Couverture de DRS1_114

Article de revue

« Ceci n’est pas une pipe ! ». Normalité judiciaire et oblitération de l’évidence dans une affaire marocaine de terrorisme islamiste

Pages 331 à 358

Notes

  • [1]
    Une petite note s’impose sans doute quant à l’usage des termes « ordinaire », « extraordinaire » et « exceptionnel ». Il convient tout d’abord de souligner que ces termes ne sont pas utilisés dans un sens technique, mais dans un sens usuel qui n’est ni spécifiquement juridique ni particulièrement marocain. Nous considérons, pour le dire rapidement, que les lois et les jugements relatifs au terrorisme relèvent de circonstances « exceptionnelles », ne s’inscrivent pas dans le cours « ordinaire » du droit et, en ce sens, ressortissent à l’« extraordinaire ». Cela ne les empêche pas de faire l’objet de toute une série de pratiques visant à les « normaliser », à gommer ce qui pourrait sembler relever d’un droit et d’une justice d’« exception ».
  • [2]
    Ce qui n’implique nullement une adhésion à la thèse utilitariste de Posner et Vermeule, qui justifie cette domination de l’exécutif sur le judiciaire en situation de crise, sans qu’aucune forme de contrôle avant, pendant ou après la crise ne se justifie. Eric A. Posner et Adrian Vermeule (2007). Terror in the Balance, New York : Oxford University Press ; Eric A. Posner et Adrian Vermeule (2010). The Executive Unbound, New York : Oxford University Press, cf. Marie Goupy, « La dictature et l’autoritarisme en tant que spectres. Retour sur la théorie des pouvoirs de crise d’Eric Posner et d’Adrian Vermeule », Droit et Société, 114-115, 2023.
  • [3]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration: How Twenty-First Century China Complicates our Understanding of Authoritarian Law », Droit et Société, 114-115, 2023.
  • [4]
    Qui, de plus, est silencieuse sur le sujet, pour autant que nous soyons bien informés.
  • [5]
    Le matériau sur lequel se fonde cet article est constitué d’observation d’audiences, d’entretiens et de différentes pièces du dossier, y compris l’arrêt de la Cour d’appel de Rabat chargée des affaires de terrorisme. Cet arrêt n’a pas été publié. Il est accessible seulement aux professionnels de la justice ayant un lien avec cette affaire. L’ensemble du matériau a été collecté par l’un des auteurs de l’article dans le cadre de sa recherche doctorale et suite à l’autorisation exceptionnelle du président de la Cour. Sa démarche a été explicitée auprès de l’intéressé, mais elle n’a pas fait l’objet d’une autorisation formelle.
  • [6]
    Alexis Blouët et Baudouin Dupret, « Dissent as a Formal Feature of Rule by Law: A Textual Legal Ethnography of Adjudication in Authoritarian Contexts », à paraître dans Arab Law Quarterly, 2024.
  • [7]
    C’est aussi, s’agissant de l’URSS, ce que semblent dire Matthew Rendle, Peter Solomon et Yoram Gorlizki, qui « concluent à l’existence, hors du champ strict de la terreur et de la politique révolutionnaire, d’une justice régulière, respectueuse des procédures et réglant les litiges ordinaires des Soviétiques ». Voir Matthew Rendle, State versus the People. Revolutionary Justice in Russia’s Civil War, 1917-1922, New York : Oxford University Press, 2020 ; Peter Solomon, Soviet Criminal Justice under Stalin, New York : Cambridge University Press, 1996 ; Yoram Gorlizki, De-Stalinization and the Politics of Russian Criminal Justice, 1953-1964, University of Oxford, 1992, cités par Juliette Cadiot, « Répression, droit et justice. La punition du vol de la propriété publique en Union soviétique pendant la collectivisation des campagnes (1932-1933) », Droit et Société, 114-115.
  • [8]
    Julie Allard, Olivier Corten, Martyna Falkowska, Vincent Lefebvre et Patricia Naftali, La Vérité en procès. Les juges et la vérité politique, Paris : LGDJ, 2014.
  • [9]
    Baudouin Dupret et Jean-Noël Ferrié, « Legislating at the shopfloor level: The Relevant Context of Parliamentary Debates », Journal of Pragmatics, 40, 2008, p. 960-978. DOI : 10.1016/j.pragma.2007.08.012.
  • [10]
    Charles Manga Fombad, « Constitutional Reforms and Constitutionalism in Africa: Reflections on Some Current Challenges and Future Prospects », Buffalo Law Review, 59 (4), 2011.
  • [11]
    Julio Faundez, « Democratization through Law: Perspectives from Latin America », Democratization, 12 (5), 2005, p. 749-65. DOI : 10.1080/13510340500322256.
  • [12]
    Francesco Biagi, « The Separation and Distribution of Powers under the New Moroccan Constitution », in Rainer Grote and Tilmann Röder (eds.), Constitutionalism, Human Rights, and Islam after the Arab Spring, Oxford : Oxford University Press, 2016.
  • [13]
    Laurel E. Miller et Louis Aucouin, Framing the State in Times of Transition: Case Studies in Constitution Making, Washington, United States Institute of Peace, 2010 ; William Partlett, « Making Constitutions Matter: The Dangers of Constitutional Politics in Current Post-Authoritarian Constitution Making », Brooklyn Journal of International Law, 193, 2012, p. 193-238 ; Xavier Philippe, « Le contrôle des lois constitutionnelles en Afrique du Sud », Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2, 2010, p. 22-26.
  • [14]
    Nathan J. Brown, « Regimes Reinventing Themselves: Constitutional Development in the Arab World », International Sociology, 18 (1), 2003, p. 33-52. DOI : 10.1177/0268580903018001003 ; Tom Ginsburg et Alberto Simpser, Constitutions in Authoritarian Regimes, New York : Cambridge University Press, 2013 ; Günter Frankenberg et Helena Alviar Garcia (eds.), Authoritarian Constitutionalism, Cheltenham : Edward Elgar Publishing Limited, 2019 ; Rosalind Dixon et David Landau, Abusive Constitutional Borrowing: Legal Globalization and the Subversion of Liberal Democracy, Oxford : Oxford University Press, 2021. DOI : 10.1093/oso/9780192893765.001.0001.
  • [15]
    Ran Hirschl, Towards Juristocracy: The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Cambridge : Harvard University Press, 2004 ; Tamir Moustafa, The Struggle for Constitutional Power: Law, Politics, and Economic Development in Egypt, Cambridge : Cambridge University Press, 2007 ; Nathalie Bernard-Maugiron, Le Politique à l’épreuve du judiciaire. La justice constitutionnelle en Égypte, Bruxelles : Bruylant, 2004.
  • [16]
    Joakim Parslow, « Lawyers against the Law. The Challenge of Turkish Lawyering Associations », Anthropology of the Middle East, 13 (2), 2018, p. 26-42. DOI : 10.3167/ame.2018.130203 ; Mona El-Ghobashy, « Constitutionalist Contention in Contemporary Egypt », American Behavioral Scientist, 51 (11), 2008, p. 1590-1610. DOI : 10.1177/0002764208316359.
  • [17]
    Deniz Yonucu, « The Absent Present Law: An Ethnographic Study of Legal Violence in Turkey », Social and Legal Studies, 27 (6), 2018, p. 716-733. DOI : 10.1177/0964663917738044.
  • [18]
    Başak Ertür, Spectacles and spectres: political trials, performativity and scenes of sovereignty, thèse de doctorat en philosophie, Birkbeck : University of London, 2015.
  • [19]
    Tom Ginsburg et Tamir Moustafa (eds.), Rule By Law: The Politics of Courts in Authoritarian Regimes, New York : Cambridge University Press, 2008.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration », op. cit.
  • [22]
    Marie Goupy, « La dictature et l’autoritarisme en tant que spectres », op. cit.
  • [23]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Cambridge : Polity Press, 1967.
  • [24]
    Baudouin Dupret et Jean-Noël Ferrié, Jean-Noël, Délibérer sous la coupole. L’activité parlementaire dans les régimes autoritaires, Beyrouth : Presses de l’IFPO (Institut français du Proche-Orient), 2014. DOI : 10.4000/books.ifpo.5386.
  • [25]
    Tom Ginsburg et Tamir Moustafa (eds.), Rule By Law, op. cit.
  • [26]
    Baudouin Dupret, Michael Lynch et Tim Berard (eds.), Law at Work: Studies in Legal Ethnomethods, New York : Oxford University Press, 2015.
  • [27]
    Ce n’est pas sans rappeler ce que Jon Fuller appelle la « moralité interne » du droit : Jon L. Fuller, The Morality of Law, New Haven : Yale University Press, 1969 [1964].
  • [28]
    Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Bruxelles : Bruylant, 2006.
  • [29]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? À propos de la traduction de deux articles sur les “Legal Technicalities” », Clio@Themis, 23, 2022. DOI : 10.4000/cliothemis.2635.
  • [30]
    Annelise Riles, « A New Agenda for the Cultural Study of Law: Taking on the Technicalities », Buffalo Law Review, 53, 2005, p. 973-1033, trad. de l’anglais par Prune Decoux et David Foulks, éditée par Laetitia Guerlain, sous le titre « Le droit est-il porteur d’espoir ? », Clio@Themis, 15, 2019. DOI : 10.35562/cliothemis.579.
  • [31]
    Ce n’est pas sans rappeler la bonne formule de Bruno Latour (2002 : 278) : « face à la sociologie du droit comme des sciences mieux vaut, tout compte fait, se ranger du côté des internalistes ».
  • [32]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? À propos de la traduction de deux articles sur les “Legal Technicalities” », op. cit., se référant à Annelise Riles, « Knowledge about Law », International Encyclopedia of Law and Society, 2007, p. 887-888.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Vincent Réveillère, Le juge et le travail des concepts juridiques. Le cas de la citoyenneté de l’Union européenne, thèse de doctorat en sciences juridiques, Florence : European University Institute, 2018, cité par Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? », op. cit.
  • [35]
    Benoît Frydman, « Le rapport du droit aux contextes selon l’approche pragmatique de l’École de Bruxelles », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 70 (1), 2013, p. 97. DOI : 10.3917/riej.070.0092.
  • [36]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit. ; Harvey Sacks, « On doing “being ordinary” », in John Maxwell Atkinson et John Heritage (eds.), Structures of social action: Studies in conversation analysis, Cambridge University Press, 1985, p. 413-429. DOI : 10.1017/CBO9780511665868 ; Max Travers et John F. Manzo (eds.), Law in Action: Ethnomethodological and Conversation Analytic Approaches to Law, Farnham : Ashgate, 1997.
  • [37]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration », op. cit. Dans le cas chinois, Rachel Stern, faisant référence au travail de Dingxin Zhao, souligne les efforts de l’État à « performer » la compétence juridique, c’est-à-dire à nourrir une impression de bonne gouvernance : Dingxin Zhao, « The Mandate of Heaven and Performance Legitimation in Historical and Contemporary China », American Behavioral Scientist, 53 (3), 2009, p. 416-433.
  • [38]
    Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations, Oxford & Cambridge : Blackwell, 1963, § 496 ; Michael Lynch, Scientific Practice and Ordinary Action: Ethnomethodology and Social Studies of Science, Cambridge : Cambridge University Press, 1993.
  • [39]
    John Maxwell Atkinson et Paul Drew, Order in Court: The Organization of Verbal Interaction in Courtroom Settings, Londres : Macmillan, 1979 ; Gregory Matoesian, Law and the Language of Identity: Discourse in the William Kennedy Smith Rape Trial, New York : Oxford University Press, 2001 ; Thomas Scheffer, Adversarial Case-Making. An Ethnography of English Crown Court Procedure, Amsterdam : Brill, 2010.
  • [40]
    David Sudnow, « Normal Crimes », Social Problems, 12, 1965, p. 255-276, trad. fr. par Baudouin Dupret sous le titre « Crimes normaux », in Julie Colemans et Baudouin Dupret (dir.), Ethnographies du raisonnement juridique, Paris : LGDJ, 2018, p. 25-55 ; Baudouin Dupret, Adjudication in Action: An Ethnomethodology of Law, Morality and Justice, Londres : Routledge, 2011.
  • [41]
    Eric Livingston, An Anthropology of Reading, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 1995.
  • [42]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [43]
    Pour une étude comparative des dispositifs législatifs français et marocain de lutte contre le terrorisme, voir Abderrafia Mnaouri, Approche comparée de l’appareil législatif franco-marocain en matière de lutte contre le terrorisme, thèse de doctorat en droit comparé et droit musulman, Perpignan : université de Perpignan, 2015.
  • [44]
    Article 62 du Code de procédure pénale : « Lorsqu’il s’agit d’une infraction de terrorisme et si les nécessités de l’enquête, le cas d’extrême urgence ou la crainte de disparition de preuves l’exigent, les perquisitions et les visites domiciliaires peuvent avoir lieu, à titre exceptionnel, avant six heures du matin et après neuf heures du soir sur autorisation écrite du ministère public ».
  • [45]
    Le document nous a été remis sous format papier. Il regroupe les différents éléments du dossier. La numérotation des pages correspond à l’original. Les sections qui le composent n’apparaissent pas explicitement, mais font l’objet de paragraphes de transition marquant les différentes étapes du procès. Ces sections « implicites » sont indiquées dans le référencement des extraits reproduits dans l’article. Il n’est pas possible de clarifier davantage ce séquençage, ce qui serait pourtant très utile pour, comme le souligne un relecteur anonyme de l’article, « mieux saisir le hiatus entre une enquête et des aveux qui inscrivent inévitablement ce meurtre dans un contexte religieux (des éléments qui sont tout de même produits en justice) et un jugement (l’arrêt en lui-même et sa motivation formelle) qui fait comme si tout cela n’existait pas ».
  • [46]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 18.
  • [47]
    Ibid., p. 24.
  • [48]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 24. Notons aussi que la Direction générale des études et de la documentation (DGED), officiellement service de renseignements extérieurs et de contre-espionnage marocain, joue un rôle essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Maroc et dans la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme, mais aussi au travers de l’action diplomatique du ministère des Affaires étrangères qui œuvre à justifier en termes de droits humains la politique pénale anti-terrorisme du pays. Dans notre affaire, il n’y a pas eu d’intervention de la DGED.
  • [49]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Instruction BCIJ, p. 65-66.
  • [50]
    Ibid., section Instruction ministère public, p. 34.
  • [51]
    Ibid., section Réquisitions, p. 8-15.
  • [52]
    Celle-ci fait l’objet d’un moratoire au Maroc.
  • [53]
    On remarquera le caractère tautologique de la définition de l’élément moral de l’acte terroriste telle qu’elle apparaît à l’article 218-1 du Code pénal marocain (Chapitre premier bis, « Le terrorisme »), consultable sur <https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/SERIAL/69975/69182/F1186528577/MAR-69975.pdf> : « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence, les infractions suivantes : […] ».
  • [54]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? », op. cit.
  • [55]
    Yan Thomas, Les Opérations du droit, Paris : Seuil, Gallimard, Éditions de l’EHESS, 2011.
  • [56]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, Liverpool : Deborah Charles Publications, 1988, p. 88. On peut en saisir la « normalité » structurelle de l’arrêt à travers, par exemple, la « fiche arrêt », ce document destiné à instruire l’étudiant lambda sur la bonne façon de lire et commenter un arrêt. Voir Maxime Bizeau, « Fiche d’arrêt : méthodologie et exemple », en ligne <https://fiches-droit.com/methodologie-fiche-arret>, consulté le 19 octobre 2022.
  • [57]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Réquisitions, p. 8.
  • [58]
    Jacques Lenoble et François Ost, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles : Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1980 ; Baudouin Dupret, Adjudication in Action, op. cit. ; Bruno Latour, La Fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002.
  • [59]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit.
  • [60]
    W. Lance Bennett et Martha S. Feldmann, Reconstructing Reality in the Courtroom, New Brunswick : Rutgers University Press, 1981, cités par Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 61-64.
  • [61]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 64.
  • [62]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [63]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 18.
  • [64]
    Ibid., p. 19.
  • [65]
    Ibid., section Instruction du Ministère public, p. 35.
  • [66]
    Ibid., section Débats, p. 41.
  • [67]
    Comme le fait remarquer justement un lecteur d’une version antérieure de l’article, la dépolitisation est une constante des procès menés contre les groupuscules terroristes. Cela n’en fait pas moins une caractéristique des régimes autoritaires que l’on retrouve dans d’autres contentieux, comme celui de la liberté d’expression.
  • [68]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Arrêt, p. 137.
  • [69]
    Ancien ministre des Droits de l’homme, membre important du Parti Justice et Développement (PJD) islamiste et proche du Cheikh Maghraoui.
  • [70]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 21-22.
  • [71]
    Louis Assier-Andrieu, « Le juridique des anthropologues », Droit et Société, 5, 1987, p. 89-107. DOI : doi.org/10.3406/dreso.1987.949.
  • [72]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Instruction du BCIJ, p. 49.
  • [73]
    Ibid., p. 57
  • [74]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 98.
  • [75]
    Ibid., p. 101. Notons que le travail de qualification est rendu d’autant plus difficile que la règle affiche un important degré de généralité. Ceci explique peut-être la tendance actuelle, à rebours du principe de généralité et d’abstraction de la norme juridique, à multiplier les interventions législatives et à toujours plus détailler les règles et leur objet.
  • [76]
    On étend ici l’expression « quelque chose qui manque » (missing-what), généralement utilisée à propos du point aveugle des études sociologiques formelles, aux pratiques des membres, quand elles se caractérisent par un manque, un défaut, le quelque chose qui est singulièrement absent de ce à quoi ils auraient pu s’attendre. À l’inverse, on peut aussi parfois identifier un « quelque chose en trop », une caractérisation excédentaire, un trop-plein, le quelque chose qui est singulièrement excessif par rapport à ce que les membres produisent habituellement (too-much-what). Voir Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [77]
    Ibid.
  • [78]
    Alfred Schütz, Collected Papers III, La Haye : Martinus Nijhof, 1966.
  • [79]
    Algirdas J. Greimas, et Joseph Courtès, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, vol. 1, Paris : Hachette, 1969 ; Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit.
  • [80]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit. ; Harvey Sacks, « Hotrodder: A Revolutionary Category », in George Psathas (ed.), Everyday Language: Studies in Ethnomethodology, New York : Irvington, 1979 ; Melvin Pollner, Mundane Reason: Reality in Everyday and Sociological Discourse, Cambridge : Cambridge University Press, 1987.
  • [81]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [82]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit. ; Frederick Schauer, Playing by the Rules: A Philosophical Examination of Rule-Based Decision-Making in Law and in Life, Oxford : Oxford University Press, 1991.
  • [83]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Arrêt, p. 137.
  • [84]
    Schütz parle d’« “index” pointant un problème » : Alfred Schütz, Collected Papers III, op. cit., p. 128.
  • [85]
    Cette normalisation n’est pas spécifique au droit marocain et s’observe dans les dérives autoritaires de régimes par ailleurs démocratiques. Son ampleur est toutefois caractéristique d’un régime à l’autoritarisme affirmé.
  • [86]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 19 et 27.
  • [87]
    Ibid., section Instruction du BCIJ, p. 43.
  • [88]
    Extrait d’un entretien avec les membres de la Cour conduit par les auteurs, 5 mars 2020.
  • [89]
    Dusan Bjelic, « “Frenching” the “Real” and Praxeological Therapy: An Ethnomethodological Clarification of the New French Theory of Media », in Paul L. Jalbert (ed.), Media Studies: Ethnomethodological Approaches, Lanham / New York / Oxford : University Press of America, 1999, p. 232.
  • [90]
    Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations, op. cit., p. 175.
  • [91]
    Dusan Bjelic, « “Frenching” the “Real” and Praxeological Therapy: An Ethnomethodological Clarification of the New French Theory of Media », op. cit., p. 248.
  • [92]
    Michael Lynch et David Bogen, The Spectacle of History: Speech, Text, and Memory at the Iran-Contra Hearings, Durham, Londres : Duke University Press, 1996, p. 7.
  • [93]
    Ibid., p. 9.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris : Le Seuil, 1970.
  • [96]
    Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris : La Découverte, 1999.
  • [97]
    John Searle, La Construction de la réalité sociale, Paris : Gallimard, 1995.
  • [98]
    Eric Livingston, An Anthropology of Reading, op. cit.

1 Considéré dans une perspective praxéologique, le procès judiciaire est une performance et une réalisation dans lesquelles tous les membres concourent à « faire droit », c’est-à-dire à manifester leur compétence à agir dans ce cadre et à produire des résultats qui soient, formellement au moins, conformes aux exigences de correction procédurale et de pertinence juridique. La production judiciaire du droit relève de l’accomplissement routinier d’un ensemble de choses vues et connues, contraintes par des règles textuelles, des précédents et des pratiques professionnelles, mais ni remarquables ni remarquées. Ceci, du moins, quand le droit et la justice suivent leur cours ordinaire. En va-t-il différemment en situation extraordinaire, comme dans le cas d’affaires de terrorisme [1], ou bien la même routine est-elle à l’œuvre du fait qu’il s’agisse de la même activité professionnelle ?

2 Dans ce type de contexte exceptionnel – où se déploie une justice sommaire, spécifique ou dérogatoire, par exemple, en raison d’impératifs d’ordre et de sécurité – il en va de même, mais pas tout à fait. Ici, l’accomplissement routinier du travail juridique relève davantage de la production d’une fiction formellement plausible mais effectivement douteuse. De ce point de vue, certains silences des documents judiciaires relèvent de la performance surréaliste. Là où la monstration de la correction procédurale et de la pertinence juridique constitue un universel du droit et de la justice dans leur accomplissement routinier, elle se transforme, en contexte exceptionnel, en une performance visant à faire remarquer une normalité d’apparence, nonobstant ce qui attesterait du contraire. La production de la normalité est la « même », qu’elle soit routinière ou extraordinaire, et le procès pour faits de terrorisme que nous nous proposons d’étudier ressemble à d’autres procès portant sur la même incrimination, y compris en contexte non autoritaire. Il n’en est pas moins spécifique à un contexte – celui d’un régime autoritaire – dont, par des détails secondaires et tout aussi routiniers que les autres, il affirme les spécificités.

3 Au Maroc, la Loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme, promulguée après les attentats de Casablanca du 16 mai 2003, établit le cadre juridique dans lequel opère la chambre criminelle de la Cour d’appel de Rabat, une juridiction en charge de questions extraordinaires – les affaires de terrorisme – mais pas à proprement parler exceptionnelle – son existence étant inscrite dans la loi. L’étude du procès dit « d’Imlil » conduit par cette juridiction révèle un mécanisme par lequel la justice rendue sur ces questions extraordinaires repose sur, d’une part, l’affichage d’un accomplissement conforme à la justice ordinaire et, de l’autre, l’invisibilisation des évidences contraires. Tout est en effet mis en place pour que puisse être déployé, de manière plausible, le récit du respect de l’État de droit et de la bonne administration de la justice, en même temps que s’engage un processus actif d’oblitération de tout ce qui pourrait être contraire à ce récit, l’affirmation d’une vérité surréaliste l’emportant sur le souci de crédibilité.

4 Au titre de performance surréaliste, on relèvera, dans les affaires impliquant des personnes accusées de terrorisme et se revendiquant d’une version jihadiste de l’islam, outre le récit de la correction procédurale de la conduite du procès et de la pertinence juridique des qualifications juridiques qui l’accompagnent, une tendance à expurger le jugement de toute motivation religieuse. Dans ce contexte, l’affichage de la normalité – le « due process of law » – passe par un processus actif d’invisibilisation de tout ce qui pourrait lui être contraire, comme l’atteinte aux droits de la défense ou la motivation religieuse des accusés, qui ouvrirait la porte à des « motivations atténuantes » ou à la mise en cause de la légitimité intrinsèque du procès et des institutions marocaines, c’est-à-dire à l’existence d’une version de l’islam différente de celle promue par l’État. Ainsi, monstration de la normalité et oblitération de l’évidence fonctionnent de concert, afin d’imposer un cadre restrictif permettant de « tenir les débats ».

5 Dans cet article, nous procéderons en quatre temps. Nous commencerons par revenir sur la littérature relative au droit et à la justice en contexte autoritaire pour montrer comment, en tout ou partie, celle-ci manque ou néglige au moins deux éléments fondamentaux : d’une part, l’action même de juger, c’est-à-dire les modalités de la pratique juridictionnelle ; d’autre part, la contextualité interne à l’acte de juger, à savoir son caractère différencié selon le domaine du droit sur lequel il porte. Nous donnerons aussi quelques indications sur les approches du droit auxquelles nous nous rattachons (1). Ensuite, nous présenterons rapidement les éléments d’arrière-plan juridiques et factuels, nécessaires à la compréhension des origines, du déroulement et du verdict du procès d’Imlil. Nous montrerons aussi comment ces éléments apparaissent dans les documents du dossier (2). Dans un troisième temps, nous nous intéresserons, à partir des documents de l’affaire d’Imlil, à ce que le jugement en contexte autoritaire partage avec son homologue en contexte libéral, ce que nous pourrions appeler un universel de l’activité judiciaire : la production de la correction procédurale et de la pertinence juridique, par le biais de quoi les juges accomplissent et affichent l’accomplissement régulier et compétent de leur travail (3). Toujours à l’appui du même matériau, nous montrerons comment, dans un contexte autoritaire marqué par, à la fois, la subordination consentante du judiciaire à l’exécutif, et le différentiel d’autoritarisme selon les domaines du droit en cause, les jugements pour faits de terrorisme s’attachent à mener une double opération : une opération de monstration d’une normalité factice, d’une part, qui surdétermine la conformité du procès aux standards d’une activité judiciaire normale ; et une opération d’oblitération d’une réalité évidente, d’autre part, qui sous-détermine ce qu’il peut y avoir comme éléments contraires au maître-récit islamique dominant (4). Notre analyse s’appuiera très largement sur les apports de l’ethnométhodologie, du droit notamment, et nous conclurons par quelques développements qui en sont inspirés sur les mécanismes de production de la normalité, de l’évidence, de la plausibilité et de la vérité judiciaires.

6 Un petit point mérite d’être précisé, à ce stade. Par autoritarisme, nous entendons trois caractéristiques cumulables : (1) l’un au moins des gouvernants majeurs ou le gouvernant majeur ne dépend pas directement de l’élection ; (2) certains positionnements concernant le fonctionnement des institutions ou la structuration de l’espace public ne sont pas publiquement discutables ; (3) le respect de l’État de droit peut, au moins ponctuellement (mais pas exceptionnellement), être suspendu [2]. Ceci se traduit, dans l’exercice du droit et de la justice, à deux niveaux. Au niveau judiciaire, où l’on constate la subordination effective des juges à ce que produisent les services de police, dans la conduite de l’enquête, et le Parquet, dans l’instruction de l’affaire. Au niveau législatif, où l’on observe l’adoption de lois fournissant aux services de police, au Parquet et aux juges les moyens d’un travail dérogatoire au droit commun, faisant entrer dans l’ordinaire une justice qui, autrement, serait d’exception, évitant ainsi aux juges d’avoir à forcer la légalité et d’avoir à produire des qualifications impossibles. Ce contexte autoritaire de l’exercice du droit et de la justice n’exerce pas sa contrainte de manière homogène. Comme le souligne Rachel Stern dans ce numéro [3], « le droit autoritaire n’est pas uniforme ». Cela se reflète dans des contrastes importants d’un système autoritaire à l’autre. Plus encore, cela se traduit par des différences manifestes, à l’intérieur d’un même système autoritaire, entre les différents domaines du droit (droit pénal, droit constitutionnel, droit de la famille, droit commercial, etc.) et la pratique judiciaire les concernant. Cela se manifeste jusqu’à l’intérieur d’un même jugement, avec tout ce que celui-ci doit à « l’ordinaire du droit ».

7 Il importe aussi de lever un malentendu : ceci n’est pas un article sur le droit pénal, le droit pénal international et l’incrimination du terrorisme. Ceci est un article sur un arrêt de la Cour d’appel de Rabat dans une affaire de terrorisme dont la lecture attentive permet de rendre compte d’une pratique du droit dans un contexte pouvant être qualifié d’autoritaire, selon la définition que nous venons d’en donner. Il s’agit donc d’étudier dans son détail textuel ce que cet arrêt nous dit et nous montre, mais pas de traiter de ce que les faits jugés ont suscité comme échos dans la société marocaine ou comme commentaires dans la doctrine juridique marocaine [4], pas plus que de faire l’étude sociologique des membres de la Cour. En ce sens, le jugement est pris pour – et rien que pour – lui-même, et non comme ressource explicative de questions sans doute intéressantes, mais en réalité autres que celles que nous posons. Ainsi le droit n’est-il pas ici envisagé sous l’angle de la théorie critique, comme pur produit d’un rapport de force. Le jugement n’est pas, non plus, considéré comme la simple manifestation d’une idéologie, ni les juges comme les relais serviles d’un souverain autoritaire. Plus précisément, nous ne partons pas d’un tel postulat, mais nous nous attachons à rendre compte de ce qui se donne à voir du droit et de la justice au Maroc, y compris en termes de rapports de force, d’idéologie et d’autoritarisme, dans ce cas singulier, à partir du jugement lui-même [5].

I. Des usages du droit en contexte autoritaire

8 Ce n’est pas nécessairement l’ensemble du droit et de la justice qui se trouve contraint par le contexte autoritaire. Comme nous le montrons dans une autre publication [6], il existe des pans entiers du droit qui ne sont pas spécifiquement marqués par ce contexte. De la même façon qu’il existe des dérives autoritaires du droit en contexte démocratique, on observe l’existence d’un droit ordinaire et routinier, en contexte autoritaire, qui fonctionne de manière relativement indifférente à ce dernier [7]. L’étude de la production de la vérité dans le cadre du procès, en général, et du procès pénal, en particulier, s’avère à cet égard tout à fait pertinente [8]. En revanche, certains procès spécifiques, plus ou moins nombreux selon les pays, présentent des caractéristiques qui sont visiblement marquées par l’autoritarisme. Pour ces procès, l’autoritarisme est une propriété endogène, un élément manifeste et descriptible de leur « contexte pertinent » [9].

9 Une large frange de la littérature sur le droit en contexte autoritaire ne prend pas ce dernier vraiment au sérieux. On observe, d’une part, une littérature de nature plutôt dogmatique, qui évalue le droit au regard de ce qu’il devrait être selon les standards démocratiques [10], en comparaison à d’autres pays [11] ou d’après les théories normatives [12], avec éventuellement des recommandations sur les moyens d’engager la démocratisation des systèmes [13]. D’autre part, on note une littérature plus descriptive qui s’attache à décrire le contenu du droit positif, mais au niveau des textes de loi et non de la jurisprudence [14]. Si les juridictions constitutionnelles sont parfois étudiées, c’est dans une perspective politique, comme un témoin de l’autonomie du droit et de la justice ou, au contraire, de sa subordination [15]. Certaines études s’intéressent aussi à l’instrumentalisation « contre-hégémonique » du droit par les oppositions [16].

10 De manière générale, et à l’exception de certains procès médiatisés, la littérature sur le droit et la justice en contexte autoritaire ne s’intéresse pas vraiment au procès, en lui-même et pour lui-même. Cela tient tantôt à ce que, partant du postulat de la soumission absolue au politique, cette littérature considère que pareille justice n’est que parodie, mascarade, théâtralisation du pouvoir dont la performance judiciaire ne présente pas d’intérêt. Ainsi en va-t-il de Deniz Yonucu [17], pour qui « l’ambiguïté, l’illisibilité et l’imprévisibilité de la loi anti-terroriste turque confère au droit une force mythique et/ou souveraine qui contrôle le présent et le futur des gens, et donc leur destin », ou encore de Başak Ertür [18], qui entend conceptualiser les spectacles et spectres de la justice, à l’intersection du droit et du politique.

11 Le désintérêt pour le procès en lui-même procède tantôt encore de ce que ce dernier est considéré en tant que ressource explicative de schèmes historico-politiques plus vastes, et non pour ce qui s’y passe et comment cela s’y passe. C’est le cas des travaux portant sur la politique des tribunaux dans les régimes autoritaires (« the politics of courts in authoritarian regimes[19] »). Ce type de littérature, pleine d’enseignements précieux sur les usages différenciés du droit, selon qu’il vise à exercer une fonction répressive ou à garantir une certaine prévisibilité pour les transactions commerciales [20], sur la recherche d’algorithmes permettant l’homogénéisation des solutions judiciaires [21], sur la « managérialisation » ou l’« administrativation » croissantes qui réduisent la part des pouvoirs législatif et judiciaire au profit du seul exécutif et de son appareil technocratique [22], oublie le procès, ce qu’il exhibe, ce qu’il permet de montrer sur l’accomplissement du droit en action. En d’autres termes, il y a dans cette littérature comme un « quelque chose qui manque » (« missing-what[23] ») qui empêche de donner au procès toute son épaisseur phénoménologique et heuristique.

12 Nous nous intéressons, pour notre part, à la description des pratiques de production, interprétation, décision et exécution du droit en contexte autoritaire [24], de manière à faire ressortir les raisons pour lesquelles la règle de droit est une technique appréciée par la gouvernance propre à ce type de contexte (rule by law). L’autoritarisme, dans toutes ses variantes qu’il ne s’agit pas ici de cataloguer, a un usage abondant du droit et des règles juridiques, de même que des institutions judiciaires. On peut faire des hypothèses à ce sujet : ces régimes ménagent des espaces de justice non politicisés – probablement les plus importants –, pour des raisons de stabilité et de sécurité juridiques ; par prudence politique, ils évitent de s’exposer dans des contentieux qui ne menacent pas leur fonctionnement ; ils respectent le droit et la justice, tant qu’il n’y a pas de bonnes raisons de ne pas le faire, ce qui leur procure des dividendes de légitimité internes et externes ; la délégation de certains pouvoirs à l’autorité judiciaire est avantageuse en termes de contrôle et de cohésion [25]. Il ne s’agit pourtant pas pour nous de tester ces hypothèses, mais d’explorer comment ces éventuelles propriétés de la justice en contexte autoritaire se traduisent en façons de faire juridiques, ce que nous avons appelé des « ethnométhodes juridiques » (legal ethnomethods[26]). Cette démarche suppose de considérer qu’avant toute autre chose, les membres (terme que nous préférons à celui d’acteurs parce qu’il n’est pas chargé de dramaturgie et qu’il renvoie à l’idée d’une communauté de pratiques) s’attachent à « agir juridiquement », à « faire du droit », à agir en « pratiquants du droit » compétents.

13 Cette pratique du droit s’exerce dans un cadre contraignant, ce qu’on pourrait désigner comme le contexte interne de l’activité [27], ce qui relève de l’organisation institutionnelle, des procédures, des qualifications disponibles, des normes formelles et informelles susceptibles d’être appliquées, etc. Chez les théoriciens du droit, on retrouve cette idée dans la théorie des contraintes juridiques développée par Michel Troper [28], qui vise à expliquer pourquoi les praticiens du droit, en dépit de leur liberté interprétative, rendent des décisions qui tendent à être prévisibles. Ces contraintes tiennent essentiellement à la position occupée par ces praticiens dans le système juridique et à la supposition qu’ils se soucient de leurs intérêts dans ce système, que ce soit pour maintenir leur position (contraintes institutionnelles : relations hiérarchiques, perspectives de carrière) ou prémunir leurs décisions de toute censure (contraintes argumentatives : décisions fondées sur des arguments perçus comme mieux recevables à l’étape juridictionnelle ultérieure). La théorie des contraintes juridiques, alors pourtant qu’elle ne leur est pas spécifique, aide certainement à décrire comment, dans un environnement autoritaire, les praticiens du droit articulent concrètement les pressions de l’exécutif et leur pratique judiciaire, comment aussi ils disposent d’une grande liberté sur les moyens de leurs décisions, mais pas sur les verdicts à prononcer.

14 L’approche du droit par les technicalités fournit un complément heuristique à la théorie des contraintes. Dans un article récent [29], Frédéric Audren présente les grands traits d’une perspective qui, à la suite de l’anthropologue Annelise Riles [30], s’intéresse « au savoir juridique technique lui-même, c’est-à-dire aux théories, aux modèles, aux arguments et aux techniques » et considère « la technique, non comme un effet ou un sous-produit, c’est-à-dire comme l’outil d’agents ou de forces plus importantes, mais comme un protagoniste à part entière » [31]. Pour Riles, la technicalité du droit désigne « une configuration professionnelle mettant en œuvre un savoir incluant des artefacts (“What kinds of objects, or effects, does legal knowledge produce?”), des agents (“Who ‘uses’ or ‘makes’ legal knowledge?”), une temporalité (“What conceptions of past, present or future are at work in legal knowledge?”), une esthétique (“What appreciations of legal form are entailed in legal knowledge?”) ou encore une épistémologie (“What does it mean to ‘know’ particular facts in legal terms?”) [32] ». La technique juridique, nous dit Audren, c’est « l’activité de mise en forme en vue d’assurer la concrétisation du droit [33] ». C’est à la prise en considération de cette technicalité du droit qu’invite Vincent Réveillère, pour qui il convient de « prendre au sérieux la pratique des savoirs des juristes, c’est-à-dire la comprendre dans ses propres termes » et donc de s’opposer à « une appréhension purement externe des pratiques des juristes qui, de façon réductionniste, ne les percevrait que comme le reflet de quelque chose de plus fondamental, les rapports de force politiques ou économiques » [34]. Cette approche par les technicalités permet d’appréhender le droit sous l’angle de son ingénierie [35], laquelle peut être au service des projets sociétaux les plus divers, y compris autoritaires.

15 L’approche praxéologique que nous promouvons, ici essentiellement textuelle – partant de l’idée que les textes sont rédigés « à toutes fins pratiques » et nous informent dès lors sur le détail de leurs pratiques constitutives – cherche, par l’examen des ethnométhodes juridiques, à décrire la grammaire du droit que les praticiens cherchent à performer [36], avec souvent le souci visible, y compris en contexte autoritaire, de « projeter leur compétence [37] ». Cela suppose de problématiser leur épistémologie juridique pratique en analysant les variations et ambiguïtés langagières qui témoignent de la routine de leur activité [38] aussi bien que de l’impact que l’autoritarisme exerce dessus. Un procès, par exemple, est séquencé en étapes qui sont formelles mais répondent néanmoins à une série d’accomplissements observables des participants. C’est le cas de la production d’une décision procéduralement correcte, qui ne correspond pas à un ensemble de règles abstraites tirées d’un système juridique extérieur et surplombant, mais à des contraintes routinières et bureaucratiques exercées sur les membres du droit [39]. Les participants aux procès judiciaires s’orientent également vers ce que nous pourrions appeler la pertinence juridique, qui correspond, en partie mais pas intégralement, au processus de qualification judiciaire, c’est-à-dire la mise en correspondance des « faits » et des « règles » [40]. Cette orientation vers, à la fois, la correction procédurale et la pertinence juridique est bien rendue par la notion d’« action instruite [41] » : les règles sont en même temps formulation et mise en œuvre, et leur sens apparaît à travers leur pratique, c’est-à-dire l’activité consistant à les appliquer et les interpréter, voire les contourner ou les violer. Il convient de noter que, tout en étant instruites par les dispositions procédurales, la législation et les précédents judiciaires, les décisions de justice sont également instructives : elles peuvent à leur tour constituer par la suite un précédent, dans la ligne de ce que Garfinkel appelle la « méthode documentaire d’interprétation [42] ».

II. Sur quelle trame l’affaire s’inscrit-elle ?

16 Plutôt que de prétendre resituer le contexte de l’affaire d’Imlil d’un point de vue surplombant, nous préférons proposer des éléments de compréhension d’arrière-plan à partir de ce que les juges ont à leur disposition et dont la pertinence se donne à voir dans les différentes pièces du dossier du procès [43].

17 L’arrière-plan législatif du procès est constitué par la Loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme. Celle-ci a été adoptée à la suite des attentats de Casablanca du 16 mai 2003, qui ont poussé le Maroc à revoir sa législation. Jusqu’alors, les affaires de nature terroriste étaient jugées selon les dispositions du code pénal. La nécessité de fournir une base législative aux organes de répression combinée à la nécessité d’inscrire ces textes dans le respect des règles du droit international et en particulier des droits de l’homme a conduit le pays à ajouter au Code pénal et au Code de procédure pénale – dans l’urgence, puisque la loi est promulguée le 28 mai 2003 – une multitude de dispositions spécifiques en matière de lutte contre le terrorisme. Calquée sur la loi antiterroriste française de septembre 1996, à quelques exceptions près, cette loi, censée garantir les droits humains, n’a fait que réduire les garanties relatives à un procès équitable, notamment en permettant les perquisitions et visites domiciliaires à toute heure [44], en prolongeant la durée maximale de la garde à vue jusqu’à 12 jours ou encore en retardant la communication de l’accusé avec son avocat pour une durée allant jusqu’à 48 heures. Cette orientation vers la législation anti-terroriste apparaît dans l’arrêt [45] de la façon suivante :

18

L’avocat du prévenu 4E conteste le procès-verbal de l’enquête préliminaire et demande son annulation, vu que son client suisse a été auditionné et a signé son procès-verbal sans la présence d’un traducteur assermenté ne respectant pas ainsi les dispositions de l’article 21 du Code de procédure pénale [46].

19

L’accusé 1C et son avocat commis d’office dénoncent la torture qu’il a subie et soutiennent qu’il a signé son procès-verbal sans avoir la possibilité de le lire (sans avoir eu accès à un avocat) [47].

20 Douze ans plus tard, en mai 2015, la loi n° 86-14, qui modifie et complète certaines dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives à la lutte contre le terrorisme, a été adoptée. Le champ d’action a ainsi été élargi, notamment par l’article 218-1-1, qui permet de juger les actes terroristes perpétrés à l’extérieur du territoire national, par l’article 218-2, qui prend en considération la propagande, l’apologie ou la promotion des entités, organisations, bandes ou groupes terroristes, et par l’article 218-5, qui punit les personnes incitant à commettre l’une des infractions prévues par le chapitre premier bis de la loi n° 03-03 de la réclusion de cinq à quinze ans et d’une amende allant de 50 000 à 500 000 dirhams, ou encore par l’article 711-1 du Code de procédure pénale, qui met en cause « tout Marocain ou étranger qui, hors du territoire du Royaume, a commis, comme auteur, co-auteur ou complice, une infraction de terrorisme, qu’elle vise ou non à porter préjudice au Royaume du Maroc ou à ses intérêts ».

21 Toujours en 2015, la Direction générale de la sûreté du territoire (DGST) a créé un corps tactique de police judiciaire qui se charge de lutter contre le grand banditisme, le trafic de stupéfiants ou d’armes, les enlèvements, ainsi que les atteintes à la sûreté de l’État, en l’occurrence le terrorisme. Ce nouveau service, présenté comme le bras armé de la DGST, porte le nom de Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ ; al-Maktab al-markazî li-l-abhâth al-qadâ’iyya). Bien que les actions de ce service soient souvent très médiatisées, on ne sait rien des méthodes utilisées par ses membres pour enquêter et recueillir les aveux. Plusieurs organisations des droits de l’homme ont pu douter des méthodes du BCIJ dont les procès-verbaux sont très souvent contestés par les prévenus, qui avancent parfois avoir avoué des crimes dont ils ne seraient pas les auteurs sous l’effet d’actes de torture. Avec le juge d’instruction, le BCIJ joue un rôle central dans la production des preuves sur lesquelles se basent les juges du siège pour conduire leurs procès.

22

L’accusé 1C a nié certains chefs d’accusation, soutenant que certains des faits ont été transformés par le BCIJ, qu’il n’a jamais été partisan de Daech (Dâ’ish, acronyme d’al-Dawla al-islâmiyya fî-l-’Irâq wa-l-Shâm, l’État islamique en Iraq et en Syrie) et qu’il était innocent [48].

23 L’arrêt rendu le 30 octobre 2019 par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Rabat en charge des affaires de terrorisme, dans l’affaire dite d’Imlil, porte sur des faits remontant à décembre 2018. Alors que l’État islamique – que la Cour désigne par Daech – était au faîte de sa puissance, quatre jeunes gens de la région de Marrakech décident de passer à l’acte. Quelques semaines plus tôt, ils avaient enregistré une vidéo dans laquelle ils prêtaient allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, le calife de l’État islamique. Les quatre individus se rendent au village d’Imlil, au pied du jebel Toubkal, dans le Haut-Atlas, dans le but de trouver des touristes occidentaux qu’ils pourront égorger. Dans la nuit du 16 au 17 décembre, ils repèrent deux touristes scandinaves d’une vingtaine d’années, une Norvégienne et une Danoise, en train d’installer leur tente pour la nuit. Trois des quatre individus attendent l’aube pour mener leur forfait, au nom de Dieu, comme en attestent de multiples expressions de la vidéo qu’ils ont enregistrée. Ils prennent ensuite la fuite vers le sud du Maroc, dans l’espoir de rejoindre la Mauritanie et, de là, le groupe Boko Haram. Ils sont arrêtés par les forces de l’ordre à Marrakech, dans un bus à destination d’Agadir.

24 Tout de suite après ce double meurtre, les trois accusés ont quitté les lieux en marchant à pied, laissant derrière eux leurs affaires parmi lesquelles figurait la pièce d’identité de l’accusé 1A. Pendant leur fuite, l’accusé 2A a raconté aux deux autres avoir poignardé et décapité la seconde victime et déposé sa tête devant la tente pour que l’accusé 3A puisse la filmer. Les trois accusés ont poursuivi leur fuite pendant laquelle ils ont pris soin de se nettoyer du sang de leurs victimes et de diffuser les vidéos du double meurtre dans des groupes jihadistes via l’application Telegram. Ils se sont ensuite rendus chez l’accusé 4D qui leur a offert la somme de 1 000 dirhams et quelques produits alimentaires leur permettant de continuer leur fuite vers Marrakech dans le but de rejoindre Agadir puis la Mauritanie par les frontières Sud du Maroc [49].

25

Dans ses aveux, l’accusé 1A a affirmé que, tout de suite après le crime, il s’est rendu avec ses deux complices chez l’accusé 4D qui leur a donné la somme de 1 000 dhs leur permettant de financer en partie leur fuite vers le sud du Maroc dans le but de rejoindre le Mali et intégrer le mouvement Boko Haram [50].

26 L’arrestation de ces quatre individus conduit à l’arrestation d’une vingtaine de présumés complices. Tous sont poursuivis pour :

  • • planification d’actes terroristes à l’intérieur du Royaume ciblant les touristes, les éléments de la Gendarmerie et de la Sûreté et certains sites touristiques, non-dénonciation de crime, apologie du terrorisme et meurtre de deux touristes scandinaves ;
  • • constitution d’une bande pour préparer et commettre des actes terroristes, atteinte à la vie de personnes avec préméditation, possession d’armes à feu et tentative de fabrication d’explosifs en violation de la loi, dans le cadre d’un projet collectif visant à porter gravement atteinte à l’ordre public [51].

28 Le BCIJ et un juge d’instruction instruisent l’affaire et préparent les arguments nécessaires aux juges du siège pour conduire le procès. Après plusieurs semaines d’enquêtes et d’audiences et un appel, 24 condamnations sont rendues, allant de cinq années de prison ferme pour les complices à la peine de mort [52] pour les quatre principaux accusés. Le pourvoi en cassation de ces derniers est rejeté. En juin 2021, le tribunal administratif admet par ailleurs la responsabilité de l’État marocain et accorde une indemnisation de cinq millions de dirhams à la famille d’une des deux victimes en réparation du préjudice moral subi par les parents. En février 2022, cette somme est revue à la baisse par la Cour d’appel administrative de Marrakech et se trouve réduite à un million de dirhams.

29 Ces condamnations pénales se basent sur les dispositions de l’article 218 de la Loi n° 03-03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme telle qu’elle a été modifiée et complétée par la Loi n° 86-14 du 20 mai 2015, ainsi que sur les dispositions des articles 114, 129, 154, 156, 267, 393, 394, 395 et 399 du Code pénal, des articles 5-8 du dahir réglementant le droit d’association et des articles 3-9 du dahir du 15 novembre 1958 relatif aux rassemblements publics, tels que modifiés et complétés le 10 avril 1973 et le 2 juillet 2002. L’article 218-1 définit les éléments constitutifs de l’acte terroriste. Dans notre cas, il s’agit de « l’atteinte volontaire à la vie des personnes ou à leur intégrité, ou à leurs libertés, l’enlèvement ou la séquestration des personnes ». En outre, l’article 218-7 prévoit des peines lourdes allant jusqu’à la peine de mort lorsque les faits commis constituent des infractions relevant de l’article 218-1, qui est complété en 2015 par l’article 218-1-1 qui considère comme infractions de terrorisme :

  • • le fait de se rallier ou de tenter de se rallier individuellement ou collectivement, dans un cadre organisé ou non, à des entités, organisations, bandes ou groupes, terroristes, quels que soient leur forme leur objet, ou le lieu où ils se trouvent situés, même si les actes terroristes ne visent pas à porter préjudice au Royaume du Maroc ou à ses intérêts ;
  • • le fait de recevoir ou de tenter de recevoir un entraînement ou une formation, quelle qu’en soit la forme, la nature ou la durée, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire du Royaume du Maroc, en vue de commettre un acte de terrorisme à l’intérieur ou à l’extérieur du Royaume, indépendamment de la survenance d’un tel acte ;
  • • le fait d’enrôler, d’entraîner ou de former ou de tenter d’enrôler, d’entraîner ou de former une ou plusieurs personnes, en vue de leur ralliement à des entités, organisations, bandes ou groupes, terroristes à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire du Royaume du Maroc [53].

31 L’apologie d’actes de terrorisme, que ce soit verbalement, par écrit, par imprimés ou par moyens d’information électroniques, est punie d’un emprisonnement de deux à six ans et d’une amende de 10 000 à 200 000 dirhams (article 218-2). L’article 218-5 stipule que « quiconque, par quelque moyen que ce soit, persuade, incite ou provoque autrui à commettre l’une des infractions prévues par le présent chapitre, est passible des peines prescrites pour cette infraction. »

32 La loi « punit de la réclusion de cinq à dix ans toute personne qui, ayant connaissance de projets […] constituant des infractions de terrorisme, n’en fait pas […] la déclaration aux autorités judiciaires […]. Toutefois, la juridiction peut […] exempter de la peine encourue les parents ou alliés jusqu’au quatrième degré, inclusivement, de l’auteur, du coauteur ou du complice d’une infraction de terrorisme » (article 218-8). Dans notre affaire, il n’a pas été tenu compte de la deuxième partie de cet article, puisque l’accusé 1J, qui est le cousin de l’accusé 1B, a été condamné à 6 ans de prison ferme pour non-dénonciation.

33 L’article 114 du Code pénal stipule que « Toute tentative de crime qui s’est manifestée par un commencement d’exécution ou par des actes non équivoques tendant directement à le commettre, si elle n’a été suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, est assimilée au crime consommé et réprimée comme tel. » L’article 129 permet, quant à lui, de considérer comme complices d’une infraction qualifiée de crime ou délit ceux qui, sans participation directe à cette infraction, ont :

  • • par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, provoqué à cette action ou donné des instructions pour la commettre ;
  • • procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à l’action sachant qu’ils devaient y servir ;
  • • avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action, dans les faits qui l’ont préparée ou facilitée ;
  • • en connaissance de leur conduite criminelle, habituellement fourni logement, lieu de retraite ou de réunions à un ou plusieurs malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l’État, la paix publique, les personnes ou les propriétés.

35 Dans l’affaire d’Imlil, cet article a servi de fondement juridique à la condamnation de vingt individus supplémentaires qui se sont vus attribués des rôles de complices à différents degrés de gravité, alors que certains soutenaient ne pas être entré en contact avec les quatre principaux condamnés depuis plusieurs années et que d’autres assuraient ne rien connaitre de leur projet terroriste.

III. Factualité objective, correction procédurale et pertinence juridique : l’horizon routinier de l’extraordinaire

36 « L’activité juridique consiste prioritairement dans une série d’opérations conceptuelles, topiques, langagières et logiques. Les acteurs du droit manipulent des objets matériels (codes, pièces, revues, etc.), raisonnent, conceptualisent, interprètent, argumentent, formalisent ou encore motivent [54] ». En contexte autoritaire, rendre justice ne déroge pas à cette constante. À plus d’un égard, les juges s’attachent à lisser les différences qu’il pourrait y avoir par rapport à un procès en contexte démocratique. L’ensemble des protagonistes du procès s’attachent à « faire droit », c’est-à-dire à manifester publiquement leur attachement à un accomplissement normal du droit qui respecte ses contraintes techniques et objectifs pratiques. Ceux-ci consistent principalement à, dans le respect affiché des prodédures, rattacher les faits incriminés à une catégorie juridique disponible et susceptible de produire les effets juridiques escomptés. Cela s’observe à tous les stades d’une affaire, depuis le moment où la justice est saisie jusqu’à l’exécution du verdict ultime. L’accomplissement du droit est, pour ses « pratiquants » (l’ensemble des personnes concernées), une affaire ordinaire, routinière, entièrement tournée vers les « opérations [55] » à réaliser pour que la part du réel qui est en cause soit traduite juridiquement et dès lors exécutable légalement. Si l’on s’en tient au seul texte du jugement, on peut observer à quel point l’accomplissement du droit est routinier, fait de stéréotypes, de schèmes et de paradigmes narratifs : « Le processus judiciaire lui-même est un ensemble d’interactions pragmatiques dont chacune, prise individuellement, et toutes, prises collectivement, sont des constructions discursives, leur intelligibilité dépendant de ce qu’elles sont telles [56] ».

37 Les réquisitions présentent les faits de la manière suivante :

38

L’accusé 1A est poursuivi pour : avoir constitué une bande organisées pour préparer et commettre des actes terroristes, avoir atteint à la vie de personnes avec préméditation, avoir commis des actes de barbarie, possédé et utilisé des armes et tenter de fabriquer des explosifs en violation des dispositions de la loi dans le cadre d’un projet collectif qui vise à troubler l’ordre public par des moyens d’intimidation et de violence l’envisageant en cas de récidive, avoir tenté de rejoindre collectivement et dans un cadre organisé une organisation terroriste, avoir incité d’autres personnes et les avoir persuadées de commettre des actes terroristes, avoir fait l’apologie du terrorisme, avoir tenu des réunions publiques sans autorisation préalable, avoir pratiqué des activités dans une association qui n’est pas agréée conformément aux articles 218-1, 218-1-1, 218-2, 218-5, 218-7 et 218-8 de la Loi 03-03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme, telle qu’elle a été modifiée et complétée par la Loi 86-14 du 20 mai 2015 et des articles 114, 154, 156, 393, 394, 395, 399 du Code pénal et les chapitres 5 et 8 du dahir réglementant le droit des associations et 3 et 8 du dahir relatif aux rassemblements publics du 15 novembre 1958 modifiés et complétés le 10 avril 1973 et le 02 juillet 2002 [57].

39 Il n’est pas nécessaire de revenir sur ce que l’on sait de la factualité judiciaire [58] : une construction formatée, composée pour partie de mentions obligatoires, orientée à des fins judiciaires, formulée en termes instrumentalisables juridiquement, prenant la forme d’un récit linéaire, soucieuse de correction formelle, sans aspérités apparentes, sans ambiguïté, univoque. La plupart du temps, les membres de la police, du Parquet et du pouvoir judiciaire disposent d’instructions leur indiquant les règles de forme et de contenu à respecter. L’objectif est de présenter les « faits de la cause » de manière à ce que le juge du siège puisse en faire la mineure du syllogisme de sa décision. Le passage du droit commence ici. Bien que les faits soient « construits judiciairement » et soient donc le produit d’un travail de collecte d’informations, d’assemblage et de mise en cohérence narrative [59], leur exposé prétend à l’objectivité. Ainsi, l’arrêt – et cela vaut pour tout contexte, autoritaire ou non – s’attache à manifester son inscription dans un horizon de normalité où les faits, investis d’une typicalité sociale reconnaissable, sont formulés en termes juridiquement opérationnels, tout en offrant une structure lisse les prémunisant de leur contestation.

40 Les « faits » sont le fruit d’une opération de mise en récit dont la vérité ne procède pas tant de la mise en balance des différents éléments du récit et de leurs appuis probants que d’une question de plausibilité d’ensemble [60] (Gestalt). Leur structure est naturellement influencée par la capacité de leurs rédacteurs à présenter l’information dans les formes admises par l’institution judiciaire, à suivre les schèmes narratifs en cours devant les juridictions. Ces schèmes correspondent largement aux règles formulées dans les codes et autres textes de loi : « L’usage de compétences en matière de construction et d’analyse de récit permet à des corpus complexes de preuves d’être réduits à des termes correspondant élégamment aux catégories juridiques [61] ». On remarquera, à la suite de Garfinkel [62], combien cette recherche d’adéquation aux schèmes en vigueur dans l’institution judiciaire conditionne l’action de l’ensemble des protagonistes, magistrats, avocats, justiciables, chacun dans sa perspective propre.

41 La procédure suivie par la juridiction est également soigneusement exposée. Cet exposé de la procédure suivie fournit l’attestation de ce que le procès a respecté la séquence légale et que donc « les choses se sont passées normalement ». Dans l’arrêt que nous étudions, cela prend la forme suivante :

42

L’avocat de l’accusé 1A demande le report de l’audience au 18 septembre 2019 à 15h. Les accusés ont été présentés devant le juge en état d’arrestation. Les avocats de la défense et ceux des parties civiles se sont présentés. L’avocat de l’accusé 4E conteste le procès-verbal de l’enquête préliminaire et demande son annulation, vu que son client suisse a été auditionné et a signé son PV sans la présence d’un traducteur assermenté violant ainsi les dispositions de l’article 21 du Code de procédure pénale. Le ministère public rejette la demande de l’avocat avançant que le législateur n’interdisait pas aux officiers de police judiciaire d’auditionner un accusé dans une autre langue que l’arabe si ces derniers maîtrisent cette langue [63].

43

L’accusé 1A répond à la question de l’avocat de la partie civile 1 que son envie de porter allégeance à l’État islamique a débuté en 2014 en rejoignant l’association « la Maison du Coran (Dâr al-Qur’ân) » à l’âge de 17 ans où il assistait aux cours du Cheikh Maghraoui [64].

44

Le ministère public affirme que les accusés 1A, 2A, 3A et 1B sont poursuivis pour attentat à la vie d’autrui. Aprés avoir porté allégeance à Daech et documenté ce fait par une vidéo, et puisqu’ils comptaient attaquer des touristes occidentaux et les décapiter à la façon de Daech en séparant leur tête de leur corps, et après plusieurs tentatives, ils ont finalement croisé le chemin de ces deux touristes scandinaves la nuit du dimanche 16 décembre 2018 [65].

45

Comme dernier mot avant le prononcé de la sentence, les accusés 1A, 2A et 3A ont répété l’expression islamique « Nous prions Dieu pour qu’Il nous venge ». Quant à l’accusé 2A, il a récité la sourate al-Kâfirûn (les infidèles) : « Ô vous les infidèles ! Je n’adore pas ce que vous adorez. Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. Je ne suis pas adorateur de ce que vous adorez. Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. À vous votre religion, et à moi ma religion » [66].

46 Dans les sentences qui s’en suivront, les juges – qui, il faut le souligner à nouveau, ne se démarquent pas en cela de leurs homologues en contexte plus libéral – ne retiendront que la terreur et la violence, ignorant toute motivation politico-religieuse et traitant les accusés comme des criminels de droit commun [67] :

47

Vu qu’il a été confirmé auprès de cette Cour à travers l’étude de l’ensemble des documents du dossier et en s’appuyant sur les différenrs débats que les accusés (1A, 2A et 3A) ont avoué les faits durant toutes les étapes de l’enquête, que ces derniers se sont mis d’accord depuis le début sur la constitution d’une cellule terroriste, et que cette cellule a porté allégeance à Daech et à son calife Abou Bakr al-Baghdadi avant de commencer à préparer leurs agressions en coordonnant leurs actions avec les autres membres de cette cellule pour tenter de fabriquer des explosifs et du poison pour perpétrer plusieurs actes terroristes ; comme ils ont montré de façon détaillée devant cette Cour qu’ils avaient tenté d’exécuter plusieurs touristes à l’aide d’armes blanches avant de réussir à décapiter les deux touristes scandinaves, en rajoutant qu’ils refusaient de présenter une quelconque excuse aux familles des victimes et qu’ils souhaitaient que la sentence de la peine de mort soit appliquée rapidement. Tous ces éléments ont convaincu cette Cour de la culpabilité des accusés [qui] a décidé suite à cela de confirmer le jugement rendu en première instance (peine de mort) [68].

48 La loi n° 03-03, le Code pénal et le Code de procédure pénale précisent la procédure à suivre pour l’instruction et le jugement pour faits de terrorisme. La partie de l’arrêt consacrée à la procédure est soucieuse de systématiquement établir et rappeler sa conformité à ces dispositions, ce qu’on pourrait appeler son inscription dans l’horizon de normalité d’un procès de ce genre. Cette séquence procédurale offre aussi à la défense un espace d’immixtion. Comme l’affichage de la correction procédurale est, pour l’accusation, une ressource majeure dans sa prétention à la conformité aux canons de la bonne administration de la justice propre à un État de droit, la défense ne prend pas trop de risques à jouer sur ce terrain et à faire ressortir les vices d’une procédure que l’accusation s’attache tellement à respecter dans la forme. Pour illustration de ce propos, nous reproduisons cet autre extrait de l’arrêt dans lequel apparaissent différentes requêtes formulées par les avocats des parties défenderesses :

49

Le premier avocat de la partie civile 1 est intervenu demandant la convocation du Cheikh Maghraoui, pour le confronter aux accusés, au motif qu’il avait un lien direct avec l’affaire puisque son nom a été mentionné à plusieurs reprises par les accusés eux-mêmes.

50

L’avocat de la partie civile 2 est intervenu pour confirmer la requête soumise par son collègue et pour demander une enquête complémentaire en convoquant notamment d’autres témoins.

51

Le ministère public a répondu en précisant que, devant les aveux des accusés, il n’y avait aucun intérêt à convoquer des témoins.

52

L’avocat de l’accusé 3B est intervenu pour demander au ministère public de vérifier ce qui avait été dit par les accusés concernant Cheikh Maghraoui.

53

L’avocat de l’accusé 4E a pris la parole pour souligner que la défense de la partie civile 1 n’avait pas formulé ses demandes dans un cadre légal, et suggère qu’il ne soit pas donné suite à ces demandes.

54

Le premier avocat de la partie civile 1 a adressé une requête qui tend à convoquer Monsieur Mustafa Ramid [69] ainsi que le Cheikh Maghraoui lui-même qui aurait participé à la radicalisation de la plupart des accusés.

55

Le second avocat de la partie civile 1 a expliqué que, lors du procès en première instance, l’État marocain a été représenté par l’avocat Abdelatif Ouahbi, tandis que le Cheikh Maghraoui n’a jamais été convoqué. Il a insisté sur la nécessité de convoquer ce dernier pour procéder à une enquête complémentaire.

56

L’avocat de l’accusé 2G est intervenu pour demander l’autorisation de la mise en place d’une procuration spéciale pour le compte de son client.

57

Et après avoir délibéré sur le siège, au nom de Sa Majesté le Roi conformément à la loi, la Cour a accepté la requête présentée par l’avocat de l’accusé 2G et a décidé de reporter le traitement des autres requêtes [70].

58 La Cour s’attache enfin à motiver sa sentence, c’est-à-dire à donner les raisons qui l’ont conduite, au niveau des faits comme à celui des règles de droit, à rendre son arrêt. Nous parlons, pour notre part, de construction de la « pertinence juridique » par laquelle une réalité se trouve catégorisée par le droit [71].

59

Pendant que les accusés 1A et 2A étaient dans la maison de l’accusé 3C en train de faire quelques travaux de bâtiment, ils se sont mis à définir les cibles qu’ils allaient attaquer et qui sont les suivantes : 1) Les touristes occidentaux qui affluent à Marrakech, puisqu’ils sont les sujets de pays infièles qui participent à la guerre contre l’EI. Il faut donc cibler les endroits touristiques reculés de la ville de Marrakech pour pouvoir décapiter aisément les touristes qui s’y trouveront ; 2) Attaquer les gendarmes qui se situent au niveau des barrages de sécurité afin de les tuer et de s’emparer de leurs armes de service [72].

60

Les accusés 1A et 3A ont écrit sur un papier qu’ils portaient allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi et que les actes jihadistes qu’ils comptaient commettre avec les autres membres de sa cellule jihadiste sont une réaction contre les infidèles et les mécréants, et une vengeance et un soutien à leurs frères jihadistes sous le drapeau de Daech qui se font bombarder et tuer en Syrie. Suite à cela, l’accusé 1B a accroché le drapeau de l’organisation (tanzîm) sur un mur de la chambre à coucher devant lequel ils se sont installés et filmés pour porter allégeance, tous les quatre accompagnés de l’accusé 2A, en portant un gros couteau et en lisant le texte du serment d’allégeance (bay’a) [73].

61 Comme les « faits », qui procèdent d’un travail de collecte, sélection, présentation et assemblage, les règles de droit appliquées à ces faits sont le produit d’une « mini-mise en récit [74] ». Cette structure narrative est présente jusque dans les formulations les plus conceptuelles, abstraites et générales de la règle juridique. On la retrouve également dans l’opération de qualification. Le syllogisme à l’œuvre dans celle-ci n’est pas fondé sur un mécanisme de correspondance des faits à la règle, mais sur une relation de cohérence entre la majeure et la mineure, sur la comparaison de l’unité narrative relative aux faits et du schème narratif sous-tendant la règle juridique [75]. À ce titre, la qualification est préjugée, dès lors que l’organisation du récit est fonction des classifications juridiques auxquelles il convient de rapporter l’affaire. La qualification ne témoigne pas de l’application d’un droit principiel à des faits établis objectivement, mais de narrations juridiques abstraites de leur contexte d’énonciation à des faits dont la narration a été construite en fonction de la qualification à venir.

IV. La normalité par excès et la vérité par défaut : l’extraordinaire autoritaire

62 La justice en contexte autoritaire s’inscrit le plus souvent sur un fond de normalité. Elle prétend à une pratique répondant à tous les critères de la bonne administration du droit et de la justice (due process of law), à l’incarnation de l’État de droit dans tout ce que celui-ci comporte comme exigences de légalité et de procédure. C’est donc par rapport à cette normalité affichée qu’il faut appréhender son exercice, dont le caractère particulier se manifeste de deux manières, éventuellement cumulatives : soit par un excès de normalité, c’est-à-dire un affichage de la normalité qui paraît excédentaire, redondant, superflu, exclusivement formel ; soit par défaut, lorsque ce que le cours ordinaire de la justice aurait laissé présumer se retrouve étonnamment absent du dispositif du jugement [76].

63 Pour filer une expression bien connue de Garfinkel [77], l’horizon de normalité du monde ordinaire est fait d’une infinité de petites choses qui sont vues, c’est-à-dire connues et reconnues par tout membre compétent de la société, mais non remarquées, en ce sens qu’elles ne font pas l’objet d’une pause réflexive sur leur existence, leur signification et leurs implications (seen but unnoticed). Ainsi en va-t-il de la justice dont l’accomplissement est fait, de part en part, et particulièrement pour ses professionnels, de ces évidences non problématiques. Dans le cas de la justice extraordinaire, cependant, la normalité s’affiche par excès. Cela tient à ce que ces évidences, les choses vues et non remarquées de Garfinkel, sont produites de manière tellement excédentaire qu’elles en deviennent remarquables. Inversement, dans ces configurations autoritaires, ces évidences ordinaires peuvent faire défaut, être égrangement absentes. Cette absence devient dès lors remarquable, c’est une normalité par défaut.

64 La notion de typicalité, que nous empruntons à la phénoménologie [78], à la sémiotique [79] et à l’ethnométhodologie [80], peut nous être ici d’un certain secours. Il est entendu, comme nous l’avons exposé à la section précédente, que les juges visent à produire une décision correspondant au type idéal du bon procès, celui qui a été mené dans les règles de l’art. Ce faisant, les juges s’attachent à « faire droit » et montrer qu’ils le font (doing being legal[81]), à agir et faire voir qu’ils agissent comme de « bons juges » (thinking and acting as lawyers, good judges[82]), à communiquer leur professionnalisme et donc leur conduite adéquate du procès, sur la forme aussi bien que sur le fond. Pour ce faire, ces juges mettent en avant les caractéristiques typiques d’un procès ordinaire. On peut dire en ce sens que la typicalité du procès est, en réalité, une typification, un accomplissement pratique (practical accomplishment) du juge, une réalisation (achievement).

65 Dans le contexte qui nous occupe, toutefois, cette production de la typicalité, la typification qu’opèrent les juges, n’apparaît plus comme routinière, mais comme affectée. À lire attentivement le texte du procès, il ressort que les juges « surjouent » sa correspondance au type idéal. En voici quelques exemples :

66

Vu qu’il a été confirmé à cette Cour au travers l’étude de l’ensemble des documents du dossier et en s’appuyant sur les différents débats que les accusés ont avoué les faits durant toutes les étapes de l’enquête, que ces derniers se sont mis d’accord depuis le début sur la constitution d’une cellule terroriste et que cette cellule a porté allégeance à Daech et à son calife Abou Bakr al-Baghdadi avant de commencer à préparer leurs agressions en coordonnant leurs actions avec les autres membres de cette cellule pour tenter de fabriquer des explosifs et du poison pour perpétrer plusieurs actes terroristes[83]. [nous soulignons]

67 Dans l’extrait ci-dessus, le juge répète, de manière tautologique, que la procédure a été accomplie « comme il faut » et que les accusés ont « commis ce qui leur est reproché ». Notons que, techniquement, la tautologie est une modalité efficace d’imposition d’une « vérité ». Le travail de typification ne consiste pas seulement en une opération prédicative rapportant une occurrence au paradigme du « procès normal ». Ce travail s’effectue d’abord de manière anté-prédicative, en-deçà donc de toute production intentionnelle des caractéristiques spécifiques au jugement, ce qui explique que beaucoup d’affaires soient préjugées, ne fassent pas l’objet d’un travail argumentatif véritable, mais soient plutôt traitées en fonction de la catégorie dans laquelle elles ont été intuitivement rangées. Ce n’est souvent qu’ensuite, au moment où s’impose l’obligation de motiver le jugement, qu’intervient l’opération d’attribution d’une correspondance entre la règle et les faits de la cause. Ainsi, avant d’être des modèles servant de base à une comparaison, les types sont des « structures de pertinence [84] ».

68 Ces structures de pertinence sont à l’œuvre dans toutes les formes de procès, et pas seulement dans ceux qui sont d’un type ordinaire. Dans ce dernier cas, ces structures contribuent à l’inscription des affaires dans la routine judiciaire. Elles sont toutefois aussi à l’œuvre dans les procès extraordinaires. Ainsi, dans notre cas, l’appartenance de l’affaire au type « terrorisme » est-elle perçue antéprédicativement. Dans ce cas, on observe souvent l’émergence d’une tension entre la volonté de « faire droit » de manière ordinaire et la perception antéprédicative d’une affaire relevant de circonstances exceptionnelles qu’il convient de régler de manière extraordinaire. La possibilité de rendre une justice sortant de l’ordinaire est d’autant plus ouverte que, d’une part, les juges disposent d’un arsenal législatif dérogatoire au droit pénal commun et que, d’autre part, la prépondérance du pouvoir exécutif et de ses agents de police et de répression confère un poids exorbitant à l’action publique. Dans cette configuration, l’extraordinaire rentre dans l’ordinaire, l’exception devient la règle, on peut légalement déroger. D’un côté, l’appartenance du procès au type « terrorisme » relève de l’évidence (le juge se contentant de répéter ce qui est constitutif de terrorisme) ; de l’autre, l’usage d’une procédure répressive spécifique est banalisé (tout est inscrit dans la loi) [85]. (Voir l’extrait reproduit section 3, §2).

69 Reste le grand impensé de ce jugement : l’islam. Tout indique que les accusés avaient une motivation religieuse. Les documents de l’enquête en attestent à différents niveaux :

70

L’accusé 1A soutient qu’il voulait rejoindre Daech puisqu’il considérait que cette organisation appliquait à la lettre la sharî’a. Il a avoué que, devant le juge d’instruction, il avait traité les chefs d’États arabes de mécréants et de tyrans, et qu’il travaillait en tant qu’imam dans deux mosqués dans la région de Marrakech, l’une à al-Ouidane et l’autre à l-Ourika, et que ces deux mosqués appartenaient à l’association « la Maison du Coran » du Cheikh Maghraoui. Il a avancé qu’il ne demanderait pas pardon aux familles des deux victimes tant que des millions de musulmans attendent leurs excuses et que c’est en 2011 que s’est constituée chez lui l’envie d’aller faire le jihad en Syrie, spécialement après le congrès organisé par le Président al-Sissi en Egype où plus de 500 savants musulmans ont appelé au jihad en Syrie. […]

71

L’accusé 3D nie tout ce qui lui a été repproché et affirme travailler comme imam rémunéré par le ministère des Habous et des Affaires islamiques et qu’il était également rémunéré par les parents d’enfants auxquels il enseignait le Coran [86].

72 Et pourtant, nulle trace de cette motivation dans l’arrêt lui-même, au plus une mention de Daech et le terme connoté de jihâd :

73

L’enquête du BCIJ avance que l’accusé 1A a affirmé qu’il s’était tourné vers la religion en 2009 et qu’il a rejoint en 2010 une mosquée dans la petite commune de Lgharbia pour apprendre le Coran et les régles d’intonation, et c’est à ce moment-là qu’il a rencontré certains des accusés avec lesquels il discutait de sujets religieux, de la guerre en Syrie et des différents mouvements et organisations jihadistes, ainsi que de la légitimité leurs opérations jihadistes. De cela, ils ont conclu que le pouvoir en place en Syrie était infidèle et mécréant et qu’il devenait nécessaire d’aller faire le jihad en Syrie aux côtés des organisations jihadistes présentes sur place et qu’après l’apparition de Daech, à qui il a porté allégeance, il a tenté de rejoindre cette organisation en compagnie d’autres accusés [87].

74 Ainsi, la raison pour laquelle les accusés ont entrepris leur action criminelle, à savoir leur volonté de traduire leur conception jihadiste de l’islam en une action ciblée contre des impies (kâfir, pl. kuffâr), est éludée. Cette omission ne relève pas d’un acte manqué freudien, mais est, au contraire, totalement assumée par les membres de la Cour :

75

Oui, nous avons discuté hier dans mon bureau des types de terrorisme et j’ai fait savoir […] que nous refusions le terme « terrorisme islamique ». Vous savez […] que nous avons été invités à participer à des travaux à la Cour pénale internationale où l’un des intervenants étrangers a évoqué ce terme à plusieurs reprises. Notre délégation s’est retirée sur le champ. Nous refusons catégoriquement ce terme.

76

Jamais il n’a été question de condamner un accusé sur la base de ce qu’on pourrait appeler un acte de terrorisme islamique, islamiste ou religieux.

77

J’ajoute qu’il n’a jamais été question non plus de terrorisme politique au Maroc [88].

78 La nature jihadiste des actes incriminés est absolument évidente pour tous les observateurs compétents du procès, mais son évacuation de la motivation du jugement permet une double chose : d’une part, éviter d’ouvrir un débat à l’issue incertaine sur l’islam, ses sources et ses interprétations ; de l’autre, conforter la maître-récit national sur l’islam unique, celui du juste-milieu (wasatiyya) – incarné par celui qui est, dans les termes mêmes de la Constitution marocaine (article 41), le Commandeur des croyants (amîr al-mu’minîn) – qui ne souffre pas la contestation des extrêmes et a seul droit de cité et de parole. L’articulation logique de l’argument est qu’il n’existe qu’un seul islam, celui du juste milieu, ce qui relègue la motivation jihadiste dans la déviance et la criminalité injustifiables, voire l’apostasie.

79 La typification antéprédicative à laquelle on aurait pu s’attendre se trouve contestée et défaite par la typification intentionnelle, c’est-à-dire la qualification, des magistrats. Le type auquel l’affaire appartenait manifestement a été évacué au profit d’une caractérisation à la fois intuitive (terrorisme) et contre-intuitive (non fondé religieusement). De manière surréaliste, les magistrats affirment, performativement et en dépit de l’évidence contraire : « ceci n’est pas un procès en terrorisme islamique/islamiste ». Ce déni d’évidence est fonctionnel. Il est aussi la marque d’une justice qui, du fait de la nature du système, écarte toute forme de motivation et, partant, d’opposition politico-religieuse. La centralité de la religion entendue comme « islam modéré » ne peut se satisfaire de la reconnaissance factuelle d’une autre conception, et ceci d’autant moins que les institutions marocaines font du souverain le Commandeur des croyants. Si l’islam est modéré, il n’est pas pluraliste, de sorte que, paradoxalement, la modération est un absolu et, dans le sens fort du terme, une limite ou, pour employer un terme souvent utilisé dans la presse marocaine, une « ligne rouge ». L’autoritarisme apparaît ainsi dans l’imposition de cette ligne.

Conclusion

80 Comme le dit Dusan Bjelic [89], en parlant du rapport de la traduction à la réalité, la signification est une pratique. S’appuyant sur Wittgenstein [90], pour qui la traduction est liée à « un point dans le temps et à une façon d’utiliser le mot », il nous montre que la référence de la traduction, c’est-à-dire sa réalité, se situe dans la logique de l’occasion, dans le jeu qui est pratiqué [91]. Loin de se réduire à une « invention », comme voudrait le faire accroire la vulgate postmoderne, pour qui la réalité est un simulacre dans lequel fiction et réalité se confondent, la signification est une production contextuellement contrainte et téléologiquement orientée. Dans le domaine du droit, cela conduit à souligner que le travail juridique vise à la production non remarquable d’un récit judiciaire normal, dans une relation à la réalité qui n’est pas purement factice, bien qu’elle soit certainement artificielle.

81 L’erreur consiste sans doute à traiter de manière indistincte le récit historique et le récit judiciaire, et partant les vérités qui en résultent, sans prendre en considération l’orientation et la finalité fondamentalement différentes. Les modalités de construction de ces récits et savoirs sont à cet égard déterminantes. À partir de l’affaire Iran-Contra, qui fit l’objet d’une commission d’enquête parlementaire aux États-Unis, Michael Lynch et David Bogen démontent parfaitement bien les mécanismes de production d’une histoire officielle, c’est-à-dire « les méthodes pratiques par lesquelles l’événement est assemblé, contesté et stabilisé [92] ». Ils insistent dès lors sur le fait que « ce sur quoi porte une histoire est entremêlé sur différents fronts avec comment elle est écrite [93] ». De ce point de vue, la vérité politico-judiciaire est formulée à toutes fins juridiques pratiques ultérieures et cherche à fonder un jugement (ou à échapper à ses conclusions par le truchement de la déniabilité plausible), tandis que la vérité historique n’a pas de portée décisionnaire et se présente davantage sous le régime popperien de la falsifiabilité de conclusions toujours provisoires.

82 La littérature a largement établi que, par définition ou presque, le récit judiciaire ne s’écrit pas dans le but d’établir une vérité historique, mais aux fins pratiques d’un usage juridique ou judiciaire ultérieur. Au-delà de son rapport à la vérité, le jugement judiciaire contribue à la production d’une réalité de plein exercice. En effet, il produit et impose des catégories, au-delà des peines qui en découlent. À l’aide d’un appareillage de recherche de la vérité (truth-finding engine[94]), il instaure la culpabilité d’un individu en lui attribuant des motifs et des actions. On pourrait parler d’appareillage performatif [95] d’énonciation de la vérité (truth-stating engine). Le prononcé du jugement ne consiste pas, en effet, à décrire un fait mais à créer un état, à attribuer une identité. C’est le propre des institutions que d’imposer des catégories aux être et aux choses, comme le soulignait Mary Douglas [96]. Ce faisant, elles modifient objectivement la réalité épistémique [97], autrement dit la factualité. Le jugement est institutif et non constatatif. Le vrai et le faux y sont inséparables du travail institutionnel qui les produit : le coupable est coupable parce qu’il est déclaré tel et condamné.

83 Il existe bien une vérité judiciaire – et un rapport à la réalité – mais il est contingent à la contextualité judiciaire de l’événement. Il convient dès lors, contrairement aux conceptions sceptiques de la réalité, d’opérer une respécification praxéologique de celle-ci qui la considère au regard de ce pour quoi elle est établie. Ce travail passe par des opérations de monstration et d’oblitération de l’évidence, bien au-delà de ce qu’un récit historique aurait exigé. Pour reprendre la distinction opérée par Eric Livingston [98], les textes peuvent être dans des rapports de surdétermination, de sous-détermination et de détermination ajustée du sens, c’est-à-dire qu’aussi bien leur ensemble que leurs détails fournissent des indices contextuels (contextual clues) de la façon dont ils doivent être lus. Dans le cas de jugements judiciaires, la tendance est à surdéterminer les indices contextuels. Mais là où, dans le cours ordinaire des choses, on observe une production non remarquable de la normalité, cette production devient remarquable, en contexte exceptionnel, du fait d’un décalage surdéterminé entre, d’une part, les faits-tels-qu’ils-sont-judiciairement-établis et les faits-tels-que-le-bon-sens-peut-les-supposer et, de l’autre, les motivations-telles-qu’elles-sont-judiciairement-formulées et les motivations-telles-qu’on-peut-raisonnablement-les-imaginer. À l’image du tableau de Magritte figurant une pipe et intitulé « Ceci n’est pas une pipe », on observe, dans les procédures judiciaires en contexte autoritaire portant sur des faits manifestement motivés politiquement (y compris ceux qui sont motivés par une conception politique de la religion), une tendance à faire en sorte que ce qui est revendiqué par ses auteurs comme motivé par l’islam soit manifestement expurgé de toute référence à celui-ci.

84 Sur cette base, les coupables d’actes terroristes peuvent être renvoyés à une criminalité sans motifs religieux ou politiques, de droit commun donc. C’est vrai en contexte autoritaire aussi bien qu’en contexte démocratique. Dans le premier, toutefois, cela se fait en expurgeant, tout au long du procès, le crime de ses motifs explicites, y compris ceux figurant à des stades antérieurs de la procédure. Pour que ce travail de filtrage soit efficace, il doit impérativement respecter les formes, puisque ce sont les formes qui instituent et non la véridicité des contenus. De là provient la surabondance tatillonne caractéristique de la procédure, l’aspect surdéterminé du jugement : la forme n’est pas appuyée par le fond et, même si elle se suffit techniquement à elle-même, elle échoue à convaincre. Dans le monde ordinaire, y compris dans le monde routinier de la pratique judiciaire du droit, la forme et le fond passent pour aller de pair. De là provient l’émoi qui accompagne la libération de personnes pressenties comme coupables pour des questions de forme. Ces expériences disruptives font apparaître, à l’étonnement du public profane et à l’agacement des professionnels, les deux fils de la justice si souvent bien tramés qu’on imagine n’avoir affaire qu’à une seule et même texture. Ce tramage est une performance à l’œuvre dans chaque affaire, depuis son début jusqu’à son terme, un accomplissement continu par lequel les acteurs de la procédure rattachent des faits produits dans le monde profane à leur qualification juridique, suivant les étapes de leur validation procédurale. Le propre d’une performance est d’être plus ou moins réussie (ou d’échouer). La réussite implique le bon état des deux fils. Dans le cas qui nous occupe, cependant, seul le fil formel importe. Le fil factuel importe peu, pour sa part.

85 Il est tentant de s’interroger ici sur les raisons de tout ce travail de monstration. L’emphase procédurale se comprend aisément. On le sait, un jeu n’existe que par ses règles, il s’agit donc de situer l’action (le procès) dans une typologie (l’État de droit) en affichant, par excès, de manière surdéterminée, la connaissance des règles et leur respect. Qu’en est-il de la monstration négative, l’affirmation par défaut qu’il n’y a rien à voir ? Même éliminées dans le jugement, les motivations religieuses sont présentes pour le public, ne serait-ce que par l’intermédiaire de la presse, de sorte que la condamnation pour terrorisme apparaît ipso facto comme une condamnation du terrorisme pour jihadisme, ce qui renvoie à un positionnement explicite des condamnés par rapport à l’islam, et notamment à l’islam tel qu’il est affirmé au Maroc, l’islam du juste-milieu. Il ne s’agit donc pas, pour les autorités marocaines, de dissimuler les motivations jihadistes des condamnés. Il s’agit, sachant qu’elles sont connues, de ne pas les reconnaître et, plus largement, de ne pas reconnaître l’existence, l’acceptabilité ou même la discutabilité d’une version de l’islam qui ne soit pas l’islam du juste-milieu, c’est-à-dire un conservatisme net et assumé et en général tolérant, à condition que les déviances individuelles demeurent discrètes. C’est le monopole de cette version de l’islam que le jugement contribue à conforter en déniant l’existence même d’autres interprétations. Toutefois, de manière ironique, ne pas discuter la version jihadiste de l’islam, ce n’est pas seulement se refuser à lui donner une once de légitimité dans le cadre d’un procès où les accusés pourraient se prévaloir de motifs politiques ou religieux ; c’est aussi affirmer, avec toute la force de l’appareil d’État, l’indiscutabilité de la version de l’islam en cours au Maroc, laquelle, du reste, ne serait pas une version de l’islam, mais l’islam à soi seul, rendant de ce fait l’islam lui-même indiscutable. L’indiscutabilité d’une référence, religieuse ou politique, politico-religieuse, est, au-delà de la forme extraordinaire de la justice qui a été rendue, un marqueur, et un marqueur fort, d’autoritarisme.


Mots-clés éditeurs : récits judiciaires, procès en terrorisme, Maroc, justice d’exception, régime autoritaire, formalisme, justice ordinaire

Mise en ligne 06/03/2024

https://doi.org/10.3917/drs1.114.0331

Notes

  • [1]
    Une petite note s’impose sans doute quant à l’usage des termes « ordinaire », « extraordinaire » et « exceptionnel ». Il convient tout d’abord de souligner que ces termes ne sont pas utilisés dans un sens technique, mais dans un sens usuel qui n’est ni spécifiquement juridique ni particulièrement marocain. Nous considérons, pour le dire rapidement, que les lois et les jugements relatifs au terrorisme relèvent de circonstances « exceptionnelles », ne s’inscrivent pas dans le cours « ordinaire » du droit et, en ce sens, ressortissent à l’« extraordinaire ». Cela ne les empêche pas de faire l’objet de toute une série de pratiques visant à les « normaliser », à gommer ce qui pourrait sembler relever d’un droit et d’une justice d’« exception ».
  • [2]
    Ce qui n’implique nullement une adhésion à la thèse utilitariste de Posner et Vermeule, qui justifie cette domination de l’exécutif sur le judiciaire en situation de crise, sans qu’aucune forme de contrôle avant, pendant ou après la crise ne se justifie. Eric A. Posner et Adrian Vermeule (2007). Terror in the Balance, New York : Oxford University Press ; Eric A. Posner et Adrian Vermeule (2010). The Executive Unbound, New York : Oxford University Press, cf. Marie Goupy, « La dictature et l’autoritarisme en tant que spectres. Retour sur la théorie des pouvoirs de crise d’Eric Posner et d’Adrian Vermeule », Droit et Société, 114-115, 2023.
  • [3]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration: How Twenty-First Century China Complicates our Understanding of Authoritarian Law », Droit et Société, 114-115, 2023.
  • [4]
    Qui, de plus, est silencieuse sur le sujet, pour autant que nous soyons bien informés.
  • [5]
    Le matériau sur lequel se fonde cet article est constitué d’observation d’audiences, d’entretiens et de différentes pièces du dossier, y compris l’arrêt de la Cour d’appel de Rabat chargée des affaires de terrorisme. Cet arrêt n’a pas été publié. Il est accessible seulement aux professionnels de la justice ayant un lien avec cette affaire. L’ensemble du matériau a été collecté par l’un des auteurs de l’article dans le cadre de sa recherche doctorale et suite à l’autorisation exceptionnelle du président de la Cour. Sa démarche a été explicitée auprès de l’intéressé, mais elle n’a pas fait l’objet d’une autorisation formelle.
  • [6]
    Alexis Blouët et Baudouin Dupret, « Dissent as a Formal Feature of Rule by Law: A Textual Legal Ethnography of Adjudication in Authoritarian Contexts », à paraître dans Arab Law Quarterly, 2024.
  • [7]
    C’est aussi, s’agissant de l’URSS, ce que semblent dire Matthew Rendle, Peter Solomon et Yoram Gorlizki, qui « concluent à l’existence, hors du champ strict de la terreur et de la politique révolutionnaire, d’une justice régulière, respectueuse des procédures et réglant les litiges ordinaires des Soviétiques ». Voir Matthew Rendle, State versus the People. Revolutionary Justice in Russia’s Civil War, 1917-1922, New York : Oxford University Press, 2020 ; Peter Solomon, Soviet Criminal Justice under Stalin, New York : Cambridge University Press, 1996 ; Yoram Gorlizki, De-Stalinization and the Politics of Russian Criminal Justice, 1953-1964, University of Oxford, 1992, cités par Juliette Cadiot, « Répression, droit et justice. La punition du vol de la propriété publique en Union soviétique pendant la collectivisation des campagnes (1932-1933) », Droit et Société, 114-115.
  • [8]
    Julie Allard, Olivier Corten, Martyna Falkowska, Vincent Lefebvre et Patricia Naftali, La Vérité en procès. Les juges et la vérité politique, Paris : LGDJ, 2014.
  • [9]
    Baudouin Dupret et Jean-Noël Ferrié, « Legislating at the shopfloor level: The Relevant Context of Parliamentary Debates », Journal of Pragmatics, 40, 2008, p. 960-978. DOI : 10.1016/j.pragma.2007.08.012.
  • [10]
    Charles Manga Fombad, « Constitutional Reforms and Constitutionalism in Africa: Reflections on Some Current Challenges and Future Prospects », Buffalo Law Review, 59 (4), 2011.
  • [11]
    Julio Faundez, « Democratization through Law: Perspectives from Latin America », Democratization, 12 (5), 2005, p. 749-65. DOI : 10.1080/13510340500322256.
  • [12]
    Francesco Biagi, « The Separation and Distribution of Powers under the New Moroccan Constitution », in Rainer Grote and Tilmann Röder (eds.), Constitutionalism, Human Rights, and Islam after the Arab Spring, Oxford : Oxford University Press, 2016.
  • [13]
    Laurel E. Miller et Louis Aucouin, Framing the State in Times of Transition: Case Studies in Constitution Making, Washington, United States Institute of Peace, 2010 ; William Partlett, « Making Constitutions Matter: The Dangers of Constitutional Politics in Current Post-Authoritarian Constitution Making », Brooklyn Journal of International Law, 193, 2012, p. 193-238 ; Xavier Philippe, « Le contrôle des lois constitutionnelles en Afrique du Sud », Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2, 2010, p. 22-26.
  • [14]
    Nathan J. Brown, « Regimes Reinventing Themselves: Constitutional Development in the Arab World », International Sociology, 18 (1), 2003, p. 33-52. DOI : 10.1177/0268580903018001003 ; Tom Ginsburg et Alberto Simpser, Constitutions in Authoritarian Regimes, New York : Cambridge University Press, 2013 ; Günter Frankenberg et Helena Alviar Garcia (eds.), Authoritarian Constitutionalism, Cheltenham : Edward Elgar Publishing Limited, 2019 ; Rosalind Dixon et David Landau, Abusive Constitutional Borrowing: Legal Globalization and the Subversion of Liberal Democracy, Oxford : Oxford University Press, 2021. DOI : 10.1093/oso/9780192893765.001.0001.
  • [15]
    Ran Hirschl, Towards Juristocracy: The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Cambridge : Harvard University Press, 2004 ; Tamir Moustafa, The Struggle for Constitutional Power: Law, Politics, and Economic Development in Egypt, Cambridge : Cambridge University Press, 2007 ; Nathalie Bernard-Maugiron, Le Politique à l’épreuve du judiciaire. La justice constitutionnelle en Égypte, Bruxelles : Bruylant, 2004.
  • [16]
    Joakim Parslow, « Lawyers against the Law. The Challenge of Turkish Lawyering Associations », Anthropology of the Middle East, 13 (2), 2018, p. 26-42. DOI : 10.3167/ame.2018.130203 ; Mona El-Ghobashy, « Constitutionalist Contention in Contemporary Egypt », American Behavioral Scientist, 51 (11), 2008, p. 1590-1610. DOI : 10.1177/0002764208316359.
  • [17]
    Deniz Yonucu, « The Absent Present Law: An Ethnographic Study of Legal Violence in Turkey », Social and Legal Studies, 27 (6), 2018, p. 716-733. DOI : 10.1177/0964663917738044.
  • [18]
    Başak Ertür, Spectacles and spectres: political trials, performativity and scenes of sovereignty, thèse de doctorat en philosophie, Birkbeck : University of London, 2015.
  • [19]
    Tom Ginsburg et Tamir Moustafa (eds.), Rule By Law: The Politics of Courts in Authoritarian Regimes, New York : Cambridge University Press, 2008.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration », op. cit.
  • [22]
    Marie Goupy, « La dictature et l’autoritarisme en tant que spectres », op. cit.
  • [23]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Cambridge : Polity Press, 1967.
  • [24]
    Baudouin Dupret et Jean-Noël Ferrié, Jean-Noël, Délibérer sous la coupole. L’activité parlementaire dans les régimes autoritaires, Beyrouth : Presses de l’IFPO (Institut français du Proche-Orient), 2014. DOI : 10.4000/books.ifpo.5386.
  • [25]
    Tom Ginsburg et Tamir Moustafa (eds.), Rule By Law, op. cit.
  • [26]
    Baudouin Dupret, Michael Lynch et Tim Berard (eds.), Law at Work: Studies in Legal Ethnomethods, New York : Oxford University Press, 2015.
  • [27]
    Ce n’est pas sans rappeler ce que Jon Fuller appelle la « moralité interne » du droit : Jon L. Fuller, The Morality of Law, New Haven : Yale University Press, 1969 [1964].
  • [28]
    Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Bruxelles : Bruylant, 2006.
  • [29]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? À propos de la traduction de deux articles sur les “Legal Technicalities” », Clio@Themis, 23, 2022. DOI : 10.4000/cliothemis.2635.
  • [30]
    Annelise Riles, « A New Agenda for the Cultural Study of Law: Taking on the Technicalities », Buffalo Law Review, 53, 2005, p. 973-1033, trad. de l’anglais par Prune Decoux et David Foulks, éditée par Laetitia Guerlain, sous le titre « Le droit est-il porteur d’espoir ? », Clio@Themis, 15, 2019. DOI : 10.35562/cliothemis.579.
  • [31]
    Ce n’est pas sans rappeler la bonne formule de Bruno Latour (2002 : 278) : « face à la sociologie du droit comme des sciences mieux vaut, tout compte fait, se ranger du côté des internalistes ».
  • [32]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? À propos de la traduction de deux articles sur les “Legal Technicalities” », op. cit., se référant à Annelise Riles, « Knowledge about Law », International Encyclopedia of Law and Society, 2007, p. 887-888.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Vincent Réveillère, Le juge et le travail des concepts juridiques. Le cas de la citoyenneté de l’Union européenne, thèse de doctorat en sciences juridiques, Florence : European University Institute, 2018, cité par Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? », op. cit.
  • [35]
    Benoît Frydman, « Le rapport du droit aux contextes selon l’approche pragmatique de l’École de Bruxelles », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 70 (1), 2013, p. 97. DOI : 10.3917/riej.070.0092.
  • [36]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit. ; Harvey Sacks, « On doing “being ordinary” », in John Maxwell Atkinson et John Heritage (eds.), Structures of social action: Studies in conversation analysis, Cambridge University Press, 1985, p. 413-429. DOI : 10.1017/CBO9780511665868 ; Max Travers et John F. Manzo (eds.), Law in Action: Ethnomethodological and Conversation Analytic Approaches to Law, Farnham : Ashgate, 1997.
  • [37]
    Rachel Stern, « Agency and Aspiration », op. cit. Dans le cas chinois, Rachel Stern, faisant référence au travail de Dingxin Zhao, souligne les efforts de l’État à « performer » la compétence juridique, c’est-à-dire à nourrir une impression de bonne gouvernance : Dingxin Zhao, « The Mandate of Heaven and Performance Legitimation in Historical and Contemporary China », American Behavioral Scientist, 53 (3), 2009, p. 416-433.
  • [38]
    Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations, Oxford & Cambridge : Blackwell, 1963, § 496 ; Michael Lynch, Scientific Practice and Ordinary Action: Ethnomethodology and Social Studies of Science, Cambridge : Cambridge University Press, 1993.
  • [39]
    John Maxwell Atkinson et Paul Drew, Order in Court: The Organization of Verbal Interaction in Courtroom Settings, Londres : Macmillan, 1979 ; Gregory Matoesian, Law and the Language of Identity: Discourse in the William Kennedy Smith Rape Trial, New York : Oxford University Press, 2001 ; Thomas Scheffer, Adversarial Case-Making. An Ethnography of English Crown Court Procedure, Amsterdam : Brill, 2010.
  • [40]
    David Sudnow, « Normal Crimes », Social Problems, 12, 1965, p. 255-276, trad. fr. par Baudouin Dupret sous le titre « Crimes normaux », in Julie Colemans et Baudouin Dupret (dir.), Ethnographies du raisonnement juridique, Paris : LGDJ, 2018, p. 25-55 ; Baudouin Dupret, Adjudication in Action: An Ethnomethodology of Law, Morality and Justice, Londres : Routledge, 2011.
  • [41]
    Eric Livingston, An Anthropology of Reading, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 1995.
  • [42]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [43]
    Pour une étude comparative des dispositifs législatifs français et marocain de lutte contre le terrorisme, voir Abderrafia Mnaouri, Approche comparée de l’appareil législatif franco-marocain en matière de lutte contre le terrorisme, thèse de doctorat en droit comparé et droit musulman, Perpignan : université de Perpignan, 2015.
  • [44]
    Article 62 du Code de procédure pénale : « Lorsqu’il s’agit d’une infraction de terrorisme et si les nécessités de l’enquête, le cas d’extrême urgence ou la crainte de disparition de preuves l’exigent, les perquisitions et les visites domiciliaires peuvent avoir lieu, à titre exceptionnel, avant six heures du matin et après neuf heures du soir sur autorisation écrite du ministère public ».
  • [45]
    Le document nous a été remis sous format papier. Il regroupe les différents éléments du dossier. La numérotation des pages correspond à l’original. Les sections qui le composent n’apparaissent pas explicitement, mais font l’objet de paragraphes de transition marquant les différentes étapes du procès. Ces sections « implicites » sont indiquées dans le référencement des extraits reproduits dans l’article. Il n’est pas possible de clarifier davantage ce séquençage, ce qui serait pourtant très utile pour, comme le souligne un relecteur anonyme de l’article, « mieux saisir le hiatus entre une enquête et des aveux qui inscrivent inévitablement ce meurtre dans un contexte religieux (des éléments qui sont tout de même produits en justice) et un jugement (l’arrêt en lui-même et sa motivation formelle) qui fait comme si tout cela n’existait pas ».
  • [46]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 18.
  • [47]
    Ibid., p. 24.
  • [48]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 24. Notons aussi que la Direction générale des études et de la documentation (DGED), officiellement service de renseignements extérieurs et de contre-espionnage marocain, joue un rôle essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Maroc et dans la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme, mais aussi au travers de l’action diplomatique du ministère des Affaires étrangères qui œuvre à justifier en termes de droits humains la politique pénale anti-terrorisme du pays. Dans notre affaire, il n’y a pas eu d’intervention de la DGED.
  • [49]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Instruction BCIJ, p. 65-66.
  • [50]
    Ibid., section Instruction ministère public, p. 34.
  • [51]
    Ibid., section Réquisitions, p. 8-15.
  • [52]
    Celle-ci fait l’objet d’un moratoire au Maroc.
  • [53]
    On remarquera le caractère tautologique de la définition de l’élément moral de l’acte terroriste telle qu’elle apparaît à l’article 218-1 du Code pénal marocain (Chapitre premier bis, « Le terrorisme »), consultable sur <https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/SERIAL/69975/69182/F1186528577/MAR-69975.pdf> : « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence, les infractions suivantes : […] ».
  • [54]
    Frédéric Audren, « Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? », op. cit.
  • [55]
    Yan Thomas, Les Opérations du droit, Paris : Seuil, Gallimard, Éditions de l’EHESS, 2011.
  • [56]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, Liverpool : Deborah Charles Publications, 1988, p. 88. On peut en saisir la « normalité » structurelle de l’arrêt à travers, par exemple, la « fiche arrêt », ce document destiné à instruire l’étudiant lambda sur la bonne façon de lire et commenter un arrêt. Voir Maxime Bizeau, « Fiche d’arrêt : méthodologie et exemple », en ligne <https://fiches-droit.com/methodologie-fiche-arret>, consulté le 19 octobre 2022.
  • [57]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Réquisitions, p. 8.
  • [58]
    Jacques Lenoble et François Ost, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles : Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1980 ; Baudouin Dupret, Adjudication in Action, op. cit. ; Bruno Latour, La Fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002.
  • [59]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit.
  • [60]
    W. Lance Bennett et Martha S. Feldmann, Reconstructing Reality in the Courtroom, New Brunswick : Rutgers University Press, 1981, cités par Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 61-64.
  • [61]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 64.
  • [62]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [63]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 18.
  • [64]
    Ibid., p. 19.
  • [65]
    Ibid., section Instruction du Ministère public, p. 35.
  • [66]
    Ibid., section Débats, p. 41.
  • [67]
    Comme le fait remarquer justement un lecteur d’une version antérieure de l’article, la dépolitisation est une constante des procès menés contre les groupuscules terroristes. Cela n’en fait pas moins une caractéristique des régimes autoritaires que l’on retrouve dans d’autres contentieux, comme celui de la liberté d’expression.
  • [68]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Arrêt, p. 137.
  • [69]
    Ancien ministre des Droits de l’homme, membre important du Parti Justice et Développement (PJD) islamiste et proche du Cheikh Maghraoui.
  • [70]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 21-22.
  • [71]
    Louis Assier-Andrieu, « Le juridique des anthropologues », Droit et Société, 5, 1987, p. 89-107. DOI : doi.org/10.3406/dreso.1987.949.
  • [72]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Instruction du BCIJ, p. 49.
  • [73]
    Ibid., p. 57
  • [74]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit., p. 98.
  • [75]
    Ibid., p. 101. Notons que le travail de qualification est rendu d’autant plus difficile que la règle affiche un important degré de généralité. Ceci explique peut-être la tendance actuelle, à rebours du principe de généralité et d’abstraction de la norme juridique, à multiplier les interventions législatives et à toujours plus détailler les règles et leur objet.
  • [76]
    On étend ici l’expression « quelque chose qui manque » (missing-what), généralement utilisée à propos du point aveugle des études sociologiques formelles, aux pratiques des membres, quand elles se caractérisent par un manque, un défaut, le quelque chose qui est singulièrement absent de ce à quoi ils auraient pu s’attendre. À l’inverse, on peut aussi parfois identifier un « quelque chose en trop », une caractérisation excédentaire, un trop-plein, le quelque chose qui est singulièrement excessif par rapport à ce que les membres produisent habituellement (too-much-what). Voir Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [77]
    Ibid.
  • [78]
    Alfred Schütz, Collected Papers III, La Haye : Martinus Nijhof, 1966.
  • [79]
    Algirdas J. Greimas, et Joseph Courtès, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, vol. 1, Paris : Hachette, 1969 ; Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit.
  • [80]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit. ; Harvey Sacks, « Hotrodder: A Revolutionary Category », in George Psathas (ed.), Everyday Language: Studies in Ethnomethodology, New York : Irvington, 1979 ; Melvin Pollner, Mundane Reason: Reality in Everyday and Sociological Discourse, Cambridge : Cambridge University Press, 1987.
  • [81]
    Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, op. cit.
  • [82]
    Bernard S. Jackson, Law, Fact and Narrative Coherence, op. cit. ; Frederick Schauer, Playing by the Rules: A Philosophical Examination of Rule-Based Decision-Making in Law and in Life, Oxford : Oxford University Press, 1991.
  • [83]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Arrêt, p. 137.
  • [84]
    Schütz parle d’« “index” pointant un problème » : Alfred Schütz, Collected Papers III, op. cit., p. 128.
  • [85]
    Cette normalisation n’est pas spécifique au droit marocain et s’observe dans les dérives autoritaires de régimes par ailleurs démocratiques. Son ampleur est toutefois caractéristique d’un régime à l’autoritarisme affirmé.
  • [86]
    Ch. crim., décision n° 120, dossier 59/2019/2630, séance du 30 octobre 2019, section Débats, p. 19 et 27.
  • [87]
    Ibid., section Instruction du BCIJ, p. 43.
  • [88]
    Extrait d’un entretien avec les membres de la Cour conduit par les auteurs, 5 mars 2020.
  • [89]
    Dusan Bjelic, « “Frenching” the “Real” and Praxeological Therapy: An Ethnomethodological Clarification of the New French Theory of Media », in Paul L. Jalbert (ed.), Media Studies: Ethnomethodological Approaches, Lanham / New York / Oxford : University Press of America, 1999, p. 232.
  • [90]
    Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations, op. cit., p. 175.
  • [91]
    Dusan Bjelic, « “Frenching” the “Real” and Praxeological Therapy: An Ethnomethodological Clarification of the New French Theory of Media », op. cit., p. 248.
  • [92]
    Michael Lynch et David Bogen, The Spectacle of History: Speech, Text, and Memory at the Iran-Contra Hearings, Durham, Londres : Duke University Press, 1996, p. 7.
  • [93]
    Ibid., p. 9.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris : Le Seuil, 1970.
  • [96]
    Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris : La Découverte, 1999.
  • [97]
    John Searle, La Construction de la réalité sociale, Paris : Gallimard, 1995.
  • [98]
    Eric Livingston, An Anthropology of Reading, op. cit.
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