
Les références sur le sujet sont très nombreuses. Nous renvoyons au livre de Gehrlein et Lepelley [2010] et à l’article de Straffin [1977] pour une introduction.
-
[14]
Dans la version document de travail de notre article, nous introduisons formellement deux autres indices : l’indice de disparité mesurant le déficit de représentation des femmes et l’indice de responsabilité mesurant le risque de déficit de représentation de l’intérêt général ou médian par les élus, identifié en langue anglaise sous le vocable « political accountability ». Comme nous l’avons déjà signalé dans la note 12, une mesure de la variation de ces indices pour différents systèmes électoraux suppose un comportement de vote moins mécaniquement guidé par l’affiliation partisane.
-
[15]
Sans souci d’exhaustivité, on pourra renvoyer à Nurmi [1999], Feix et al. [2004] et Miller [2012].
-
[16]
Remarquons que Maj(P) n’est défini que pour les profils P tels que nG (P) ≠ nD (P).
-
[17]
Remarquons que C(rG,rD) n’est défini que lorsque rG ≠ rD.
-
[18]
Ĩ1 (M,P) ne doit pas être confondu avec le déficit majoritaire (Beisbart et Bovens [2013]) attaché au profil P qui est défini par 0 si C(mG (P),mD (P)) = Maj(P) et nMaj(P) (P) – nMin(P) (P) si C(mG (P),mD (P)) ≠ Maj(P). Dans le cas où l’utilité ne prend que deux valeurs, cet indice est identique au critère utilitariste utilisé en ingénierie électorale théorique.
-
[19]
On pourrait légitimement songer à séparer les deux composantes de l’indice en argumentant que les situations d’ex aequo reflètent plus un potentiel d’instabilité qu’un risque de dismajorité.
-
[20]
Pukelsheim ([2010], chap. 10) contient une remarquable synthèse des principaux d’entre eux. Un autre indice populaire est l’indice de Sainte-Laguë qui s’écrit, pour J partis :Dans le cas où J = 2, le lecteur pourra facilement vérifier qu’il varie toujours de la même manière que l’indice de Gallagher.
-
[21]
Une version alternative consisterait à postuler un tirage IAC à l’échelle de chacun des « superdistricts », c’est-à-dire des tirages IAC au sein de chaque superdistrict et indépendants entre les superdistricts. Dans cette version, il devient plus compliqué de déterminer la géographie des votes dans la situation avant réforme.
-
[22]
Sachant que la variable score est discrétisée, il n’est pas possible de calculer la valeur exacte de I2. Nous avons choisi de considérer la moyenne de l’intervalle. Cette valeur n’a aucune raison de coïncider avec la moyenne conditionnelle (à l’intervalle et au nombre de sièges considérés) du score. Nous n’avons pas estimé l’amplitude de l’erreur résultant de cette approximation. Un encadrement de la « vraie » valeur de I2 peut cependant être obtenu en majorant et minorant entrée par entrée les valeurs intervenant dans le calcul de I2.
-
[23]
La méthode générale de calcul est exposée dans l’appendice.
-
[24]
On notera que, compte tenu de nos hypothèses probabilistes, le volume associé à l’ensemble des situations possibles tend vers 1 quand m tend vers l’infini.
-
[25]
Il convient d’insister sur le fait que cette comparaison et celles qui suivent sont basées sur des approximations de vraies tables de contingence et de l’indice I2.
-
[26]
Le détail des calculs et les tableaux associés sont présentés dans la version document de travail de cet article.
-
[27]
Pout tout ρ > 0, on peut considérer la transformation . Dès lors, on obtient la transformation inverse . Ici nous avons retenu alors que Merrill retient ρ = 4 et Theil ρ = 1. Cela n’a aucune espèce d’importance dans le cas du problème considéré dans cet article. Si nous multiplions par une constante la fonction , il est impossible sur la base des données de faire une différence entre les vecteurs des paramètres (1,μ,Ω) et . Encore une fois, les questions d’identification, de normalité et d’estimation de notre modèle statistique ne sont pas examinées dans cet article.
-
[28]
Un des arbitres a attiré notre attention sur le caractère « primitif » de ce simulateur et suggéré de nous orienter vers d’autres logiciels comme Mathlab et Mathematica. Loin de nous l’idée de le contredire. Notons cependant que notre simulateur produit des ordres de grandeur tout à fait acceptables pour dériver les comparaisons provisoires des différentes réformes électorales. Nous pensons à l’avenir perfectionner cet outil. Pour l’heure, signalons qu’il permet aussi de traiter les situations où la magnitude prend des valeurs quelconques. Notons également que les valeurs obtenues ne sont pas les valeurs exactes. Par exemple, les tables de contingence exactes sont symétriques dès l’instant où μ = 0 alors que notre simulateur produit des tables de contingence sensiblement asymétriques. Cela implique en particulier que les valeurs des indices I1 et I2 sont approximatives et devront principalement être utilisées comme des ordres de grandeur.
-
[29]
On notera que dès l’instant où les districts sont indépendants, identiquement distribués et non biaisés, la loi marginale décrivant les sièges obtenus par la gauche dans le cas des mécanismes M0 et M1 est une loi binomiale dont les paramètres sont le nombre total de sièges dans le cas de M0 (et le nombre total de binômes dans le cas de M1) et tandis que la loi marginale décrivant le score fait par la gauche tend (en vertu de la loi des grands nombres) à se concentrer autour de lorsque K est suffisamment grand.
-
[30]
Comme dans la quatrième section, pour calculer I2 nous avons choisi de retenir le centre de l’intervalle.
-
[31]
En principe, la loi ne tolère que des écarts de 20 % à la moyenne, soit un écart maximal de . Cependant des exceptions peuvent être faites en fonction de contraintes géographiques fortes, ce qui est le cas pour le nouveau canton de Haute-Ariège.
-
[32]
Par souci d’économie d’espace, les quatre tableaux de contingence ne sont pas insérés dans le texte. Ils peuvent être obtenus sur demande aux auteurs.
-
[33]
Sur la base des résultats des premiers tours des élections cantonales/départementales de 2008, 2011 et 2015, on obtient après calcul que le score de la gauche est passé de 75,0 % (moyenne pondérée du nombre de votants de 68,79 % en 2011 et 79,25 % en 2008) à 72,28 % alors que sa part des sièges est passée de 86,36 % à 84,61 %. Par conséquent, la valeur empirique de l’indice I2 est passée de 0,1136 à 0,1233.
-
[34]
Dans le cas d’un département historiquement à gauche comme l’Ariège, l’hypothèse d’absence de biais doit certainement être revue ainsi que l’absence de corrélation. L’hypothèse d’indépendance et d’absence de biais considérée ici conduit notamment à une masse de probabilité décrivant le score départemental de la gauche très centrée autour de 50 %. Dans le cas des vingt-neuf terroirs considérés ici, le simulateur produit des tableaux de contingence où la marginale des voix présente une masse de presque 90 % pour l’intervalle [40, 60]. À n’en pas douter, notre évaluation des différents mécanismes est biaisée par cette hypothèse.
-
[35]
De tels indices sont proposés dans Grilli di Cortona et al. [1999] et Migheli et Ortona [2010].
-
[36]
Le cas où il n’y a qu’un seul siège par district est assez conventionnel et donc omis ici. Le point important à souligner est que nous supposons que les briques/territoires de base sont indépendants entre eux du point de vue probabiliste. Ces territoires peuvent être les districts initiaux (avant une réforme) ou encore des unités de ces districts comme par exemple les communes composant ces districts. À partir de là, nous pouvons étudier n’importe quel (re)découpage et changement de magnitude. Dans cet article, nous partons d’un découpage cantonal avec une magnitude de 1 et nous regardons les réformes associées à des regroupements cantonaux et le passage à une magnitude de 2, donc deux changements concomitants. Mais nous pourrions tout aussi bien ne pas toucher au découpage et augmenter la magnitude de 1 à 2. Ou procéder au regroupement et ne pas toucher à la magnitude. Ou envisager des magnitudes supérieures à 2 et/ou des regroupements plus importants.
-
[37]
La version document de travail de notre article contient une analyse préliminaire des situations d’égalité parfaite. Il suffit de reprendre l’analyse de cet appendice en supposant k1 + 2k2 = K et de dénombrer les solutions correspondantes. La valeur de I1 est l’addition de cette valeur affectée du coefficient et de la valeur calculée dans cet appendice.
-
[38]
La borne supérieure de dans la somme sur k2 découle du fait que la seconde inégalité du système 1 implique .
-
[39]
Un changement de même nature s’applique aux inégalités 3.