« Quand je suis née, Mamágrande Locha a inspecté mes fesses à la recherche de la tache sombre, le signe du sang indio, voire pire, mulatto », raconte Anzaldúa au début de « La Prieta », un récit autobiographique d’un genre nouveau qu’elle nommera par la suite autohistoria-teoría. « Ma grand-mère (espagnole, en partie allemande, un soupçon de royauté sous la surface de sa peau claire, de ses yeux bleus et des boucles de ses cheveux autrefois blonds) se vantait que sa famille était l’une des premières à s’être installée dans les terres du sud du Texas. Dommage que mi’jita soit morena, muy prieta, si sombre et si différente de ses propres enfants à la peau claire. » Hantés par la double histoire coloniale du Sud-Ouest étatsunien, les écrits d’Anzaldúa font mémoire de ce « terrorisme intime » qui prolifère en terres frontalières.
Gloria Anzaldúa est née en 1942 au Texas, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Une « plaie ouverte ». La frontière qui l’occupe dans Terres frontalières, c’est d’abord cette frontière physique, établie en 1848 le long du Río Grande à l’issue d’un conflit provoqué par les ambitions expansionnistes des États-Unis dont la prétendue « destinée manifeste » consistait alors à étendre l’Union plus au Sud. Le traité de Guadalupe Hidalgo, qui scella l’annexion par les États-Unis de tout l’actuel Sud-Ouest, laissait la possibilité aux populations mexicaines de regagner le Mexique ou de rester sur les territoires nouvellement étatsuniens. La famille d’Anzaldúa, traversée par la frontière, avait fait le choix de rester…