Notes
-
[1]
URL : http://www.civam.org/index.php/systemes-alimentaires-agricoles-territorialises/systeme-notre-conception, dernier accès le 12/09/2019.
-
[2]
À titre d’exemples : Montpellier (Michel et Soulard, 2017) ; Perpignan (Perrin et Soulard, 2014) ; Figeac, Nantes et Lyon (Billion, 2017), Clermont, Vichy, communauté de commune Thiers Dore et Montagne (Loudiyi, 2020).
-
[3]
Le lecteur peut consulter la page du projet alimentaire territorial du Pays du Grand Bergeracois (https://www.la-cab.fr/d%C3%A9l%C3%A9gation-g%C3%A9n%C3%A9rale-du-grand-bergeracois-projet-alimentaire-de-territoire, dernier accès le 24 septembre 2020 ainsi que le diagnostic établi https://www.la-cab.fr/sites/default/files/uploads/delegation_grd_bergeracois/pat/diagnostic_de_territoire_pat_grand_bergeracois_pco_inet.pdf), la page de Bordeaux Métropole (https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/, dernier accès 24 septembre 2020, et la page du collectif citoyen Aliment-Terre (https://aliment-terre-barval.jimdo.com/, dernier accès le 3 septembre 2019.
On peut aussi citer des sites liés (http://www.aqui.fr/agricultures/perigueux-et-bergerac-mitonnent-leur-projet-alimentaire-avec-l-aide-de-la-safer,17017.html, dernier accès le 3 septembre 2019. -
[4]
La Banque des PAT. URL : https://rnpat.fr/projets-alimentaires-territoriaux-pat/presentation-banque-pat/les-histogrammes-de-la-banque-des-pat/, dernier accès le 28/06/2022.
-
[5]
URL : https://www.la-cab.fr/sites/default/files/uploads/delegation_grd_bergeracois/pat/charte_ambition.pdf, dernier accès le 24/09/2020.
-
[6]
URL : https://aliment-terre-barval.jimdofree.com, dernier accès le 24/09/2020.
-
[7]
URL : http://www.milanurbanfoodpolicypact.org/text/, dernier accès le 24/09/2020.
-
[8]
Ce pacte signé est un engagement (sur une base volontaire) à la mise en place d’actions locales pour l’alimentation suivant six axes prioritaires : (1) développer une gouvernance alimentaire locale, (2) assurer un environnement propice à une action efficace, (3) promouvoir une alimentation durable et une bonne nutrition, (4) assurer l’équité sociale et économique, (5) appuyer la production alimentaire (liens rural-urbain), approvisionnement et distribution alimentaire, et (6) prévenir le gaspillage alimentaire.
-
[9]
Économie alimentaire, urbanisme et aménagement du territoire, environnement, nutrition santé, accessibilité sociale, dimension culturelle et gastronomique.
-
[10]
URL : https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/L-alimentation-a-Bordeaux-Metropole/La-strategie-alimentaire-de-Bordeaux-Metropole2, dernier accès le 28/06/2022.
-
[11]
URL : https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/, dernier accès le 24/09/2020.
-
[12]
Loi NOTRe, loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, url : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2015/8/7/RDFX1412429L/jo/texte, dernier accès le 24/09/2020.
-
[13]
URL : https://www.la-cab.fr/delegation-generale-du-grand-bergeracois/, dernier accès le 20/09/2022.
-
[14]
« Le Labo’Mobile, lancé en 2017, est un dispositif d’animation territoriale proposé aux territoires et aux acteurs girondins pour expérimenter la mise en œuvre d’objectifs de transformation et co-concevoir des projets dédiés à de l’innovation sociale, écologique et participative qui nécessitent de ‘faire autrement’ ». URL : https://www.gironde.fr/grands-projets/agenda-21-et-labom21labase, dernier accès le 12/09/2019.
-
[15]
Première réunion animée par un membre du Collectif Aliment-Terre et non par le CD33 (demande du Collectif).
-
[16]
Les acteurs varient suivant les thématiques des réunions.
-
[17]
Syndicat mixte pour la révision et le suivi du SCOT du BARVAL.
-
[18]
URL : https://www.la-cab.fr/blog/la-cab-lance-son-programme-dexcellence-alimentaire-pea, dernier accès le 12/09/2019.
-
[19]
VGA se situe en Lot-et-Garonne, département compétitif dans le secteur agricole avec des productions fruitières, arboricoles et maraîchères se situant parmi les principales productions nationales. Près de 53 % du territoire de VGA est agricole et l’agriculture représente 10 % de l’emploi total, taux bien supérieurs à la moyenne nationale (SCoT de Val de Garonne Agglomération, 2018).
-
[20]
Val de Garonne Agglomération et la communauté de communes du Réolais ont signé par ailleurs un autre protocole de coopération bilatérale (URL : https://www.vg-agglo.com/wp-content/uploads/2019/12/Charte-de-coop%C3%A9ration-VGA-CdC-R%C3%A9olais-en-Sud-Gironde.pdf, dernier accès le 28/06/2022).
-
[21]
Bordeaux Métropole – Val de Garonne Agglomération (2018), Projet de protocole de coopération 2018-2020 entre Val de Garonne Agglomération et Bordeaux Métropole, 16 p. URL : https://www.Bordeaux-metropole.fr/content/download/104421/file_pdf/1_Protocole_de_cooperation_BM_VGA_version_finale1535545136007.pdf, dernier accès le 11/04/2019.
1 En 2014, le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF) a inscrit dans la loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (LOAAF), les projets alimentaires territoriaux : les PAT. Ces derniers se définissent comme étant des projets qui sont « élaborés de manière concertée avec l’ensemble des acteurs d’un territoire et répondent à l’objectif de structuration de l’économie agricole et de mise en œuvre d’un système alimentaire territorial » (LOAAF du 13 octobre 2014, article 39). Un système alimentaire territorial, construction visée par les PAT, pourrait se définir, après adaptation de la définition de système alimentaire de Malassis (1994) comme « […] la manière dont la société s’organise à l’échelle des territoires pour se réapproprier l’alimentation, de la production à la consommation en passant par la distribution » [1]. Les PAT constituent une réponse à une volonté de remettre au cœur des territoires la question alimentaire et de repenser le modèle agricole en même temps que le système alimentaire par une approche plus territoriale, sans préjuger du contenu du projet et des contours du territoire.
2 De la même façon que la notion de projet peut être ambivalente (Maréchal et al., 2018) et bien qu’elle soit incontournable, la conception du territoire à laquelle sont associés les PAT n’est pas explicite, pas explicitée. C’est pourquoi, dans cet article, nous souhaitons nous intéresser plus particulièrement au sens donné au T dans les PAT.
3 La lecture d’un certain nombre de travaux revenant sur plusieurs initiatives de type PAT [2] nous conduit à formuler l’hypothèse que le mouvement de relocalisation de l’alimentation que cherchent à promouvoir les PAT suscite des évolutions dans les formes de gouvernance susceptibles d’avoir des implications sur les représentations du territoire et sur les territorialités. Si le T des PAT correspond le plus souvent à des limites institutionnelles (donc existantes et reconnues par les acteurs), l’interaction entre territoire et gouvernance alimentaires, telle que décrite théoriquement par Moine (2006) et différente suivant les situations locales, conduirait à donner des sens différenciés au T des PAT.
4 Notre argumentation s’appuie sur trois études de cas de Nouvelle-Aquitaine : Bordeaux Métropole, le Pays du Grand Bergeracois, le Pays du Bassin d’Arcachon Val de l’Eyre. L’information a été recueillie par le biais d’entretiens d’acteurs clés et d’une observation participante assurée de façon régulière entre 2015 et 2019, sur les phases d’émergence des trois PAT (voir encadré). C’est donc sur cette période qu’est centrée notre analyse.
5 L’article est organisé en trois temps. Dans un premier temps, nous mettons en évidence l’importance du territoire institutionnel comme référence au périmètre choisi pour le projet. Dans un deuxième temps, nous analysons les formes de gouvernance mises en place au sein de ces territoires pour développer le projet alimentaire. Dans un troisième temps, nous montrons comment ces interactions entre gouvernance et territoire, nourries par des conceptions différentes du territoire dessinent des projets territoriaux différenciés.
Le territoire des PAT : un objet mouvant non identifié
6 Dans la loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (LOAAF) de 2014, les objectifs de PAT sont définis mais nullement les contours des territoires pour lesquels ces projets agricoles et alimentaires sont mis en œuvre. Dans les faits, le territoire invoqué dans ces projets est défini par les porteurs, il n’est pas préétabli.
1. Le territoire des PAT selon la loi
7 La loi définit les grands objectifs du projet alimentaire territorial afin de « laisser une grande latitude aux acteurs locaux pour organiser leur stratégie alimentaire territoriale » (Allain 2015). La référence à la dimension territoriale, affichée comme une évidence dans ces projets, reste néanmoins assez floue. Nous y parlons des « acteurs du territoire », des « échelons du territoire », de « l’agriculture du territoire » et du « système alimentaire du territoire ».
8 Dans l’article 39 (dont la première partie est citée en introduction) qui définit les PAT, le territoire est tout à la fois :
- prédéfini, puisque ce sont « les acteurs du territoire » qui définissent le projet ;
- résultat d’une concertation des acteurs et donc d’une gouvernance territoriale autour de la question alimentaire ;
- support d’un système alimentaire.
Encadré : choix des terrains, matériel et méthode
Projet | Participation réunions(observation participante) | Entretiens(type d’acteurs) |
PAT Bordeaux Métropole (BM) | – Ateliers pré-figuratifs du Conseil consultatif de gouvernance alimentaire de BM– Ateliers du Conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable de BM | – Chambre d’agriculture– Chargé de mission du conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable de BM– SICA maraîchère– AgroBio 33, Terre de Liens… |
PAT du Grand bergeracois | – Comité de Pilotage du PAT– Ateliers du PAT– Comités techniques du PAT | – Président du pays– Députée de la Dordogne– Chambre d’agriculture– Chargé de mission AgroBio Périgord– Chargé de mission conseil départemental de la Dordogne– Collectif « Les pieds dans le plat » |
PAT Val de Leyre – Bassin d’Arcachon | – Réunions organisées par le Collectif Aliment-Terre en vue de la structuration du PAT– Recensement des friches agricoles en collaboration avec le Collectif Aliment-Terre et le syndicat mixte du Bassin d’Arcachon Val de Leyre (Sybarval) | – Maire de Biganos– Membres du collectif AT– Directeur Sybarval |
- | - | + Acteurs transversaux : Chargé de mission du Département de la Gironde (Direction des Coopérations et du Développement des Territoires), chargé de mission de la Région Nouvelle-Aquitaine (Délégation régionale à la Cohésion Territoriale et Prospective) |
10 Par ailleurs, la définition précise que « les PAT sont […] amenés à se construire de manière concertée à l’échelle de bassins de vie, de consommation » (LOAAF du 13 octobre 2014, article 39). Il doit donc y avoir une cohérence entre les dynamiques territoriales insufflées par les pratiques quotidiennes des habitants en termes de mobilités, d’accès aux services, de consommation et l’échelle du projet. Le territoire des PAT est finalement indéfini et relève aussi bien du support de référence d’un système alimentaire que du résultat d’une gouvernance organisée autour de la question alimentaire. Dans la réalité, les PAT sont le plus souvent des projets portés par et pour des territoires institutionnels. Si en 2017 le Réseau national des projets alimentaires territoriaux (RnPAT) recensait une soixantaine de PAT, il en répertorie plus de 400 en 2022 [4]. Ces recensements indiquent que pour 90 % des PAT le porteur est un territoire institutionnel. Il peut s’agir soit d’une collectivité territoriale (commune, département, région), soit d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) (communauté de communes, communauté d’agglomération et Métropole), soit de pôles territoriaux, anciens pays, ou de parcs naturels régionaux. Pour les 10 % restants les porteurs émanent de la société civile au travers de collectifs citoyens (4 cas sur les 402 identifiés en 2022) et peuvent correspondre également à des acteurs socio-économiques tels que les chambres consulaires et notamment les Chambres d’agriculture (5 cas sur les 402 identifiés en 2022). Par ailleurs, les recensements montrent que même lorsqu’ils sont portés par des collectifs citoyens ou des organismes économiques, les PAT restent circonscrits dans des territoires institutionnels (RnPAT, 2022 PATnorama n° 3). En effet, le contour des territoires institutionnels reste souvent une référence commode pour mettre en œuvre l’action. À l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine, un recensement des initiatives PAT réalisé en 2022 par la Direction régionale de l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt de Nouvelle-Aquitaine (DRAAF) et actualisant celui établi en 2018 (Rival, 2018) confirme pour les 72 PAT identifiés, le lien fort entre la diversité des porteurs de projet (collectivité territoriale, territoire de projet, collectif citoyen) et le territoire institutionnel comme référentiel spatial de l’initiative, même dans le cas d’initiatives citoyennes. Les trois études de cas choisies, Bordeaux Métropole, le Pays du Grand Bergeracois et le Pays Bassin d’Arcachon Val de Leyre (figure 1) illustrent bien cette idée.
Figure 1. Localisation des trois terrains d’études
Figure 1. Localisation des trois terrains d’études
2. Les territoires des trois études de cas
11 Bordeaux Métropole est une intercommunalité qui regroupe 28 communes et s’étend sur 579 km². Elle concentre aujourd’hui environ 800 000 habitants (Insee, 2019) et prévoit d’atteindre le million d’ici 2050. C’est le territoire de loin le plus densément peuplé sur lequel se maintient néanmoins une activité agricole (16 % de la superficie reste cultivée avec une prédominance de la vigne). Néanmoins, les 176 exploitations agricoles présentes encore dans la métropole sont pour la plupart localisées en zone inondable (Chambre d’agriculture Gironde, 2012 ; cité par A’urba, 2016) et présentent de fait des vulnérabilités importantes ne permettant pas d’assurer leur pérennité. Le rapport Quévremont (2011) commandité par le maire de Bordeaux et le président de la communauté urbaine de Bordeaux en 2010, a permis de faire un état des lieux de l’agriculture. Il y est suggéré que préserver le foncier agricole implique que la collectivité puisse en faire l’acquisition, dans la mesure du possible, et mette en œuvre une politique agricole à l’échelle des 93 communes du Schéma de cohérence territoriale (SCOT). Le rapport fait également le constat de la très faible autonomie alimentaire du territoire. La mise à l’agenda des questions agricoles et alimentaires en découle.
12 Le Pays du Grand Bergeracois est composé de quatre intercommunalités : une communauté d’agglomération qui rassemble plus de 60 000 habitants et trois communautés de communes rurales qui rassemblent un peu moins de 40 000 habitants (Insee, RGP, 2018), se caractérisant par une faible densité de population et une activité agricole importante composée de polyculture, viticulture et céréaliculture. L’histoire du PAT démarre également en 2015. À la suite à l’inscription des PAT dans la loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, Brigitte Allain députée de la Dordogne a fait émerger l’idée de conduire un PAT dans le Pays du Grand Bergeracois. L’idée est concrétisée en novembre 2015 par le président du Pays et la députée. En mars 2016, un comité de pilotage est mis en place et aboutira à la définition de huit ambitions [5] en vue de favoriser l’alimentation via l’agriculture locale. En 2018, le syndicat mixte du Pays du Grand Bergeracois est dissous. Le PAT est désormais porté par la communauté d’agglomération du Bergeracois qui a signé une convention avec les trois communautés de communes issues de l’ancien Pays.
13 Le PAT du bassin d’Arcachon fait partie des rares projets portés par un collectif de citoyens et non par des acteurs territoriaux. Le cadre spatial de référence choisi correspond néanmoins aux 17 communes qui composent le Pays du Bassin d’Arcachon Val de Leyre (BARVAL) composé de 10 communes littorales et de sept communes du Val de Leyre. Ce contour correspond également au territoire de projet du SCOT en cours de révision.
14 Alors que la volonté politique est déterminante dans les deux premiers projets, elle n’est pas la force initiatrice dans celui-ci. Le projet est porté au départ par des citoyens, parents d’élèves investis dans la commission des menus de la cantine communale de leurs enfants. Leur questionnement sur la provenance des produits offerts à leurs enfants, le refus du système de liaison froide (produits venant d’une cantine centrale de l’agglomération bordelaise et réchauffés sur place), le désir d’avoir plus de produits bio dans l’alimentation de leurs enfants motivent le projet de ces parents. Sur la base de ces préoccupations, ils constituent un collectif en 2015, auquel s’associent aussi des personnes intéressées à différents titres par la question alimentaire : un médecin, des personnes engagées dans des Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), des personnes liées à l’activité agricole (agriculteurs, agronome). En 2016 est créée l’association Collectif Aliment-Terre, avec trois objectifs principaux : communiquer sur les actions en faveur des systèmes alimentaires territorialisés et biologiques, développer l’offre agricole de proximité, poursuivre la collaboration avec les institutions et les élus [6].
15 Indéfini dans le cadre de la loi, le territoire des PAT reste – pour la majorité des projets – circonscrit à un territoire institutionnel et s’appuie ainsi sur des contours déjà existants. L’analyse des trois cas montre que l’alimentation participe à la construction d’une nouvelle gouvernance qui, si elle ne remet pas en question les contours du territoire, amène à en reconsidérer le contenu et la cohérence.
Le territoire des PAT au prisme des formes de gouvernance
16 À l’instar de ce que Serrano et al. (2021) montrent dans le cas de l’exemple de Tours-Métropole-Val-de-Loire, l’étude des trois projets néoaquitains retenus ici fait ressortir le poids de la gouvernance dans la construction des PAT. La gouvernance alimentaire, comme « l’ensemble des processus de coordination des acteurs autour de l’alimentation à l’échelle territoriale, visant à favoriser leur organisation et limiter l’atomisation des initiatives touchant aux systèmes alimentaires » (Billion, 2017), s’organise selon des modalités différentes au sein des territoires institutionnels desquels émergent les PAT.
1. Bordeaux Métropole : la primauté d’une gouvernance alimentaire institutionnelle
17 Bordeaux Métropole a construit son projet, comme d’autres métropoles dans le monde (Brand et al., 2017), à partir de la mise en place d’une gouvernance alimentaire territoriale : « [en identifiant et impliquant] les parties prenantes de chaque maillon de la chaîne alimentaire via la création de conseils de politique alimentaire locaux » (International Urban Food Network, 2016). En octobre 2015 [7], la Métropole signe le pacte de Milan [8] puis s’engage dans un chantier expérimental de gouvernance alimentaire initié par la DREAL de Nouvelle-Aquitaine. Le projet de Bordeaux Métropole se construit en associant transversalement les six thématiques définies par le RnPAT [9], et selon la méthode d’un PAT [10] telle que défini dans la loi.
18 Après deux années de chantier, Bordeaux Métropole institutionnalise par délibération son conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable [11] (CCGAD) alors co-porté par deux directions métropolitaines : la direction de l’énergie, écologie et développement durable et la direction de la nature. Le conseil consultatif est composé de cinq collèges d’acteurs : (1) politiques publiques, (2) production alimentaire et agricole, (3) transformation alimentaire, (4) distribution alimentaire et (5) sensibilisation et défense des intérêts des « mangeurs ». L’enjeu est d’assurer la représentation de toutes les parties prenantes du système alimentaire. Il s’agit aussi de permettre aux acteurs de réfléchir ensemble au sein d’une même activité à des engagements vers davantage de durabilité et de favoriser l’identification des acteurs du système alimentaire pour construire de nouveaux partenariats. À partir de 2018 (du 26 janvier au 5 février), quatre commissions thématiques se sont réunies tous les trois mois dont les finalités sont :
- renforcer la capacité agricole alimentaire du territoire ;
- relocaliser les filières et encourager les circuits courts et de proximité ;
- permettre à tous d’exercer son choix d’une alimentation durable et de qualité ;
- lutter contre le gaspillage alimentaire.
- Ces commissions se sont réunies durant toute la période couvrant l’analyse.
2. Grand Bergeracois : mise en avant des espaces d’échange
20 Le territoire du Bergeracois a connu une trajectoire plus chaotique du point de vue de la gouvernance du projet. Au départ, le comité de pilotage composé initialement devait disparaître pour laisser la place à un conseil de gouvernance alimentaire. De nombreuses réunions ont eu lieu sur la forme qu’il devait prendre et sur les participants à ce conseil. La dissolution du pays a coupé court aux discussions sur ce sujet. En effet, à la suite de la loi portant la nouvelle organisation territoriale de la République de 2015 [12], le pays ne s’est pas transformé en pôle d’équilibre territorial et rural et le syndicat mixte porteur du Pays a été dissolu en 2018 se transformant le 1er juillet 2018, en Délégation générale du Grand Bergeracois, définie comme « une structure de coopération entre les quatre intercommunalités composant son territoire » [13].
21 À défaut d’une formalisation de la gouvernance, le projet du Bergeracois promeut des espaces de concertation et d’échange. Le comité de pilotage constitué des élus (députée et président du Pays), des acteurs institutionnels (Région, Département) et des acteurs du monde agricole (Chambres d’agriculture et associations de développement [AgroBio, Maison des paysans, Terre de Liens...]) met en place des ateliers dans lesquels les acteurs locaux représentants du système alimentaire (producteurs, distributeurs, consommateurs, restauration collective publique, institutions liées à l’agriculture et/ou à l’alimentation) échangent autour de leur fonctionnement, de leurs besoins et de leurs difficultés. Trois ateliers sont constitués : sur la gestion du foncier et l’installation d’agriculteurs, sur les structures de commercialisation et de transformation, et sur la restauration collective et les consommateurs. Après les ateliers, des temps d’échanges entre acteurs sont organisés favorisant les relations entre agriculteurs, artisans des métiers de bouche, élus et citoyens. En 2017, quatre réunions territoriales auprès de la population des communautés de communes sont organisées pour recueillir les besoins et les avis en matière d’alimentation.
22 Si, comme l’indique la loi, un diagnostic est conduit, il n’est pas conçu comme un préalable à l’action. Le choix est fait de mener ou de conforter des actions qualifiées de pilotes, comme par exemple la mise en place d’un espace test agricole (Barèges et al., 2018), et de favoriser les événements visant la mise en lien des acteurs. Petit à petit, la gouvernance se construit et le projet se consolide.
3. Pays BARVAL : une gouvernance qui peine à se mettre en place
23 Le PAT du Pays Bassin d’Arcachon Val de Leyre (BARVAL) repose dans ses débuts sur les initiatives et les actions du Collectif Aliment-Terre qui peine à rencontrer les acteurs institutionnels. Les membres de l’association se rendent compte que le développement du projet n’est possible qu’avec la collaboration des institutions locales, notamment les communes. Des rendez-vous sont pris auprès des maires pour essayer d’établir des contacts et plaider la cause des circuits de proximité, de l’agriculture locale, de l’alimentation bio. Lorsque l’association, encore toute récente, décide de répondre à l’appel à projets des PAT/PNA de 2016-2017, elle doit le faire sans l’appui des élus communaux qui ne se sentent pas encore vraiment concernés par la question alimentaire et l’agriculture de proximité. Le projet, un des rares à être déposé par un collectif de citoyens cette année-là, est rejeté du fait même de l’absence des acteurs institutionnels dans la gouvernance du projet. Dès lors il devient très clair pour le Collectif que si le contact direct avec les élus communaux n’est pas possible, il faut passer par d’autres voies.
24 C’est le Conseil départemental de Gironde (CD33) qui va leur ouvrir une porte. Le contact est pris dès 2016 avec une demande de création d’un périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PPEANP) pour le bassin d’Arcachon. Cette voie n’est pas envisagée par le CD33. Le Collectif répond également à l’appel à candidature 2017 de la mission Agenda 21 du CD33 pour les Labo’Mobiles [14]. La candidature du Collectif est retenue. C’est alors le CD33 qui va solliciter les élus à participer à une première réunion, le 9 juillet 2018, pour discuter du possible lancement d’un PAT sur le bassin d’Arcachon. L’initiative Labo’Mobile a été l’opportunité pour réfléchir aux thématiques à discuter en vue de la mise en place d’un PAT et pour lancer un calendrier de réunions régulières. Ainsi plusieurs réunions se sont tenues sur différentes communes du territoire entre juillet 2018 et octobre 2019. En 2018, une réunion s’est tenue sur les thèmes de la gouvernance et de l’installation et en 2019 quatre réunions ont porté sur le foncier et l’engagement dans le projet alimentaire envisagé par les participants autour de la table, la restauration collective [15], les porteurs de projet en agriculture et la création d’un « point relais local d’accueil-accompagnement à l’installation-transmission » [16].
25 Le PAT permet de réunir des acteurs différents (membres du Collectif Aliment-Terre, acteurs associatifs du monde rural et agricole [AGAP 33, Terres de Liens, AgroBio Gironde], acteurs de la profession agricole [SAFER, Chambre d’agriculture], collectivités territoriales [communes, Département, Région], acteurs privés [restaurateurs, propriétaires/gérants de magasins d’alimentation], agriculteurs, porteurs de projets, Université). La méconnaissance de leurs compétences et fonctionnement respectifs a été manifeste lors de la réunion sur les porteurs de projets en agriculture. Le besoin de créer des passerelles, des liens a été énoncé avec une proposition de la part de la chambre d’agriculture de Gironde de réaliser des permanences dans les mairies pour informer les porteurs de projets voulant s’installer sur le territoire sur les procédures à suivre.
26 Les trois projets présentés sont des projets pour des territoires institutionnels, qu’ils soient ou non portés par eux. Ils ne redessinent pas en soi des nouveaux territoires en termes de contours, néanmoins ils engendrent de nouveaux systèmes de gouvernance qui assurent une certaine coordination autour de l’alimentation confortant ainsi, voire modifiant, la consistance interne des territoires institutionnels concernés. La vision qu’ont les acteurs du projet joue également dans la diversification des configurations territoriales.
Trois PAT pour trois projets territoriaux différents
27 Si les trois projets étudiés se construisent dans le cadre et pour des territoires institutionnels, ils se distinguent par les objectifs que les acteurs se fixent pour ce territoire. Ainsi, les trois cas proposent des projets de territoires différents qui répondent à leurs spécificités mais aussi aux représentations que les acteurs se font de la reterritorialisation de l’alimentation.
1. Le PAT du Pays BARVAL : un moyen pour repenser le territoire ?
28 Les scènes de débat ouvertes par les différentes réunions réalisées autour du PAT sont intéressantes pour comprendre la diversité de représentations véhiculées dans ce processus de relocalisation de l’agriculture et de l’alimentation. Deux visions sont particulièrement affirmées : celle du Collectif et celle des communes constitutives du Pays BARVAL.
29 Pour le Collectif Aliment-Terre, il y a une croyance forte dans la possibilité à envisager une autre manière de penser d’une part la relation des citoyens à l’alimentation, d’autre part la place de l’agriculture sur le territoire. Pour ses membres, les potentialités agricoles du territoire s’avèrent fortes à partir du moment où les normes ne sont plus considérées comme des interdictions mais comme des frontières mouvantes. L’agriculture est notamment fortement contrainte par les normes de protection environnementale : les formes de protection (loi littoral, diversité des zonages environnementaux, zonages risques) limitent la valorisation agricole nécessitant des équipements et surtout des constructions (structures, logement pour agriculteurs). Pour le Collectif, il s’agit avant tout de reformuler les questions : comment cultiver les terres protégées ? Comment cultiver sous couvert forestier ? Comment cultiver les interstices de l’urbain ? La norme ne doit pas être une limite mais la base d’une réflexion et de recherche de compromis. Le Collectif a conscience que le système alimentaire local du bassin d’Arcachon ne peut pas se limiter aux 17 communes du territoire de projet ; toutefois, il y a des possibilités inexploitées de rendre ce territoire plus autonome. En ce sens, l’objectif du Collectif Aliment-Terre est de faire évoluer le projet de territoire à l’échelle des 17 communes.
30 Les communes sont dans l’ensemble plus réticentes. L’agriculture ne fait pas partie de leurs compétences. Sur le bassin, son développement s’avère très contraint. Les communes littorales sont largement urbanisées. Les terres non bâties subsistantes sont soumises à des normes de protection fortes ou elles sont occupées par l’exploitation forestière. En dehors du fait qu’il n’y a pas ou peu de foncier agricole disponible, les terres ne sont pas jugées propices à l’agriculture car sableuses. La pression foncière est également un obstacle de taille : la terre non urbanisable garde une valeur potentielle forte qui suscite la spéculation et ne favorise pas sa mise à disposition pour l’agriculture par les propriétaires. Depuis le XIXe siècle, le développement territorial sur le bassin a davantage été conçu en termes de développement touristique et urbain. La protection (environnementale ou agricole) du foncier non bâti est conçue en ce sens comme une contrainte (Banzo, 2018).
31 Pour certaines communes, l’agriculture reste cependant une piste à ne pas négliger. Les franges du territoire du SCOT sont occupées par une agriculture industrielle assez puissante dont les bénéfices échappent en grande partie au territoire. Les terres sont exploitées pour les grandes cultures, voire les légumes destinés à l’agro-industrie. L’exploitation des ressources (sols, eau) est forte. La concurrence avec l’exploitation forestière est marquée. Les communes sont peu enclines à voir ce type d’agriculture se développer sur leur territoire. C’est là une opportunité pour le développement d’une autre forme d’agriculture plus respectueuse de l’environnement et plus adaptée aux besoins d’un territoire urbanisé et touristique. La réglementation, les possibilités de financement mettent la relocalisation de l’alimentation et de l’agriculture au goût du jour. Certains acteurs commencent alors à se poser la question de l’augmentation des terres destinées à l’agriculture dans les plans locaux d’urbanisme (PLU). Les communes de Gujan-Mestras, d’Audenge ou encore la Teste-de-Buch ont ainsi engagé des réflexions de protection du foncier agricole ou d’installations agricoles sur terres communales ; la commune de Salles a orienté une partie de son budget vers de l’acquisition foncière en vue de développer un espace-test agricole ; la commune de Biganos propose la création d’une zone agricole de 120 ha afin de faciliter l’installation de nouvelles exploitations et de consolider une « ceinture maraîchère » au nord de la commune (PLU arrêté au 3 avril 2019). Le Sybarval [17] tente de promouvoir cette thématique dans le cadre du processus de révision du SCOT et de la mettre à l’agenda des échanges avec les élus. Un nouveau diagnostic agricole a été réalisé dans le cadre de cette procédure ; l’agriculture de proximité y est envisagée comme un enjeu pour le territoire bien que soumis à de fortes contraintes, notamment liées au foncier (SCE Aménagement & environnement, 2019). Le PAT a finalement, pour le moment, pour principal objectif de réinterroger la nature même du projet de territoire en mettant en jeu différentes options de développement territorial : intégrer une option agriculture et alimentation dans un territoire où celle-ci n’a cessé d’être éliminée au profit de l’option urbanisation et tourisme.
2. Le PAT du Grand Bergeracois : une alliance ville-campagne ?
32 Pour le Pays du Grand Bergeracois, le PAT est initialement pensé comme un moyen de reconsolider le territoire via la composante agricole. Le territoire du Pays du Grand Bergeracois bénéficie de nombreuses productions sous signes de qualité et d’une agriculture fortement diversifiée (polyculture dominante, viticulture, fruits et autres cultures permanentes, céréales, polyélevage) mais présente une certaine faiblesse en matière de production maraîchère. De plus les terres agricoles diminuent au profit de l’urbanisation (-9 % entre 2000 et 2010). Par ailleurs le Grand Bergeracois est marqué par la concentration de populations à faibles revenus, les revenus des ménages étant inférieurs en moyenne aux revenus nationaux et régionaux (SCOT Bergeracois, 2019). Aussi, le PAT est conçu comme un moyen de redonner de la place à l’agriculture sur le territoire et de favoriser l’accès de la population à une alimentation locale et de qualité. Il s’agit donc pour les porteurs du PAT de faire de l’agriculture et de l’alimentation un moyen de consolider le territoire en remettant du lien entre l’agriculture et la population ; le maintien de l’agriculture par l’installation est un axe important du PAT porté par le Pays avant 2018.
33 Au sein du Pays du Grand Bergeracois, s’organisent des connexions entre l’agglomération urbaine et les zones plus rurales. Le centrage du projet sur la recherche de l’autonomie alimentaire d’un côté et le maintien de l’agriculture locale de l’autre, conduit à promouvoir le lien entre les bassins de production (communes rurales) et les bassins de consommation du territoire (notamment la communauté d’agglomération de Bergerac (CAB) aujourd’hui porteur du projet). La nouvelle structuration de délégation générale favorise ces connexions.
34 L’alliance entre la communauté d’agglomération et les communautés de communes s’avère néanmoins fragile. En effet, en 2019, la Communauté d’agglomération de Bergerac lance « un plan d’excellence alimentaire » (PEA) ayant pour objectif de « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs pour développer l’agriculture sur les territoires ainsi que la qualité de l’alimentation » [18]. Elle le fait sans concerter l’ancien président du pays ainsi qu’une partie du comité de pilotage du PAT du Grand Bergeracois. Pourtant les acteurs qui contribuent à ce plan sont pour certains les mêmes (la Chambre d’agriculture, Agro-Bio Périgord…). Les actions phares affichées dans le cadre du PEA sont celles initialement inscrites dans le PAT du Grand Bergeracois. Ce manque de coordination pose question : s’agit-il de la manifestation d’un éclatement de la gouvernance établie ? Le PEA serait-il un élément du PAT ? Le territoire du PAT serait-il alors un ensemble composé de deux parties distinctes : les communes de l’agglomération urbaine et les communes des intercommunalités rurales, chacune devant penser les actions à mener en termes d’alimentation sur son territoire ?
35 L’alimentation promue à l’échelle du Pays dans le cas du Grand Bergeracois ne réussit pas à consolider cette échelle d’action. Pour l’agglomération il s’agit bien de trouver dans les intercommunalités rurales les ressources à son approvisionnement, ce qui peut répondre à la volonté de celles-ci de maintenir une activité agricole pourvoyeuse d’emplois sur leur territoire. Cette complémentarité reste à ce jour un horizon à atteindre car l’agriculture pratiquée dans les intercommunalités rurales ne correspond pas forcément à celle attendue par l’agglomération (une agriculture qui reste plus tournée vers les filières que vers le territoire). Cette dualité va-t-elle favoriser une complémentarité ou une distanciation ? C’est une évolution à observer.
3. Bordeaux Métropole : une incomplétude territoriale conduisant au choix de l’interterritorialité
36 En 2011, le rapport Quévremont a révélé la diminution par 2 en 20 ans du nombre d’exploitations agricoles dans le périmètre bordelais ainsi que la limite à une seule journée de l’autonomie alimentaire de l’agglomération (Quévremont, 2011). Pour la métropole, la relocalisation de l’alimentation passe par une recherche de nouvelles ressources alimentaires. Une « politique agricole métropolitaine alimentaire et durable », soutenue par la Direction de la nature, est engagée en 2018 (délibération adoptée le 30 novembre 2018 par le Conseil de Métropole). Elle vise à préserver les espaces agricoles et valoriser l’activité agricole professionnelle sur le territoire. Par ailleurs, différentes formes d’agriculture urbaines sont encouragées pour diversifier les espaces productifs : jardins, agriculture en lien avec des opérations immobilières, aquaponie, hydroponie, etc. La coopération interterritoriale reste néanmoins une voie privilégiée.
37 C’est ainsi que Bordeaux Métropole a signé, en octobre 2018, un protocole de coopération avec le territoire de Val de Garonne Agglomération (VGA), territoire d’un peu plus de 60 000 habitants répartis sur 43 communes, dont Marmande, commune qui possède plus de 15 000 habitants [19]. Ce territoire se situe à moins d’une heure de l’agglomération bordelaise qui exerce une forte attractivité sur celui-ci : plus de 100 000 véhicules réalisent des trajets quotidiens entre Bordeaux et VGA, plus de 3 000 abonnements TER sont vendus à des Lot-et-Garonnais (Val de Garonne Agglomération, Bordeaux Métropole, 2018). Lorsque Bordeaux Métropole a décidé d’améliorer son autosuffisance alimentaire en produits locaux, il a été choisi de mettre en place une complémentarité entre territoires autour de l’enjeu alimentaire et agricole local. Cette volonté a conduit à un « protocole de coopération territoriale » entre Bordeaux Métropole et VGA auquel est associée également la communauté de communes du Réolais en Sud-Gironde, territoire limitrophe de Val de Garonne Agglomération à qui celui-ci reconnaît des enjeux partagés, notamment sur la question agricole [20]. Les objectifs annoncés de la coopération entre Bordeaux Métropole et VGA ciblent le développement d’une agriculture « biologique et durable », l’installation de jeunes agriculteurs, la structuration d’une chaîne logistique locale et enfin la « coopération au sein de la gouvernance alimentaire métropolitaine » [21]. Le processus de coopération territoriale entrepris dans le cadre de cette convention est à relier non seulement à un contexte plus général de rapprochement de VGA à Bordeaux Métropole, (l’agglomération Lot-et-Garonnaise ayant inscrit dès 2015 ce rapprochement dans sa stratégie territoriale), mais également aux objectifs de chacun de ces territoires en matière alimentaire. Bordeaux Métropole a construit son projet sur un objectif « d’autonomie alimentaire » favorisant un accès égal à une alimentation locale, saine et de qualité. Pour Bordeaux Métropole, se tourner vers des territoires potentiellement nourriciers constitue une condition nécessaire pour mener à bien ce projet. Pour Val de Garonne Agglomération, cette coopération répond d’une stratégie de consolidation des débouchés pour l’agriculture locale vers Bordeaux Métropole qui se traduirait prioritairement par la mise en place d’infrastructures logistiques sur le territoire et d’outils de transformation locaux.
38 Dans le cas de l’intercommunalité de grandes agglomérations telle que Bordeaux, la Métropole se présente comme une entité cohérente à la recherche de nouvelles coopérations territoriales pour assouvir une plus grande autonomie alimentaire. Les territoires associés forment ainsi des relations bilatérales liant ville et campagne dans une approche assez classique d’une campagne pourvoyeuse de ressources alimentaires pour une ville consommatrice. Cependant, si nous prenons en compte la gouvernance alimentaire au sein de la métropole, l’unité de façade ne tient plus. Comme dans d’autres cas métropolitains étudiés par Billion (2017), nous constatons deux faits majeurs : d’une part le conseil de gouvernance alimentaire semble s’effacer quelque peu derrière le rôle de chef de file assumé par la Métropole ; d’autre part au sein de l’administration métropolitaine l’alimentation peine à créer des transversalités entre les directions qui s’affichent comme pertinentes sur le sujet (essentiellement Direction de la nature et Direction de l’énergie, de l’écologie et du développement durable).
Conclusion
39 Au regard des exemples analysés dans cet article, l’hypothèse posée en introduction se confirme : les initiatives alimentaires territorialisées, notamment à travers le dispositif de PAT, participent de l’évolution des formes de gouvernance des territoires. Le périmètre de référence, souvent institutionnel, choisi pour mettre en jeu l’action territoriale alimentaire, est défini dans la démarche, soit parce qu’il est le périmètre de l’initiateur du projet, comme dans le cas de Bordeaux Métropole et du Pays du Grand Bergeracois, soit parce qu’il est reconnu comme une scène opportune et appropriée par les différents acteurs concernés (Pays BARVAL et territoire du projet de SCOT pour le bassin d’Arcachon).
40 Les trois exemples de projets alimentaires, analysés dans leur phase d’émergence, montrent néanmoins que le T du PAT ne se limite pas à un périmètre institutionnel. Dans le cas du Pays BARVAL, ce périmètre est un moyen de construire progressivement la gouvernance alimentaire. L’alimentation et l’agriculture de proximité permettent de repenser le projet territorial ou tout du moins de l’ouvrir à d’autres perspectives de développement territorial. Dans le cas du Pays du Grand Bergeracois, l’évolution du porteur du PAT (du Pays à l’agglomération) conduit à recomposer la gouvernance et réoriente le projet. Deux représentations du projet alimentaire se font face : celle de l’agglomération, celle des intercommunalités rurales. La collaboration paraît évidente, elle ne va pourtant pas forcément de soi. Dans le cas de Bordeaux Métropole, le projet alimentaire impose des formes de collaboration interterritoriales. Le projet ne se pense plus dans une contiguïté territoriale mais initie une organisation réticulaire, une mise en lien de territoires distants.
41 Questionner le T du PAT nous a amenées à aborder les trajectoires des projets étudiés, alors en phase d’émergence. Le T est à la fois un point de départ (le territoire), mais aussi un objectif, un horizon des possibles (territorial). Il est aussi un chemin qui se recompose sans cesse, qui est différemment éclairé suivant les regards, les imaginaires. Les représentations ont ainsi des effets sur la manière d’engager la territorialisation de l’agriculture et de l’alimentation, comme sur les formes d’appropriation du sujet par les acteurs et les actions engagées (territorialités). Étudié durant la période 2015-2019 pour les trois PAT de cet article, période d’émergence de ces projets, ce chemin sera vraisemblablement à nouveau affecté par la suite, par la crise sanitaire et socio-économique liée à la pandémie de la Covid-19.
- Allain B. (2015). Circuits courts et relocalisation des filières agricoles et alimentaires. Rapport d’information par la commission des affaires économiques n° 2942. 170 p.
- A’urba (2016). L’agriculture urbaine à Bordeaux. Panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie. Bordeaux Métropole Aquitaine. 110 p.
- Banzo M. (2018). Attractivité et protection au regard des documents d’urbanisme et des espaces ouverts : une brève histoire des annulations du PLU d’Andernos et du SCOT du bassin d’Arcachon. Sud-Ouest Européen, n° 45, pp. 89-107.
- Barèges M., Calais M., Daubas M., Le Serrec P., Richard M. (2018). Projet alimentaire territorial du Grand Bergeracois. Diagnostic de territoire. Rapport de l’INET réalisé pour la Délégation générale du Grand Bergeracois, 63 p.
- Billion C. (2017). La gouvernance alimentaire territoriale au prisme de l’analyse de 3 démarches en France. Géocarrefour [en ligne], vol. 91, n° 4, consulté le 3 mai 2019. 22 p.
- Bordeaux Métropole (2018). Diagnostic de l’agriculture sur le territoire de Bordeaux Métropole et orientations partagées pour une politique agricole, 54 p.
- Brand C., Bricas N., Conaré D., Daviron B., Debru J., Michel L., Soulard C.-T. (2017). Construire des politiques alimentaires urbaines. Concepts et démarches. Versailles, Quæ, Sciences & technologies, 163 p.
- Chambre d’agriculture Gironde (2012). Diagnostic agricole de la communauté urbaine de Bordeaux, état initial.
- International Urban Food Network (2016). Dynamique des projets alimentaires territoriaux en Nouvelle-Aquitaine. État des lieux. IUFN.
- Loudiyi S. (2020). Construire une géographie des politiques alimentaires intégrées : acteurs, échelles et gouvernance. Mémoire HDR, Université Clermont-Auvergne, vol. 2, 249 p.
- Malassis L. (1994). Nourrir les hommes : un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir, Paris, Flammarion, Dominos, 126 p.
- Maréchal G., Noël J., Wallet F. (2018) Les projets alimentaires territoriaux (PAT) : entre rupture, transition et immobilisme ? Pour, vol. 234-235, n° 2-3, pp. 261-270.
- Michel L., Soulard C.-T. (2017). Comment s’élabore une gouvernance alimentaire urbaine ? Le cas de Montpellier Méditerranée Métropole. In Brand C., Bricas N., Conaré D., Daviron B., Debru J., Michel L., Soulard C.-T., Construire des politiques alimentaires urbaines. Concepts et démarches, Versailles, Quae, Sciences & technologies, pp. 137-151.
- Moine A. (2006). Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l’aménagement et la géographie. L’Espace géographique, vol. 35, n° 2, pp. 115-132.
- Perrin C., Soulard C.-T. (2014). Vers une gouvernance alimentaire locale reliant ville et agriculture. Le cas de Perpignan. Géocarrefour, vol. 89, n° 1-2, pp. 125-134.
- Quévremont P. (2011). Note de synthèse établie par M. Philippe Quévremont à l’issue de la mission effectuée à la demande de la Communauté urbaine de Bordeaux. Rapport pour la Communauté urbaine de Bordeaux.
- Rival A. (2018). Comment les PAT ou les démarches territoriales sur l’alimentation en Nouvelle-Aquitaine peuvent constituer des outils au service d’une relocalisation de l’alimentation ? Mémoire de fin d’études Agro-Sup Dijon pour la DRAAF Nouvelle Aquitaine, 97 p.
- RnPAT (2017). Glossaire sur la gouvernance alimentaire. Réseau national pour un projet alimentaire territorial co-construit et partagé.
- SCE Aménagement & environnement (2019). Étude des dynamiques agricoles du territoire bassin d’Arcachon Val de l’Eyre, rapport, 78 p.
- SCOT Bergeracois (2019). Diagnostic Territorial.
- SCOT de Val de Garonne Agglomération (2018). Rapport de présentation.
- Serrano J. Tanguay C., Yengué J. (2021). Le rôle des collectivités locales dans la gouvernance alimentaire : le cas du projet alimentaire territorial de Tours-Métropole-Val-de-Loire. Économie rurale, vol. 375, pp. 41-59.
- Soulé B. (2007). Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales. Recherches qualitatives, vol. 27, n° 1, pp. 127-140.
Mots-clés éditeurs : gouvernance, projet alimentaire territorial, territoire, Nouvelle-Aquitaine, France
Date de mise en ligne : 13/01/2023
https://doi.org/10.4000/economierurale.10702Notes
-
[1]
URL : http://www.civam.org/index.php/systemes-alimentaires-agricoles-territorialises/systeme-notre-conception, dernier accès le 12/09/2019.
-
[2]
À titre d’exemples : Montpellier (Michel et Soulard, 2017) ; Perpignan (Perrin et Soulard, 2014) ; Figeac, Nantes et Lyon (Billion, 2017), Clermont, Vichy, communauté de commune Thiers Dore et Montagne (Loudiyi, 2020).
-
[3]
Le lecteur peut consulter la page du projet alimentaire territorial du Pays du Grand Bergeracois (https://www.la-cab.fr/d%C3%A9l%C3%A9gation-g%C3%A9n%C3%A9rale-du-grand-bergeracois-projet-alimentaire-de-territoire, dernier accès le 24 septembre 2020 ainsi que le diagnostic établi https://www.la-cab.fr/sites/default/files/uploads/delegation_grd_bergeracois/pat/diagnostic_de_territoire_pat_grand_bergeracois_pco_inet.pdf), la page de Bordeaux Métropole (https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/, dernier accès 24 septembre 2020, et la page du collectif citoyen Aliment-Terre (https://aliment-terre-barval.jimdo.com/, dernier accès le 3 septembre 2019.
On peut aussi citer des sites liés (http://www.aqui.fr/agricultures/perigueux-et-bergerac-mitonnent-leur-projet-alimentaire-avec-l-aide-de-la-safer,17017.html, dernier accès le 3 septembre 2019. -
[4]
La Banque des PAT. URL : https://rnpat.fr/projets-alimentaires-territoriaux-pat/presentation-banque-pat/les-histogrammes-de-la-banque-des-pat/, dernier accès le 28/06/2022.
-
[5]
URL : https://www.la-cab.fr/sites/default/files/uploads/delegation_grd_bergeracois/pat/charte_ambition.pdf, dernier accès le 24/09/2020.
-
[6]
URL : https://aliment-terre-barval.jimdofree.com, dernier accès le 24/09/2020.
-
[7]
URL : http://www.milanurbanfoodpolicypact.org/text/, dernier accès le 24/09/2020.
-
[8]
Ce pacte signé est un engagement (sur une base volontaire) à la mise en place d’actions locales pour l’alimentation suivant six axes prioritaires : (1) développer une gouvernance alimentaire locale, (2) assurer un environnement propice à une action efficace, (3) promouvoir une alimentation durable et une bonne nutrition, (4) assurer l’équité sociale et économique, (5) appuyer la production alimentaire (liens rural-urbain), approvisionnement et distribution alimentaire, et (6) prévenir le gaspillage alimentaire.
-
[9]
Économie alimentaire, urbanisme et aménagement du territoire, environnement, nutrition santé, accessibilité sociale, dimension culturelle et gastronomique.
-
[10]
URL : https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/L-alimentation-a-Bordeaux-Metropole/La-strategie-alimentaire-de-Bordeaux-Metropole2, dernier accès le 28/06/2022.
-
[11]
URL : https://ccgad.bordeaux-metropole.fr/, dernier accès le 24/09/2020.
-
[12]
Loi NOTRe, loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, url : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2015/8/7/RDFX1412429L/jo/texte, dernier accès le 24/09/2020.
-
[13]
URL : https://www.la-cab.fr/delegation-generale-du-grand-bergeracois/, dernier accès le 20/09/2022.
-
[14]
« Le Labo’Mobile, lancé en 2017, est un dispositif d’animation territoriale proposé aux territoires et aux acteurs girondins pour expérimenter la mise en œuvre d’objectifs de transformation et co-concevoir des projets dédiés à de l’innovation sociale, écologique et participative qui nécessitent de ‘faire autrement’ ». URL : https://www.gironde.fr/grands-projets/agenda-21-et-labom21labase, dernier accès le 12/09/2019.
-
[15]
Première réunion animée par un membre du Collectif Aliment-Terre et non par le CD33 (demande du Collectif).
-
[16]
Les acteurs varient suivant les thématiques des réunions.
-
[17]
Syndicat mixte pour la révision et le suivi du SCOT du BARVAL.
-
[18]
URL : https://www.la-cab.fr/blog/la-cab-lance-son-programme-dexcellence-alimentaire-pea, dernier accès le 12/09/2019.
-
[19]
VGA se situe en Lot-et-Garonne, département compétitif dans le secteur agricole avec des productions fruitières, arboricoles et maraîchères se situant parmi les principales productions nationales. Près de 53 % du territoire de VGA est agricole et l’agriculture représente 10 % de l’emploi total, taux bien supérieurs à la moyenne nationale (SCoT de Val de Garonne Agglomération, 2018).
-
[20]
Val de Garonne Agglomération et la communauté de communes du Réolais ont signé par ailleurs un autre protocole de coopération bilatérale (URL : https://www.vg-agglo.com/wp-content/uploads/2019/12/Charte-de-coop%C3%A9ration-VGA-CdC-R%C3%A9olais-en-Sud-Gironde.pdf, dernier accès le 28/06/2022).
-
[21]
Bordeaux Métropole – Val de Garonne Agglomération (2018), Projet de protocole de coopération 2018-2020 entre Val de Garonne Agglomération et Bordeaux Métropole, 16 p. URL : https://www.Bordeaux-metropole.fr/content/download/104421/file_pdf/1_Protocole_de_cooperation_BM_VGA_version_finale1535545136007.pdf, dernier accès le 11/04/2019.