Notes
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[1]
Pourvoi n°10-20634.
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[2]
Pourvoi n° 11-25339 Revue Administrer, mars 2013, n° 463, p. 49.
-
[3]
Cass. 3° civ. 13 novembre 2013 pourvoi n°12-24446.
-
[4]
En application de l’article 8 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965.
-
[5]
Voir en ce sens Cass. 3° civ. 4 octobre 2014 n°13-20585 Revue Administrer, février 2015, p. 484 – Cass. 3° civ. 14 décembre 2010 pourvoi n° 09-711345.
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[6]
Pourvoi n° 13-20585 Revue Administrer, février 2015, n° 484.
-
[7]
Pourvoi n° 13-25134.
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[8]
Voir en ce sens Cass. 3° civ. 18 septembre 2013 pourvoi n° 12-2360.
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[9]
Cass. 3° civ. 17 février 2004, Revue Administrer, mai 2004, n°366, p. 49 – Cass civ 3° 13 septembre 2005 pourvoi n° 04-15905.
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[10]
Cass. 3° civ. 29 février 2012 pourvoi n° 10-28618 JurisData n° 2012-003300 ; Loy. et cop. 2012 comm. 151.
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[11]
Paris pôle 4 ch 2, 16 janvier 2013, RG 10/23356.
-
[12]
Cf. art. 5 de la loi du 10 juillet 1965 : « Dans le silence ou la contradiction des titres, la quote-part de partie commune afférente à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs desdites parties, telles que ces valeurs résultent, lors de l’établissement de la copropriété, de la consistance de la superficie et de la situation des lots, sans égard à leur utilisation ».
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[13]
Paris pôle 4 ch. 2, 15 octobre 2014, RG 13/09522, Revue administrer, janvier 2015, n° 483, p. 65.
-
[14]
Cass. 3° civ. pourvoi n° 13-21 745, RTDI n° 4 2014, p. 57, Frédérique Cohet.
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[15]
L’expression est de Christian Larroumet.
1Tout propriétaire qui souhaite modifier la destination ou l’usage de son immeuble sera soumis au respect de règlementations qui relèvent tantôt du droit de l’urbanisme, tantôt du Code de la construction et de l’habitation. Le copropriétaire, en qualité de propriétaire de lot, est soumis à ces dispositions lorsque les conditions d’application de ces textes sont réunies mais l’obtention des autorisations administratives ne suffira pas. Le copropriétaire qui envisage une modification de l’usage des parties privatives de son lot est soumis à un autre pouvoir, parfois bien plus exigeant que les contraintes législatives et réglementaires : le droit de regard, pas toujours bienveillant, des autres copropriétaires.
2Le lot de copropriété, défini par l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, a une structure dualiste ; il comprend une partie privative, propriété exclusive de chaque copropriétaire et une quote-part de parties communes qui sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement. L’état de copropriété de l’immeuble induit pour les copropriétaires des contraintes supplémentaires et la liberté d’usage reconnu au copropriétaire sur ses parties privatives par l’article 9 de la loi de 1965 est limité par le respect de la destination de l’immeuble et des droits des autres copropriétaires. C’est le règlement de copropriété, charte de l’immeuble, qui définit les droits et obligations des copropriétaires et détermine la destination de l’immeuble et l’usage conféré aux différentes parties privatives des lots.
3La question qui se pose est de savoir si le copropriétaire peut modifier l’usage des parties privatives de son lot tel qu’il est prévu par le règlement de copropriété et, si cela est possible, selon quelles modalités. L’importance du contentieux en la matière prouve que si le principe de solution aujourd’hui dégagé par la jurisprudence s’énonce clairement, sa mise en œuvre est beaucoup plus complexe.
4Nous examinerons dans un premier temps les possibilités et les modalités du changement d’usage des parties privatives des lots de copropriété (I), pour exposer dans un second temps les conséquences de ce changement notamment en matière de répartition des charges (II).
I – La modification de l’usage des parties privatives d’un lot
5Au préalable, il convient de faire une première constatation : le copropriétaire a droit au maintien de l’usage de son lot tel que celui-ci a été prévu à l’origine par le règlement de copropriété. La permanence de la destination des lots prévue au règlement de copropriété est un droit absolu pour les copropriétaires. L’usage assigné au lot et les modalités de jouissance fixées ab initio par le règlement de copropriété ont constitué un élément déterminant pour le copropriétaire lors de l’acquisition de son lot et de son adhésion à la copropriété. L’usage initialement prévu doit donc être maintenu et respecté et ne peut être soumis aux assauts du pouvoir majoritaire. C’est ce que rappelle l’article 26 alinéa 3 de la loi du 10 juillet 1965 : « L’assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance telles qu’elles résultent du règlement de copropriété ».
6C’est une protection forte pour le copropriétaire qui rapproche sa situation de celle du propriétaire exclusif puisque il n’a aucun risque de subir contre son gré des modifications à l’utilité de son bien.
7Cette analyse s’illustre dans un arrêt de principe de la Cour de cassation en date du 19 octobre 2011 [1]. En l’espèce, le règlement de copropriété d’un immeuble situé dans une station de ski pyrénéenne (Piau Engaly sur la commune d’Aragnouet) destinait celui-ci à usage d’habitation avec possibilité d’offrir les logements à la location commerciale, le règlement faisant expressément référence à l’activité de para hôtellerie. Cette activité n’étant plus pratiquée dans l’immeuble depuis plus de dix ans, l’assemblée générale avait voté, à la majorité de l’article 26 de la loi, la suppression de la clause permettant l’exercice de cette activité dans les lots. Des copropriétaires opposant ont saisi le juge en vue d’annuler la résolution prise. Le tribunal de grande instance de Tarbes a constaté le défaut d’exploitation de l’activité para hôtelière depuis plus de dix ans et la nécessité de mettre le règlement de copropriété en conformité avec la réalité créatrice de droit. La Cour d’appel de Pau a confirmé le jugement de première instance constatant qu’il ne s’agissait pas en l’espèce de modifier la destination de l’immeuble mais de constater la modification déjà intervenue depuis plus de dix ans. La Cour de cassation casse l’arrêt au visa des articles 26 et 42 de la loi de 1965 au motif que : « le règlement de copropriété ne peut être modifié en ses stipulations relatives à la destination de l’immeuble que par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires prise à l’unanimité ».
8Pour la juridiction suprême, il n’est donc pas concevable de déduire du non exercice d’un droit conféré par le règlement de copropriété, la volonté implicite des copropriétaires d’y renoncer. Seul un vote à l’unanimité peut permettre de prendre acte de la volonté des copropriétaires de faire évoluer la destination de l’immeuble et l’usage des parties privatives de leur lot. Le copropriétaire est donc protégé et ne peut se voir imposer par une décision majoritaire une modification de l’usage de son lot.
9La situation se présente de façon différente lorsque le changement est réalisé à l’initiative du copropriétaire. Un copropriétaire peut-il modifier l’usage des parties privatives comprises dans son lot ou y a-t-il intangibilité de l’usage des lots prévue dans le règlement de copropriété ?
10Les situations de changement d’usage des parties privatives des lots de copropriété sont multiples. La crise du logement ou la volonté de valoriser son patrimoine conduisent les copropriétaires à modifier l’usage de leur lot notamment les lots qualifiés d’accessoires tels que les combles, les greniers, les caves, les débarras, remises, garages ou entrepôts que leurs propriétaires voudraient transformer en appartements.
11Les changements peuvent également concerner des appartements pour les affecter à un usage professionnel ou, encore et surtout, les locaux commerciaux lorsqu’il est envisagé d’adjoindre une activité complémentaire à l’activité actuelle ou procéder à un changement d’activité.
12Ces changements peuvent-ils s’opérer librement ou nécessite-t-il l’autorisation préalable de l’assemblée générale ?
13La question est délicate ; elle a donné lieu à une abondante jurisprudence et à des commentaires divergents de la doctrine mais on peut aujourd’hui énoncer un principe de solution dégagé par la jurisprudence qui a tenté de concilier d’une part les dispositions de l’article 8 de la loi de 1965 qui permettent au règlement de copropriété d’imposer des restrictions aux droits des copropriétaires et d’autre part celles de l’article 9 qui proclament la liberté d’usage des parties privatives.
14Aujourd’hui, nonobstant la définition de l’usage du lot mentionné dans le règlement de copropriété, un changement d’usage des parties privatives d’un lot peut être réalisé librement par un copropriétaire dans la mesure où ce changement est compatible avec la destination de l’immeuble et ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires. Dans ce cas, l’autorisation préalable de l’assemblée générale n’est pas nécessaire.
15C’est donc un principe de liberté qui prévaut avec deux critères cumulatifs d’appréciation de la validité du changement d’usage : la conformité à la destination de l’immeuble et la sauvegarde des droits des autres copropriétaires.
16Ce principe de solution est régulièrement rappelé par la Cour de cassation qui contrôle les motivations des juges du fond qui apprécient dans chaque cas la conformité du changement d’usage à la destination de l’immeuble et aux droits des autres copropriétaires. C’est ainsi que, dans un arrêt du 11 décembre 2012 [2], la Cour de cassation a, au visa des articles 8 et 9 de la loi de 1965, cassé l’arrêt d’une Cour d’appel qui avait refusé la transformation d’un local qualifié dans le règlement de copropriété de garage en magasin d’articles et de vêtement de sport au motif qu’elle n’avait pas constaté en quoi un tel changement était contraire aux droits des autres copropriétaires ou à la destination de l’immeuble.
17Ainsi, de deux choses l’une :
- soit le changement d’usage ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble et aux droits des copropriétaires et dans ce cas le caractère contractuel du règlement de copropriété cède face à la liberté individuelle, le copropriétaire peut modifier sans autorisation de l’assemblée générale l’usage des parties privatives de son lot ;
- soit la transformation porte atteinte à la destination de l’immeuble ou aux droits des copropriétaires et dans ce cas elle est impossible sans autorisation de l’assemblée générale prise à l’unanimité.
18Pourtant l’importance du contentieux prouve que la mise en œuvre de ces solutions pose un certain nombre de difficultés.
191°/ La première difficulté tient à l’existence de clauses restrictives contenues dans le règlement de copropriété.
20L’article 8 alinéa 1er de la loi de 1965 prévoit que le règlement de copropriété détermine la destination des parties privatives et des parties communes ainsi que les conditions de leur jouissance et l’alinéa 2 du même texte précise que le règlement ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble telle qu’elle est définie aux actes par ses caractères ou sa situation. A contrario, cela signifie que le règlement de copropriété peut imposer des restrictions aux droits des copropriétaires et que ces restrictions s’imposent si elles sont justifiées par la destination de l’immeuble.
21Lorsqu’une clause du règlement de copropriété interdit l’usage de certaines activités dans les parties privatives d’un lot (c’est souvent le cas pour les activités de restauration, cours de musique, cours de danse, commerce de poissonnerie…) ou impose une activité déterminée, c’est une restriction pour le copropriétaire qui envisage une modification de l’usage de son lot. Ce sera alors le juge qui, en cas de litige, appréciera la validité de la clause au regard de la destination de l’immeuble. S’il considère la clause comme justifiée par la destination de l‘immeuble, elle s’imposera au copropriétaire sans aucune dérogation possible.
22C’est ainsi qu’a été jugée licite, car justifiée par la destination de l’immeuble, la clause d’un règlement de copropriété imposant que les lots à usage commercial de l’immeuble soient utilisés pour des commerce de luxe [3].
23En l’espèce, le règlement de copropriété d’un immeuble situé à Pau destinait les locaux en étage à l’habitation et imposait dans les locaux commerciaux, situés au rez-de-chaussée, l’exercice d’une activité de commerce de luxe. Une société, propriétaire d’un local à usage commercial, a sollicité le syndicat des copropriétaires pour obtenir l’autorisation d’exercer dans les locaux un commerce à l’enseigne Coffee Shop (restauration rapide). L’assemblée générale a refusé de donner son autorisation. L’action en nullité engagée par le copropriétaire du lot a été rejetée en première instance. La Cour d’appel de Pau (arrêt 20 juin 2012) a confirmé le jugement au motif que la clause du règlement imposant l’exercice d’un commerce de luxe n’était pas illicite dès lors qu’elle était justifiée par la destination de l’immeuble ; la décision du syndicat n’avait donc pas de caractère abusif. La Cour de cassation approuve la position de la Cour d’appel qui avait relevé qu’en dépit de l’évolution de la composition sociologique des promeneurs et des résidents du quartier au cours des ans et de l’installation de débits de boissons et de brasseries dans certains bâtiments, la clause restrictive était justifiée par la destination de l’immeuble qui restait un bel immeuble de luxe situé dans un quartier d’habitation cossu et que l’activité envisagée, s’apparentant à de la restauration rapide par nature bruyante, n’était pas un commerce de luxe.
24Ainsi, la Cour de cassation confirme la possibilité pour un règlement de copropriété d’imposer à un lot un usage déterminé et de limiter contractuellement les droits des copropriétaires sur leur lot si cette restriction est jugée conforme à la destination de l’immeuble [4]. Dans ce cas, aucun changement ne sera possible en dehors d’une autorisation préalable de l’assemblée générale à l’unanimité de tous les copropriétaires.
25À l’inverse, les clauses plus généralistes qui interdisent les activités bruyantes, insalubres ou exhalant de mauvaises odeurs, fréquentes dans les immeubles à destination mixte, habitation et commercial, ne peuvent pas, selon la jurisprudence, justifier par anticipation l’exclusion de telle ou telle activité, comme par exemple celle de restauration, au seul motif qu’elle serait susceptible de créer ce type de nuisance. Le refus de changement d’usage du lot ne peut se fonder sur des nuisances hypothétiques ou supposées dans la mesure où le règlement de copropriété n’interdit pas expressément l’activité envisagée [5].
26La jurisprudence privilégie donc la liberté individuelle du copropriétaire lorsque le règlement de copropriété ne prohibe pas purement et simplement un type d’activité en particulier. Mais il s’agit d’une liberté conditionnelle soumise au respect de la destination de l’immeuble et des droits des autres copropriétaires
272°/ Cela conduit à évoquer la seconde difficulté en matière de changement d’usage des parties privatives qui tient à l’incertitude quant à l’appréciation de la destination de l’immeuble.
28La destination de l’immeuble n’est pas exclusivement de nature contractuelle, c’est une notion de fait, relative et variable en fonction des immeubles et l’on peut dire qu’il y a autant de destinations que d’immeubles en copropriété.
29Cependant la notion de destination de l’immeuble constitue le critère essentiel d’appréciation de la licéité du changement d’usage des lots or, l’indétermination et la subjectivité de la notion est facteur d’insécurité juridique pour le copropriétaire. Comment peut-il être certain que la nouvelle activité envisagée sera conforme à la destination de l’immeuble ?
30Le caractère évolutif de la notion renforce encore cette insécurité car ce qui était interdit hier pourrait être toléré aujourd’hui ou inversement. Cela explique l’importance du contentieux en la matière dans la mesure où, au final, l’appréciation de la destination de l’immeuble en copropriété et la conformité des changements d’usage relève de l’appréciation souveraine du juge. Le législateur l’avait d’ailleurs compris ainsi puisque l’exposé des motifs de la loi de 1965 précisait que « toutes les fois que la loi se réfère à cette notion (de destination de l’immeuble), elle laisse aux tribunaux un large pouvoir d’appréciation ».
313° / Il en résulte une troisième difficulté car, par prudence et pour éviter tout risque de contestation ultérieure, les copropriétaires vont très souvent solliciter l’autorisation préalable de l’assemblée générale sur le changement d’usage qu’ils envisagent alors même que, si le règlement de copropriété ne l’exige pas, cette autorisation préalable n’est pas requise puisque c’est le principe de liberté qui prévaut.
32En agissant ainsi, le copropriétaire se met à la portée des assauts du pouvoir majoritaire qui va trouver là l’occasion de refuser le changement d’usage pour des motifs qui ne sont pas toujours légitimes.
33Cette situation est parfaitement illustrée par un arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2014 [6]. Dans un immeuble à destination mixte, habitation et commercial, un copropriétaire, projetant d’installer une « épicerie fine » avec activité de restauration, avait sollicité l’avis de l’assemblée générale. Celle-ci avait considéré qu’une telle activité était contraire au règlement de copropriété, qui sans interdire les activités commerciales, interdisait les commerces susceptibles d’entraîner des nuisances par l’odeur ou le bruit. Le copropriétaire avait alors formé un recours en annulation contre la décision de refus ; recours rejeté par la Cour d’appel.
34La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, a cassé la décision de la Cour d’appel lui reprochant de ne pas avoir recherché si l’activité projetée était de nature à générer les nuisances sonores et olfactives interdites par le règlement de copropriété, ni si la restriction ainsi apportée aux droits des copropriétaires était justifiées par la destination de l’immeuble.
35Implicitement, pour la Cour de cassation, même un simple « avis » donné par l’assemblée générale fait grief au copropriétaire concerné qui va devoir exercer un recours qui sera examiné par les juges dans les mêmes conditions que s’il s’était agi d’une demande d’autorisation.
36Le recours à l’autorisation de l’assemblée générale, que le copropriétaire peut penser « sécurisant », le met en situation de devoir contester judiciairement le refus qui pourrait lui être opposé et l’oblige à former un recours en nullité pour abus de majorité dans les conditions de l’article 42 alinéa 2 de la loi de 1965. Or, l’action en nullité fondée sur un abus de majorité n’est pas sans risque pour le copropriétaire car la preuve de l’abus lui incombe et ses critères de détermination sont strictement appréciés par la jurisprudence.
37Illustration en est donnée par l’arrêt de la Cour de cassation, publié au bulletin du 17 décembre 2014 [7] à propos d’un changement d’usage des parties privatives d’un lot.
38Dans un immeuble à usage principalement commercial et de bureaux, les propriétaires d’un local à usage professionnel composé d’une pièce unique de 112 m² avaient demandé à l’assemblée générale l’autorisation d’affecter leur lot à usage d’habitation car une clause du règlement de copropriété soumettait le changement d’usage des lots à autorisation préalable de l’assemblée générale à la majorité de l’article 26.
39L’assemblée générale ayant refusé ce changement, ils ont assigné le syndicat en annulation de la décision de refus pour abus de majorité. Le syndicat des copropriétaires et une partie des copropriétaires ont alors demandé reconventionnellement que les copropriétaires concernés soient condamnés à cesser toute occupation à usage d’habitation du lot.
40La Cour d’appel de Pau (26 juillet 2013) a confirmé le jugement de 1ère instance ayant prononcé la nullité de la décision de refus de l’assemblée générale et rejette toute les demandes reconventionnelles considérant la décision de refus de l’assemblée générale comme abusive car la modification de l’usage du lot n’était pas contraire à la destination de l’immeuble, n’était pas interdite par le règlement de copropriété et ne portait pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.
41La Cour de cassation casse et annule, au visa de l’article 1382 du Code civil, la décision de la Cour d’appel au motif qu’elle n’a pas démontré en quoi la décision de refus de l’assemblée générale était contraire aux intérêts collectifs des copropriétaires ou avait été prise dans le seul but de favoriser les intérêts personnels des copropriétaires majoritaires au détriment des copropriétaires minoritaires. Par ailleurs, la Cour rappelle que, dans le statut de la copropriété, les décisions sont prises en assemblée générale et les juges du fond ne peuvent prendre aucune décision pour le compte du syndicat des copropriétaires. En rejetant la demande reconventionnelle, la Cour d’appel a substitué son appréciation à celle de l’assemblée générale et a violé l’article 17 de la loi de 1965 et l’article 1134 du Code civil. Dans ces conditions, si le demandeur ne parvient pas à démontrer la faute de l’assemblée générale, ce qui est le cas en l’espèce, la décision de l’assemblée générale aura force obligatoire et le changement d’usage sera impossible.
42Il faut donc éviter, lorsque cela n’est pas nécessaire, de solliciter l’assemblée générale sur la question du changement d’usage du lot ; or, cela n’est pas toujours possible.
43En premier lieu, il arrive que le règlement de copropriété prévoie expressément que tout changement d’usage sera soumis à l’autorisation préalable de l’assemblée générale.
44Cette clause, qui constitue une limitation conventionnelle à la liberté de principe du copropriétaire affirmée par l’article 9 de la loi, est considérée licite par la jurisprudence si elle se justifie au regard de la destination de l’immeuble [8].
45En second lieu, l’autorisation de l’assemblée générale est requise lorsque le changement d’usage s’accompagne de travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble.
464°/ Lors du changement d’usage des parties privatives d’un lot, l’autorisation de l’assemblée générale est requise lorsque celui-ci s’accompagne de travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble en application de l’article 25 b) de la loi de 1965.
47Un changement d’usage des parties privative peut s’accompagner de la mise en place d’un ascenseur dans la cour commune pour desservir de futurs locaux professionnels, de l’ouverture d’un châssis en toiture pour éclairer un grenier transformé en lieu de vie ou encore d’un raccordement aux canalisations communes lors de l’aménagement de sanitaires dans les chambres de services réunies pour devenir un appartement.
48En application de l’article 25 b) de la loi, l’assemblée générale n’a pas à se prononcer sur l’opportunité du changement d’usage qui relève de la liberté du copropriétaire mais devra vérifier que les travaux envisagés sont conformes la destination de l’immeuble pour les autoriser. Or, en pratique, les copropriétaires consultés vont parfois user de leur pouvoir d’intervention et refuser les travaux pour indirectement s’opposer au changement d’usage.
49Dans ce cas, le copropriétaire aura deux moyens d’action à sa disposition :
- soit solliciter l’autorisation judiciaire de travaux sur le fondement de l’article 30 de la loi de 1965 ; action que la jurisprudence n’analyse pas comme une action en nullité et qui n’est donc pas soumise aux conditions de l’article 42 alinéa 2 notamment en matière de délai. L’action pourra être exercée pendant 10 ans à compter de la date de la résolution de refus ;
- soit agir dans les conditions de l’article 42 alinéa 2 en annulation de la résolution votée en assemblée générale sur le fondement de l’abus de majorité dont nous avons évoqué précédemment les incertitudes.
50Remarquons que si le changement d’usage envisagé caractérise un changement de destination de l’immeuble, les travaux nécessités par ce changement ne pourront être autorisés qu’à l’unanimité [9].
515°/ Une fois ces différents obstacles surmontés, une dernière difficulté peut s’élever contre le projet du copropriétaire qui souhaite modifier l’usage de parties privatives de son lot : la sauvegarde des droits des autres copropriétaires c’est-à-dire le droit pour chacun à la tranquillité, à la sécurité et à l’intégrité matérielle des parties privatives de son lot.
52Un changement d’usage, licite au regard de la destination de l’immeuble, peut être interdit parce que de nature à entraîner des sujétions anormales de voisinage et ainsi porter atteinte aux droits des autres copropriétaires. Ce sera le cas pour les activités génératrices de bruit, de vibrations ou d’odeurs gênantes. Sont bien entendu particulièrement visés les bars, les restaurants, les cours de danse, de musique, les poissonneries…
53La jurisprudence est constante en la matière ; même si le commerce incriminé n’est pas en lui-même contraire à la destination de l’immeuble, les troubles de voisinage que génère son activité doivent conduire le juge à prendre des mesures de nature à les faire cesser [10].
54Il en résulte que la conformité d’une affectation commerciale à la destination de l’immeuble constitue la condition préalable mais cette conformité ne saurait faire échec à l’obligation générale incombant à chacun ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires ainsi que le prévoit l’article 9 alinéa 1 de la loi.
55Ainsi, s’il est de principe qu’une activité de restaurant ne peut être interdite a priori au motif qu’elle serait susceptible de créer des nuisances, en revanche une telle activité même autorisée peut être interdite par l’autorité judiciaire si, en violation du règlement de copropriété, elle entraîne des nuisances dépassant les seuils de tolérance admis en milieu urbain [11].
56Malgré le principe de liberté, le changement d’usage des parties privatives d’un lot n’est pas un droit acquis pour le copropriétaire.
57Lorsque celui-ci intervient, il implique parfois une modification de la répartition des charges de copropriété, ce qu’il convient d’examiner pour terminer cet exposé.
II – Les conséquences du changement d’usage de la partie privative d’un lot : la modification de la répartition des charges
58L’article 10 de la loi de 1965, texte d’ordre public, détermine deux catégories de charges de copropriété dont la quote-part pour chaque lot est fixée par le règlement de copropriété.
59Il y a tout d’abord les charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes. Celles que l’on appelle les charges générales.
60Dans la pratique, l’opinion pense que le changement d’usage de la partie privative d’un lot nécessite une augmentation des charges générales du lot concerné notamment lors de la transformation de locaux secondaires en locaux principaux. Or, cette analyse est erronée car la répartition des charges générales s’établit en application de trois critères définis par la loi que sont la superficie, la consistance et la situation du lot.
61Dès lors que ces trois critères restent inchangés, il n’y a pas lieu, sauf décision de l’assemblée générale à l’unanimité, de modifier la répartition des charges générales. Cette solution s’impose d’autant plus que la loi interdit précisément que l’on tienne compte de l’utilisation du lot pour le calcul des charges générales [12].
62Le changement d’usage de la partie privative d’un lot, qui s’effectue sans augmentation de superficie, n’affecte donc pas cette première catégorie de charges déterminée par le règlement de copropriété. La Cour d’appel de Paris l’a rappelé dans un arrêt du 15 octobre 2014 [13] en refusant la modification de la répartition des charges générales suite à la transformation en galerie d’art de locaux situés en sous-sol et originairement à usage de réserve et de cave.
63La situation est différente pour la seconde catégorie de charges mentionnées à l’alinéa 1er de l’article 10 de la loi de 1965 qui concerne « les charges entrainées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun » qui doivent être réparties en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot. L’article 25 e) de la loi de 1965 reconnait au syndicat, à la majorité des voix de tous les copropriétaires, la faculté de décider de la modification de la répartition de ces charges lorsque le changement d’usage d’une ou plusieurs parties privatives rend nécessaire cette modification. Il en serait ainsi, par exemple, pour la répartition des charges de l’ascenseur dans le cas de la transformation d’un appartement en local professionnel car l’affluence de la clientèle aura pour conséquence d’accroître l’utilisation de cet équipement.
64Cela s’explique dans la mesure où ces charges sont réparties en fonction de l’utilité objective que ces éléments ou services commun ont pour le lot considéré or lorsqu’un changement d’usage des parties privatives d’un lot implique un accroissement substantiel de ces charges, leur répartition entre les lots nécessite une modification.
65Un arrêt de la 3° chambre civile de la Cour de cassation du 1er octobre 2014 [14], publié au bulletin, est venu apporter une précision utile sur le champ d’application de l’article 25 e) de la loi de 1965. Le fait que le règlement de copropriété prévoit une destination mixte et donc plusieurs usages potentiels pour le lot n’exclut pas que le changement de l’usage initial puisse entraîner une augmentation des charges.
66En l’espèce, le règlement de copropriété prévoyait que les appartements ne pourraient être occupés que bourgeoisement ou affectés à l’exercice d’une activité libérale. Le propriétaire d’un lot à usage d’habitation l’avait donné en location pour l’exercice d’une activité médicale. L’exercice de cette activité avait accru l’utilisation de l’ascenseur du fait de la réception de clientèle. L’assemblée générale ayant décidé d’augmenter la quote-part des charges du lot litigieux, le copropriétaire a assigné le syndicat en annulation de cette résolution. La Cour d’appel a fait droit à sa demande au motif qu’aucun changement d’usage ne pouvait être constaté au sens de l’article 25 e) car le nouvel usage était prévu par le règlement de copropriété. L’arrêt de la Cour d’appel est cassé par la Cour de cassation qui constate qu’il y a bien changement d’usage au sens de l’article 25 e) car la prévision de l’usage potentiel du lot par le règlement de copropriété ne saurait être confondue avec son affectation initiale.
67Cette analyse doit être approuvée car elle ménage l’équilibre entre la liberté pour le copropriétaire d’user librement de son bien et la préservation de l’intérêt général de la copropriété. Il est normal que l’augmentation des dépenses relatives au changement d’usage d’un lot soit supportée par le seul bénéficiaire de ce changement et non par la collectivité. Toutefois, il ne faudra pas oublier de publier cette nouvelle répartition des charges qui constitue une modification du règlement de copropriété et prévoir dans la délibération de supprimer la majoration ainsi votée en cas de retour à l’usage initial du lot.
Conclusion
68La copropriété bouge. Les changements d’usage des lots sont fréquents. Ils entraînent cependant des tensions dans la copropriété et donnent lieu à une abondante jurisprudence parfois déconcertante.
69Le changement d’usage du lot de copropriété n’est pas un long fleuve tranquille pour le copropriétaire. Par-delà le caractère conventionnel du règlement de copropriété c’est en réalité la destination de l’immeuble « notion plus sentie que juridiquement précise » [15] qui fixera la limite du possible en la matière.
70Elle offre à la fois sécurité et liberté au copropriétaire mais on le sait bien « les gens ne se servent jamais de la liberté qu’ils possèdent alors qu’ils ne cessent de réclamer celle qu’ils n’ont pas », les copropriétaires ne dérogent pas à la règle !
Notes
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[1]
Pourvoi n°10-20634.
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[2]
Pourvoi n° 11-25339 Revue Administrer, mars 2013, n° 463, p. 49.
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[3]
Cass. 3° civ. 13 novembre 2013 pourvoi n°12-24446.
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[4]
En application de l’article 8 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965.
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[5]
Voir en ce sens Cass. 3° civ. 4 octobre 2014 n°13-20585 Revue Administrer, février 2015, p. 484 – Cass. 3° civ. 14 décembre 2010 pourvoi n° 09-711345.
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[6]
Pourvoi n° 13-20585 Revue Administrer, février 2015, n° 484.
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[7]
Pourvoi n° 13-25134.
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[8]
Voir en ce sens Cass. 3° civ. 18 septembre 2013 pourvoi n° 12-2360.
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[9]
Cass. 3° civ. 17 février 2004, Revue Administrer, mai 2004, n°366, p. 49 – Cass civ 3° 13 septembre 2005 pourvoi n° 04-15905.
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[10]
Cass. 3° civ. 29 février 2012 pourvoi n° 10-28618 JurisData n° 2012-003300 ; Loy. et cop. 2012 comm. 151.
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[11]
Paris pôle 4 ch 2, 16 janvier 2013, RG 10/23356.
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[12]
Cf. art. 5 de la loi du 10 juillet 1965 : « Dans le silence ou la contradiction des titres, la quote-part de partie commune afférente à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs desdites parties, telles que ces valeurs résultent, lors de l’établissement de la copropriété, de la consistance de la superficie et de la situation des lots, sans égard à leur utilisation ».
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[13]
Paris pôle 4 ch. 2, 15 octobre 2014, RG 13/09522, Revue administrer, janvier 2015, n° 483, p. 65.
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[14]
Cass. 3° civ. pourvoi n° 13-21 745, RTDI n° 4 2014, p. 57, Frédérique Cohet.
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[15]
L’expression est de Christian Larroumet.