Notes
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[1]
Ainsi faut-il par exemple intégrer à la définition romaine de l’hospitalité (hospitium), au moins à la période classique, les notions de sélection et de réseau ; voir, par exemple, au sein d’une large bibliographie, Deniaux [1993] ; Nicols [2001] ; Balbín Chamorro [2006].
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[2]
De Jaucourt, 1751-1772, cité in Boudou [2017, p. 13]. Cet article de l’Encyclopédie est repris dans ce numéro de la Revue du MAUSS.
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[3]
Contre ce postulat, soulignons que l’existence d’établissements commerciaux destinés à l’accueil des voyageurs est au contraire attestée tout autour de la Méditerranée antique, et ce au moins dès les âges mésopotamiens.
-
[4]
Deleixhe [2016] ; Boudou [2017] ; Stavo-Debauge [2017] ; Agier [2018] ; Brugère et Le Blanc [2018]. Ce phénomène ne se limite aucunement au domaine francophone : on citera ainsi, parmi bien d’autres références, Baker [2013] ; Bulley [2017] pour le monde anglophone ; Marocci et Rovitto [2015] en Italie ; ou encore Friese [2014] en Allemagne.
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[5]
Avec comme exception majeure les approches de l’hospitalité nourries par l’anthropologie, parmi lesquelles celles de Marcel Mauss dans l’Essai sur le don [1993] ou de Arnold Van Gennep dans son étude des rites de passage [2011 (1909)].
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[6]
Après Peyer [1983 ; 1987], voir, entre autres, Roche [2000] ; Montandon [2001, 2004] ; Arterbury [2005] ; Hiltbrunner [2005]; Congourdeau [2018]. Comme pour d’autres champs scientifiques, on assiste actuellement à un nouvel essor international de l’histoire de l’hospitalité, qui donnera lieu à un enrichissement considérable de la bibliographie dans les années à venir.
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[7]
Ainsi Derrida et Dufourmantelle [1997] ou Ricœur [1998] doivent-ils être replacés dans le contexte de la crise française des sans-papiers et de la création d’un « délit d’hospitalité » au milieu des années 1990 ; Anne Gotman [2001] verse une part importante de ses réflexions à l’analyse de l’accueil des réfugiés kosovars et à celle des centres d’aide aux malades du Sida à la fin des années 1990 ; l’approche de l’hospitalité que développe René Schérer doit également être lue à la lumière de ses travaux sur la sexualité et sa transgression à l’époque contemporaine [2005 (1993)] ; quant aux travaux de la décennie 2010, ils sont profondément marqués par la détresse des réfugiés en Méditerranée.
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[8]
Schérer [2005 (1993), p. 24-25] ; Gotman [2001, p. 34].
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[9]
Voir de même Gotman [2001], p. 52-53 au sujet de la Grèce.
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[10]
Gotman [2001, p. 15-17] introduit en outre une référence, plus tardive, à l’accueil des voyageurs dans le Coran.
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[11]
Voir aussi Boudou [2017, p. 87].
-
[12]
Les auteurs de la période moderne témoignaient déjà d’un grand intérêt pour ces marqueurs antiques de l’hospitalité du fait de leur force symbolique, ce dont témoigne par exemple la notice de L. de Jaucourt dans l’Encyclopédie, reproduite dans ce numéro. Sur les tessères d’hospitalité et l’évolution de leur typologie, voir par exemple Étienne, Le Roux et Tranoy [1987] ; Balbín Chamorro [2006].
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[13]
Gotman [2001], notamment sa première partie : « L’hospitalité, la communauté et ses étrangers ».
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[14]
Sur ces différents points, la bibliographie historique est innombrable. Pour une première synthèse, on renverra à Hiltbrunner [2005] ; Fauchon-Claudon et Le Guennec (à paraître).
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[15]
Brugère et Le Blanc [2018, p. 201-202], dont les interprétations demanderaient toutefois ici à être nuancées.
« Cette tradition des lois de l’hospitalité, en sommes-nous les héritiers ?
Jusqu’à quel point ? Où situer l’invariant, s’il en est un, à travers cette logique et ces récits ?
Ils témoignent à l’infini dans notre mémoire. »
Introduction
1À l’époque moderne, l’hospitalité se constitue en objet d’étude dans le cadre d’une réflexion plus large, économique autant que politique et philosophique, sur le développement des circulations humaines et sur l’évolution du rapport aux étrangers face à l’émergence de l’État souverain. Au sein des travaux qui participent de ce processus épistémologique entre les Lumières et le début du xxe siècle, le discours sur l’histoire de l’hospitalité, et notamment la référence à l’« Antiquité » – qui désigne, sous la plume des auteurs modernes, les contextes grec, romain, gréco-romain et/ou juif et judéo-chrétien anciens, ou, plus largement, les différentes aires culturelles du bassin méditerranéen antique –, occupe une place majeure [Boudou, 2017]. L’évocation du souvenir de l’hospitalité telle qu’elle aurait été pratiquée en Méditerranée et en Europe en ces temps reculés vise d’abord à marquer le caractère universel, au moins aux stades premiers de son histoire, de cet accueil non stipendié de l’homme par l’homme ; c’est en effet ainsi que l’on définira a minima l’hospitalité, même si, d’une part, les modernes intègrent fréquemment à leur conception de l’« hospitalité antique » d’autres valeurs, telles la générosité de l’hôte accueillant ou la protection offerte à l’étranger au nom d’un devoir religieux, d’un impératif moral ou d’un contrat juridique, et même si, d’autre part, cette définition n’est pas suffisante pour rendre compte de manière précise des différents types d’hospitalité attestés historiquement dans l’Antiquité méditerranéenne [1]. Au sein de ce continuum historique, les périodes anciennes du monde grec, de Rome ou encore du Proche-Orient, sont en outre célébrées en ce qu’elles auraient vu cette forme d’accueil à son paroxysme et, surtout, sa transformation en acte consacré et en idéal culturel, là où le temps présent aurait pour sa part oublié cette « vertu d’une grande âme, qui tient à tout l’univers par les liens de l’humanité [2] ».
2De fait, l’éloge de l’hospitalité antique à l’époque moderne ne va pas sans le constat de sa disparition, attribuée par les philosophes et les encyclopédistes à l’évolution des conditions socio-économiques et politiques de la mobilité humaine à travers l’histoire. Joseph Romain Joly suggère par exemple, dans son Dictionnaire de morale philosophique, que « l’établissement des auberges en Europe a fait tomber l’hospitalité [3] » [Joly, 1771, s. v. « Hospitalité », cité par Boudou, ibid., p. 14]. La désuétude de cette hospitalité antique, voire de l’hospitalité tout court, ce « sentiment de déclin » [Gotman, 2001, p. 25] serait dès lors le corollaire, regrettable ou heureux selon les auteurs, mais en tout cas inéluctable, de cette modernité nouvelle :
Cette histoire de l’hospitalité, particulièrement prégnante dans l’Europe du xviiie siècle, raconte l’expérience vécue d’une certaine modernisation des rapports humains en mettant en tension la vertu contre l’intérêt, la bienfaisance contre le commerce, la tradition contre l’universel, les droits des citoyens contre les devoirs des Hommes. […] On réactive les sens passés de l’hospitalité, à la fois pour se désoler de leur disparition, mais aussi pour marquer le passage à la modernité. Le monde tel qu’il est, dit-on, ne peut plus être comme avant : l’hospitalité a disparu parce qu’elle n’est plus utile, les conditions sociales de sa pratique se sont transformées. Et de ce constat découlent à cette époque une nostalgie pour une vertu perdue, mais également la valorisation d’une certaine idée du progrès : on ne pourra plus revenir en arrière, sauf à vouloir également se « dé-civiliser ». La modernité a un prix, ne reste qu’à rendre hommage aux vertus qui ont été sacrifiées.
4Il me semble intéressant de prolonger vers des périodes plus récentes cette réflexion sur le sens des références modernes à l’hospitalité antique. Dans un contexte international marqué par les drames des déplacements contraints d’individus et de populations, par le durcissement des politiques migratoires, par le sentiment d’urgence de l’accueil qui les accompagne, mais aussi par une certaine ouverture au monde liée, par exemple, à la démocratisation du transport aérien et à l’essor des nouvelles technologies, qui offrent comme une nouvelle jeunesse au sentiment du cosmopolitisme mais qui en exacerbent dans le même temps les tensions, on assiste en effet depuis une trentaine d’années à un retour de l’hospitalité dans le discours politique, civil et scientifique [Boudou, ibid., p. 12-13 ; Gotman, 2001, p. 42-45]. Les sciences humaines et sociales se sont ressaisies à date récente de cette notion [4], qui avait quelque peu disparu des champs d’intérêt disciplinaires dans le courant du xxe siècle [5] : l’attention des historiens pour cette pratique d’accueil à différentes époques de son existence va par exemple croissant [6]. Or les auteurs qui contribuent à ce renouvellement historiographique continuent fréquemment de convoquer l’hospitalité antique à l’appui d’un discours sur l’accueil tourné, tout comme au siècle des Lumières, vers les enjeux du temps présent [7].
5Cet article entend proposer quelques observations, qui ne visent naturellement pas à l’exhaustivité, sur les formes et les significations de la référence à l’Antiquité dans le traitement actuel de l’hospitalité au sein des sciences humaines et sociales. Je m’appuierai dans cette perspective sur un petit corpus de traités et d’essais, parus en France entre la dernière décennie du xxe siècle et les deux premières du xxie siècle, qui apparaissent représentatifs de ce retour à l’hospitalité : à savoir Derrida et Dufourmantelle [1997] et Schérer [2005 (1993)] pour la philosophie éthique ; Gotman [2001] pour la sociologie ; Boudou [2017] pour la science politique ; Brugère et Le Blanc [2018] pour la philosophie politique. Le choix des textes à étudier n’obéit à aucun critère spécifique, sinon à une volonté de varier les disciplines. J’ai toutefois exclu les ouvrages relevant de l’histoire générale ou périodique, dans la mesure où je m’intéresse ici à la réception et à l’imaginaire de l’hospitalité antique à la période contemporaine davantage qu’aux orientations récentes de son étude historique. Il ne s’agit pas non plus, dans les propos qui suivent, de discuter de la validité des considérations retenues, dont on soulignera qu’elles témoignent dans leur ensemble d’une bonne connaissance des sources anciennes et d’un recours fréquent à la bibliographie spécialisée. Travaillant sur l’accueil dans la Méditerranée antique, et plus particulièrement sur l’hospitium romain, j’ai plutôt voulu assouvir une certaine curiosité en m’interrogeant sur ce qui, dans les différentes formes d’hospitalité associées à l’Antiquité et dans les discours antiques sur cette hospitalité, est aujourd’hui encore susceptible de retenir l’attention des chercheurs.
Des références historiques partagées
6La présence des périodes anciennes dans les cinq ouvrages soumis à l’enquête n’est pas, on s’en doute, d’un seul tenant. Parmi un ensemble relativement varié de références à l’hospitalité dans l’Antiquité méditerranéenne, certaines thématiques et certains corpus documentaires apparaissent toutefois particulièrement privilégiés au sein du corpus d’étude.
7Y domine d’abord l’hospitalité homérique, telle qu’elle est dépeinte dans les scènes types de l’Iliade et, surtout, de l’Odyssée [Reece, 1993]. L’Odyssée, narrant le long retour d’Ulysse vers son île d’Ithaque après la guerre de Troie, se prête à une réflexion sur l’accueil de l’étranger identifié à l’errant, tandis que l’Iliade exalte pour sa part davantage une hospitalité aristocratique, née de pactes héréditaires entre familles. Certains épisodes du périple d’Ulysse sont plus spécifiquement exploités par plusieurs auteurs : l’accueil qui lui est prodigué par Nausicaa et les Phéaciens (chants VI, VII, VIII et XIII) illustre l’assistance au naufragé ; l’affrontement avec le cyclope Polyphème (chant IX) représente l’inhospitalité et la rupture du pacte d’accueil dans ce qu’elles ont de plus cruel ; la rencontre à Ithaque d’Ulysse déguisé en mendiant avec le porcher Eumée (chant XIV), qui lui offre l’hospitalité sans reconnaître son maître, incarne l’aide bienfaisante et désintéressée à l’inconnu dans le besoin. René Schérer fait un usage particulièrement riche de ce récit fondateur, dans la mesure où, selon lui, « chacun des vingt-quatre chants de l’Odyssée est consacré à une hospitalité au moins », conférant « aux temps héroïques de la Grèce un rehaut exceptionnel » pour l’exaltation de l’accueil hospitalier [Schérer, 2005 (1993), p. 158]. Plus largement, l’hospitalité homérique est conçue, dans les ouvrages du corpus d’étude, comme une forme d’idéal, voire d’idéal-type, où les « règles strictes du droit grec » sont « sublimées par la fiction d’Homère » [Brugère et Le Blanc, 2018, p. 49]. En cela, d’ailleurs, les auteurs contemporains se montrent les héritiers des hommes de l’Antiquité, qui continuent sur le temps long de renvoyer aux poèmes d’Homère pour évoquer l’hospitalité : ainsi, au vie siècle apr. J.-C. à Apamée de Syrie, un aristocrate choisissait-il encore d’orner une des salles de l’appartement d’hôtes de sa demeure de deux vers de l’Odyssée célébrant le xenos et son accueil (Odyssée, 1, 123-124) [Balty, 1997 ; Morvillez, 2002].
8La deuxième référence retenue par la majorité des ouvrages est celle de la tragédie grecque classique (ve siècle av. J.-C.) et, plus précisément, du cycle thébain (en particulier Antigone et Œdipe à Colone de Sophocle) et des Suppliantes d’Eschyle. La découverte de ces textes permet notamment d’aborder les questions de l’asile offert à l’étranger, exilé, fugitif ou réprouvé, et du conflit possible entre les lois de la cité et celles de l’éthique à l’arrivée de ce dernier : il s’agit d’un des fils rouges de la démonstration de Jacques Derrida, avec la figure du xenos chez Platon [Derrida et Durfourmantelle, 1997, passim].
9De fait, toujours pour le contexte de la Grèce des cités, la philosophie politique et éthique classique est également bien représentée, sous la forme de renvois au corpus platonicien – spécifiquement aux dialogues socratiques et surtout à la République et aux Lois, au sujet de la place réservée aux étrangers dans la cité idéale de Platon [8] – ainsi que, plus ponctuellement, à l’Aristote de l’Éthique à Nicomaque et des Politiques, notamment chez René Schérer et Benjamin Boudou. Outre leur importance pour concevoir et historiciser l’hospitalité, le rappel de ces textes fondamentaux de la philosophie occidentale s’explique naturellement par le statut qui est le leur au sein des champs disciplinaires pris en considération dans cet article.
10Les ouvrages du corpus font un usage important de l’analyse du vocabulaire grec et latin de l’hospitalité (en particulier du xenos grec et du couple hostis/hospes en latin), qui permettent de penser par la sémantique les différences de rapport à l’étranger et à son accueil entre contextes grec et romain, en mobilisant dans cette optique les travaux d’Émile Benveniste [1969]. Jacques Derrida s’appuie sur les réflexions du linguiste pour forger le concept d’« hostipitalité », largement repris dans la bibliographie ultérieure :
Nous avions longuement élaboré et interrogé ces limites, et nous nous sommes posé un certain nombre de questions – à partir mais aussi au sujet des interprétations de Benveniste, notamment à partir des deux dérivations latines : l’étranger (hostis) accueilli comme hôte ou comme ennemi. Hospitalité, hostilité, hostipitalité. Comme toujours, les lectures de Benveniste nous avaient paru aussi précieuses que problématiques, n’y revenons pas ici.
12Enfin, dernière référence convoquée à l’échelle de l’ensemble du corpus, pour laquelle le rapport à l’Antiquité prend un sens différent : celle aux Écritures et, en premier lieu, à l’Ancien Testament, avec la prééminence donnée au cycle d’Abraham (Genèse), autour d’épisodes tels que l’hospitalité au chêne de Mambré (Gen. 18) ou l’hospitalité de Loth à Sodome (Gen. 19) ; et, pour le Nouveau Testament, à l’impératif d’hospitalité formulé par le Christ à travers l’Évangile selon Matthieu ou la parabole du bon Samaritain (Luc 10:25-37). Outre l’aura sacrée qu’ils confèrent à l’hospitalité (voir infra), ces textes permettent de penser le passage de l’étranger au prochain, essentiel pour rendre compte de la conception chrétienne de l’hospitalité [Schérer, 2005 (1993), p. 32-35 ; Boudou, 2017, p. 87].
Visions contemporaines sur l’hospitalité de la Méditerranée antique
13De manière plus synthétique, quels sont les aspects associés à ces formes d’hospitalité qui retiennent particulièrement l’attention des auteurs ? Quatre points me semblent pouvoir être ici mis en relief, dont le traitement et l’assise documentaire ne sont pas nécessairement homogènes d’un auteur à l’autre.
14D’abord, en écho aux considérations modernes pointées en introduction de cet article, l’Antiquité méditerranéenne est considérée comme une période où l’hospitalité aurait été pratiquée et révérée par tous, au nom de l’accueil spontané et libéral dû à l’étranger et de l’importance conférée au don d’hospitalité. Ainsi que l’écrivent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc [2018, p. 13], « toutes les civilisations anciennes s’accordaient pourtant sur un point : faire de l’étranger un hôte [9] ». Au-delà du seul accueil, cette valeur de l’hospitalité antique est associée aux idées de libéralité et de générosité : festins et présents reviennent fréquemment dans l’imaginaire de la xenia grecque ou de l’hospitium romain, non sans fascination pour ce passé révolu :
Il y flotte de tout, mêlé aux points lumineux qui servent de boussole et orientent : l’antique hospitalité des festins et de leurs fastes, le fumet des viandes rôties, le vin débordant des hanaps, le lavement des pieds poudreux, les bains parfumés, les présents d’arrivée et de départ, les coupes d’argent incrustées de pierreries. Une magnificence que chacun, quelque part en lui-même, ambitionne et s’efforce de singer, avec ses faibles moyens, nouveau Trimalcion, autre Apicius.
16Dans ce passage, René Schérer convoque l’hospitalité de table des élites du Haut Empire romain. Ailleurs, ce sont les banquets et les dons homériques qui servent de référent [ainsi Schérer, ibid., p. 158-160 ; Gotman, 2001, p. 147-148] : les temps héroïques dépeints par Homère semblent du reste conçus comme le triomphe de cette munificence, avant la transformation qu’aurait fait subir à l’hospitalité son institutionnalisation dans le cadre de la cité grecque, puis romaine (voir infra).
17Un deuxième regard récurrent sur l’hospitalité dans la Méditerranée antique consiste dans le caractère sacré qui lui est attribué, autant au sujet des contextes polythéistes de la Grèce et de Rome que pour les monothéismes juifs et chrétiens [10]. La sacralisation de l’hospitalité passe par de multiples allusions aux tutelles divines qui lui sont assignées dans les civilisations du bassin méditerranéen antique. Cette dimension est particulièrement présente dans l’ouvrage de René Schérer, dont le titre même (Zeus hospitalier. Éloge de l’hospitalité) constitue l’évocation directe du Zeus Xenios grec ; c’est de même à Zeus que sont confiés, par l’intermédiaire de la prosopopée de l’Hospitalité, les derniers mots de l’essai [Schérer, ibid., p. 266]. Le philosophe teinte cette protection divine d’une nuance de merveilleux, en déployant le motif ancien de la théoxénie, de l’hospitalité dispensée aux divinités en visite dans le monde des hommes, qui est attesté dans la plupart des mythologies européennes [ibid., p. 155-157 [11]]. Les prescriptions religieuses des monothéismes anciens en matière d’hospitalité sont également décrites en détail par plusieurs auteurs du corpus ; et si le De l’hospitalité se structure autour du contexte grec classique, c’est sur un renvoi à l’Ancien Testament que se clôt la seconde leçon de Jacques Derrida retenue par Anne Dufourmantelle : l’épisode de Loth à Sodome vient en effet appuyer une réflexion sur l’effacement possible des lois de la morale traditionnelle face à l’impératif universel de la Loi de l’hospitalité [Derrida et Dufourmantelle, 1997, p. 133-137].
18Le troisième aspect retenu paraîtra sans doute en dissonance avec les deux précédents, et il l’est pour partie : il s’agit de la dimension (inter)personnelle de l’hospitalité dans la Méditerranée antique. Cette dimension est notamment associée aux pactes d’hospitalité individuels et familiaux qui, dans les contextes grecs et romains, donnaient naissance à une hospitalité héréditaire, ainsi qu’aux échanges d’objets qui en scellaient la conclusion. Outre les cadeaux d’hospitalité, sont mentionnés à plusieurs reprises les symbola grecs et les tesserae hospitales romaines. Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc en évoquent une des formes les plus frappantes, mais aussi parmi les plus anciennes, celle d’un objet brisé en deux dont la réunion des moitiés permet aux hôtes et à leurs descendants de se reconnaître et de réactiver la relation d’hospitalité [12] :
La tessère d’hospitalité, pierre ou objet coupé en deux, attribué respectivement à l’accueillant et à l’accueilli, est plus qu’un symbole du lien qui fait dire à deux guerriers adversaires dans l’Iliade que, désormais, ils s’éviteront sur les champs de bataille. Elle fonctionne comme un contrat juridique et possède une valeur pour toute la société.
20Anne Gotman [2011, p. 54] interprète pour sa part ces objets comme des dispositifs de contrôle empêchant les impostures. Cette personnalisation de l’hospitalité pose toutefois problème à certains auteurs du corpus d’étude, dans la mesure où elle peut sembler en contradiction avec la spontanéité et le caractère sacré de l’accueil de l’étranger qui aurait caractérisé l’Antiquité méditerranéenne, en particulier dans ses périodes les plus reculées ; de plus, l’hospitalité interpersonnelle semble davantage conçue dans cette perspective comme une valeur aristocratique, voire comme une relation de pouvoir, où le don d’accueil se transforme en échange agonistique. Cet aspect est alors relativisé par René Schérer, qui remarque que, dans le corpus homérique, on accueille l’étranger sans lui demander immédiatement son nom, et que l’on attend pour ce faire qu’il ait bu et mangé [Schérer, 2005 (1993), p. 158] ; à l’inverse, toujours sur la base de l’Odyssée, Anne Gotman [2001, p. 53] souligne que « si, dans la Grèce antique et dans maintes traditions, l’hospitalité est due à quiconque se présente sur le seuil nonobstant ses qualités, les vérifications d’identité interviennent aussitôt après ». On le voit, la divergence porte ici moins sur la compréhension de cette dimension personnelle, qui se révèle peu ou prou similaire chez les deux auteurs, que sur la manière dont elle est intégrée à un discours plus global sur l’hospitalité, portant, chez Anne Gotman, sur la méfiance que suscite communément le nouveau venu, et, chez René Schérer, sur le respect dû au mystère de son arrivée (aduentus).
21Enfin, un dernier élément associé à l’hospitalité dans l’Antiquité méditerranéenne est traité de manière plus dialectique : il s’agit du rapport de cette forme d’accueil à l’institution. Ce point est sans doute davantage plurivoque que ceux qui ont été abordés jusqu’ici ; il est aussi celui qui apparaît le plus ouvert à l’éclairage de l’historien. Dans le corpus d’étude, le lien aux institutions peut être lu sous l’angle des normes et des codes juridiques, sociaux et/ou religieux qui encadrent la pratique de l’hospitalité [13] ; du rapport de l’hospitalité au régime politique dans lequel elle se développe (ainsi son évolution face à l’émergence de la cité grecque est-elle pensée par plusieurs auteurs) ; de la place qu’elle occupe au sein des dispositifs diplomatiques et juridiques qui président aux relations interétatiques [Boudou, 2017, p. 81-82] ; ou encore, de son institutionnalisation, en particulier lorsque l’hospitalité est confiée à des institutions (dans le sens d’établissements) publiques, commerciales ou religieuses dédiées à l’accueil, qu’il s’agisse de celui des hôtes de l’État, des voyageurs, des pauvres, des malades ou encore des fidèles [notamment Schérer, 2005 (1993), p. 20-21] [14]. Ces approches variées du phénomène peuvent être ramenées, dans la pensée des différents auteurs, à une interrogation sur l’équilibre des rapports entre public et privé dans la conception de l’hospitalité à différentes périodes de son histoire : la terminologie latine, qui distingue entre « hospitium priuatum » et « publicum », est notamment convoquée à plusieurs reprises en ce sens (même si les transpositions par hospitalité publique et privée sont en réalité réductrices).
22Il est intéressant de constater que, loin d’être jugée consubstantielle de l’hospitalité dans la Méditerranée antique, cette entrée dans l’institution est considérée comme le fruit d’une évolution historique, attribuée à l’action des cités grecques [15] et surtout de Rome, qui aurait contribué à fondre l’hospitium dans le droit international [en particulier Boudou, 2017, p. 81-82]. L’Antiquité tardive aurait ensuite constitué un stade décisif du processus menant à l’institutionnalisation de l’hospitalité, qui aurait connu un premier aboutissement dans l’émergence, au nom de la charité chrétienne, de lieux d’assistance puis d’hôpitaux [Gotman, 2001, p. 409-410 ; Boudou, 2017, p. 87-126]. René Schérer est au sein du corpus d’étude celui qui donne le plus d’amplitude à cette lecture historique, qu’il restitue pour sa part comme un processus de pervertissement sonnant le glas de l’hospitalité des premiers temps, et, bientôt, de l’hospitalité tout court. Contre l’hospitalité « exsangue, affadie, contractée en structures rigides » des institutions [Schérer, 2005 (1993), p. 21], il invite alors à un retour à une hospitalité dictée par la loi du cœur, celle qu’il associe aux temps archaïques, au stoïcisme et au premier christianisme :
Réactivation d’une valeur oubliée et refoulée aussi bien par le clergé juif que par l’administration étatique de Rome.
24À l’inverse, selon Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, c’est justement en tant qu’elle est institutionnelle que l’hospitalité de l’Antiquité (et surtout, pour les auteurs, celle du Moyen Âge, qui avait vu l’apparition des hôpitaux) peut être ressaisie par l’époque contemporaine, au nom d’un indispensable réalisme :
À la magnificence solitaire de l’hospitalité de la maisonnée, toujours comprise comme cet âge d’or perdu, il nous faut préférer une hospitalité impersonnelle, rendue possible par la création d’hôpitaux. Le réalisme de l’hospitalité soutient qu’à tout prendre l’hôpital y vaut mieux que la maison.
Revenir à l’antique ?
26Le rapprochement de ces deux passages est important, car il permet d’introduire une dernière réflexion, sur laquelle je souhaiterais clore ce bref tour d’horizon. On le voit, les sciences humaines et sociales contemporaines tirent pleinement parti de l’« accumulation de sens » [Boudou, 2017] qui imprègne l’hospitalité du fait de son épaisseur historique : mais pourquoi, au fond, un tel recours aux références anciennes dans des ouvrages qui doivent être lus en fonction des enjeux les plus immédiats et les plus cruciaux du temps présent ?
27Les différents textes pris en considération obéissent à une visée commune : ils prônent un retour à l’hospitalité comme réponse aux défis de l’accueil de l’étranger qui s’offrent à nos sociétés contemporaines. Dans cette perspective, le souvenir de son importance passée peut constituer un argument d’autorité, d’autant plus fort lorsque les contextes géographiques évoqués sont identiques (la Méditerranée d’alors et d’aujourd’hui) et du fait de la place occupée par une certaine idée de l’hospitalité antique, généreuse et sacrée, dans l’imaginaire et les croyances du monde contemporain. Toutefois, il ne s’agit pas simplement, dans ces ouvrages, de remémorer avec nostalgie un passé révolu pour encourager les hommes du temps présent à s’ouvrir à l’hospitalité. Les auteurs du corpus vont plus loin, en conférant une réelle actualité aux pratiques et aux discours hospitaliers des périodes anciennes, qui les rendrait pertinents pour penser le présent et/ou pour agir sur lui. Comme on l’a vu en rapprochant les propos de René Schérer de ceux de Fabienne Brugère et de Guillaume Le Blanc, cette réactualisation de l’Antiquité peut toutefois porter sur des aspects distincts et parfois opposés, en fonction de la démonstration propre à chaque auteur. On aurait alors beau jeu de repousser cet appel à l’Antiquité comme un simple artifice rhétorique ou comme le regret d’un âge perdu, voire jamais advenu, qui n’aurait de rapport à la modernité que ce que la pensée contemporaine veut y placer. Le risque d’une telle démarche, où la référence historique est mise au service d’un discours politique ou éthique orienté vers le temps présent, est en outre de réifier pour partie les pratiques hospitalières des aires culturelles de la Méditerranée, en gommant leurs diversités, leurs évolutions et leurs nombreuses parts d’ambiguïté et d’ombre.
28De mon point de vue d’antiquisante, si les différentes manifestations de l’hospitalité méditerranéenne aux périodes anciennes apparaissent malgré tout susceptibles de contribuer aux débats du temps présent, c’est en ce qu’elles constituaient un cadre puissant, et reconnu comme tel, de régulation de l’autre, le plus souvent identifié à l’étranger. En me référant ici plus directement à ma connaissance de l’hospitium romain classique (mais cette observation vaudrait pour d’autres espaces de la Méditerranée antique), ce cadre avait pour spécificité d’impliquer dans une même pratique, en tant qu’hôtes accueillis ou accueillants, tant des particuliers (individus ou familles) que des acteurs officiels (magistrats, assemblées ou représentants variés du peuple romain, des communautés locales ou des peuples étrangers). Intervenaient de ce fait conjointement dans la prise en charge de l’étranger (non sans heurts parfois, mais avec une indéniable souplesse) des sphères que les sociétés contemporaines ont tendance pour leur part à isoler nettement, en distinguant, et plus souvent encore en opposant, les cadres légaux de l’accueil contrôlés par les État ou les instances internationales et une hospitalité pour sa part informelle, et parfois considérée comme illégale, qui apparaît du ressort des personnes privées et de la société civile. Le rappel du précédent romain peut-il dès lors fournir des éléments pour contourner cette pierre d’achoppement et parvenir à une collaboration plus directe entre acteurs publics et privés sous la bannière de l’accueil hospitalier ? Je ne suis pas certaine qu’on puisse jamais lui reconnaître une telle influence. Mais à tout le moins ces quelques considérations plaident-elles en faveur d’un dialogue toujours plus étroit entre l’histoire et les autres sciences humaines et sociales, au service d’une réflexion sur les sens et les mutations de l’hospitalité à travers le temps, indispensable pour mieux en saisir la part d’actualité pragmatique et conceptuelle.
Références bibliographiques
- Agier Michel, 2018, L’étranger qui vient : repenser l’hospitalité, Seuil, Paris.
- Arterbury Andrew E., 2005, Entertaining Angels : Early Christian Hospitality in its Mediterranean Setting, Sheffield Phoenix Press, Sheffield.
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Notes
-
[1]
Ainsi faut-il par exemple intégrer à la définition romaine de l’hospitalité (hospitium), au moins à la période classique, les notions de sélection et de réseau ; voir, par exemple, au sein d’une large bibliographie, Deniaux [1993] ; Nicols [2001] ; Balbín Chamorro [2006].
-
[2]
De Jaucourt, 1751-1772, cité in Boudou [2017, p. 13]. Cet article de l’Encyclopédie est repris dans ce numéro de la Revue du MAUSS.
-
[3]
Contre ce postulat, soulignons que l’existence d’établissements commerciaux destinés à l’accueil des voyageurs est au contraire attestée tout autour de la Méditerranée antique, et ce au moins dès les âges mésopotamiens.
-
[4]
Deleixhe [2016] ; Boudou [2017] ; Stavo-Debauge [2017] ; Agier [2018] ; Brugère et Le Blanc [2018]. Ce phénomène ne se limite aucunement au domaine francophone : on citera ainsi, parmi bien d’autres références, Baker [2013] ; Bulley [2017] pour le monde anglophone ; Marocci et Rovitto [2015] en Italie ; ou encore Friese [2014] en Allemagne.
-
[5]
Avec comme exception majeure les approches de l’hospitalité nourries par l’anthropologie, parmi lesquelles celles de Marcel Mauss dans l’Essai sur le don [1993] ou de Arnold Van Gennep dans son étude des rites de passage [2011 (1909)].
-
[6]
Après Peyer [1983 ; 1987], voir, entre autres, Roche [2000] ; Montandon [2001, 2004] ; Arterbury [2005] ; Hiltbrunner [2005]; Congourdeau [2018]. Comme pour d’autres champs scientifiques, on assiste actuellement à un nouvel essor international de l’histoire de l’hospitalité, qui donnera lieu à un enrichissement considérable de la bibliographie dans les années à venir.
-
[7]
Ainsi Derrida et Dufourmantelle [1997] ou Ricœur [1998] doivent-ils être replacés dans le contexte de la crise française des sans-papiers et de la création d’un « délit d’hospitalité » au milieu des années 1990 ; Anne Gotman [2001] verse une part importante de ses réflexions à l’analyse de l’accueil des réfugiés kosovars et à celle des centres d’aide aux malades du Sida à la fin des années 1990 ; l’approche de l’hospitalité que développe René Schérer doit également être lue à la lumière de ses travaux sur la sexualité et sa transgression à l’époque contemporaine [2005 (1993)] ; quant aux travaux de la décennie 2010, ils sont profondément marqués par la détresse des réfugiés en Méditerranée.
-
[8]
Schérer [2005 (1993), p. 24-25] ; Gotman [2001, p. 34].
-
[9]
Voir de même Gotman [2001], p. 52-53 au sujet de la Grèce.
-
[10]
Gotman [2001, p. 15-17] introduit en outre une référence, plus tardive, à l’accueil des voyageurs dans le Coran.
-
[11]
Voir aussi Boudou [2017, p. 87].
-
[12]
Les auteurs de la période moderne témoignaient déjà d’un grand intérêt pour ces marqueurs antiques de l’hospitalité du fait de leur force symbolique, ce dont témoigne par exemple la notice de L. de Jaucourt dans l’Encyclopédie, reproduite dans ce numéro. Sur les tessères d’hospitalité et l’évolution de leur typologie, voir par exemple Étienne, Le Roux et Tranoy [1987] ; Balbín Chamorro [2006].
-
[13]
Gotman [2001], notamment sa première partie : « L’hospitalité, la communauté et ses étrangers ».
-
[14]
Sur ces différents points, la bibliographie historique est innombrable. Pour une première synthèse, on renverra à Hiltbrunner [2005] ; Fauchon-Claudon et Le Guennec (à paraître).
-
[15]
Brugère et Le Blanc [2018, p. 201-202], dont les interprétations demanderaient toutefois ici à être nuancées.