Notes
-
[*]
Cet article a bénéficié des commentaires de Bernard Caillaud, d’Emeric Henry et de participants au congrès de l’Association for Cultural Economics International (Copenhague, juin 2010) et au 59e congrès de l’afse (Nanterre, septembre 2010).
-
[2]
Voir Caves [2002] pour une présentation plus complète de ces aspects et une discussion de leurs conséquences sur l’organisation du secteur.
-
[3]
Une preuve complète de tous les résultats est disponible dans Perona [2010], p. 147-148 pour la Proposition 1, p. 166-169 pour la Proposition 2, p. 152 pour la Proposition 3 et p. 154 pour la Proposition 4.
-
[4]
Il est possible de montrer que la concurrence simultanée est une forme continue du jeu du colonel Blotto, pour laquelle il n’existe pas d’équilibre en stratégies pures, ce qui justifie l’adoption d’un cadre séquentiel.
Introduction
1Dans l’immense majorité des économies modernes, radios et télévisions sont soumises à des quotas fixant la part minimale de contenus nationaux ou de langue nationale dans leurs programmes. En Europe, par exemple, la Directive sur les Services de médias audiovisuels (2010/13/eu) impose de réserver la majorité de la programmation de fictions à des œuvres européennes, les États pouvant y ajouter des seuils plus contraignants portant sur la production nationale. L’existence de ces quotas repose sur l’idée que les biens culturels présentent des dimensions de bien public. Exprimant les valeurs, les idées ou les tensions d’une société, ses produits culturels jouent un rôle important dans la définition des identités et dans la diffusion des idées et des représentations à l’intérieur de cette société. De ce fait, la consommation massive de produits issus d’un autre pays et la marginalisation des expressions nationales peuvent représenter une menace pour la vitalité de la culture nationale. La mise en place de quotas doit donc permettre l’accès des œuvres nationales aux canaux de diffusion. Dans un secteur caractérisé par de fortes économies d’échelle et des coûts fixes importants [2], l’accès à la diffusion augmente considérablement les chances pour une œuvre de parvenir à l’équilibre financier et, en amont, augmente le nombre de projets potentiellement profitables. L’argument économique en faveur des quotas est donc qu’ils devraient avoir deux effets. D’une part, augmenter la part des contenus nationaux et, par conséquent, les ressources allouées à la production de ces contenus. D’autre part, en dégageant plus de temps d’antenne, ils devraient permettre la création d’œuvres qui n’auraient pas été diffusées en leur absence, alimentant ainsi la diversité des programmes.
2Si les modèles théoriques accréditent le premier de ces effets (voir Anderson et Gabszewicz [2006] pour une revue de cette littérature), l’analyse de Ranaivoson [2010] suggère un phénomène allant à l’exact opposé du second. Il constate en effet que, suite à l’imposition d’un quota minimal de musique d’expression française en France, le taux de rotation, c’est-à-dire le nombre de diffusions hebdomadaire d’un morceau, des titres français, a considérablement augmenté bien plus que celui des titres étrangers. Cette augmentation est telle qu’en supposant un temps constant consacré à la musique sur les radios concernées, hypothèse raisonnable en l’état des données, elle signifierait que le nombre total de titres francophones différents diffusés a diminué, alors même que le quota imposait une augmentation de leur part. La mise en évidence d’une tension entre l’augmentation de la part de contenu nationaux et le nombre d’œuvres diffusées n’était pas possible dans le cadre des modèles existants (voir, par exemple, Gabszewicz, Laussel et Sonnac [2001, 2002 et 2004], Anderson et Coate [2005]), intéressés par l’influence de la concurrence sur la diversité (dans la lignée de Steiner [1952] et de Beebe [1977]) ou par l’influence de la structure de financement sur le type et la qualité des programmes offerts. Seul Richardson [2006] suggère la possibilité d’un tel effet, sans pouvoir le faire apparaître dans son cadre. Cette contribution a donc pour objectif de proposer un cadre simple où apparaît un tel effet afin de mettre en évidence les éléments faisant que l’imposition d’un quota peut conduire à la réduction de la diversité de contenus diffusés, nationaux comme étrangers.
3Pour mettre en évidence un tel effet, il est nécessaire de disposer de deux dimensions de différenciation des contenus. Le modèle, présenté dans le cadre du marché des radios musicales, propose donc de classer les contenus selon une dimension continue, représentant leur popularité, et une dimension discrète, leur caractère national ou étranger. Le concept de diversité culturelle comme l’idée du quota reposant sur la substitution entre les différents contenus, on suppose ici que contenus nationaux et contenus étrangers sont imparfaitement substituables et que, pour simplifier, les contenus de popularité différente ne sont pas substituables entre eux. Pour attirer les auditeurs, les radios doivent donc diffuser un certain nombre de fois chaque contenu afin d’attirer les auditeurs sensibles à ce contenu, sous une contrainte de temps d’antenne total.
L’intuition essentielle de ce modèle est que l’imparfaite substituabilité entre contenus nationaux et étrangers définit pour chaque niveau de popularité un mélange (mix) optimal de contenus nationaux et étrangers. L’imposition d’un quota empêche les radios de programmer le mix optimal et les oblige à choisir un mix de second rang, ce qui dégrade, à quantité de musique constante, l’utilité des auditeurs. Les radios doivent donc compenser les auditeurs en augmentant le temps consacré à chacun des titres qu’elles diffusent. Comme le temps d’antenne est limité, elles font ainsi avec les morceaux les plus populaires et abandonnent la diffusion des contenus les moins populaires, faute de temps pour les diffuser. L’augmentation du temps total consacré aux contenus nationaux a ainsi pour contrepartie l’abandon des contenus les moins populaires, nationaux comme étrangers.
La première section présente le modèle. La seconde présente le cas d’une radio en monopole pour illustrer le mécanisme à l’œuvre. La troisième montre que ce mécanisme fonctionne également dans un cadre de concurrence séquentielle, où il se conjugue avec le résultat familier d’une réduction de la diversité due à l’effet propre de la concurrence.
Modèle
4Les contenus sont caractérisés par deux éléments : leur position ? sur un axe [0, + ?] et leur origine, nationale (N) ou étrangère (E). On suppose que, quelle que soit la position ?, il existe une proportion constante de titres nationaux et étrangers. Une masse normalisée à un d’auditeurs est distribuée sur le même axe [0, + ?] selon une densité f strictement décroissante. La position ? d’un auditeur représente son goût musical : il ne s’intéresse qu’à la musique située à cette position. La décroissance de f signifie donc que plus un genre est situé près de l’origine de l’axe, plus il a d’amateurs (plus il est populaire).
5La question centrale de ce modèle étant la substitution entre contenus nationaux et étrangers, on suppose que pour le consommateur tous les morceaux d’une même origine sont parfaitement substituables mais que la substituabilité entre morceaux nationaux et morceaux étrangers est imparfaite. Plus précisément, on suppose que, face à une programmation caractérisée par une quantité mN de musique nationale et mE de musique étrangère pour une position donnée, l’utilité marginale de la musique nationale décroît plus vite lorsque la radio ajoute uniquement de la musique nationale que lorsqu’elle ajoute également de la musique étrangère, et réciproquement. Il s’agit donc d’une forme de goût pour la diversité qui se traduit mathématiquement par une fonction d’utilité u vérifiant :
7où u?i représente la dérivée de la fonction par rapport à son i-ième argument. La condition (1) signifie que l’utilité marginale est positive, la condition (2) que u est concave en chacun de ses arguments, et les conditions (3) et (4) représentent un goût pour la diversité. Ces hypothèses sont communément admises dans la littérature étudiant les questions de diversité et sont en particulier vérifiées par une utilité du type Dixit-Stiglitz : avec 0 < ? < 1. On suppose enfin que les auditeurs potentiels ont une utilité de réserve ? que doit leur fournir l’écoute de la radio, correspondant à l’utilité qu’ils auraient à écouter autre chose.
8Du côté de l’offre, les radios ne diffusent que de la musique et cherchent à maximiser leur audience. Elles disposent d’un temps d’antenne total T. La stratégie d’une radio est donc caractérisée par sa programmation, c’est-à-dire le choix d’un intervalle [a, b] de [0, + ?] et d’un niveau de programmation mN(.), mE(.) pour chaque point de cet intervalle. L’audience d’une radio est donc donnée par le nombre d’auditeurs situés sur le segment [a, b] auxquels elle apporte une utilité à la fois supérieure à ? et à l’utilité que leur apporte une éventuelle radio concurrente diffusant les mêmes morceaux. Le marché de la radiodiffusion fonctionnant sur la base de licences forfaitaires couvrant de vastes catalogues, le coût des radios peut être résumé à un coût fixe normalisé à zéro.
Dans ce cadre, la notion de diversité est exprimée par deux indicateurs, l’étendue des programmations à l’équilibre, c’est-à-dire la longueur du segment des genres diffusés sur l’axe ?, et la part de contenus de chaque origine. Ces deux indicateurs n’épuisent pas l’intégralité des dimensions de la notion de diversité pertinentes pour l’analyse économique et la politique culturelle (voir Benhamou et Peltier [2007]) mais suffisent à montrer que l’intérêt porté à la seule part des contenus nationaux peut occulter une diminution de la diversité en termes de genres ou de nombre de titres.
Radio en monopole
9L’examen de la réaction d’une radio en monopole face à un quota met en évidence l’arbitrage fondamental illustré par ce modèle. En l’absence d’un quota, le programme d’une radio est :
11Les propriétés de concavité de u font qu’il existe un unique mix m0 minimisant le temps d’antenne nécessaire pour fournir une utilité ? aux auditeurs intéressés, saturant ainsi la condition (7) :
13La radio en monopole sélectionne donc optimalement ce mix m0 partout et diffuse sur le segment le plus large possible en commençant par les morceaux les plus populaires, c’est-à-dire le segment [0, T/m0].
14Supposons maintenant qu’un régulateur impose un quota sous la forme d’un plafond Q de temps d’antenne total consacré aux morceaux étrangers et que ce quota soit tel qu’il ne puisse être respecté par la programmation optimale en son absence. Dans la mesure où ce quota est contraignant, la radio ne peut plus proposer à tous ses auditeurs le mix optimal. Le goût pour la diversité (en d’autres termes la concavité de u en chacun de ses arguments) fait qu’en réponse à un quota, il est moins coûteux en temps d’antenne pour la radio de dégrader le mix offert à tous ses auditeurs que de fournir à certains un mix optimal et à d’autres un mix dégradé.
15Considérons en effet que la radio offre à certains auditeurs un mix et à d’autres un mix avec offrant la même utilité et compatibles avec le quota. L’utilité marginale retirée d’un morceau étranger est alors plus importante pour les auditeurs de mi que pour les auditeurs de mj et, inversement, l’utilité marginale d’un morceau national est plus importante pour les auditeurs de mj. La quantité de musique nationale nécessaire pour compenser les auditeurs de mj d’une diminution marginale de la programmation étrangère est donc plus importante que la quantité de musique nationale que seraient prêts à abandonner les auditeurs de mi en échange d’une augmentation marginale de la programmation étrangère. La radio a donc intérêt à égaliser la quantité de musique étrangère servie aux deux publics. Face à un quota, elle sert donc un mix
17tel que u(mq) = ?. Le fait que le quota soit contraignant et la concavité de u signifient respectivement :
19La quantité de musique pour satisfaire les auditeurs en un point donné est donc supérieure en présence du quota et est croissante à mesure que le quota se fait plus strict [3]. On en déduit la proposition :
20Proposition 1. Le segment de morceaux programmés sous la contrainte d’un quota [0, ?q] est inclus dans celui de la programmation sans quota [0, ?0] et sa borne ?q décroît quand Q décroît. En d’autres termes, plus le quota réserve une part importante de la diffusion aux contenus nationaux, moins la programmation est diversifiée en termes de contenus tant nationaux qu’étrangers.
L’imposition d’un quota a donc bien ici pour effet d’augmenter le temps d’antenne dédié aux morceaux nationaux (qui atteint Q) mais a aussi pour conséquence d’exclure de l’antenne les morceaux les moins populaires, nationaux comme étrangers, situés sur le segment [?q, ?0]. L’intuition en est que la radio fournit à ses auditeurs le meilleur mix atteignable sous la contrainte du quota. Ce mix étant plus coûteux en temps d’antenne que le mix optimal, elle doit consacrer plus de temps qu’elle ne le ferait sans quota à chacun des points de sa programmation et de ce fait doit réduire l’étendue de sa programmation. Comme la radio cherche à avoir le plus d’auditeurs possible, l’exclusion porte sur les morceaux les moins populaires. Les éléments clés pour ce résultat sont le goût pour la diversité des consommateurs et l’imparfaite substituabilité entre morceaux domestiques et morceaux étrangers.
Radios en concurrence
21Pour traiter du cadre de la concurrence, cette contribution se place dans le cadre d’une concurrence séquentielle [4] et suppose, dans la lignée des résultats de monopole, que le programme d’une radio est défini par une programmation (mN, mE) qui ne dépend pas du point du segment [a, b] de morceaux diffusés par cette radio. Considérons donc deux radios R 1 et R 2 caractérisées par les triplets et respectivement. Supposons enfin que la Radio 1 est la radio historique et donc que sa programmation est choisie et connue avant que la Radio 2 ne fasse ses choix de programmation.
22Une propriété importante de ce jeu est que la Radio 2 a toujours la possibilité de répliquer la programmation de la Radio 1, offrant une quantité légèrement plus grande de musique à tous les auditeurs de la Radio 1 et abandonnant un nombre arbitrairement faible d’auditeurs. À l’issue du jeu, la Radio 2 aura donc au moins autant d’auditeurs que la Radio 1. Le problème de celle-ci est donc de maximiser son audience tout en fournissant à la Radio 2 la possibilité de capturer au moins autant d’auditeurs qu’elle-même. À première vue, cette dernière a deux possibilités : soit se positionner sur les titres les plus populaires, diffusés un très grand nombre de fois, au point que son concurrent préfère se comporter en monopole sur un segment plus large (mais moins dense en auditeurs) de morceaux moins populaires, soit au contraire de se positionner d’emblée sur des morceaux moins populaires, obligeant la Radio 2 à une diffusion importante des morceaux les plus populaires. Dans le présent cadre, la première stratégie domine toujours la seconde.
23Proposition 2. La stratégie dominante pour la Radio 1 est de se positionner sur un segment , la Radio 2 répondant optimalement en se positionnant sur , où est l’unique solution de l’équation :
25et m0 tel que défini dans le cas d’une radio en monopole.
26Qualitativement, ce résultat signifie que la Radio 1 diffuse de manière très intensive les morceaux les plus populaires, tandis que la Radio 2 se comporte en monopole sur les titres suivants. La disjonction des deux segments de programmation s’explique par le fait que tout recouvrement procède d’une stratégie (faiblement) dominée de l’une ou l’autre des radios. Si le recouvrement est défavorable à la radio proposant les morceaux les moins populaires, celle-ci peut se décaler vers la droite pour capturer des auditeurs supplémentaires sur les genres marginaux. Si le recouvrement est défavorable à la radio située sur les morceaux les plus populaires, abandonner le recouvrement permet à la cette radio de fournir une utilité plus élevée à ses auditeurs et à un partage du recouvrement qui permet d’augmenter l’audience des deux radios.
27Le seuil est celui tel que l’audience des deux radios est identique. Dans la mesure où la Radio 1 diffuse en tout point de sa programmation plus de morceaux que ne le ferait un monopole et que la Radio 2 en diffuse autant, les deux programmations additionnées couvrent moins de titres que ne le ferait un monopole doté d’un temps d’antenne égal à celui des deux radios.
28Proposition 3. Le segment de morceaux diffusés en concurrence est strictement compris dans le segment [0,2T/m0] de morceaux diffusés par un monopole comparable.
Le résultat de la proposition 3 est courant dans la littérature étudiant l’impact de la concurrence sur la diversité mais provient d’un motif absent de la littérature existante. On peut noter qu’à l’équilibre de concurrence, la contrainte de participation des auditeurs de la Radio 2 est saturée tandis que ceux de la Radio 1 jouissent d’une utilité strictement supérieure à leur utilité de réserve. Il est possible de montrer que l’écart entre ce que feraient un monopole et la programmation en concurrence est d’autant plus important que la distribution de la popularité est concentrée (c’est-à-dire que f est fortement décroissante). Ce résultat implique que même si la programmation de concurrence est moins diverse (faisant que certains auditeurs ne sont pas servis alors qu’ils pourraient l’être par un monopole), le surplus total des consommateurs peut être quand même supérieur en concurrence du fait de l’utilité supplémentaire fournie aux auditeurs, plus nombreux, des morceaux les plus populaires. Ce cas de figure se produit lorsque la popularité est très concentrée (donc les auditeurs exclus relativement peu nombreux) et que u est peu concave (faisant que la programmation supplémentaire apporte aux auditeurs de la Radio 1 un supplément notable d’utilité).
Radios en concurrence et quotas
29Supposons maintenant qu’un quota Q soit appliqué à deux radios en concurrence. L’étude du cas de monopole suggère que le quota ne sera pas utilisé de manière stratégique. Dans le cas du monopole, on a en effet montré que le respect du quota en tout point de la programmation, avec
31constituait l’usage le plus efficace du temps d’antenne. Ce résultat s’étend naturellement au cas de concurrence sous l’hypothèse d’une programmation uniforme, qui ne dépend pas du point du segment choisi par la radio. Sous cette hypothèse en effet, le niveau d’utilité retiré de l’écoute constitue le seul paramètre de choix des consommateurs et donc les radios ont pour objectif d’atteindre un niveau d’utilité donné de la manière la plus efficace possible. Chacune des radios propose donc en tout point le meilleur mix atteignable sous la contrainte du quota.
32L’application d’un quota modifie donc le jeu de concurrence de la manière suivante : la Radio 1 doit choisir un intervalle tel que l’audience faite par la Radio 2 sur soit égale à celle de l’intervalle . Comme la quantité de musique mq nécessaire pour offrir le niveau d’utilité ? en respectant la contrainte de quota est supérieur à la quantité m0 nécessaire pour fournir la même utilité sans quota, la longueur de l’intervalle servi par la Radio 2 est plus faible en présence d’un quota. La condition d’équilibre de la concurrence sans quota n’est donc plus respectée et la Radio 1 doit choisir un respectant la nouvelle condition d’équilibre :
34La longueur des segments d’auditeurs servis par chaque radio est donc inférieure sous la contrainte d’un quota à ce qu’il serait en son absence.
35Proposition 4. Le segment de morceaux diffusés en concurrence avec un quota est strictement compris dans le segment diffusé en concurrence sans quota. La mesure de ce segment est également inférieure à ce que ferait un monopole comparable.
36La proposition 4 résume le fait que les effets de la concurrence et du quota se conjuguent l’un à l’autre. L’effet de la concurrence repose essentiellement sur la concentration des auditeurs, tandis que l’effet du quota est paramétré par la substituabilité entre morceaux nationaux et morceaux étrangers. Si les goûts musicaux sont très concentrés, l’audience que peut obtenir la Radio 2 est comparativement plus faible que si les goûts étaient moins concentrés, obligeant la Radio 1 à servir un segment plus étroit à proximité de l’origine. Cela implique que la Radio 1 offre à ses auditeurs un niveau d’utilité plus élevé que celui qu’elle offrirait si les goûts étaient moins concentrés. Or, aux niveaux d’utilité plus élevés, l’utilité marginale d’un morceau national est plus faible. De ce fait, la compensation liée au quota est également rendue plus coûteuse du fait de la concentration des goûts.
On peut noter que les résultats ci-dessus se généralisent sans difficulté au cas d’un nombre arbitraire n de radios arrivant séquentiellement sur le marché. Les effets de réduction de la diversité liés à la concurrence seront alors d’autant plus importants que le nombre de radios est grand. L’intuition de ce résultat est que la première radio doit se positionner de manière à ce que son audience soit inférieure ou égale à celle de la dernière radio qui entrera sur le marché. Comme la présence d’un plus grand nombre de concurrents repousse celle-ci sur des parties moins denses en auditeurs, la première radio (et donc toutes les suivantes) doivent couvrir un segment comparativement plus étroit. Dans ce cas, le surplus net des auditeurs des radios est décroissant de la radio l à la radio l + 1, pour être nul en ce qui concerne les auditeurs de la dernière radio arrivée.
Conclusion et extension
37Ce modèle propose un cadre simple où l’imposition d’un quota destiné à augmenter la part des contenus nationaux conduit à une réduction du nombre de titres diffusés, nationaux comme étrangers. Les conditions nécessaires pour cet effet sont essentiellement l’inégale popularité des différents morceaux et une imparfaite substituabilité entre morceaux de genres différents et entre morceaux d’origines différentes. Ces mêmes facteurs concourent, par ailleurs, à un effet de réduction de la diversité lorsque plusieurs radios sont mises en concurrence. L’effet de la concurrence et l’effet du quota se conjuguent enfin selon des modalités qui dépendent de la concentration de la popularité et du degré de substitution entre morceaux nationaux et morceaux étrangers. Par rapport à la littérature existante, cette contribution montre que la distinction entre les différentes acceptions du terme de diversité induit la mise en évidence d’arbitrages entre les multiples dimensions de ce concept, et que l’imposition de quotas de diffusion ne constitue pas une panacée.
38Une conséquence logique de ce modèle est que l’imposition de quotas aura des effets sur l’offre, privant de diffusion les genres les plus marginaux mais augmentant l’exposition (et donc les revenus) des genres qui restent diffusés sous la contrainte du quota. Si les différents contenus sont produits en tout état de cause, l’impact est purement redistributif, depuis des morceaux moins populaires vers des morceaux plus populaires. Si la production des contenus n’est pas nécessairement assurée, ce transfert peut renforcer la position de genres moins populaires en augmentant leur nombre de diffusions, ce qui rend leur position moins précaire, au prix de l’abandon presque complet du financement des genres qui ne sont plus diffusés. On peut enfin imaginer qu’une telle structure de diffusion entraîne à moyen terme un repositionnement des artistes sur les types de morceaux les plus populaires, ceux restant diffusés sous la contrainte du quota.
39Ce résultat signifie qu’une politique de la culture soucieuse de diversité ne saurait se contenter de quotas. De fait, dans de nombreux pays, le système de quotas nationaux se double d’un système réservant des parts d’antenne à des programmes spécifiques ou limitant le nombre maximal de répétition d’une chanson donnée. En l’absence d’un levier ciblant les genres eux-mêmes, ce qui relève du jugement de valeur, ces mesures ne peuvent que difficilement, et au prix de distorsions encore plus importantes, enrayer le phénomène décrit par cette contribution, la production de copies pratiquement identiques de contenus populaire pouvant se substituer dans l’analyse à la simple répétition de ces contenus. Dans ce cadre, seul un service public soumis à une obligation de diversité permet d’assurer à la fois une part d’antenne donnée à la production nationale et d’éviter l’éviction des genres les moins populaires.
40Une extension naturelle de cette contribution est de considérer l’effet d’une endogénéisation de l’utilité de réserve ?, celle-ci représentant la désutilité liée à la présence de publicité et de considérer que les radios ne maximisent pas l’audience mais les revenus publicitaires. Les radios disposent alors de deux leviers pour fournir un niveau d’utilité donné, la quantité de musique et le niveau de publicité. Le présent modèle apparaît alors comme un cas limite où les auditeurs ont une aversion constante à la publicité tant que celle-ci reste sous un seuil donné et une aversion infinie lorsque ce seuil est dépassé. En dehors de ce cas limite, la présence de cet motif supplémentaire peut affaiblir ou au contraire renforcer l’effet des quotas sur la diversité en fonction de la forme précise de l’utilité de la musique, de la distribution des auditeurs et de l’aversion à la publicité.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Anderson S. P. et Coate S. [2005], « Market Provision of Broadcasting: A Welfare Analysis », Review of Economic Studies, 72 (4), p. 947-972.
- Anderson S. P. et Gabszewicz J. J. [2006], « The Media and Advertising: A Tale of Two-Sided Markets », dans Ginsburgh V. et Throsby D. (eds), Handbook of the Economics of the Arts and Culture, North-Holland, 2006, p. 567-614.
- Beebe J. H. [1977], « Institutional Structure and Program Choices in Television Markets », Quaterly Journal of Economics, 91 (1), p. 15-37.
- Benhamou F. et Peltier S. [2007], « How should cultural diversity be measured? An application using the French publishing industry », Journal of Cultural Economics, 31 (2), p. 85-107.
- Caves R. [2002], Creative Industries: Contracts Between Arts and Commerce, Cambridge, Harvard University Press.
- Gabszewicz J., Laussel D. et Sonnac N. [2001], « Press advertising and the ascent of the “Pensee Unique” », European Economic Review, 45 (4-6), p. 645-651.
- Gabszewicz J., Laussel D. et Sonnac N. [2002], « Press Advertising and the Political Differentiation of Newspapers », Journal of Public Economic Theory, 4 (3), p. 317-334.
- Gabszewicz J., Laussel D. et Sonnac N. [2004], « Programming and Advertising Competition in the Broadcasting Industry », Journal of Economics & Management Strategy, 12 (3), p. 657-669.
- Perona M. [2010], Trois essais sur les politiques publiques des industries culturelles, Thèse de doctorat, Paris, ehess.
- Ranaivoson H. [2010], Diversité de la production et structure de marché, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes.
- Richardson M. [2006], « Commercial Broadcasting and Local Content: Cultural Quotas, Advertising and Public Stations », Economic Journal, 116 (511), p. 355-625.
- Steiner P. [1952], « Program Patterns and Preferences and the Workability on Competition in Radio Broadcasting », Quaterly Journal of Economics, 66, p. 194-223.
Notes
-
[*]
Cet article a bénéficié des commentaires de Bernard Caillaud, d’Emeric Henry et de participants au congrès de l’Association for Cultural Economics International (Copenhague, juin 2010) et au 59e congrès de l’afse (Nanterre, septembre 2010).
-
[2]
Voir Caves [2002] pour une présentation plus complète de ces aspects et une discussion de leurs conséquences sur l’organisation du secteur.
-
[3]
Une preuve complète de tous les résultats est disponible dans Perona [2010], p. 147-148 pour la Proposition 1, p. 166-169 pour la Proposition 2, p. 152 pour la Proposition 3 et p. 154 pour la Proposition 4.
-
[4]
Il est possible de montrer que la concurrence simultanée est une forme continue du jeu du colonel Blotto, pour laquelle il n’existe pas d’équilibre en stratégies pures, ce qui justifie l’adoption d’un cadre séquentiel.