Couverture de RECO_663

Article de revue

L'impact de la taxation sur les ventes de cigarettes en France

Une approche économétrique

Pages 601 à 614

Notes

  • [*]
    cerefige, Université de Lorraine et crea, Université du Luxembourg. Correspondance : cerefige, Université de Lorraine, Pôle Lorrain de Gestion, 13 rue Maréchal Ney, 54037 Nancy cedex. Courriel : vfromentin@gmail.com
    Je tiens à remercier Olivier Damette, les membres du cerefige et les rapporteurs anonymes pour leurs conseils et commentaires.
  • [1]
    Précisons que le prix d’un paquet de cigarettes est fixé par le fabricant (au-dessus d’une valeur fixée par le Code des impôts). Ce prix est ensuite validé par le ministère du Budget, une fois par trimestre, par arrêté, pour garantir un prix semblable sur tout le territoire.
  • [2]
    Les calculs sont les suivants : (– 0,454)/(1 – 0,04) = – 0,472 (pour la période 2000M01 à 2003M10) et (– 0,179)/(1 – 0,11) = – 0,201 (pour la période 2003M11 à 2012M12).
  • [3]
    Les résultats des régressions peuvent être obtenus sur demande à l’auteur.
  • [4]
    Par exemple, en octobre 2003 et en octobre 2011, les hausses de prix respectives sont de 18 % et 9 %.

Introduction

1L’État français, sous couvert de la politique de santé publique, augmente régulièrement les taxes sur les paquets de cigarettes. Dans une logique économique, la taxation des cigarettes est un facteur dissuasif en termes de consommation de tabac, en raison de l’augmentation du coût d’achat et des perspectives socio- économiques futures qui peuvent influencer la décision de fumer ou le niveau de consommation, notamment en période de crise économique. Cela dit, les consommateurs présentent une dépendance envers le tabac, en raison du plaisir de fumer ou de critères socioculturels d’appartenance ou d’image, particulièrement chez les adolescents. Le tabac appartient à la catégorie des biens dits de dépendance. Des modèles théoriques intègrent ce phénomène de dépendance en prenant en compte la consommation passée et les habitudes de consommation dans une logique de maximisation de la satisfaction et d’allocation du budget en fonction des préférences. On peut citer, par exemple, le modèle de prise de décisions de Becker et Murphy [1988] basé sur une fonction d’utilité qui dépend des consommations courante et passée en bien de dépendance. L’augmentation des taxes implique alors une baisse de la consommation en bien de dépendance et de bien-être. Dans cette approche, le rôle du tabac devrait se borner à la fixation d’un niveau de taxation à hauteur du remboursement des externalités négatives engendrées (dépenses de santé du fumeur et d’autrui,...). D’ailleurs, la hausse du prix du tabac constitue une source relativement importante de revenu pour l’État, qui permet notamment de faire face aux effets pervers du tabagisme, même s’il faut prendre en compte le phénomène de dépendance de ce bien de consommation relativement inélastique. À titre d’exemple, le tabac, avec un niveau de taxation à hauteur de 80,64 %, a rapporté 13,8 milliards d’euros aux finances publiques en 2011. Cela dit, en parallèle, le tabagisme engendre un coût social pour la collectivité, évalué, en 1997, à plus de 1 % du pib (Kopp et Fenoglio [2006], [2011]).

2Dans une logique de santé publique, la taxation des cigarettes reste également un des critères les plus importants dans les stratégies de prévention du risque du tabac et de réduction des prévalences tabagiques. Le tabac est la première cause de mortalité évitable en France avec 73 000 morts par an. Le danger du tabagisme justifie et légitime alors l’intervention des pouvoirs publics, notamment lorsqu’on remet en cause l’hypothèse du consommateur rationnel avec le principe du report de la réalisation du risque dans le futur. Dans ce cas, les politiques publiques donnent plus de poids au futur par des politiques de prévention ou par des augmentations de prix (Grignon et Pierrard [2004]). En raison de comportements irrationnels de certains consommateurs, l’intervention publique, qui peut revêtir plusieurs formes, s’est finalement imposée depuis de nombreuses années. En France en 1662, des taxes sur le tabac furent imposées par Louis XIII dans une logique de santé publique (Nourrisson [1999]). Il faudra attendre les lois Veil en 1976, la loi Évin (1991), qui prolongent d’ailleurs les prérogatives de l’Organisation mondiale de la santé (oms) sur les effets cancérogènes du tabac et le « Plan cancer : 2003-2007 », pour que les autorités sanitaires françaises mettent réellement en place des restrictions importantes à la consommation de tabac et à la publicité. Ces limitations sont complétées par un discours politique volontariste en matière de lutte contre le tabagisme et des campagnes d’information publique. Plus récemment, l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs (mise en œuvre en 2007 et en 2008), ainsi que l’augmentation du taux d’imposition du tabac (passant de 76 % du prix de vente en 2003 à 80,39 % en 2007) renforcent cette lutte envers la consommation de tabac. Finalement, l’action publique s’exerce à travers plusieurs actions complémentaires : des augmentations continuelles du prix du tabac par des taxes, des restrictions ou des interdictions et la diffusion d’informations sur les risques encourus, notamment sur les paquets de cigarettes. Le tabagisme est finalement un problème de santé publique dans lequel la dimension politique et économique est omniprésente (Etilé [2006]), en raison notamment des impôts perçus par l’État qui présentent un effet redistributif non négligeable.

3L’objet de cet article est d’étudier de manière empirique l’impact des taxes sur les ventes de cigarettes en France entre 2000 et 2012, en prenant en compte des ruptures structurelles liées aux augmentations de prix. Plusieurs facteurs ont guidé l’orientation de cette étude.

4Tout d’abord, il est important de savoir si les augmentations plus ou moins importantes de ces dernières années ont une influence sur les ventes de cigarettes, en fonction de la période considérée. Si l’augmentation de prix n’a pas d’impact sur la consommation, l’accroissement de la taxation est inefficiente et particulièrement pénalisante pour les fumeurs. En contrepartie, la taxation accroît les recettes fiscales surtout si l’élasticité de la consommation par rapport au prix est faible. L’idée est finalement de savoir si les politiques de taxation ont toujours un effet significatif sur les ventes de tabac.

5Ensuite, le recours à une méthodologie jamais usitée dans ce domaine d’analyse permettrait de mieux appréhender l’impact de l’augmentation des prix sur l’évolution des ventes en prenant en compte des ruptures structurelles à travers des tests de racine unitaire avec rupture endogène et un test de rupture structurelle. En effet, les augmentations du prix du tabac sont variables en termes d’ampleur et d’espacement temporel, ce qui entraîne une modification du niveau des ventes de cigarettes. Nous pouvons être amenés à penser qu’une forte hausse (par exemple, celle d’octobre 2003) pourrait avoir un impact significatif sur la vente de cigarettes, ce qui se traduirait par un changement de régime et un changement de tendance.

6Finalement, cet article vise à appréhender l’impact d’une hausse du prix des cigarettes sur les ventes de cigarettes en France au xxie siècle à travers un modèle économétrique prenant en compte les consommations passées (intégration du caractère de dépendance), les variations de prix et les politiques d’information et de santé, et surtout des chocs structurels et des changements de régime.

7La première section de l’article présente les données et revient sur l’évolution des prix du tabac et des ventes de tabac en France entre 2000 et 2012. La deuxième section revient sur la méthodologie retenue. La troisième section expose les résultats obtenus et la quatrième section vise à apporter une discussion relative aux limites et aux conclusions de cette étude.

Données et faits stylisés

8Afin d’étudier l’impact du prix des cigarettes sur la vente des cigarettes en France, nous recourons à des données mensuelles compilées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (ofdt) entre janvier 2000 et décembre 2012 : les ventes de cigarettes en millions d’unités (source : Altadis distribution et la Direction générale des douanes et droits indirects (dgddi)) et le prix de vente en euros (source : Altadis et Journal officiel) [1]. La base de données intègre d’autres indicateurs relatifs aux traitements médicaux, aux ventes de tabac à rouler et au taux de chômage, qui peuvent également influencer l’évolution des ventes de cigarettes : les ventes de médicaments d’aide à l’arrêt quantifiées en nombre de mois de traitement (source : Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques), les ventes de tabac à rouler (source : Altadis dgddi) et le taux de chômage moyen (source : Eurostat). Pour plus de détails, on peut se référer aux statistiques descriptives en annexe.

9La figure 1 présente l’évolution des ventes de cigarettes (courbe en pointillés) et du prix des cigarettes (courbe pleine) entre 2000 et 2012. Elle met en évidence des augmentations récurrentes, et surtout les hausses successives du prix du tabac en octobre 2003 (passant de 3,9 € à 4,6 €) et en janvier 2004 (passant de 4,6 € à 5 €), qui marquent un choc structurel et une rupture représentée par le croisement des deux courbes. Entre juillet 2003 et février 2004, les ventes de cigarettes baissent de 43 % (allant de 6 929,4 à 3 946,2 millions d’unités) en raison probablement des hausses de prix mentionnées (fig. 2). La vente de tabac repart à la hausse en décembre 2003, avant de rechuter en janvier et février 2004. En contrepartie, le mois qui précède les augmentations de prix, les consommateurs semblent acheter davantage de paquets de cigarettes pour limiter l’impact de la hausse de prix future. Cette double augmentation des prix semble stabiliser les ventes de tabac à partir de mars 2004. Les consommateurs paraissent être affectés par une hausse du prix sur le court terme avant de revenir progressivement à une logique de consommation de bien de « dépendance ».

Figure 1

Évolution des ventes et du prix des cigarettes entre 2000 et 2012

Figure 1

Évolution des ventes et du prix des cigarettes entre 2000 et 2012

Figure 2

Évolution des ventes et du prix des cigarettes entre 2003 et 2004

Figure 2

Évolution des ventes et du prix des cigarettes entre 2003 et 2004

10Sur la période 2004-2012, les ventes de tabac restent relativement stables en tendance (autour de 4 500 millions d’unités) et les augmentations du prix des cigarettes plus mesurées ont une incidence moins forte sur la vente de cigarettes. En outre, l’évolution des ventes après 2004 est plus difficile à interpréter du fait du développement de la contrebande et des achats transfrontaliers qui sont, par essence, difficiles à estimer. Les saisies douanières de tabac sont en constante augmentation depuis 1999 (194 tonnes en 1999 et 462 tonnes en 2011). Elles représentent une valeur marchande estimée à 109 millions d’euros et 36 tonnes de tabac ont été saisies lors d’envois postaux ou de fret express (achats sur Internet) (dgddi [2012]). Toutefois, ce sont principalement les achats transfrontaliers qui participent au marché parallèle des produits du tabac. Ces achats transfrontaliers (principalement de cigarettes) représenteraient entre 10 000 et 11 000 tonnes pour l’année 2007, soit une cigarette sur cinq consommées par les fumeurs français et deux milliards d’évasion fiscale annuelle (Ben Lakhdar et al. [2011]). Ce commerce transfrontalier s’est intensifié suite au choc structurel de 2004 qui augmente de manière importante le différentiel de prix avec les pays voisins (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie, Andorre et Espagne). En parallèle, les ventes de tabac à rouler progressent légèrement sur la même période, ce qui pourrait se traduire par le report de la consommation d’une partie des fumeurs sur ce type de produit qui reste meilleur marché (fig. 3). Cela dit, ce report de consommation doit être relativisé, car les ventes de cigarettes restent largement prédominantes en France puisqu’elles représentent 84 % du volume en 2011. Le tabac à rouler représente, en 2011, environ 12 % du total des ventes de produits du tabac (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Au final, sur l’ensemble des produits du tabac, même si le nombre de cigarettes fumées baisse légèrement, le tabagisme des Français s’accroît entre 2004 et 2012, ce qui corrobore d’ailleurs les conclusions du Baromètre Santé 2010 portant sur l’évolution récente du tabagisme en France (Beck et al. [2010]). Il est à noter que la série des ventes présente également une composante saisonnière avec une évolution à la hausse entre mai et septembre, en raison de la période estivale, marquée notamment par l’achat accru de tabac par les touristes français et étrangers. Enfin, il semblerait que l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs (mise en œuvre en 2007 et en 2008) n’a pas eu d’influence sur les ventes de cigarettes, au regard de l’évolution de la tendance au cours de cette période.

Figure 3

Évolution des ventes de cigarettes et de tabac à rouler entre 2004 et 2012

Figure 3

Évolution des ventes de cigarettes et de tabac à rouler entre 2004 et 2012

Méthodologie adoptée

11Afin d’étudier l’impact des changements de prix sur la consommation de cigarettes avant et après le choc structurel de la fin de l’année 2003, nous recourons à des tests de racine unitaire et de ruptures structurelles endogènes pour confirmer la date de rupture et estimer un modèle prenant en compte un changement de situation. Le but est finalement de savoir si les hausses de prix du tabac présentent un effet différencié en fonction des périodes considérées. Nous utiliserons alors les tests de racine unitaire avec ruptures inconnues (tests de racine unitaire de Zivot et Andrews [1992], de Perron [1997a], [1997b] et de Lee et Strazicich [2004]) et le test de rupture structurel de Bai et Perron [1998], [2003a], [2003b] qui semble être le plus abouti des tests univariés (se référer à Bassil [2012] pour plus de détails).

12Zivot et Andrews [1992] proposent un test de racine unitaire avec une rupture endogène. L’hypothèse nulle suppose que la série présente une racine unitaire mais sans aucune rupture. L’hypothèse alternative suppose que la série est stationnaire avec une seule rupture à une date inconnue. Perron ([1997a], [1997b]) complète ce test en distinguant un effet instantané (Additive Outlier (ao)) et un effet avec transition (Innovational Outlier (io)). Le modèle ao permet un changement brusque de la moyenne, tandis que le modèle io permet une évolution plus graduelle. Ces tests séquentiels peuvent être finalement considérés comme une extension des tests de Dickey-Fuller qui permettent de prendre en compte des changements structurels dans le niveau ou la tendance par l’intermédiaire de variables muettes. Ils introduisent dans la régression de Dickey-Fuller une variable indicatrice spécifiant l’existence d’une rupture. La date de rupture est choisie lorsque la statistique t du test de racine unitaire de Dickey-Fuller est à son minimum. L’analyse est ensuite complétée par le test de Lee et Strazicich [2004] fondé sur le maximum de Lagrange. Il permet de prendre en compte de manière endogène l’existence de ruptures structurelles éventuelles à la fois sous l’hypothèse nulle de racine unitaire et sous l’hypothèse alternative. Les tests de Zivot et Andrews et de Perron omettent la possibilité de ruptures sous l’hypothèse nulle de racine unitaire et ils conduisent parfois à des biais de rejet dans les tests de racine unitaire (Nunes, Newbold et Khuan [1997]). Lee et Strazicich [2003] démontrent que ces tests de racine unitaire avec rupture endogène peuvent conclure que la variable en question est stationnaire en tendance, alors qu’en fait la série est non stationnaire avec rupture.

13L’analyse est ensuite complétée par le test de rupture structurelle de Bai et Perron ([1998], [2003a], [2003b]) avec une estimation, pour les séries stationnaires, de ruptures de manière séquentielle, en minimisant la somme des résidus au carré. Ils recourent aux tests globaux de l versus l + 1 ruptures avec l = (0,1,…). Ils proposent également deux tests avec comme hypothèse nulle l’absence de rupture (m = 0) et comme hypothèse alternative la présence de ruptures (m = M), où M est supposé connu ou inconnu (voir Bai et Perron [2003a] et Bassil [2012] pour plus de détails). En clair, si l’on accepte une première rupture de tendance, on teste une seconde rupture éventuelle en conservant la première.

14Ils considèrent un modèle standard de régression linéaire multiple avec T périodes et m ruptures potentielles (ou m + 1 régimes). Dans un régime j, nous avons le modèle de régression suivant :

15

equation im4

16yt est la variable dépendante, les variables X présentent des paramètres qui ne changent pas en fonction des régimes, Z représente les régresseurs qui ont des coefficients variables en fonction des régimes, ? et ?j sont les vecteurs des coefficients estimés et ?t correspond au terme d’erreur à la date t.

17Une fois que la rupture ou les ruptures sont déterminées, le modèle peut être estimé en utilisant des techniques classiques de régression basées sur le principe des moindres carrés. On peut réécrire l’équation sous la forme d’une spécification d’une équation de régression standard :

18

equation im5

19avec des vecteurs de paramètres fixes ? et equation im6equation im7 est un ensemble de variables explicatives qui interagissent avec l’ensemble des variables muettes correspondant à chacun des m + 1 segments de régime.

Résultats obtenus

20Les tests de racine unitaire avec ruptures inconnues sont mis en œuvre pour vérifier l’existence d’une rupture dans la série des ventes de cigarettes, avant de mener le test de rupture structurelle de Bai et Perron. Ce dernier permet de déterminer une nouvelle fois une date de rupture et surtout de dissocier deux régimes avant et après cette rupture. Les ventes de cigarettes en France pourraient être influencées différemment par le prix de vente avant et après le choc structurel.

21L’hypothèse nulle d’une racine unitaire sans rupture structurelle est testée contre l’hypothèse alternative que la série présente un trend-stationnaire avec une rupture. Trois modèles sont estimés prenant en compte le niveau et la pente de la tendance : le modèle A permet un changement de niveau dans la série, le modèle B autorise un changement dans la pente de la tendance et le modèle C combine un changement de niveau et de pente. Les résultats du test de Zivot et Andrews et de Perron sont présentés dans le tableau 1. Les conclusions du test de Lee et Strazicich [2004] sont exposées dans le tableau 2.

Tableau 1

Tests de Zivot et Andrews et de Perron pour la série des ventes de cigarettes

Tableau 1
Tests Modèle A Modèle B Modèle C t–stat Rupture t–stat Rupture t–stat Rupture Zivot et Andrews – 8,257*** 2003M11 – 7,838*** 2003M08 – 9,123*** 2003M11 Perron – 8,009*** 2003M10 – 7,130*** 2003M10 – 9,115*** 2003M10

Tests de Zivot et Andrews et de Perron pour la série des ventes de cigarettes

***, ** et * indiquent le rejet de l’hypothèse nulle aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %.
Tableau 2

Test de Lee et Strazicich pour la série des ventes de cigarettes

Tableau 2
Modèle A Modèle C k Rupture Statistique k Rupture Statistique Lee et Strazicich 3 2003M10 – 5,932*** 3 2003M10 – 5,773***

Test de Lee et Strazicich pour la série des ventes de cigarettes

***, ** et * indiquent le rejet de l’hypothèse nulle aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %. k est le nombre de retards inclus pour corriger l’autocorrélation sérielle et représente l’ordre de retard dans la régression. Les valeurs critiques dans le modèle C dépendent de l’emplacement de la rupture (? = TB / T) et sont symétriques autour de ? et (1 – ?).

22Les résultats concluent au rejet de l’hypothèse de racine unitaire au seuil de 1 % pour la série des ventes de cigarettes, quel que soit le modèle considéré. Concernant la date de rupture, avec le modèle A et le modèle C, les tests de Zivot et Andrews montrent que le choc structurel a lieu en novembre 2003. Le test de Perron, quant à lui, conclut à une rupture dans la série des ventes en octobre 2003. Le test de Lee et Strazicich indique également une rupture en octobre 2003 pour les modèles A et C. Ces résultats corroborent l’analyse descriptive qui mettait en évidence une hausse importante du prix du tabac en octobre 2003 (passant de 3,9 € à 4,6 €). Notons également que le modèle B ne représente pas la série des ventes de cigarettes puisqu’on constate une rupture dans la moyenne et la pente (et non dans la pente de la tendance). De plus, la plupart des séries chronologiques économiques peuvent être correctement modélisées en utilisant les modèles A ou C (Perron [1997b]).

23Après avoir déterminé la stationnarité de la série des ventes de cigarettes et l’existence d’un choc structurel, le test de rupture structurelle de Bai et Perron est mis en œuvre pour confirmer la date de rupture et surtout pour estimer un modèle économétrique avant et après le choc structurel. Cela permet d’étudier l’impact des hausses de prix sur les ventes de cigarettes pour les deux régimes. En effet, les ventes de cigarettes peuvent varier d’une période à l’autre, en raison de hausses de prix plus mesurées à partir de novembre 2003.

24Le modèle estimé prend la forme de l’équation (1) avec yt la série des ventes de cigarettes, X les séries de taux de chômage et des traitements et Z les séries des ventes de cigarettes avec un décalage temporel (pour prendre en compte l’effet de dépendance) et du prix de vente des cigarettes. Rappelons que X représente des paramètres qui ne changent pas en fonction des régimes, à l’inverse de Z. La consommation présente est alors fonction du prix et de la consommation passée. Les ventes passées sont intégrées au modèle pour prendre en compte l’inertie des ventes de cigarettes. Une omission des ventes passées dans le modèle entraînerait une surestimation de la réaction des consommateurs à des changements de prix. L’intégration de la série du taux de chômage vise à prendre en compte la situation et les perspectives socioéconomiques qui pourraient influencer les comportements de consommation, en raison notamment d’une situation économique marquée par un accroissement du taux de chômage. Les ventes de médicaments d’aide à l’arrêt sont également intégrées au modèle pour estimer l’influence des traitements sur la consommation de tabac.

25Les résultats de l’estimation des ventes de cigarettes entre 2000 et 2012 sont présentés dans le tableau 3. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce modèle. Tout d’abord, le test de rupture structurelle de Bai et Perron confirme les résultats des tests de racine unitaire en démontrant l’existence d’un choc structurel en novembre 2003 (après une augmentation du prix de vente de 18 % en octobre 2003). Par conséquent, l’impact des hausses de prix sur la vente de tabac en France est différent d’une période à l’autre. En effet, en calculant l’élasticité-prix de la demande de long terme à partir du coefficient du prix de vente et du coefficient des ventes passées [2], on remarque qu’une augmentation de 10 % du prix des cigarettes sur la période allant de janvier 2000 à octobre 2003 entraîne une réduction moyenne des ventes de 4,7 %. Pour la période allant de novembre 2003 à décembre 2012, la baisse est seulement de 2 % en moyenne, toutes choses égales par ailleurs. L’effet-prix de long terme est supérieur à l’effet-prix de court terme, puisqu’une hausse de prix a effet négatif sur la consommation courante et sur la dépendance future (Becker, Grossman et Murphy [1991]). Il semblerait alors que les hausses du prix du tabac à partir de novembre 2003, plus mesurées que les augmentations précédentes, aient un impact relativement faible sur les ventes de cigarettes. Ces résultats, en adéquation avec les travaux menés en France (Anguis [1997], Anguis et Dubeaux [1997], Etilé [2006] et Ben Lakhdar et al. [2011]), permettent de mettre en évidence un impact véritablement différencié, en fonction des périodes considérées. Les travaux antérieurs montrent d’ailleurs que le prix semble être le prédicteur le plus important des variations des ventes, avec une élasticité-prix proche de – 0,4. Notons d’ailleurs qu’une méta-analyse reprenant les conclusions de 86 études portant sur les aspects économiques du tabac présente une élasticité moyenne de – 0,48 (Gallet et List [2003]).

Tableau 3

Résultats d’estimation

Tableau 3
Rupture : 2003M11 Ventes de cigarettes 2000M01- 2003M10 Constante 9,721*** Ventes de cigarettes (t – 1) 0,040 Prix de vente – 0,454*** 2003M11- 2012M12 Constante 8,506*** Ventes de cigarettes (t – 1) 0,110 Prix de vente – 0,179** Chômage 0,044 Traitements – 0,068*** R² 0,86 F-stat 139,93***

Résultats d’estimation

***, ** et * indiquent le rejet de l’hypothèse nulle aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %. Les variables sont exprimées en logarithme. La sélection de la rupture est effectuée avec la méthode séquentielle de Bai et Perron [1998] de l versus l + 1 rupture avec l = (0, 1, …), avec au maximum cinq ruptures et un ajustement de 0,15 (la distance moyenne entre deux dates de ruptures est au minimum de 0,15*T). Le F-stat (11,029) est significatif à hauteur de 5 %, à partir des valeurs critiques de Bai et Perron [2003].

26La variable « chômage », qui représente la situation socioéconomique, ne semble pas avoir d’influence sur les ventes de tabac. Pourtant, il était envisageable que la dégradation de la situation économique française puisse influencer la consommation à la baisse ou à la hausse. En effet, une situation économique morose pourrait inciter les fumeurs à réduire leur consommation de tabac pour faire des économies. À l’inverse, la perte d’un emploi pourrait se traduire par l’accroissement de comportement « oisif », qui augmenterait finalement la consommation de tabac. Enfin, les variations des ventes de médicaments d’aide à l’arrêt semblent influencer à la baisse les ventes de cigarettes, ce qui pourrait traduire une efficacité de ce type de traitement, même si le coefficient est relativement faible. Il est à noter que l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs (mise en œuvre en 2007 et en 2008), exprimée par des variables muettes dans une régression non présentée dans cet article, n’avait pas d’influence sur les ventes de tabac [3]. Cela pourrait s’expliquer par l’application et l’utilisation quasi simultanée des outils de lutte contre le tabagisme : des campagnes d’interdiction et des hausses de prix.

27Finalement, le prix de vente des cigarettes est un outil de régulation efficace sur les quantités agrégées vendues, et par concomitance sur la consommation des individus. Cependant, l’importance des hausses de prix conditionne l’impact sur les ventes de cigarettes. En effet, l’estimation de l’équation de vente au cours de la période allant de janvier 2000 à octobre 2003, marquée par des hausses de prix récurrentes d’une ampleur relativement forte (fig. 1), et notamment par le choc structurel d’octobre 2003, présente une élasticité-prix relativement forte à court terme (– 0,45) et à long terme (– 0,47). Par contre, au cours de la période allant de novembre 2003 à décembre 2012, les hausses de prix plus mesurées [4] et plus espacées dans le temps ont une influence limitée sur les ventes de tabac, avec une élasticité-prix à court terme de – 0,17 et à long terme de – 0,2.

Discussion et conclusion

28Avant de conclure sur les résultats et les apports de cet article, il est important de préciser que ce travail n’est pas exempt de limites, en raison de la complexité à observer et à quantifier la consommation de tabac et les nombreux facteurs qui pourraient influencer la variable expliquée. En effet, les ventes de cigarettes ne représentent pas véritablement la consommation de cigarettes. Cette dernière peut être influencée par plusieurs facteurs : les achats transfrontaliers, la contrebande de tabac, la modification du comportement d’inhalation en réaction à des hausses de prix (Adda et Cornaglia [2005], [2006]) et l’existence de produits de substitution tels que le tabac à rouler ou les cigarettes électroniques. Il est également regrettable de ne pas avoir mené l’analyse en prenant en considération l’hétérogénéité des consommateurs (Etilé [2004], [2006]) puisque le mode de consommation et le phénomène de dépendance varient d’un individu à l’autre. La non-prise en compte de ces facteurs s’explique par l’inexistence ou l’incomplétude de données agrégées temporelles pour la période 2000-2012. La méthodologie retenue nécessite des données temporelles exhaustives sur la période considérée.

29Pour conclure, cet article vise à présenter l’évolution des ventes de tabac et à estimer l’impact des hausses de prix sur les ventes de cigarettes en France, entre 2000 et 2012, avec un modèle prenant en compte le choc structurel d’octobre 2003, matérialisé par une forte baisse des ventes. Les résultats des tests de racine unitaire avec ruptures inconnues et du test de rupture structurelle confirment l’existence d’une rupture dans la série de ventes de cigarettes. En outre, l’estimation du modèle économétrique démontre que les élasticités-prix sont différentes d’une période à l’autre, en raison de la récurrence et de l’importance des augmentations de prix. De plus, les ventes de médicaments d’aide à l’arrêt influencent à la baisse (de manière limitée) les ventes de cigarettes. L’augmentation des taxes reste alors l’outil de politiques publiques le plus efficace pour réduire le tabagisme. Cela dit, pour améliorer la lutte contre le tabac, l’État doit mettre en œuvre une forte hausse des prix pour obtenir des effets rapides et concrets. Ces résultats corroborent d’ailleurs le rapport de la Cour des comptes de décembre 2012 qui montre l’absence d’une véritable politique de lutte contre le tabagisme au cours de ces dernières années et la nécessité d’adopter une politique volontariste de relèvement des prix du tabac, à l’instar d’autres pays européens. Le tabagisme représente alors un problème de santé publique dans lequel les dimensions politique et économique sont entremêlées. D’ailleurs, les ventes de cigarettes durant la période marquée par une élasticité de la consommation par rapport au prix relativement faible permettent finalement d’accroître les recettes de l’État, à travers la taxation du tabac, qui représente un effet redistributif non négligeable.


Annexe
Tableau 1A

Statistiques descriptives

Tableau 1A
Ventes de cigarettes Prix de vente Ventes de tabac à rouler Traitements Chômage Moyenne 5 163,638 4,840 769 619 303,6 156 236,4 9,037 179 Médiane 4 688,825 5,000 000 616 228,5 151 981,2 9,200 000 Maximum 7 933,285 6,600 000 761 048,0 412 468,7 10,60 000 Minimum 3 733,602 3,201 000 480 221,0 39 995,87 7,500 000 Écart type 1 076,478 0,960 186 57 660,84 57 109,69 0,716 012 Skewness 0,907 637 – 0,403 757 0,201 061 0,793 787 – 0,185 231 Kurtosis 2,476 591 2,059 884 2,584 904 4,894 963 2,267 136 Observations 156 156 108 156 156

Statistiques descriptives

Références bibliographiques

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Date de mise en ligne : 24/04/2015

https://doi.org/10.3917/reco.pr2.0044

Notes

  • [*]
    cerefige, Université de Lorraine et crea, Université du Luxembourg. Correspondance : cerefige, Université de Lorraine, Pôle Lorrain de Gestion, 13 rue Maréchal Ney, 54037 Nancy cedex. Courriel : vfromentin@gmail.com
    Je tiens à remercier Olivier Damette, les membres du cerefige et les rapporteurs anonymes pour leurs conseils et commentaires.
  • [1]
    Précisons que le prix d’un paquet de cigarettes est fixé par le fabricant (au-dessus d’une valeur fixée par le Code des impôts). Ce prix est ensuite validé par le ministère du Budget, une fois par trimestre, par arrêté, pour garantir un prix semblable sur tout le territoire.
  • [2]
    Les calculs sont les suivants : (– 0,454)/(1 – 0,04) = – 0,472 (pour la période 2000M01 à 2003M10) et (– 0,179)/(1 – 0,11) = – 0,201 (pour la période 2003M11 à 2012M12).
  • [3]
    Les résultats des régressions peuvent être obtenus sur demande à l’auteur.
  • [4]
    Par exemple, en octobre 2003 et en octobre 2011, les hausses de prix respectives sont de 18 % et 9 %.

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