Notes
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[1]
« Au prix que ça [le péage autoroutier] coûte ! […] quand bien même on a envie de se foutre en l’air ? » Comprendre les rapports ordinaires au droit implique l’immersion qui combine les méthodes de l’enquête de terrain et tous les types d’entretiens : collectifs puis individuels, informels puis formels… Plusieurs enquêtés reprennent volontiers un mantra du héros des films Fast and Furious, Brian O’Conner : « If one day speed kills me, don’t cry because I was smiling ». Paul Walker, l’acteur qui l’interprétait, est mort en 2013 dans un accident de la route.
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[2]
Cette étude repose sur des observations et entretiens répétés dans les mêmes teams et meetings de tuning du sud-ouest de la France entre 2006 et 2019. Le tuning est une pratique amateure de personnalisation automobile dont le pratiquant type est un homme de 23 ans vivant dans un bourg désindustrialisé, diplômé d’un CAP ou BEP, employé ou ouvrier lui-même issu d’une famille appartenant aux classes populaires rurales stabilisées. Sauf indication contraire, tous les termes entre guillemets sont des extraits d’entretiens anonymisés, le cas échéant en usant de pseudonymes. Toute ma gratitude aux évaluateurs anonymes de Droit et Société, ainsi qu’à Jacques Chevallier que je ne remercierai jamais assez. Cet article est dédié à mon ami Michel Pinçon qui nous a récemment quitté ; il doit aussi à nos discussions autour de son remarquable ouvrage : Désarrois ouvriers. Familles de métallurgistes dans les mutations industrielles et sociales, Paris : L’Harmattan, 1987.
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[3]
« Aux États-Unis, tu vois c’est plus libre, c’est moins réglementé. En France on nous met des lois sur des lois, tous les ans c’est pire. Bon, des fois on se fait arrêter hein ! Mais y a pas de [pro]blème [ie. on trouve toujours des astuces] » explique par exemple Mathias Ducroy, chauffeur-livreur, 23 ans, alias « Tuning Passion 31 ». Tous les noms et alias correspondant cités dans cet article ont été anonymisés.
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[4]
Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris : Presses universitaires de France, 1986 [1893], p. 86. Comme toutes les avant-gardes, les travaux de référence autour de la « conscience juridique » ont pu reconnaître leurs dettes à l’égard des pères fondateurs (Marx, Weber, Durkheim) au titre du retour aux sources à fort potentiel légitimant.
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[5]
Susan S. Silbey, « After Legal Consciousness », Droit et Société, 100 (3), 2018, p. 571-626. DOI : 10.3917/drs1.100.0571 [trad. de Susan S. Silbey, « After Legal Consciousness », Annual Review of Law and Social Science, 1, 2005, p. 323-368. DOI : 10.1146/annurev.lawsocsci.1.041604.115938]. Voir l’ensemble de ce n° 100 de Droit et Société : Jacques Commaille et Stéphanie Lacour (dir.), « After Legal Consciousness Studies : dialogues transatlantiques et transdisciplinaires » ; Patricia Ewick et Susan S. Silbey, The Common Place of Law: Stories from Everyday Life, Chicago : University of Chicago Press, 1998.
-
[6]
Louis Assier-Andrieu, Chroniques du juste et du bon, Paris : Presses de Sciences Po, 2020. DOI : 10.3917/scpo.assie.2020.01. L’auteur reprend une formule du jurisconsulte Celse (iie s.) pour qui « l’exercice de l’art du juste et du bon » est nécessaire à la préservation de toute vie commune.
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[7]
Edward P. Thompson, Les Usages de la coutume, Paris : Éditions de l’EHESS-Le Seuil-Gallimard, 2015 [1991], p. 60.
-
[8]
Pour ne pas rejouer l’opposition stérilisante du top/down contre le bottom/up, les outils conceptuels relationnels de la théorie des champs et de l’habitus (autonomie relative, schèmes de perception et d’évaluation, incongruences, malentendus productifs, anticipation des réceptions, affinités des habitus, subordination ou résonnances structurales, homologie de positions ou de dispositions, analogies du jeu, incorporation et subjectivation, raison et politisation pratiques…) aident à mieux comprendre l’indissociabilité des processus de domination sans en (dé)nier l’iniquité, ce qui permet à la sociologie du droit d’assumer l’intrication plurielle du droit des livres avec les droits coutumiers et le droit en actes sans toutefois les symétriser, le premier disposant, outre le monopole coercitif, de bien d’autres ressources ou mieux de chances de puissances sociales.
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[9]
Rappelons avec Lorenzo Barrault-Stella et Alexis Spire que « l’étude de ces divers usages individualisés du droit [par des individus appartenant aux classes supérieures] nous conduit néanmoins à retrouver une forme de mobilisation collective qui, bien qu’elle n’apparaisse pas de façon instituée et explicite, n’en est pas moins manifeste : l’enjeu pour ces contribuables, justiciables et requérants des institutions publiques est de défendre leurs intérêts sociaux, voire parfois d’étendre leurs prérogatives dans leurs rapports à l’État. Cette question des usages “ordinaires” du droit par les membres des classes supérieures renvoie plus généralement à la perpétuation des inégalités sociales, à la reproduction des capitaux économiques et culturels, et in fine à la consolidation des formes de domination ». Lorenzo Barrault-Stella et Alexis Spire, « Introduction. Quand les classes supérieures s’arrangent avec le droit », Sociétés Contemporaines, 108 (4), 2017, p. 5-14. DOI : 10.3917/soco.108.0005.
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[10]
Liora Israël, L’Arme du droit, Paris : Presses de Sciences Po, 2009, p. 5. DOI : 10.3917/scpo.israe.2009.01 ; Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, 2015.
-
[11]
Citée par Jacques Commaille, ibid., p. 357, 378.
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[12]
Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris : Gallimard, 1949 [1938], p. 29.
-
[13]
Pour une analyse réaliste des rapports ordinaires au droit qui a su esquiver l’écueil romantique : Emilia Schijman, À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté, Issy-les-Moulineaux : LGDJ, 2019.
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[14]
Karl Marx, Débats sur la loi relative au vol de bois, dans Œuvres, tome III : Philosophie, trad. de l’allemand par Louis Évrard, Michel Jacob, Jean Malaquais, Claude Orsoni, Maximilien Rubel et Suzanne Voute, Paris : Gallimard, 1982. Approfondi par Edward P. Thompson, La Guerre des forêts : luttes sociales dans l’Angleterre du xviiie siècle, trad. de l’anglais par Christophe Jacquet, Paris : La Découverte, 2014 [1975]. Voir également : Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, Marx : du « vol de bois » à la critique du droit, Paris : Presses universitaires de France, 1984 ; Marie-Alice Chardeaux, Les Choses communes, Paris : LGDJ, 2006.
-
[15]
Nicolas Herpin, L’Application de la loi. Deux poids, deux mesures, Paris : Le Seuil, 1977 ; Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP), Les Usages sociaux du droit, Paris : Presses universitaires de France, 1989.
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[16]
Pierre Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, 17-18, 1977, p. 2-5. <www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572>
-
[17]
Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. DOI : 10.3406/arss.1986.2332 ; Violaine Roussel, « Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la sociologie du droit de Pierre Bourdieu », Droit et Société, 56-57 (1-2), 2004, p. 41-55. DOI : 10.3917/drs.056.0041.
-
[18]
Comme l’obéissance, cet autre « concept » (« loyauté ») demeure toutefois trop connoté, il affecte le lecteur et perturbe ainsi la bonne compréhension de la domination politique qui n’est généralement que confusément supportée et/ou souvent déniée et, répétons-le, simultanément contestée ou critiquée.
-
[19]
Devenu, selon la formule de Jacques Chevallier, « le paradigme dominant des sociétés démocratiques » : L’État de droit, Paris : Montchrestien, 2003 [1992], p. 115.
-
[20]
Albert O. Hirschman, Défection et prise de parole, trad. de l’anglais par Claude Beysserias, Paris : Fayard, 1995 [1970].
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[21]
Matthieu Grossetête a montré au travers de la surreprésentation des accidents mortels des jeunes hommes de milieu populaire que bon nombre pourraient être pensés tels des quasi-suicides sociaux. Matthieu Grossetête, Accidents de la route et inégalités sociales. Les morts, les médias et l’État, Bellecombe-en-Bauges : Éditions du Croquant, 2012.
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[22]
James C. Scott emprunte en effet ce concept clé (« infrapolitique ») pour l’ensemble de son œuvre à l’historien français Maurice Agulhon (La République au village, Paris : Le Seuil, 1979 [1970], cité par James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance, trad. de l’anglais par Olivier Ruchet, Paris : Amsterdam, 2008, p. 205). Voir notamment : François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot et Sabine Rozier (dir.), L’Ordinaire du politique. Enquête sur les rapports profanes au politique, Lille : Presses du Septentrion, 2016. Bien que James C. Scott envisage le concept d’infrapolitique en relation avec celui marxiste d’infrastructure, il demeure assimilé à celui, peu pertinent, de « proto-politique » qui rabaisse et refuse d’emblée l’autonomie culturelle (même relative) aux dominés et dominées dont l’horizon ne pourrait être que la politisation telle que définie dans les cadres de l’entendement de privilégiés sociaux (cosmogonies des néo-marxistes, anarchistes, écologistes mais aussi des libéraux, conservateurs, réactionnaires… Qui projettent ainsi en contrechamp sur les dominés et dominées l’illusio politique propre à leurs champs idéologiques d’appartenance) ; nous défendons la thèse d’autres pratiques et rationalités para-politiques, d’une politique ailleurs et autrement qui doit toutefois toujours échanger et faire avec celles dominantes, dont le droit étatique.
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[23]
Par exemple : « Le fait pour un professionnel de fabriquer, d’importer, d’exporter, d’exposer, d’offrir, de mettre en vente, de vendre, de proposer à la location ou d’inciter à acheter ou à utiliser un dispositif ayant pour objet de dépasser les limites réglementaires fixées en matière de vitesse, de cylindrée ou de puissance maximale du moteur d’un cyclomoteur, d’une motocyclette, d’un engin de déplacement personnel à moteur, d’un cycle à pédalage assisté ou d’un quadricycle à moteur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » (Article L. 317-5 du Code de la route)
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[24]
Voir également Yohan Selponi, « Reproduire l’ordre social en se l’appropriant. L’ambivalence des réceptions des actions préventives en milieu scolaire, rural et populaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 235 (5), 2020, p. 48-63. DOI : 10.3917/arss.235.0048.
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[25]
Les enquêtés s’adaptent, comme nous tous, à leurs interlocuteurs, ie. à la configuration structurale plus ou moins implicite (ou explicite) des relations de domination ; d’où l’importance de l’enquête en immersion… Sur ces ruses de la conversation, cette intelligence des situations de pouvoirs, M. Agulhon cite déjà un évêque, Monseigneur Trelawny, stigmatisant un siècle plus tôt ce « peuple pernicieux et pestilentiel […] capable de faire des serments au gouvernement, pour ensuite faire preuve d’une sournoise subversion ». Maurice Agulhon, La République au village, op. cit., p. 124.
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[26]
Au titre de la Circulaire du 23 mai 2005 relative à la mise en œuvre du plan national d’action contre le bruit : renforcement et suivi de la police du bruit en matière de bruit de voisinage et des deux-roues (texte non paru au journal officiel).
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[27]
On sait la normalisation des exceptions et les régressions des droits des citoyens face à l’État depuis que j’ai commencé cette étude dans les années 2000.
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[28]
On retrouve toutefois, dans cette jeunesse populaire rurale, l’emprise croissante d’une certaine « culture psychologique » repérée par Olivier Schwartz, mais elle semble surtout avoir été diffusée par les médias dominants (radio et télévision, presse populaire, nouveaux médias) ; cette « culture psychologique » est toutefois réappropriée et ne s’impose pas elle-même, à l’instar du droit officiel, sans malentendus productifs… Olivier Schwartz, « La pénétration de la “culture psychologique de masse” dans un groupe populaire : paroles de conducteurs de bus », Sociologie, 2 (4), 2011, p. 345-361. DOI : 10.3917/socio.024.0345.
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[29]
Pour actualiser la trilogie classique de William L.F. Felstiner, Richard L. Abel et Austin Sarat, « The Emergence and Transformation of Disputes: Naming, Blaming, Claiming… », Law and Society Review, 15 (3-4), 1980, p. 631-654. DOI : 10.2307/3053505.
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[30]
Jérôme Pélisse, « Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail », Politix, 2 (86), 2009, p. 73-96. DOI : 10.3917/pox.086.0073.
-
[31]
Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste communiste, dans Karl Marx, Œuvres, tome I : Économie, trad. de l’allemand par Louis Évrard, Michel Jacob, Jean Malaquais, Claude Orsoni, Maximilien Rubel et Suzanne Voute, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1994 [1963], p. 178.
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[32]
Boaventura de Sousa Santos, Sociología jurídíca crítica, Madrid : Trotta Editorial, 2009, cité par Emilia Schijman, À qui appartient le droit ?, op. cit., p. 122.
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[33]
Lionel Pourtau, « Les Sound Systems technoïdes, une expérience de la vie en communauté », in Béatrice Mabilon-Bonfils (dir.), La Fête techno. Tout seul et tous ensemble, Paris : Autrement, 2004, cité par Jade Rios-Pereas, Free-Party. Immersion dans la culture technoïde, mémoire de fin d’étude de Sciences Po Toulouse, non publié, 2017, p. 11.
-
[34]
« Considérant que […], le tribunal civil de Sousse a ordonné le maintien en possession du sieur Couitéas des parcelles de terrain du domaine de Tabia et Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l’Etat et lui a conféré le droit d’en faire expulser tous occupants ; que le requérant a demandé, à plusieurs reprises, aux autorités compétentes, l’exécution de ces décisions ; mais que, le gouvernement français s’est toujours refusé à autoriser le concours de la force militaire d’occupation reconnu indispensable pour réaliser cette opération de justice, à raison des troubles graves que susciterait l’expulsion de nombreux indigènes de territoires dont ils s’estimaient légitimes occupants, depuis un temps immémorial […] ». <https ://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/1923-11-30/38284>
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[35]
Le chapitre 6 du titre 3 du livre II du Code de la route est ainsi complété par l’article L. 236-1 : « I. Le fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. II. Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende lorsque les faits sont commis en réunion. […] », et par l’article L. 236-2 : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait : 1° D’inciter directement autrui à commettre les faits mentionnés à l’article L. 236-1 ; 2° D’organiser un rassemblement destiné à permettre la commission des faits mentionnés au II du même article L. 236-1 ; 3° De faire, par tout moyen, la promotion des faits mentionnés audit article L. 236-1 ou du rassemblement mentionné au 2° du présent article. »
-
[36]
Edward E. Evans-Pritchard, Les Nuers, trad. de l’anglais par Louis Evrard, Paris : Gallimard, 1968 [1940].
-
[37]
La loi de 2018 qui permet la condamnation sévère (dont les saisies immédiates de véhicules) des « incitateurs » plus ou moins avérés de « rodéos motorisés », jusque-là repérés par les forces de l’ordre au travers de la veille et de l’espionnage des réseaux sociaux numériques les plus connus, semble surtout avoir eu pour effet d’entraîner ces tuneurs, comme les organisateurs de raves et autres événements non conventionnels, vers d’autres réseaux numériques mieux sécurisés.
-
[38]
Jacques Commaille, « Les Legal Consciousness studies selon Susan Silbey : une dissonance entre données empiriques et ressources théoriques ? », Droit et Société, 3 (100), 2018, p. 657-664. DOI : 10.3917/drs1.100.0657.
-
[39]
Louis Pinto, « Du “pépin” au litige de consommation. Une étude au sens juridique du terme », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 76-77, 1989, p. 65-81 : 73. DOI : 10.3406/arss.1989.2880.
-
[40]
Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 76-136 : 98. <https ://www.jstor.org/stable/650244> [traduit dans Edward P. Thompson, Valérie Bertrand, Cynthia A. Boutonet al., La Guerre du blé au xviiie siècle, Paris : Éditions de la passion, 1988, p. 31-92].
-
[41]
Louis Pinto, « Du “pépin” au litige de consommation », op. cit.
-
[42]
Par intérêt économique, les magazines de tuning, comme tous les magazines et médias à destination des classes populaires, anticipent rationnellement les lectures pratiques qui seront réalisées de leurs articles, d’où des rubriques avec des conseils juridiques, aux côtés des conseils d’éducation des enfants, de gestion des budgets familiaux, des fiches cuisine ou de la météo…
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[43]
Lilian MATHIEU, Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé, Paris : Textuel, 2013 ; Éric Darras, « Les causes du peuple. La gestion du cens social dans les émissions-forums », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1-2 (186-187), 2011, p. 94-111. DOI : 10.3917/arss.186.0094.
-
[44]
« But were the poor really so silly? […] For the poor had their own sources of information. They work on docks. They moved the barges on the canals […] If rumours often grew beyond all bounds, they were always rooted in at least some shallow soil of fact. » : Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 115.
-
[45]
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris : Éditions de Minuit, 1972.
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[46]
William Gamson, Talking politics, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
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[47]
Les commentaires suivants demeurent des hypothèses ou conjectures dans la mesure où je ne bénéficie, hélas, que d’un corpus extrêmement restreint de tuneurs autodidactes en droit puisqu’ils se comptent sur les doigts d’une main. Il s’agit à nouveau de contribuer au débat en rapportant, en sociologue, les prises de positions aux positions occupées dans l’espace social (dont celui territorial) comme aux trajectoires familiales.
-
[48]
On sait, dans un tout autre contexte historique, que ce type d’interprétation, de conversion et autre renversement du droit a pu fédérer des professionnels du droit parmi les plus érudits et justifier la « révolution conservatrice » : Olivier Jouanjan, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi. Paris : Presses universitaires de France, 2017 ;Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris : Gallimard, 2014 ; Christian Ingrao, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris : Fayard, 2010.
-
[49]
Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Éditions de Minuit, 1979 ; Gérard Mauger, Les Bandes, le milieu et la bohème populaire. Études de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires, 1975-2005, Paris : Belin, 2006.
-
[50]
Dick Hebdige, Subcultures. Le sens du style, trad. de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Paris : La Découverte, 2008 [1978].
-
[51]
Paul E. Willis, Profane Culture, Londres : Routledge & K. Paul, 1978.
-
[52]
Bon nombre de ces tuneurs angoissés par la possibilité du déclassement se définissent eux-mêmes comme des « maniaques ». La peau de chamois est l’outil indispensable du tuneur « propre » dont le véhicule doit demeurer rutilant durant les meetings où chacun prend soin de ne pas souiller les véhicules concurrents.
-
[53]
Mary Douglas, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, trad. de l’anglais par Anne Guérin, Paris : Maspero, 1971 ; Florence Weber, L’Honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle, Paris : Belin, 1998.
-
[54]
Voir « Yvelines : des dizaines de jeunes agenouillés, mains sur la tête, lors de leur interpellation à Mantes-la-Jolie », francetvinfo.fr [en ligne], 6 décembre 2018. Rappelons avec Olivier Schwartz, le caractère sacré de l’enfance et des enfants dans les familles de milieu populaire, de tels agissements policiers scandalisent d’autant plus. Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris : Presses universitaires de France, 2012 [1990].
-
[55]
Gerald N. Rosenberg, The Hollow Hope. Can Courts Bring about Social Change?, Chicago : Chicago University Press, 1991.
-
[56]
« En tous cas, à l’horizon de ces pratiques [populaires] illégales – et qui se multiplient avec des législations de plus en plus restrictives – se profilent des luttes proprement politiques ; le renversement éventuel du pouvoir ne les hante pas toutes, loin de là ; mais une bonne part d’entre elles peuvent se capitaliser pour des combats politiques d’ensemble et parfois même y conduire directement » résume Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris : Gallimard, 1975, p. 319.
-
[57]
Maurice Agulhon, dans La République au village, conclut à ce « niveau infrapolitique » qui, produisant « la conscience de droits à la forêt », prépare la révolution via « une certaine haine à l’encontre des gendarmes, des intendants et des préfets et finalement de cette haine a surgi un désir de révolution ». Maurice Agulhon, La République au village, op. cit., p. 375.
-
[58]
Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, trad. de l’anglais par Françoise et Jean-Claude Garcias et Jean-Claude Passeron, Paris : Éditions de Minuit, 1970.
-
[59]
James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance, op. cit., p. 112.
-
[60]
« The poor knew that the one way to make the richs yield is to twist their arms », écrivait Edward P. Thompson, dans « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 115.
-
[61]
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris : Éditions de Minuit, 1980, p. 445 ; cité par James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Paris : Le Seuil, 2013 [1989], p. 55.
-
[62]
François Buton, « Le droit comme véhicule. Portrait sociologique d’un justiciable », dans Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP), Sur la portée sociale du droit. Usages et légitimité du droit public, Paris : Presses universitaires de France, 2005, p. 127-144
-
[63]
Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. DOI : 10.3406/arss.1986.2332.
-
[64]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 356 et suivantes.
-
[65]
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, op. cit. ; Louis Assier-Andrieu, Chroniques du juste et du bon, op.cit.
-
[66]
Olivier Schwartz, « La pénétration de la “culture psychologique de masse” dans un groupe populaire », op. cit.
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[67]
Joseph Gusfield s’inspire d’Edmund Leach (Culture and Communication, Cambridge : Cambridge University Press, 1976) pour penser les actes juridiques comme autant de produits culturels exerçant leurs effets sur les cerveaux et les comportements, même s’il est inévitablement difficile d’en mesurer l’impact. « My concern here is with another aspect of legal acts, their symbolic forms as communications – as narratives, stories, tales, as public legend and myth. Seen as culture, law takes its place alongside other forms of art – literature, painting, sculpture, science, religious ceremony. » : The Culture of Public Problem. Drinking-Driving and the Symbolic Order, Chicago : University of Chicago Press, 1980, p. 146.
-
[68]
Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris : Le Seuil, 1976, p. 548.
-
[69]
Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Paris : Flammarion, 1974.
« Fuir c’est pas être libre. »
« I fought the law and the law won. »
1 N’est-on pas « dans son droit » lorsqu’on « fait une petite pointe à 200 [km/h] sur l’autoroute » [1] ? Lorsqu’on « fume son joint tranquille, peinard » ? Ne peut-on jouer avec le droit « en roulant à 113 km/h au lieu de 110 km/h » ? Ne peut-on se moquer « gentiment » des forces de l’ordre ? N’est-il pas « juste » de lancer des œufs lors d’une manifestation sur des journalistes qui méprisent ouvertement les « gens comme nous, les gens du peuple » ? De « démonter » les radars qui nous « sucent le sang » ? D’insulter un élu « qui nous prend pour de la merde » ? « Se révolter, c’est aussi un droit non ? »
2 Ce florilège ne constitue qu’un échantillon des nombreuses et diverses questions autour de leur rapport au droit que se posent régulièrement, mais avec leurs mots, des jeunes issus des milieux populaire et rural adeptes de tuning [2]. Ils pratiquent spontanément et confusément une sorte de droit comparé et célèbrent notamment « la vraie liberté des américains [3] » ; c’est l’une des significations du drapeau des confédérés sudistes, toujours présent dans les meetings du sud-ouest de la France. Ici, un automobiliste reste dansson droit lorsqu’il n’attache pas sa ceinture de sécurité. Ces jeunes adultes issus de familles modestes semblent ainsi rejoindre Durkheim lorsqu’il affirmait qu’« il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons [4] ». Le lecteur de Droit et Société ne l’ignore certes pas : son droit et le droit ne sont jamais tout à fait choses distinctes ; dès lors, « les chercheurs se sont détournés de l’étude des rapports entre droit et société » pour s’intéresser au « droit en société » [5]. Redevenu matériau ethnographique, le droit ne prend vie ou sens qu’ici et maintenant, au sein de la nébuleuse sémantique (et syntaxique) de ce qui est localement et temporellement « juste et bon [6] », dans son « économie morale », soit au sein d’un consensus populaire sur ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, consensus lui-même issu d’un « équilibre particulier des relations sociales, un environnement de travail fait d’exploitation, de résistances à l’exploitation et de relations de pouvoir [7] ». Il s’agit de réaffirmer l’intrication inévitable de la politique conventionnelle avec celle non conventionnelle. Mais gardons à l’esprit que les conscientisations, usages effectifs ou politisations profanes par le droit ne sont jamais que relatives et qu’en milieu populaire, ils n’en sont pas moins concurremment et principiellement exceptionnels, limités, encadrés, refusés, réprimés et ridiculisés [8]. Il en ressort notamment qu’une comparaison des stratégies juridiques et judiciaires des plus dominants avec celles des plus dominés ne va pas de soi, et impliquerait la plus grande prudence [9].
3 Cela posé, on sait « le caractère bipolaire du droit [10] » et, pour reprendre la formule d’Hannah Arendt, le monde populaire du tuning se montre lui-aussi très sourcilleux sur son « droit à avoir des droits [11] », sur un certain nombre de libertés publiques et individuelles : liberté d’aller et venir, liberté de réunion, liberté d’expression, respect de la procédure pénale comme du droit du travail et au travail mais aussi liberté du commerce, liberté d’entreprendre, respect de la dignité humaine et de la vie privée comme de la propriété privée… L’art populaire de la personnalisation des véhicules automobiles exprime en acte l’exercice de ces libertés fondamentales. Il constitue per se un jeu avec le droit officiel, avec le code de la route et pas seulement lorsqu’il est jugé inepte et/ou arbitraire. Ainsi, partout dans la France rurale du début du xxie siècle, des tuneurs occupent illégalement la nuit des espaces publics (parking de grandes surfaces, routes abandonnées, friches industrielles…) pour y pratiquer des jeux interdits, et ce bien avant d’occuper des ronds-points en devenant pour bon nombre d’entre eux des participants au mouvement des Gilets jaunes, ces autres illégalismes devenus médiatiques et politiques et qui s’inscrivent régulièrement dans la continuité directe des premiers. Les « rassemblements » (« rassos »), comme toutes les performances du tuning, demeurent toujours précisément eux-mêmes à la frontière du droit. Les adeptes de tuning jouent et aiment jouer avec le feu et pratiquent ainsi ordinairement une « désobéissance adroite », pour reprendre la formule de Bachelard [12]. Cette pratique contre-culturelle, dite aussi « infrapolitique », présuppose en conséquence une bonne maîtrise du droit des usagers de la route, et quelques-uns en sont devenus de véritables virtuoses. Nul n’est censé ignorer la loi et pourtant peu la connaissent. Plus rares encore sont celles et ceux qui la maîtrisent, hormis les professionnels. On rencontre pourtant quelques rares exceptions aussi sociologiquement intéressantes que méconnues. En effet, certains profanes s’acharnent en autodidacte à vouloir toujours mieux maîtriser le droit pour mieux s’en servir, le manipuler ou le contourner et il s’en trouve parmi les plus culturellement et économiquement démunis [13].
4 Dans la littérature d’analyse, l’accès des membres des classes populaires au droit est justement décrit comme limité et indirect ; limité en ce que depuis la requalification du ramassage coutumier du bois mort, pour le chauffage des paysans, en vol de bois [14], tous les travaux disponibles rappellent à juste raison que les membres des classes populaires ne font qu’exceptionnellement usage du droit officiel ; aucun tuneur sans doute ne pense que la Justice (au sens de l’institution judiciaire) est juste et peu ignorent ce que montrent les travaux sociologiques depuis plus d’un demi-siècle, à savoir que les interprètes autorisés de ce droit officiel ont toutes les chances de privilégier des lectures classistes préjudiciables aux intérêts des plus démunis [15] ; indirect car lorsque le droit officiel est quand même mobilisé, ce sont en réalité des médiateurs spécialisés (généralement membres des classes moyenne ou supérieure : syndicalistes, professionnels du droit, universitaires engagés…) qui recourent au prétoire au nom des classes populaires ; les plus modestes sont alors parlés plus qu’ils ne parlent eux-mêmes [16]. Dans nos dominations légales-rationnelles en effet, la forte autonomisation historique d’un champ juridique y oblige, le droit devenant l’affaire de spécialistes autorisés [17].
5 Par principe anthropologique, obéir n’est pas consentir puisque toute domination politique se légitime par ses ambiguïtés et ambivalences : elle est toujours à la fois acceptée et contestée. Ainsi ces conceptualisations duales qui continuent à opposer domination et résistances constituent-elles le premier obstacle épistémologique à la compréhension des phénomènes et légitimations politiques ; pour perdurer, la domination s’accommode de ses critiques et vice-versa, une main lavant l’autre. L’autorité démocratique repose elle-aussi sur une « loyauté [18] » de toutes et tous ou presque au « système », ie. sur la croyance dans le bien-fondé de la domination légale-rationnelle, d’un État de droit [19]. Mais il y a au moins trois – et non deux – alternatives possibles à cette « loyauté », s’il faut reprendre et actualiser le triptyque d’Hirschman [20]. Au travers de la Voice, les sociétés démocratiques aménagent les conflits par différents dispositifs institutionnels ou conventionnels qui permettent (plus ou moins, et avec plus ou moins d’effectivité) que la critique dans les formes de l’état de droit soit l’expression des causes et injustices, insatisfactions ou oppositions (les droits et libertés politiques, recours au prétoire, grèves, manifestations, pétitions, référendums, droits de l’opposition, protection des lanceurs d’alerte, droit de la presse et liberté académique…), pour ainsi faire changer et évoluer le droit positif lui-même et, en quelque sorte, assurer (ou prétendre assurer), par la critique autorisée, une démocratisation continue ou progressive. Vient ensuite la possibilité de l’Exit dont l’exil est la modalité la plus simple. D’évidence, le déménagement à l’étranger en milieu populaire ne peut être envisagé sur le modèle de celui des riches exilés fiscaux. L’Exit peut prendre des formes plus tragiques avec l’usage de stupéfiants ou avec le suicide [21]. Mais « fuir c’est pas être libre », comme le rappelle un personnage du film Fast and Furious 5. L’ambivalence de la domination légale-rationnelle, notamment celle ouverte par le droit – à la fois en tant qu’instrument et cadre contraignant de l’action des agents et représentants de l’État –, associée à l’autonomie culturelle (relative) de certains milieux populaires leur offre une troisième alternative, celle tout à fait ordinaire des arrangements avec la domination, celle des stratégies dites infrapolitiques ou para-politiques, et ici pour faire valoir ses droits avec et contre le droit. Cette troisième voie est encore méconnue en France, en dépit d’une littérature toujours plus abondante autour de concepts proches de celui initialement proposé par Maurice Agulhon, « infrapolitique » : History from below (« agency »), Alltagsgeschichte (« Eigensinn »), microstoria, politique ailleurs, politique discrète, politique sans en avoir l’air… [22] Ces stratégies populaires para-légalistes restent fondées sur des malentendus plus ou moins productifs entre l’espace des professionnels et producteurs centraux du « droit des livres » et les espaces du « droit en actes ».
6 Du contournement à la revendication de légitime défense, certains autodidactes utilisent donc le droit contre le droit en mobilisant au moins quatre stratégies transgressives différentes. Nous tenterons ensuite d’esquisser quelques hypothèses explicatives de ce goût pour le droit qui ne saurait toutefois aboutir à un recours au prétoire, avant de revenir enfin sur l’ambiguïté et l’ambivalence de ces stratégies.
I. Jouer avec le jeu du droit par des malentendus plus ou moins productifs
7 Si tous les tuneurs sont viscéralement contre le Code de la route, quelques-uns sont tout contre : ils le maîtrisent fort bien. Ils apprennent ainsi rapidement qu’il y a du jeu dans le droit, comme on dit qu’il y a du jeu dans un pas de vis : il devient ainsi parfois possible de jouer avec le droit, de s’en jouer, de le détourner, le contourner et de le mobiliser contre la gendarmerie elle-même.
8 Partout dans le monde, le tuning se vit et se définit tel un jeu avec le Code de la route. Mais en France, son article R. 321-16, honni par tous ces sculpteurs d’automobiles, rend la pratique culturelle (et sportive) du tuning coûteuse, périlleuse ou limitée :
Tout véhicule isolé ou élément de véhicule ayant subi des transformations notables est obligatoirement soumis à une nouvelle réception. Le propriétaire du véhicule ou de l’élément de véhicule doit demander cette nouvelle réception au préfet.
10 Le changement ou l’ajout d’une pièce non prévue par le constructeur impliquent donc des procédures lourdes, complexes et onéreuses. D’autant plus qu’à la différence de l’Allemagne, des États-Unis ou encore du Japon, ces autres « patries de l’automobile » mais aussi des « patries de la liberté », le monde des garagistes, spécialistes, préparateurs et fabricants d’équipements de tuning tarde à s’organiser pour peser sur les véritables décideurs et obtenir l’homologation de kits et autres pièces. Une fédération nationale s’est finalement constituée mais sans véritables succès décisifs à ce jour. La réglementation française compte en effet parmi les plus restrictives et les plus sévères au monde [23]. D’où la célébration commune des libertés des autres, celles des États-Unis, on l’a vu, mais aussi de l’Allemagne où la vitesse sur les autoroutes n’est pas limitée, ou de la Suisse… Ces « pays libres » où « on fout la paix aux gens » !
I. 1. Contourner le droit
11 Première illustration fort simple d’une stratégie légaliste, au sens où elle présuppose une bonne connaissance, au moins collective, du droit, son contournement : dans les régions frontalières, le droit européen permet aux tuneurs de faire immatriculer leur véhicule en Espagne ou en Allemagne pour ainsi échapper à la législation française. D’autres tuneurs se montrent plus subtils pour contourner le droit. Les vitres doivent désormais demeurer « suffisamment transparentes », ce qui interdit d’y coller un trop grand nombre d’adhésifs, dont ceux de pin-ups. Mais Sébastien Huron a eu l’idée de graver sur sa vitre une immense pin-up, de telle sorte que le carreau ne perd aucune transparence. Ce mécanicien ariégeois de 22 ans me confie, amusé, qu’un gendarme s’est toutefois interrogé avec raison et devant lui sur la perte de solidité de la vitre suite à cette opération de gravure sur verre… Avant de renoncer à le verbaliser. De telles interactions entre gendarmes et tuneurs s’avèrent au final régulièrement plus heureuses que conflictuelles. Elles ne sont pas si rares et quelques gendarmes interrogés, parmi les plus expérimentés, ne dissimulent pas non plus une certaine satisfaction empathique devant ces intelligences populaires du droit [24] ; intelligences pratiques qu’ils savent communes dans ce monde du tuning même si les virtuoses sont inévitablement rares. On peut y deviner le signe des affinités sélectives qui lient ces tuneurs aux gendarmes « de terrain », souvent issus eux aussi de milieux modestes et ruraux, qui peuvent sincèrement partager cette « passion automobile » mais surtout ce sentiment de justice et de défense des « petites libertés » qui anime et fédère le monde du tuning. Car il en va tout autrement « de la hiérarchie » policière ou gendarmique, plus « au pied de la lettre » selon les propos d’un gendarme se définissant lui-même et fièrement comme un « gendarme de terrain » : reconversion spontanée du stigmate populaire en emblème qui souligne sa proximité classiste et sincère avec les plus virtuoses de ces sculpteurs automobiles.
12 En France, seules des modifications « non notables » sont donc envisageables. Cela n’interdit pourtant pas le jeu avec le droit. L’ampleur des restrictions oblige toutefois à ouvrir largement l’imagination transgressive.
I. 2. Interpréter à son avantage
13 En second lieu, d’autres transgressions subtiles sont possibles avec les interprétations non encore stabilisées du droit. Pour rester sur les vitres, il en va ainsi, un temps, des articles R. 316-1 et R. 316-3 du Code de la route bien connus dans le monde du tuning et qui précisaient jusqu’en 2016 que :
Tout véhicule à moteur, à l’exception des véhicules et matériels agricoles ou de travaux publics, doit être construit ou équipé de telle manière que le champ de visibilité du conducteur, vers l’avant, vers la droite et vers la gauche soit suffisant pour que celui-ci puisse conduire avec sûreté.— art. R. 316-1 [nous soulignons].
Toutes les vitres doivent être en substance transparente telle que le danger d’accidents corporels soit, en cas de bris, réduit dans toute la mesure du possible. […] Les vitres du pare-brise doivent en outre avoir une transparence suffisante, ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs. — art. R. 316-3, alinéas 1 et 2 [nous soulignons].
16 « Ce qui n’est pas interdit étant autorisé », selon une formule plusieurs fois entendue, rien ne semblait donc empêcher de couvrir largement d’adhésifs ou de teinter à l’excès les vitres autres que le pare-brise (la lunette arrière en particulier). Une circulaire ministérielle qui, un temps, prétendait interdire « tout collage sur les vitres », a pu en dissuader beaucoup. Mais elle a parfois provoqué de véhémentes contestations des agents verbalisateurs lorsque les propriétaires du véhicule arguaient qu’une circulaire ne relève pas du droit positif. La loi s’adapte donc et, depuis 2017, l’article R. 316-3 précise désormais que :
Les vitres du pare-brise et les vitres latérales avant côté conducteur et côté passager doivent en outre avoir une transparence suffisante, tant de l’intérieur que de l’extérieur du véhicule, et ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs. La transparence de ces vitres est considérée comme suffisante si le facteur de transmission régulière de la lumière est d’au moins 70 %. — art. R. 316-3, alinéa 2 [nous soulignons].
I. 3. Opposer l’absence de preuves matérielles
18 Ces nouvelles dispositions indiquent donc un indécelable (à l’œil nu) « 70 % ». Les tuneurs les plus motivés continuent ainsi de jouer, à l’occasion, avec les gendarmes, à compter la surface couverte par les adhésifs ou le degré d’occultation de la lumière par une vitre teintée (ce qui demeure impossible en l’absence d’un instrument de mesure spécifique)… Car ils savent qu’en matière pénale, les agents verbalisateurs doivent, en principe, apporter des preuves matérielles incontestables. Les adhésifs se veulent par ailleurs volontiers explicites sur le rapport au droit ou aux forces de l’ordre du propriétaire du véhicule : adhésifs qui invitent à uriner sur des radars, qui menacent de rosser tout conducteur qui roulerait trop près du véhicule, doigts d’honneur, ACAB (acronyme de « All Cops Are Bastards » mais aussi, face à un universitaire ou un gendarme [25], de « All Clitos Are Beautiful », « All Cops are Brothers »…), etc.
19 En fait, opposer l’absence de preuve matérielle reste la stratégie principale des nombreux sculpteurs d’automobiles qui opèrent sur leurs véhicules des modifications invisibles, insoupçonnables ou non vérifiables par les agents verbalisateurs, « juste pour le plaisir de ne pas être en règle ». Les sleepers, pour lesquels « les apparences sont trompeuses », constituent un sous-groupe qui, en quelque sorte, radicalise l’ordinaire de la pratique du tuning. Des voitures banales en apparence, les sleepers dissimulent des modifications substantielles parfaitement illégales mais invérifiables ou presque. Il en va ainsi de ces modifications interdites mais opérées à l’intérieur même des pièces moteurs (qu’il faudrait alors démonter), ou plus simplement sous le châssis, ce qui oblige à faire usage d’un pont élévateur dans un garage (ce qui demeure certes possible mais est trop coûteux, ne serait-ce qu’en temps et en énergie, pour les agents verbalisateurs qui eux-mêmes ne peuvent être assurés a priori de la réalité de l’infraction ; s’ajoute alors le piment du risque pris lors de l’interpellation). Quelques-uns prétendent aussi fièrement s’être échappés au terme d’une course-poursuite avec un véhicule de police.
20 Ces sculpteurs d’automobiles ne méconnaissent pas non plus les interprétations variables des principes les plus fondamentaux du droit réalisées par les autorités elles-mêmes et ils s’en irritent grandement. Ainsi par exemple, ce « scandale », selon leur propre terme, par lequel les agents de l’État n’ont plus besoin d’instruments de mesure du volume sonore pour verbaliser le conducteur d’un véhicule au pot d’échappement jugé, « par la maréchaussée », trop bruyant [26]. En réponse, sous la forme d’une autre ruse des dominés, des tuneurs ont installé des systèmes pour régler le volume de bruit (to tune) à la sortie des pots d’échappement depuis le siège conducteur. L’exemple illustre à nouveau ce mouvement perpétuel par lequel le droit officiel s’adapte en retour à ces transgressions plus ou moins subtiles. Les textes réglementaires portent d’ailleurs parfois les traces de ce jeu des gendarmes et des tuneurs :
Les véhicules à moteur ne doivent pas émettre de bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route ou aux riverains. Le moteur doit être muni d’un dispositif d’échappement silencieux en bon état de fonctionnement sans possibilité d’interruption par le conducteur. Toute opération tendant à supprimer ou à réduire l’efficacité du dispositif d’échappement silencieux est interdite. — article R. 318-3.
22 Pour les tuneurs qui, par définition, modifient des pièces de leur véhicule, un autre risque juridique réside dans les éventuelles contestations par les assurances en cas d’accident, même mineur. L’adaptation pratique est vite trouvée : cette contrainte ne les oblige pour l’essentiel qu’à conserver les pièces d’origine et à s’assurer de pouvoir les remplacer au plus vite entre le moment de l’accident et celui de la visite de l’expert. C’est à cette condition que bon nombre de tuneurs roulent avec un volant autre que celui d’origine (les volants avec airbag sont volontiers considérés comme « hideux »). Et il en va de même pour de très nombreuses pièces, dont les leviers de vitesse et les pédales.
23 C’est aussi dans ce cadre du jeu avec la preuve que bon nombre d’automobilistes utilisent sciemment la marge d’erreur des radars pour rouler juste au-dessus de la limite de vitesse autorisée ; et ils le font volontiers juste « pour le principe » et/ou le plaisir de la transgression.
I. 4. Faire valoir un droit protecteur face à l’État oppresseur (dont la légitime défense)
24 Dans nos démocraties, on le sait, les principes fondamentaux du droit ne peuvent être hiérarchisés et doivent donc être conciliés. Dès lors, tel principe supérieur et protecteur du droit peut être symétriquement opposé à tel autre principe supérieur du droit jugé liberticide. Michael Defaloy, 21 ans, titulaire d’un bac Sciences et Technologies Tertiaires (STT), coupe de cheveux courts avec dégradé, polo et pantalon repassés, se dit parcouru d’un « frisson » de plaisir à chaque fois qu’en ouvrant son coffre, il dévoile son « trésor » – un drapeau nazi – aux curieux qui tournent autour de sa Volkswagen tunée et exposée dans les meetings où il gagne régulièrement des prix. Il sait fort bien et répète à l’envi qu’il peut « posséder mais pas exhiber » cet objet sensible : « C’est l’article 645-1 [du Code pénal] ! », assène Michael. Il ajoute à mon attention que cet objet de scandale reste bien à l’abri dans son coffre dans la mesure où, selon lui, les forces de l’ordre ne sont pas autorisées à l’ouvrir sans une autorisation signée d’un juge. Dans le monde du tuning, le respect de la propriété privée est considéré comme d’autant plus essentiel que le véhicule est le premier et le seul bien possédé et chéri par ces jeunes hommes. Michael est loin d’être le seul à reprendre ce leitmotiv inspiré du droit officiel et définissant le coffre du véhicule comme « une extension du domicile », soit un espace privé (qui devrait demeurer) interdit aux agents verbalisateurs d’un État démocratique libéral [27].
25 Dans le même ordre d’idées, le droit de la communication autorise les échanges d’informations stratégiques entre propriétaires de véhicules qui ne respectent pas les limites de vitesse ; nombre d’appareils, applications et autres dispositifs spécialisés permettent par exemple aujourd’hui, beaucoup mieux que les appels de phares d’hier (qu’ils prolongent toutefois), de signaler en direct la présence de radars ou de policiers le long des routes.
26 Face aux forces de gendarmerie ou de police, et outre l’inviolabilité du domicile, les tuneurs opposent à l’occasion, non sans malentendus bien sûr, le droit de la légitime défense (pour le propriétaire d’une arme aussi bien que pour celui qui justifie ainsi la destruction de radars) voire le droit à se révolter comme légitime défense collective (cf. infra).
I. 5. De l’impensable recours au prétoire à la légitime défense
27 Les idéaux et principes républicains perdent du terrain dans ces milieux populaires ruraux, faute notamment d’une présence d’activistes de gauche, tandis que les discours et militants d’extrême droite semblent au contraire toujours plus présents. L’esprit de Philadelphie pourrait certes venir à l’habitus de certains membres de ces familles modestes par la voie de maximes célèbres, dont celle du dominicain Henri-Dominique Lacordaire : « Entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Pour autant, les tuneurs ne recourent pas au prétoire. Il y a des limites à ne pas dépasser. Sauf rares exceptions, les familles modestes, et sans doute a fortiori celles rurales, n’iront pas plus spontanément consulter un avocat qu’un journaliste ou un « psy » [28]. Certains d’entre eux m’ont pourtant décrit des excès de pouvoir perpétrés par des représentants des forces de l’ordre dont l’issue devant les tribunaux leur aurait été très vraisemblablement favorable. Mais pour que ce possible advienne, encore faut-il qu’il soit pensable. Les possibilités et modalités du passage de la conscientisation de l’injustice (naming) à l’imputation de responsabilité (blaming) et à la demande de réparation (claiming) [29] sont en réalité elles-mêmes fortement conditionnées par les appartenances sociales dont celles de genre, de classe et de fractions de classe sociale. Ce que nombre de travaux continuent d’ignorer superbement. Au sein de cette jeunesse populaire rurale en mutation, on ne confond pas non plus « juridicisation et judiciarisation [30] » : le monde des tribunaux relève toujours d’un autre monde, celui des « bourges », des « gavés de thunes » et autres « fils à papa », celui des plus socialement, économiquement et culturellement privilégiés. Nul besoin en effet d’avoir lu Marx et Engels pour se méfier de l’institution judiciaire dont le proverbe rappelle qu’elle est celle du « deux poids, deux mesures » ou pour comprendre que « votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi ; et il n’y a rien d’autre dans cette volonté que les nécessités matérielles de votre classe [31] ». Les pauvres, souligne Boaventura de Sousa Santos, font par ailleurs plus souvent l’expérience de la dimension répressive de la justice que de sa dimension protectrice [32]. Et dans ces familles des classes populaires qui ont parfois eu affaire à la justice, les contes (Alice au pays des merveilles ou Le Chat botté répètent à tous les enfants que ce sont les rois qui ont seuls le droit de fixer le sens des mots, de dire la vérité ou de dire le droit et qu’il faudra bien faire avec même si l’on peut parfois ruser, parfois se révolter…), les proverbes, les réminiscences bibliques (« la loi n’est bonne que si l’on en fait bon usage ») mais surtout l’histoire familiale orale rappellent que les juges, si (socialement) loin, si haut, comptent toujours, à tort ou à raison mais subjectivement, parmi les ennemis des « petites gens » : « une sale race » [dans un sens classiste voire de caste] précise l’un, qui prévient l’audience en ajoutant en substance qu’ils sont bien plus dangereux que les policiers eux-mêmes. Face aux magistrats c’est, semble-t-il, un rapport et un inconscient de caste, plus que de classe, qui s’impose.
28 Les teams de tuning recourent plutôt à des formes d’autodéfense collective qui, chez eux, justifient l’insulte, les huées ou les sifflets aux politiciens ou journalistes parisiens de passage, mais aussi les destructions de radars ou l’organisation desdits « rodéos » qui, par certains aspects, rappellent les charivaris ou les carnavals.
I. 6. La légitime défense collective
29 Le simple fait d’organiser une fête sans rien demander à personne, rappelle Lionel Pourtau à propos des rave-parties, « est une infraction à une cinquantaine de lois et réglementation [33] ». Le monde du tuning n’organise certes pas de rave‑parties mais bel et bien d’impressionnantes « nocturnes » analogues où l’on ne danse pas mais où l’on fait danser des véhicules préparés à cette fin. Ces nocturnes ne sont évidemment jamais déclarées en préfecture. Elles rassemblent pourtant des dizaines, des centaines, parfois des milliers de jeunes et prévoient toutes sortes d’autres illégalismes : car crashs, courses de vitesse (runs) ou de démarrages, dérapages plus ou moins chorégraphiés (drifts), burns qui consistent à brûler la gomme des pneus en faisant hurler le moteur, autrement dit des « rodéos »… En pratique, des discussions avec des représentants compréhensifs des forces de l’ordre ont pu avoir lieu en amont ; la gendarmerie peut s’avérer présente bien qu’à distance respectueuse. Preuve vécue comme telle que des jeunes des classes populaires peuvent aujourd’hui encore s’approprier et s’aménager un espace et un moment d’exercice de leurs libertés illégales que nul ne viendra compromettre. Dans un autre registre que le carnaval, c’est donc bel et bien un autre ordre politico-juridique qui non seulement s’impose et en impose à l’ordre juridique national et à ses agents, et qui, de surcroit, le dépasse au moins temporairement et localement. Ce rassemblement assure une forme de dissuasion, un rappel à l’ordre populaire aux forces de l’ordre institutionnel dominant ; car le risque est perçu par les policiers et gendarmes comme réel et sérieux et l’on sait que cette incapacité d’agir des forces de police face à la puissance d’agir collective populaire a été intégrée dans la jurisprudence administrative avec l’arrêt Couitéas [34]. Ce que la presse, reprenant, comme souvent, le vocabulaire de la police et du gouvernement, nomme les « rodéos », constitue aussi la démonstration fièrement vécue par ces jeunes de milieu populaire, bien avant le mouvement des Gilets jaunes, de leur capacité d’agir en tant que collectifs populaires solidaires. Par ailleurs, il subsiste bel et bien derrière les désordres apparents, une structuration organisée, une auto-discipline, des services d’ordre relativement autonomes avec lesquels nul ne s’amuse… Les forces de l’ordre savent toutefois riposter aux « rodéos » par des opérations répressives spéciales de grande envergure organisées à dose homéopathique mais par surprise, qui débouchent sur des dizaines de verbalisations et rappellent ou vaccinent ainsi au respect de l’Ordre.
30 « Qui peut se payer un circuit fermé à 300 “E” ? » C’est aussi au nom du droit des hommes modestes mais libres, des classes populaires, à jouir pleinement de leur propriété (des possibilités offertes par leur véhicule) et des joies de la vitesse, que s’organisent des courses illégales, à partir d’une réappropriation-privatisation collective provisoire d’un parking ou d’une portion de route. Pour des raisons de sécurité bien comprises, des organisateurs profanes vont alors se substituer à la police pour interdire l’accès public à tous les autres véhicules (et a fortiori aux piétons), le temps d’un spectacle de dérapages, d’une course d’accélération ou de vitesse. En réponse à quelques médiatisations, le législateur adopte en 2018 une « loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés [35] » et des « cellules anti-rodéos » ont même pu être créées à l’échelle départementale et dans certaines villes (Le Havre, Lyon…) au nom de la sécurité des pratiquants eux-mêmes. Les accidents semblent toutefois rares, et cela pourrait témoigner des capacités organisatrices d’une forme « d’anarchie ordonnée », pour reprendre les termes d’Edward E. Evans-Pritchard [36], y compris pour l’organisation de la sécurité de ces événements à très haut risque [37].
31 Si certains rassemblements informels de tuning se perpétuent à périodicité fixe ou presque, sur les mêmes friches ou parkings de centres commerciaux, parfois depuis deux décennies, sans institution, ni même organisateurs réguliers et en dépit du fait qu’ils sont le lieu et le moment de nombreuses et manifestes pratiques illégales, c’est bel et bien que le droit populaire continue parfois à primer sur le droit étatique même s’il ne s’agit que d’une tolérance ponctuelle et locale.
32 Ce qui fait débat ici comme ailleurs, c’est principalement le seuil de tolérance des illégalismes mais non la légitimité du droit. Car si le tuning cherche précisément à transgresser quotidiennement mais discrètement ou subtilement le Code de la route, il ne le remet pas en cause fondamentalement, ni véritablement. Au contraire, peut-on ajouter, car le droit d’en haut s’imbrique ici et s’impose dans ces usages adroits, légèrement et exceptionnellement transgressifs, qui en sont faits par le bas. Ces micro-résistances, faits d’armes sans cesse commentés entre autodidactes et profanes, sont potentiellement les produits et les vecteurs d’une légitimation finale de l’ordre juridique [38]. Ainsi, lors des « dérapages » perpétrés par des membres des Gilets jaunes, ou encore lors des émeutes, ou des actes de violence terroriste des intégristes religieux « islamistes », les réflexions collectives à chaud s’aiguisent sur la nécessité du droit et de la répression étatique. Mais il en va de même de l’impératif de faire cesser la violence policière, qui par ailleurs, lors des entretiens collectifs, rappelle à toutes et tous la permanence des illégalismes d’État. Au terme de ces discussions collectives, tous ou presque conviennent de la double nécessité de bien réprimer et cibler les responsables des malheurs publics (dont certains élus jugés corrompus ou incapables de contrôler l’immigration, les banques après 2008…) et de respecter une certaine proportionnalité entre les moyens mobilisés et la situation d’oppression. Les rapports au droit et à la démocratie s’inscrivent en effet ici dans des formes de sens et d’intelligence à la fois pratiques et collectives. Reste qu’avec ces conversations ordinaires autour du droit, la supériorité et la logique du droit tendent à s’imposer dans les têtes : pour certains en dépolitisant, c’est-à-dire en imputant des responsabilités individuelles (la « brebis galeuse ») au détriment d’explications et d’accusations plus systémiques, d’imputations de responsabilités sociétales ou sociales, donc politisables ; pour d’autres en politisant notamment lorsque le droit officiel (perçu comme non respecté en pratique par des élus « corrompus », par les forces de l’ordre, ou dans les « Cités zones de non-droit ») va justifier un engagement dans l’armée ou la police, des sympathies militantes (rares mais plus souvent vers l’extrême droite) voire des actions et motivations de justiciers autoproclamés par la communauté morale (destruction de radars qui « nous sucent le sang » ; évocations jusqu’ici non sérieuses de projets punitifs ou de tribunaux du peuple pour les « traîtres »).
33 C’est en tout cas grâce à cette bonne connaissance du Code de la route que quelques autodidactes savent aussi négocier avec les gendarmes. C’est ainsi que des membres des classes populaires vont détourner le droit, le contourner, le mobiliser contre des interprètes pourtant autorisés du droit. Un enquêté a certes découvert le droit en 1re STT, avec passion. Mais aucun n’a fréquenté la faculté de droit. D’où proviennent les connaissances juridiques des plus socialement démunis ? Comment expliquer ce légalisme paradoxal de certains membres des classes populaires ?
II. Aux origines d’une intelligence pratique et collective des droits
34 Les classes supérieures, rappelle Louis Pinto,
sont souvent créditées d’une maîtrise du droit qui est censée leur offrir une protection supérieure à celles des autres classes : c’est oublier qu’à l’exception des spécialistes du droit, la connaissance des droits est toujours plus ou moins acquise sur le tas et au coup par coup. Si la proportion à percevoir l’injustice ou l’abus croît avec la position dans l’espace social, cela tient non pas à une compétence juridique supérieure, mais vraisemblablement à la probabilité objective plus grande d’être reconnu fondé dans ses demandes : c’est tout un rapport au monde social qui est en cause dans ce rapport au droit. [39]
36 Il est ici question d’un tout autre rapport au monde social : seule propriété du tuneur, le véhicule sculpté est aussi sacralisé, il concrétise un « rêve de gosse » enfin réalisé ; un rêve diurne sincère et profond de reconnaissance et de liberté qui reste contraint, au quotidien, par le Code de la route. Dès lors, ce droit, celui du Code de la route, prend une importance toute particulière chez ces jeunes adultes. Par ailleurs, il y a une vraie fierté à obtenir le permis de conduire, à réussir ce diplôme d’État chez ceux qui ont toujours subi négativement les sanctions scolaires. En milieu populaire aussi, bien connaître le droit peut grandir et légitimer l’autodidacte même si cet « intérêt » pour le droit est sans doute tout autant subi que choisi, en cela qu’il répond au harcèlement policier qui a cours dans le monde du tuning comme dans bien d’autres mondes populaires opprimés.
37 S’opposer suppose avant tout d’être bien entouré : un même tuneur ne se comportera pas dans son bourg comme ailleurs. Affronter un policier avec son interprétation du droit ou avec ironie, y compris pour la défense de son honneur, ne relève jamais d’un acte strictement individuel. Il s’inscrit toujours dans une configuration socio-locale particulière, une (contre-)culture au sens anthropologique : le bourg, disent-ils, c’est « chez nous », au sens aussi où c’est leur monde, et jusqu’à un certain point, leur monde est régi par leurs règles et pas celles d’étrangers, aussi gendarmes soient-ils. C’est toujours cette « éthique populaire qui avalise l’action directe [40] ». Ces jeunes adultes de condition modeste font « appel essentiellement à une sorte de bon sens juridique, combinaison singulière de sens commun et de représentation plus ou moins confuse du modèle idéal d’une controverse réglée [41] ».
38 Cette maîtrise du Code de la route s’enracine plus largement dans la contre-culture du tuning : pour transgresser le droit, il faut bien le connaître. Ces sculpteurs d’automobiles lisent puis discutent des rubriques « Vos droits » de la presse automobile [42], ils échangent sur ce qui est juste et injuste, parfois en référence au Code de la route ; ils le font dans les meetings de tuning mais encore sur des sites et réseaux sociaux numériques plus ou moins spécialisés. Il en résulte une intelligence pratique plus collective qu’individuelle du droit et de ses contournements et détournements possibles.
39 Chez ces autodidactes, ce goût pour le droit et la justice trouve encore son origine au sein d’autres pratiques culturelles. Au cinéma, et surtout à la télévision, que ces enfants d’ouvriers et d’employés regardent toujours, au milieu des années 2000, plusieurs heures par jour, les séries policières concentrent l’essentiel du prime time depuis la généralisation des postes de télévision à partir de la fin des années 1960 en France. Depuis Columbo, des « bons flics », des animateurs de talk-shows frottés de droit ou des avocats proches des petites gens y sont héroïsés en tant que défenseurs des causes du peuple [43]. La musique participe également de la socialisation juridique de ces jeunes hommes des classes populaires et notamment des plus rebelles qui, face au droit, ne peuvent être naïfs puisqu’ils sont prévenus par des classiques de la culture rock, des hits populaires de Bob Marley (« Stand up for Your Rights! ») à The Clash (« Know Your Rights » ; « I Fought the Law ») ou en français avec le groupe Trust dont le hit « Antisocial » se transmet volontiers de père en fils : « Tu voudrais faire des yeux à la Justice. Impossible de violer cette femme pleine de vices. » La rumeur fondée sur des sources populaires réputées fiables [44], les réminiscences bibliques facilitent la mise en mots et en droit de toutes sortes d’injustices vécues comme telles en milieu populaire, à partir de maximes et proverbes [45], des discours entendus dans les discussions télé et plus souvent de nos jours à partir de références puisées sur les réseaux numériques [46]. Non sans malentendus (contre-)productifs.
40 On peut faire l’hypothèse que la régression vers l’habitus et la morale traditionnelle reste plus caractéristique des trajectoires socialement déclinantes (ou vécue comme telle, ou menacée de déclin) qui orientent vers les prises de position conservatrice voire réactionnaire. Quelques tuneurs autodidactes en droit partagent un masculinisme traditionnel et une forte crainte du déclassement social volontiers associé à ce qu’ils perçoivent comme un « déclin de la France [47] ». Ils peuvent alors défendre le principe d’un « droit naturel ou [d’une] éthique raciste [48] » avec, bien sûr, d’autres mots (empruntés à l’extrême droite française la plus actuelle) et au nom des impératifs moraux du « droit de la France et des Français ».
41 Ces autodidactes en droit comptent parmi les plus proches des valeurs de la « boutique » et des styles de vie des classes moyennes traditionnelles. Michael Defaloy, le propriétaire du drapeau nazi, n’a pourtant rien a priori d’un idéologue. Il ne vote pas et ne s’intéresse guère à la politique officielle. En revanche, il veut provoquer et transgresser, mais habilement, « pas comme ces punks à chiens » (terme prononcé avec une intonation de dégoût) qui, pour certains en effet, dès la fin des années 1970, arboraient eux-aussi des swastikas pour choquer le bourgeois. Ce qui se joue ici, dans ce dégoût des autres, dégoût de l’autre fraction de classe populaire, c’est une forme populaire de la dialectique de la prétention et la distinction [49] qui projette le mépris de classe vécu (celui exercé par ceux qui sont réputés être socialement au-dessus d’eux, notamment dans les médias parisiens stigmatisant et infériorisant les tuneurs) en un mépris de fraction de classe exercé contre d’autres jeunes hommes de condition modeste, considérés comme inférieurs. Cette opposition entre les deux fractions de la classe populaire est mieux connue et analysée outre-manche ; au nom d’une supériorité morale, l’une cherche à s’imposer par un mimétisme plus ou moins transgressif aux dominants, l’autre par une opposition plus radicale au système : Teddy boys contre Punks [50], Bikers contre Hippies [51]. Or, chez les premiers, la droiture est centrale : un enseignant (un gendarme, un fonctionnaire, un chef politique…) peut être parfaitement sévère, ferme, mais il doit être juste ; ce qui implique parfois de contourner l’application stricte de la loi qui, interprétée trop mécaniquement, devient injuste (même par exemple, selon eux, pour la conduite en état d’ivresse légère…).
42 Dans leur opposition aux « punks à chiens », les tuneurs qui s’auto-désignent « propres [52] sur eux » ne marquent pas principalement leur quête de respectabilité petite-bourgeoise mais un style populaire relativement typique. Ils ne se présentent pas comme « anticapitalistes » ou « anarchistes ». L’influence des proches et des discours médiatiques, l’orientation familiale idéologique vers la droite puis, de plus en plus, vers l’extrême droite, vers la tradition ou le conservatisme, le respect de la culture réputée catholique et française devenant « nature » (« La France est bien un pays de race blanche, quand même ? » ; « La préférence nationale c’est juste normal ! »), mais aussi le soin, le souci de l’hygiène et du corps, les vêtements bien coupés et repassés, « propres », signalent encore la primauté accordée dans l’habitus au respect des formes, et ils entrent sans doute en résonnance structurale avec ce goût (relatif) pour le droit sous une forme stricte (« Le droit, c’est le droit ! »). Ces rapports différenciés au droit ne sont que l’un des aspects (parmi les plus méconnus) du mode de vie au sens que Thompson lui-même rapprochait de l’habitus chez Bourdieu, opposant relationnellement les fractions économique et culturelle des classes populaires. Car d’autres tout autant menacés de déclassement social orientent à l’inverse leurs ressentiments vers la défense farouche des valeurs et du droit républicains, et l’on ne peut expliquer simplement ce goût du propre, la peur (sincèrement vécue comme telle) de la souillure, qui renvoient à des valeurs profondes mais différenciables de l’éthique des classes populaires (et moyennes) toujours plus déstabilisées sur le plan économique [53].
43 Ce sens de la justice demeure toujours profondément ancré et partagé ; Marx, repris par Thompson, y voyait à tort un instinct, un fait de nature humaine, universel et intemporel. Il n’en est rien : ici comme ailleurs, les valeurs morales les plus fondamentales sont toujours elles-mêmes les produits d’une socialisation spécifique. Le sentiment de justice demeure ici pour tous en tout cas bien réel et opératoire. Une discussion collective autour d’une vidéo « virale » montrant le passage à tabac d’un manifestant Gilet jaune à terre par plusieurs policiers rend bien compte de la puissance sourde du sentiment d’injustice et des grands principes « moraux » que partagent ces jeunes des classes populaires rurales. Principes qui, par ailleurs, rejoignent le plus souvent les principes républicains, dont les principes généraux du droit, par exemple autour de la proportionnalité (si les sanctions sont toujours ou presque jugées nécessaires par les tuneurs, « normales », elles doivent néanmoins être justes et adaptées ; tous reviennent sur l’impunité des policiers auteurs de crimes et délits, qui est régulièrement dénoncée, comme dans bon nombre de textes de rap : « Pas de justice, pas de paix »), du respect des procédures (si c’est « la police qui lynche alors là on n’est pas dans la merde ! ») dont la correction (le respect mutuel, respect de la dignité, l’égalité de traitement…), de l’équité (plutôt que l’égalité, l’enquête confirme avec Thompson que les membres de classes populaires sont rarement égalitaristes au sens strict…), et de la loyauté à la République et à son peuple. Autrement dit, avec leurs mots, à propos de ces policiers surarmés et surprotégés qui s’acharnent sur un manifestant à terre : « c’est des gros lâches », « on ne frappe pas un homme à terre », « ça me débecte » [dénonçant non la violence per se mais la violence gratuite ; également à propos d’une autre vidéo où un policier, en passant, assène discrètement – pense ce policier – un violent coup de genou à la tête d’un manifestant pacifiste qui, à genoux, mime les collégiens de Mantes-la-Jolie humiliés par les CRS [54]] ; « et on sait comment ça se termine, merci le syndicat ! » ; « c’est deux poids, deux mesures » ; « ACAB ». En dépit des témoignages d’anecdotes d’interactions personnelles parfois difficiles avec des représentants des forces de l’ordre inutilement agressifs (mais pas systématiquement, loin s’en faut), tous vont ensuite nuancer leurs propos : tous conviennent en effet, finalement, avec l’avancée des discussions, du professionnalisme des agents du maintien de l’ordre, « globalement ». La discussion et l’intelligence collectives nuancent en faisant valoir des circonstances atténuantes : l’ennui (« à glander des heures ») et la fatigue des policiers, le ressentiment (« les mecs ils ont ramassés quand même » ; « ils prennent cher aussi »), le stress (« le trouillomètre à zéro »), les consignes d’en haut (« aussi c’est les chefs derrière… »). Au final, on conclue ce jour que les problèmes « chez les flics comme ailleurs, c’est les brebis galeuses » mais encore l’impunité, « la hiérarchie » et « le manque de moyens dans les services publics ». Un constat qui rejoint d’ailleurs globalement celui des gendarmes interrogés, dont on sait qu’ils sont eux-mêmes pris dans les contraintes et pressions croissantes qui rendent toujours plus difficile l’exercice de leurs missions de service public.
44 Mais les tuneurs voient aussi midi à leur porte, comme tout le monde. On l’a vu, certains de leurs principes « moraux » ne se concilient pas facilement avec d’autres principes supérieurs du droit. Il en va ainsi des limitations de vitesse, qui, au nom de la sécurité publique ou de l’écologie, contrarient leur pleine jouissance de la propriété de leur véhicule. Dans le monde du tuning, la réduction de la vitesse à 80 km/h sur « leurs » routes de campagne est volontiers et spontanément perçue comme une énième et inadmissible provocation parisienne. De fait, ces jeunes hommes des classes populaires rurales vivent cette nouvelle privation d’une « petite liberté » comme étouffante, quelques-uns décrivent spontanément des symptômes qui peuvent être rapprochés de ceux de la claustrophobie « j’te jure à 80, j’ai l’impression d’étouffer », voire de la paranoïa (« ce qu’ils veulent, c’est nous tirer la laisse [nous brider, nous tenir en laisse] ») qui ouvrent la voie aux simplifications complotistes reprises des réseaux numériques.
45 Ces stratégies légalistes en milieu populaire ne sont ni nouvelles, ni spécifiques au monde du tuning. Un demi-siècle plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, c’est en faisant l’assaut des bureaux d’inscription sur les listes électorales du Sud que des femmes noires armées de leur parfaite connaissance du droit électoral fédéral ont pu s’imposer à des street-level bureaucrats blancs et racistes qui finissaient parfois par céder. Parfois seulement : le droit de vote des afro-américains officiellement accordé est toutefois longtemps resté lettre morte dans le sud des États-Unis, où 1 million de Noirs sur 15 millions pouvaient voter en 1952, pour seulement 2 millions douze ans plus tard, en 1964 [55]. De même, face à la violence policière ciblée sur des jeunes hommes noirs, des habitants des quartiers populaires de Los Angeles créent les Community Alert Patrol (CAP). Ces réseaux citoyens deviennent ainsi capables de se regrouper au plus vite autour des policiers, dès leur arrivée dans le quartier, avant qu’ils ne provoquent les désordres puis les interpellations. Les Black Panthers vont, eux aussi, adopter des stratégies légalistes. Pour contrôler les contrôleurs, pour responsabiliser les responsables, ils généralisent les CAP en observant et en prenant des notes à chaque interpellation policière (aujourd’hui, on dispose de la vidéo et du téléphone portable...). Ils apprennent par cœur les articles de lois et parfois même la jurisprudence qu’ils ânonnent aux policiers : « En vertu des lois en vigueur, tout citoyen a le droit d’observer un policier en train de faire son devoir, tant qu’il reste à une distance raisonnable. Une distance raisonnable dans ce cas précis est d’environ 3 mètres… ». Tous les membres du parti devaient alors apprendre les « premiers secours légaux » : treize points fondamentaux de droit civil et constitutionnel pour faire face aux arrestations abusives, intimidations, provocations et brutalités policières.
Conclusion : une gymnastique de la transgression subtile prépare-t-elle la révolution ?
46 Pour beaucoup depuis l’École des Annales puis Foucault [56], ces illégalismes populaires pourraient préparer l’événement libérateur, celui de la révolution [57]. Il est vrai que transgresser le droit discrètement (par un texte caché au sens de James C. Scott) et de surcroît au quotidien, l’esquiver subtilement et esquiver les forces de l’ordre pour « oublier un temps » la domination [58], pour défendre « ses petites libertés », relève du « devoir » du tuneur, c’est une sorte de gymnastique quotidienne ou, pour reprendre James C. Scott, « une sorte de jujitsu symbolique [59] », par lequel le plus faible apprend à utiliser la force du plus fort (le droit) à son profit. Il s’incorpore ainsi, au quotidien ou presque, un rapport possiblement transgressif au droit, aux forces de l’ordre et plus largement aux acteurs et institutions dominantes, qui s’est finalement libéré et épanoui pour bon nombre de tuneurs dans et par l’événement politique de la révolte des Gilets jaunes. Tous les tuneurs ou presque le savent : contester la légalité au nom de la légitimité c’est aussi parfois faire l’histoire. Interrogés adéquatement sur ces questions, c’est-à-dire en confiance et via des entretiens collectifs et répétés auprès de groupes de proches, de diverses manières mais avec respect et souci du parler vernaculaire, les membres des teams de tuning rencontrés n’ignorent pas que des usages opportuns de la « violence populaire » ont pu contribuer à mettre fin à l’esclavage, à la domination aristocratique, à l’occupation allemande ou au travail des enfants... Certains y ajoutent volontiers une lecture classiste : « Et c’est pas grâce aux patrons ! » Aujourd’hui comme hier, le plus souvent, « le pauvre [sait] que le moyen de faire plier le riche, c’est de lui tordre le bras [60] », mais, de fait, d’autres orientent leurs colères vers des cibles différentes, dont les « punks à chiens » ou les jeunesses populaires urbaines issues de l’immigration, et potentiellement vers une autre révolution... celle conservatrice.
47 Ces transgressions plus ou moins adroites du droit demeurent marquées par l’ambiguïté et l’ambivalence : certes, le désir de transgresser (mais encore rarement, semble-t-il, chez mes enquêtés, le « désir de révolution » qu’évoquait Agulhon, et c’est très différent) s’y entretient et de surcroît par corps, via une raison pratique et, le cas échéant, une politisation pratique. Le tuning, l’art de ne pas être totalement gouverné, compte parmi les « mécanismes locaux de bandes, marges, minorités, qui continuent d’affirmer les droits des sociétés segmentaires contre les organes du pouvoir d’État […] mais ils ne sont pas pensables indépendamment de ce rapport [61] ». Ces références au droit officiel n’en consacrent pas moins en dernier ressort sa reconnaissance par tous (à défaut de sa connaissance par tous), sa supériorité, sa légitimité. En utilisant la force de l’adversaire contre l’adversaire (le principe du jujitsu), en mobilisant le droit officiel (et y compris contre les forces de l’ordre), ces autodidactes se légitiment comme ils légitiment ce droit officiel dans les espaces sociaux les plus éloignés de ses principaux lieux parisiens de production ; ces autodidactes se grandissent par le droit comme ils contribuent dans le même temps à grandir le droit. Pour mobiliser le droit, il faut faire son droit, même en autodidacte aux plus lointaines marges ou marches du champ du droit, et ce « véhicule » socialise ainsi au droit officiel [62] comme il facilite sa consécration aux yeux de toutes et tous. Au total, ces usages profanes du droit certifient la « force de la forme du droit [63] ». Ce que Bourdieu apporte à la sociologie du droit, c’est aussi et surtout la nécessaire prise en compte, au-delà du matérialisme, de cette contribution du droit plus que symbolique, « esthétique », à la domination, soit ses effets sur les schèmes de perception, d’auto-perception et d’évaluation des dominés, pour le meilleur et pour le pire et pour tout ce qui se trouve entre les deux. La conscientisation et la socialisation « juridiste », le schème « juridiste » porteur d’un « idéal », celui de la démocratie procédurale [64], prétendument désintéressée et rationnelle mais aussi nationalo-centrée (dont chez certains le principe estimé supérieur de la préférence nationale), individualisante (dont des conceptions extensives de la liberté d’expression, du port d’armes ou de la propriété privée), experte… Mais encore : utile à la subjectivation ou à la capacité d’agir, à la montée en crédibilité et en généralité, à la politisation sous toutes ses formes… L’esthétique du droit pourrait ainsi tendre à gagner les cerveaux ou, mieux, les habitus des familles les plus modestes, y compris via les plus rebelles. De ce point de vue, ces usages profanes du droit participent au procès éliasien de « civilisation », de disciplinarisation ou de normalisation chez Foucault, des habitus populaires – au même titre par ailleurs que « l’esprit de calcul [65] » du libéralisme économique ou le schème « psychologique [66] », tous trois structuralement liés. Joseph Gusfield a ainsi montré comment le droit officiel avec la surpénalisation de l’alcool au volant a pu jouer son rôle dans le changement de paradigme qui, dès les années 1960 aux États-Unis, s’impose dans toutes les têtes en responsabilisant et culpabilisant les conducteurs. Le droit, avec l’aide des médias dominants, aurait ainsi contribué à faire oublier les autres responsables de l’accident de la route, notamment les constructeurs automobiles ou les services spécialisés de l’État (DDE, etc.) [67]. Si tous mes enquêtés savent sa multicausalité, la baisse spectaculaire de l’accidentologie routière depuis un demi-siècle doit aussi et peut-être surtout à l’auto-contrainte pulsionnelle, à la disciplinarisation des habitus des dernières générations. Les transgressions ponctuelles et tolérées du droit fonctionnent elles-mêmes tels des rites d’inversions qui vaccinent et renforcent ordinairement l’Ordre politique dont son droit officiel comme elles entretiennent dans le même temps l’esprit de révolte. Le droit est ici convoqué et interprété en continuité avec des impératifs moraux du Bien et du Mal, du Bon et du Juste, ceux des habitus et communautés morales des teams, eux-mêmes divers (reprenant certes des discours politiques et médiatiques mais eux-mêmes choisis et réinterprétés). Les incongruences facilitent les malentendus et ces usages populaires du droit demeurent limités (pas de recours au prétoire en particulier). Par ailleurs, une maîtrise même partielle et partiale du droit rend mieux visible les libertés que l’État lui-même prend avec son droit (zèles et brutalités policières ou le – prétendu par les médias – laisser-faire dans les banlieues urbaines perçues comme des « zones de non-droit ») et génère d’autant plus de ressentiments et colères politisables tant au profit pour les uns d’un renforcement nécessaire de l’État de droit ou des valeurs républicaines que pour les autres à l’espoir d’une « révolution conservatrice », mais toujours au nom du Droit-qui-doit-être-respecté. Paul Veyne relevait que les chefs romains se montraient sévères envers les actes de défis, même symboliques, contre l’Empereur ou l’Empire mais plutôt conciliants pour les petites infractions à la loi [68]. Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant notaient que le dieu suprême Zeus prit soin d’avaler Mètis, la déesse de la ruse, pour s’accaparer son agilité, sa multiplicité, son ambiguïté, sa sinuosité... [69] Au total, comme ses transgressions adroites, la domination légale et prétendument rationnelle se perpétue par accommodement, en s’adaptant dans et par ses propres ambiguïtés et ambivalences qui tout autant la menacent.
Mots-clés éditeurs : Code de la route, Classes populaires, Culture juridique, Politisation., Conscience juridique
Date de mise en ligne : 06/03/2024.
https://doi.org/10.3917/drs1.114.0413Notes
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[1]
« Au prix que ça [le péage autoroutier] coûte ! […] quand bien même on a envie de se foutre en l’air ? » Comprendre les rapports ordinaires au droit implique l’immersion qui combine les méthodes de l’enquête de terrain et tous les types d’entretiens : collectifs puis individuels, informels puis formels… Plusieurs enquêtés reprennent volontiers un mantra du héros des films Fast and Furious, Brian O’Conner : « If one day speed kills me, don’t cry because I was smiling ». Paul Walker, l’acteur qui l’interprétait, est mort en 2013 dans un accident de la route.
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[2]
Cette étude repose sur des observations et entretiens répétés dans les mêmes teams et meetings de tuning du sud-ouest de la France entre 2006 et 2019. Le tuning est une pratique amateure de personnalisation automobile dont le pratiquant type est un homme de 23 ans vivant dans un bourg désindustrialisé, diplômé d’un CAP ou BEP, employé ou ouvrier lui-même issu d’une famille appartenant aux classes populaires rurales stabilisées. Sauf indication contraire, tous les termes entre guillemets sont des extraits d’entretiens anonymisés, le cas échéant en usant de pseudonymes. Toute ma gratitude aux évaluateurs anonymes de Droit et Société, ainsi qu’à Jacques Chevallier que je ne remercierai jamais assez. Cet article est dédié à mon ami Michel Pinçon qui nous a récemment quitté ; il doit aussi à nos discussions autour de son remarquable ouvrage : Désarrois ouvriers. Familles de métallurgistes dans les mutations industrielles et sociales, Paris : L’Harmattan, 1987.
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[3]
« Aux États-Unis, tu vois c’est plus libre, c’est moins réglementé. En France on nous met des lois sur des lois, tous les ans c’est pire. Bon, des fois on se fait arrêter hein ! Mais y a pas de [pro]blème [ie. on trouve toujours des astuces] » explique par exemple Mathias Ducroy, chauffeur-livreur, 23 ans, alias « Tuning Passion 31 ». Tous les noms et alias correspondant cités dans cet article ont été anonymisés.
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[4]
Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris : Presses universitaires de France, 1986 [1893], p. 86. Comme toutes les avant-gardes, les travaux de référence autour de la « conscience juridique » ont pu reconnaître leurs dettes à l’égard des pères fondateurs (Marx, Weber, Durkheim) au titre du retour aux sources à fort potentiel légitimant.
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[5]
Susan S. Silbey, « After Legal Consciousness », Droit et Société, 100 (3), 2018, p. 571-626. DOI : 10.3917/drs1.100.0571 [trad. de Susan S. Silbey, « After Legal Consciousness », Annual Review of Law and Social Science, 1, 2005, p. 323-368. DOI : 10.1146/annurev.lawsocsci.1.041604.115938]. Voir l’ensemble de ce n° 100 de Droit et Société : Jacques Commaille et Stéphanie Lacour (dir.), « After Legal Consciousness Studies : dialogues transatlantiques et transdisciplinaires » ; Patricia Ewick et Susan S. Silbey, The Common Place of Law: Stories from Everyday Life, Chicago : University of Chicago Press, 1998.
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[6]
Louis Assier-Andrieu, Chroniques du juste et du bon, Paris : Presses de Sciences Po, 2020. DOI : 10.3917/scpo.assie.2020.01. L’auteur reprend une formule du jurisconsulte Celse (iie s.) pour qui « l’exercice de l’art du juste et du bon » est nécessaire à la préservation de toute vie commune.
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[7]
Edward P. Thompson, Les Usages de la coutume, Paris : Éditions de l’EHESS-Le Seuil-Gallimard, 2015 [1991], p. 60.
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[8]
Pour ne pas rejouer l’opposition stérilisante du top/down contre le bottom/up, les outils conceptuels relationnels de la théorie des champs et de l’habitus (autonomie relative, schèmes de perception et d’évaluation, incongruences, malentendus productifs, anticipation des réceptions, affinités des habitus, subordination ou résonnances structurales, homologie de positions ou de dispositions, analogies du jeu, incorporation et subjectivation, raison et politisation pratiques…) aident à mieux comprendre l’indissociabilité des processus de domination sans en (dé)nier l’iniquité, ce qui permet à la sociologie du droit d’assumer l’intrication plurielle du droit des livres avec les droits coutumiers et le droit en actes sans toutefois les symétriser, le premier disposant, outre le monopole coercitif, de bien d’autres ressources ou mieux de chances de puissances sociales.
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[9]
Rappelons avec Lorenzo Barrault-Stella et Alexis Spire que « l’étude de ces divers usages individualisés du droit [par des individus appartenant aux classes supérieures] nous conduit néanmoins à retrouver une forme de mobilisation collective qui, bien qu’elle n’apparaisse pas de façon instituée et explicite, n’en est pas moins manifeste : l’enjeu pour ces contribuables, justiciables et requérants des institutions publiques est de défendre leurs intérêts sociaux, voire parfois d’étendre leurs prérogatives dans leurs rapports à l’État. Cette question des usages “ordinaires” du droit par les membres des classes supérieures renvoie plus généralement à la perpétuation des inégalités sociales, à la reproduction des capitaux économiques et culturels, et in fine à la consolidation des formes de domination ». Lorenzo Barrault-Stella et Alexis Spire, « Introduction. Quand les classes supérieures s’arrangent avec le droit », Sociétés Contemporaines, 108 (4), 2017, p. 5-14. DOI : 10.3917/soco.108.0005.
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[10]
Liora Israël, L’Arme du droit, Paris : Presses de Sciences Po, 2009, p. 5. DOI : 10.3917/scpo.israe.2009.01 ; Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, 2015.
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[11]
Citée par Jacques Commaille, ibid., p. 357, 378.
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[12]
Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris : Gallimard, 1949 [1938], p. 29.
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[13]
Pour une analyse réaliste des rapports ordinaires au droit qui a su esquiver l’écueil romantique : Emilia Schijman, À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté, Issy-les-Moulineaux : LGDJ, 2019.
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[14]
Karl Marx, Débats sur la loi relative au vol de bois, dans Œuvres, tome III : Philosophie, trad. de l’allemand par Louis Évrard, Michel Jacob, Jean Malaquais, Claude Orsoni, Maximilien Rubel et Suzanne Voute, Paris : Gallimard, 1982. Approfondi par Edward P. Thompson, La Guerre des forêts : luttes sociales dans l’Angleterre du xviiie siècle, trad. de l’anglais par Christophe Jacquet, Paris : La Découverte, 2014 [1975]. Voir également : Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, Marx : du « vol de bois » à la critique du droit, Paris : Presses universitaires de France, 1984 ; Marie-Alice Chardeaux, Les Choses communes, Paris : LGDJ, 2006.
-
[15]
Nicolas Herpin, L’Application de la loi. Deux poids, deux mesures, Paris : Le Seuil, 1977 ; Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP), Les Usages sociaux du droit, Paris : Presses universitaires de France, 1989.
-
[16]
Pierre Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, 17-18, 1977, p. 2-5. <www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572>
-
[17]
Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. DOI : 10.3406/arss.1986.2332 ; Violaine Roussel, « Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la sociologie du droit de Pierre Bourdieu », Droit et Société, 56-57 (1-2), 2004, p. 41-55. DOI : 10.3917/drs.056.0041.
-
[18]
Comme l’obéissance, cet autre « concept » (« loyauté ») demeure toutefois trop connoté, il affecte le lecteur et perturbe ainsi la bonne compréhension de la domination politique qui n’est généralement que confusément supportée et/ou souvent déniée et, répétons-le, simultanément contestée ou critiquée.
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[19]
Devenu, selon la formule de Jacques Chevallier, « le paradigme dominant des sociétés démocratiques » : L’État de droit, Paris : Montchrestien, 2003 [1992], p. 115.
-
[20]
Albert O. Hirschman, Défection et prise de parole, trad. de l’anglais par Claude Beysserias, Paris : Fayard, 1995 [1970].
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[21]
Matthieu Grossetête a montré au travers de la surreprésentation des accidents mortels des jeunes hommes de milieu populaire que bon nombre pourraient être pensés tels des quasi-suicides sociaux. Matthieu Grossetête, Accidents de la route et inégalités sociales. Les morts, les médias et l’État, Bellecombe-en-Bauges : Éditions du Croquant, 2012.
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[22]
James C. Scott emprunte en effet ce concept clé (« infrapolitique ») pour l’ensemble de son œuvre à l’historien français Maurice Agulhon (La République au village, Paris : Le Seuil, 1979 [1970], cité par James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance, trad. de l’anglais par Olivier Ruchet, Paris : Amsterdam, 2008, p. 205). Voir notamment : François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot et Sabine Rozier (dir.), L’Ordinaire du politique. Enquête sur les rapports profanes au politique, Lille : Presses du Septentrion, 2016. Bien que James C. Scott envisage le concept d’infrapolitique en relation avec celui marxiste d’infrastructure, il demeure assimilé à celui, peu pertinent, de « proto-politique » qui rabaisse et refuse d’emblée l’autonomie culturelle (même relative) aux dominés et dominées dont l’horizon ne pourrait être que la politisation telle que définie dans les cadres de l’entendement de privilégiés sociaux (cosmogonies des néo-marxistes, anarchistes, écologistes mais aussi des libéraux, conservateurs, réactionnaires… Qui projettent ainsi en contrechamp sur les dominés et dominées l’illusio politique propre à leurs champs idéologiques d’appartenance) ; nous défendons la thèse d’autres pratiques et rationalités para-politiques, d’une politique ailleurs et autrement qui doit toutefois toujours échanger et faire avec celles dominantes, dont le droit étatique.
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[23]
Par exemple : « Le fait pour un professionnel de fabriquer, d’importer, d’exporter, d’exposer, d’offrir, de mettre en vente, de vendre, de proposer à la location ou d’inciter à acheter ou à utiliser un dispositif ayant pour objet de dépasser les limites réglementaires fixées en matière de vitesse, de cylindrée ou de puissance maximale du moteur d’un cyclomoteur, d’une motocyclette, d’un engin de déplacement personnel à moteur, d’un cycle à pédalage assisté ou d’un quadricycle à moteur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » (Article L. 317-5 du Code de la route)
-
[24]
Voir également Yohan Selponi, « Reproduire l’ordre social en se l’appropriant. L’ambivalence des réceptions des actions préventives en milieu scolaire, rural et populaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 235 (5), 2020, p. 48-63. DOI : 10.3917/arss.235.0048.
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[25]
Les enquêtés s’adaptent, comme nous tous, à leurs interlocuteurs, ie. à la configuration structurale plus ou moins implicite (ou explicite) des relations de domination ; d’où l’importance de l’enquête en immersion… Sur ces ruses de la conversation, cette intelligence des situations de pouvoirs, M. Agulhon cite déjà un évêque, Monseigneur Trelawny, stigmatisant un siècle plus tôt ce « peuple pernicieux et pestilentiel […] capable de faire des serments au gouvernement, pour ensuite faire preuve d’une sournoise subversion ». Maurice Agulhon, La République au village, op. cit., p. 124.
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[26]
Au titre de la Circulaire du 23 mai 2005 relative à la mise en œuvre du plan national d’action contre le bruit : renforcement et suivi de la police du bruit en matière de bruit de voisinage et des deux-roues (texte non paru au journal officiel).
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[27]
On sait la normalisation des exceptions et les régressions des droits des citoyens face à l’État depuis que j’ai commencé cette étude dans les années 2000.
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[28]
On retrouve toutefois, dans cette jeunesse populaire rurale, l’emprise croissante d’une certaine « culture psychologique » repérée par Olivier Schwartz, mais elle semble surtout avoir été diffusée par les médias dominants (radio et télévision, presse populaire, nouveaux médias) ; cette « culture psychologique » est toutefois réappropriée et ne s’impose pas elle-même, à l’instar du droit officiel, sans malentendus productifs… Olivier Schwartz, « La pénétration de la “culture psychologique de masse” dans un groupe populaire : paroles de conducteurs de bus », Sociologie, 2 (4), 2011, p. 345-361. DOI : 10.3917/socio.024.0345.
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[29]
Pour actualiser la trilogie classique de William L.F. Felstiner, Richard L. Abel et Austin Sarat, « The Emergence and Transformation of Disputes: Naming, Blaming, Claiming… », Law and Society Review, 15 (3-4), 1980, p. 631-654. DOI : 10.2307/3053505.
-
[30]
Jérôme Pélisse, « Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail », Politix, 2 (86), 2009, p. 73-96. DOI : 10.3917/pox.086.0073.
-
[31]
Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste communiste, dans Karl Marx, Œuvres, tome I : Économie, trad. de l’allemand par Louis Évrard, Michel Jacob, Jean Malaquais, Claude Orsoni, Maximilien Rubel et Suzanne Voute, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1994 [1963], p. 178.
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[32]
Boaventura de Sousa Santos, Sociología jurídíca crítica, Madrid : Trotta Editorial, 2009, cité par Emilia Schijman, À qui appartient le droit ?, op. cit., p. 122.
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[33]
Lionel Pourtau, « Les Sound Systems technoïdes, une expérience de la vie en communauté », in Béatrice Mabilon-Bonfils (dir.), La Fête techno. Tout seul et tous ensemble, Paris : Autrement, 2004, cité par Jade Rios-Pereas, Free-Party. Immersion dans la culture technoïde, mémoire de fin d’étude de Sciences Po Toulouse, non publié, 2017, p. 11.
-
[34]
« Considérant que […], le tribunal civil de Sousse a ordonné le maintien en possession du sieur Couitéas des parcelles de terrain du domaine de Tabia et Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l’Etat et lui a conféré le droit d’en faire expulser tous occupants ; que le requérant a demandé, à plusieurs reprises, aux autorités compétentes, l’exécution de ces décisions ; mais que, le gouvernement français s’est toujours refusé à autoriser le concours de la force militaire d’occupation reconnu indispensable pour réaliser cette opération de justice, à raison des troubles graves que susciterait l’expulsion de nombreux indigènes de territoires dont ils s’estimaient légitimes occupants, depuis un temps immémorial […] ». <https ://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/1923-11-30/38284>
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[35]
Le chapitre 6 du titre 3 du livre II du Code de la route est ainsi complété par l’article L. 236-1 : « I. Le fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. II. Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende lorsque les faits sont commis en réunion. […] », et par l’article L. 236-2 : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait : 1° D’inciter directement autrui à commettre les faits mentionnés à l’article L. 236-1 ; 2° D’organiser un rassemblement destiné à permettre la commission des faits mentionnés au II du même article L. 236-1 ; 3° De faire, par tout moyen, la promotion des faits mentionnés audit article L. 236-1 ou du rassemblement mentionné au 2° du présent article. »
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[36]
Edward E. Evans-Pritchard, Les Nuers, trad. de l’anglais par Louis Evrard, Paris : Gallimard, 1968 [1940].
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[37]
La loi de 2018 qui permet la condamnation sévère (dont les saisies immédiates de véhicules) des « incitateurs » plus ou moins avérés de « rodéos motorisés », jusque-là repérés par les forces de l’ordre au travers de la veille et de l’espionnage des réseaux sociaux numériques les plus connus, semble surtout avoir eu pour effet d’entraîner ces tuneurs, comme les organisateurs de raves et autres événements non conventionnels, vers d’autres réseaux numériques mieux sécurisés.
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[38]
Jacques Commaille, « Les Legal Consciousness studies selon Susan Silbey : une dissonance entre données empiriques et ressources théoriques ? », Droit et Société, 3 (100), 2018, p. 657-664. DOI : 10.3917/drs1.100.0657.
-
[39]
Louis Pinto, « Du “pépin” au litige de consommation. Une étude au sens juridique du terme », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 76-77, 1989, p. 65-81 : 73. DOI : 10.3406/arss.1989.2880.
-
[40]
Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 76-136 : 98. <https ://www.jstor.org/stable/650244> [traduit dans Edward P. Thompson, Valérie Bertrand, Cynthia A. Boutonet al., La Guerre du blé au xviiie siècle, Paris : Éditions de la passion, 1988, p. 31-92].
-
[41]
Louis Pinto, « Du “pépin” au litige de consommation », op. cit.
-
[42]
Par intérêt économique, les magazines de tuning, comme tous les magazines et médias à destination des classes populaires, anticipent rationnellement les lectures pratiques qui seront réalisées de leurs articles, d’où des rubriques avec des conseils juridiques, aux côtés des conseils d’éducation des enfants, de gestion des budgets familiaux, des fiches cuisine ou de la météo…
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[43]
Lilian MATHIEU, Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé, Paris : Textuel, 2013 ; Éric Darras, « Les causes du peuple. La gestion du cens social dans les émissions-forums », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1-2 (186-187), 2011, p. 94-111. DOI : 10.3917/arss.186.0094.
-
[44]
« But were the poor really so silly? […] For the poor had their own sources of information. They work on docks. They moved the barges on the canals […] If rumours often grew beyond all bounds, they were always rooted in at least some shallow soil of fact. » : Edward P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 115.
-
[45]
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris : Éditions de Minuit, 1972.
-
[46]
William Gamson, Talking politics, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
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[47]
Les commentaires suivants demeurent des hypothèses ou conjectures dans la mesure où je ne bénéficie, hélas, que d’un corpus extrêmement restreint de tuneurs autodidactes en droit puisqu’ils se comptent sur les doigts d’une main. Il s’agit à nouveau de contribuer au débat en rapportant, en sociologue, les prises de positions aux positions occupées dans l’espace social (dont celui territorial) comme aux trajectoires familiales.
-
[48]
On sait, dans un tout autre contexte historique, que ce type d’interprétation, de conversion et autre renversement du droit a pu fédérer des professionnels du droit parmi les plus érudits et justifier la « révolution conservatrice » : Olivier Jouanjan, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi. Paris : Presses universitaires de France, 2017 ;Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris : Gallimard, 2014 ; Christian Ingrao, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris : Fayard, 2010.
-
[49]
Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Éditions de Minuit, 1979 ; Gérard Mauger, Les Bandes, le milieu et la bohème populaire. Études de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires, 1975-2005, Paris : Belin, 2006.
-
[50]
Dick Hebdige, Subcultures. Le sens du style, trad. de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Paris : La Découverte, 2008 [1978].
-
[51]
Paul E. Willis, Profane Culture, Londres : Routledge & K. Paul, 1978.
-
[52]
Bon nombre de ces tuneurs angoissés par la possibilité du déclassement se définissent eux-mêmes comme des « maniaques ». La peau de chamois est l’outil indispensable du tuneur « propre » dont le véhicule doit demeurer rutilant durant les meetings où chacun prend soin de ne pas souiller les véhicules concurrents.
-
[53]
Mary Douglas, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, trad. de l’anglais par Anne Guérin, Paris : Maspero, 1971 ; Florence Weber, L’Honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle, Paris : Belin, 1998.
-
[54]
Voir « Yvelines : des dizaines de jeunes agenouillés, mains sur la tête, lors de leur interpellation à Mantes-la-Jolie », francetvinfo.fr [en ligne], 6 décembre 2018. Rappelons avec Olivier Schwartz, le caractère sacré de l’enfance et des enfants dans les familles de milieu populaire, de tels agissements policiers scandalisent d’autant plus. Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris : Presses universitaires de France, 2012 [1990].
-
[55]
Gerald N. Rosenberg, The Hollow Hope. Can Courts Bring about Social Change?, Chicago : Chicago University Press, 1991.
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[56]
« En tous cas, à l’horizon de ces pratiques [populaires] illégales – et qui se multiplient avec des législations de plus en plus restrictives – se profilent des luttes proprement politiques ; le renversement éventuel du pouvoir ne les hante pas toutes, loin de là ; mais une bonne part d’entre elles peuvent se capitaliser pour des combats politiques d’ensemble et parfois même y conduire directement » résume Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris : Gallimard, 1975, p. 319.
-
[57]
Maurice Agulhon, dans La République au village, conclut à ce « niveau infrapolitique » qui, produisant « la conscience de droits à la forêt », prépare la révolution via « une certaine haine à l’encontre des gendarmes, des intendants et des préfets et finalement de cette haine a surgi un désir de révolution ». Maurice Agulhon, La République au village, op. cit., p. 375.
-
[58]
Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, trad. de l’anglais par Françoise et Jean-Claude Garcias et Jean-Claude Passeron, Paris : Éditions de Minuit, 1970.
-
[59]
James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance, op. cit., p. 112.
-
[60]
« The poor knew that the one way to make the richs yield is to twist their arms », écrivait Edward P. Thompson, dans « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past and Present, 50, 1971 (conférence de 1966), p. 115.
-
[61]
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris : Éditions de Minuit, 1980, p. 445 ; cité par James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Paris : Le Seuil, 2013 [1989], p. 55.
-
[62]
François Buton, « Le droit comme véhicule. Portrait sociologique d’un justiciable », dans Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP), Sur la portée sociale du droit. Usages et légitimité du droit public, Paris : Presses universitaires de France, 2005, p. 127-144
-
[63]
Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. DOI : 10.3406/arss.1986.2332.
-
[64]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 356 et suivantes.
-
[65]
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, op. cit. ; Louis Assier-Andrieu, Chroniques du juste et du bon, op.cit.
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[66]
Olivier Schwartz, « La pénétration de la “culture psychologique de masse” dans un groupe populaire », op. cit.
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[67]
Joseph Gusfield s’inspire d’Edmund Leach (Culture and Communication, Cambridge : Cambridge University Press, 1976) pour penser les actes juridiques comme autant de produits culturels exerçant leurs effets sur les cerveaux et les comportements, même s’il est inévitablement difficile d’en mesurer l’impact. « My concern here is with another aspect of legal acts, their symbolic forms as communications – as narratives, stories, tales, as public legend and myth. Seen as culture, law takes its place alongside other forms of art – literature, painting, sculpture, science, religious ceremony. » : The Culture of Public Problem. Drinking-Driving and the Symbolic Order, Chicago : University of Chicago Press, 1980, p. 146.
-
[68]
Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris : Le Seuil, 1976, p. 548.
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[69]
Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Paris : Flammarion, 1974.