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Article de revue

L'impact du chômage des parents sur le devenir scolaire des enfants

Pages 637 à 645

1 Parallèlement aux orientations politiques récentes de lutte contre la pauvreté des enfants, les études concernant le devenir des enfants issus de milieux défavorisés se sont développées dans les pays anglo-saxons, surtout sous l’angle de la pauvreté. On trouvera une bibliographie détaillée sur le sujet dans Haveman et Wolfe [1995]. Il semble avéré que les enfants défavorisés subissent un handicap durable par rapport aux autres enfants. Mayer indique par exemple : « Parental income is positively correlated with virtually every dimension of child well-being that social scientists measure, and this is true in every country for which we have data » [2002].

2 Cependant, il n’est pas évident que les différences observées sont dues au revenu des parents en soi ou à d’autres facteurs corrélés au revenu (origine sociale, etc.). Cette question est cruciale pour trancher entre différentes théories du capital humain : d’une part, celles qui prédisent que les transferts monétaires améliorent les chances des enfants (théorie économique) et, d’autre part, les théories selon lesquelles les différences de réussite sont dues à des facteurs non financiers (« culture de la pauvreté », comportement des parents) et ne sont pas améliorées par les transferts monétaires. De nombreuses études essaient donc de tester le lien de causalité entre pauvreté et devenir des enfants. S. Mayer passe en revue un bon nombre de ces études et considère que l’impact causal de la pauvreté sur le devenir des enfants est faible : « When family background variables are controlled, however, the estimated size of the effect of parental income reduces, and the residual effects are generally small to modest on most outcomes » [2002]. Cependant, les effets les plus importants sont observés sur la réussite scolaire et les tests cognitifs.

3 En France, la question du devenir des enfants issus de milieux défavorisés est restée jusqu’ici peu abordée, même si des travaux à l’initiative du cerc ont tenté de répondre à cette problématique. La principale raison est sans doute liée aux sources statistiques disponibles : le manque de panel d’individus donnant des informations sur les enfants limite souvent les études aux âges où les enfants vivent encore chez leurs parents (retard scolaire à l’entrée en sixième ou en troisième).

4 Sur données françaises, Maurin [2002] étudie le retard scolaire à l’entrée en sixième à partir de l’Enquête permanente sur les conditions de vie (epcv) de 1997. L’auteur utilise des informations concernant le grand-père comme variable instrumentale du revenu du ménage et montre que l’effet de la pauvreté est plus fort que celui de l’éducation des parents. Des résultats comparables sont obtenus sur le retard scolaire en troisième (Goux et Maurin [2000]) ou sur l’impact du surpeuplement du logement sur le retard scolaire (Goux et Maurin [2001]).

5 Il existe peu d’études économiques mesurant spécifiquement l’impact du chômage des parents sur le devenir des enfants. En effet, le chômage et la pauvreté n’ont pas forcément les mêmes conséquences : d’une part, le chômage peut avoir une influence par d’autres vecteurs que le revenu du ménage (image du marché du travail et de la rentabilité des études, incertitude sur l’avenir) ; d’autre part, le chômage, quand il est indemnisé, peut ne pas entraîner une baisse trop forte de niveau de vie du ménage. Une des principales études traitant du chômage est celle de Ermisch et al. [2001] qui étudie le devenir des enfants, mesuré selon plusieurs critères (réussite scolaire, santé, fécondité, etc.). Cette étude utilise les informations rétrospectives sur l’activité des parents, tirées du British Household Panel Survey (bhps). Pour les auteurs, le chômage (et l’inactivité) des parents est utilisé comme un indicateur de pauvreté ; ils montrent en particulier que, dans le cas britannique, l’utilisation du chômage aboutit à des résultats proches de ceux que l’on peut obtenir avec d’autres indicateurs de pauvreté.

La démarche de cette étude

6 L’objet de notre article est de mesurer l’impact des situations de précarité sur la réussite scolaire des enfants. Nous étudions la réussite scolaire en utilisant uniquement le critère de l’obtention ou non d’un diplôme de niveau bac. En particulier, nous ne faisons pas de distinction entre les différents bacs (enseignement général, technologique et professionnel).

7 Nous n’approcherons pas la précarité du ménage uniquement par le chômage, mais plus généralement par la précarité professionnelle. On considérera qu’un enfant a connu la précarité si, avant les 15 ans de cet enfant, son père a été au moins une année dans une des situations suivantes :

  • au chômage ;
  • inactif (hors retraite et études) ;
  • en emploi dans une situation précaire. Cette dernière catégorie rassemble deux modalités utilisées dans le calendrier rétrospectif d’activité de l’enquête bdf : « intérimaire » et « situation multiple (intérim, chômage, cdd…) ».
Cette définition conduit à une proportion d’enfants ayant connu la précarité beaucoup plus faible que chez Ermisch et al. [2001] : 5 % (183 enfants sur 3 771) contre 47 %. En effet, le calendrier rétrospectif d’activité de l’enquête bdf dresse uniquement la liste des périodes de la vie professionnelle (activité, chômage, travail précaire…) qui ont duré au moins un an, alors que, chez Ermisch et al. [2001], un ménage est considéré au chômage si les deux parents ont été sans activité rémunérée au moins un mois dans l’année (le mois pouvant être différent pour le père et la mère) ; on étudie donc ici une précarité beaucoup plus profonde et durable, et donc aussi plus rare. Par ailleurs, on se restreint aux enfants dont les parents ne se sont pas séparés, alors que le chômage durable engendre parfois l’éclatement de la cellule familiale. Enfin, comme on observe uniquement le chômage lorsque les enfants ont entre 0 et 15 ans, on ne repère pas les périodes de chômage avant la naissance des enfants (alors que les couples attendent souvent d’être dans une situation professionnelle stable avant d’avoir des enfants) ni la plupart des périodes de chômage de longue durée chez les seniors (les enfants ayant alors généralement plus de 15 ans).

8 Les données descriptives confirment les conséquences négatives de la précarité sur l’accumulation du capital humain : le taux d’obtention du bac est de 20 points inférieur lorsque l’enfant a connu la précarité.

9 Cette corrélation pourrait ne pas correspondre à une causalité, mais être la conséquence d’autres facteurs qui influencent en même temps ces deux variables (problème d’endogénéité). Cela peut être le cas, par exemple, si une variable inobservée (comme avoir un nom de consonance étrangère) provoque à la fois une discrimination pour le père sur le marché du travail et une discrimination pour l’enfant à l’école. Pour corriger les éventuels biais d’endogénéité, nous utilisons la catégorie socioprofessionnelle du grand-père comme instrument de la précarité des parents en faisant l’hypothèse que cette catégorie socioprofessionnelle peut avoir une influence directe sur le parcours professionnel de leurs enfants, mais est a priori neutre pour la réussite scolaire des petits-enfants, une fois contrôlés les effets des variables observables disponibles. Sous cette hypothèse, nous montrons que la corrélation observée entre précarité et difficultés scolaires correspond bien à une causalité.

Obtention du bac selon que les parents ont connu ou non la précarité professionnelle

figure im1

Obtention du bac selon que les parents ont connu ou non la précarité professionnelle

Les données

10 L’enquête « Budget de famille », conçue essentiellement pour étudier les dépenses et la consommation des ménages, est réalisée tous les cinq ans. La collecte de l’enquête 2000/2001 a eu lieu de mai 2000 à mai 2001 et fournit des informations sur 10 305 ménages. Dans notre étude, nous utilisons des informations qui ne sont pas au cœur de l’enquête bdf : l’activité passée des parents et le devenir scolaire des enfants.

11 L’activité des parents nous est fournie par le calendrier rétrospectif d’activité : il est rempli par la personne de référence et son conjoint (s’il existe). Ce calendrier dresse, depuis la fin des études initiales, la liste des périodes de la vie professionnelle (activité, chômage, travail précaire…) qui ont duré au moins un an ; la nomenclature en douze postes qui est utilisée permet notamment de repérer les périodes de chômage ou de précarité : intérim, situations multiples, inactivité (hors retraite et études).

12 Le devenir scolaire des enfants est disponible de deux façons. Si l’enfant habite encore chez ses parents, le questionnaire individuel indique de façon précise les diplômes obtenus dans l’enseignement général (primaire et secondaire), dans l’enseignement professionnel et dans l’enseignement supérieur ; on connaît également le niveau d’études atteint ou en cours. Si l’enfant n’habite plus chez ses parents, on connaît le diplôme le plus élevé obtenu (selon une nomenclature en cinq postes) s’il a terminé ses études, et le niveau d’études en cours sinon. La nomenclature de diplôme utilisée pour les enfants ne vivant plus chez leurs parents ne permettant pas de distinguer parmi les diplômes inférieurs au bac, nous étudions le devenir scolaire des enfants selon le seul critère de l’obtention ou non du bac.

13 Notre échantillon de travail est composé de 3 771 enfants, issus de 2 157 ménages, nés entre 1965 et 1979 et dont les parents ne sont pas séparés à la date de l’enquête. La restriction sur les générations s’explique tout d’abord par la nécessité d’exclure les enfants des générations trop anciennes pour éviter les problèmes de mémoire des parents sur leur activité passée. Par ailleurs, on peut déterminer notre variable de résultat (l’obtention du bac) pour les enfants ayant terminé leurs études, pour ceux qui sont encore étudiants mais ont déjà leur bac, mais par pour les enfants encore en étude au lycée ou au collège. Il est donc nécessaire d’éliminer les générations trop récentes, dans lesquelles il y a encore trop d’étudiants avant le bac. On se restreindra donc aux générations antérieures à 1980 ; par ailleurs, on exclura de l’échantillon les enfants de ces générations qui sont encore en étude et n’ont pas le bac (cela ne représente qu’une vingtaine d’individus).

14 On se restreint aux enfants dont les parents ne sont pas séparés à la date de l’enquête, car nous ne voulons pas traiter simultanément l’influence du chômage et l’influence des séparations familiales sur le devenir scolaire des enfants. Ces deux phénomènes peuvent en effet être fortement corrélés, et il faudrait sans doute modéliser conjointement ces deux phénomènes pour pouvoir obtenir l’effet causal de chacun d’eux. La seconde raison de cette restriction est que l’utilisation du calendrier rétrospectif d’activité nous oblige à nous restreindre aux ménages où le père est présent. En effet, lorsque le père est absent, on ne dispose que de l’activité passée de la mère ; comme une part importante d’entre elles étaient mères au foyer, on ne peut alors pas en déduire si le ménage a connu la précarité professionnelle.

15 Les taux d’obtention du bac calculés à partir de notre échantillon seront supérieurs à ceux dans l’ensemble de la population, et en particulier aux chiffres calculés par le ministère de l’Éducation. Nous mesurons en effet la proportion d’enfants obtenant tout diplôme de niveau bac, alors que les statistiques de l’Éducation nationale concernent uniquement le bac. La restriction aux enfants de parents non séparés renforce cet écart puisque les enfants ayant connu une séparation de leurs parents ont de moindres chances de réussite scolaire (Ermisch et al. [2001]).

16 Pour mettre en évidence l’impact de la précarité professionnelle des parents sur notre variable de résultat (obtention du bac), nous allons utiliser les variables de contrôle suivantes :

  • le sexe ;
  • l’année de naissance, pour contrôler notamment la généralisation de l’obtention du bac observée depuis les générations 1970 ;
  • le diplôme des parents, en introduisant à la fois le diplôme du père et celui de la mère, avec sept modalités pour chacun ;
  • l’âge de la mère à la première naissance, selon trois modalités : avant 20 ans, entre 21 et 25 ans, et après 25 ans ;
  • la taille de la fratrie ;
  • le lieu de naissance des parents : en France ou à l’étranger.
Les variables concernant le rang dans la fratrie ainsi que la composition sexuelle de la fratrie n’ont pas été retenues car elles se sont avérées non significatives. Les données descriptives concernant notre échantillon sont disponibles dans Duée [2004].

Le modèle économétrique

17 Comme on l’a signalé précédemment, les corrélations que l’on peut observer entre l’obtention du bac par l’enfant et la précarité du père peuvent ne pas traduire une causalité, mais être la conséquence d’autres facteurs qui déterminent en même temps ces deux variables (problème d’endogénéité). Cela peut être le cas, par exemple, si une variable inobservée (par exemple, avoir un nom de consonance étrangère) provoque à la fois une discrimination pour le père sur le marché du travail et une discrimination pour l’enfant à l’école. Un autre exemple peut être l’existence de tensions à l’intérieur du ménage qui affectent le travail du père au point de provoquer le chômage, mais nuisent aussi à la réussite scolaire de l’enfant.

18 Pour traiter cette difficulté, il convient d’estimer un modèle bivarié, constitué de deux équations, l’une expliquant la précarité professionnelle du père et l’autre expliquant l’obtention du bac par l’enfant. On notera :

19 y1 : la variable précarité du père. Cette variable est la réalisation d’une variable inobservée y*1 :

equation im2

20 y2 : la variable obtention du bac. Cette variable est la réalisation d’une variable inobservée y*2 :

equation im3

21 Le modèle s’écrit alors :

equation im4

22 où X1i et X2i sont les caractéristiques individuelles et u1i et u2i suivent une loi normale centrée bidimensionnelle de corrélation ?.

23 Pour que le modèle soit identifié, il est préférable qu’au moins une variable de X1, appelée instrument, soit exclue de X2. Il faut donc trouver une variable qui détermine directement y1 mais n’ait pas d’impact direct sur y2. Parmi les instruments utilisés dans la littérature, on peut citer les revenus du capital (Mayer [1997]) ou la syndicalisation dans l’entreprise du père, censée expliquer une partie du revenu du ménage sans influencer le devenir des enfants (Shea [2000]). Nous reprenons plutôt la stratégie d’identification de (Maurin [2002]) qui prend comme instruments pour les variables parentales des caractéristiques des grands-parents (statut socio-économique ou catégorie socioprofessionnelle). L’hypothèse est que celles-ci n’ont pas d’effet direct sur l’éducation de l’enfant mais que leur effet est pris en compte par les diverses variables de contrôle décrivant les parents (diplôme du père et de la mère etc.). Dans notre cas, nous utiliserons comme instrument la catégorie socioprofessionnelle du grand-père, en utilisant la nomenclature à une position, disponible dans bdf.

24 La méthode employée permet de traiter l’endogénéité de la variable de précarité, qui est notre variable d’intérêt. Il faut noter que d’autres variables de notre modèle (variables de contrôle) peuvent également être suspectées d’endogénéité. Maurin [2002] montre, par exemple, que l’impact causal de la taille de la fratrie sur le retard scolaire est un peu plus fort que ce que laissent apparaître les simples corrélations ; cependant, l’impact causal du revenu n’est pas changé significativement par l’instrumentation de la taille de la fratrie. Dans le cas de notre modèle, on peut penser que les variables de contrôle utilisées sont exogènes (sexe de l’enfant, nationalité des parents…) ou que leur éventuelle endogénéité ne biaisera pas significativement l’estimation de l’effet de la précarité.

Les résultats

25 Le tableau suivant présente les résultats de l’estimation du modèle. Les coefficients concernant les variables de contrôle ne sont pas reportés ici pour plus de lisibilité, mais sont disponibles dans Duée [2004] ; ces variables jouent dans le sens attendu.

Résultats des estimations

tableau im5
Probit simple Probit bivarié Variables Obtention du bac Obtention du bac Précarité professionnelle (équation instrumentale) Constante – 0.470 *** (0.092) – 0.443 *** (0.094) – 1.784 *** (0.161) CSP du grand-père (réf. ouvrier) Agriculteur – 0.432 *** (0.104) Indépendant – 0.348 ** (0.137) Cadre 0.127 (0.156) Profession intermédiaire – 0.857 ** (0.350) Employé – 0.132 (0.119) Précarité professionnelle (réf. aucune précarité) Au moins 1 an de précarité – 0.402 *** (0.109) – 1.071 *** (0.389) Coefficient de corrélation des résidus 0.333* (0.191) Source : Insee, bdf 2000/2001. Champ : enfants nés entre 1965 et 1979, dont les parents ne sont pas séparés. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux écarts types. * : significatif à 10 %** : significatif à 5 % ;*** : significatif à 1 %.

Résultats des estimations

26 La précarité du père a un impact très négatif sur la réussite scolaire des enfants : cet impact explique la moitié du désavantage (20 points) observé pour les enfants ayant connu la précarité, l’autre moitié étant expliquée par des effets de structure (sur le diplôme des parents notamment). Cet impact augmente nettement lorsqu’on instrumente cette variable (– 1 au lieu de – 0.4), ce qui est comparable aux résultats de (Maurin [2002]) où l’impact causal du revenu apparaît deux fois plus important que les simples corrélations.

27 Le coefficient de corrélation ? positif indique qu’il existe des caractéristiques inobservées qui augmentent à la fois le risque de précarité professionnelle pour le père et la probabilité que les enfants aient un bac. Une explication possible pourrait être que les enfants observant un risque élevé de chômage dans leur environnement (social, familial ou régional) décident de poursuivre leurs études plus longtemps pour accroître leurs chances de trouver un emploi. Là encore, le résultat est comparable à ce qu’on trouve dans Maurin [2002] : le coefficient de corrélation obtenu par l’auteur semble indiquer l’existence de caractéristiques qui diminuent à la fois les revenus du ménage et le risque de retard scolaire.

28 Bien que l’équation instrumentant la précarité du père ne soit qu’un intermédiaire technique, on peut signaler que le risque de précarité augmente pour les enfants des générations plus récentes, ce qui traduit la hausse du chômage au cours de la décennie 1970. Les fils d’agriculteurs et les fils d’indépendants apparaissent nettement moins exposés au chômage : en cas de difficulté sur le marché du travail, ils peuvent travailler dans l’entreprise familiale. Les fils dont le père a une profession intermédiaire sont particulièrement épargnés, peut-être parce que les instituteurs sont inclus dans cette catégorie. Ce sont les fils de cadres qui paraissent le plus souvent au chômage (même si l’écart avec les ouvriers est non significatif), ce qui est cohérent avec les résultats de Gonzalez-Demichel et Nauze-Fichet [2002]. Selon les auteurs, le taux de chômage assez élevé des enfants de cadres pourrait s’expliquer par le fait « qu’ils ont davantage les moyens d’attendre un emploi répondant de manière satisfaisante à leurs critères de recherche ».

29 Les estimations présentées ci-dessus ne prennent pas en compte le fait que notre échantillon comprend parfois plusieurs enfants d’un même ménage. Quand on compare l’obtention du bac pour deux enfants d’un même ménage, ils ont le même résultat dans trois quarts des cas. Cette similitude de résultats scolaires à l’intérieur d’une fratrie peut provenir du fort pouvoir explicatif des caractéristiques familiales observées (diplôme des parents etc.), mais aussi de l’impact de caractéristiques familiales inobservées. Dans ce dernier cas, on parle d’effets fixes du ménage. Ces effets fixes peuvent biaiser nos estimations, car le résultat de deux enfants d’un même ménage ne sont alors pas indépendants (problème d’hétéroscédasticité).

30 Pour estimer l’ampleur de ce biais, nous avons réalisé trente estimations du modèle bivarié précédent, en conservant aléatoirement un seul enfant par ménage. En moyenne, le coefficient de la variable de précarité professionnelle est de – 1.15 ; il est significatif à 5 % dans la moitié des estimations, et significatif à 10 % dans trois quarts des estimations. Le coefficient de corrélation ? vaut en moyenne 0.36, et il est significatif à 10 % dans la moitié des cas. Comme les estimations avec un enfant par ménage utilisent nettement moins d’information que l’estimation faite sur tout l’échantillon, on peut légitimement en conclure que l’hétéroscédasticité biaise peu nos résultats et que la précarité professionnelle a un véritable effet causal sur l’obtention du bac.

Conclusion et extensions possibles

31 Notre étude se situe dans la ligne d’autres études sur la réussite scolaire des enfants issus de milieux défavorisés. Nos résultats sont cohérents avec ceux obtenus par Ermisch et al. [2001] sur données britanniques et confirment ceux obtenus par d’autres études sur données françaises : Goux et Maurin [2000] et Maurin [2002], qui utilisaient une approche monétaire et concluaient qu’un revenu des parents plus élevé diminue les risques de retard scolaire ; Goux et Maurin [2001] qui utilisaient une approche en conditions de vie et concluaient que le surpeuplement du logement augmente nettement les risques de retard scolaire. L’originalité de notre étude est de mesurer la réussite scolaire par l’obtention du bac et non par le retard scolaire. Nous avons considéré qu’un enfant était issu d’un milieu défavorisé si ses parents avaient connu la précarité professionnelle pendant au moins un an (chômage de longue durée, intérim…). Notre étude conclut que la précarité professionnelle des parents diminue les chances d’obtenir un baccalauréat, et que cet impact correspond bien à une causalité.

32 En termes de politiques publiques, cela suggère que les enfants issus de milieux défavorisés devraient faire l’objet d’actions particulières visant à améliorer leurs chances de réussite scolaire. Par ailleurs, l’amélioration de la situation sur le marché du travail apparaît doublement importante puisqu’elle a des conséquences bénéfiques à court terme (pour les parents comme pour les enfants) mais aussi à plus long terme sur le capital humain des enfants.

33 Pour approfondir les résultats obtenus, on pourra chercher à prendre en compte l’âge de l’enfant quand survient la précarité professionnelle des parents, comme le font Ermisch et al. [2001]. On peut également essayer de modéliser conjointement l’impact de la précarité et celle de la séparation des parents : cela suppose néanmoins d’estimer un modèle trivarié en disposant de variables instrumentales permettant d’expliquer la séparation des parents mais n’ayant pas d’impact direct sur la réussite scolaire des enfants.

34 Le diagnostic fait dans cette étude mériterait d’être complété par l’étude de l’impact de la précarité sur d’autres aspects du devenir des enfants, comme le font les études anglo-saxonnes. En particulier, des données sur l’insertion professionnelle des enfants permettraient d’évaluer si le risque de chômage se reproduit d’une génération à la suivante.

Nous remercions les participants du colloque du cerc du 1er avril 2004, du congrès de l’afse des 16 et 17 septembre 2004 et du séminaire Eurisco-Legos du 3 novembre 2004 à l’Université Paris-Dauphine, ainsi que Didier Blanchet, Béatrice Sédillot, Cédric Afsa et Dominique Kelhetter pour leurs remarques et suggestions. Les erreurs qui subsisteraient nous sont entièrement imputables.
Une version plus détaillée de cette étude est disponible à l’adresse : www. insee. fr/ fr/ nom_def_met/ methodes/ doc_travail/ docs_doc_travail/ g2004-06. pdf

Bibliographie

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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  • Ermisch J., Francesconi M., Pevalin D.J. [2001], Outcomes for children of poverty, Department for Work and Pensions Research Report n° 158, The Stationary Office, Londres.
  • Gonzalez-Demichel C., Nauze-Fichet E. [2002], « Les déterminants des réussites professionnelles », IXe Journées d’études du céreq.
  • Goux D., Maurin E. [2000], « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire », insee, France Portrait social, 2000/2001, p. 87-98.
  • Goux D., Maurin E. [2001], « The Effect of Overcrowded Housing on Children’s Performance at School », Document de travail du crest.
  • Haveman R., Wolfe B. [1995], « The Determinants of Children’s Attainments: A Review of Methods and Findings », Journal of economic Literature, 33 (4), p. 1829-1878.
  • Maurin E. [2002], « The Impact of parental income on early schooling transitions : a re-examination using data over three generations », Journal of Public Economics, 85, p. 301-332.
  • Mayer S.E. [1997], What Money can’t buy: Family Income and Children’s Life Chances, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.
  • Mayer S.E. [2002], The influence of parental income on children’s outcomes, Ministry of Social Development, New Zealand.
  • Shea J. [2000], « Does parents’ money matter », Journal of Public Economics, 77, p. 155-184.

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