Notes
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[1]
J. Hoffman, entretien, Le Monde, 5 octobre 2011, italique ajouté.
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[2]
Tout au moins de la philosophie des sciences anglo-saxonne, dont il sera question ici, les thèses féministes présentées dans cet article appartenant à cette tradition.
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[3]
H. Longino, « Essential Tensions – Phase Two : Feminist, Philosophical and Social Studies of Science », dans E. McMullin (dir.), The Social Dimension of Science, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1992, p. 200.
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[4]
Le pluriel souligne ici l’existence d’une multiplicité de programmes épistémologiques et politiques relevant d’une démarche féministe. L’objectif n’est pas d’en dresser un panorama exhaustif mais d’exposer quelques-unes des positions les plus influentes au sein de la philosophie des sciences contemporaine sur la question du rôle des valeurs en science.
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[5]
Cette résistance peut même aller jusqu’à l’affirmation de l’impossibilité théorique d’une position féministe. Pour une réfutation d’une telle affirmation souvent ancrée dans la célèbre distinction de Reichenbach entre « contexte de découverte » et « contexte de justification », cf. le stimulant article de R. Giere, « The Feminist Question in the Philosophy of Science », dans L. H. Nelson et J. Nelson (dir.), Feminism, Science and the Philosophy of Science, Kluwert Academic Publisher, Dordrecht, 1996, p. 3-15.
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[6]
R. Rudner, « The Scientist Qua Scientist Makes Value Judgments », Philosophy of Science, vol. 20, no 1, 1953, p. 1-6.
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[7]
Nous reprenons dans cet article la distinction traditionnelle entre valeurs contextuelles, c’est-à-dire sociales, politiques, culturelles, etc., et valeurs épistémiques, censées constituer des critères objectifs de choix entre théories ou hypothèses en science. Une liste souvent reprise de valeurs épistémiques est celle discutée par Thomas Kuhn dans The Essential Tension, University of Chicago Press, Chicago, 1997. Cette liste comprend les valeurs suivantes : adéquation empirique, consistance interne et consistance externe, simplicité, capacité prédictive et largeur du domaine d’applicabilité. Nous n’évoquerons pas ici, faute de place, les remises en question de la distinction entre valeurs contextuelles et valeurs épistémiques développées dans la littérature féministe. À ce sujet, cf. par exemple la critique d’Helen Longino dans « Cognitive and Non Cognitive Values in Science. Rethinking the Dichotomy », dans L. H. Nelson et J. Nelson (dir.), Feminism, Science and the Philosophy of Science, op. cit., p. 39-58.
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[8]
R. Rudner, art. cité, p. 2, pour cette citation et la suivante. Toutes les traductions sont des traductions personnelles.
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[9]
Ibid., p. 6.
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[10]
E. McMullin, « Values in Science », dans P. D. Asquith et T. Nickles (dir.), Proceedings of the 1982 Biennial Meeting of the Philosophy of Science Association, vol. 1, Philosophy of Science Association, East Lansing, 1983, p. 3-28.
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[11]
H. Douglas, Science, Policy and the Value-Free Ideal, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh, 2009, chap. 3.
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[12]
I. Levi, « Must the Scientist Make Value Judgments ? », The Journal of Philosophy, vol. 57, no 11, 1960, p. 345-357.
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[13]
Dans son article intitulé « Science and Human Values » (dans C. G. Hempel, Aspects of Scientific Explanation and Other Essays in the Philosophy of Science, The Free Press, New York, 1965, p. 81-96), Carl Hempel reconnaît également que des valeurs sociales ou éthiques peuvent jouer un rôle dans les processus d’acceptation et de rejet d’hypothèses scientifiques en raison du « risque inductif » inhérent aux sciences. Hempel faisait référence, tout comme Rudner, à la possibilité d’erreurs dans ces processus, et aux conséquences éthiques et sociales que peuvent avoir de telles erreurs lorsque les recherches ont des applications pratiques.
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[14]
E. Nagel, The Structure of Science. Problems in the Logic of Scientific Explanation, Hackett Publishing Company, Cambridge, 1979 [1961], p. 485.
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[15]
Ibid., p. 489.
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[16]
L’emploi du masculin en langue française ne doit pas masquer le fait que la très grande majorité de ces historiens féministes ont été et continuent d’être des femmes. Et il en va de même pour les philosophes féministes.
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[17]
Pour un échantillon de ces études de cas, cf. par exemple L. Schiebinger, Has Feminism Changed Science ?, Harvard University Press, Cambridge, 2001, ou encore l’anthologie E. F. Keller et H. Longino (dir.), Feminism and Science, Oxford University Press, Oxford, 1996.
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[18]
Pour une discussion plus détaillée de ce cas d’étude et des références sur ce thème, cf. par exemple H. Longino, Science as Social Knowledge, Princeton University Press, Princeton, 1990, p. 106-111.
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[19]
Helen Longino écrit en effet que « les données observationnelles et expérimentales constituent le fondement le moins révocable de l’évaluation de théories » (Science as Social Knowledge, op. cit., p. 39).
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[20]
Je reprends ici plusieurs éléments de ma présentation des positions de Longino dans S. Ruphy, « Empiricism All the Way Down. A Defense of the Value-Neutrality of Science in Response to Helen Longino’s Contextual Empiricism », Perspectives on Science, vol. 14, no 2, 2006, p. 189-214, et dans « Unité ou pluralité des sciences, nouvelles questions, nouveaux enjeux », dans T. Martin (dir.), L’unité des sciences aujourd’hui, Vuibert, Paris, 2009, p. 109-120.
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[21]
H. Longino, op. cit., p. 12.
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[22]
Pour une discussion critique de cette ligne argumentative, cf. S. Ruphy, « Empiricism All the Way Down… », art. cité, p. 194.
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[23]
H. Longino, « Essential Tensions… », art. cité, p. 204.
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[24]
H. Longino, op. cit., p. 107.
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[25]
H. Longino, « Cognitive and Non Cognitive Values in Science… », art. cité, p. 40.
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[26]
H. Longino, op. cit., p. 193.
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[27]
Ibid., p. 191.
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[28]
L’expression est par exemple employée par Janet Kourany dans son ouvrage Philosophy of Science after Feminism, Oxford University Press, Oxford, 2010.
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[29]
T. Nagel, The View From Nowhere, Oxford University Press, Oxford, 1989.
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[30]
Pour un panorama des discussions récentes sur le rôle des valeurs en science, cf. par exemple P. Machamer et G. Wolters (dir.), Science, Values, and Objectivity, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh, 2004 ; H. Kincaid, J. Dupré et A. Wylie (dir.), Value-Free Science ? Ideals and Illusions, Oxford University Press, Oxford, 2007 ; M. Carrier et A. Nordmann (dir.), Science in the Context of Application, Springer, Dordrecht, 2011.
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[31]
J. Dupré, « Comments on Philosophy of Science after Feminism, by Janet Kourany », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 316.
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[32]
Cf. par exemple la critique de Janet Kourany dans son ouvrage Philosophy of Science after Feminism, op. cit., chap. 3.
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[33]
L’expression est proposée par Miriam Solomon dans « Socially Responsible Science and the Unity of Values », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 331-338.
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[34]
De bons exemples de cet effort sont M. Solomon, Social Empiricism, MIT Press, Cambridge, 2001 ; H. Longino, Science as Social Knowledge, op. cit. ; et H. Longino, The Fate of Knowledge, Princeton University Press, Princeton, 2002.
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[35]
J’emprunte ces trois expressions (to « historicize », to « socialize », to « societize » philosophy of science) à J. Kourany, « Getting Philosophy of Science Socially Connected », Philosophy of Science, vol. 73, no 5, 2006, p. 991-1002.
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[36]
Pour une présentation plus approfondie et une mise en perspective historique et critique d’une vision décontextualisée des fins de la science, cf. P. Kitcher, Science, Truth, and Democracy, Oxford University Press, Oxford, 2001, chap. 6, trad. fr. S. Ruphy : Science, vérité et démocratie, PUF, Paris, 2010.
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[37]
J. Kourany, Philosophy of Science after Feminism, op. cit., p. 68.
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[38]
K. Rolin par exemple développe cette ligne de critique dans « A Feminist Approach to Values in Science », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 320-330.
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[39]
Cet idéal de « science bien ordonnée » est exposé par Philip Kitcher au chapitre 10 de son ouvrage, Science, vérité et démocratie, op. cit.
1 Les notions mêmes d’études et de pratiques féministes des sciences peuvent apparaître au premier abord comme un oxymore : dans la mesure où le féminisme relève d’un engagement politique, quelle pertinence ou influence pourrait-il bien avoir dans un domaine d’acquisition de connaissances incarnant par excellence les qualités d’objectivité et de neutralité dans la vie intellectuelle occidentale ? Notre prix Nobel 2011 de médecine, Jules Hoffman, nous le rappelait encore récemment, évoquant la méfiance que peut aujourd’hui susciter la science : cette méfiance « est souvent justifiée mais envers l’interface entre la science et l’homme, pas envers la science elle-même, qui est neutre [1] ». Un tel postulat d’imperméabilité entre sphère scientifique et sphère des valeurs est cependant désormais largement remis en cause au sein même de la philosophie des sciences [2] et près de cinq décennies d’études féministes des sciences ont assurément joué un rôle majeur dans cette évolution : celles-ci ont en effet non seulement renouvelé et enrichi significativement les réflexions épistémologiques sur des notions fondamentales comme celles d’objectivité ou de preuve empirique, mais elles ont également fortement contribué à un tournant politique de la philosophie des sciences, invitée à se saisir de la question du rôle et des objectifs assignables à la science dans nos démocraties contemporaines. Au-delà de la diversité des projets conduits sous leur égide, les études féministes des sciences partagent un double dessein, critique et constructif, que la philosophe américaine féministe des sciences Helen Longino résume en ces termes : d’une part identifier des idéologies et valeurs sexistes dans le contenu et les méthodes de l’enquête scientifique, d’autre part identifier un potentiel libérateur ou émancipateur dans les sciences, ou au moins une transformation des sciences servant des fins féministes [3]. Avant d’exposer plus en détail ces deux grands volets des programmes féministes [4], il nous faut d’abord faire une brève incursion dans l’histoire récente de la philosophie des sciences, afin de comprendre dans quelle mesure les approches féministes ont pu être en tension (et continuent de l’être pour certains [5]) avec les conceptions traditionnelles du rôle des valeurs en science et de la nature de l’objectivité.
L’idéal traditionnel de neutralité de la science
2 En 1953 paraissait dans la très influente revue Philosophy of Science un article au titre alors volontairement provocateur, « The Scientist Qua Scientist Makes Value Judgments [6] ». Son auteur, Richard Rudner, entendait attirer l’attention sur le rôle que jouaient des valeurs contextuelles, non épistémiques [7], en particulier morales, dans les processus d’acceptation des hypothèses scientifiques. Plus précisément, Rudner affirmait que cette acceptation dépendait de « l’importance, au sens éthique traditionnel, qu’aurait le fait de commettre une erreur en acceptant ou rejetant l’hypothèse [8] ». Il illustrait ensuite ses propos par le cas de figure suivant, toujours d’actualité : « [...] si l’hypothèse examinée était celle du caractère non létal de la présence d’un ingrédient toxique dans une substance, alors nous exigerions un degré relativement élevé de confirmation ou de confiance avant d’accepter l’hypothèse, car les conséquences d’une erreur seraient extrêmement graves au regard de nos standards moraux. » L’intervention de jugements de valeur non épistémiques en venait ainsi à constituer une partie essentielle du travail scientifique. Or il faut se souvenir que l’orthodoxie positiviste de l’époque ne laissait guère de place à de tels jugements : d’abord parce que la théorie de Rudolf Carnap de la signification conduisait immédiatement à exclure que des valeurs puissent jouer un rôle en science (les propositions exprimant un jugement de valeur étant tout simplement dénuées de sens selon cette théorie), ensuite parce que les choix entre théories concurrentes étaient conçus comme résultant de l’application de règles logiques. Conscient que son affirmation allait ainsi à l’encontre des positions alors dominantes en philosophie des sciences, Rudner prophétisa qu’elle provoquerait une « crise de premier ordre en science et méthodologie [9] ».
3 À défaut d’avoir effectivement provoqué la crise majeure annoncée, l’article de Rudner n’en inaugura pas moins une évolution significative de la perception du rôle des valeurs en science. Ernan McMullin proposa même dans son article souvent cité de 1983, « Values in Science », de prendre ce changement de perception comme fil conducteur d’une relecture de la transition entre philosophie des sciences positiviste et philosophie des sciences postpositiviste : à la simplicité gratifiante des règles logiques de l’ère positiviste succédaient en matière de choix théoriques les demandes complexes et frustrantes des jugements de valeur [10].
4 Dans son ouvrage traitant de l’idéal de neutralité de la science, Heather Douglas offre un récit détaillé de la réception des idées de Rudner dans la communauté des philosophes des sciences, et souligne que la progressive reconnaissance du rôle que pouvaient jouer des valeurs au cœur même des processus de choix théoriques s’est accompagnée, dans les années 1960, d’une conception beaucoup plus restrictive que chez Rudner du type de valeurs susceptibles d’intervenir, à savoir uniquement des valeurs épistémiques [11]. Ainsi par exemple Isaac Levi, dans un article influent de 1960, « Must the Scientist Make Value Judgments ? », article qui répondait directement à celui de Richard Rudner, soutint que seules des valeurs épistémiques telles que la simplicité ou le pouvoir explicatif pouvaient intervenir dans les canons d’inférence guidant les scientifiques [12].
5 Il y eut cependant quelques exceptions, et non des moindres, à cette vue très limitative du rôle des valeurs en science. Comme le souligne en effet Heather Douglas, deux figures majeures de la discipline, Carl Hempel et Ernst Nagel, montrèrent une certaine ambivalence à l’égard d’un tel idéal de neutralité [13]. Ernst Nagel consacre par exemple plusieurs pages de The Structure of Science (1961) à cette question de l’influence de valeurs non épistémiques sur le développement des sciences, qu’il s’agisse des sciences sociales ou naturelles. Il identifie quatre catégories d’influences potentielles, qui conservent aujourd’hui toute leur pertinence pour structurer les réflexions sur le rôle des valeurs en science : a) la sélection des problèmes, b) la détermination du contenu des conclusions, c) l’identification des faits, d) l’évaluation des preuves empiriques [14]. Si l’influence effective dans la pratique scientifique de valeurs non épistémiques ne soulève pas de problème aux yeux de Nagel pour la première catégorie (nous aborderons dans la dernière section ce premier type d’influences), il en va tout autrement des autres catégories, puisque l’influence de valeurs non épistémiques sur les résultats d’une enquête scientifique compromet à première vue directement sa prétention à l’objectivité. Faisant preuve d’une certaine lucidité et anticipant des analyses actuelles (comme celles de Longino, nous y reviendrons en détail), Ernst Nagel formule alors le diagnostic suivant : « […] les difficultés générées dans l’enquête scientifique par des biais inconscients et des orientations tacites en matière de valeur sont rarement résolues par de pieuses résolutions d’éliminer les biais. Elles sont en général surmontées, et souvent seulement progressivement, par les mécanismes autocorrecteurs de la science, en tant qu’entreprise sociale [15]. » Cet intérêt de Nagel pour l’influence de valeurs non épistémiques en science n’empêcha cependant pas cette problématique de largement disparaître du paysage philosophique au cours des années 1960, au profit de l’idéal de neutralité tel que prôné par Isaac Levi et bien d’autres, et donc d’une restriction des analyses à l’influence de valeurs uniquement épistémiques. La défense d’une science neutre au regard de valeurs non épistémiques devint rapidement la position dominante en philosophie des sciences anglo-saxonne et constitue le fond sur lequel vont émerger les positions épistémologiques féministes.
Perméabilité du contenu des sciences aux valeurs contextuelles
Études de cas
6 Un premier volet d’études féministes des sciences consista, contre l’idéal de neutralité, à établir l’existence effective de biais sexistes dans les résultats scientifiques produits. Grâce aux travaux d’historiens féministes des sciences [16], de tels cas avérés de perméabilité du contenu même des sciences à un système de valeurs dominant dans la société sont aujourd’hui bien connus et parfaitement documentés [17]. Les disciplines fournissant le plus gros bataillon de telles études de cas sont, sans surprise, celles dont les objets étudiés sont les êtres humains ou des mammifères d’ordre supérieur (anthropologie, archéologie, éthologie, biologie évolutionnaire, neurobiologie, sciences du comportement, etc.). On ne saurait en effet s’étonner que des chercheurs étudiant le spin de l’électron soient moins sujets à l’importation dans leur travail de stéréotypes sexistes que des chercheurs étudiant une éventuelle base neuronale de différences de comportement entre hommes et femmes. Il est aujourd’hui par exemple tout à fait reconnu que les discours scientifiques sur l’infériorité cognitive des femmes (ou plus largement des femelles) supposée dériver de mesures du crâne – un sujet très populaire en anthropologie physique au xix e siècle – ont constitué des cas patents de biais sexistes.
7 Plus près de nous, la primatologie offre un cas d’école de tels biais. Les primatologues distinguent en général trois groupes : les mâles dominants, les femelles et les jeunes, et les mâles périphériques. Jusque dans les années 1960, cette division allait de pair avec l’idée que ce qui structurait socialement une société de primates était le comportement des mâles dominants, en particulier leur compétition pour le contrôle du territoire. Bien peu d’attention était portée aux comportements des femelles, celles-ci étant essentiellement considérées comme assurant la reproduction du groupe. Cette description a significativement évolué lorsque sont entrés dans la discipline à la fin des années 1960 des scientifiques féministes, qui se sont dans un premier temps tout simplement davantage intéressés à ce que faisaient les femelles, en sus de leur fonction reproductive. Cet élargissement de la base observationnelle a conduit à une réévaluation de leur rôle social. L’importance des stratégies d’alliance entre femelles a alors été établie, ce qui a permis une compréhension plus fine et plus complète de la dynamique sociale des sociétés de primates.
8 Un autre cas d’école nous est fourni par les théories de l’évolution humaine qui ont longtemps privilégié le modèle de l’« homme-chasseur » pour rendre compte de la façon dont des développements anatomiques et comportementaux ont contribué, sous l’effet de la sélection naturelle, à l’évolution des primates d’ordre supérieur jusqu’à l’homme. Dans le modèle androcentrique de l’homme-chasseur, le développement du langage et de l’usage d’outils basiques apparaît comme ayant été sélectionné dans un contexte d’activités de chasse assurées par les hommes. Très populaire dans les années 1960 et 1970, ce modèle s’est progressivement vu opposer, avec l’entrée de scientifiques ayant une conscience féministe, le modèle alternatif de la « femme-cueilleuse » faisant valoir l’importance tout aussi grande d’activités comme la cueillette ou les premières formes d’agriculture, nécessitant elles aussi le langage et le développement d’outils. Et les partisans de ce modèle purent établir qu’il n’était pas moins empiriquement adéquat aux (rares) données empiriques pertinentes, principalement fournies par les fossiles [18].
9 De tels diagnostics de perméabilité aux valeurs contextuelles des résultats mêmes de certaines enquêtes scientifiques sont aujourd’hui l’objet d’un large consensus. Ce qui l’est beaucoup moins, ce sont les remèdes envisageables pour minimiser cette perméabilité, puisque ceux-ci vont dépendre du statut épistémologique accordé à ce type de résultats biaisés.
Statut des cas de résultats biaisés en science
10 Une première option épistémologiquement plutôt conservatrice et parfois désignée par le label « empirisme féministe » consiste à simplement disqualifier ces cas au motif qu’il s’agit de cas de mauvaise science, c’est-à-dire de cas patents de non-respect des canons méthodologiques en vigueur dans une discipline. Les partisans d’une telle option, nombreux dans les rangs des scientifiques féministes, reconnaissent l’importance d’identifier de tels écarts méthodologiques qui rendent possible l’interférence de valeurs contextuelles (en l’occurrence ici sexistes) tout en maintenant la possibilité d’éliminer ou au moins de limiter ces interférences par une meilleure conformation aux bonnes pratiques scientifiques. Autrement dit, l’existence de cas effectifs de biais sexistes en science ne remet pas en cause l’intégrité épistémique de la science, c’est-à-dire sa capacité de principe à s’affranchir de l’influence de valeurs contextuelles.
11 Bien moins épistémologiquement conservatrice est l’option consistant à remettre en question cette capacité : même dans la situation idéale où l’enquête scientifique se conformerait parfaitement aux impératifs usuels de la méthode scientifique, la neutralité des résultats produits n’en serait pas pour autant assurée. Autrement dit, selon ces critiques féministes plus radicales, les cas d’enquêtes scientifiques produisant des résultats biaisés, non neutres, ne peuvent pas toujours être tenus pour des cas de (regrettables) écarts aux normes de bonne pratique scientifique : une « bonne science » néanmoins biaisée est possible. Cette affirmation ne repose pas simplement sur le constat historique de l’existence de cas patents de résultats biaisés relevant néanmoins de la science établie d’une époque. Un tel constat serait insuffisant pour remettre en cause l’idéal de neutralité lui-même : après tout, des écarts aux normes méthodologiques de bonne science peuvent n’être identifiés que rétrospectivement, une fois réalisé un travail d’analyse épistémologique et historique. Plus forte sur le plan argumentatif est la démarche consistant à établir la possibilité théorique d’une bonne science néanmoins biaisée, en se penchant sur les mécanismes de justification et d’acceptation d’hypothèses à l’œuvre dans le travail scientifique. Je vais par la suite me concentrer sur une instance désormais très influente d’une telle démarche, l’empirisme contextuel d’Helen Longino. La raison de ce choix est triple. L’approche de Longino présente tout d’abord à mes yeux le mérite de s’inscrire pleinement dans la tradition empiriste. Les critiques qu’elle formule sont alors celles d’une « insider » en quelque sorte et s’inscrivent de ce fait au cœur même de la philosophie des sciences mainstream [19]. Ensuite, non seulement Longino propose un mécanisme précis de la manière dont opère l’influence de valeurs contextuelles, mais elle en tire aussi des conséquences pratiques sur la façon dont les communautés scientifiques doivent être organisées pour maximiser l’objectivité des résultats produits. Enfin, ses travaux ouvrent un espace possible pour une pratique proprement féministe des sciences au sein même de la tradition empiriste et renouvellent la notion d’objectivité.
L’empirisme contextuel d’Helen Longino [20]
12 Dans son ouvrage désormais de référence, Science as Social Knowledge, Helen Longino propose un mécanisme précis par lequel l’influence de valeurs contextuelles sur le contenu même des sciences est censée opérer. Ce qui est susceptible d’être influencé par des valeurs contextuelles est l’acceptation et la justification d’hypothèses scientifiques. Longino écrit plus précisément la chose suivante : « […] il existe des standards d’acceptabilité rationnelle indépendants d’intérêts ou de valeurs particulières, mais la satisfaction de tels critères par une théorie ou une hypothèse ne garantit pas que la théorie ou l’hypothèse en question soit neutre [21]. » Comment cela est-il possible ? La réponse de Longino repose essentiellement sur l’affirmation selon laquelle la capacité pour des données empiriques de confirmer une hypothèse dépend de suppositions d’arrière-plan (« background assumptions »). Ces suppositions d’arrière-plan peuvent être de différentes natures : il peut s’agir de croyances métaphysiques, de convictions idéologiques, d’hypothèses factuelles non testées, etc. Il ne s’agit donc pas de principes généraux d’inférence mais de croyances inscrites dans un certain contexte à la lumière desquelles on considère qu’une donnée d’observation ou d’expérience constitue une confirmation empirique d’une hypothèse. Longino présente de façon détaillée de nombreux exemples empruntés à la biologie et aux sciences du comportement, mais illustre également sa proposition par le cas simple de l’observation de l’alternance des jours et des nuits sur Terre. En elle-même, nous dit Longino, cette observation ne corrobore aucune hypothèse sur le mouvement de la Terre, en particulier sur sa rotation. Son pouvoir de justification va dépendre de l’adoption d’une hypothèse d’arrière-plan, en l’occurrence l’hypothèse héliocentrique ou l’hypothèse géocentrique. Lorsque l’hypothèse héliocentrique est adoptée, l’alternance jour-nuit corrobore bien l’hypothèse de la rotation de la Terre sur elle-même. Ce qui n’est pas le cas si l’hypothèse géocentrique est adoptée. On pourrait bien sûr faire valoir que l’hypothèse héliocentrique est une hypothèse d’arrière-plan de type factuel, elle-même testable empiriquement. Ce à quoi Longino pourrait répondre que le test d’une telle hypothèse d’arrière-plan mobilise lui-même des hypothèses d’arrière-plan. Nous ne discuterons pas davantage ici cette menace d’une régression infinie [22], car d’autres types hypothèses d’arrière-plan, de nature non factuelle, vont davantage nous intéresser en raison du rôle qu’elles vont jouer dans l’importation de biais sexistes en science. Revenons donc à l’affirmation centrale de Longino selon laquelle la corroboration d’une hypothèse par des données dépend toujours de croyances d’arrière-plan, ce qui a pour conséquence que dans différents contextes, une même donnée peut servir à corroborer des hypothèses différentes. Ce rôle médiateur des croyances d’arrière-plan est alors précisément ce qui ouvre la porte à l’influence de valeurs contextuelles sur le choix de modèles, d’hypothèses ou de théories : « Les croyances d’arrière-plan sont les véhicules par lesquels s’expriment dans l’enquête scientifique valeurs sociales et idéologies qui ainsi s’inscrivent subtilement dans les théories, modèles et hypothèses d’un programme de recherche [23]. »
13 Ainsi, si l’on en revient au cas d’école présenté plus haut, emprunté à la biologie évolutionnaire, Helen Longino souligne que la façon dont les données sont lues diffère selon que l’on se place dans le cadre du modèle de l’homme-chasseur ou dans celui de la femme-cueilleuse. Son diagnostic est plus précisément le suivant : « Chaque perspective présuppose la centralité des changements de comportement (ou “stratégie adaptative”) d’un des sexes dans le processus évolutif de l’espèce entière. Aucune de ces deux suppositions ne ressort de l’examen de fossiles ou des principes de la théorie évolutionnaire. Chacune constitue un exemple d’hypothèse d’arrière-plan guidée par le contexte, qui facilite l’inférence des données aux hypothèses [24]. »
14 Précisons que Longino n’affirme pas qu’il n’existe pas de critère universel d’acceptabilité rationnelle pour une hypothèse scientifique, comme par exemple le critère central de l’adéquation empirique ou celui du pouvoir explicatif. Elle affirme plutôt que des valeurs ou intérêts contextuels viennent supplémenter de tels critères dans le choix de théories. D’où le nom d’« empirisme contextuel » donné à sa thèse : les données observationnelles ou expérimentales restent au fondement des processus de justification en science. Pour autant, on vient de le voir, des valeurs contextuelles, et pas seulement des valeurs épistémiques, interviennent également dans ces processus.
15 On comprend dès lors aussi immédiatement pourquoi il faut renoncer, selon Longino, à l’idéal d’une science neutre. La contextualisation des sciences à travers le rôle de médiation des hypothèses d’arrière-plan est indépassable : on ne saurait s’en affranchir par un meilleur respect des normes méthodologiques traditionnelles, c’est-à-dire des normes réglant la pratique scientifique en vue de maximiser la satisfaction de critères strictement épistémiques. Longino établit ainsi la possibilité théorique de cas de « bonne science » néanmoins biaisés. Pour autant, cette critique de l’idéal de neutralité ne conduit pas à renoncer pour la science à toute prétention à l’objectivité. Elle établit seulement que se limiter à l’identification d’écarts aux normes méthodologiques usuelles est insuffisant pour minimiser les biais en science. Quel meilleur remède peut-on alors proposer pour minimiser ces biais et ainsi maximiser l’objectivité des résultats produits ?
L’idéal de « gestion des valeurs »
16 La proposition d’Helen Longino, désormais centrale dans le paysage de l’épistémologie sociale, découle directement de son empirisme contextuel. Puisque les croyances d’arrière-plan sont le véhicule des biais idéologiques, le remède sera une critique appropriée de ces croyances au sein des communautés scientifiques. Mais n’importe quel processus critique ne va pas faire l’affaire, il faut, nous dit Longino, « des interactions critiques entre scientifiques de différents points de vue, afin d’atténuer l’influence des préférences subjectives sur les croyances d’arrière-plan et donc sur le choix des théories [25] ». Le cas de la primatologie discuté plus haut fournit une illustration directe de cette préconisation : c’est bien lorsque sont entrés dans la discipline des scientifiques ne partageant pas les préjugés sexistes alors dominants à l’époque (et donc dominants aussi parmi les primatologues) que des croyances d’arrière-plan véhicules de biais sexistes sont devenues visibles et ont pu être remises en question. Aux yeux de chercheurs (le plus souvent chercheuses) ayant une conscience féministe, la croyance implicite que seul le comportement des mâles pouvait jouer un rôle déterminant dans la structure et la dynamique sociales des sociétés de primates est en effet apparue comme ce qu’elle était, à savoir une simple transposition d’une répartition des rôles en vigueur dans les sociétés humaines, non fondée empiriquement ou théoriquement.
17 Pour favoriser l’existence au sein des communautés scientifiques d’interactions critiques appropriées, Longino avance quatre normes, certaines reprenant des normes traditionnelles caractérisant les communautés scientifiques : a) il doit exister des forums où les méthodes, raisonnements, preuves observationnelles, etc., puissent être publiquement débattus ; b) il doit exister une réceptivité à la critique ; c) il doit exister des standards publiquement reconnus par référence auxquels les théories, les hypothèses et les données sont évaluées ; d) il doit y avoir égalité d’autorité intellectuelle au sein de cette communauté. Nous allons nous intéresser tout particulièrement à la troisième propriété, car c’est celle-ci qui ouvre la possibilité d’une forme de pratique proprement féministe des sciences.
18 Que contiennent exactement ces standards d’acceptabilité ? Quels types de valeurs sont susceptibles d’entrer en jeu lors d’un examen critique de croyances d’arrière-plan au sein d’une communauté scientifique ? Pour Helen Longino, ces standards d’évaluation font appel, bien sûr, à des valeurs épistémiques, mais peuvent aussi faire appel à des valeurs pragmatiques ou encore à des valeurs sociales ou politiques. Longino admet ainsi – et c’est là un point clé – que « des considérations politiques puissent constituer des contraintes de raisonnement. Ces considérations politiques auront dès lors une influence sur le contenu des résultats scientifiques [26] ». Autrement dit, la réalisation d’un programme politique ou l’adhésion à certaines valeurs sont susceptibles d’intervenir dans le choix d’hypothèses ou de modèles scientifiques, par l’adoption ou la critique des croyances d’arrière-plan. À propos par exemple de certains modèles biologiques du comportement, Longino écrit la chose suivante : « Nos engagements politiques présupposent une certaine compréhension de l’action humaine, de sorte que lorsque nous nous trouvons confrontés à un conflit entre ces engagements et tel ou tel modèle de relation entre cerveau et comportement, nous pouvons admettre que nos engagements politiques guident nos choix [27]. »
19 Il convient ici de bien souligner qu’Helen Longino, en bonne empiriste, prend toujours grand soin de préciser qu’accorder un tel rôle aux engagements politiques au cœur même de la pratique scientifique n’implique aucunement la simple et brute imposition d’idées sur le monde naturel. Les processus de choix entre théories ou hypothèses concurrentes apparaissent plutôt comme des processus à contraintes multiples. Étant donné le rôle des croyances d’arrière-plan dans ces processus, les standards publics d’acceptabilité peuvent incorporer à la fois des valeurs épistémiques et des valeurs contextuelles. À condition, et c’est là un point essentiel dans ce que propose Longino, que de telles considérations puissent être elles-mêmes soumises à la critique entre pairs au sein de communautés scientifiques respectant les conditions d’un débat démocratique.
20 Comme alternative à l’idéal traditionnel de neutralité de la science, qui exclut par principe qu’il soit acceptable qu’interviennent des valeurs contextuelles dans l’élaboration d’un résultat scientifique, Longino propose ainsi ce qui peut être décrit comme une « gestion des valeurs sociales » (« social value management [28] ») : puisque des valeurs contextuelles interviennent inévitablement, autant en prendre acte, les rendre visibles et les soumettre à un débat démocratique. Cette démarche est selon Helen Longino le mieux que l’on puisse faire pour conserver l’ambition d’une science objective : l’intégration démocratique de différentes perspectives et systèmes de valeurs pouvant déboucher sur l’aplanissement en quelque sorte des préférences, préjugés et autres croyances d’arrière-plan d’un groupe dominant au sein d’une communauté scientifique. Pris comme un idéal régulateur alternatif à celui de neutralité, cet idéal de « gestion des valeurs sociales » peut en particulier servir à justifier la demande d’une meilleure représentation des femmes ou des minorités en science, au motif qu’une communauté scientifique plus intégrative remplit davantage les conditions de débat posées par Longino comme nécessaires à la production d’un savoir objectif.
21 La notion d’objectivité ainsi mise en avant s’inscrit dans la continuité d’approches, comme celle de Popper notamment, qui conçoivent l’objectivité comme produit d’une critique intersubjective. Par contraste avec les conceptions traditionnelles de l’objectivité comme « fidélité aux faits » (« the view from nowhere », selon l’heureuse expression de Thomas Nagel [29]) ou comme produit de l’application d’une méthode, l’accent est mis sur la dimension sociale de l’activité scientifique et sur le bénéfice épistémique tiré de la confrontation de plusieurs points de vue, ce qu’Helen Longino appelle une critique transformative. Et si elle propose d’abandonner l’idéal de neutralité, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un idéal dont s’écarteraient sans cesse les pratiques effectives en science, mais parce qu’en tant qu’idéal régulateur, il est moins efficace que l’idéal de « gestion des valeurs sociales » pour minimiser l’influence de valeurs contextuelles en science, en particulier l’influence de valeurs nocives pour les femmes et les minorités, et donc pour maximiser l’objectivité.
22 En tant qu’idéal régulateur, la proposition de Longino ne fait cependant pas l’unanimité auprès des (désormais assez nombreux) philosophes des sciences prônant eux aussi l’abandon de l’idéal de neutralité [30], y compris parmi les féministes. John Dupré doute ainsi que la sphère des pratiques scientifiques soit la sphère la plus appropriée pour confronter démocratiquement plusieurs systèmes de valeurs. Ne faudrait-il pas plutôt, si l’on admet que la science (ou au moins certains de ses domaines) est inévitablement façonnée par des valeurs contextuelles, mener d’abord un débat sur les valeurs impliquées puis ensuite conduire l’enquête scientifique de façon éclairée, en toute connaissance de cause en quelque sorte [31]. Dupré reconnaît néanmoins qu’il s’agit là d’une préconisation faisant preuve d’un optimisme bien irréaliste, mais peut-être quand même moins que l’application des recommandations de Longino en matière de pratiques scientifiques [32].
Empirisme féministe radical
23 Une autre alternative féministe à l’idéal traditionnel de neutralité de la science est apparue assez récemment sous l’étiquette d’« empirisme féministe radical [33] ». Plutôt que de « gérer » démocratiquement les différentes valeurs intervenant au cœur du travail scientifique, comme le préconise l’idéal proposé par Helen Longino, l’idée ici est de sélectionner quelles valeurs doivent intervenir à la lumière des projets scientifiques qui ont eu le plus de succès. Autrement dit, les valeurs désirables en science sont les valeurs que l’on peut identifier comme ayant contribué au succès de programmes scientifiques. La question se pose alors immédiatement de savoir quelle est la nature du succès pris en compte dans cette approche instrumentale. S’agit-il d’un succès uniquement épistémique ? Ou la notion incorpore-t-elle aussi une dimension politique ? Si l’on s’en tient à l’idée de succès épistémique, une telle approche empiriste radicale conduit par exemple à légitimer l’intervention de valeurs féministes au motif qu’une telle intervention permet de révéler certains biais observationnels ou d’inférence et conduit alors à de meilleurs modèles explicatifs (les deux cas d’école exposés plus haut en primatologie et en biologie évolutionnaire illustrant cette idée). Mais on peut attendre davantage de la science que des programmes scientifiques épistémiquement réussis. On peut attendre des programmes scientifiques épistémiquement réussis et socialement et politiquement désirables. Autrement dit, dans une approche féministe, on peut attendre de la science qu’elle produise des connaissances et explications fiables et utiles à l’amélioration de la condition des femmes.
Une science à des fins féministes
24 Cette attente peut paraître à première vue curieuse. Un des apports essentiels des études féministes n’est-il pas justement de révéler les multiples cas historiques ou actuels où la science a produit des résultats servant à justifier des inégalités ? En philosophie des sciences, une telle attente féministe s’inscrit en fait dans un mouvement plus large d’évolution des approches et du périmètre des problèmes à traiter. Rappelons que depuis déjà soixante ans, la philosophie des sciences a été invitée par divers penseurs, parmi lesquels Thomas Kuhn, Paul Feyerabend ou encore Stephen Toulmin, à se préoccuper davantage de la science telle qu’elle se fait. D’où de multiples et fructueux efforts pour, d’une part, « historiciser » la discipline, c’est-à-dire la rendre plus pertinente au regard de l’évolution historique effective de la science et, d’autre part, pour la « socialiser », c’est-à-dire l’inviter à se pencher sur le caractère social des processus cognitifs de l’enquête scientifique [34]. À ces « historicisation » et « socialisation » désormais bien établies dans le paysage de la philosophie des sciences contemporaine s’ajoute, d’une façon pour l’heure plus marginale, un effort pour « sociétiser » la discipline, c’est-à-dire penser le caractère situé de la science dans son contexte social plus large [35]. Les approches féministes contribuent significativement à ce troisième mouvement qui va de pair avec un tournant politique de la philosophie des sciences, amenée à se saisir en particulier de la question de la définition des objectifs de la science, autrement dit de la sélection des problèmes à traiter. Que des valeurs non épistémiques interviennent dans cette phase du travail scientifique ne soulève pas de problème épistémologique particulier : on peut fort bien admettre (comme le faisait déjà Nagel, on l’a vu) que des intérêts et valeurs politiques ou sociales interviennent dans le choix de questions jugées prioritaires sans que les réponses qu’apporte l’enquête scientifique en dépendent. Faire de la question de la définition des objectifs de la science une question politique suppose néanmoins d’abandonner une vision traditionnelle décontextualisée des fins de la science selon laquelle celle-ci vise avant tout à saisir la structure du monde [36], indépendamment de ce que sont, à un moment donné de son histoire, les besoins de la société. Une fois ainsi admis que la science puisse être pilotée à certaines fins contextuelles, il convient alors d’élaborer une vision politique de la façon dont ces fins doivent être définies. Une proposition récente (et simple) de la philosophe féministe des sciences Janet Kourany met en avant la notion de « science socialement responsable », qui présuppose qu’un accord soit possible au sein des communautés scientifiques sur un ensemble de valeurs sociales raisonnables (« sound social values »), choisies de sorte qu’une science pilotée au nom de ces valeurs soit une science en mesure de « répondre aux besoins de la société, y compris ses besoins en termes de justice sociale [37] ». Une telle proposition est cependant loin de faire l’unanimité, même parmi les philosophes d’inclination féministe : les scientifiques sont-ils en mesure de saisir quels sont les besoins de la société, peut-on attendre un consensus à ce sujet [38] ? Sinon qui (et par quels procédés) est en mesure de définir ces besoins dans nos sociétés démocratiques ? Kourany semble adopter en réalité une vision objectiviste de la définition de ces besoins, qui sont alors pour elle ceux définis selon des convictions politiques « libérales » (au sens américain). Mais on peut plutôt (et l’on doit selon moi) préférer une vision non objectiviste, comme le fait Philip Kitcher dans son important ouvrage de 2001, Science, Truth and Democracy, prônant une implication des citoyens dans les choix de politique scientifique : les besoins auxquels l’enquête scientifique doit répondre sont ceux définis à l’issue d’un processus de délibération entre citoyens éduqués (« tutored ») par des experts [39]. Dans une perspective féministe, le défi – et il n’est pas mince – est alors de s’assurer que les intérêts des femmes (et plus largement des minorités) soient bien pris en compte dans de tels processus de délibération.
Mots-clés éditeurs : valeurs, objectifs de la science, objectivité, féminisme
Mise en ligne 02/10/2015
https://doi.org/10.3917/ecopo.051.0041Notes
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[1]
J. Hoffman, entretien, Le Monde, 5 octobre 2011, italique ajouté.
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[2]
Tout au moins de la philosophie des sciences anglo-saxonne, dont il sera question ici, les thèses féministes présentées dans cet article appartenant à cette tradition.
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[3]
H. Longino, « Essential Tensions – Phase Two : Feminist, Philosophical and Social Studies of Science », dans E. McMullin (dir.), The Social Dimension of Science, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1992, p. 200.
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[4]
Le pluriel souligne ici l’existence d’une multiplicité de programmes épistémologiques et politiques relevant d’une démarche féministe. L’objectif n’est pas d’en dresser un panorama exhaustif mais d’exposer quelques-unes des positions les plus influentes au sein de la philosophie des sciences contemporaine sur la question du rôle des valeurs en science.
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[5]
Cette résistance peut même aller jusqu’à l’affirmation de l’impossibilité théorique d’une position féministe. Pour une réfutation d’une telle affirmation souvent ancrée dans la célèbre distinction de Reichenbach entre « contexte de découverte » et « contexte de justification », cf. le stimulant article de R. Giere, « The Feminist Question in the Philosophy of Science », dans L. H. Nelson et J. Nelson (dir.), Feminism, Science and the Philosophy of Science, Kluwert Academic Publisher, Dordrecht, 1996, p. 3-15.
-
[6]
R. Rudner, « The Scientist Qua Scientist Makes Value Judgments », Philosophy of Science, vol. 20, no 1, 1953, p. 1-6.
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[7]
Nous reprenons dans cet article la distinction traditionnelle entre valeurs contextuelles, c’est-à-dire sociales, politiques, culturelles, etc., et valeurs épistémiques, censées constituer des critères objectifs de choix entre théories ou hypothèses en science. Une liste souvent reprise de valeurs épistémiques est celle discutée par Thomas Kuhn dans The Essential Tension, University of Chicago Press, Chicago, 1997. Cette liste comprend les valeurs suivantes : adéquation empirique, consistance interne et consistance externe, simplicité, capacité prédictive et largeur du domaine d’applicabilité. Nous n’évoquerons pas ici, faute de place, les remises en question de la distinction entre valeurs contextuelles et valeurs épistémiques développées dans la littérature féministe. À ce sujet, cf. par exemple la critique d’Helen Longino dans « Cognitive and Non Cognitive Values in Science. Rethinking the Dichotomy », dans L. H. Nelson et J. Nelson (dir.), Feminism, Science and the Philosophy of Science, op. cit., p. 39-58.
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[8]
R. Rudner, art. cité, p. 2, pour cette citation et la suivante. Toutes les traductions sont des traductions personnelles.
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[9]
Ibid., p. 6.
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[10]
E. McMullin, « Values in Science », dans P. D. Asquith et T. Nickles (dir.), Proceedings of the 1982 Biennial Meeting of the Philosophy of Science Association, vol. 1, Philosophy of Science Association, East Lansing, 1983, p. 3-28.
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[11]
H. Douglas, Science, Policy and the Value-Free Ideal, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh, 2009, chap. 3.
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[12]
I. Levi, « Must the Scientist Make Value Judgments ? », The Journal of Philosophy, vol. 57, no 11, 1960, p. 345-357.
-
[13]
Dans son article intitulé « Science and Human Values » (dans C. G. Hempel, Aspects of Scientific Explanation and Other Essays in the Philosophy of Science, The Free Press, New York, 1965, p. 81-96), Carl Hempel reconnaît également que des valeurs sociales ou éthiques peuvent jouer un rôle dans les processus d’acceptation et de rejet d’hypothèses scientifiques en raison du « risque inductif » inhérent aux sciences. Hempel faisait référence, tout comme Rudner, à la possibilité d’erreurs dans ces processus, et aux conséquences éthiques et sociales que peuvent avoir de telles erreurs lorsque les recherches ont des applications pratiques.
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[14]
E. Nagel, The Structure of Science. Problems in the Logic of Scientific Explanation, Hackett Publishing Company, Cambridge, 1979 [1961], p. 485.
-
[15]
Ibid., p. 489.
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[16]
L’emploi du masculin en langue française ne doit pas masquer le fait que la très grande majorité de ces historiens féministes ont été et continuent d’être des femmes. Et il en va de même pour les philosophes féministes.
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[17]
Pour un échantillon de ces études de cas, cf. par exemple L. Schiebinger, Has Feminism Changed Science ?, Harvard University Press, Cambridge, 2001, ou encore l’anthologie E. F. Keller et H. Longino (dir.), Feminism and Science, Oxford University Press, Oxford, 1996.
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[18]
Pour une discussion plus détaillée de ce cas d’étude et des références sur ce thème, cf. par exemple H. Longino, Science as Social Knowledge, Princeton University Press, Princeton, 1990, p. 106-111.
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[19]
Helen Longino écrit en effet que « les données observationnelles et expérimentales constituent le fondement le moins révocable de l’évaluation de théories » (Science as Social Knowledge, op. cit., p. 39).
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[20]
Je reprends ici plusieurs éléments de ma présentation des positions de Longino dans S. Ruphy, « Empiricism All the Way Down. A Defense of the Value-Neutrality of Science in Response to Helen Longino’s Contextual Empiricism », Perspectives on Science, vol. 14, no 2, 2006, p. 189-214, et dans « Unité ou pluralité des sciences, nouvelles questions, nouveaux enjeux », dans T. Martin (dir.), L’unité des sciences aujourd’hui, Vuibert, Paris, 2009, p. 109-120.
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[21]
H. Longino, op. cit., p. 12.
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[22]
Pour une discussion critique de cette ligne argumentative, cf. S. Ruphy, « Empiricism All the Way Down… », art. cité, p. 194.
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[23]
H. Longino, « Essential Tensions… », art. cité, p. 204.
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[24]
H. Longino, op. cit., p. 107.
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[25]
H. Longino, « Cognitive and Non Cognitive Values in Science… », art. cité, p. 40.
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[26]
H. Longino, op. cit., p. 193.
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[27]
Ibid., p. 191.
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[28]
L’expression est par exemple employée par Janet Kourany dans son ouvrage Philosophy of Science after Feminism, Oxford University Press, Oxford, 2010.
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[29]
T. Nagel, The View From Nowhere, Oxford University Press, Oxford, 1989.
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[30]
Pour un panorama des discussions récentes sur le rôle des valeurs en science, cf. par exemple P. Machamer et G. Wolters (dir.), Science, Values, and Objectivity, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh, 2004 ; H. Kincaid, J. Dupré et A. Wylie (dir.), Value-Free Science ? Ideals and Illusions, Oxford University Press, Oxford, 2007 ; M. Carrier et A. Nordmann (dir.), Science in the Context of Application, Springer, Dordrecht, 2011.
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[31]
J. Dupré, « Comments on Philosophy of Science after Feminism, by Janet Kourany », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 316.
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[32]
Cf. par exemple la critique de Janet Kourany dans son ouvrage Philosophy of Science after Feminism, op. cit., chap. 3.
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[33]
L’expression est proposée par Miriam Solomon dans « Socially Responsible Science and the Unity of Values », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 331-338.
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[34]
De bons exemples de cet effort sont M. Solomon, Social Empiricism, MIT Press, Cambridge, 2001 ; H. Longino, Science as Social Knowledge, op. cit. ; et H. Longino, The Fate of Knowledge, Princeton University Press, Princeton, 2002.
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[35]
J’emprunte ces trois expressions (to « historicize », to « socialize », to « societize » philosophy of science) à J. Kourany, « Getting Philosophy of Science Socially Connected », Philosophy of Science, vol. 73, no 5, 2006, p. 991-1002.
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[36]
Pour une présentation plus approfondie et une mise en perspective historique et critique d’une vision décontextualisée des fins de la science, cf. P. Kitcher, Science, Truth, and Democracy, Oxford University Press, Oxford, 2001, chap. 6, trad. fr. S. Ruphy : Science, vérité et démocratie, PUF, Paris, 2010.
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[37]
J. Kourany, Philosophy of Science after Feminism, op. cit., p. 68.
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[38]
K. Rolin par exemple développe cette ligne de critique dans « A Feminist Approach to Values in Science », Perspectives on Science, vol. 20, no 3, 2012, p. 320-330.
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[39]
Cet idéal de « science bien ordonnée » est exposé par Philip Kitcher au chapitre 10 de son ouvrage, Science, vérité et démocratie, op. cit.