Couverture de DRS1_111

Article de revue

Au tribunal des risques. Contrôle, autocontrôle et tensions juridiques à la Commission d’examen des troubles mentaux (Québec, Canada)

Pages 357 à 380

Notes

  • [1]
    Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris : Éditions de Minuit, 1977.
  • [2]
    Henri Dorvil, « La désinstitutionnalisation : du fou de village aux fous des villes », Bulletin d’histoire politique, 10 (3), 2002, p. 88-104.
  • [3]
    Robert Castel, La gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse, Paris : Éditions de Minuit, 1981.
  • [4]
    Nikolas Rose, « Psychiatry as a Political Science: Advanced Liberalism and the Administration of Risk », History of the Human Sciences, 9 (2), 1996, p. 10.
  • [5]
    Ibid., p. 14.
  • [6]
    Marcelo Otero, « Le psychosocial dangereux, en danger et dérangeant : nouvelle figure des lignes de faille de la socialité contemporaine », Sociologie et sociétés, 39 (1), 2007, p. 56.
  • [7]
    David Weisstub et Julio Arboleda-Florez, « Les droits en santé mentale au Canada : une perspective internationale », Santé mentale au Québec, 31 (1), 2006, p. 25.
  • [8]
    Au Canada, un lieutenant-gouverneur est le représentant de la Reine dans une province.
  • [9]
    Dans le cas où la première décision est prononcée par le tribunal judiciaire, la commission ne sera appelée à se prononcer que 12 mois plus tard.
  • [10]
    Camille Lancelevée, Caroline Protais, Tristan Renardet al., « Un renouveau des recherches francophones sur les relations entre la justice et la santé mentale », Champ pénal / Penal field, 18, 2019, en ligne.
  • [11]
    Anne G. Crocker, Tonia L. Nicholls, Michael C. Seto et al., « The National Trajectory Project of Individuals Found Not Criminally Responsible on Account of Mental Disorder in Canada. Part 2: The People Behind the Label », Canadian Journal of Psychiatry, 60 (3), 2015, p. 106-116.
  • [12]
    Certains accusés déclarés non-responsables pour une infraction peuvent être incarcérés pour d’autres faits. La commission se réunit alors, lorsque la sortie de ces accusés est envisagée, au sein même de l’établissement carcéral.
  • [13]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », Annales. Histoire, sciences sociales, 71 (2), 2016, p. 421-448.
  • [14]
    Ibid., p. 432.
  • [15]
    Pierre Pariseau-Legault, Emmanuelle Bernheim, Guillaume Ouelletet al., « Lorsque la maladie mentale s’invite au banc des accusés : ethnographie de la Commission d’examen et des espaces de justice hospitalière », Aporia. La revue des sciences infirmières, 13 (2), p. 43-55.
  • [16]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, p. 431.
  • [17]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 1: Context and Methods », Canadian Journal of Psychiatry, op. cit., p. 98-105.
  • [18]
    Caroline Protais, Sous l’emprise de la folie ? L’expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009), Paris : Éditions de l’EHESS, 2016.
  • [19]
    Sandrine Martin, Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Comparaison des pratiques de supervision des Commissions d’examen aux peines prononcées dans le système pénal, mémoire de l’École de criminologie, Université de Montréal, 2019, p. 23-24.
  • [20]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 2: The People Behind the Label », op. cit.
  • [21]
    Id., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System », Canadian Journal of Psychiatry, op. cit., p. 117-126.
  • [22]
    L’ordre des prises de parole dépend du président.
  • [23]
    Emmanuelle Bernheim, Guillaume Ouellet, Pierre Pariseau-Legault et al., « Surveiller, contrôler et traiter : le consentement aux soins à la Commission québécoise d’examen », Santé mentale au Québec (à paraître).
  • [24]
    Emmanuelle Bernheim, Marcio Gutierrez, Guillaume Ouelletet al., « Chantier 21. Justice et santé mentale », in Pierre Noreau, Emmanuelle Bernheim, Maya Cachechoet al. (dir.), 22 chantiers sur l’accès au droit et à la justice, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2020, p. 399.
  • [25]
    Ibid., p. 399-400.
  • [26]
    Le psychiatre fait ici référence au découpage multi-axial du DSM, qui classe les « troubles cliniques majeurs » dans son « Axe I », et les « troubles de la personnalité » dans son « Axe II ».
  • [27]
    Cette expression renvoie aux vieilles classifications issues notamment des travaux du médecin italien Cesare Lombroso, L’homme criminel. Criminel-né, fou moral, épileptique. Étude anthropologique et médico-légale, Paris, Felix Alcan, 1887. Elle désignait alors les criminels jugés chroniques (à la différence, par exemple, des « criminels d’occasion »), pour des raisons qui pouvaient à l’époque être perçues comme innées ou acquises.
  • [28]
    Robert Castel, La gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse,op. cit. ; Id., « De la dangerosité au risque », Actes de la recherche en sciences sociales, 47-48, 1983, p. 119-127.
  • [29]
    L’expression « outils actuariels » renvoie à un ensemble d’outils standardisés destinés à mesurer des cotes, ou des scores de risque (de violence, de récidive, etc.) à l’aide d’une série d’indicateurs (ou de facteurs) de risque préalablement validés sur la base d’études statistiques.
  • [30]
    Ibid., p. 145.
  • [31]
    Gilles Côté, Anne G. Crocker, Tonia L. Nichollset al., « Risk Assessment Instruments In Clinical Practice », Canadian Journal of Psychiatry, 57 (4), 2012, p. 238-244.
  • [32]
    Kelly Hannah-Moffat, « Criminogenic Needs and the Transformative Risk Subject: Hybridizations of Risk/Need in Penality », Punishment & Society, 7 (1), 2005, p. 29-51.
  • [33]
    Gilles Côté, « Les instruments d’évaluation du risque de comportements violents : mise en perspective critique », Criminologie, 34 (1), 2001, p. 35.
  • [34]
    Les travaux d’Anne Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System), op. cit., montrent qu’au Québec, les juges suivent telles quelles les recommandations du psychiatre dans plus de 85 % des cas.
  • [35]
    Sur les usages moraux de l’expertise psychiatrique, voir Fabrice Fernandez, Samuel Lézé, Hélène Strausset al., « Comment évaluer une personne ? L’expertise judiciaire et ses usages moraux », Cahiers internationaux de sociologie, 128-129, 2010, p. 177-204.
  • [36]
    Guillaume Périssol, Le droit chemin. Jeunes délinquants en France et aux États-Unis au milieu du xxe siècle, Paris : PUF, 2020. S’appuyant notamment sur le « post-scriptum sur les sociétés de contrôle » publié par Gilles Deleuze en 1990, l’historien Guillaume Périssol montre comment la création de la « liberté surveillée » pour les mineurs, au début du xxe siècle, a servi de lieu d’expérimentation et d’épanouissement d’un « système de contrôle » qui s’est considérablement développé après la Seconde Guerre mondiale. En comparant ses caractéristiques avec le système disciplinaire déclinant, il le décrit comme plus doux, car plus horizontal et relationnel, mais aussi plus étendu – signe d’une « évolution majeure dans l’économie du pouvoir, qui s’exerce de plus en plus continûment et insidieusement, mais de moins en moins violemment » (p. 430).
  • [37]
    Camille Lancelevée et Caroline Protais, « “J’étais pas vraiment moi”. L’expérience des personnes déclarées irresponsables pour cause de trouble mental », Anthropologie & Santé. Revue internationale francophone d’anthropologie de la santé, 16, 2018, en ligne.
  • [38]
    Anne Crocker et al., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System », op. cit., p. 122.
  • [39]
    Sandrine Martin, Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux,op. cit., p. 90.
  • [40]
    Ibid., p. 83-84.
  • [41]
    Natalie Aga, Freya Vander Laenen, Stijn Vandeveldeet al., « Recovery of Offenders Formerly Labeled as Not Criminally Responsible: Uncovering the Ambiguity From First-Person Narratives », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 63 (6), 2017, p. 919-939.
  • [42]
    Pat O’Malley, « “Mondialisation” et justice criminelle : du défaitisme à l’optimisme », Déviance et Société, 30 (3), 2006, p. 323-338.
  • [43]
    Ibid., p. 334. L’auteur mentionne des programmes britanniques et australiens que l’on associerait, au Canada, à une optique de « réduction des méfaits » ou, en France, de « réduction des risques et des dommages ».
  • [44]
    Kelly Hannah-Moffat, « Criminogenic Needs and the Transformative Risk Subject: Hybridizations of Risk/Need in Penality », op. cit., 2005.
  • [45]
    Nikolas Rose, « Psychiatry as a Political Science: Advanced Liberalism and the Administration of Risk », article cité ; Id., « Governing Risky Individuals: The Role of Psychiatry in New Regimes of Control », Psychiatry, Psychology and Law, 5 (2), 1998, p. 177-195.
  • [46]
    Michel Foucault, « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits II, Paris : Gallimard, 2001, p. 1041-1062.
  • [47]
    Sur le rôle de l’expertise psychiatrique dans l’évaluation du « travail sur soi » et de sa « sincérité », voir notamment Sébastien Saetta, « L’expertise psychiatrique dans les affaires criminelles. Entre humanisme répressif et défense sociale de type managérial », Les Cahiers de la justice, 3, 2012, p. 103-120.
  • [48]
    Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris : Éditions de Minuit, 1968.
  • [49]
    Rappelons ici l’importance qu’occupe cette idée de « bifurcation » dans la conceptualisation des « dispositifs » que proposent Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, p. 432.
  • [50]
    Abraham S. Blumberg, « The Practice of Law as Confidence Game: Organizational Cooptation of a Profession », Law and Society Review, 1 (2), 1967, p. 28.
  • [51]
    Danielle Laberge et Daphné Morin, « Mental Illness and Criminal Justice Processing: The Strategies and Dilemmas of Defence Lawyers », International Journal of the Sociology of Law, 29, 2001, p. 149-171.
  • [52]
    Elsa Euvrard et Chloé Leclerc, « Les avocats de la défense dans les négociations des plaidoyers de culpabilité : quelles pratiques ? », Champ pénal / Penal field, vol. XII, 2015, en ligne.
  • [53]
    Emmanuelle Bernheim, Marcio Gutierrez, Guillaume Ouelletet al., « Chantier 21. Justice et santé mentale », op. cit., p. 400.
  • [54]
    Tribunal administratif du Québec.
  • [55]
    Sur le déséquilibre des ressources dans les interactions entre les avocats et leurs clients, voir Philip Milburn, « La compétence relationnelle : maîtrise de l’interaction et légitimité professionnelle. Avocats et médiateurs », Revue française de sociologie, 43 (1), 2002, p. 47-72.
  • [56]
    Antoine Garapon, « Modèle garantiste et modèle paternaliste dans les systèmes de justice des mineurs », Actes. Les cahiers d’action juridique, 66, 1989, p. 19-23.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    David B. Wexler et Bruce J. Winick, Essays in Therapeutic Jurisprudence, Durham : Carolina Academic Press, 1991.
  • [59]
    Marc Ancel, La défense sociale nouvelle, Paris : Éditions Cujas, 1954 ; pour une présentation critique, voir Jean Danet, « Les politiques sécuritaires à la lumière de la doctrine de la défense sociale nouvelle », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1 (1), 2010, p. 49-67.
  • [60]
    Susan S. Daicoff, « Law as a Healing Profession: The “Comprehensive Law Movement” », Pepperdine Dispute Resolution Law Journal, 6 (1), 2005, p. 1-62.
  • [61]
    Évoquant les mutations de la « défense sociale nouvelle » à l’heure de la gestion des risques, Sébastien Saetta parle d’une « défense sociale nouvelle imprégnée d’idéologie managériale, dans laquelle la motivation de l’individu occupe désormais une place centrale » (Sébastien Saetta, « L’expertise psychiatrique dans les affaires criminelles. Entre humanisme répressif et défense sociale de type managérial », article cité, p. 118).
  • [62]
    R c Swain, [1991] 1 RCS 933.
  • [63]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 1, 2 and 3 », op. cit., p. 98-126.
  • [64]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, 2016.
  • [65]
    Ibid., p. 432.

1 Dans la deuxième moitié du xxe siècle, au Canada comme dans de nombreux pays occidentaux, le champ du traitement des troubles mentaux a été marqué par une délégitimation de l’asile comme foyer constitutif de l’« ordre psychiatrique [1] », au profit d’un ensemble d’institutions destinées à réinscrire le soin mental dans la communauté – dessinant là un processus communément désigné par le terme de désinstitutionnalisation [2].

2 Ce processus a été traversé, de l’intérieur, par la formalisation croissante d’une logique de « gestion des risques » [3] dont la genèse renvoie notamment à l’influence, dès les années 1920 et 1930, d’un mouvement de « l’hygiène mentale » qui redéfinissait la vocation sociale de la psychiatrie autour d’un rôle prophylactique. Au-delà du seul traitement des « maladies dangereuses », le périmètre d’intervention des psychiatres devait s’étendre à l’identification d’une gamme variée d’« états mentaux » susceptibles, dans des milieux sociaux jugés dysfonctionnels, de « conduire à une folie franche, avec tout le danger, la misère et le coût social qui en découleraient » [4]. Dans ce cadre, la dangerosité elle-même n’allait plus tant être perçue comme « une pathologie foncièrement anti-sociale tapie dans le cœur et l’âme de l’individu », que comme « une combinaison de preuves […] sur la probabilité [qu’un individu perde] ses capacités de maîtrise de soi et de ses impulsions envers les autres » [5]. Analysant le profil des individus qui, au Québec, font l’objet de demandes de « garde préventive », permettant à un médecin d’hospitaliser toute personne qui présenterait un « danger grave et immédiat » en raison de son état mental, Marcelo Otero suggère ainsi, dans la même optique, une extension du domaine d’expertise des psychiatres, de la « maladie mentale dangereuse à traiter, et idéalement à guérir », au « [risque psychosocial] à gérer, et idéalement à résorber » [6].

3 Ces mutations se sont accompagnées de la montée en puissance d’une logique de reconnaissance des droits des personnes souffrant de troubles mentaux. Au Canada, plusieurs décisions en matière criminelle issues de contestations portées en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982, ont ainsi forcé le législateur à « étendre l’équité procédurale aux décisions relatives à la santé mentale » [7]. Ce fut notamment le cas, en 1991, de la décision R. c. Swain rendue par la Cour suprême du Canada. Parmi d’autres dispositions, celle-ci déclarait inconstitutionnelle la détention automatique, et pour une durée indéterminée, d’un accusé dont le juge constatait qu’il était « aliéné » au moment de l’infraction et donc, selon les cas, non criminellement responsable ou inapte à subir son procès. À l’époque, la détention se poursuivait au moins jusqu’à ce que se prononce le lieutenant-gouverneur de la province [8], auquel était confiée la responsabilité de statuer en dernière instance sur la détention ou la libération. Pour tenir compte de cette décision de la Cour suprême, une réforme du Code criminel, adoptée en 1992, ôtait cette responsabilité au lieutenant-gouverneur, pour la transférer à une instance des tribunaux administratifs provinciaux nommée « Commission d’examen » ou, au Québec, « Commission d’examen des troubles mentaux » (CETM). Ainsi réformé, le Code criminel précise désormais que la décision rendue doit être « la moins sévère et la moins privative de liberté […] compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale ». Dans le cas d’un verdict de non-responsabilité criminelle, la Commission d’examen (ou, à défaut, le tribunal judiciaire) [9] doit ainsi prononcer une libération inconditionnelle de l’accusé s’il est d’avis que ce dernier « ne représente pas un risque important pour la sécurité du public ». Dans le cas contraire, en fonction d’une évaluation psychiatrique du risque, elle peut prononcer une détention à l’hôpital ou une libération sous conditions – seules ces deux modalités étant possibles pour les personnes déclarées inaptes à subir leur procès, jusqu’à la tenue du procès ou l’abandon des poursuites s’ils sont déclarés inaptes de façon permanente. Si l’accusé reste ainsi sous l’autorité de la commission, une révision doit avoir lieu au plus tard dans les douze mois qui suivent la décision. Face au flou interprétatif occasionné par ces exigences pronostiques qui disent finalement peu du degré de risque à partir duquel ce dernier peut être considéré comme « important », la Cour suprême du Canada a précisé, dans une décision rendue en 1999 (Winko c. Colombie-Britannique), que le risque ne doit pas être « hypothétique », et que le préjudice appréhendé doit être « véritable » et « grave ». Une nouvelle réforme du Code criminel, adoptée en 2014, définit ainsi le « risque important » comme le « risque que courent les membres du public, notamment les victimes et les témoins de l’infraction et les personnes âgées de moins de dix-huit ans, de subir un préjudice sérieux — physique ou psychologique — par suite d’un comportement de nature criminelle, mais non nécessairement violent ». La réforme de 2014 ajoute en outre que la « sécurité du public » doit dorénavant constituer le « facteur prépondérant », prolongeant ainsi les « évolutions contradictoires entre virage sécuritaire et promotion des droits » [10] qui ont marqué les mutations contemporaines de la psychiatrie et de son rapport aux institutions judiciaires.

Terrain et méthodologie

Les commissions d’examen sont des tribunaux administratifs spécialisés – celle du Québec relève du tribunal administratif du Québec (TAQ) – dont le « banc » est composé de trois juges : un président, qui doit être membre du barreau ou de la chambre des notaires, un psychiatre et un « autre membre », selon les mots du Code criminel, qui peut être un psychologue ou un travailleur social. Les commissions d’examen siègent dans les hôpitaux désignés pour l’évaluation et le suivi des accusés – au Québec, une cinquantaine d’hôpi­taux dispersés dans toute la province sont ainsi désignés. Les audiences, en principe ouvertes au public, se déroulent dans des salles de taille variable, parfois si petites que les observateurs peinent à y trouver une place pour s’asseoir. Selon les données d’une étude menée par Anne Crocker et al., les accusés sont pour la plupart des hommes (85 % au Québec) vivant dans la pauvreté ou la grande pauvreté (au Québec, 75 % vivent de l’aide sociale, et seulement 15 % vivent de leur revenu ou de celui de leur conjoint·e) [11].
D’une durée moyenne d’une heure, les audiences peuvent durer moins de 45 minutes comme près de deux heures pour certaines. Les psychiatres traitants des accusés, qui interviennent à titre de témoin, sont tenus d’avoir rédigé, avant l’audience, un rapport sur l’évaluation du risque de leur patient et accusé, conclu par des recommandations qu’ils se doivent alors de justifier oralement. Les accusés ont le droit d’être assistés d’un avocat. D’autres acteurs judiciaires peuvent se rendre aux audiences, qu’il s’agisse d’un avocat de l’hôpital, chargé de défendre les recommandations du psychiatre, ou plus rarement d’un procureur de la Direction des poursuites criminelles et pénales. Des membres de la famille des accusés, parfois aussi un de leurs amis ou un intervenant extérieur, peuvent également être présents.
Les analyses ici proposées reposent sur des données recueillies à Montréal selon deux principales méthodes d’enquête. Nous avons d’abord réalisé entre 2017 et 2019, la plupart du temps en binôme, une série d’observations directes (n=70) d’audiences de la Commission d’examen dans neufs établissements de santé généraux qui disposent d’un département psychiatrique – trois établissements de santé spécialisés en santé mentale – qui peuvent aussi offrir des services en psychiatrie légale, et une prison fédérale (pénitencier [12]). Nous avons complété notre recueil de données par la réalisation d’entre­tiens semi-dirigés avec des avocats (n=7) et des psychiatres (n=7) que nous avons sollicités à la fin des audiences. Nous n’avons en revanche pas eu l’occasion de rencontrer en entretien juges et accusés.

4 Centré sur les pratiques de la Commission d’examen du Québec, cet article vise à analyser l’agencement singulier – ou le « dispositif » – issu de l’articulation plus ou moins conflictuelle de ces deux logiques concomitantes. Dans une réflexion menée sur « la force des dispositifs », Nicolas Dodier et Janine Barbot définissent ces derniers comme des « agencements hétérogènes », composés « d’éléments matériels et langagiers » qui imposent à leurs acteurs un enchaînement préparé de séquences [13]. Si ce terme de « préparation » suggère l’idée d’une contrainte qui pèse sur l’action, celle-ci s’exerce cependant, notent les deux auteurs, « à des degrés variables, depuis une succession quasiment imparable jusqu’à une multitude de bifurcations possibles » [14]. Dans ce cadre théorique, la CETM apparaît ainsi comme un agencement hétérogène d’articles de lois, de décisions jurisprudentielles, de procédures plus ou moins formelles, de savoirs et d’outils de gestion des risques, mais également d’espaces et de mobiliers – en l’occurrence, au Québec, des salles de taille diverse, de la grande salle de réunion au local de rangement réaménagé, réservées aux audiences dans la cinquantaine d’hôpitaux psychiatriques ou généraux au sein desquels les accusés sont susceptibles d’être suivis ou détenus [15]. Si cette localisation spécifique matérialise la finalité clinique de cette instance juridique, il convient cependant d’être attentif aux finalités que lui attribuent les acteurs eux-mêmes, les dispositifs devant « être pensés simultanément sous l’angle des contraintes qu’ils exercent et des appuis qu’ils peuvent offrir aux individus pour agir » [16].

5 Après avoir décrit les manières dont les psychiatres tracent les frontières du risque et font de la Commission d’examen, en interaction avec les juges, un dispositif de contrôle (I), nous montrerons comment les accusés, ou les membres de leur entourage, sont eux-mêmes appelés à faire la preuve de leur capacité à gérer leurs propres risques ou ceux de leur proche (II). Nous nous concentrerons enfin sur les pratiques des avocats de la défense, tiraillées entre une posture garantiste et une posture paternaliste. L’analyse de ces deux postures permet d’éclairer autrement les tensions constitutives du dispositif, ses possibilités de bifurcations ou, au contraire, son retranchement sur une logique de contrôle (III).

I. L’évaluation psychiatrique des risques : la fabrique d’un dispositif de contrôle

6 Au Canada, si les règles juridiques qui encadrent la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux relèvent de compétences fédérales, leur mise en application révèle d’importantes variations entre les provinces. Comparant les trois plus grandes provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Québec et Ontario), Anne Crocker et ses co-auteurs soulignent ainsi que le nombre de verdicts de non-responsabilité criminelle a récemment connu, au Québec, une importante augmentation (+ 68 % entre 2002 et 2012), là où il a été stable ou en diminution dans les deux autres provinces [17]. La « restriction du champ de l’irresponsabilité pénale », observée dans le contexte français [18], n’apparaît donc pas comme une réalité univoque. Selon des données collectées entre 2000 et 2008, le Québec comptait ainsi 6,08 / 1 000 verdicts de non-responsabilité criminelle, contre 1,34 / 1 000 en Colombie-Britannique et 0,95 / 1 000 en Ontario [19]. Ces différences, renvoyant à une interprétation plus large des dispositions sur la défense de non-responsabilité au Québec, expliquent l’importante proportion de cas référés à la Commission québécoise pour des infractions mineures (menaces, nuisances, etc.) ou contre la propriété. Ces constats ne sont pas sans conséquence sur l’activité des commissions d’examen [20] : la Commission québécoise libère en moyenne plus et plus tôt les accusés que les commissions de Colombie-Britannique et d’Ontario [21], exigeant de ses acteurs de tracer les frontières du risque dans un ensemble plus vaste et plus varié de situations.

I.1. Le déroulé des audiences : une préséance du regard psychiatrique

7 Dans le dispositif de la Commission d’examen, le psychiatre traitant de l’accusé joue un rôle central pour tracer ces frontières. Après une brève introduction qui, par le rappel de quelques procédures légales, permet au président de la commission d’imposer une certaine solennité judiciaire dans le décorum souvent sommaire des salles d’audience, le psychiatre est ainsi systématiquement invité à ouvrir les échanges en présentant l’évaluation qu’il fait du risque de son patient. En s’appuyant sur un rapport qu’il a préalablement préparé, il revient alors sur le parcours de son patient, de ses antécédents judiciaires à sa situation conjugale, familiale et professionnelle, en passant par l’évolution de ses troubles et de son plan de traitement, son historique d’hospitalisation, etc. Au cours de cet exposé peu standardisé, mais souvent long et détaillé, le psychiatre évoque des observations cliniques variées, issues de rencontres avec son patient ou de commentaires des équipes pluridisciplinaires qui l’ont possiblement rencontré. Il clôt généralement son exposé en condensant son évaluation du risque, justifiant ses recommandations finales. Cet enchaînement initial, qui de la parole du président à celle du psychiatre, se poursuit généralement par une série de questions posées à ce dernier par les avocats de la défense et de l’hôpital, ainsi que par les trois juges [22], a pour conséquence de donner préséance au regard du psychiatre, cadrant la suite des échanges et les interprétations qui seront faites du risque de son patient. Cette préséance est encore renforcée par la localisation spécifique de l’audience, dans une salle réservée et sommairement aménagée de son hôpital d’exercice. Le patient, qui n’a pas toujours eu connaissance du rapport avant le début de l’audience, est alors tenu de rester silencieux, au prix parfois de remontrances des divers membres de la commission, qui le rappellent à l’ordre de l’interaction qu’impose ce dispositif hybride, à la fois juridique et clinique. « Ce n’est pas encore à vous », chuchote une avocate à son client qui cherchait à contester une observation de son psychiatre, le président du tribunal renchérissant, sur un ton bienveillant, en priant l’accusé de « rester patient », que son « tour viendra » et que ses « arguments seront entendus ».

8 L’accusé entend alors son parcours être mis en récit, ses troubles détaillés, ses comportements interprétés, ses facteurs de risque et de protection discutés, ses modes de vie jugés, ses projections évaluées, parfois raillées quand elles paraissent trop irréalistes. La parole ne lui est donnée que dans la deuxième partie de l’audience quand, à son tour interrogé par son avocat, l’avocat de l’hôpital et les trois juges, il lui est pour l’essentiel proposé de réagir au rapport de son psychiatre et à ses recommandations. Dans cette scène minutieusement réglée, l’estimation de son « adhésion » au diagnostic psychiatrique et de son « degré d’autocritique » face à ses troubles, liée à la crainte prééminente d’une inobservance du traitement, constitue l’un des éléments nodaux de l’évaluation du risque qu’il représente [23]. Une récente étude menée sur la jurisprudence de la Commission d’examen du Québec confirme la centralité accordée, dans l’évaluation du risque, à l’adhésion au plan de traitement et à la médication, « la majorité des accusés refusant des soins [étant] l’objet d’une décision de détention » [24].

I.2. Tracer les frontières du risque : les cibles de la libération inconditionnelle

9 Cette étude de la jurisprudence souligne également que le fait d’avoir connu des hospitalisations fréquentes ou de longue durée, notamment lors de crises causées par l’arrêt de la médication ou lors de la non-observance du traitement, joue aussi en défaveur des accusés, de même que le fait de consommer (drogue et/ou alcool) et de vivre de l’aide sociale. À l’inverse, les accusés qui travaillent ou étudient bénéficient en moyenne d’une appréciation plus positive de leurs risques [25], dans la mesure où leurs « projets de vie » sont jugés « réalistes ». De manière générale, nos observations montrent que les rares accusés qui s’inscrivent dans des relations professionnelles, familiales ou conjugales stables, qui ont peu (ou pas) d’anté­cédents judiciaires et qui font état de leurs remords à la suite d’une infraction passagère, sont les plus sérieux candidats à une libération inconditionnelle. C’est d’ailleurs ce que souligne un psychiatre en entretien, en évoquant l’improbable cocktail de l’un de ses patients « bipolaire », « ingénieur », « marié » et « père de famille », sans « antécédent judiciaire » ni « problème de consommation », qui a « malheureusement agressé sa voisine » lors d’un « épisode de manie » : « il s’en excusait, il n’était pas capable de comprendre comment il a pu faire ça. Donc lui, c’est certain […], j’ai demandé une libération inconditionnelle [à la première audience], puis ça a été accordé, parce que la personne était excessivement repentante, sa famille était là… Mais c’est vraiment une minorité. »

10 Selon ce même psychiatre, certains autres de ses patients pourraient potentiellement être des candidats à la libération inconditionnelle, quoique leurs cas fassent infiniment moins consensus. Il évoque notamment, parmi eux, le cas de ses patients qu’il qualifie « d’antisociaux », en ce que les risques qu’ils présentent ne relèveraient pas (ou plus) de l’un des « troubles cliniques majeurs » (psychose, trouble de l’humeur, etc.) identifiés par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), mais de ce que ce dernier désigne comme un « trouble de la personnalité ». Pour reprendre une distinction devenue commune, leur dangerosité serait, au fond, plus criminologique que psychiatrique. Cherchant ici à protéger la dimension soignante de la psychiatrie pour la préserver de strictes considérations de sécurité publique, le psychiatre explique alors comment, avec de tels patients, il tente de contourner la « frilosité » des juges en indiquant que si « Monsieur a une personnalité qui va pas être toujours facile à gérer », sa dangerosité n’est cependant pas « liée à sa maladie mentale » :

11

J’ai l’impression que les juges […] sont beaucoup plus frileux que nous. Souvent il va falloir les convaincre […] Quelqu’un qui va avoir une altercation avec un autre patient, du moment qu’il ne le fait pas parce qu’il est complètement psychotique, mais que je vois que c’est un antisocial […] C’est juste un Axe II [26], un peu antisocial […] je sais très bien que ça risque d’effrayer les juges. Alors je vais dire « ben oui, monsieur a une personnalité qui va pas être toujours être facile à gérer, mais je ne pense pas que ça soit une dangerosité liée à sa maladie mentale et que ça le mette plus à risque pour la société que n’importe qui ».
(Entretien, psychiatre, 2018)

12 Monsieur Y., 55 ans, s’apparente à l’un de ces cas. Alors libéré sous conditions, ce dernier vit de l’aide sociale et est itinérant au moment de l’audience, fréquentant à l’occasion des refuges au sein desquels il a récemment, selon sa psychiatre traitante, « menacé » des co-résidents. Son patient lui paraissant toujours « instable » en raison de son « impulsivité » et de ses tendances à la « manipulation », elle recommande le statu quo pour l’année qui suit. Les questions de l’avocat de Monsieur Y., qui interroge la psychiatre sur la nature de la dangerosité de son client, font cependant vaciller la recommandation initiale. La psychiatre en vient ainsi à souligner qu’il « n’est pas clair que le problème est psychiatrique ». Les échanges s’orientent alors sur la nécessité de confronter Monsieur Y., présenté comme « un marginal » (par son avocat) et un « criminel d’habitude » [27] (par sa psychiatre), à la « dureté de la vie » (selon son avocat), tout en s’assurant qu’il continuerait à voir sa psychiatre en l’absence d’un suivi par la commission (la plupart des questions des juges portent sur ce point délicat). Monsieur Y. est finalement libéré inconditionnellement à l’issue d’une audience qui se sera avérée être pour lui, paradoxalement, d’une rare violence symbolique.

13 De fait, les chemins qui mènent à une libération inconditionnelle sont, dans une grande majorité des cas, particulièrement longs et sinueux. Quand un trouble est avéré, associé à des antécédents judiciaires plus ou moins lourds et à tout autre facteur de risque, les psychiatres estiment devoir être « en alerte » face au « moindre signe d’irritabilité », comme le soulignait l’un d’entre eux en entretien. L’évaluation du risque se donne alors à voir comme une activité fragile, incertaine et tâtonnante, bien éloignée quoiqu’il en soit de l’objectivité promise par les outils les plus standardisés d’évaluation des risques.

I.3. La prudence en train de se faire : un dispositif de contrôle

14 Selon Robert Castel, l’avènement d’une logique de gestion des risques, dans la seconde moitié du xxe siècle, se serait accompagnée de deux importantes mutations [28]. D’une part, la dévalorisation croissante du jugement clinique individualisé, jugé subjectif et arbitraire, au profit d’outils actuariels censés objectiver les procédures d’évaluation [29]. D’autre part, l’autonomisation croissante du risque, qui s’émanciperait de la « présence d’un danger » pour insister sur l’existence de « facteurs (de risques) qui rendent plus ou moins probable l’avènement de comportements indésirables » [30]. Si nos observations témoignent de la seconde mutation, elles ne corroborent pas vraiment la première, comme le suggèrent aussi Gilles Côté et ses co-auteurs, constatant notamment la sous-utilisation de l’outil de prédiction des risques de violence dit « HCR-20 » (Historical-Clinical-Risk-20) [31]. Lors de nos observations, les quelques mentions de ce dernier témoignent en outre des marges interprétatives dont disposent les évaluateurs. Ces marges sont cependant, précisons-le, loin d’être nécessairement contraires au bon usage de l’outil : tandis que les outils actuariels de « seconde génération » ne reposaient que sur l’identifi­cation de facteurs statiques, liés à l’histoire des accusés (infractions passées, diagnostics antérieurs, etc.), les outils de « troisième génération », développés dans les années 1980 et 1990, y ont adjoint l’identification de facteurs dynamiques, prenant la forme de besoins cliniques supposés agir sur le risque mesuré [32]. Inscrit dans cette génération d’outils, le HCR-20 combine ainsi dix facteurs historiques (« antécédents de violence », « instabilité relationnelle », « consommations de drogue ou d’alcool », etc.), cinq facteurs cliniques (« attitude négative », « impulsivité », etc.) et cinq facteurs pronostiques (« manque de soutien », présence de « stresseurs », etc.). Dès lors, non seulement le renseignement de plusieurs de ces facteurs exige une interprétation clinique des comportements passés et de l’évolution anticipée des accusés, mais de plus, ces facteurs n’étant pas statistiquement pondérés, « la conclusion finale reposera sur le score certes, mais également sur un certain nombre de déductions faites à partir de l’expérience clinique » [33].

15 Au cours des audiences, le « regard » des psychiatres compte de toute façon toujours plus que l’objectivité supposée des outils. L’audience de Monsieur F., témoignant d’un usage pour le moins approximatif de ces derniers, illustre ce constat. Présentant son rapport, le psychiatre insiste sur le « passé criminel » de son patient, célibataire, âgé de 55 ans et vivant de l’aide sociale, ainsi que sur ses « nombreuses hospitalisations » et ses « épisodes hallucinatoires », qui l’auraient notamment conduit à agresser un psychiatre. S’appuyant sur « le HCR-20 » réalisé par un psychologue légal, également présent lors de l’audience, le psychiatre recommande de transférer le dossier à un établissement qui offre des services en psychiatrie légale, ce à quoi s’oppose fermement Monsieur F., qui craint d’y « finir prisonnier ». Si le psychiatre prend soin d’ajouter qu’il ne recommande pas la détention, il estime que le « suivi externe serré » dont pourra bénéficier Monsieur F. sera de nature à « mieux gérer le risque ». Prenant alors la parole, le psychologue légal explique cependant n’avoir pu rencontrer Monsieur F. qu’une seule fois, n’ayant dès lors pas pu mener à bien, comme il le souhaitait, « une véritable évaluation du risque de violence ». S’il ajoute avoir malgré tout réalisé une « évaluation du besoin d’encadrement » grâce à un « test Dundrum », il explique laisser aux juges le soin de se « faire leur idée sur le risque ». À la demande des juges, qui enjoignent le psychiatre de détailler « malgré tout » son « regard sur le risque », ce dernier insiste sur la « liste des gestes », en particulier l’agression de l’un de ses confrères, ainsi que les « infractions antérieures » de Monsieur F., pour estimer « qu’il y a bien un risque », nécessitant un « suivi serré ». Lorsqu’on lui donne la parole pour interroger le psychiatre, l’avocate de Monsieur F. met alors en doute la rigueur de l’évaluation :

16

— Avocate : Mais avez-vous fait un examen de son état mental ?
— Psychiatre : Non, on n’a finalement pas vraiment pu.
— Avocate : Alors comment vous avez évalué le risque […] ?
— Psychiatre : Je vais vous expliquer ma manière de travailler. Moi, je ne fais pas d’entrevues style boxe mais plutôt style judo, autrement dit je ne veux pas confronter mes patients, et cela se passe souvent bien pendant les rendez-vous. Je n’ai donc pas constaté de dangerosité moi-même. Mais après j’ai su ce qu’il s’était passé [l’agression de son confrère]. Et la chose que je sais, c’est que le plus gros danger de récidive ce sont les gestes antérieurs. Donc étant donné ce que l’on a dit depuis le début de l’audience, oui il y a risque.

17 Dans ce cadre qui semble faire consensus (« une agression sur psychiatre dans l’imaginaire c’est fort fort », nous expliquera l’avocate à la sortie de l’audience), les juges cherchent alors à corroborer l’évaluation du psychiatre. C’est ce que confirme l’échange suivant, autour du « test Dundrum ». Pour répondre à la surprise du juge psychiatre, qui ne voit pas de « score final » dans le rapport du psychologue légal, ce dernier précise qu’« il n’est pas habitué à cet outil qui est très récent pour [lui] ». Présent à l’audience, le père de l’accusé s’énerve, barrant d’un trait de stylo l’éva­luation en grommelant « C’est quoi ce truc ? C’est qui qu’a fait ça ? », conduisant l’avocate à lui demander de se calmer. Le juge psychiatre force alors le trait de l’évaluation, et estime qu’en faisant une moyenne des items on atteint un score « très élevé », indiquant un niveau d’encadrement « high security ». Malgré la plaidoirie de l’avocate, proposant un « transfert du dossier » dans un hôpital « moins stigmatisant » pour Monsieur F., et estimant qu’il y a de toute façon « peu d’éléments de risque », les juges suivront finalement, comme dans la grande majorité des cas, les recommandations du psychiatre traitant [34].

18 Au fil des audiences, psychiatres et juges bricolent ainsi des « états de fait » à partir d’éléments hétérogènes qu’ils peuvent puiser dans les antécédents criminels et psychiatriques des accusés, dans ce qu’ils perçoivent de leur attitude ou dans divers constats réalisés sur leur mode de vie souvent précaire voire très précaire. Ainsi en est-il quand le déménagement à venir d’un accusé, de même que la présence de nouveaux collègues sur son lieu de travail, sont considérés par le psychiatre comme un « stresseur ». Ainsi en est-il aussi quand les « habitudes de consommation » (de cannabis) d’un autre sont présentées par le psychiatre comme le signe d’une « autocritique superficielle » qui plaide pour un maintien du « cadre » de la commission dans la vie de l’accusé. Ce bricolage ouvre un espace d’évalua­tion où toutes les sphères de la vie des accusés sont susceptibles d’être passées au peigne fin. Le cadre procédural des audiences s’estompe alors un temps pour laisser libre cours à des échanges plus informels, qu’autorise la proximité relationnelle aménagée par la disposition des tables – le plus souvent en ovale ou en rectangle fermés. Quand « l’instabilité relationnelle » des accusés est évoquée, la cohérence de leur projet de vie est discutée, sinon décrédibilisée, comme l’illustre l’attitude railleuse de l’un des juges au moment où un psychiatre dévoile que son patient souhaite retourner dans son pays d’origine, en Asie du Sud-Est, pour trouver une femme et s’y marier. Quand leur « consommation » est évaluée, l’échange peut s’étendre à diverses facettes de leurs modes d’alimentation, comme l’illustre l’observation d’une psychiatre qui mentionne que l’accusé ne « consomme plus » (d’alcool), mais qu’il fait un usage peu contrôlé de « boissons énergisantes », suggérant ses difficultés à se « contenir ». Les échanges qui se nouent en commission apparaissent dès lors sous la forme de jugements moraux que les juges ou les psychiatres cherchent cependant à lier à l’évaluation clinique [35] – pour reprendre l’exemple ci-dessus, la psychiatre ajoutera ainsi, plus tard dans l’échange, que les « boissons énergisantes », contenant « beaucoup de caféine », pourraient « débalancer la médication », incitant les juges à la « prudence ».

19 Cette « prudence » se manifeste dans les décisions de la Commission d’examen, qui la plupart du temps conduisent à des libérations sous conditions (ou libérations conditionnelles). Ces dernières apparaissent alors comme les pivots d’une logique de contrôle qui, imposant aux accusés une violence à la fois plus douce et étendue que les vieux modèles disciplinaires [36], laisse toujours planer au-dessus d’eux la menace d’une (ré-)hospitalisation potentiellement vécue comme « néfaste » voire « destructrice » [37]. Les données interprovinciales d’Anne Crocker et al. confirment cette tendance : tandis que la proportion de décision de détention est de 77,1 % en Ontario et 44 % en Colombie-Britannique, elle tombe à 23,5 % au Québec, où à l’inverse, plus de 50 % des décisions aboutissent à une libération conditionnelle [38]. Loin de ne résulter que d’une singulière clémence de la Commission québécoise, ces résultats doivent être rapportés au volume considérablement plus important, au Québec, de verdicts de non-responsabilité criminelle, y compris pour des infractions mineures ou contre la propriété. Non seulement la gravité de l’infraction initiale constitue l’un des facteurs explicatifs prépondérants de la décision de détention des commissions d’examen au Canada, mais il est de plus « possible de penser que le bassin plus volumineux d’accusés […] au Québec [incite] les équipes traitantes à recommander plus rapidement une libération par manque de ressources » [39]. Deux raisons au moins rendent ce résultat particulièrement important. D’abord parce qu’à infraction équivalente, et même quand elles échappent à la détention, les personnes déclarées non criminellement responsables connaissent des durées de surveillance dans la collectivité près de trois fois plus élevées que les personnes déclarées criminellement responsables, et ainsi condamnées par les tribunaux criminels [40]. Ensuite parce que les quelques recherches menées sur l’expérience des personnes jugées non criminellement responsables mettent en évidence les séquelles psychologiques, incluant stress et anxiété, de ce dispositif de contrôle [41].

II. La gestion des risques : une logique d’autocontrôle

20 La prégnance croissante, dans la deuxième moitié du xxe siècle, d’une logique de gestion des risques, n’a pas conduit à homogénéiser sans nuance le traitement des populations déviantes – comme l’illustrent, du reste, les nombreuses différences interprovinciales que nous avons relevées jusqu’ici. Refusant de figer a priori la notion de risque, Pat O’Malley défend ainsi l’importance d’analyser les manières dont elle s’encastre dans des contextes culturels, socio-politiques et institutionnels spécifiques [42] : le risque est alors simultanément instrumenté et façonné, donnant lieu à l’émergence de formations hybrides capables de soutenir une diversité de stratégies et de finalités.

21 En comparant le déploiement, dans différents pays, de modèles de gestion des risques de toxicomanie, l’auteur montre comment, en Grande-Bretagne et en Australie, à distance relative de l’approche sécuritaire qui domine aux États-Unis, « l’assistance sociale et le souci thérapeutique » ont moins disparu qu’été « reformulés dans des termes qui traduisent les préoccupations néolibérales, tels que sujets actifs, responsabilité individuelle, responsabilisation, etc. » [43]. Les outils actuariels eux-mêmes, quand ils sont utilisés, peuvent jouer un rôle stratégique dans ces formations hybrides. Cela non seulement puisque, comme souligné plus haut, ils autorisent le recours au jugement clinique des évaluateurs, mais également parce que, reposant sur l’identification de besoins spécifiquement associés aux risques mesurés, ils dessinent l’image de « sujets à risque évolutif » [44]. Imposant aux accusés de prendre le rôle d’individus suffisamment alertes, autonomes et prudents pour agir comme les garants responsables des risques qu’ils présentent [45], cette mutation dessine une forme de contrôle – ou de « conduite des conduites » [46] – qui passe d’abord par l’autocontrôle – ou la conduite de soi. Nous comprenons là, sous un nouvel angle, l’importance accordée par les membres de la commission à l’« autocritique » des accusés sur leurs propres troubles : celle-ci n’est pas seulement censée garantir le respect de la médication ordonnée par le psychiatre, mais elle témoignerait aussi, et plus fondamentalement, d’une prise de conscience face à leurs propres risques et aux besoins qui leur sont associés – signe d’un « travail sur soi » jugé suffisamment « sincère » pour qu’il puisse avoir un effet sur leurs capacités d’autocontrôle [47].

22 La Commission d’examen apparaît ainsi comme l’une des étapes d’une « carrière morale » [48] exigeant non seulement des accusés de respecter le cadre de la commission, mais de s’en approprier progressivement les éléments de langage et de vérité. La situation de Monsieur A., 42 ans, détenu dans un hôpital psychiatrique spécialisé au moment de l’audience, en témoigne. Trois ans auparavant, Monsieur A. a reçu plusieurs verdicts de non-responsabilité criminelle pour des faits de harcèlement et des bris de probation. Présentant son rapport, le psychiatre souligne la bonne attitude de Monsieur A. au sein de son service. S’il explique que ce dernier développe une « autocritique partielle » sur ses troubles, il ajoute qu’il présente toutefois une « collaboration parfaite » avec l’équipe soignante. Le psychiatre souligne que Monsieur A. « s’exprime parfaitement » et « semble bien connaître les rapports d’expertise » réalisés sur lui. S’appuyant sur un « HCR-20 », le psychiatre conclut à un « risque modéré » qui diminue à mesure que Monsieur A. « prend conscience de son besoin d’encadrement ». Le psychiatre recommande alors un maintien en détention avec « essais d’intégration » dans une ressource d’hébergement. Au cours de l’audience, Monsieur A., d’apparence soignée, s’efforce de montrer qu’il connaît la commission, ses enjeux et qu’il en respecte le cadre, en se taisant quand il faut se taire et en demandant poliment la parole quand il souhaite s’exprimer. Quand vient son tour d’être interrogé, le président du tribunal demande à Monsieur A. s’il est d’accord avec le rapport et s’il constitue un « bon portrait » de lui. Monsieur A. répond alors positivement, en ajoutant que le rapport ne contient, « de toute façon, que [ses] réponses à [lui] ». Tout le monde se montre alors très satisfait : son avocate elle-même, soulignant que son client ne demande rien de plus que ce que le psychiatre recommande, en fera le signe de son « intelligence ». Autour de la table disposée en rectangle fermé, les échanges deviennent de plus en plus informels, sinon chaleureux. Au moment de clore l’audience, le président invite Monsieur A. à « poursuivre sur sa lancée » : rompant une dernière fois la solennité judiciaire de l’audience, il ajoute en riant que « c’est un bon catéchisme de lire régulièrement ses rapports ».

23 Les membres de la famille, quand ils sont présents, peuvent aussi jouer un rôle crucial en endossant le rôle d’agents de gestion des risques de leur proche. À propos de Monsieur F., déjà mentionné plus haut, le père, présent à l’audience, cherche ainsi à rassurer les membres de la commission en soulignant qu’il « suit [son] fils depuis qu’il a 12 ans » et qu’il est capable « d’identifier les états mentaux qui le mettent à risque », compensant ainsi « l’absence totale d’autocritique de Monsieur F. » déplorée par son psychiatre traitant :

24

— Juge-président : Pensez-vous que votre fils a besoin de médication ?
— Père : Absolument ! Il vous a dit non mais il les prend pareil, ça change pas. Et s’il le prend pas, je le saurais dans les 15 minutes […].
— Juge-travailleuse sociale : Est-ce que vous reconnaissez quand il est en psychose ?
— Père : Je le sais tout de suite, même par téléphone je le sais tout de suite, je peux pas l’expliquer.
— Juge-travailleuse sociale : Et que faites-vous si vous avez un doute ?
— Père : Je le ramène ici !
— Juge-président : Et vous continuerez à le soutenir ?
— Père : Tant que je serai en vie, Monsieur.

25 La prise de rôle des membres de la famille peut parfois être plus explicite encore, comme dans le cas de Monsieur G., déclaré criminellement non-responsable sept ans plus tôt pour des faits d’agression sexuelle sur enfant de moins de 14 ans. Évalué comme ayant une importante déficience intellectuelle (le psychiatre précise qu’il aurait un QI de 37), Monsieur G. vit chez sa sœur, présente lors de l’audience en compagnie de son mari, pour demander au tribunal le statu quo : une libération conditionnelle. Pendant toute l’audience, aménagée autour de tables disposées en ovale, la sœur fait montre à l’ensemble des acteurs présents de sa « présence » et de sa « lucidité ». Elle rit doucement quand son frère dit quelque chose d’irréaliste, et rappelle à l’ordre son mari quand il essaye de dire quelque chose qui pourrait perturber l’ordre de l’interaction. Répondant aux questions de l’avocate de son frère, elle souligne que le rapport du psychiatre « correspond parfaitement à la réalité », ajoutant même de « nouvelles informations » relatives à des « soucis de mémoire qui s’aggravent » et à son « âge mental qui diminue » : « il est rendu à 2-3 ans je dirais ». Témoignant de l’acceptation du cadre interprétatif imposé par les membres de la commission, elle décrit avec détail la localisation de l’épicerie au sein de laquelle se rend désormais fréquemment son frère, et souligne la persistance de ses doutes concernant le risque qu’il présente : « Tout pareil qu’avant […] C’est ce que je constate hein, je suis pas psychiatre, mais je crois que je suis saine d’esprit quand même […] Le risque est encore là et il sera toujours là. » Parce que le voisin a désormais six enfants, elle ajoute qu’elle a en conséquence installé des caméras de vidéosurveillance dans le jardin, concluant en souriant que son frère « n’est pas en prison mais presque ».

III. Des tensions juridiques : les avocats, agents de gestion des risques ?

26 Les avocats de la défense occupent une place potentiellement centrale pour faire « bifurquer » le cours de l’action et les finalités de ce dispositif de contrôle [49]. Ils peuvent en effet, en fonction de la manière dont ils interprètent leur rôle, chercher à bousculer, ou non, l’évaluation du risque présentée par les psychiatres. Agissant comme des « agents doubles » [50], ils doivent de fait concilier les intérêts de leurs clients, souvent perçus comme « difficiles » en raison de leur état mental et de leur précarité, et ceux des acteurs du dispositif au sein duquel ils évoluent quotidiennement [51]. Les diverses formes de résolution de cette tension font apparaître l’hétérogénéité des pratiques de défense. Une recherche récente sur les pratiques des avocats dans les plaidoyers de culpabilité souligne l’importance première des circonstances des causes (gravité de l’infraction, situation de l’accusé, antécédents judiciaires, etc.) pour rendre compte de cette hétérogénéité [52]. Dans notre cas, si ces circonstances jouent un rôle indéniable, notamment via l’anticipation que font les avocats des chances de succès d’une cause, les différences observées tiennent aussi aux conceptions qu’ils ont de leur rôle, et aux manières différenciées dont ils conçoivent l’agencement des éléments cliniques et juridiques qui caractérise le dispositif de la commission.

27 Pour défendre le mandat que leur a confié leur client, les avocats peuvent d’abord chercher à instiller le doute quant à l’évaluation du risque présentée par les psychiatres, en mettant en évidence ses inconsistances ou l’existence de facteurs de protection qui permettraient d’en atténuer les conséquences. Ils peuvent aussi, et plus directement, invoquer le droit pour contester une recommandation, en s’appuyant notamment sur la jurisprudence qui, à la suite de l’arrêt Winko c Colombie-Britannique (1999), exige notamment que le risque ne soit pas « hypothétique » mais « véritable » et « grave ». Ce fut le cas dans la situation de Monsieur I., 39 ans, libéré sous conditions au moment de l’audience. Accusé de voies de fait sur une personne inconnue, il est atteint selon son psychiatre de « manie » et d’une « maladie affective bipolaire ». Alors que son psychiatre estime qu’il fait preuve d’« autocritique » et qu’il a « bien identifié ses facteurs de risque », il recommande le statu quo en soulignant la récurrence de sa maladie et la perspective d’un changement de psychiatre, qui pourrait le déstabiliser. Lors de sa plaidoirie, l’avocate précise que si les recommandations du psychiatre apparaissent fondées « cliniquement parlant », la commission ne peut légalement maintenir son suivi pour des « risques potentiels » ou pour « se rassurer ». Elle s’appuie alors successivement sur le Code criminel et sur l’arrêt Winko pour rappeler au tribunal la délimitation de ses « compétences » et la nécessité de « faire la preuve d’un risque important pour la sécurité du public ». Pendant la délibération, Monsieur I. remercie son avocate en soulignant que contrairement à son audience de l’année précédente, au cours de laquelle son avocat n’avait « rien dit », il s’est aujourd’hui « vraiment senti défendu ». La décision, une fois n’est pas coutume, va à l’encontre des recommandations du psychiatre : Monsieur I. est libéré inconditionnellement.

28 Parmi les avocats que nous avons rencontrés, cette avocate est celle qui insiste le plus directement sur la nécessité de respecter le « cadre juridique » de la commission. Elle déplore notamment que l’évaluation des psychiatres soit fréquemment fondée sur ce qu’elle nomme, en entretien, le « risque du risque » : même s’il n’y a pas de risque immédiat, il y aurait toujours, du fait du trouble mental, un risque qu’un risque se manifeste. S’estimant portée par « une grande sensibilité à l’idée de justice » et par une conscience du « droit à l’égalité », elle conçoit son rôle comme une « défense des personnes vulnérables ». Pour ne pas mettre à mal « l’alliance thérapeutique » entre les accusés et leurs psychiatres, ou au moins pour « la préserver un peu », elle décrit sa stratégie de défense comme une manière de « lancer la balle » aux psychiatres en les obligeant à préciser leur évaluation clinique en tenant compte des critères établis par le droit. Elle cherche alors à distinguer le plus clairement qui soit la « sphère clinique » de la « sphère juridique », pour s’aménager un espace de contestation (juridique) qui préserve le territoire de compétence (clinique) des psychiatres. C’est ce qu’elle explique en revenant sur une audience au cours de laquelle elle a, à nouveau, obtenu une libération inconditionnelle alors que le psychiatre, soulignant les « problèmes d’impulsivité » de l’accusé, recommandait une détention :

29

Moi ce que j’ai plaidé, justement, c’est que oui, du point de vue clinique, on peut comprendre que Monsieur a besoin d’un encadrement […] Mais il n’y a pas d’éléments de danger tels que prévus par le législateur. Il n’y a pas de risque. Il n’est plus symptomatique. Oui, il y a un risque qu’il risque de redevenir symptomatique. J’avais plaidé le risque du risque […]. Monsieur a atteint un plafond, il aura toujours une certaine vulnérabilité quant à sa santé et aux symptômes qui peuvent surgir […]. Si vous posez la question, est-il toujours malade ? La réponse, vous l’avez. Est-ce qu’il risque de rechuter, c’est un risque que toute personne avec une maladie chronique risque d’avoir, donc j’avais plaidé le risque du risque, et la commission n’a pas hésité à me suivre là-dessus
(Entretien, avocate, 2018)

30 Nos observations montrent cependant que cette stratégie de défense est dans les faits relativement rare, les avocats ne convoquant qu’exceptionnellement les éléments contenus dans le Code criminel et dans la jurisprudence [53].

31 Exigeant des avocats de développer un minimum de connaissances cliniques, le cadre de la commission est en effet toujours susceptible d’assujettir les arguments juridiques à une forme de jugement clinique commun, reposant sur la certitude qu’en dernière instance, il n’est de toute façon jamais si mauvais pour les patients, parce qu’ils ont un trouble mental, d’être maintenus sous la surveillance du tribunal (ou, pour reprendre une expression commune, d’être maintenus « sous TAQ [54] »). Les avocats peuvent alors se muer eux-mêmes en agents de gestion des risques, en particulier quand ils évaluent, avant l’audience, les faibles chances de « succès » de certains de leurs clients, et cela d’autant plus facilement que ces derniers disposent rarement des ressources ou des connaissances juridiques qui leur permettraient de réclamer autre chose [55]. C’est ce qu’illustre le cas de Monsieur E., âgé de 21 ans, en détention à l’hôpital avec modalités de sortie depuis un an au moment de l’audience. Au cours de celle-ci, le psychiatre souligne la persistance de « troubles relationnels importants avec le personnel de l’hôpital », précisant en outre qu’il est « irrespectueux » et qu’il « entend des voix ». Mentionnant une évaluation psychologique qui en a déduit de « forts éléments d’immaturité », il conclut en soulignant que « la dangerosité est bien présente » et, comme s’il n’y avait pas besoin d’argumenter davantage, recommande le maintien de la détention. Pendant l’audience, la mise en accord est totale, Monsieur E. lui-même allant dans le sens de son psychiatre. Aux questions de son avocate, il répond de manière brève et consensuelle : « je suis psychotique », « j’aime les recommandations », « je dois respecter les sorties ». Personne ne pose de question, et l’avocate elle-même plaide dans le sens du statu quo. À la sortie de cette courte audience, nous demandons à cette dernière si elle n’a pas envisagé d’autres options avec son client : « Y a des fois le tableau clinique tu sais que ça sert à rien… On a aussi une crédibilité à construire auprès des juges, on va pas déchirer notre toge à chaque fois… ».

32 Posant un jugement clinique sur les personnes qu’ils défendent, les avocats peuvent aussi jouer contre un mandat qui leur paraît irréaliste. La plupart du temps, ils s’en distancient discrètement sans aller explicitement à l’encontre de la demande de leur client (« comme vous l’avez entendu, mon client demande… »). Cette formulation a notamment été utilisée lors de sa plaidoirie par l’avocate de Monsieur B., 45 ans, libéré sous conditions pour l’affaire en question, mais incarcéré pour d’autres faits. Réunie au sein même du pénitencier dans lequel il est détenu, la commission statue sur son cas tandis qu’il sortira de prison deux mois plus tard. Alors que la psychiatre recommande initialement une libération sous conditions, soulignant qu’il « n’y a pas de dangerosité auto- ou hétéro-agressive claire », quoiqu’« il conserve une impulsivité », elle changera sa recommandation au cours même de l’audience. L’attitude de Monsieur B., qui rit beaucoup et se montre semble-t-il peu concerné par les discussions sur son cas, la conduit alors à « préférer » une détention dans son hôpital d’origine (ce que la commission ordonnera finalement). Échangeant avec l’avocate à la fin de l’audience, cette dernière, surprise par nos propres étonnements, nous explique alors que ce revirement lui paraissait « évident » tant elle n’imaginerait pas Monsieur B. « dans la rue » :

33

— Avocate : Non, mais t’as vu comme il était désinhibé ? Il est pas du tout compensé, il rit fort, il dit des choses bizarres… Tu l’imagines dans la rue ? Moi je serais très inquiète…
— Nicolas, chercheur : Pourtant la psychiatre a souligné qu’il n’y avait pas de dangerosité auto- ou hétéro-agressive.
— Avocate : Oui, pas tout de suite, mais quand il est désinhibé….
— Nicolas, chercheur : C’est une dangerosité potentielle ?
— Avocate : Oui, voilà.

34 Articulant à l’extrême les logiques cliniques et juridiques, un avocat allait parfois explicitement à l’encontre des demandes de ses clients, affichant sa connivence avec les psychiatres et certains juges. C’est notamment ce dont témoigne la situation de Monsieur J., 40 ans, jugé non criminellement responsable huit ans auparavant pour des faits de harcèlement criminel. Monsieur J. est alors libéré sous conditions. Le psychiatre souligne la persistance d’un « trouble schizo-affectif », d’un « abus de cannabis » et d’un « problème de jeu pathologique », auxquels s’ajoutent l’absence d’un « réseau social significatif », une « attitude passive par rapport au soin » et une « autocritique partielle ». À défaut d’une « réelle volonté » de prendre en charge son problème de jeu pathologique, qui selon lui le rend « dangereux », le psychiatre recommande une détention à l’hôpital. Alors qu’il interroge son client, l’avocat adopte une attitude inquisitoire à son égard. Tandis que Monsieur F. explique qu’il a « trouvé un appartement avec une amie » et qu’il souhaite « commencer une thérapie pour le jeu », son avocat lui demande « pourquoi [le] croire, alors que ça fait des années [qu’il le dit] », ajoutant qu’ayant déjà par le passé arrêté une thérapie qui lui avait été pourtant proposée, « c’est un peu le serpent qui se mord la queue ». Au moment de sa plaidoirie, l’avocat souligne que si la place de Monsieur J. n’est « pas en prison », une libération pourrait néanmoins s’avérer « contre-productive » : « ça fait des années que je lui dis, car j’ai une relation très franche avec lui, je lui dis toujours tout, et moi je lui dis qu’il a besoin d’une thérapie […] Je ne sais pas si une telle thérapie est offerte en détention [à l’hôpital] mais ça n’est pas forcément une mauvaise idée ». Après avoir donné son avis, il termine par ce que souhaite son client, dans une forme radicalisée de mise à distance : « Maintenant Monsieur J. vous demande une libération, c’est sa volonté, je vous laisse apprécier ».

35 Évoluant dans le domaine de la santé mentale depuis 2008, cet avocat explique en entretien que s’il est bien « du côté du juridique », l’évaluation du « risque important » étant fonction de l’« état mental » de ses clients, l’appréciation de ce critère nécessite de facto une « évaluation clinique ». Ajoutant que bien qu’étant ni « criminologue » ni « psychiatre », il dispose de « connaissances [psychiatriques] au-dessus de la moyenne des gens », il estime nécessaire de « faire équipe » avec les membres de la commission pour les besoins de la « sécurité publique », qu’il oppose alors aux « droits fondamentaux » :

36

Je sais qu’au criminel ou dans d’autres matières, on prépare le client. On leur dit, « voilà ce qu’il faudrait dire ou ne pas dire ». Pas en santé mentale […] Je ne veux pas du tout influencer, en disant, « il faut que tu dises que tu vas prendre la médication ». Non. Jamais, ça. On est toujours très, très honnête parce qu’on est en santé mentale. Au-delà des droits fondamentaux […], c’est aussi une question de sécurité du public et puis une question de soins : est-ce qu’ils en ont besoin ou pas ? S’ils commencent à mentir […] Mais donc non, je leur parle et je fais, en posant des questions, ma propre évaluation pour savoir quel est leur état et est-ce qu’ils représentent un risque ou pas. Donc, pour comprendre mieux le dossier, je repose tous les critères de la loi, de la jurisprudence et notamment de l’autocritique : est-ce qu’ils sont malades, ils ne sont pas malades, qu’est-ce qu’ils pensent de la médication ? Est-ce qu’ils en ont besoin, est-ce qu’ils n’en ont pas besoin ? Est-ce qu’ils ont un problème de consommation ou un problème de drogue ?
(Entretien, avocat, 2018)

37 Les pratiques différenciées des avocats ne renvoient donc pas qu’aux circonstances des causes traitées par la Commission d’examen. Elles s’incarnent aussi dans des conceptions différentes de leur rôle, distribuées sur un continuum en tension entre deux postures idéal-typiques. La première, que l’on peut qualifier de « garantiste » [56], renvoie à la nécessité de cadrer l’évaluation psychiatrique – et ainsi d’en limiter le pouvoir – par l’invocation de droits garantis, exigeant des avocats de préserver les enjeux juridiques des considérations cliniques développées par les psychiatres. Il s’agit, autrement dit, de travailler à la stricte délimitation des rôles et des territoires d’expertise professionnelle des différents acteurs de la commission. La seconde posture, que l’on peut nommer « paternaliste » [57], renvoie au contraire à la nécessité d’assujettir les enjeux juridiques à la préséance du regard psychiatrique, plaidant dès lors pour une indifférenciation relative des rôles et des territoires d’expertise professionnelle. Cette seconde posture apparaît proche des positions défendues par les tenants d’une « jurisprudence thérapeutique » [58] qui, gagnant en influence depuis les années 1990, appréhendent les normes juridiques et les institutions judiciaires, à l’instar des promoteurs de la « défense sociale nouvelle » [59], comme autant de forces sociales qui produisent des effets thérapeutiques. À distance cependant d’une éthique du care visant à faire de la pratique du droit un véhicule du bien-être émotionnel, psychique et relationnel des accusés [60], cette posture paternaliste tend à en faire le rouage d’un dispositif retranché sur une logique de contrôle et d’autocontrôle [61] ajustée à une visée de prévention de la sécurité publique.

Conclusion

38 La création au Canada, au début des années 1990, des commissions d’examen, a participé d’un mouvement général de reconfiguration de l’ordre psychiatrique, sous le poids de deux processus concomitants et potentiellement contradictoires. Un processus de gestion des risques d’une part, exigeant des psychiatres d’investir un nombre croissant de sites de régulation sociale pour y défendre leur expertise dans des espaces formellement dédiés à la prévention de la sécurité publique. Un processus de promotion des droits d’autre part, ici spécifiquement destiné à protéger les personnes jugées inaptes à subir leur procès ou criminellement non responsables de leurs actes contre la détention arbitraire « au bon plaisir du lieutenant-gouverneur de la province » [62]. Situées au croisement de ces deux processus, les commissions d’examen prennent des formes sensiblement distinctes selon les provinces [63]. La Commission québécoise, sur laquelle porte cet article, apparaît ainsi comme un dispositif de contrôle au sein duquel la voie médiane de la libération conditionnelle joue un rôle pivot : placés sous surveillance dans la collectivité, les accusés sont enrôlés dans une logique d’autocontrôle exigeant d’eux qu’ils apprennent à se conduire comme les gérants responsables de leurs troubles et des risques qu’ils sous-tendent.

39 Dans le cours des audiences, la logique de promotion des droits, qu’incarne notam­ment la figure de l’avocat de la défense, y apparaît alors singulièrement mise à l’épreuve de pratiques invasives d’évaluation des risques. À l’appui d’un rapport présenté à chaque début d’audience par le psychiatre traitant des accusés, les juges traquent dans les antécédents criminels et psychiatriques de ces derniers, de même que dans leurs attitudes ou dans leurs modes de vie, tout signe qui pourrait les inciter à la prudence. Par sa localisation même, entre les murs de l’hôpital, de même que par les tours de parole qu’imposent les procédures auxquelles il est tenu, le dispositif de la Commission d’examen donne préséance au regard du psychiatre, attribuant aux accusés – dans un premier temps au moins – la posture de spectateurs passifs d’une scène qui pourrait aussi bien se dérouler sans eux. Si la solennité judiciaire s’estompe ponctuellement, et d’autant plus facilement que les salles d’audience, d’apparences anodines, ressemblent à toute autre salle de réunion, c’est au profit d’échanges plus informels destinés à ne rien manquer de ce qui, dans le parcours et la vie quotidienne des accusés, pourrait témoigner des risques qu’ils présentent pour la sécurité publique. Bien loin de l’objectivité froide promise par les outils les plus standardisés de gestion des risques, et notamment des risques de violence, c’est dans la légitimité accordée au « regard » du psychiatre, et dans les longs échanges qu’il suscite entre les acteurs de la commission, que réside la « force » du dispositif [64]. Quand la parole des accusés est enfin sollicitée, dans un deuxième temps de l’audience, il est ainsi d’abord attendu d’eux qu’ils fassent la preuve de leur adhésion au plan de traitement préconisé par leur psychiatre, et de leur « autocritique » face à leurs troubles et aux risques qu’ils sous-tendent.

40 Les pratiques des avocats de la défense condensent, en miniature, l’ambiva­lence du dispositif. D’un côté en effet, ils apparaissent comme les acteurs les mieux placés pour en faire « bifurquer » [65] le cours d’action et les finalités, quand ils contestent l’évaluation d’un psychiatre ou quand ils rappellent les juges aux termes et aux contraintes de la loi et de la jurisprudence. De l’autre cependant, la possibilité leur est toujours offerte, face à certains de leurs clients, de se départir d’une telle posture garantiste pour se muer en agents de gestion des risques, adoptant alors une posture paternaliste qui peut même conduire certains d’entre eux à explicitement agir contre le mandat qui leur a été confié. La rareté relative de la première posture, au profit de la seconde, témoigne là encore de la « force » d’un dispositif susceptible d’imposer sa logique jusqu’à ses acteurs a priori les plus adverses.


Mots-clés éditeurs : Québec, Commission d’examen, Ethnographie, Nonresponsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux– Psychiatrie, Gestion des risques, Tribunal

Mise en ligne 06/10/2022

https://doi.org/10.3917/drs1.111.0357

Notes

  • [1]
    Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris : Éditions de Minuit, 1977.
  • [2]
    Henri Dorvil, « La désinstitutionnalisation : du fou de village aux fous des villes », Bulletin d’histoire politique, 10 (3), 2002, p. 88-104.
  • [3]
    Robert Castel, La gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse, Paris : Éditions de Minuit, 1981.
  • [4]
    Nikolas Rose, « Psychiatry as a Political Science: Advanced Liberalism and the Administration of Risk », History of the Human Sciences, 9 (2), 1996, p. 10.
  • [5]
    Ibid., p. 14.
  • [6]
    Marcelo Otero, « Le psychosocial dangereux, en danger et dérangeant : nouvelle figure des lignes de faille de la socialité contemporaine », Sociologie et sociétés, 39 (1), 2007, p. 56.
  • [7]
    David Weisstub et Julio Arboleda-Florez, « Les droits en santé mentale au Canada : une perspective internationale », Santé mentale au Québec, 31 (1), 2006, p. 25.
  • [8]
    Au Canada, un lieutenant-gouverneur est le représentant de la Reine dans une province.
  • [9]
    Dans le cas où la première décision est prononcée par le tribunal judiciaire, la commission ne sera appelée à se prononcer que 12 mois plus tard.
  • [10]
    Camille Lancelevée, Caroline Protais, Tristan Renardet al., « Un renouveau des recherches francophones sur les relations entre la justice et la santé mentale », Champ pénal / Penal field, 18, 2019, en ligne.
  • [11]
    Anne G. Crocker, Tonia L. Nicholls, Michael C. Seto et al., « The National Trajectory Project of Individuals Found Not Criminally Responsible on Account of Mental Disorder in Canada. Part 2: The People Behind the Label », Canadian Journal of Psychiatry, 60 (3), 2015, p. 106-116.
  • [12]
    Certains accusés déclarés non-responsables pour une infraction peuvent être incarcérés pour d’autres faits. La commission se réunit alors, lorsque la sortie de ces accusés est envisagée, au sein même de l’établissement carcéral.
  • [13]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », Annales. Histoire, sciences sociales, 71 (2), 2016, p. 421-448.
  • [14]
    Ibid., p. 432.
  • [15]
    Pierre Pariseau-Legault, Emmanuelle Bernheim, Guillaume Ouelletet al., « Lorsque la maladie mentale s’invite au banc des accusés : ethnographie de la Commission d’examen et des espaces de justice hospitalière », Aporia. La revue des sciences infirmières, 13 (2), p. 43-55.
  • [16]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, p. 431.
  • [17]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 1: Context and Methods », Canadian Journal of Psychiatry, op. cit., p. 98-105.
  • [18]
    Caroline Protais, Sous l’emprise de la folie ? L’expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009), Paris : Éditions de l’EHESS, 2016.
  • [19]
    Sandrine Martin, Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Comparaison des pratiques de supervision des Commissions d’examen aux peines prononcées dans le système pénal, mémoire de l’École de criminologie, Université de Montréal, 2019, p. 23-24.
  • [20]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 2: The People Behind the Label », op. cit.
  • [21]
    Id., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System », Canadian Journal of Psychiatry, op. cit., p. 117-126.
  • [22]
    L’ordre des prises de parole dépend du président.
  • [23]
    Emmanuelle Bernheim, Guillaume Ouellet, Pierre Pariseau-Legault et al., « Surveiller, contrôler et traiter : le consentement aux soins à la Commission québécoise d’examen », Santé mentale au Québec (à paraître).
  • [24]
    Emmanuelle Bernheim, Marcio Gutierrez, Guillaume Ouelletet al., « Chantier 21. Justice et santé mentale », in Pierre Noreau, Emmanuelle Bernheim, Maya Cachechoet al. (dir.), 22 chantiers sur l’accès au droit et à la justice, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2020, p. 399.
  • [25]
    Ibid., p. 399-400.
  • [26]
    Le psychiatre fait ici référence au découpage multi-axial du DSM, qui classe les « troubles cliniques majeurs » dans son « Axe I », et les « troubles de la personnalité » dans son « Axe II ».
  • [27]
    Cette expression renvoie aux vieilles classifications issues notamment des travaux du médecin italien Cesare Lombroso, L’homme criminel. Criminel-né, fou moral, épileptique. Étude anthropologique et médico-légale, Paris, Felix Alcan, 1887. Elle désignait alors les criminels jugés chroniques (à la différence, par exemple, des « criminels d’occasion »), pour des raisons qui pouvaient à l’époque être perçues comme innées ou acquises.
  • [28]
    Robert Castel, La gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse,op. cit. ; Id., « De la dangerosité au risque », Actes de la recherche en sciences sociales, 47-48, 1983, p. 119-127.
  • [29]
    L’expression « outils actuariels » renvoie à un ensemble d’outils standardisés destinés à mesurer des cotes, ou des scores de risque (de violence, de récidive, etc.) à l’aide d’une série d’indicateurs (ou de facteurs) de risque préalablement validés sur la base d’études statistiques.
  • [30]
    Ibid., p. 145.
  • [31]
    Gilles Côté, Anne G. Crocker, Tonia L. Nichollset al., « Risk Assessment Instruments In Clinical Practice », Canadian Journal of Psychiatry, 57 (4), 2012, p. 238-244.
  • [32]
    Kelly Hannah-Moffat, « Criminogenic Needs and the Transformative Risk Subject: Hybridizations of Risk/Need in Penality », Punishment & Society, 7 (1), 2005, p. 29-51.
  • [33]
    Gilles Côté, « Les instruments d’évaluation du risque de comportements violents : mise en perspective critique », Criminologie, 34 (1), 2001, p. 35.
  • [34]
    Les travaux d’Anne Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System), op. cit., montrent qu’au Québec, les juges suivent telles quelles les recommandations du psychiatre dans plus de 85 % des cas.
  • [35]
    Sur les usages moraux de l’expertise psychiatrique, voir Fabrice Fernandez, Samuel Lézé, Hélène Strausset al., « Comment évaluer une personne ? L’expertise judiciaire et ses usages moraux », Cahiers internationaux de sociologie, 128-129, 2010, p. 177-204.
  • [36]
    Guillaume Périssol, Le droit chemin. Jeunes délinquants en France et aux États-Unis au milieu du xxe siècle, Paris : PUF, 2020. S’appuyant notamment sur le « post-scriptum sur les sociétés de contrôle » publié par Gilles Deleuze en 1990, l’historien Guillaume Périssol montre comment la création de la « liberté surveillée » pour les mineurs, au début du xxe siècle, a servi de lieu d’expérimentation et d’épanouissement d’un « système de contrôle » qui s’est considérablement développé après la Seconde Guerre mondiale. En comparant ses caractéristiques avec le système disciplinaire déclinant, il le décrit comme plus doux, car plus horizontal et relationnel, mais aussi plus étendu – signe d’une « évolution majeure dans l’économie du pouvoir, qui s’exerce de plus en plus continûment et insidieusement, mais de moins en moins violemment » (p. 430).
  • [37]
    Camille Lancelevée et Caroline Protais, « “J’étais pas vraiment moi”. L’expérience des personnes déclarées irresponsables pour cause de trouble mental », Anthropologie & Santé. Revue internationale francophone d’anthropologie de la santé, 16, 2018, en ligne.
  • [38]
    Anne Crocker et al., « The National Trajectory Project… Part 3: Trajectories and Outcomes Through the Forensic System », op. cit., p. 122.
  • [39]
    Sandrine Martin, Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux,op. cit., p. 90.
  • [40]
    Ibid., p. 83-84.
  • [41]
    Natalie Aga, Freya Vander Laenen, Stijn Vandeveldeet al., « Recovery of Offenders Formerly Labeled as Not Criminally Responsible: Uncovering the Ambiguity From First-Person Narratives », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 63 (6), 2017, p. 919-939.
  • [42]
    Pat O’Malley, « “Mondialisation” et justice criminelle : du défaitisme à l’optimisme », Déviance et Société, 30 (3), 2006, p. 323-338.
  • [43]
    Ibid., p. 334. L’auteur mentionne des programmes britanniques et australiens que l’on associerait, au Canada, à une optique de « réduction des méfaits » ou, en France, de « réduction des risques et des dommages ».
  • [44]
    Kelly Hannah-Moffat, « Criminogenic Needs and the Transformative Risk Subject: Hybridizations of Risk/Need in Penality », op. cit., 2005.
  • [45]
    Nikolas Rose, « Psychiatry as a Political Science: Advanced Liberalism and the Administration of Risk », article cité ; Id., « Governing Risky Individuals: The Role of Psychiatry in New Regimes of Control », Psychiatry, Psychology and Law, 5 (2), 1998, p. 177-195.
  • [46]
    Michel Foucault, « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits II, Paris : Gallimard, 2001, p. 1041-1062.
  • [47]
    Sur le rôle de l’expertise psychiatrique dans l’évaluation du « travail sur soi » et de sa « sincérité », voir notamment Sébastien Saetta, « L’expertise psychiatrique dans les affaires criminelles. Entre humanisme répressif et défense sociale de type managérial », Les Cahiers de la justice, 3, 2012, p. 103-120.
  • [48]
    Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris : Éditions de Minuit, 1968.
  • [49]
    Rappelons ici l’importance qu’occupe cette idée de « bifurcation » dans la conceptualisation des « dispositifs » que proposent Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, p. 432.
  • [50]
    Abraham S. Blumberg, « The Practice of Law as Confidence Game: Organizational Cooptation of a Profession », Law and Society Review, 1 (2), 1967, p. 28.
  • [51]
    Danielle Laberge et Daphné Morin, « Mental Illness and Criminal Justice Processing: The Strategies and Dilemmas of Defence Lawyers », International Journal of the Sociology of Law, 29, 2001, p. 149-171.
  • [52]
    Elsa Euvrard et Chloé Leclerc, « Les avocats de la défense dans les négociations des plaidoyers de culpabilité : quelles pratiques ? », Champ pénal / Penal field, vol. XII, 2015, en ligne.
  • [53]
    Emmanuelle Bernheim, Marcio Gutierrez, Guillaume Ouelletet al., « Chantier 21. Justice et santé mentale », op. cit., p. 400.
  • [54]
    Tribunal administratif du Québec.
  • [55]
    Sur le déséquilibre des ressources dans les interactions entre les avocats et leurs clients, voir Philip Milburn, « La compétence relationnelle : maîtrise de l’interaction et légitimité professionnelle. Avocats et médiateurs », Revue française de sociologie, 43 (1), 2002, p. 47-72.
  • [56]
    Antoine Garapon, « Modèle garantiste et modèle paternaliste dans les systèmes de justice des mineurs », Actes. Les cahiers d’action juridique, 66, 1989, p. 19-23.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    David B. Wexler et Bruce J. Winick, Essays in Therapeutic Jurisprudence, Durham : Carolina Academic Press, 1991.
  • [59]
    Marc Ancel, La défense sociale nouvelle, Paris : Éditions Cujas, 1954 ; pour une présentation critique, voir Jean Danet, « Les politiques sécuritaires à la lumière de la doctrine de la défense sociale nouvelle », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1 (1), 2010, p. 49-67.
  • [60]
    Susan S. Daicoff, « Law as a Healing Profession: The “Comprehensive Law Movement” », Pepperdine Dispute Resolution Law Journal, 6 (1), 2005, p. 1-62.
  • [61]
    Évoquant les mutations de la « défense sociale nouvelle » à l’heure de la gestion des risques, Sébastien Saetta parle d’une « défense sociale nouvelle imprégnée d’idéologie managériale, dans laquelle la motivation de l’individu occupe désormais une place centrale » (Sébastien Saetta, « L’expertise psychiatrique dans les affaires criminelles. Entre humanisme répressif et défense sociale de type managérial », article cité, p. 118).
  • [62]
    R c Swain, [1991] 1 RCS 933.
  • [63]
    Anne G. Crockeret al., « The National Trajectory Project… Part 1, 2 and 3 », op. cit., p. 98-126.
  • [64]
    Nicolas Dodier et Janine Barbot, « La force des dispositifs », article cité, 2016.
  • [65]
    Ibid., p. 432.
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