Notes
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[1]
Cf. Cornes et Sandler, pages 39-42.
-
[2]
Cf. Baumol et Oates, page 14.
-
[3]
L’approche de type nirvana consiste à comparer des situations réelles à un idéal hypothétique.
-
[4]
Cf. Baumol et Oates, page 14.
-
[5]
Ibid, page 15.
-
[6]
Une externalité pareto-pertinente est une externalité pour laquelle il existe des gains potentiels à l’échange entre les parties concernées. Les échanges auront lieu jusqu’à ce que ces gains potentiels soient exploités. Une telle définition implique, de manière tautologique que toutes les externalités pareto-pertinentes peuvent être résolus à travers des solutions marchandes (Randall, 1974).
-
[7]
Pour une revue récente des études consacrées à ce thème, voir Adler (2008).
-
[8]
In Coase, voir la page 14.
-
[9]
A paraître.
-
[10]
« Au fond, la pertinence des externalités doit reposer sur le fait qu’elles indiquent la présence de coûts de transaction. Ainsi, en l’absence de coûts de transaction, les améliorations potentielles au sens de Pareto pourraient être réalisées par une négociation gratuite entre des agents économiques à la poursuite de leurs propres intérêts individuels. (…) La conclusion est dès lors sans ambiguïté : dans la théorie des externalités, les coûts de transaction sont la racine de tous les maux. » (Dahlman, 1979, p. 142).
-
[11]
Des droits de propriétés adéquatement définis et spécifiés confèrent à leurs détenteurs un usage exclusif des ressources sur lesquelles ils portent. Des droits de propriétés exécutoires impliquent que les détenteurs de ces derniers doivent raisonnablement croire que leurs droits de propriété sont effectifs et que toute violation de ces derniers sera sanctionnée. La transférabilité des droits de propriété octroie au détenteur de ces derniers le droit de les transférer, en partie ou en totalité à un tiers. Cette transférabilité est essentielle pour que les droits aillent à celui qui les valorise le mieux. Le caractère exécutoire et la transférabilité sont conditionnés au préalable par la délimitation et l’attribution du droit concerné.
-
[12]
http://www.turtle.ky/
-
[13]
Voir aussi Parker (2004) pour un exemple sur les Easements aux États-Unis.
-
[14]
In OCDE, page 190.
-
[15]
Dans une contribution récente, Barzel (2005) affirme que les problèmes liés à la mesure seraient « plus généraux », « plus opérationnels » avec un pouvoir explicatif plus fort que la spécificité des actifs.
Remarques introductives
1L’économie de l’environnement et les recommandations qui en découlent, notamment en termes d’intervention étatique, sont clairement inscrites dans la théorie des externalités (Baumol et Oates, 1988 ; Cropper et Oates, 1992). Tout en ayant permis des avancées remarquables, l’utilisation intensive du concept d’externalité a été l’objet de critiques, certaines étant parfois injustifiées et relevant plus du parti pris idéologique que d’une analyse rigoureuse. Ces critiques portent notamment sur l’absence d’une définition stabilisée, sur le caractère hyper-inclusif, sur une capacité opérationnelle insuffisante pour guider les décisions publiques et sur le fait d’avoir détourné l’attention des économistes des causes sous jacentes à l’inexistence de marchés sur certains actifs environnementaux (Cheung, 1970 ; Coase, 1988). L’objectif de notre contribution est de proposer une approche complémentaire à la théorie des externalités, en considérant les problèmes environnementaux à travers le prisme de la théorie des coûts de transaction. Le recours au concept de transaction focalise l’attention sur les barrières à la réalisation de gains mutuels à l’échange et sur les stratégies permettant éventuellement de les surmonter.
2Pour atteindre cet objectif, la première section passe en revue le concept d’externalité et quelques-unes des critiques qui lui sont adressées. Les deux sections suivantes proposent une définition et une caractérisation du concept de transaction environnementale, préalables nécessaires à une opérationnalisation à la Williamson (1996, 2005) et Barzel (1982, 2005) des intuitions de l’article fondateur de Coase (1960). Une telle démarche permet d’étudier certaines caractéristiques susceptibles d’avoir un pouvoir explicatif similaire à celui de la spécificité des actifs dans la théorie des coûts de transaction. En conclusion, quelques implications en termes de politique économique sont suggérées, notamment sur la question paradigmatique relative au choix des instruments de politique d’environnement (Cropper et Oates, op. cit.).
L’externalité un concept central, objet de critiques
3Étant donnée la littérature considérable relative aux externalités (Buchanan et Stubblebine, 1962 ; Mishan, 1971 ; Baumol et Oates, 1988 ; Cornes et Sandler, 1996), il s’agit essentiellement de présenter le concept de manière intuitive et de rendre compte de certaines des critiques dont il a fait l’objet. Ces attaques s’en prennent parfois au concept lui-même, mais se réfèrent le plus souvent aux recommandations d’inspiration pigouvienne qui en découlent en terme d’intervention publique (Coase, 1960 ; Cheung, 1970 ; Dahlman, 1979 ; Randall, 1974, 1993 ; Demsetz, 1967). Malgré une opposition traditionnelle entre « pigouviens » et « coasiens », les contributions de ces deux auteurs se rapprochent sur bien des points (comme le recours aux arrangements volontaires entre les parties concernées), souvent ignorés par leurs propres partisans et par la plupart des économistes (Dahlman, 1979 ; Aslanbeigui et Medema, 1998 ; Klink, 1994).
4Initialement proposé par Sidgwick (dans les années 1880) et Marshall (1890), puis développé par Pigou (1920), le concept d’externalité permet de rendre compte des interdépendances ou interactions hors marché, entre fonctions d’utilité et/ou de production. Plus formellement, la fonction objectif d’un agent comprend des arguments dont les valeurs sont déterminées par d’autres agents qui ne reçoivent ni compensations (en cas de bénéfices), ni ne payent de pénalités (en cas de coûts) pour ces valeurs imposées aux autres. Dans le cas de deux agents, la fonction d’utilité ou de production de l’agent i peut s’écrire sous la forme suivante :
5où Ak, Al correspondant aux activités ou variables des individus, certaines étant déterminées par l’agent j sans qu’il y ait de compensations marchandes correspondantes. Nous avons
6pour certaines valeurs de l, les valeurs négatives (positives) indiquant des externalités négatives (positives). Quelques définitions du concept d’externalité sont présentées dans le tableau 1. Ces définitions témoignent d’une certaine variété, d’une tendance à un caractère hyper-inclusif et de la volonté indéniable des économistes de parvenir à une définition opérationnelle. Tout en prenant acte de la controverse autour de la définition de l’externalité, Cornes et Sandler (1996) [1], proposent une définition formalisée qui permet d’échapper à certaines des critiques précédentes.
Tableau 1. Quelques définitions du concept d’externalité dans la littérature économique
“Here the essence of the matter is that one person A, in the course of rendering some service, for which payment is made, to a second person B, incidentally also renders services or disservices to other persons (not producers of like services), of such a sort that payment cannot be extracted from the benefited parties or compensation enforced on behalf of the injured parties.” | Pigou, 1920 |
---|---|
“What converts a harmful or beneficial effect into an externality is that the cost of bringing the effect to bear on the decisions of one or more of the interacting persons is too high to make it worthwhile, and this is what the term shall mean here.” | Demsetz, 1967 |
“An external economy (diseconomy) is an event which confers an appreciable benefit (inflicts an appreciable damage) on some person or persons who were not fully consenting parties in reaching the decision or decisions which led directly or indirectly to the event in question.” | Meade, 1973 |
“Externalities arise whenever the values of an objective function, for example the profits of a firm or the happiness of an individual, depends upon the unintended or incidental by-products of some activity of others.” | Lin, 1976 |
“An externality is frequently defined to occur whenever a decision variable of one economic agent enters into the utility function or production function of another. We shall argue that this is not a very useful definition, at least until the institutional framework is given (…). One can think of externalities as nearly synonymous with non-existence of markets. We define an externality to be a situation in which the private economy lacks sufficient incentives to create a potential market in some good and the non-existence of markets results in losses in Pareto efficiency. ” | Heller et Starett, 1976 |
An externality must satisfy two conditions: “Condition 1: An externality is present whenever some individual's (say A's) utility or production relationships include real (that is, non monetary) variables, whose values are chosen by others (persons, corporations, governments) without particular attention to the effects on A's welfare (…). Condition 2: The decision maker, whose activity affects others' utility levels or enters their production functions, does not receive (pay) in compensation for this activity an amount equal in value to the resulting benefits (or costs) to others.” | Baumol et Oates, 1988 |
“Externality is usually defined as a situation in which the utility of an affected party is influenced by a vector of activities under his control but also by one or more activities under the control of another (or others).” | Randall, 1993 |
Tableau 1. Quelques définitions du concept d’externalité dans la littérature économique
7La littérature contient également plusieurs distinctions qui sont présentées et illustrées dans le tableau 2. De l’aveu même de certains auteurs (Baumol et Oates, 1988) [2] ayant participé à l’élaboration de nouvelles distinctions, certaines de ces distinctions ont surtout été des « sources de confusion » plutôt que de clarification.
Tableau 2. Distinctions classiques relatives aux externalités
Distinction | Définition et auteur de référence | Exemples |
---|---|---|
Positive | Effet externe où un agent affecte positivement le bien-être d’un autre agent (bénéfice) sans compensation marchande (Pigou, 1920) | Voisin bénéficiant du parterre fleuri entretenu par un autre |
Négative | Effet externe où un agent affecte négativement le bien-être d’un autre agent (coût) sans compensation marchande (Pigou, 1920) | Odeurs nauséabondes provenant d’un élevage |
Technologique | Externalités affectant le bien-être des agents non transmises à travers les prix (Scitovsky, 1954) | Sacs plastiques provenant d’une décharge |
Pécuniaire | Externalités affectant le bien-être de certains agents, mais qui s’effectuent à travers les prix (Scitovsky, 1954) | Diminution de la demande de nitrates entraînant une diminution de prix, ce qui se traduira par une augmentation du bien-être des autres utilisateurs |
Paréto-pertinentes | Effets externes qui conduisent à une allocation inefficace des ressources (Buchanan, 1962) | Pollution au-delà du niveau optimal |
Non paréro-pertinentes | Effets externes qui ne génèrent pas une allocation inefficace des ressources (Buchanan, 1962) | Pollution en deçà de l’optimum de pollution |
Marginale | Effet externe lorsque l’action totale de l’agent B affecte la fonction objectif de A et lorsqu’une action marginale de B influe également sur la fonction objectif de A (Buchanan, 1962) | Lac pollué où une unité de pollution supplémentaire générée par B affecte la fonction objectif de A |
Inframarginale | Effet externe lorsque l’action totale de l’agent B affecte la fonction objectif de A et lorsqu’une action marginale de B n’influe pas sur la fonction objectif de A (Buchanan, 1962) | Parterre fleuri de B où un effort marginal (motivé par le bénéfice qu’en tire B) ne se traduit pas par une modification de la fonction objectif de A |
Privée | Effets externes rivaux, c'est-à-dire dont le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un agent réduit le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un autre agent (Baumol et Oates, 1988) | Déchets entraînés chez un agent A ne peuvent être simultanément chez l’agent B |
Publique | Effets externes non rivaux, c'est-à-dire dont le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un agent ne diminue pas le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un autre agent (Baumol et Oates, 1988) | Pollution atmosphérique générée par une zone industrielle |
Tableau 2. Distinctions classiques relatives aux externalités
8Malgré son rôle de « pièce maîtresse de l’économie de l’environnement » (Cropper et Oates, 1992), le concept d’externalité a fait l’objet de critiques véhémentes, notamment de la part du courant néo-institutionnel (Coase, 1960, 1988 ; Cheung, 1970 ; Dahlman, 1979 ; Randall, 1974, 1993 ; Arrow, 1983 ; Vatn et Bromley, 1997 ; Zerbe et McCurdy, 1999 ; Anderson et McChesney, 2003 ; Anderson, 2004 ; Cortado, 2004 ; Barnett et Yandle, à paraître). Certaines des critiques adressées au concept d’externalité sont superficielles, caricaturales et relèvent plus du parti pris idéologique que du désir de faire avancer le débat. Plutôt que de rejeter en bloc les apports du concept d’externalité, nous rendons compte de cinq faiblesses ou dérives souvent associées (parfois à tort) au concept d’externalité:
- l’absence de définition stabilisée et opérationnelle,
- l’utilisation « fourre-tout » du concept en dehors de son domaine de validité conduisant à des généralisations excessives,
- le caractère unilatéral généralement attaché au concept, empreint d’une certaine dimension morale et l’oubli de la réciprocité des effets,
- les recommandations d’intervention publique en vue de l’internalisation des externalités reflétant une approche de type « nirvana » [3],
- « l’accusation » d’avoir détourné l’attention des économistes des causes profondes des externalités et des conditions permettant aux agents de résoudre leurs problèmes grâce à des transactions volontaires.
10Certains auteurs, parfois de manière abusive et partisane, ont qualifié le concept d’externalité de « terme complètement inutile » (Randall, 1993), de « concept vide » (Barnett et Yandle, à paraître), de « terme d’une complexité alarmante » et qui « n’apporte rien à l’analyse » (Anderson, 2004), certains auteurs allant même jusqu’à réclamer sa disparition pure et simple (Cheung, 1970). Pour Haddock (2004), « les externalités sont partout, mais la plupart n’ont pas de pertinence économique. »
11Même des économistes de l’environnement (Baumol et Oates, op. cit.) [4] reconnaissent que l’externalité est parfois un « concept extraordinairement flou et insaisissable » (voir aussi Cornes et Sandler, 1996 ; Zerbe et McCurdy, 1999). Baumol et Oates amoindrissent la question de la définition en la qualifiant « d’affaire de goût et de convenance » [5]. Dans leur article séminal, Buchanan et Stubblebine (1962) reconnaissent qu’ « une définition rigoureuse du concept d’externalité n’est pas disponible dans la littérature ». Malgré la tentative de Buchanan et Stubblebine, Arrow (1983) remarque qu’« aussi surprenant que cela puisse paraître, la littérature ne semble pas disposer d’une définition générale et claire du concept […] d’externalité. » L’absence de définition précise et unanime fait que le concept d’externalité peut correspondre à des situations extrêmement variées, certaines d’entre elles étant même considérées comme « non pertinentes » au sens parétien [6] (Buchanan et Stubblebine, op. cit.).
12De manière involontaire, le concept d’externalité a peut être incité les économistes à « surestimer les avantages de l’intervention étatique » et a souvent servi à justifier l’interférence de l’autorité centrale avec les droits de propriété préexistants, au nom d’un intérêt collectif l’emportant sur les intérêts individuels (Coase, 1960 ; Calabresi et Melamed, 1972). Pour l’école des choix publics, cette interférence loin de servir l’intérêt général ouvre la porte à de nombreuses dérives et notamment à l’instrumentalisation des politiques environnementales au service d’intérêts particuliers (Yandle, 1999). Pour Barnett et Yandle (op. cit.), « le concept d’externalité (…) a fourni une justification pour quasiment toutes les formes d’intervention gouvernementale dans les transactions privées ». Il convient de remarquer que l’externalité est parfois présentée comme un concept suffisamment générique pour englober les différents types de défaillances du marché, comme les biens collectifs et les situations de monopole naturel (Buchanan et Stubblebine, 1962), ce qui le rend potentiellement vulnérable à l’ensemble des attaques et critiques adressées à la théorie des défaillances du marché, notamment celle décrite sous l’expression d’‘approche du nirvana (Coase, 1960, 1974 ; Demsetz, 1969 ; Coase, 1988 ; Peltzmann, 1989 ; Zerbe et McCurdy, 1999).
13De plus, l’intervention étatique est elle-même victime de ses propres limites et défaillances, pouvant dans certains cas engendrer une dégradation de la situation plutôt que son amélioration (Schmidtz, 1991). Par exemple, la réglementation américaine relative à la protection des espèces menacées ou en voie de disparition (Endangered Species Act) impose aux propriétaires terriens concernés des restrictions draconiennes quant à l’exercice de leurs droits de propriété. En dépit d’intentions louables relatives à la réduction du risque de disparition de certaines espèces, plusieurs études démontrent que les effets de cette réglementation sont non seulement très modestes, mais également contre-productifs dans plusieurs cas [7]. Lueck et Michael (2003) démontrent que cette réglementation sur les espèces menacées a généré des incitations perverses au niveau des propriétaires fonciers qui se sont mis à détruire de manière préventive des habitats susceptibles d’héberger le pic à face blanche de manière à échapper aux restrictions de leurs droits de propriété.
14L’utilisation du concept de transaction permet d’envisager les problèmes d’environnement comme des conflits entre agents (ou groupes d’agents) pour un usage mutuellement incompatible d’une ressource environnementale rare. Outre l’absence de jugement moral, cette définition attire l’attention sur le caractère bilatéral de l’interaction et sur le rôle crucial du système de droits de propriété dans la résolution de ce conflit. Ainsi, la pollution de l’eau se rapporte à l’utilisation incompatible par deux (ou plusieurs) groupes d’agents de cette ressource, un groupe utilisant l’eau comme réceptacle pour y déverser ses rejets (e.g, agriculteurs) et un autre groupe utilisant cette même eau à des fins récréatives ou de consommation alimentaire (e.g, autres riverains). L’approche par les transactions, sans nier la nécessité de recourir à l’intervention d’une autorité dans certaines circonstances invite à s’interroger sur la capacité potentielle des transactions entre agents privés, détenteurs d’informations cruciales, à résoudre ces conflits d’usage, sur les déterminants du niveau des coûts de transaction empêchant la réalisation de telles transactions et sur les stratégies permettant éventuellement de les surmonter (Coase, 1960). Formulé en termes transactionnels, le problème d’une espèce menacé se rapporte notamment à l’identification du détenteur des droits associés à cette espèce, à son habitat ainsi qu’à l’évaluation des coûts et bénéfices qu’implique un arrangement contractuel pour son éventuelle préservation.
La transaction environnementale. Un complément utile au concept d’externalité
15L’objectif de cette section est de montrer qu’une opérationnalisation à la Williamson des intuitions coasiennes dans le domaine de l’économie de l’environnement (1960) est possible et prometteuse. Les orientations méthodologiques formulées par Coase pour le choix des solutions de régulation des pollutions sont restées à l’état des principes généraux. Les deux articles fondateurs de Coase (1937, 1960) partagent une logique similaire (Coase, 1988) [8], une référence commune aux coûts de transaction et aux droits de propriété. Dans cette perspective, les problèmes environnementaux sont des conflits sur l’usage de certaines ressources mettant en évidence les problèmes relatifs aux droits de propriété mal définis et aux coûts de transaction positifs (Coase, 1960 ; Demsetz, 1967 ; Aslanbeigui et Medema, 1998 ; Anderson et McChesney, 2003). Ces deux causes interagissent, puisque les problèmes relatifs aux droits de propriété sont générateurs de coûts de transaction. En somme, la transaction en tant que catégorie analytique de référence comporte en elle-même le « caractère réciproque », la capacité de permettre « un transfert de droits », dont la réalisation potentielle suppose des coûts qui doivent être mis en regard des bénéfices espérés. Fait intéressant, la contribution séminale de Coase (1960) a été élaborée dans (et peut être pour) un contexte de Common Law (par opposition aux pays de Civil Law). Au nombre des différences notables entre les deux systèmes juridiques, figurent dans le cas des pays de common law, la prééminence accordée aux droits de propriété privés et aux arrangements contractuels privés, la volonté de limiter l’interférence de l’autorité centrale quant à l’exercice de ces derniers et le recours à des juges indépendants chargés d’élaborer le droit. Une importante littérature issue de l’analyse économique du droit s’intéresse ainsi aux situations où les coûts de transactions sont positifs et montre le caractère crucial du régime juridique en termes d’attribution initiale des droits et de sélection de la règle juridique visant à les protéger (Calabresi et Melamed, op. cit.). Par conséquent, les préconisations coasiennes en termes de politique relative aux enjeux environnementaux s’appliquent beaucoup plus naturellement dans les pays de Common Law par rapport aux pays de Civil Law où le rôle interventionniste de l’Etat est traditionnellement beaucoup plus important (Stroup, 2004).
16Selon Barnett et Yandle [9], « deux choses peuvent empêcher la négociation et générer des ‘externalités’ persistantes (1) les contraintes gouvernementales qui empêchent la marchandisation des droits ou l’échange de droits déjà existants (2) des coûts de transaction qui excèdent les gains espérés de l’échange ». Par exemple, pendant plusieurs décennies, la réglementation française interdisait aux propriétaires fonciers, (mais également à d’autres catégories d’agents) d’inclure dans un contrat de fermage (de contractualiser sur) des contraintes culturales spécifiques visant à la préservation de l’environnement. Ainsi, même un arrangement bénéfique pour les deux parties et pour la société en général était rendu quasiment impossible du fait des contraintes légales. L’un des exemples les mieux documentés est celui de l’arrangement contractuel entre l’embouteilleur de l’eau minérale Vittel et une quarantaine d’agriculteurs afin de préserver la qualité de son eau par rapport au risque de pollutions diffuses (nitrates, pesticides). Outre les désaccords sur la nature et la valeur d’échange des droits à échanger et la situation de monopole bilatérale, les contraintes légales constituaient également des barrières à la réalisation de cette transaction environnementale. Le contournement de ces contraintes légales par le montage de dispositifs juridiques innovants, présentant une certaine part de risque, comme la mise à disposition gratuite des terres plutôt que leur location dans le cadre du fermage ainsi que les stratégies visant à rendre les contrats exécutoires se sont avérés particulièrement coûteuses (Déprés et al., 2008). A l’inverse, d’autres pays comme les Etats Unis disposent d’un cadre réglementaire plus flexible permettant ce type d’arrangements (Easements), et générant donc un niveau des coûts de transaction a priori plus faible. Récemment, la réglementation française a évolué dans le sens d’une plus grande flexibilité permettant aux propriétaires d’inclure des clauses prescrivant au fermier des pratiques culturales spécifiques (loi d’orientation agricole de janvier 2006). Néanmoins, la mise en œuvre effective du bail environnemental est soumise à la réalisation de conditions restrictives concernant l’identité du bailleur et la nature des terres.
17En se référant à la définition de Coase, la transaction pourrait être définie comme un transfert de propriété où ce qui est échangé sur le marché se rapportent aux droits de réaliser certaines actions, ces droits détenus par les agents étant établis par le système légal. Cette définition a été appliquée pour analyser les problèmes environnementaux dans les termes de l’économie néo-institutionnelle (Richards, 2000 ; Esty, 2004 ; McCann et al., 2005 ; Paavola et Adger, 2005). La transaction environnementale apparaît donc un système de résolution d’un conflit, impliquant un transfert potentiel et mutuellement bénéfique de droits de propriété relatifs à ces actifs environnementaux (ou à des comportements associés). Autrement dit, les « externalités » résultent de l’existence de coûts de transaction positifs (Coase, 1960, 1988 ; Dahlman, 1979 [10]), le véritable problème étant de parvenir à identifier finement les déterminants du niveau de ces coûts et l’arrangement institutionnel susceptible de les minimiser.
18Pour Coase (1970, cité par Aslanbeigui et Medema, 1998), « le problème de base de la politique économique est d’envisager comment les institutions sociales alternatives fonctionneraient dans la pratique et d’évaluer leurs performances respectives. En d’autres termes, nous devrions comparer l’effet total lié à l’adoption de ces arrangements sociaux alternatifs. » En effet, Coase (1960) propose explicitement quatre arrangements sociaux au travers desquels une transaction pourrait être réalisée :
- le marché (e.g., l’achat ponctuel de doses d’air pur à des bornes spéciales dans certaines villes très polluées),
- le contrôle des deux activités au sein d’une même firme, (e.g., l’acquisition par certains embouteilleurs d’eau comme Plancoët en Bretagne des terrains avoisinant leur captage de manière à éviter certaines pollutions),
- la réglementation par les autorités publiques (e.g., les contraintes réglementaires relatives aux périmètres de protection des captages),
- le laissez faire.
Essai de caractérisation de la transaction environnementale
20Le pouvoir explicatif de la théorie des coûts de transaction repose essentiellement sur la spécificité des actifs (Williamson, op. cit.). Les dimensions retenues par Williamson (spécificité des actifs, incertitude, fréquence) ont déjà fait l’objet de quelques travaux visant à les transposer aux transactions environnementales (Richards, 2000 ; Delmas et Marcus, 2004). Dans un premier temps, nous présentons brièvement plusieurs dimensions susceptibles de caractériser la transaction environnementale avant de nous restreindre à trois dimensions qui nous semblent influer le plus sur le niveau des coûts de transaction (tableau 3).
Tableau 3. Quelques dimensions susceptibles de caractériser les transactions environnementales
Dimension | Description sommaire | Exemple(s) et autres observations |
---|---|---|
Degré de réversibilité | Estime si la pollution générée est plus ou moins réversible | Quasi-irréversible : Extinction d’une espèce Facilement réversible : Sacs plastiques dans son jardin |
Fréquence de la transaction | Transaction ponctuelle ou récurrente Caractère cumulatif versus caractère spot | Pollution accidentelle Pollution récurrente par déversement journalier |
Degré d’intentionnalité | Volonté consciente de générer la pollution ou simple effet joint d’une autre activité | Nitrates déversés par les agriculteurs pour prendre en otage un embouteilleur vs odeurs d’élevage désagréable |
Difficulté de mesure | Capacité à mesurer et à attribuer aux agents l’output environnemental | Contribution d’un agriculteur à la pollution d’un cours d’eau par les nitrates (pollution diffuse vs localisée) |
Délai temporel | Temps entre l’action génératrice et la manifestation de la pollution | Cas des pollutions orphelines héritées de la révolution industrielle (19ème siècle) |
Degré de sécurisation des droits de propriété | Droits de propriété plus ou sécurisés de manière unanimement reconnue | Droits de propriété non attribués sur certaines ressources, e.g., les bisons d’Amérique |
Nombre de transactants | Structures de transaction par similitude aux structures de marché | Transaction environnementale de type monopole bilatéral Transaction environnementale de type concurrence pure |
Degré d’hétérogénéité des transactants | A un moment donné, degré de similitude des agents, des opérations et des technologies utilisées | Agriculteurs ayant des exploitations identiques (ou diversifiées) en terme de taille, de productions, de pratiques, etc. |
Coût d’opportunité des transactants | Valeur de ce à quoi les transactants potentiels doivent renoncer en cas de non-transfert | Explique pourquoi le choix de l’instrument n’est pas guidé par la seule caractérisation technologique |
Tableau 3. Quelques dimensions susceptibles de caractériser les transactions environnementales
21Les dimensions précédentes ne sont ni figées, ni mutuellement exclusives les unes des autres et recoupent certaines des dimensions proposées par Williamson.
22La première dimension se rapporte audegré de sécurisation des droits de propriété. Cette importance du degré de sécurisation des droits de propriété – définition, transférabilité, mise en oeuvre [11] – est développée par Anderson (2004) et Anderson et McChesney (2003). En effet, des droits de propriété « flous », en considérant un continuum allant d’une sécurisation inexistante jusqu’à une sécurisation parfaite et absolue, génèrent des risques transactionnels susceptibles d’augmenter les ressources à investir pour gérer la situation, mais également de discriminer entre structures de gouvernance permettant de minimiser ces coûts.
23Les défauts dans la satisfaction des conditions précitées, par exemple du fait de choix réglementaires inadéquats, conduisent généralement à des incitations biaisées et peuvent ainsi empêcher des gains potentiels de l’échange d’être réalisés, car l’agent qui valorise le mieux un certain droit peut se retrouver dans l’incapacité légale de l’acquérir. Ainsi, à la suite de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) en 1973 et à l’inscription des tortues de mer dans la réglementation américaine Endangered Species Act en 1978, la Cayman Turtle Farm Ltd s’est retrouvée en faillite, du fait de l’impossibilité de commercialiser et même de faire transiter les tortues de mer produites sur de nombreux marchés [12]. Au moment de l’inscription sur la liste américaine des espèces en danger, la population de tortues sauvages pour les Caraïbes et le Golfe du Mexique était estimée à environ 5 000, alors que la population de tortues de l’entreprise était entre 18 et 20 fois supérieure (De Alessi, 2005). Malgré une auto-suffisance en tortues de mer ne nécessitant plus de prélèvements dans le milieu sauvage et permettant même des largages dans les eaux avoisinant les îles Caïmans, les restrictions relatives aux exportations ne permirent pas de générer des revenus suffisants pour maintenir les 100 000 tortues de l’élevage. Malgré certaines polémiques sur l’origine des tortues et des œufs ayant permis le démarrage de l’exploitation et sur la notion d’élevage en captivité, il est généralement admis que les activités de cette entreprise ont largement contribué à la préservation des tortues de mer (Smith, 1988). Ainsi certaines « règles du jeu » bien intentionnées, en restreignant l’exercice des droits de propriété, peuvent aboutir à des résultats contre-productifs.
24La deuxième dimension se rapporte à ladifficulté de mesure (Barzel, op. cit.), notamment sur la capacité des transactants à définir et à vérifier les promesses faites. Par exemple, les difficultés techniques liées à la nature de la pollution, à la difficulté à attribuer des responsabilités individuelles et à lever toute ambiguïté causale ou au décalage géographique ou temporel entre l’action génératrice et la manifestation effective de la pollution peuvent rendre la vérification des promesses extrêmement difficiles et donc coûteuses. Dans le cas de Vittel, le coût associé au contrôle de certaines opérations étaient tels que la solution retenue a été une quasi-intégration de ces droits par une filiale de Vittel créée pour la circonstance, Agrivair. En effet, cette filiale réalise elle-même certaines opérations très sensibles sur les exploitations agricoles et économisent ainsi les coûts liés au contrôle de ces dernières si elles étaient effectuées directement par les agriculteurs. En comparaison, les contrats établis entre la ville de Munich et les agriculteurs avoisinants pour gérer des problèmes de pollution diffuse similaire (nitrates, pesticides) reposent sur un mode de définition et de vérification moins coûteux (c’est à dire l’agriculture biologique), car standardisé et réalisé par des opérateurs indépendants des deux transactants. Étant données les difficultés de mesure, les contrats précités spécifient les actions à entreprendre pour atteindre un certain résultat, diminuant les coûts de mesure et rendant ainsi le contrat exécutoire [13] (Déprés et al., 2008). Cette dimension est également soulignée dans plusieurs travaux relatifs au choix optimal de l’instrument de politique environnementale (Esty, 2004 ; Richman et Boerner, 2006) et recoupe dans une certaine mesure le critère précédent. Comme la spécificité des actifs, la difficulté de mesure varie en importance (plus ou moins forte) et peut se décliner en plusieurs types, en distinguant la difficulté de mesure liée aux éléments générateurs de la pollution et celles liées aux conséquences de la pollution (Husted, 2004). Pour le premier type, il est ainsi possible de distinguer les situations caractérisées par (1) une pollution ponctuelle versus une pollution diffuse, (2) une pollution immédiate versus une pollution décalée dans le temps, par exemple du fait d’un mécanisme d’accumulation (3) une action individuelle isolée sans conséquences versus une action, qui lorsqu’elle se trouve combinée avec celles d’autres agents génère une pollution. La difficulté peut aussi provenir de la difficulté à estimer les bénéfices et les coûts liés à la pollution et aux éventuelles évolutions envisagées. Au niveau des conséquences, le raisonnement est à peu près identique, car la difficulté de mesure dépend des mécanismes et des effets de la pollution sur les parties affectées. Par exemple, la chaîne de causalité entre le(s) fait(s) générateurs et le dommage subi peut être évidente et communément acceptée ou au contraire être extrêmement controversée et difficile à établir.
25La troisième dimension se rapporteau nombre et audegré d’hétérogénéité des transactants. Cette hétérogénéité comprend à la fois l’hétérogénéité à l’intérieur d’un groupe de transactants (qui peut être inexistante si l’une des parties de la transaction représente un seul agent, e.g., la société Vittel) ou entre les deux parties de la transaction. La description des structures de transaction (et donc la prise en compte du nombre de transactants de part et d’autre) peut naturellement s’insérer dans cette dimension, en continuité avec les intuitions déjà présentes chez Pigou et Coase, mais également avec la contribution d’Olson (1965) soulignant l’augmentation des coûts de transaction avec l’augmentation du nombre de transactants. Le nombre de transactants constitue un paramètre déterminant car il définit des « structures de transaction » précises qui influent sur la mise en place effective de marchés relatifs à des actifs environnementaux. Il semblerait ainsi que les situations de monopsone (un acheteur unique et plusieurs fournisseurs de services écosystémiques) soient propices à la réduction des coûts de transaction et donc favorable à la réalisation de transactions environnementales (Salzman, 2005). Même lorsqu’un grand nombre d’acteurs (e.g., consommateurs d’eau d’une grande ville comme New York ou Munich) semblerait orienter le débat vers une solution faisant intervenir l’autorité centrale, la capacité des agents individuels à se fédérer et à former des associations, des clubs ou d’autres entités (e.g., services chargés de l’approvisionnement en eau des villes de New York ou de Munich) peut permettre l’émergence d’arrangements contractuels dans des contextes où ces derniers semblaient a priori improbables. Dans le cas de Vittel, la négociation unique avec un petit groupe d’agriculteurs permettait certes de réduire les coûts de transaction d’une part, mais contribuait parallèlement à augmenter les problèmes liés au pouvoir de monopole bilatéral d’autre part d’où un arbitrage complexe (Déprés et al., op. cit.).
26Les coûts d’opportunité des transactants par rapport à la modification envisagée pourraient également constituer un paramètre permettant de caractériser le degré d’hétérogénéité. Par exemple, confronté à un problème de pollution affectant de nombreux agents, un agent du fait de la valeur nette (une fois les coûts de transaction pris en compte) qu’il accorde à l’actif environnemental concerné peut sur une base volontaire résoudre le problème. Cette initiative individuelle est également susceptible de résoudre le problème des autres agents affectés sans que ces derniers soient sollicités. Ainsi, au-delà de considérations générales, l’analyse des « structures de transaction » sur le niveau des coûts de transaction demeure une question cruciale.
27Dans une sorte d’analyse réduite, nous pouvons intuitivement postuler que les coûts de transaction (CT) diminuent, ceteris paribus, avec une meilleure sécurisation des droits de propriété (DP), mais augmentent avec une plus grande difficulté de mesure (M) et une plus grande hétérogénéité au niveau des transactants (H).
28Cette conceptualisation des relations entre coûts de transaction et dimension des transactions présente l’intérêt de permettre la formulation de propositions testables. Au vu du travail considérable de collecte des données pertinentes (McCann et al., 2005), une stratégie alternative pourrait s’appuyer sur des études de cas détaillées qui « permettraient de découvrir quels facteurs sont importants et lesquels ne le sont pas dans la détermination du résultat et (…) conduiraient à des généralisations ayant une base solide » (Coase, 1974).
29L’analyse du choix de la structure de gouvernance (marchés spots, arrangements contractuels, intégration hiérarchique, gestion étatique [instruments réglementaires durs, instruments économiques et volontaires]) peut être renouvelée par les apports de l’économie des coûts de transaction. Ainsi, les recommandations économiques relatives au choix de l’instrument de politique environnementale sont généralement basées sur la minimisation des coûts de dépollution obtenue grâce à l’égalisation des coûts marginaux de dépollution des pollueurs (Bureau, 2005). Or, la prise en compte simultanée des coûts de dépollution et des coûts de transaction peut néanmoins remettre en question les recommandations traditionnelles des économistes en faveur des instruments économiques. En effet, lorsque la difficulté de mesure est élevée et donc susceptible de générer des coûts de transaction élevés, le recours à une solution hiérarchique de type intervention réglementaire peut être justifiée, du fait que la perte générée par une non-égalisation des coûts marginaux de dépollution des pollueurs est plus que compensée par les économies permises par des coûts de mesure, certes élevés, mais plus faibles en comparaison des autres arrangements possibles. Ainsi, un rapport de l’OCDE (2001) [14], reconnaît qu’« il y a de nombreux cas où le recours aux instruments de type Command and Control est nécessaire. C’est notamment le cas, lorsque des problèmes techniques ou de mesure rendent difficiles la vérification permanente des dommages environnementaux attribuables aux agents individuels (…) ». Outre la magnitude de ces deux types de coûts concomitants (dépollution, transaction), la question de leur répartition entre les différents agents peut être à l’origine de pertes d’efficience liées à la recherche de la minimisation par un agent de ses propres coûts, quitte à augmenter les coûts totaux de réalisation de l’objectif. Par exemple, dans le cadre des contrats agri-environnementaux, l’État pourrait être intéressé par la minimisation de ses propres coûts administratifs quitte à augmenter les coûts de transaction supportés par les agriculteurs, ce qui pourrait contrarier l’efficience globale de l’instrument.
30A l’instar des travaux de Williamson (op. cit.), l’exploration de la difficulté de mesure, comme attribut essentiel et déterminant du choix du mode de gouvernance des transactions environnementales nous semble la voie la plus prometteuse [15]. L’une des stratégies empiriques consisterait à estimer empiriquement les coûts de transaction (notamment les coûts administratifs d’élaboration, de mise en œuvre et de contrôle) associés à un instrument donné pour un problème environnemental bien défini, puis de les comparer au cas où le même résultat serait généré mais à l’aide d’un autre instrument ou arrangement. Bien que la littérature soit encore balbutiante et appliquée à des questions différentes (McCann et Easter, 1999 ; Falconer et al., 2001), elle pourrait fournir la base d’études originales sur une estimation comparative des coûts de transaction de différents arrangements.
Conclusion
31Cet essai essentiellement exploratoire visait à montrer que le concept de transaction environnementale pourrait utilement compléter celui d’externalité. Tout en reconnaissant à la théorie des externalités des résultats louables, il se peut qu’elle ait également contribué à détourner l’attention des économistes de solutions alternatives reposant sur une meilleure connaissance des causes précises des coûts de transaction ‘trop élevés’ et sur les stratégies susceptibles de permettre leur atténuation, voire leur suppression. Outre, l’approfondissement des dimensions de la transaction environnementale et leur validation par des travaux empiriques, reste encore à distinguer les structures de gouvernance environnementale. Des propositions dans ce sens ont récemment été avancées par Richards (2000), Delmas et Marcus (2004) et Bougherara et al. (à paraître) qui considèrent que cette voie de recherche pourrait déboucher sur des propositions concrètes de choix d’instruments (ou de structures de gouvernance environnementale) permettant de minimiser les coûts de transaction (et de dépollution) pour une transaction préalablement caractérisée. Une telle avancée permettrait de renouveler l’analyse de la question paradigmatique du décideur public en matière d’environnement sous contrainte d’efficience, celle du choix de l’instrument de politique d’environnement similaire à celle du « faire ou faire faire ».
32S’intéresser aux potentialités offertes par une analyse en termes de transactions a également la vertu de recentrer la discussion, non sur la seule nature intrinsèque et inaltérable des biens qui justifierait leur gestion par l’Etat, mais sur les obstacles, notamment institutionnels (et sur les modalités de leur éventuelle suppression) à la réconciliation de la main invisible des marchés et de la protection de l’environnement.
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Notes
-
[1]
Cf. Cornes et Sandler, pages 39-42.
-
[2]
Cf. Baumol et Oates, page 14.
-
[3]
L’approche de type nirvana consiste à comparer des situations réelles à un idéal hypothétique.
-
[4]
Cf. Baumol et Oates, page 14.
-
[5]
Ibid, page 15.
-
[6]
Une externalité pareto-pertinente est une externalité pour laquelle il existe des gains potentiels à l’échange entre les parties concernées. Les échanges auront lieu jusqu’à ce que ces gains potentiels soient exploités. Une telle définition implique, de manière tautologique que toutes les externalités pareto-pertinentes peuvent être résolus à travers des solutions marchandes (Randall, 1974).
-
[7]
Pour une revue récente des études consacrées à ce thème, voir Adler (2008).
-
[8]
In Coase, voir la page 14.
-
[9]
A paraître.
-
[10]
« Au fond, la pertinence des externalités doit reposer sur le fait qu’elles indiquent la présence de coûts de transaction. Ainsi, en l’absence de coûts de transaction, les améliorations potentielles au sens de Pareto pourraient être réalisées par une négociation gratuite entre des agents économiques à la poursuite de leurs propres intérêts individuels. (…) La conclusion est dès lors sans ambiguïté : dans la théorie des externalités, les coûts de transaction sont la racine de tous les maux. » (Dahlman, 1979, p. 142).
-
[11]
Des droits de propriétés adéquatement définis et spécifiés confèrent à leurs détenteurs un usage exclusif des ressources sur lesquelles ils portent. Des droits de propriétés exécutoires impliquent que les détenteurs de ces derniers doivent raisonnablement croire que leurs droits de propriété sont effectifs et que toute violation de ces derniers sera sanctionnée. La transférabilité des droits de propriété octroie au détenteur de ces derniers le droit de les transférer, en partie ou en totalité à un tiers. Cette transférabilité est essentielle pour que les droits aillent à celui qui les valorise le mieux. Le caractère exécutoire et la transférabilité sont conditionnés au préalable par la délimitation et l’attribution du droit concerné.
-
[12]
http://www.turtle.ky/
-
[13]
Voir aussi Parker (2004) pour un exemple sur les Easements aux États-Unis.
-
[14]
In OCDE, page 190.
-
[15]
Dans une contribution récente, Barzel (2005) affirme que les problèmes liés à la mesure seraient « plus généraux », « plus opérationnels » avec un pouvoir explicatif plus fort que la spécificité des actifs.