Notes
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[1]
Le prénom a été modifié.
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[2]
B. Milne, Know the Truth : A Handbook of Christian Belief, InterVarsity Press, 2009.
-
[3]
K. Bowler, Blessed : A History of the American Prosperity Gospel, Oxford University Press, 2013.
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[4]
M. Aubrée, « La “force du Saint-Esprit” au service de la mondialisation », Revue Tiers Monde, n°173, 2003.
-
[5]
G. Nascimento, O Reino : A história de Edir Macedo e uma radiografia da Igreja Universal, Companhia das Letras, 2019.
-
[6]
A. Corten, J.-P. Dozon et A. Pedro Oro (dir.), Les Nouveaux Conquérants de la foi. L’Église universelle du royaume de Dieu (Brésil), Karthala, 2003.
-
[7]
K. Bowler, op cit.
-
[8]
D. Van Biema et J. Chu, « Does God want you to be rich ? », Time, 10 septembre 2006.
-
[9]
G. Copeland, God’s Will Is Prosperity. A Roadmap to Spiritual, Emotional, & Financial Wholeness, Kenneth Copeland Ministries, 1978.
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[10]
C. Gaffey, « Who is Paula White, Donald Trump’s favorite pastor ? », Newsweek, 25 août 2017.
-
[11]
G. Vaillant, « Trump triomphe chez les évangéliques blancs et remporte le vote catholique », La Croix, 9 novembre 2016.
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[12]
Vann R. Newkirk II, « The American health care act’s prosperity gospel », The Atlantic, 5 mai 2017.
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[13]
J. Maley, « Inside our Pentecostal PM’s church », The Sydney Morning Herald, 20 avril 2019.
-
[14]
A. Spadaro et M. Figueroa, « Teologia della prosperità : il pericolo di un “vangelo diverso” », La Civiltà Cattolica, 21 juillet 2018.
-
[15]
D. Mottier, « Sociogenèse des Églises pentecôtistes africaines en France », Social Compass, n° 61, 2014.
-
[16]
M.-P. Bourgeois, « Charisma, l’église qui résout tes problèmes contre 10 % de ton salaire », StreetPress, 5 juillet 2016.
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[17]
F. Samatar, « Charisma : mes 4 heures de culte dans la mégaéglise du Blanc-Mesnil, machine à cash évangélique ? », NEON, 12 décembre 2018.
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[18]
D. Silliman, « Benny Hinn renounces his selling of god’s blessings, critics want more », Christianity Today, 7 septembre 2019.
Et si votre succès, votre richesse et votre bonne santé étaient garantis par votre foi et vos dons à l’Église ? C’est ce que prêchent les prophètes de la prospérité, enfants de l’essor évangélique et du rêve américain. Soutiens décisifs de Donald Trump aux États-Unis et de Jair Bolsonaro au Brésil, ces pasteurs richissimes ont bâti de véritables « multinationales de la foi ». Implantées dans les quartiers populaires français depuis les années 1980, ces églises inquiètent pourtant les autorités qui soupçonnent dérives sectaires et prédation financière.
1« Révèle ton pouvoir, révèle la prospérité, la richesse, parce que tu es, Seigneur, le Dieu de la prospérité, le Dieu des richesses. » À quelques minutes du métro Stalingrad, rue du Faubourg Saint-Martin, dans le Xe arrondissement de Paris, rien ne laisse présager le culte enjoué qui se déroule derrière la façade en verre du Centre d’accueil universel, si ce n’est peut-être son logo, une colombe blanche déployant ses ailes au centre d’un cœur rouge. Sur la petite estrade de la salle aux murs immaculés, le pasteur, engoncé dans un costume anthracite, prêche énergiquement, avec un fort accent brésilien, face à une assemblée galvanisée murmurant dans des langues imperceptibles. Derrière lui, un grand tableau biblique est surmonté d’une croix dorée et d’un message : « Jésus-Christ est le Seigneur ».
2Ce lundi soir de juillet, comme chaque semaine, les fidèles assistent au « Congrès pour le succès », centré sur le thème de la réussite personnelle. Une bonne centaine de participants, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne ou des Antilles, sont invités à sortir un dossier ou tout autre objet symbolisant leurs projets et objectifs de l’année et à y apposer la main. Dieu est censé pourvoir au succès de chaque fidèle « dans sa vie professionnelle, dans sa vie financière, dans sa situation administrative ». « C’est cela notre foi », complète le pasteur. De rares passages de la Bible sont cités en guise d’arguments. « Peut-être que vous êtes quelqu’un qui travaille dur et vous ne voyez pas les choses avancer. Si vous fondez votre foi sur la parole de Dieu, alors ce qui ne marche pas va marcher. » L’assemblée gratifie d’un puissant « Amen » l’homme de foi, qui poursuit : « Si, jusqu’à présent, une porte était fermée, cette porte va s’ouvrir. Si, jusqu’à présent, vous étiez loin de voir un miracle, vous allez voir le miracle. »
Sacrifices à l’autel
3Bien sûr, ces miracles ne sont pas gratuits. « Il est important que vous appreniez une attitude de foi, par votre offrande, par votre dîme », embraie le pasteur sur un ton plus calme. Dieu marche seulement avec quelqu’un qui lui est fidèle. » Le principe de la dîme, puisé dans l’Ancien Testament, est très courant dans les Églises évangéliques. Le chrétien doit reverser 10 % de son salaire à sa paroisse. Le pasteur appuie, comme si le calcul pouvait échapper à certains : si le salaire est de dix euros, la dîme est d’un euro, s’il est de cent euros, la dîme est de dix euros, s’il est de trois mille cinq cents euros, la dîme est de trois cent cinquante euros. La plupart des fidèles glissent leur taxe dans une enveloppe et se lèvent en procession pour aller la déposer derrière le pasteur, sur « l’autel », édifice en pierres amoncelées orné d’une jarre d’où s’échappent de fausses flammes. Dans les allées, les « ouvrières » et « ouvriers », bénévoles engagés dans l’Église, en chemisette blanche et jupe ou pantalon noir, veillent au bon déroulement du culte.
4S’ajoute à la dîme la « Campagne d’Israël ». Cette fois, le montant est libre mais le message est clair : plus le « sacrifice à l’autel » est important, plus forte sera la réussite. « Quand vous donnez votre offrande, ce n’est pas pour que vous soyez en perte, veut rassurer le pasteur. Celui qui donne… » L’assemblée répond en chœur : « … reçoit ! » Des illustrations concrètes sont disséminées au long du culte. Il y a cette dame qui, la veille, a pleuré en versant son « sacrifice ». Ayant donné à l’Église tout son salaire du mois dernier, elle se voyait contrainte de creuser son découvert en attendant son prochain virement. Une autre, ayant reçu un message du Saint-Esprit lui intimant de donner soixante mille euros, aurait déposé sur « l’autel » les clés de son Audi. Un témoignage vidéo est ensuite diffusé sur de grands écrans, de part et d’autre de l’estrade. Un jeune homme brésilien issu d’un milieu modeste raconte avoir enchaîné les échecs jusqu’au jour où il a offert sa voiture à l’église. Il a alors ouvert un commerce dont les ventes auraient explosé malgré la crise du Covid-19. Les « offrandes » sont ramassées dans un grand sac rouge marqué d’un candélabre juif. Les fidèles qui n’auraient pas de liquide sur eux sont priés de demander le RIB de l’église ou de signer un chèque.
5Marie [1], soixante et un ans, a découvert ce que l’on appelle aujourd’hui le Centre d’accueil universel à la fin des années 1990. À l’époque, elle n’avait pas la nationalité française et vivait sous l’emprise de son mari. C’est pour s’extirper de sa situation conjugale par la prière qu’elle a quitté sa paroisse catholique et poussé les portes de l’église du Faubourg Saint-Martin. Elle y a découvert ses danses, ses chants, sa « gaieté » mais aussi des récits bibliques dans lesquels ceux qui n’ont pas donné trouvent la mort. « Quand on a la crainte de Dieu et qu’on parle d’argent, on a peur. C’est Dieu qui nous donne donc il faut redonner. » On demandait alors aux nouveaux arrivants de débourser cent mille francs, l’équivalent de vingt mille euros aujourd’hui. « Si les gens croient, il faut donner. S’ils n’ont pas, ils demandent les clés de voiture, les biens des gens. » Alors au chômage, Marie a donné tout ce qu’elle avait sur son compte en banque : deux mille francs, soit trois cents euros. « Ça m’a blessée, confie-t-elle vingt ans plus tard. Ils profitent de nous. On se casse la tête et eux profitent. » Malgré son départ de l’Église évangélique, elle a continué à recevoir des lettres l’incitant à revenir.
Des millions d’adeptes dans le monde
6La doctrine prêchée par le Centre d’accueil universel s’inscrit dans un courant religieux bien précis, connu sous le nom de théologie ou d’évangile de la prospérité, traduction de l’anglais américain « prosperity gospel ». Né au Texas aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu l’un des courants les plus dynamiques au sein du protestantisme évangélique, qui connaît lui-même une croissance fulgurante. Entre les années 1960 et les années 2000, le nombre d’évangéliques à la surface du globe a crû trois fois plus vite que celui de la population mondiale et deux fois plus vite que celui des musulmans [2]. Pour autant, au sein même des milieux évangéliques, la théologie de la prospérité suscite la méfiance.
7D’après l’historienne canadienne Kate Bowler, si peu de pasteurs se revendiquent explicitement de cette étiquette perçue comme péjorative, des millions de personnes aux États-Unis et dans le monde entier fréquentent des Églises qui prêchent la prospérité, « message chrétien très populaire de maîtrise spirituelle, physique et financière qui domine non seulement une grande partie de la scène religieuse américaine mais aussi certaines des plus grandes églises du monde [3] ». Certains mouvements catholiques s’en sont même imprégnés, obligeant le pape François, attaché à la lutte contre la pauvreté et le changement climatique, à rappeler à Sainte-Marthe, en 2015, que « le salut n’est pas une théologie de la prospérité ». Ce courant évangélique s’inspire, explique Stéphane Lavignotte, pasteur protestant à la Mission populaire, de la « théologie rétributive » de l’Ancien Testament : « C’est une théologie qui fonctionne à tous les coups : vous donnez votre vie à Jésus, vous donnez votre argent, si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas c’est peut-être que vous devriez examiner votre morale. »
Classé comme secte en 1995
8Ce commerce spirituel est particulièrement fécond. D’après ses comptes publiés au Journal officiel, le Centre d’accueil universel a généré en 2017 un chiffre d’affaires de neuf millions neuf cent mille euros, contre huit et demi l’année précédente. Des résultats qui feraient rougir nombre de PME françaises. Cette solidité financière lui a permis d’acquérir en l’an 2000 La Scala, ex-cinéma pornographique du Xe arrondissement de Paris, « avec l’intention d’y installer un lieu de culte, une salle de réunion de sept cents places assortie d’un studio de radio et de télévision », avant de le revendre en 2009 sous la pression de la mairie. Le Centre d’accueil universel n’est en fait rien d’autre que le nouveau nom, depuis 2004, de la branche française de l’Église universelle du royaume de Dieu, déclarée en 1992. À l’époque, elle avait attiré l’attention des renseignements généraux en promettant des guérisons miraculeuses, y compris du sida ou du cancer.
9En 1995, elle était citée sur la liste, abandonnée depuis, de cent soixante-treize « mouvements sectaires » constituée par la commission d’enquête parlementaire sur les sectes en France. L’Église saisit alors la justice afin de faire supprimer dans un document des renseignements généraux des mentions de son culte qui épinglaient des pratiques de « déstabilisation mentale », des « exigences financières exorbitantes » et des « atteintes à l’intégrité physique » des fidèles et qui avaient justifié sa présence dans le rapport parlementaire. Malgré ces déboires, le Centre d’accueil universel s’est étendu en moins de trente ans, d’après son site Internet, à trente-six autres villes françaises que Paris, dont dix dans les outre-mers et onze dans les banlieues d’Île-de-France, et compte plus de deux millions huit cent mille « J’aime » sur sa page Facebook.
Deuxième Église évangélique au Brésil
10La genèse de l’Église universelle du royaume de Dieu remonte à la fin des années 1970 à Rio de Janeiro. Au milieu de la décennie précédente, Edir Macedo, jeune employé de la loterie nationale élevé dans la foi catholique, s’était converti au pentecôtisme, branche du protestantisme évangélique en pleine expansion au Brésil depuis les années 1950, dans un contexte de recul de l’Église catholique. Influencé par le missionnaire canadien Robert McAlister, il a décidé en 1977 d’ouvrir son propre ministère, l’Église universelle du royaume de Dieu, dont il s’est autoproclamé « évêque », au sommet d’une hiérarchie pyramidale et centralisée. Chassant sur les terres des Assemblées de Dieu, mouvement pentecôtiste présent de longue date dans le pays, l’Église universelle s’est implantée particulièrement parmi les populations pauvres et noires, marginalisées au Brésil.
11Là où les pentecôtistes classiques mettaient l’accent sur une « éthique assez rigide pour obtenir les grâces de Dieu », l’Église universelle du royaume de Dieu importe au Brésil l’évangile de la prospérité américain, mettant en scène une perpétuelle « lutte entre le Bien et le Mal », au cours de laquelle le pasteur pourfend un « esprit » démoniaque, généralement incarné par une divinité afro-brésilienne, ainsi que le décrit Marion Aubrée, anthropologue des religions et spécialiste de l’Amérique latine, qui a longtemps travaillé sur cette Église au Brésil et en France. Le dynamisme de ses cultes lui a valu un succès tel qu’elle est devenue en un peu plus de quatre décennies la deuxième Église évangélique du pays derrière les Assemblées de Dieu, avec sept millions de fidèles revendiqués.
Macedo l’entrepreneur religieux
12Figure autoritaire régnant sans partage sur son Église, Edir Macedo est devenu un véritable « entrepreneur religieux [4] » dont le succès prouverait que l’évangile de la prospérité tel qu’il le prêche fonctionne : « Macedo a créé un empire économique à partir de son Église, explique Marion Aubrée. Pour les fidèles, s’il a bien réussi, c’est parce qu’il était béni de Dieu. Il devient le modèle. » Grâce aux dons récoltés par son Église, il est parvenu à racheter la deuxième chaîne de télévision du pays, RecordTV, et détient par ailleurs une banque, des médias, une maison d’édition, des imprimeries, une compagnie d’assurances, une agence de tourisme ainsi qu’un vaste parc immobilier. « C’est un conglomérat qui orbite autour des intérêts de l’Église », affirme le journaliste brésilien Gilberto Nascimento, auteur d’un livre d’enquête sur Edir Macedo et son Église [5].
13Il faut dire que l’autoproclamé « évêque », aujourd’hui âgé de soixante-quinze ans, a accumulé une fortune personnelle évaluée à un milliard cents millions de dollars (neuf cent soixante-douze millions d’euros) par le magazine économique américain Forbes, qui le définit comme « l’un des chefs religieux les plus riches du monde ». Cette manne financière a permis à l’Église universelle du royaume de Dieu de médiatiser sa puissance en inaugurant en 2014, à São Paulo, une réplique du temple de Salomon tel que décrit dans l’Ancien Testament, devenue son siège mondial et le plus grand édifice religieux du pays. Elle l’a fait construire en pierres importées directement d’Israël, sur une superficie équivalente à seize terrains de football, avec dix mille places assises et à un coût estimé à trois cents millions de dollars. Implantée dans au moins cent vingt-huit pays, cette « multinationale de la foi » compterait dans le monde douze millions d’adeptes, d’après la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Soutien de Bolsonaro
14Cette folie des grandeurs a valu à l’Église universelle du royaume de Dieu de s’attirer l’attention des médias, de la police et de la justice. En 1995 est diffusée sur Rede Globo, première chaîne de télévision du pays, une mini-série intitulée Decadência. Elle dépeignait un pasteur riche de l’exploitation financière de ses fidèles : « Venez remplir les coffres de Jésus, y entendait-on. Vous recevrez le double de ce que vous donnez. » Une manière à peine déguisée de tourner en dérision l’Église d’Edir Macedo. Celui-ci a été visé par des dizaines de procédures judiciaires – y compris de la part d’Interpol – pour crime en bande organisée, blanchiment d’argent ou encore contrebande, dont aucune n’a jamais abouti à une condamnation. En Belgique, un rapport parlementaire sur les sectes a qualifié en 1997 l’Église universelle du royaume de Dieu de « forme extrême de mercantilisation de la croyance » et même de « véritable association criminelle, dont le seul but est l’enrichissement ». Les cadres de l’Église se défendent généralement de ces critiques en accusant leurs détracteurs de mener une campagne de persécution religieuse [6].
15Au cours de l’élection présidentielle de 2018, Edir Macedo a apporté son soutien au candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, porté à la fois par une partie de l’armée, des milieux financiers et des évangéliques, lesquels représenteraient 30 % de l’électorat. De confession catholique, l’actuel président brésilien est marié à une évangélique et s’est fait symboliquement baptiser en 2016 dans les eaux du Jourdain, en Israël, par un pasteur pentecôtiste. L’Église universelle du royaume de Dieu a trouvé chez ce nostalgique de la dictature une véritable proximité idéologique sur la défense des valeurs traditionnelles et du libéralisme économique. « C’est une relation de soutien total, de partenariat avec l’Église universelle, qui a toujours cherché un appui des politiques, aussi bien de droite que de gauche et du centre, explique Gilberto Nascimento. Leur stratégie est d’être toujours du côté de celui qui a le pouvoir. »
Origines texanes
16Comme Jair Bolsonaro, Edir Macedo s’inspire de l’esprit du capitalisme américain. Il admire John David Rockefeller, issu d’une famille pauvre et devenu multimillionnaire. Ce fervent baptiste avait coutume de dire : « L’argent me vient de Dieu. » En toute logique, l’Église universelle du royaume de Dieu affectionne un vocabulaire nord-américain issu du monde des affaires. Selon Marion Aubrée, elle se fonde sur un « modèle d’organisation entrepreneuriale ». Afin de bâtir sa propre version de l’évangile de la prospérité, Edir Macedo est allé puiser directement aux sources américaines. « Il a suivi la doctrine de Kenneth Hagin, qu’il a découvert quand il était aux États-Unis et dont il a lu tous les livres, développe l’anthropologue. Il a vu que les télévangélistes américains faisaient des fortunes et a fait la même chose. »
17Né dans la ville de McKinney au Texas, le prédicateur charismatique Kenneth Hagin raconte avoir guéri très jeune de ses problèmes cardiaques congénitaux grâce à sa conversion au Christ, après la lecture d’un verset de l’Évangile selon Marc qui allait devenir la pierre angulaire de sa théologie : « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu et vous le verrez s’accomplir. » Malgré ce récit fondateur, le Texan sera souvent, au cours de sa vie, hospitalisé en cachette pour des troubles cardiovasculaires, y compris le jour de sa mort, en 2003. Après s’être fait connaître comme pasteur dans les Assemblées de Dieu, il fonde dans les années 1960 son propre ministère. Il le concrétise en 1974 avec l’ouverture du Rhema Bible Training Center, centre de formation situé dans l’Oklahoma, puis en 1980 avec la création du mouvement Word of Faith. L’un comme l’autre deviendront deux institutions mondialement reconnues de l’évangile de la prospérité. « Kenneth Hagin développe la notion de “parole de foi” : tu possèdes ce que tu affirmes », explique Thierry Huser, pasteur baptiste et président du comité théologique du Conseil national des évangéliques de France (Cnef), très critique vis-à-vis de la théologie de la prospérité.
Pentecôtisme et rêve américain
18D’après l’historienne Kate Bowler, qui a fréquenté pendant une décennie des Églises prêchant l’évangile de la prospérité, celui-ci est né de la rencontre de trois grands phénomènes sociaux qui ont explosé au cours de la seconde moitié du xxe siècle aux États-Unis : le pentecôtisme, la Nouvelle Pensée, courant protestant métaphysique qui considère qu’une « pensée positive » peut avoir des effets concrets sur le monde réel, et enfin « l’évangile américain du pragmatisme, de l’individualisme et de l’ascension sociale » [7]. Un précurseur de cette dernière tendance a été l’industriel de l’acier Andrew Carnegie, auteur en 1889 d’un article intitulé The Gospel of Wealth (« L’évangile de la richesse »). « L’évangile de la prospérité a été constitué par la déification et la ritualisation du rêve américain : ascension sociale, accumulation des richesses, dur labeur et fibre morale », résume l’universitaire.
19À la fin des années 1970, l’évangile de la prospérité, d’abord diffusé à travers des cassettes audio, rencontre un succès monumental grâce à la montée du télévangélisme, popularisé par des chaînes comme Christian Broadcasting Network ou Trinity Broadcasting Network. En 2006, d’après un sondage du magazine Time, 17 % des chrétiens américains se reconnaissaient dans ce mouvement, 31 % croyaient que Dieu accroît la richesse de ceux qui donnent et 61 % que Dieu désire que son peuple prospère [8].
20À la mort de Kenneth Hagin, c’est un de ses disciples, Kenneth Copeland, lui aussi texan, qui devient la figure centrale de l’évangile de la prospérité. En 1978, sa femme Gloria Copeland, qui dirige avec lui son ministère, écrivait : « Vous donnez un dollar pour l’évangile et cent dollars vous reviennent ; donnez dix dollars et recevez mille dollars ; donnez mille dollars et recevez cent mille dollars… Donnez un avion et recevez cent fois la valeur de l’avion. Donnez une voiture et le retour sur investissement vous fournira toute une vie de voitures. En résumé, Marc 10 :30 est une très bonne affaire [9]. »
La pasteure de Trump
21En 2007, le sénateur républicain Chuck Grassley ouvre une commission d’enquête sur les finances de sept des pasteurs les plus éminents de ce courant évangélique. Malgré leurs divergences théologiques, les prophètes de la prospérité utilisent tous, à l’instar d’Edir Macedo, leur parcours personnel comme preuve matérielle que Dieu garantit bien la prospérité des chrétiens pieux et généreux. Ainsi, beaucoup ne se cachent pas de posséder des jets privés et des biens immobiliers luxueux. Bien qu’il soit de confession presbytérienne, une branche du protestantisme traditionnel, Donald Trump a reçu pour accéder à la Maison-Blanche l’appui de certains d’entre eux, qui continuent de travailler activement à sa réélection en le présentant comme un élu de Dieu. Dans sa jeunesse, le candidat du Parti républicain avait été marqué par les prêches de Norman Vincent Peale, père de la « pensée positive » qui a préfiguré l’évangile de la prospérité. Le célèbre pasteur protestant avait l’habitude de faire des entrepreneurs à succès, à l’image de Fred Trump, promoteur immobilier et père de l’actuel président américain, des modèles presque christiques.
22Donald Trump s’est intéressé à l’évangile de la prospérité bien avant sa première course à la présidence. Dès 2002, le magnat de l’immobilier téléphone à Paula White, dont il apprécie les sermons à la télévision [10]. Elle deviendra alors sa pasteure personnelle. En 2016, lorsqu’un conseil consultatif évangélique est créé lors de la campagne présidentielle, la télévangéliste, visée par la commission de Chuck Grassley, est naturellement appelée pour en faire partie. Elle est choisie afin de prononcer une « invocation » lors de l’inauguration de la présidence du successeur de Barack Obama, en janvier 2017.
23Autre membre du conseil consultatif évangélique, pérennisé par Donald Trump après son élection, Kenneth Copeland, lui aussi épinglé par la commission sénatoriale, est l’un des pasteurs les plus riches de la planète. Pendant la crise du Covid-19, il prétend guérir la maladie à travers les écrans de télévision et suggère que les « démonstrations de haine » contre le président américain, qui auraient interféré avec la « protection divine », seraient responsables de la pandémie. Alors que Donald Trump, qui a refusé durant la campagne de 2016 d’indiquer son passage préféré de la Bible, pâtit d’une image sulfureuse parfois vue comme incompatible avec la morale chrétienne, la présence à ses côtés de ces très médiatiques prophètes de la prospérité a sans conteste joué un rôle dans le vote massif en sa faveur des évangéliques blancs, à hauteur de 81 % [11].
Justification théologique du néolibéralisme
24En outre, le magazine The Atlantic interprète les attaques de l’administration de Donald Trump contre la réforme du système de santé de son prédécesseur baptisée « Obamacare » comme une « reformulation » de l’évangile de la prospérité, se fondant sur l’idée que de « bonnes vies » assureraient mécaniquement une bonne santé [12]. Si l’hypothèse d’une influence directe de ce courant religieux sur la politique économique du président américain serait exagérée, la filiation idéologique entre la théologie de la prospérité et les velléités ultralibérales des gouvernements de Donald Trump et Jair Bolsonaro doit être soulignée. De la même façon, le Premier ministre australien Scott Morrison, fervent libéral et soutien de l’industrie du charbon malgré les récents feux de brousse liés au changement climatique, fréquente l’Église Horizon et décrit le dirigeant de Hillsong comme son mentor spirituel. Ces deux « megachurches », pourtant issues du pentecôtisme classique, prêcheraient une forme d’évangile de la prospérité [13].
25En 2018, la revue jésuite italienne proche du Vatican La Civiltà Cattolica s’est livrée à une analyse critique de cette version évangélique du rêve américain, dans laquelle elle voit une « tentative de justification théologique du néolibéralisme économique [14] ». En effet, si la pauvreté n’est pas due à la structure d’un capitalisme dérégulé mais à un manque d’implication spirituelle et financière dans son Église, nul besoin que l’État intervienne à travers les services publics et la redistribution. Thierry Huser, président du comité théologique du Cnef, abonde en ce sens : « Ce courant correspond aux aspirations matérialistes d’une frange du christianisme occidental, qui y trouve enfin un langage “décomplexé” sur l’argent. Il rejoint aussi, par les espoirs qu’il suscite, bien des populations pauvres, qui connaissent au quotidien la souffrance et la misère. Son invitation à positiver l’avenir répond au désarroi d’un nombre croissant de personnes insécurisées par une mondialisation impitoyable. »
McDonaldisation de la foi
26Dans la droite ligne du capitalisme moderne, l’évangile de la prospérité a pris la forme d’un mouvement mondialisé, exporté aux quatre coins du globe, qui exalte la réussite individuelle et l’accumulation des richesses. Une sorte de « McDonaldisation de la foi », selon les termes du docteur brésilien en sciences humaines Eduardo Guilherme de Moura Paegle. Le pasteur français Philippe Lesage a fait partie des milieux évangéliques dans les années 1990, notamment à Toulon où plusieurs pasteurs, toujours en activité, se faisaient le relais de prophètes américains de la prospérité. « Ils ont une puissance financière énorme et des moyens de communication modernes, décrit-il. Des masses entières regardent leurs vidéos dans le monde entier. » En France, l’ouverture d’Églises prêchant l’évangile de la prospérité a commencé dans la seconde moitié des années 1980. Une époque où des télévangélistes millionnaires américains pouvaient voyager en France sans alerter la presse. Philippe Lesage se souvient ainsi d’un pasteur américain qui « disait qu’il n’acceptait pas les dons en dessous de cent euros, sinon on n’était pas béni » ou encore d’un autre, invité dans une grande église à Nîmes, « arrivé en jet privé, en costume, avec sa Bible sous le bras, pour prêcher la prospérité financière ».
27Ces Églises apparaissent essentiellement dans les quartiers populaires, où l’affaiblissement des services publics et la grande précarité des habitants les rendent particulièrement sensibles à ce type de discours. En 1993, quand l’anthropologue Marion Aubrée commence à travailler sur l’Église universelle du royaume de Dieu en France, celle-ci est dirigée par des missionnaires brésiliens et soutenue financièrement par la maison mère brésilienne. Son installation dans des zones éloignées des centres-villes correspond à « une stratégie tout à fait réfléchie », estime la chercheuse : « C’est dans les milieux populaires qu’ils ont fait le plus grand nombre d’adeptes au Brésil. » Le pasteur Stéphane Lavignotte, qui s’engage auprès des sans-papiers, a pu observer comment l’Église, désormais connue sous le nom de Centre d’accueil universel, s’adapte aux aspirations de ses fidèles : « Sur leurs brochures, ils promettent des papiers aux sans-papiers, ils promettent que tout est possible. C’est très malhonnête et violent pour les personnes de leur faire croire que ça peut se passer comme ça. »
Megachurches
28Quelques années avant l’arrivée en France de l’Église universelle du royaume de Dieu, en 1985, l’Église Parole de foi, évangélisation mondiale, inspirée du mouvement Word of Faith de Kenneth Hagin, est créée à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, à l’initiative de Selvaraj Rajiah, fils d’un pasteur pentecôtiste indien. Après s’est brièvement formé à l’Elijah Institute de Morris Cerullo, prophète américain de la prospérité, il fait venir dans son école biblique tous les grands noms américains du mouvement, souvent formés au Rhema Bible Training Center du père de l’évangile de la prospérité [15]. Le succès ne tarde pas : au début des années 1990, Parole de foi devient la première megachurch d’Île-de-France.
29Au fil du temps, cependant, l’un des disciples du pasteur va dépasser son maître. Ancien fidèle de l’église Maná de Lisbonne, fondée par un missionnaire de Word of Faith, le Portugais Nuno Pedro est chantre à Parole de foi à la fin des années 1980. Devant les refus répétés de Selvaraj Rajiah de le promouvoir formateur dans son école biblique, il crée discrètement, dès 1989, l’association Charisma autour de laquelle il réunit ses réseaux portugais et américains. L’Église, située au Blanc-Mesnil, à sept kilomètres seulement de sa principale concurrente, l’a aujourd’hui dépassée en nombre de fidèles. Elle en revendique quatorze mille, ce qui en ferait la plus grande église évangélique de France. Sa maison d’édition éponyme vend en version française les succès littéraires des prophètes américains de la prospérité, régulièrement invités par l’Église, mais aussi les livres de Nuno Pedro qui promettent « une vie de prospérité, de triomphe et de succès ». En 2015, Charisma a ouvert une école maternelle et primaire hors contrat, Excelle, dirigée par Sophia Quantin, ancienne responsable des jeunes de l’Église, juste en face du lieu de culte.
Culpabilisation des pauvres
30Leeroy, trente-neuf ans, ancien membre de Charisma, découvre l’Église en 2003 alors que celle-ci ne se situe pas encore au Blanc-Mesnil mais à Saint-Denis. Attiré par la musique que l’on y joue, il découvre un dynamisme qui n’existait pas dans son ancienne Église, avec des activités pour les jeunes, des « groupes de maison » au cours de la semaine, la possibilité de faire partie de la chorale. Pas une semaine ne passe sans qu’un événement soit organisé à Charisma. « C’était comme si je retrouvais la vie du monde dans l’Église. » Très vite, son investissement dans cette dernière prend de telles proportions qu’il quitte son emploi de tourneur-fraiseur dans l’aéronautique, dont les horaires ne lui permettent pas de se rendre aux réunions Charisma, ainsi que sa petite amie de l’époque. « La responsable des jeunes de l’Église voyait que je commençais à être très intégré, elle m’a dit que ma copine n’était pas la femme de ma vie, que ma vie était à Charisma », raconte Leeroy. Le vingtenaire parvient à attirer dans l’Église une partie de sa famille ; il se coupe du reste. Il se hisse dans la hiérarchie, devient missionnaire à travers les grandes villes de France, puis mentor. Son rôle est alors d’accueillir les nouveaux arrivants, « comme les grands frères ».
31Selon Leeroy, le discours de Nuno Pedro consiste à tronquer et détourner la Bible afin de prêcher l’évangile de la prospérité : « Au point de sous-entendre que, si une personne croyante n’est pas assez riche, c’est qu’il y a un problème. Ceux qui travaillent ou les chômeurs se sentent un peu lésés mais ne le disent pas. Il ne faut pas se plaindre. Des personnes ont fini à l’hôpital psychiatrique. » Comme au Centre d’accueil universel, dîme et offrandes sont récoltées à l’église et lors des groupes de maison. Leeroy voit passer des chèques de dix ou vingt mille euros. « Le pasteur disait que, dans le Royaume de Dieu, il y avait des règles, que pour être béni, avoir de l’argent, un logement, il fallait donner. Si on donnait notre argent, celui-ci serait multiplié par Dieu. »
Beverly Hills de l’Oise
32L’ancien fidèle estime lui-même avoir déboursé, tout en étant au chômage, environ vingt mille euros en l’espace de six ans. Une somme qui aurait pu être dix fois supérieure, selon lui, s’il avait occupé un emploi. « Le pasteur disait que si on ne donnait pas nos dîmes et offrandes, on irait en enfer », assure un ancien adepte qui a témoigné auprès de la Miviludes. D’après Leeroy, « une grosse partie » de l’argent récolté irait « dans la poche des dirigeants ». Il affirme que le pasteur Nuno Pedro vit à Compiègne, dans une « grande maison avec piscine » : « Il a un train de vie tranquille pendant que dans l’Église des gens vivent en HLM, sont SDF ou en foyer. » Si Charisma met à disposition de ses fidèles une assistance administrative et sociale et fournit même des paniers-repas aux plus nécessiteux, il s’agit selon Leeroy de « la partie émergée de l’iceberg, pour endormir les gens ».
33Après la mort de Selvaraj Rajiah en 2011, c’est sa seconde épouse Dorothée Rajiah qui a repris les rênes de l’église Parole de foi, rebaptisée en 2003 Paris Centre chrétien afin de laver son image après avoir figuré dans le rapport parlementaire de 1995 sur les sectes. Dans ses prêches énergiques parsemés de « Amen » et de « Alleluia », cette imposante femme blonde et lumineuse prédit « prospérité » et « abondance » qui viendront directement de Dieu, lequel voudrait que ses fidèles soient « des propriétaires, pas des locataires ». Et la pasteure sait de quoi elle parle. Sous son véritable nom, Julie Dorothée Rajiah dirige les éditions Parole de foi, qui publient des traductions de Kenneth Hagin et de ses héritiers et réalisait en 2019 un chiffre d’affaires de quatre cent quarante-six mille euros. Cette même année, Paris Centre chrétien a créé sa société immobilière. D’après l’annonce légale de l’entreprise, Dorothée Rajiah réside au Domaine du Lys-Chantilly, à Lamorlaye, un domaine privé surnommé « Beverly Hills de l’Oise » où le revenu moyen annuel s’élève à quarante-six mille euros, soit près du double de la moyenne du département. Ses sept cent soixante hectares boisés comprennent entre autres un club de tennis et un golf.
Influence politique
34À Charisma, la personnalité de Nuno Pedro, que peu de fidèles ont le privilège de pouvoir approcher en personne, constitue le ciment de l’église. « Il inspire plus la peur que le respect, juge Leeroy. Même si on avait quelque chose à dire pour le contredire, on ne pouvait pas. Il s’énervait souvent. En plein culte, quand les micros ne marchaient pas bien, il criait sur l’équipe technique, comme s’il s’adressait à des enfants. » L’ancien habitant de Saint-Denis entend parfois des responsables de l’Église, des mentors ou Nuno Pedro lui-même dire à des fidèles récalcitrants : « Si vous quittez l’Église, vous allez mourir. » En 2008, Leeroy tombe dans le coma à la suite d’un accident. En se réveillant, il trouve à son chevet certains des proches qu’il avait délaissés. Pas l’ombre d’un membre de Charisma. Lorsqu’il décide de quitter définitivement l’église et commence à la critiquer publiquement sur les réseaux sociaux, il reçoit, dit-il, des appels d’inconnus qui le mettent en garde : « Arrête de parler ou tu auras des problèmes. »
35L’autorité que les prophètes de la prospérité assoient sur leurs fidèles leur permet d’influencer aisément leurs idées politiques. Y compris en France, où l’ensemble des évangéliques ne représentaient en 2017, d’après le Cnef, que six cent cinquante mille personnes, les pasteurs n’hésitent pas à commenter par petites touches l’actualité. À Charisma, Nuno Pedro fustige, dans ses prêches toujours physiques et offensifs, la laïcité défendue par les derniers ministres de l’Éducation nationale, « sous la coupe des francs-maçons [16] ». Il tourne en dérision le changement climatique et voit en Jair Bolsonaro la « voie de la rédemption », à l’inverse d’Emmanuel Macron, « Antéchrist à la tête d’un royaume totalitaire » [17].
36Une idée que partage, à Rouen, le pasteur Daniel Vindigni qui croit déceler, dans les deux alliances que porte le président, son discours devant la pyramide du Louvre après son élection ou ses références à un « nouvel ordre mondial », autant de signes de son appartenance aux Illuminati, plus haut degré de la franc-maçonnerie d’après lui. « Je pense qu’il n’est pas un président qui nous facilitera la tâche au niveau du christianisme. » Reconnaissable à ses boucles blanches, son sourire immuable et sa tenue toujours soignée, ce pasteur de soixante ans né en Algérie française a fondé en 2001 le ministère Salut pour le monde en s’appuyant sur son « mentor » américain Benny Hinn, « à qui [il doit] tout [son] ministère », comme il l’expliquait dans une interview à Casarhema, la télévision évangélique en ligne, en novembre dernier.
37Benny Hinn, issu du mouvement Word of Faith, a été visé entre 2007 et 2011 par la commission de Chuck Grassley et soutient aujourd’hui Donald Trump. Propriétaire d’un jet privé et d’une « petite flotte » de Mercedes-Benz, le télévangéliste multimillionnaire a déclaré en septembre 2019 rejeter l’évangile de la prospérité, un revirement affiché que ses détracteurs prennent avec des pincettes [18]. Auparavant, en 2013 et 2014, Daniel Vindigni avait organisé la venue en France de son père spirituel. Réfutant l’étiquette de l’évangile de la prospérité, il considère tout de même que l’argent occupe une place importante dans le message du Christ et soutient l’idée d’une multiplication divine des offrandes. « Force est de constater qu’il y a un très fort pourcentage des gens qui reviennent en disant qu’ils ont été contents de donner, qu’ils ne regrettent pas et qu’ils ont vu concrètement quelque chose se passer dans leur vie. »
Préférence pour la droite
38En novembre 2016, le pasteur normand se réjouissait sur sa page Facebook de l’élection de Donald Trump, « répit d’au moins quatre ans avant l’accélération du règne de l’Antéchrist ». Lorsque nous l’interrogeons, il dit apprécier chez le président américain un programme qui contiendrait « beaucoup de choses entièrement bibliques », comme la restriction du droit à l’avortement ou du mariage des couples de même sexe. Sur le plan économique et social aussi, il assume la convergence des idées. « La Bible ne nous a jamais demandé d’assister les gens au point de ne plus les rendre maîtres de leur avenir et de créer un système social qui bloque tout le monde. » L’homme de foi préfère ainsi le système « capitaliste » américain à un modèle français dans lequel « on n’a pas le droit d’être riche » : « Le problème n’est pas d’être riche ou pauvre, mais de savoir si l’on a bâti honnêtement son empire financier et, si l’on est pauvre, si on l’a choisi ou pas. »
39Ces positions tranchées pourraient-elles l’amener à s’impliquer en politique ? Aux dernières élections municipales, sa fille Claire-Lise Vindigni, responsable de la louange et coordinatrice de la jeunesse à Salut pour le monde, a été élue dans la commune de Sotteville-lès-Rouen, où réside la famille, sur la liste Rassemblement national. « Ma fille est libre de ses opinions, précise son père. En son âme et conscience, elle pense que le Rassemblement national a des valeurs plus proches de la Bible que le gouvernement actuel. » Lui préfère appeler ses fidèles, sans jamais nommer de parti, à voter pour la droite au sens large, qu’il estime plus compatible avec les convictions évangéliques.
Autel royal
40Au mois de janvier, Casarhema a organisé un vaste rassemblement au Zénith Paris-La Villette où était invité à prêcher Daniel Vindigni. Dans l’assistance, on trouvait un autre prophète de la prospérité, Yvan Castanou. D’origine congolaise, il a fondé en 2005 avec son frère jumeau Yves Castanou, directeur général de Congo Telecom, l’opérateur historique des télécommunications en République du Congo, la megachurch Impact Centre chrétien. L’Église, qui rassemblerait deux mille fidèles à son siège de Boissy-Saint-Léger, dans le Val-de-Marne, levait en 2016 un peu moins de huit millions d’euros de dons, contre plus de quatre millions l’année précédente, à en croire ses comptes publiés au Journal officiel. D’après une synthèse confidentielle réalisée par la Miviludes et son homologue belge le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles, que La Revue du crieur s’est procurée, ces ressources lui permettraient de lever des fonds sans emprunt bancaire en vue de faire construire un complexe immobilier à Paris d’une superficie de quinze mille mètres carrés et d’une valeur de trente millions d’euros. Sept millions auraient déjà été déboursés pour l’achat d’un bâtiment à l’usage du futur « Autel royal ».
41Dans un témoignage reçu par la Miviludes, une personne, qui a fréquenté dix ans l’Église « où l’amour de Dieu transforme des gens ordinaires en champions » s’inquiète pour sa sœur qui y est toujours : « En dehors des traditionnelles dîmes et offrandes, il y a régulièrement des appels à faire des offrandes sacrificielles (offrande dans l’attente d’un miracle, offrande de mille euros pour l’achat d’un nouveau bâtiment) auquel elle participe régulièrement alors qu’elle ne gagne (comme la majorité des personnes qui viennent chaque dimanche et qui sont de la classe moyenne) qu’un peu plus du Smic. »
Prédations financières
42Chaque année, la Miviludes reçoit environ deux cents signalements sur des églises évangéliques, portant sur trois cent quatre-vingt-trois structures, dont la plupart ne sont pas affiliées au Conseil national des évangéliques de France. Parmi ses principales sources d’inquiétude, Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes, cite les « prédations financières » de certains pasteurs qui « semblent avoir trouvé là un nouveau business ». Entre 2015 et 2020, l’organisme a été saisi vingt fois à propos de Charisma, quarante fois à propos du Centre d’accueil universel et trente fois à propos du Impact Centre chrétien. Malgré tout, elle n’a pas identifié de « dérive sectaire avérée » ni chez Charisma ni au Centre d’accueil universel, à l’égard duquel elle recommande toutefois « la plus grande prudence ». En effet, tout comme dans le cas de l’Église de Nuno Pedro, la Miviludes a reçu concernant la « multinationale de la foi » d’origine brésilienne « des témoignages sur les sacrifices financiers importants qui sont demandés avec insistance aux fidèles, sur le fait que certains d’entre eux délaissent la médecine conventionnelle y compris pour des affections graves ».
43En France, les Églises de la prospérité se font plus discrètes qu’aux États-Unis ou au Brésil, où leurs membres sont assez nombreux pour avoir un véritable poids électoral. Toutefois, comme outre-Atlantique, elles bénéficient d’un réseau d’écoles et de médias qui diffusent leur message. Ainsi, le centre de formation biblique Rhema, antenne française de l’école américaine fondée par Kenneth Hagin, forme des futurs pasteurs dans le XIIIe arrondissement de Paris et à Nice. Les enseignements des figures françaises de la prospérité, comme Dorothée Rajiah, les frères Castanou ou Daniel Vindigni, sont relayés par les sites TopChrétien, dont le fondateur Éric Célérier est l’ambassadeur en France de Joyce Meyer, prophète dite « modérée » de la prospérité visée par la commission de Chuck Grassley, ou EMCI TV, chapeautée à ses débuts par le pasteur Olivier Derain, lui-même diplômé en 1993 du Rhema Bible Training Center dans l’Oklahoma. Ces deux plateformes en ligne attirent chaque mois des centaines de milliers de visiteurs.
Subversion du message chrétien
44Malgré son nombre toujours croissant d’adeptes, l’évangile de la prospérité demeure minoritaire dans le monde évangélique français. En 2012, le Cnef, qui dit représenter plus de 70 % des Églises évangéliques du pays, a publié, deux ans seulement après sa création, un texte approuvé à l’unanimité des Églises membres condamnant ce qu’il préfère nommer « théologie(s) de la prospérité ». Il y décèle une « conception erronée de la foi » et une « subversion du message chrétien ». Seul responsable des Églises citées dans cette enquête à avoir répondu à notre demande d’entretien, le Normand Daniel Vindigni s’est formé auprès des Assemblées de Dieu avant de s’en éloigner. Il a quitté il y a quelques années la Fédération des églises du Plein Évangile en francophonie, membre du Cnef, en raison de « divergences d’opinion », notamment en ce qui concerne la prospérité et les appels aux dons. « On a tendance à diaboliser les demandes d’argent », regrette-t-il.
45Pour autant, le pasteur n’est pas isolé dans l’espace évangélique hexagonal. Si son Église rouennaise, Parole de vie, ne rassemble que deux cents à deux cent cinquante fidèles, il est parvenu grâce à son « ministère d’itinérance », qui l’amène à voyager dans le monde entier, à dépasser les cent cinquante mille abonnés à sa page Facebook. En outre, le pasteur nous confie rencontrer régulièrement les dirigeants des trois principales megachurches françaises qui prêchent l’évangile de la prospérité : Yvan Castanou d’Impact Centre chrétien, Nuno Pedro de Charisma et Dorothée Rajiah de Paris Centre chrétien. Au sein de ce club des quatre, il estime être le mieux placé pour devenir un dirigeant chrétien face à un Cnef dont il juge le discours trop timoré : « Je ne le serai pas par ambition personnelle mais parce que nous avons besoin d’un leader évangélique équilibré en France et qu’il n’y en a malheureusement pas. J’essaie aujourd’hui d’influencer le mouvement évangélique en ce sens pour atteindre le gouvernement et leur expliquer un peu mieux nos valeurs. » À terme, Daniel Vindigni espère, comme au Brésil, un « réveil spirituel » en France qui obligerait le gouvernement à écouter les évangéliques.
Notes
-
[1]
Le prénom a été modifié.
-
[2]
B. Milne, Know the Truth : A Handbook of Christian Belief, InterVarsity Press, 2009.
-
[3]
K. Bowler, Blessed : A History of the American Prosperity Gospel, Oxford University Press, 2013.
-
[4]
M. Aubrée, « La “force du Saint-Esprit” au service de la mondialisation », Revue Tiers Monde, n°173, 2003.
-
[5]
G. Nascimento, O Reino : A história de Edir Macedo e uma radiografia da Igreja Universal, Companhia das Letras, 2019.
-
[6]
A. Corten, J.-P. Dozon et A. Pedro Oro (dir.), Les Nouveaux Conquérants de la foi. L’Église universelle du royaume de Dieu (Brésil), Karthala, 2003.
-
[7]
K. Bowler, op cit.
-
[8]
D. Van Biema et J. Chu, « Does God want you to be rich ? », Time, 10 septembre 2006.
-
[9]
G. Copeland, God’s Will Is Prosperity. A Roadmap to Spiritual, Emotional, & Financial Wholeness, Kenneth Copeland Ministries, 1978.
-
[10]
C. Gaffey, « Who is Paula White, Donald Trump’s favorite pastor ? », Newsweek, 25 août 2017.
-
[11]
G. Vaillant, « Trump triomphe chez les évangéliques blancs et remporte le vote catholique », La Croix, 9 novembre 2016.
-
[12]
Vann R. Newkirk II, « The American health care act’s prosperity gospel », The Atlantic, 5 mai 2017.
-
[13]
J. Maley, « Inside our Pentecostal PM’s church », The Sydney Morning Herald, 20 avril 2019.
-
[14]
A. Spadaro et M. Figueroa, « Teologia della prosperità : il pericolo di un “vangelo diverso” », La Civiltà Cattolica, 21 juillet 2018.
-
[15]
D. Mottier, « Sociogenèse des Églises pentecôtistes africaines en France », Social Compass, n° 61, 2014.
-
[16]
M.-P. Bourgeois, « Charisma, l’église qui résout tes problèmes contre 10 % de ton salaire », StreetPress, 5 juillet 2016.
-
[17]
F. Samatar, « Charisma : mes 4 heures de culte dans la mégaéglise du Blanc-Mesnil, machine à cash évangélique ? », NEON, 12 décembre 2018.
-
[18]
D. Silliman, « Benny Hinn renounces his selling of god’s blessings, critics want more », Christianity Today, 7 septembre 2019.