Notes
-
[1]
Puech D., Rivière-Honegger A.-R. (Edit.) (2004). L’évaluation du paysage, une utopie nécessaire ? Université Paul Valéry Montpelllier III, CNRS – Mutations des territoires en Europe, 640 p.De la connaissance des paysages à l’action paysagère, colloque international, ministère de l’Écologie et du Développement durable, CEMAGREF Bordeaux, 2-4 décembre 2004, CD-ROM.
-
[2]
Donadieu P., Mazas E. (2002). Des mots de paysage et de jardin. Dijon, Educagri, 316 p. Brunet R., Ferras R., Thery H. (1998). Les Mots de la géographie, dictionnaire critique. Montpellier-Paris, Reclus/Mappemonde, 3e édition.
-
[3]
Berque A., Conan M., Donadieu P., Lassus B., Roger R. (1999). La Mouvance, cinquante mots pour le paysage. Paris, édition de la Villette. Donadieu P. (2002). La société paysagiste. Arles, Actes Sud.
-
[4]
Luginbühl Y. (2004). L’évaluation du paysage : une utopie nécessaire qui devient réalité. In Puech D., Rivière-Honegger A.-R. (édit.), L’évaluation du paysage, une utopie nécessaire ?, Université Paul Valéry Montpellier III, CNRS – Mutations des territoires en Europe, 640 p.
-
[5]
Besse J.-M. (2000). Voir la terre, six essais sur le paysage et la géographie. Arles, Actes Sud.
-
[6]
Lassus B. (2004). Couleur, lumière, paysage, instants d’une pensée pédagogique. Monum, édition du patrimoine.
-
[7]
Roger A. (1997). Court traité du paysage. Paris, Gallimard.
-
[8]
Berque A. (1996). Être humain sur la terre. Paris, Gallimard.
-
[9]
Corbin A. (1988). Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840. Paris, Aubier, 409 p.
-
[10]
Walter F. (2004). Les figures paysagères de la nation, territoire et paysages en Europe (XVIe-XXe siècles). Paris, EHESS.
-
[11]
Kalaora B. (1993). Le musée vert, radiographie du loisir en forêt. Paris, L’Harmattan.
-
[12]
Conzen M.-P. (Edit.) (1994). The Making of the American Landscape. New York, Routeledge.
-
[13]
Pitte J.-R. (2002). Histoire du paysage français, de la préhistoire à nos jours. Paris, Taillandier, 444 p.
-
[14]
Bigando E. (2006). La sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise. Thèse de doctorat en Géographie, Université de Bordeaux, 503 p.
-
[15]
Francastel P. (1970). Études de sociologie de l’art, création picturale et société. Paris, Denoël.
-
[16]
Depraz S. (2004). Les analyses paysagères et leur légitimation sociale. In Puech D. et Honegger A.-R. (Edit.), « L’évaluation du paysage une utopie nécessaire ? », Montpellier III, CNRS, p. 375-383.
-
[17]
Luginbühl Y. (2004). Synthèse des résultats scientifiques. Programme de recherche politiques publiques et paysages, analyse, évaluation, comparaisons. Bordeaux, CEMAGREF, 19 p.
1Treize ans après le colloque de Beaubourg « Au-delà du paysage moderne » qui avait affirmé les fondements culturels de la notion de paysage, deux colloques internationaux ont été organisés en France en 2004. Le premier à Montpellier a rassemblé les résultats des chercheurs sur l’évaluation des paysages, le second à Bordeaux a réuni les scientifiques européens autour de la construction des sciences du paysage (Puech, Rivière-Honegger, 2004) [1].
Le paysage, une notion plurielle
2Une certitude se dégage aujourd’hui de ces nombreux travaux. Il existe de multiples façons de produire des connaissances sur les paysages, ce qui oblige à un minimum de réflexions épistémologiques sur les résultats et méthodes de chaque discipline. Chacun, en effet, interprète la notion de paysage en fonction des théories, concepts et démarches qu’il adopte, dans des champs philosophique, artistique, scientifique ou empirique. Les uns, plutôt des chercheurs, valident leurs résultats par rapport aux critères de leur communauté scientifique. Les autres, en général des praticiens, artistes, techniciens ou concepteurs cherchent plutôt la satisfaction de leurs clients publics ou privés. Tous produisent des savoirs et des savoir-faire, et donc des capacités d’expertises, les unes plutôt spécialisées, les autres hybrides et généralistes. Mais il n’y a aucune unanimité sur la définition du terme, du moins dans la sphère scientifique, à l’exception notable de celle donnée dans la Convention européenne du paysage de Florence (2000). Il y a autant de lectures que de regards, de significations que de filtres d’analyse. Et la collaboration interdisciplinaire ou interprofessionnelle réussie reste rare.
3S’il doit exister des généralistes et des spécialistes du paysage, c’est que cette notion usuelle mais complexe apporte des significations multiples que n’expriment pas les champs sémantiques voisins. Les notions d’espace, de territoire, de patrimoine, d’environnement, de jardin et de nature possèdent des significations proches, mais distinctes de l’idée de paysage (Donadieu, Mazas, 2002 ; Brunet et al, 1998) [2]. Cependant, elles sont souvent confondues avec l’idée de paysage qui est nourrie par ces notions voisines. La notion de paysage apporte, sans ambiguïtés, non seulement la vue et le visible, mais aussi la globalité du sens de la relation visuelle, et plus largement sensible au monde ambiant. Elle est reconstruite par les chercheurs à partir des connaissances conceptuelles spécialisées d’espace social, plastique, symbolique, géographique, politique, écologique, juridique, économique, etc. De ce fait, elle perd en certitude de sens des apparences globales ce qu’elle gagne en pluralité de connaissances nouvelles du visible comme de l’invisible qui lui est lié.
De la pluralité à la dualité
4Dans les pratiques sociales usuelles et les discours qui les relatent, le paysage n’est pas aussi présent que ce que l’on pourrait imaginer. Il est presque absent du discours des citadins sur la ville, rare dans le monde agricole et forestier, mais envahissant dans les pratiques résidentielles, touristiques et de loisirs. De plus, il n’est pas toujours verbalisé. Il est d’autant plus insaisissable que le rapport visuel à l’espace implique autant l’intention, le mouvement et les savoirs du regardeur, que le contexte et la durée de cette relation. Pourtant, cette relation à l’espace perçu ou vécu, quels que soient le ou les mots qui la traduisent, ne peut être niée. Si elle devient un problème, c’est par exemple en termes de discordance ou de décalage entre ce qui est perçu et ce qui est compris.
5Ne peut-on pas supposer alors que le mot paysage traduise aujourd’hui la recherche, individuelle ou collective, d’un accord ou d’une concordance ressenti entre ce qui est donné à voir en tant que lieu ou étendue, et ce qui est attendu, reconnu, interprété et jugé ? Ce que les praticiens paysagistes expriment par « faire ou non paysage », notion qui a été rationalisée par certains chercheurs (Berque et al, 1999 ; Donadieu, 2002) [3], mais qui n’est qu’une partie du champ sémantique du paysage, souvent réduite à des points de vue esthétiques. Ce que d’autres chercheurs, quand ils abordent l’évaluation des paysages, comprennent comme « la confrontation entre l’état du paysage et les valeurs que la société ou un groupe social lui accorde » (Luginbühl, 2004) [4].
6L’idée de paysage recouvre à la fois le rapport immédiat et sensible aux espaces concrets (l’impression, la sensation), et la compréhension intelligente ou intuitive, scientifique ou non, qui explique ce que ces espaces sont et deviennent. Pour les uns, elle est inobjectivable -les phénoménologues- (Besse, 2000) [5] ou incommensurable (Lassus, 2004) [6] et relève des émotions qui donnent accès au monde sensible. Pour les autres, soit elle ne peut exister par le regard sans la médiation de l’art (Roger, 1997) [7], soit elle est objectivable et mesurable (les sciences de l’environnement, de la vie et de la nature). Indissociables mais néanmoins disjoints, ces deux modes de rapports humains au monde doivent être réassociés. Ce projet, post moderne, de réaccorder les valeurs (l’éthique), les arts et les sciences, pour donner un sens aux paysages de l’écoumène est explicité par les travaux de Berque (1996) [8].
Reconstruire la relation humaine à l’espace
7Du point de vue des sciences de l’homme et de la société, la relation aux paysages est une construction culturelle et une production sociale sinon politique, très variable avec les sociétés et leur histoire, comme l’ont montré l’historien Corbin (1988) [9] pour les littoraux européens, les travaux de Walter sur les paysages européens (2004) [10], le sociologue Kalaora (1993) [11] à propos des forêts françaises, ou les géographes Conzen (1994) [12] pour les paysages nord-américains et Pitte (2002) [13] pour ceux de la France. Cette construction laisse derrière elle un sillage de paysages et de signes matériels dont les sens n’apparaissent qu’en fonction des codes culturels et sociaux qui sont à leur origine et permettent de les comprendre.
8Quand ces liens, souvent inconscients, sont brisés, par exemple par la guerre, la colonisation ou par la laïcisation d’une société, ou encore, de manière plus contemporaine, par une violente tempête ou un aménagement autoroutier (Bigando, 2006) [14], le rapport humain à l’espace et à la nature doit être reconstruit. Ce qu’avaient fait après le Moyen-Âge les architectes italiens en inventant la perspective et le cube scénique (Francastel, 1970) [15]. Ce qui est en cours depuis le siècle dernier, dans nos sociétés occidentales après l’abandon de la représentation euclidienne de l’espace pictural, mutation qui a été accélérée par la crise environnementale. Constatant la perte de leur accord tacite avec le monde ambiant, nombre de sociétés se sont tournées vers les pouvoirs publics pour restaurer ou réinventer la relation sensible à l’espace, qui était un bien commun partagé comme l’étaient l’air et l’eau avant la crise environnementale contemporaine, et qui se raréfiait. Dans ce contexte politique, le paysage a été institutionnalisé. Il regroupe alors des représentations consensuelles (patrimoine, site, esthétique) qui entraînent des actions politiques appuyées sur des acteurs administratifs et scientifiques (Depraz, 2004) [16].
Le paysage, outil institutionnel de l’aménagement de l’espace
9Dans la dernière moitié du siècle dernier, ces interventions publiques, dans le cadre d’actions internationales autant que nationales, ont d’abord confondu le paysage, l’environnement, la nature et le patrimoine. Dans la tradition des Beaux Arts, elles ont d’abord continué à préserver les sites et les monuments historiques remarquables, témoins d’harmonies anciennes et rassurantes. Puis elles ont, avec les jeunes ministères de l’Environnement, protégé les milieux naturels menacés dans des réserves et des parcs, et cherché à réduire nuisances et pollutions. Enfin, ces actions publiques, à la recherche de règles collectives de construction des paysages, se sont de plus en plus appuyées sur ce que les sociétés concernées à l’échelle des territoires d’administration publique souhaitaient, du moins dans les pays démocratiques. Elles admettent alors que le paysage est un double produit, à la fois matériel et symbolique, des rapports de négociation ou de concertation entre les intérêts publics, collectifs et individuels en présence.
10Se sont ainsi multipliées les actions patrimoniales et les projets territoriaux à la recherche de nouveaux biens communs paysagers régionaux et locaux. Projets de territoire, de patrimoine ou de paysage, environnementaux, sociaux ou économiques, ces actions pragmatiques ont cherché à rendre cohérents les regards différents sur les paysages et leurs attentes en s’appuyant sur de vastes programmes pédagogiques et sur des règles juridiques. Dans ce cadre public, producteurs et consommateurs de paysage trouvent ou non des accords locaux entre eux pour partager des modes de (re)connaissance des paysages. Il n’y a en effet aucune raison pour qu’un paysage donné ou à venir traduise toutes les valeurs que des regards différents souhaitent y trouver. Il peut aussi n’en exprimer qu’une seule ou aucune.
11C’est donc la connaissance des conditions d’apparition et de disparition de ces accords et désaccords sociaux qui constitue l’enjeu principal de la recherche scientifique, et par voie de conséquence de l’amélioration des actions publiques et collectives visant, via le rapport partagé aux paysages, le mieux-être humain dans l’espace. Ces processus sociaux et spatiaux commencent à être mieux décrits et compris par les chercheurs (qui peuvent aussi être des acteurs de l’aménagement), notamment en sciences géographiques, écologiques, économiques, sociales et politiques.
12Dans ce dossier, six articles de recherche approfondissent quelques-uns des thèmes évoqués ci-dessus :
- Pierre Donadieu, géographe, approfondit le rôle des opérateurs que l’État français a formés et mobilisés pour répondre aux demandes sociales de paysage et de cadre de vie.
- Yves Luginbühl, géographe, analyse à travers l’histoire récente les différents modes de production de connaissances destinées à orienter les actions publiques vers une meilleure satisfaction du bien-être des populations.
- Sylvain Paquette, dans cette même discipline analyse comment, au Québec, la notion de paysage, expression de projets locaux ou régionaux d’esthétique environnementale et patrimoniale devient un levier de médiation dans les conflits sociaux liés au développement économique du pays.
- Henri Décamps et Odile Décamps présentent les modèles d’interprétation du paysage que fournissent les sciences écologiques.
- Jean Cavailhès, Thierry Brossard, Mohamed Hilal, Daniel Joly, Pierre-François Tourneux, Céline Tritz et Pierre Wavresky, économistes et géographes, montrent que le paysage, objet de préférence de la part des consommateurs, est aussi une ressource économique : il peut avoir un prix qu’il est possible de quantifier.
- Robert Lifran et Walid Oueslati exposent à travers le dernier article l’économie du paysage.
14Le paysage, le lecteur l’aura compris, est une notion relationnelle, un entre-deux qui crée le sens des étendues et des lieux visibles. C’est pourquoi il se présente comme un outil de passage entre le visible et l’invisible, entre l’objectif et le subjectif, entre la science et l’art, entre l’écologique et le symbolique, entre les espaces vus et vécus, entre le matériel et le spirituel, entre la totalité et les parties, et surtout entre la connaissance et l’action. Son statut de paradigme de médiation entre l’espace et la société est pluriel. Il est à la fois un objet de recherches scientifiques et de politiques publiques dédiées, un outil de compréhension et d’analyse des évolutions paysagères et des conflits sociaux induits, un alibi fréquent de la sphère politique qui en utilise les images, et enfin un projet pour les professionnels du paysage, c’est-à-dire un levier de l’action politique et sociale sur les territoires (Luginbühl, op. cit.) [17]. Aucune de ces pratiques ne semble cependant infaillible pour influencer la construction sociale et spatiale des paysages, si l’ambition publique est de les piloter autant que de satisfaire toutes les demandes sociales. La complexité de la notion de paysage n’est réductible à aucune de ses parties.
Notes
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[1]
Puech D., Rivière-Honegger A.-R. (Edit.) (2004). L’évaluation du paysage, une utopie nécessaire ? Université Paul Valéry Montpelllier III, CNRS – Mutations des territoires en Europe, 640 p.De la connaissance des paysages à l’action paysagère, colloque international, ministère de l’Écologie et du Développement durable, CEMAGREF Bordeaux, 2-4 décembre 2004, CD-ROM.
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[2]
Donadieu P., Mazas E. (2002). Des mots de paysage et de jardin. Dijon, Educagri, 316 p. Brunet R., Ferras R., Thery H. (1998). Les Mots de la géographie, dictionnaire critique. Montpellier-Paris, Reclus/Mappemonde, 3e édition.
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[3]
Berque A., Conan M., Donadieu P., Lassus B., Roger R. (1999). La Mouvance, cinquante mots pour le paysage. Paris, édition de la Villette. Donadieu P. (2002). La société paysagiste. Arles, Actes Sud.
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[4]
Luginbühl Y. (2004). L’évaluation du paysage : une utopie nécessaire qui devient réalité. In Puech D., Rivière-Honegger A.-R. (édit.), L’évaluation du paysage, une utopie nécessaire ?, Université Paul Valéry Montpellier III, CNRS – Mutations des territoires en Europe, 640 p.
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[5]
Besse J.-M. (2000). Voir la terre, six essais sur le paysage et la géographie. Arles, Actes Sud.
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[6]
Lassus B. (2004). Couleur, lumière, paysage, instants d’une pensée pédagogique. Monum, édition du patrimoine.
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[7]
Roger A. (1997). Court traité du paysage. Paris, Gallimard.
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[8]
Berque A. (1996). Être humain sur la terre. Paris, Gallimard.
-
[9]
Corbin A. (1988). Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840. Paris, Aubier, 409 p.
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[10]
Walter F. (2004). Les figures paysagères de la nation, territoire et paysages en Europe (XVIe-XXe siècles). Paris, EHESS.
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[11]
Kalaora B. (1993). Le musée vert, radiographie du loisir en forêt. Paris, L’Harmattan.
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[12]
Conzen M.-P. (Edit.) (1994). The Making of the American Landscape. New York, Routeledge.
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[13]
Pitte J.-R. (2002). Histoire du paysage français, de la préhistoire à nos jours. Paris, Taillandier, 444 p.
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[14]
Bigando E. (2006). La sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise. Thèse de doctorat en Géographie, Université de Bordeaux, 503 p.
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[15]
Francastel P. (1970). Études de sociologie de l’art, création picturale et société. Paris, Denoël.
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[16]
Depraz S. (2004). Les analyses paysagères et leur légitimation sociale. In Puech D. et Honegger A.-R. (Edit.), « L’évaluation du paysage une utopie nécessaire ? », Montpellier III, CNRS, p. 375-383.
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[17]
Luginbühl Y. (2004). Synthèse des résultats scientifiques. Programme de recherche politiques publiques et paysages, analyse, évaluation, comparaisons. Bordeaux, CEMAGREF, 19 p.