Notes
-
[1]
V. notamment E. Naquet, « L’historiographie récente de l’affaire Dreyfus (2005-2006). À propos de quelques parutions », Revue historique 2007/2 (n° 642), p. 369-378. DOI 10.3917/rhis.072.0369 ; parmi les incontournables, v. entre-autres V. Duclert, L’affaire Dreyfus, La découverte, Paris, 2012 ; J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, Fasquelle, Paris, 1929 ; J.-D. Bredin, L’Affaire, Paris, 1983, 2e éd, 1994, M. Thomas, L’affaire sans Dreyfus, Fayard, Paris, 1961.
-
[2]
J.-D. Bredin, L’Affaire, op. cit., p. 127.
-
[3]
V. Duclert, « 1894-1906 Histoire d’un événement », V. Duclert et P. Simon-Nahum (dir.), Les événements fondateurs de l’affaire Dreyfus, Armand Colin, Paris, p. 27-29.
-
[4]
V. notamment De la justice dans l’affaire Dreyfus, Actes du Colloque organisé par la Cour de cassation et la Société internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus le 19 juin 2006, Fayard, Paris, 2006.
-
[5]
Sur Paul Viollet et sur ses combats, v. récemment P. Arabeyre, F. Audren et A. Gottely (dir), Paul Viollet (1840-1914), un grand savant assoiffé de justice, exposition virtuelle, http://expo-paulviollet.univ-paris1.fr/
-
[6]
On le sait, l’École des Chartes fut un foyer du dreyfusisme, v. notamment T. Ribémont, « Les historiens chartistes au cœur de l’affaire Dreyfus », Raisons politiques 2005/2 (no 18), p. 97-116. DOI 10.3917/rai.018.0097 ; B. Joly, « L’École des chartes et l’affaire Dreyfus », Bibliothèque de l’École des chartes, Paris, Chartes, t. 147, 1989, p. 611-671 ; « La bataille des experts en écriture », L’Histoire, n° 173, janvier 1994, p. 36-41.
-
[7]
Selon Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, « l’intellectuel ne se définit pas par ce qu’il est, une fonction, un statut, mais par ce qu’il fait, son intervention sur le terrain du politique, compris au sens du débat sur la ‘cité’ […]. Il ne sera pas l’homme ‘qui pense’ mais l’homme qui communique une pensée », J.-F. Sirinelli et P. Ory, Les intellectuels en France de l’affaire Dreyfus à nos jours, Armand Colin, coll. U, 2e éd., Paris, 1992, p. 9. Il est aujourd’hui admis que le mot est « né socialement » avec l’affaire Dreyfus, v. notamment M. Tournier, « Des mots en politique. Les intellectuels, déjà, encore, toujours », Mots, no 37, 1993, p. 106-110.
-
[8]
V. F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française, entre mythes et réalités, CNRS Éditions, Paris, 2013, p. 146 et s..
-
[9]
Si les récents travaux sur la (les) culture(s) juridique(s) française(s) ont renouvelé les approches et les propositions sur ces questions, elles sortent du champ résolument plus modeste de notre étude. V. notamment F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française, entre mythes et réalités, op. cit. ; A.-S. Chambost (dir.), Approche(s) culturelle(s) des savoirs juridiques, actes du colloque du 13 décembre 2017 organisé à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, CERCRID (UMR 5137), à paraître.
-
[10]
La formule est de T. Ribémont, « Les historiens chartistes au cœur de l’affaire Dreyfus », op. cit ; V. notamment sur ce point C. Charle, Naissance des « intellectuels 1880-1900, Minuit, Paris, 1990.
-
[11]
La première partie de cet article est rédigée par Clément Aubisse, ATER en histoire du droit à l’Université de Bordeaux (CAHD) ; la seconde est écrite par Pierre-Nicolas Barenot, maître de conférences en histoire du droit à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (CerCrid).
-
[12]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 300 – 306.
-
[13]
Le procès Zola, 7 février – 23 février 1898 devant la cour d’assises de la Seine. Compte rendus sténographique « in extenso », France, Stock, 1998, p. 21.
-
[14]
H. Mitterand, Zola. Tom III. L’honneur 1893 – 1902, Fayard, Paris, 2002, t. 3, p. 392.
-
[15]
Le procès Zola…, op. cit., p. 802 et 816-817.
-
[16]
Ibid., p. 814.
-
[17]
Ibid., p. 790, 797.
-
[18]
Ibid., p. 747.
-
[19]
Ibid., p. 820.
-
[20]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 322.
-
[21]
Le procès Zola…, op. cit., p. 818.
-
[22]
Code d’instruction criminelle et Code pénal, Dalloz, Paris, 1913, p. 134.
-
[23]
Ibid., p. 614.
-
[24]
R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, Paris, Librairie de la Société de Recueil général des lois et des arrêts, 1898, t. 3, p. 218. V° également Barbier Georges, Code expliqué de la presse, traité général de la police de la presse et des délits de publication, Paris, Marchand et Billard, 1887, p. 443.
-
[25]
Le procès Zola…, op. cit., p. 204.
-
[26]
Ibid., p. 50, 56.
-
[27]
Ibid., p. 101, 134, 190, 212, 453, 991.
-
[28]
Ibid., p. 151.
-
[29]
Code d’instruction criminelle et Code pénal…, op. cit., p. 443.
-
[30]
Le procès Zola…, op. cit., p. 754.
-
[31]
Au lendemain de la publication de « J’accuse… ! », un placard de trois feuillets est répandu sur les murs de Paris. Intitulé La réponse de tous les Français à Émile Zola, l’auteur y est copieusement insulté et promis à la potence. V. www.collection-privée.org/public/galerie-photo-dreyfus
-
[32]
M. Winock, Le siècle des Intellectuels, le Seuil, Paris, 2006, p. 37. Le 12 février, l’un des jurés se fait excuser pour cause de maladie. En réalité, Auguste Leblond est terrifié depuis une récente altercation qu’il a eu avec le commandant Esterhazy dans un lieu public. Par ailleurs, les noms et adresses des jurés sont connus de tous depuis leur diffusion dans la presse et des lettres de menaces leur sont envoyées. Enfin, La Libre Parole a fait imprimer et placarder un « appel aux Français » le premier jour du procès. Il contient des menaces à l’encontre des jurés si ces derniers n’accomplissent pas leur devoir de patriotes. V° notamment sur ce point H. Mitterand, Zola…, op. cit., p. 393.
-
[33]
A. Pagès, « Impressions d’audiences », De la justice dans l’affaire Dreyfus, op.cit., p. 4.
-
[34]
L. Blum, Souvenirs sur l’affaire, Gallimard, Paris, 1982, p. 132.
-
[35]
Le procès Zola…,op. cit., p. 107, 431, 735.
-
[36]
Ibid., p. 545. À l’occasion de ce procès, le président va jusqu’à rendre un arrêt de règlement contre des conclusions déposées par la défense alors même que cette pratique est bannie des juridictions depuis la Révolution française.
-
[37]
V° par exemple ibid., pp. 513-514, 537-538, 541, 546-547, 558, 575, 583, 654-669.
-
[38]
Le procès Zola…., op. cit., pp. 402-404, 409-410.
-
[39]
V° notamment Le procès Zola…, op. cit., p. 559-590.
-
[40]
V° notamment ibid., p. 654-669.
-
[41]
Ibid., p. 637. J.-D. Bredin, L’affaire…, p. 126.
-
[42]
Y. Repiquet, « Discours d’ouverture », De la justice dans l’affaire Dreyfus, op. cit, p. 2.
-
[43]
Le procès Zola…, op. cit., p. 364.
-
[44]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 410.
-
[45]
Le procès Zola…, op. cit., p. 724.
-
[46]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 381.
-
[47]
Y. Repiquet, « Discours d’ouverture… », De la justice…, op. cit., p. 2.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
V. notamment F. Audren et R. Patrice, « Enseigner le droit dans la République. Ouverture », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, vol. 29, no. 1, 2011, p. 3-6. ; F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française…, op. cit., spéc. Chap. 3, p. 111-155.
-
[51]
F. Audren et R. Patrice, « Enseigner le droit… », op. cit. ; sur la question sociale à la Belle Époque, v. notamment J. Donzelot, L’invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, coll. L’Espace du Politique, Fayard, Paris, 1984 ; M.-C. Blais, La solidarité. Histoire d’une idée, coll. Bibliothèque des idées, Gallimard, Paris, 2007.
-
[52]
V. F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique…, op. cit., p. 147 et s.. ; A. Stora-Lamarre, La République des faibles. Les origines intellectuelles du droit républicain 1870-1914, Armand Colin, Paris.
-
[53]
V. notamment F Audren et J.-L. Halperin, La culture…, op. cit., pp. 148-149 sur les tensions nationalistes et antisémites au sein des facultés de droit.
-
[54]
V. supra, Introduction.
-
[55]
V. notamment C. Charle, « Les étudiants et l’affaire Dreyfus », Cahiers Georges Sorel, 4, 1986, pp. 26-43 ; Naissance des « intellectuels » 1880-1900, Paris, Minuit, 1990 ; P. Ory, « Modestes considérations sur l’engagement de la société culturelle dans l’affaire Dreyfus », M. Denis, M. Lagrée et J. Veillard (dir.), L’affaire Dreyfus et l’opinion publique : en France et à l’étranger, Presses universitaires de Rennes, 1995, pp. 37-49, doi :10.4000/books.pur.16497.
-
[56]
À la fin du xixe siècle, les professeurs de droit se sont accaparé du monopole de l’autorité scientifique, au détriment des praticiens du droit, dont la production scientifique et théorique diminue considérablement à partir des années 1880. La science juridique, à laquelle les professeurs s’assimilent désormais volontiers sous le vocable de « doctrine », est devenue le pré carré des universitaires. Outre cette autorité scientifique, les professeurs de droit jouissent d’une autorité institutionnelle encore forte à la fin du siècle, notamment grâce au difficile et prestigieux concours de l’agrégation qui les distingue des autres enseignants du supérieur. Sur ce point v. F. Audren et J.-L Halpérin, La culture…, op. cit.
-
[57]
J. Reinach, « Le droit absolu de Madame Dreyfus », Le Siècle, 20 mars 1898.
-
[58]
Léopold Thézard (1840-1907) était également sénateur inscrit au groupe de la gauche républicaine.
-
[59]
« Mme Dreyfus paraît solliciter comme une faveur d’aller retrouver son mari ; en réalité, elle doit réclamer l’exercice d’un droit absolu. Les textes sont formels. », cit. par J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, T.2, Fasquelle, Paris, 1903, p. 180.
-
[60]
« J’ai lu l’article du Siècle, et il est, en ce qui concerne mon rapport, parfaitement exact ; je n’ai donc rien à ajouter. », id.
-
[61]
J. Léveillée, in J. Reinach, L’Affaire Dreyfus Vers la Justice par la Vérité, Paris, P.-V. Stock, éditeur, 1898, p. 92 à 94 ; J.-L. Clément, « Du droit dans l’affaire Dreyfus, 1894-1899 » « Du droit dans l’Affaire Dreyfus » Revista critica de las relaciones laborales y de la política social, n° 10, décembre 2015 - mars 2016, p. 17 à 43, http://www.eumed.net/rev/historia/10/alfred-dreyfus.html.
-
[62]
Sur ce vaste sujet, nous renvoyons, entre autres, aux travaux de N. Hakim, L’autorité de la doctrine civiliste française au xixe siècle, L.G.D.J., Paris, 2002 ; N. Hakim et F. Melleray (dir.), Le renouveau de la doctrine française. Les grands auteurs de la pensée juridique au tournant du xxe siècle, Dalloz, Paris, 2009 ; M.-C. Belleau, « Les juristes inquiets : classicisme juridique et critique du droit au début du xxe siècle en France », Les Cahiers du Droit, t. 40, 1999, pp. 507-544 ; C. Jamin, « L’oubli et la science, regard partiel sur l’évolution de la doctrine privatiste à la charnière des xixe et xxe siècles », Revue trimestrielle de droit civil, 1994, pp. 815-827 ; C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, Dalloz, Paris, 2004 ; J.-L. Halpérin et F. Audren, La culture juridique…, op. cit. ; F. Audren, Les juristes et les mondes de la science sociale en France. Deux moments de la rencontre entre droit et science sociale au tournant du xixe siècle et au tournant du xxe siècle, thèse de droit, Dijon, dactyl., 2005 ; A. Chatriot, « Les juristes et la IIIe République, note critique », Cahiers Jaurès, Société d’Études Jaurésiennes, n° 204, 2012/2, spéc. p. 83.
-
[63]
Sont notamment officiellement introduits dans les Facultés de droit des cours d’économie politique (1877), d’histoire générale du droit français (1880), de droit constitutionnel (1889) ou encore, à titre optionnel, des cours de législation financière, industrielle ou coloniale.
-
[64]
V. notamment ce que pouvait écrire à ce sujet le professeur E. Lambert, « Une réforme nécessaire des études de droit civil », Revue internationale de l’Enseignement, n° 4, 1900, p. 229.
-
[65]
À ces auteurs essentiellement privatistes (Esmein mis à part), il convient évidemment d’adjoindre les grandes figures de la doctrine publiciste que furent Maurice Hauriou, Léon Duguit ou encore Léon Michoud.
-
[66]
V. C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, op. cit., spéc. p. 141 et s..
-
[67]
F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif : essai critique, Marescq aîné, Paris, 1899 (2e édition revue et complétée, 2 t., 1919), t.1.
-
[68]
V. les travaux de J. Bonnecase, L’école de l’exégèse en droit civil : Les traits distinctifs de sa doctrine et de ses méthodes d’après la profession de foi de ses plus illustres représentants, 2e éd., E. de Boccard, Paris, 1924 ; La pensée juridique de 1804 à l’heure présente : ses variations et ses traits essentiels, Delmas, Bordeaux, 1933 ; J. Charmont et A. Chausse, « Les interprètes du Code civil », Le Code Civil 1804-1904 Livre du Centenaire, rééd. présentée par J.-L. Halpérin, Dalloz, Paris, 2004, p. 133-172 ; E. Gaudemet, L’interprétation du Code civil en France depuis 1804, Présentation de C. Jamin et P. Jestaz, bibliographie critique par F. Rolin, Collection du deuxième centenaire du Code civil, La Mémoire du Droit, Dalloz, Paris, 2002.
-
[69]
V. C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, op. cit., p. 142-143.
-
[70]
J.-A. Roux, S. 1907, 1, p. 49 et s.. ; S. 1901, 1, p. 297 et s.
-
[71]
Sur Jean-André Roux (1866-1954), v. notamment J.-J. Clère, « Roux, Jean-André », P. Arabeyre, J.-L. Halpérin et J. Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français, xiie-xxe siècle, Quadrige, P.U.F., Paris, 2007, p. 683-684.
-
[72]
J.-A. Roux, S. 1901, 1, p. 297.
-
[73]
J.-A. Roux, S. 1907, 1, p. 50.
Si l’Affaire Dreyfus est l’une des plus célèbres affaires judiciaires du xixe siècle, les juristes semblent pourtant en être les grands absents. L’Histoire a bien retenu les noms de Labori, Demange ou encore Manau ; mais au-delà des avocats et magistrats qui ont, procès après procès, personnifié dans les médias la figure de la Justice, l’historiographie s’est peu penchée sur le rôle et le comportement des juristes de la Belle Époque pendant l’affaire.
Or le cas Dreyfus place les juristes dans une position particulièrement inconfortable. Qu’ils soient représentants de la justice au palais ou experts de la science juridique à l’École, les juristes sont amenés à « dire le droit » dans une affaire éminemment politique et polarisante, où la raison d’État, le patriotisme et la paix sociale sont en balance avec les codes, les lois et les procédures. Mutique ou bâillonnée, la voix étouffée des juristes dans l’affaire est très significative de la relation complexe entre le droit et le politique, entre les juristes et le pouvoir.
1Souvent présentée comme une erreur judiciaire, l’affaire Dreyfus relève davantage d’une machination militaire que la justice civile mettra beaucoup de temps à dévoiler et à réparer, dans un climat politique et social agité. Dans le cas Dreyfus, la question juridique de la culpabilité ou de l’innocence du capitaine est en effet très vite dépassée par des enjeux politiques et des débats de société autrement plus clivants. Être dreyfusard ou antidreyfusard à l’aube du xxe siècle, c’est avant tout défendre une conception radicalement opposée de l’État, de ses prérogatives et de sa justice.
2Ainsi, le droit – et les juristes – apparaissent paradoxalement « décentrés » de l’affaire Dreyfus, et l’immense bibliographie qui lui est consacrée [1] s’intéresse généralement peu, ou incidemment, aux hommes de loi. Une telle marginalisation se retrouve dans les faits eux-mêmes, si l’on envisage les protagonistes. L’autonomie absolue dont a joui l’armée française dans l’instruction et le jugement du capitaine Dreyfus en 1894 signifie alors l’exclusion de tout recours au droit, particulièrement en ce qui concerne les règles de procédure. S’ils adoptent la posture du juriste, les officiers ayant joué le rôle d’instructeurs et de juges à cette occasion méconnaissent délibérément toute norme juridique en vigueur dans un État pourtant républicain [2]. Agissant ainsi, ils entérinent la fabrication d’un coupable réalisée de toutes pièces par l’état-major [3], faisant de l’affaire non pas une erreur judiciaire, mais une véritable faute.
3Cela étant, certains juristes demeurent irrémédiablement liés à cet incroyable feuilleton militaro-judiciaire. C’est le cas des avocats et des magistrats qui, au péril de leur carrière, de leur réputation, parfois même de leur vie, ont pris à bras-le-corps la défense du capitaine, ou simplement lutté afin de soustraire l’affaire aux autorités militaires. Pour ne citer qu’eux, les avocats Leblois, Labori et Demange, ou encore les magistrats Loew, Bard, Ballot-Beaupré, Manau et Baudoin ont ainsi activement participé à la manifestation de la vérité judiciaire et à la réhabilitation de Dreyfus [4].
4Moins célèbres, d’autres juristes se sont également engagés personnellement dans la bataille. L’un des plus mobilisés dans le camp dreyfusard fut sans doute Paul Viollet [5], chartiste, historien du droit et membre fondateur de la Ligue des droits de l’Homme [6]. Ou encore le professeur Edouard Beaudouin, historien du droit à la Faculté de Grenoble, recadré pour ses prises de position dreyfusardes en présence des étudiants ; les catholiques sociaux Joseph Charmont, professeur de droit montpelliérain et membre actif de la LDH, et Paul Bureau, de la faculté Libre de Paris ; enfin, l’avocat et professeur de droit au Collège libre des sciences sociales et à l’université de Bruxelles, Ernest Tarbouriech, militant de la première heure à la LDH et socialiste convaincu.
5Qu’il s’agisse d’hommes du palais ou d’enseignants, ces juristes peuvent être assimilés aux « intellectuels » [7] qui ont joué un rôle décisif dans le long et douloureux processus de réhabilitation du capitaine Dreyfus, et, plus largement, dans la lutte contre les valeurs antidreyfusardes menaçant la jeune République – ou, du moins, une certaine conception de la République. D’autres juristes rejoindront le camp adverse, comme le chartiste et historien du droit Paul Fournier, signataire du « manifeste des chartistes », le professeur et député de Paris Jules Léveillé, les professeurs Sauzet et Beauregard ou encore, dans une moindre mesure, le professeur et ministre de la Justice, Geroges Lebret [8].
6Qu’ils soient praticiens ou professeurs, ces dreyfusards et antidreyfusards militants ne sont toutefois pas représentatifs des « juristes » dans leur totalité ; ce sont des individualités, qui n’excipent d’ailleurs pas spécialement de leurs qualités d’hommes de loi dans leurs combats.
7Au-delà des militants identifiés, l’opinion majoritaire chez les juristes est plus difficile à jauger. Si l’on peut raisonnablement penser que les professionnels du droit, à l’image de la France entière, se sont également scindés entre sympathisants dreyfusards et antidreyfusards, il est difficile de dresser un tableau de groupe. Une telle démarche soulève immédiatement de sérieuses difficultés définitoires, épistémiques et méthodologiques. Qu’est-ce qu’un juriste ? Peut-on appréhender « les juristes » comme un groupe cohérent en termes sociologiques, politiques, culturels et professionnels ? Sans aller plus loin sur ces questions [9], nous pouvons affirmer sans trop de risques que le juriste de la Belle Époque est un professionnel du droit. Nous pourrions même ajouter qu’il est très probablement diplômé des facultés de droit, passage devenu quasi obligé à la fin du siècle. Cependant, l’absence d’homogénéité dans les professions, les pratiques et les savoirs juridiques, ainsi que la diversité des statuts et honorabilités dans le monde du droit nous empêcheront, dans un travail ne visant pas l’exhaustivité, de parler abstraitement « des juristes » comme d’un groupe cohérent dont on pourrait saisir les grandes tendances.
8Certes, des études soulignent une tendance majoritairement conservatrice chez les juristes de la Belle Époque, le corps des juristes – mais aussi des étudiants en droit – étant traditionnellement présenté comme un « vivier important pour l’antidreyfusisme » [10]. Toutefois, à notre connaissance, aucune étude systématique n’a été menée sur le sujet. Au demeurant, le comportement des juristes peut être appréhendé au-delà de cette grille de lecture traditionnelle.
9En effet, l’attitude des acteurs directs de l’affaire au palais, mais également l’attitude de la doctrine, en pleine rénovation scientifique en cette fin de xixe siècle, sont révélatrice d’une forme d’impuissance des hommes de loi à mobiliser le droit dans une affaire qui dépasse largement le champ juridique. « Paralysés » par le politique, soumis aux limites de leurs propres pouvoirs, mais aussi de leurs propres pratiques et science, les juristes semblent paradoxalement fort mal armés – pour ne pas dire désarmés – dans ce débat. Tiraillés entre l’ordre et la justice, ces derniers ne sont assurément pas les « rebelles » d’une affaire qui les a plutôt plongés dans le plus grand des embarras.
10Tandis que les praticiens du palais peinent à mobiliser le droit face à la toute-puissance de la « raison d’État » incarnée par l’armée (I), les juristes de la doctrine préfèrent, quant à eux, éluder une question qui les confronterait trop directement aux bornes et aux contradictions de leur magistère (II) [11].
I – Arracher la justice : les hommes du palais face à la raison d’État
11En janvier 1898 se produit un événement inattendu bouleversant la quiétude dans laquelle entendent demeurer les membres de l’état-major. Face à l’acquittement scandaleux d’un Esterhazy triomphant, les recours devant la justice militaire s’avèrent épuisés [12]. Or, les dreyfusards, dont Émile Zola est du nombre, sont fermement décidés à donner à l’affaire un nouvel élan. Publié le 13 janvier 1898 par L’Aurore, « J’accuse… ! » n’est pas seulement l’un des plaidoyers pour la justice les plus engagés de la littérature française. C’est aussi et avant tout un moyen efficace destiné à extraire l’affaire Dreyfus du contrôle total de l’armée, afin de la porter devant une juridiction civile. Ce faisant, l’écrivain contraint le ministre de la Guerre et son entourage à la pratique du droit, ne serait-ce que par la rédaction de la plainte qu’ils finissent par déposer. Sur les six colonnes publiées par L’Aurore, quelques rares lignes sont retenues [13], espérant ainsi exclure Dreyfus des débats. Les propos ciblés ne concernent que le récent acquittement du véritable coupable et malgré les protestations de Zola et de ses semblables [14], aucun changement n’est apporté sur ce point.
12Par ailleurs, l’état-major bénéficie très tôt de l’appui providentiel des membres de la cour d’assises ayant à juger Zola. À l’antidreyfusisme militaire initial, marqué par le mépris du droit et les préjugés xénophobes, s’adjoint un antidreyfusisme d’État personnifié par les magistrats de l’ordre judiciaire.
13L’attitude du président Delegorgue et de l’avocat général Van Cassel ne laisse sur ce point aucune équivoque. Durant les audiences, l’usage du droit que font ces magistrats illustre tantôt leur soutien officiel, tantôt leur sympathie officieuse à l’égard de la cause militaire. L’avocat général s’exprime peu, mais chacune de ses prises de paroles traduit son rôle de représentant non pas de la société dans son ensemble, mais de la petite caste d’officiers qui dirige alors l’armée [15]. Grâce à lui, les intérêts de ceux-ci sont assurés d’être saufs. Ne couvre-t-il pas de son autorité le travail des différents conseils de guerre [16] ? Désireux de plaire à tous, il ponctue son propos d’allusions xénophobes, matinées d’antisémitisme [17]. Outre cela, Van Cassel n’accède à aucune demande de la défense, pas même à l’octroi de deux fonctionnaires de police destinés à assurer la sécurité d’un témoin craignant pour sa vie [18]. Comment expliquer un tel comportement ? Réduire l’affaire Dreyfus à la seule cause du capitaine victime de ses chefs serait une erreur. Lors du procès Zola, ce sont deux visions de la société française qui s’affrontent et Van Cassel représente la tendance nationaliste et militariste, apanage de l’antidreyfusisme institutionnel. À la différence du président, qui pourtant joue ici un rôle identique, l’attitude de l’avocat général laisse davantage entrevoir ses opinions personnelles. Lors de ses prises de parole, le portrait d’un juriste conservateur semble se dessiner, notamment lorsqu’il qualifie « J’accuse… ! » comme l’acte d’un révolutionnaire destiné à semer la discorde dans l’armée au bénéfice de l’étranger [19]. Van Cassel va jusqu’à prétendre avoir cessé toute lecture de la presse dès avant le procès. Or que penser des propos tenus devant la Chambre des députés le 22 janvier 1898 par Méline, président du Conseil [20], que l’on retrouve dans la bouche et sous la plume de l’avocat général [21] ? Tous deux ne mettent-ils pas, au mot près, l’honneur de l’armée au-dessus de tous soupçons ? Et ne placent-ils par leur entière confiance entre les mains des douze jurés ?
14La perte de son procès par Zola et son conseil peut s’expliquer en grande partie par ces différents éléments. L’institution judiciaire, à l’image de l’ensemble de la société française, éprouve les plus grandes difficultés à s’extraire du contexte dans lequel s’inscrit l’affaire Dreyfus. Le comportement du président Delegorgue est à cet égard édifiant. À l’occasion de cet invraisemblable procès, le magistrat use de tous les moyens juridiques en sa possession pour soutenir, et raffermir au besoin, la défense des militaires. Outre la totale absence de partialité affichée par le président qui n’organise à aucun moment la police durant les débats [22], il dispose de différents outils pour parvenir à ses fins. Le premier est l’article 52 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Selon ce dernier, l’accusé et son conseil ne peuvent se défendre que sur les faits qualifiés et articulés dans la citation [23]. Le président entend appliquer de manière autoritaire ces dispositions. Or la défense relève à bon droit l’existence d’un lien de connexité entre les faits poursuivis, à savoir l’acquittement d’Esterhazy, et les faits accessoires, à savoir l’affaire Dreyfus. Mais Delegorgue rejette en bloc ses prétentions, allant ainsi à l’encontre d’une doctrine et d’une jurisprudence constante sur ce point [24]. Par ailleurs, Le huis clos adopté par les conseils de guerre devient une arme entre les mains du président qui souhaite exclure tous les éléments qu’il recouvre des débats. Or certains officiers ne sont pas familiers de la notion. L’un d’eux va même jusqu’à donner une définition personnelle et non juridique de la notion et Delegorgue laisse faire [25]. De plus, l’attitude obtuse du magistrat donne lieu à des échanges proprement surréalistes, à l’occasion desquels les notions juridiques de bonne foi [26] et de chose jugée [27] sont malmenées par le juge. Par ailleurs, la cour se montre protectrice à l’endroit des officiers contraints de déposer. Le secret entourant l’affaire Dreyfus est maladroitement apparenté à un secret professionnel [28] protégé par la loi, mais non absolu pour autant [29]. Or Delegorgue entend qu’il demeure inviolé malgré de légitimes protestations de la part de la défense. Subtilement, certains militaires créent l’amalgame entre secret professionnel et secret d’État. Le procès devient alors dangereux, car exiger la production d’un témoignage, d’une pièce supplémentaire, reviendrait à déclencher une guerre prématurée. Et tout cela pour quoi ? Pour l’auteur de La débâcle, défenseur d’un « juif » « traître à son pays » ? Le juge n’y est pas prêt et affiche sans ambiguïté son soutien à l’état-major en intimant une énième fois le silence à la défense au nom de « l’honneur et de la sécurité du pays » [30]. Tout comme les propos de l’avocat général, cette déclaration illustre une nouvelle facette de l’antidreyfusisme : l’incapacité d’un État républicain à remettre en cause une faute judiciaire sur laquelle se sont greffés de manière inopportune l’honneur déplacé d’une armée et la psychose nationaliste entretenue par celle-ci. À longueur d’audiences, Delegorgue s’évertue à faire preuve d’un entêtement borné, d’une interprétation autoritaire et parfois détournée de la règle de droit, annihilant ainsi toute sérénité des débats. Pour autant, l’attitude de ce praticien du droit n’est pas nécessairement révélatrice d’un conservatisme assumé et revendiqué. Au fil de ses interventions, le juge apparaît dépassé par sa fonction. Chaque jour, il préside une audience dans un palais de justice aux abords duquel se trouve une foule bigarrée hostile et violente à l’égard de Zola et des dreyfusards. Par ailleurs, il n’est pas sans connaître lui aussi les immenses implications politiques et sociales de l’affaire qu’il est chargé de juger. La haine libérée dès la publication de « J’accuse… ! » envers son auteur [31] et les menaces formulées à l’encontre des jurés sont autant d’éléments qu’il ne peut méconnaître [32]. Par ailleurs, face à lui, dans la salle d’audience, se bouscule une foule considérable composée de militaires et antidreyfusards de toutes sortes, mais aussi de très nombreux avocats et magistrats venus assister aux débats [33]. Pour toutes ces raisons, l’attitude du président Delegorgue peut être interprétée comme une volonté explicite de vouloir maintenir l’ordre public et ce, au prix de la justice. Le maintien du statu quo et la poursuite de l’action entreprise par les juridictions militaires deviennent un impératif pour la Cour et si l’état-major espère que le secret demeure, les juges souhaitent quant à eux maintenir un semblant de paix sociale.
15Dans de telles dispositions, Zola et son conseil ne disposent que d’une marge de manœuvre bien réduite. Cependant, par leur pratique du droit, les avocats Fernand Labori et Albert Clemenceau aidés par des juristes tels Me Leblois, Ludovic Trarieux et Léon Blum [34], vont parvenir à une double victoire, et ceci en dépit de la perte du procès Zola. À la défense de l’ordre public représentée par l’institution judiciaire, ces avocats s’engagent dans une lutte pour le droit et la justice.
16Premier gain considérable, l’habilité de ces praticiens permet de ramener l’affaire sur le terrain du droit. Ce faisant, ils dévoilent régulièrement les intérêts similaires que partagent ici juges et accusateurs [35], et font entendre le silence fracassant dans lequel on prétend les maintenir [36], alors qu’ils disposent d’arguments pour la révision de l’affaire. Si les antidreyfusards sont immédiatement satisfaits, leurs adversaires ont en réalité gagné la partie. C’est d’autant plus vrai lorsque sont envisagées les dépositions des témoins de tous bords. Outre la déposition salvatrice du colonel Picquart, les dreyfusards disposent de l’analyse d’experts ayant conclu à l’innocence de Dreyfus et, pour certains, à la culpabilité d’Esterhazy [37]. C’est la première fois qu’ils sont entendus publiquement. Il en va de même pour Me Demange, premier avocat du malheureux capitaine, qui, malgré les vociférations de Delegorgue lui intimant le silence, déclare non seulement que Dreyfus a été condamné illégalement, mais que cette illégalité repose sur la transmission d’un dossier secret en chambre de délibération [38]. Cette déclaration n’est pas sans produire un certain effet, de même que l’audition de Ludovic Trarieux, ancien ministre de la Justice. Ses interventions permettent de discréditer certains experts de l’accusation qui pourtant n’en avaient pas besoin, tel Alphonse Bertillon et les explications brouillonnes de ses petits graphiques.
17Concis et précis, les témoignages qu’apporte la défense malgré l’obstruction systématique du président permettent de ramener un peu de sérénité dans cette affaire et d’en révéler l’essence. Or parmi les experts favorables à Zola figurent quelques rares juristes dont les dépositions sont fondamentales. Outre les témoignages des avocats Demange et Leblois ainsi que celui de Trarieux, acteurs de l’affaire, il faut citer les dépositions de Louis Franck [39] et Paul Moriaud [40].
18Le premier est un avocat belge, le second est un avocat, professeur de droit et publiciste genevois. Malgré la paralysie dont fait preuve Delegorgue en tentant de les priver des moyens de leurs démonstrations, ces juristes représentent un atout majeur pour la défense. Deux indications sont ici particulièrement intéressantes. Tout d’abord, ces praticiens n’abordent aucune question de droit mais sont là en tant qu’experts en graphologie. Ensuite, ce sont tous deux des étrangers, l’éloignement géographique et politique leur laissant davantage de liberté et de sérénité pour émettre un point de vue contradictoire. Aussi timide qu’elle puisse paraître, la présence de juristes soutenant la défense s’avère bien réelle en ces instants cruciaux. C’est aussi ce que laissent supposer les applaudissements et manifestations diverses de solidarité venus d’avocats et même de magistrats dans le public, attitudes qui leur sont d’ailleurs reprochées [41]. Cependant, l’appui ponctuel de ces praticiens anonymes ne reflète pas l’esprit officiel du barreau parisien. En effet, Edmond Ployer, Bâtonnier de Paris, ne manque pas de saluer les membres de l’état-major contraints de déposer au procès, tout en les assurant de sa « respectueuse confiance », tout comme le font de nombreux avocats avec lui [42].
19Malgré l’hostilité tantôt latente, tantôt assumée de la cour, le travail acharné de ces juristes dreyfusards permet de considérables avancées. Le fait de ne jamais céder en rien sur les droits de la défense a pour conséquence d’entamer sérieusement l’accusation. Lors d’une confrontation brouillonne entre plusieurs témoins, l’impréparation des versions antidreyfusardes éclate au grand jour et l’existence d’un dossier secret, qui jusque-là était nié par l’état-major, devient une réalité embarrassante [43]. Plus embarrassante encore est la déclaration que finit par faire le général de Pellieux. Excédé par la tournure que prennent les débats, cet antidreyfusard tardif mais convaincu ayant occupé les fonctions d’officier de police judiciaire dans l’affaire Esterhazy, prend la parole. Il ne doute pas un seul instant de la culpabilité du déporté de l’île du Diable car il croit fermement en l’authenticité des documents qui l’accusent. C’est pour cette raison qu’il n’hésite pas divulguer l’existence d’un document comportant le nom de Dreyfus écrit en toutes lettres. Dans l’immédiat, c’est un coup rude porté à la défense. Mais sur un plus long terme, c’est une victoire sans précédent. Un jour, ce document sera examiné et la réalité de sa falsification comme celle de beaucoup d’autres ne pourra plus être niée [44].
20Très probablement rappelé à l’ordre par ses supérieurs, le général de Pellieux, lorsqu’il apparaît de nouveau à la barre, ne souhaite plus répondre aux questions pressantes de la défense. Le général de Boisdeffre prend sa place. Chef d’état-major, antidreyfusard convaincu depuis 1894, il ne vient que pour livrer une courte déclaration aux jurés dont il faut reproduire ici l’intégralité : « Je serai bref. Je confirme de tout point la déposition de M. le général de Pellieux, comme exactitude et authenticité. Je n’ai pas un mot de plus à dire ; je n’en ai pas le droit, je le répète, Messieurs les jurés, je n’en ai pas le droit. Et maintenant, Messieurs, permettez-moi, en terminant, de vous dire une chose, vous êtes le jury, vous êtes la nation ; si la nation n’a pas confiance dans les chefs de son armée, dans ceux qui ont la responsabilité de la défense nationale, ils sont prêts à laisser à d’autres cette lourde tâche, vous n’avez qu’à parler. Je ne dirai pas un mot de plus » [45]. Outre la confirmation des propos de son subordonné, la répétition multiple de l’empêchement « en droit » d’en dire davantage, produit l’effet escompté. De Boisdeffre instille l’idée déjà évoquée durant le procès, qu’au-dessus du droit commun des hommes, il y a la raison d’État. L’obliger à en dire davantage, c’est risquer la guerre alors même que l’on n’y est pas encore préparé. Par ailleurs, la menace formulée à l’encontre des jurés est limpide. L’acquittement du romancier entraînerait la démission de la tête de l’armée et aucun des douze jurés n’est prêt à endosser une telle responsabilité.
21À cet instant, le procès est définitivement perdu pour la défense et la Cour est plus que jamais convaincue de la mission qu’elle s’est fixée : maintenir la paix sociale à tout prix.
22Pour les avocats de la défense, la perte de ce procès marque le commencement d’un chemin de croix qui ne va prendre fin qu’avec la réhabilitation définitive du capitaine Dreyfus par la Cour de cassation en 1906. D’ici là, de nombreuses épreuves les attendent, à commencer par un second procès Zola. En effet, le 2 avril 1898, une demande de pourvoi contenant sept motifs de cassation formulée par Labori et Clemenceau reçoit une réponse favorable de la juridiction supérieure. Il s’avère que ce n’était pas au ministre de la Guerre qu’il revenait de porter plainte, mais aux membres du conseil de guerre ayant eu à juger Esterhazy. C’est aussi la première occasion pour le procureur général Manau de manifester son soutien à la cause dreyfusarde et de s’opposer aux attaques dont sont victimes les révisionnistes. Fait rarissime, le magistrat appuie ses propos d’une citation biblique : « Tu ne suivras point la multitude pour faire le mal et lorsque tu prononceras dans un procès, tu ne te détermineras point pour suivre le plus grand nombre jusqu’à pervertir le droit » [46].
23Mais cet appel à la sérénité ne peut encore être entendu. Les membres du conseil de guerre déposent une nouvelle plainte et le second procès Zola s’ouvre à Versailles, le 23 mai 1898. Après un nouveau pourvoi devant la Cour de cassation, les débats sont ajournés et reportés au 18 juillet. Sur les instances de son conseil et de ses amis, Émile Zola prend alors la route de l’Angleterre et débute son douloureux exil, échappant ainsi à la condamnation inévitable dont il est l’objet.
24Peu avant ce second procès, certains confrères de Labori se sont déjà attachés à démontrer leur divergence de point de vue avec ce dreyfusard. Convoqué par le Conseil de l’ordre en mars 1898, il s’est vu interdire l’exercice de sa profession pour une durée de six mois [47]. Demange est également convoqué pour les propos qu’il a tenus dans le premier procès Zola, mais n’est pas condamné [48]. Lorsque s’ouvre enfin le second procès Zola en juillet 1898, Labori et Clemenceau, avocats du romancier, s’opposent à Edmond Ployer, le bâtonnier parisien si déférent à l’égard des militaires et qui, depuis, est devenu leur avocat. À la même époque, Labori est battu aux élections des membres du Conseil de l’ordre et c’est Me Tezenas, avocat d’Esterhazy, qui est largement élu [49]. Ces différents faits tendent à prouver que le mécanisme de régulation des comportements qu’a prétendu assumer la cour d’assises lors du procès de février 1898 a vocation ici à se reproduire. Les avocats, sur lesquels ne pèsent pourtant pas les exigences institutionnelles identiques aux pressions subies par les magistrats, paraissent avoir accepté de suivre le même chemin.
25Ceci étant, ces quelques éléments relatifs aux comportements adoptés par les praticiens du droit à l’occasion des phases judiciaires majeures de l’affaire ne peuvent être généralisés au monde des juristes. En effet, en dehors de ces acteurs étroitement liés à l’affaire Dreyfus, il apparaît extrêmement complexe d’établir un panorama global des postures adoptées par une majorité de praticiens français. Cette difficulté tient essentiellement au silence, relativement prudent, dans lequel ces derniers sont demeurés. Sur ce point, les représentants de la doctrine juridique semblent avoir agi de même.
II – Le silence assourdissant de la doctrine : la science juridique dans l’affaire Dreyfus
26L’historiographie récente a montré que si le corps des professeurs de droit de la Belle Époque était majoritairement conservateur, composé de catholiques pratiquants, ces enseignants ne se distinguaient pas pour autant par un conservatisme acharné et arc-bouté sur les principes [50]. Au contraire, souvent proches des milieux catholiques sociaux ou libéraux, les juristes des facultés ont activement contribué – par des voies souvent complexes et indirectes – à la consolidation de l’État de droit républicain et à l’inéluctable réforme sociale du pays [51].
27Par un phénomène complexe de convergences d’idées et par le jeu de réseaux scientifiques, politiques ou de charité, les professeurs de droit se sont souvent retrouvés, au-delà des obédiences politiques et religieuses, autour de l’idée du progrès social, de la réforme et de l’amélioration, par la législation, de la condition populaire [52].
28Sans pour autant éteindre tous les conflits idéologiques [53], ces points de rencontres et ces œuvres communes ont pu contribuer à donner une apparence relativement consensuelle au corps des professeurs de droit, conservateurs, réformistes et républicains finissant par se retrouver autour des grands chantiers du temps.
29Il serait donc tout à fait abusif de faire des professeurs de droit un groupe d’antidreyfusards par culture conservatrice. En réalité, seuls quelques enseignants se sont ouvertement déclarés hostiles à Dreyfus, tandis que les dreyfusards et les républicains ont trouvé certains de leurs meilleurs éléments parmi les professeurs de droit [54]. Mais, dans les deux cas, il s’agit d’engagements individuels ou « citoyens » nullement représentatifs de la masse majoritairement silencieuse des juristes des facultés.
30Aussi surprenant que cela puisse paraître, les professeurs de droit ne sont ni les hérauts de l’antidreyfusisme, ni ceux du dreyfusisme ; ils se démarquent plutôt par leur incroyable silence, par une apparente neutralité qui résonne d’autant plus lourdement que les enseignants des autres facultés n’hésitent pas à s’engager plus massivement, et souvent avec fracas, dans l’affaire [55].
31Comment, dès-lors, expliquer ce tropisme du silence, dans une classe de la société que l’on aurait au contraire imaginée, sinon engagée, du moins particulièrement docte et diserte sur l’affaire Dreyfus ? Il n’y a évidemment pas de réponse unique à cette question.
32D’un point de vue politique, se déclarer dreyfusard ou antidreyfusard revient à se positionner publiquement vis-à-vis de la République et de ses valeurs. Or, nous l’avons vu, si les professeurs de droit ne sont pas particulièrement républicains, ils vont néanmoins s’accommoder du nouveau régime, dans lequel ils parviendront même à faire valoir leur expertise et leur influence. Les juristes des facultés ont donc certainement joué la prudence, comme tous les fonctionnaires assermentés, mais surtout le pragmatisme dans l’affaire Dreyfus, en évitant d’afficher trop ostensiblement des signes d’hostilité envers une République qui pouvait leur offrir des points d’entente et des opportunités.
33Toutefois, cette prudence ou ce pragmatisme politique n’expliquent pas, a priori, le silence des professeurs de droit sur le volet juridique de l’affaire. En effet, les juristes des facultés sont les seuls experts en mesure d’exciper de l’autorité scientifique [56], et de livrer ainsi le « point de vue de la science » sur l’affaire Dreyfus, au-delà du débat de société et des positions partisanes. L’apparente neutralité des professeurs de droit, faiblement mobilisés dans les campagnes dreyfusardes et antidreyfusardes, leur permettait en outre de revêtir sans trop de suspicions les oripeaux de la science.
34Un sondage superficiel de la presse généraliste et judiciaire couvrant cette affaire, ainsi qu’un coup d’œil sur les principales revues de science juridique du temps montrent cependant que les professeurs de droit se refusent largement à cet exercice. Si l’on trouve bien quelques interventions anecdotiques de juristes et d’enseignants dans des articles de presse venant expliquer un point technique de droit ou de procédure pour les lecteurs profanes, les exposés juridiques substantiels des universitaires sur l’affaire Dreyfus sont en revanche quasi-inexistants. En d’autres termes, la doctrine ne s’est pas emparée de l’affaire Dreyfus.
35Au moment le plus intense de la polémique, de la dénonciation d’Esterhazy en octobre 1897 à la grâce présidentielle de Dreyfus en septembre 1899, une controverse juridique à laquelle prennent part (entre autres) deux professeurs de droit, illustre la difficulté et les dangers de l’exercice pour la doctrine. À la suite de la publication dans le journal Le Siècle de l’article de Joseph Reinach, intitulé : « Le droit absolu de Madame Dreyfus » [57], un autre quotidien, Le Temps, décide d’interroger plusieurs juristes sur la question de la légalité du refus opposé par le ministre des Colonies à Lucie Dreyfus, qui lui demandait l’autorisation de pouvoir visiter son époux au bagne.
36Le professeur Léopold Thézard, de la faculté de droit de Poitiers [58], rédige une réponse dans laquelle il estime que le ministre viole la loi de 1873 réglant la condition des déportés, appuyant ainsi l’opinion de Reinach et les prétentions de Madame Dreyfus [59]. L’universitaire est d’ailleurs conforté dans son interprétation par un soutien de poids : le rapporteur de cette même loi, le comte d’Haussonville, pourtant antidreyfusard et adhérant à la Ligue de la patrie française, estime lui aussi que la loi confère à Lucie Dreyfus un droit « absolument indéniable » à rendre visite à son mari [60]. Toutefois, Jules Léveillée, député et professeur de droit public à la Faculté de droit de Paris, connu pour ses positions antidreyfusardes, également adhérant à la LPF, va soutenir la thèse contraire dans Le Petit Temps.
37Certes, la controverse juridique est un fondement ainsi qu’un moteur de la science du droit depuis Rome. En outre, les opinions discordantes des avocats sont monnaie courante dans la presse, et le lectorat apprécie ces passes d’armes judiciaires ; si l’on discute davantage le fait – pour ne pas dire le fait politique – dans l’affaire Dreyfus, le droit est lui aussi âprement débattu.
38Toutefois, sur la question finalement très annexe du droit de Madame Dreyfus à rendre visite à son époux, la doctrine affiche au grand jour son incapacité à s’accorder sur la « réponse de la science ». Pas plus que les autres juristes, les professeurs de droit ne parviennent à éclairer et à pacifier le débat grâce à leur expertise, et leur discours « scientifique » semble lui aussi se bi-polariser de manière irrésistible.
39Surtout, la note de Léveillée touche le cœur même de la science juridique, à savoir la méthode d’interprétation de la loi : « Rien n’est plus pernicieux que l’axiome commun qu’il faut consulter l’esprit de la loi. Adopter cet axiome, c’est rompre toutes les digues et abandonner les lois au torrent des opinions. […] Nous verrions les mêmes délits punis différemment, en différents temps, par le même tribunal, parce qu’au lieu d’écouter la voix constante et invariable des lois, il se livrerait à l’instabilité trompeuse des interprétations arbitraires. […] Ces désordres funestes peuvent-ils être mis en parallèle avec les inconvénients momentanés que produit quelquefois l’observation littérale des lois ? […] du moins, en suivant la lettre de la loi, on n’aura point à craindre ces raisonnements pernicieux ni cette licence empoisonnée de tout expliquer d’une manière arbitraire, et souvent avec un cœur vénal » [61].
40Or cette critique sur l’interprétation de la loi par son « esprit », si elle n’est pas inédite non plus, intervient dans le contexte très particulier du renouvellement de la science juridique et de ses méthodes, amorcé depuis une dizaine d’années déjà au sein des Facultés [62].
41Tandis que les études de droit s’ouvrent et s’enrichissent de nouvelles branches engendrées par la révolution industrielle [63], quelques enseignants se lancent à la Belle Époque dans un vaste mouvement de rénovation méthodologique pour sauver l’enseignement civiliste, devenu symbole du conservatisme [64], mais aussi pour rasseoir le rôle social des juristes et la valeur épistémologique de leurs travaux. En effet, à la fin du xixe siècle, la science juridique commence à subir un sérieux déclassement face aux nouvelles sciences sociales, économiques et politiques, bien plus en phase avec la société et ses problématiques que le droit des vieux codes napoléoniens.
42Parmi ces professeurs rénovateurs, citons Claude Bufnoir, Raymond Saleilles, François Gény, Edouard Lambert, Adhémar Esmein, Etienne Bartin, Marcel Planiol, Louis Josserand ou encore René Demogue [65]. Le mot d’ordre de cette avant-garde universitaire est de faire du droit un « objet vivant », et de la science juridique, une véritable « science d’observation » qui permette de saisir, d’ordonner et d’anticiper les phénomènes juridiques et sociaux [66]. Pour mieux marquer ce nouvel âge scientifique, ces auteurs reprochent à leurs prédécesseurs d’avoir eu un rapport « fétichiste » à la loi [67], et de s’être trop longtemps enfermés dans une glose abstraite des textes, s’éloignant ainsi progressivement des réalités sociales et des transformations du droit vivant. La vieille « École de l’Exégèse », dont on écrit désormais l’histoire critique en guise de funérailles [68], laisse donc sa place à une nouvelle « École scientifique », aux méthodes rigoureuses et reconnectées avec le social. En somme, il s’agit de faire du droit une véritable science positive, débarrassée de son rapport quasi théologique avec les textes ; il en va désormais de la crédibilité scientifique de la doctrine.
43Sur la question de l’interprétation, les rénovateurs s’accordent sur le fait que la loi ne peut couvrir la totalité de l’ordre juridique ; imprécise, incomplète, en retard sur les transformations sociales, parfois désuète, elle ne saurait constituer l’Alpha et l’Omega du professeur comme du juge. Il revient donc à la doctrine d’interpréter, de compléter, d’adapter, de rationaliser et d’anticiper les règles par des procédés « véritablement scientifiques ». Ainsi, Raymond Saleilles propose le recours à la « méthode historique » : prenant en compte toute la complexité de la réalité sociale, les juristes doivent « traduire le social » au moyen de constructions juridiques stables et rationnelles, soustraites « autant que possible à l’arbitraire ». François Gény va plus loin en préconisant, avec sa « libre recherche scientifique », un recours approfondi aux sciences morales, sociales, comparatives et politiques, toutes les fois où l’interprétation stricte des textes s’avère impossible ou insuffisante. Quant à Edouard Lambert, ne croyant ni en la possibilité de découvrir la nature « objective » des choses positives, ni en l’utilité des sciences sociales encore balbutiantes, il recommande plutôt l’étude de la jurisprudence, ce droit en mouvement et en prise permanente avec la société [69]. Dans tous les cas, le travail doctrinal ne doit pas être un exercice éthéré : il doit in fine guider les praticiens – en particulier les juges dans leurs décisions, mais aussi le législateur dans son œuvre réformatrice.
44Dans ce contexte d’intenses réflexions épistémiques et méthodologiques, l’affaire Dreyfus est une véritable gageure pour la doctrine. En effet, elle fragilise les prétentions scientifiques et les atours d’autorité laborieusement repensés et reconquis par les rénovateurs de l’École. L’attaque frontale de Léveillée sur l’un des points les plus sensibles de la science juridique, à savoir l’interprétation de la loi, affiche au grand jour la fragilité de cette discipline, dont même les principes fondamentaux sont incertains et débattus. Si l’histoire de la pensée juridique est parsemée de controverses habituellement restreintes à une littérature d’initiés, cette controverse-là affaiblit dangereusement la doctrine, parce qu’elle se tient dans un contexte hors-normes : en effet, l’affaire Dreyfus rend tout acte de science impossible ou inaudible, tant elle est politisée, médiatisée, polarisante. D’ailleurs, les lecteurs de la Belle Époque, tout comme les lecteurs d’aujourd’hui, ne sauraient interpréter les propos des professeurs Léveillée et Thézard qu’au travers du filtre de la grille dreyfusarde ou antidreyfusarde.
45En d’autres termes, la doctrine dans l’affaire Dreyfus est au mieux inaudible, au pire décrédibilisée. Le discours scientifique n’a aucune prise face à la lame de fond du scandale national, et toute dissension trop marquée dans la parole doctrinale signe l’acte de décès de la « nouvelle » science du droit. En effet, l’affaire Dreyfus met à nu l’irréductible élément axiologique et politique de la science juridique, sorte de « partie honteuse » que l’École scientifique ne parvient pas à cacher ici.
46Si les controverses doctrinales sont quasi-inexistantes sur cette affaire, et l’on comprend pourquoi, un auteur de l’École osera toutefois prendre la plume à deux reprises dans le recueil Sirey pour y commenter les arrêts du 3 juin 1899 cassant le jugement du 22 décembre 1894, et celui du 12 juillet 1906 réhabilitant Dreyfus [70] : il s’agit du professeur Jean-André Roux, de l’université de Dijon [71]. À notre connaissance, il est le seul universitaire à avoir commenté ces décisions capitales dans une revue juridique pendant l’affaire.
47La façon dont Roux aborde ces arrêts est symptomatique du malaise de la doctrine vis-à-vis de l’affaire Dreyfus, et de l’incapacité de cette dernière à offrir une réponse et un arbitrage à la hauteur de l’événement.
48D’emblée, le professeur met ses lecteurs en garde : « En annotant cette retentissante affaire, notre premier mot sera pour dire que nous n’entendons en aucune façon la juger en fait, car telle n’est pas notre mission. Mais les arrêts de la chambre criminelle et des chambres réunies contiennent des questions de droit, séparables du procès et indépendantes de toute opinion sur le fond. Ce sont ces questions que nous nous proposons de retenir, et d’examiner en toute liberté d’esprit, en ne demandant au procès que le juste nécessaire pour leur exposition » [72]. En somme, Roux prétend écarter le cœur factuel, politique et social du procès, pour ne s’occuper que de questions de droit extraites des arrêts et saisies dans l’abstrait. Nous voilà bien loin des préconisations de l’École scientifique, et du rôle éminent d’experts de la société que les juristes de la doctrine prétendent (ré)occuper !
49Voilà donc le prix fort élevé de la « neutralité » et de « l’objectivité » de la science juridique, ou plus précisément, de la dogmatique juridique. Néanmoins, le choix de Jean-André Roux, qu’on imagine d’abord dicté par la prudence, est particulièrement malhabile.
50D’une part, et dans les deux arrêts commentés, il se montre inflexiblement légaliste, attaché à une interprétation stricte des articles relatifs à la révision, au contraire de la Cour de cassation qui en a une interprétation extensive. Ainsi, la Haute juridiction semble non seulement plus réaliste, plus consciente des enjeux en présence, mais aussi plus « juste » que le professeur qui dissèque derrière son bureau une règle abstraite, volontairement coupée de son contexte explosif. En effet, dans son commentaire de l’arrêt de 1906, Roux rappelle la théorie qu’il avait déjà défendue dans l’arrêt de 1899 : « Dans une note précédente, nous avions fait observer que l’innocence, que la Cour de cassation vérifie et reconnaît, est non pas l’innocence réelle du condamné, mais une innocence contingente en quelque sorte, une innocence formelle […]. Aujourd’hui, en y réfléchissant à nouveau, il nous semble que cette théorie a eu autrefois la consécration de la Cour de cassation dans une circonstance particulièrement importante, dans l’affaire Lesurques. Dans cette cause, […] la Cour suprême ne s’est point demandé, et elle n’a point recherché, pour calmer l’émotion du pays […] si Lesurques avait été pris pour Dubosq, et si un innocent n’avait pas payé pour le coupable. Quoi qu’il pût lui en coûter, elle se renferma dans la loi, dont elle était gardienne ; elle vérifia si le verdict qui avait frappé Lesurques était inconciliable avec celui qui concernait Dubosq, et, s’en tenant à cet examen, ne reprit pas le procès, ne voulant pas procéder à la révision sous prétexte de chercher s’il y avait lieu à révision. […] Interprètes de la loi, nous sommes obligés de déclarer, avec la Cour de cassation d’autrefois, que, dans le système de notre droit, c’est la seconde qui a eu les préférences du législateur hier, et aussi aujourd’hui » [73]. Par conséquent, Roux estime que la Cour de cassation aurait dû se contenter, conformément à une interprétation stricte du droit, de rechercher la « vérité formelle », c’est-à-dire de limiter son pouvoir au « jugement du jugement », et de ne pas procéder à la recherche de la « vérité réelle » comme elle l’a fait !
51Bien que l’argument d’un éventuel dépassement de pouvoir par la Cour de cassation soit audible et discutable, celui du rejet de la « vérité réelle » l’est nettement moins, fût-il appuyé par la rigueur des textes et par le vieil arrêt Lesurques. Ainsi, s’il peut se justifier en « droit abstrait », le raisonnement du professeur ne se justifie plus en « droit vivant » ; il apparaît donc non seulement déconnecté, en deçà des enjeux politiques et sociaux de l’affaire, mais aussi particulièrement injuste.
52D’autre part, le confinement à la technique juridique et aux règles abstraites n’est pas un satisfecit de neutralité ni d’objectivité. Le raisonnement de Roux conduit en effet à rejeter les arrêts de révision de la Cour de cassation, le professeur estimant qu’elle a dépassé ses pouvoirs de juge du seul droit. Or un tel raisonnement peut faire penser que Roux a des affinités antidreyfusardes ; et même si ce n’était pas le cas, le doute est permis et n’est pas dissipé par la technicité ou la juridicité du propos.
53S’ils ont le mérite d’exister, les commentaires d’arrêts du professeur Roux sur l’affaire Dreyfus sont donc particulièrement décevants. Ils illustrent l’inconfort de la doctrine à sortir du champ de la dogmatique, malgré les déclarations d’intentions de l’École scientifique qui se multiplient au même moment, et malgré le caractère hors normes de cette affaire. Ils illustrent également l’impossible neutralité du discours juridique, même lorsque ce dernier est construit autour de raisonnements éthérés, sans prises avec le fait. Le juriste peut bien se livrer à un exercice de logique juridique et d’interprétation détaché du réel : dans une cause aussi sensible que celle de Dreyfus, le discours juridique et ses conclusions seront reçus et interprétés par le lecteur à l’aune de l’affaire et de son contexte.
54Le contraste entre ces juristes « désarmés » de l’affaire Dreyfus et les juristes « engagés » quelques années plus tard, au cœur de la Grande Guerre, apparaît alors saisissant. Si les magistrats et avocats ont eu bien des hésitations et des difficultés à mobiliser le droit face à une prétendue « raison d’État » incarnée par l’armée, et si la doctrine a préféré se murer dans un silence quasi unanime sur une affaire qui pouvait pourtant l’intéresser au premier chef, il n’en est plus de même à partir de l’été 1914. Au-delà des mobilisations sur le front, les juristes – et en particulier les universitaires – soutiendront également l’effort de guerre en menant une vaste campagne de « patriotisme juridique » contre l’Allemagne et ses alliées. Quittant parfois sans retenue le champ juridique pour celui du politique, la parole libérée des hommes de loi tranche alors radicalement avec la parole tue du temps de Dreyfus. Il faut dire qu’en 1914, les juristes n’auront aucun mal à faire marcher le droit au pas des intérêts supérieurs de l’État en guerre ; force est de constater que mobiliser le droit contre la « raison d’État » leur fut un exercice autrement plus délicat.
Notes
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[1]
V. notamment E. Naquet, « L’historiographie récente de l’affaire Dreyfus (2005-2006). À propos de quelques parutions », Revue historique 2007/2 (n° 642), p. 369-378. DOI 10.3917/rhis.072.0369 ; parmi les incontournables, v. entre-autres V. Duclert, L’affaire Dreyfus, La découverte, Paris, 2012 ; J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, Fasquelle, Paris, 1929 ; J.-D. Bredin, L’Affaire, Paris, 1983, 2e éd, 1994, M. Thomas, L’affaire sans Dreyfus, Fayard, Paris, 1961.
-
[2]
J.-D. Bredin, L’Affaire, op. cit., p. 127.
-
[3]
V. Duclert, « 1894-1906 Histoire d’un événement », V. Duclert et P. Simon-Nahum (dir.), Les événements fondateurs de l’affaire Dreyfus, Armand Colin, Paris, p. 27-29.
-
[4]
V. notamment De la justice dans l’affaire Dreyfus, Actes du Colloque organisé par la Cour de cassation et la Société internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus le 19 juin 2006, Fayard, Paris, 2006.
-
[5]
Sur Paul Viollet et sur ses combats, v. récemment P. Arabeyre, F. Audren et A. Gottely (dir), Paul Viollet (1840-1914), un grand savant assoiffé de justice, exposition virtuelle, http://expo-paulviollet.univ-paris1.fr/
-
[6]
On le sait, l’École des Chartes fut un foyer du dreyfusisme, v. notamment T. Ribémont, « Les historiens chartistes au cœur de l’affaire Dreyfus », Raisons politiques 2005/2 (no 18), p. 97-116. DOI 10.3917/rai.018.0097 ; B. Joly, « L’École des chartes et l’affaire Dreyfus », Bibliothèque de l’École des chartes, Paris, Chartes, t. 147, 1989, p. 611-671 ; « La bataille des experts en écriture », L’Histoire, n° 173, janvier 1994, p. 36-41.
-
[7]
Selon Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, « l’intellectuel ne se définit pas par ce qu’il est, une fonction, un statut, mais par ce qu’il fait, son intervention sur le terrain du politique, compris au sens du débat sur la ‘cité’ […]. Il ne sera pas l’homme ‘qui pense’ mais l’homme qui communique une pensée », J.-F. Sirinelli et P. Ory, Les intellectuels en France de l’affaire Dreyfus à nos jours, Armand Colin, coll. U, 2e éd., Paris, 1992, p. 9. Il est aujourd’hui admis que le mot est « né socialement » avec l’affaire Dreyfus, v. notamment M. Tournier, « Des mots en politique. Les intellectuels, déjà, encore, toujours », Mots, no 37, 1993, p. 106-110.
-
[8]
V. F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française, entre mythes et réalités, CNRS Éditions, Paris, 2013, p. 146 et s..
-
[9]
Si les récents travaux sur la (les) culture(s) juridique(s) française(s) ont renouvelé les approches et les propositions sur ces questions, elles sortent du champ résolument plus modeste de notre étude. V. notamment F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française, entre mythes et réalités, op. cit. ; A.-S. Chambost (dir.), Approche(s) culturelle(s) des savoirs juridiques, actes du colloque du 13 décembre 2017 organisé à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, CERCRID (UMR 5137), à paraître.
-
[10]
La formule est de T. Ribémont, « Les historiens chartistes au cœur de l’affaire Dreyfus », op. cit ; V. notamment sur ce point C. Charle, Naissance des « intellectuels 1880-1900, Minuit, Paris, 1990.
-
[11]
La première partie de cet article est rédigée par Clément Aubisse, ATER en histoire du droit à l’Université de Bordeaux (CAHD) ; la seconde est écrite par Pierre-Nicolas Barenot, maître de conférences en histoire du droit à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (CerCrid).
-
[12]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 300 – 306.
-
[13]
Le procès Zola, 7 février – 23 février 1898 devant la cour d’assises de la Seine. Compte rendus sténographique « in extenso », France, Stock, 1998, p. 21.
-
[14]
H. Mitterand, Zola. Tom III. L’honneur 1893 – 1902, Fayard, Paris, 2002, t. 3, p. 392.
-
[15]
Le procès Zola…, op. cit., p. 802 et 816-817.
-
[16]
Ibid., p. 814.
-
[17]
Ibid., p. 790, 797.
-
[18]
Ibid., p. 747.
-
[19]
Ibid., p. 820.
-
[20]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 322.
-
[21]
Le procès Zola…, op. cit., p. 818.
-
[22]
Code d’instruction criminelle et Code pénal, Dalloz, Paris, 1913, p. 134.
-
[23]
Ibid., p. 614.
-
[24]
R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, Paris, Librairie de la Société de Recueil général des lois et des arrêts, 1898, t. 3, p. 218. V° également Barbier Georges, Code expliqué de la presse, traité général de la police de la presse et des délits de publication, Paris, Marchand et Billard, 1887, p. 443.
-
[25]
Le procès Zola…, op. cit., p. 204.
-
[26]
Ibid., p. 50, 56.
-
[27]
Ibid., p. 101, 134, 190, 212, 453, 991.
-
[28]
Ibid., p. 151.
-
[29]
Code d’instruction criminelle et Code pénal…, op. cit., p. 443.
-
[30]
Le procès Zola…, op. cit., p. 754.
-
[31]
Au lendemain de la publication de « J’accuse… ! », un placard de trois feuillets est répandu sur les murs de Paris. Intitulé La réponse de tous les Français à Émile Zola, l’auteur y est copieusement insulté et promis à la potence. V. www.collection-privée.org/public/galerie-photo-dreyfus
-
[32]
M. Winock, Le siècle des Intellectuels, le Seuil, Paris, 2006, p. 37. Le 12 février, l’un des jurés se fait excuser pour cause de maladie. En réalité, Auguste Leblond est terrifié depuis une récente altercation qu’il a eu avec le commandant Esterhazy dans un lieu public. Par ailleurs, les noms et adresses des jurés sont connus de tous depuis leur diffusion dans la presse et des lettres de menaces leur sont envoyées. Enfin, La Libre Parole a fait imprimer et placarder un « appel aux Français » le premier jour du procès. Il contient des menaces à l’encontre des jurés si ces derniers n’accomplissent pas leur devoir de patriotes. V° notamment sur ce point H. Mitterand, Zola…, op. cit., p. 393.
-
[33]
A. Pagès, « Impressions d’audiences », De la justice dans l’affaire Dreyfus, op.cit., p. 4.
-
[34]
L. Blum, Souvenirs sur l’affaire, Gallimard, Paris, 1982, p. 132.
-
[35]
Le procès Zola…,op. cit., p. 107, 431, 735.
-
[36]
Ibid., p. 545. À l’occasion de ce procès, le président va jusqu’à rendre un arrêt de règlement contre des conclusions déposées par la défense alors même que cette pratique est bannie des juridictions depuis la Révolution française.
-
[37]
V° par exemple ibid., pp. 513-514, 537-538, 541, 546-547, 558, 575, 583, 654-669.
-
[38]
Le procès Zola…., op. cit., pp. 402-404, 409-410.
-
[39]
V° notamment Le procès Zola…, op. cit., p. 559-590.
-
[40]
V° notamment ibid., p. 654-669.
-
[41]
Ibid., p. 637. J.-D. Bredin, L’affaire…, p. 126.
-
[42]
Y. Repiquet, « Discours d’ouverture », De la justice dans l’affaire Dreyfus, op. cit, p. 2.
-
[43]
Le procès Zola…, op. cit., p. 364.
-
[44]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 410.
-
[45]
Le procès Zola…, op. cit., p. 724.
-
[46]
J.-D. Bredin, L’affaire…, op. cit., p. 381.
-
[47]
Y. Repiquet, « Discours d’ouverture… », De la justice…, op. cit., p. 2.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
V. notamment F. Audren et R. Patrice, « Enseigner le droit dans la République. Ouverture », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, vol. 29, no. 1, 2011, p. 3-6. ; F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française…, op. cit., spéc. Chap. 3, p. 111-155.
-
[51]
F. Audren et R. Patrice, « Enseigner le droit… », op. cit. ; sur la question sociale à la Belle Époque, v. notamment J. Donzelot, L’invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, coll. L’Espace du Politique, Fayard, Paris, 1984 ; M.-C. Blais, La solidarité. Histoire d’une idée, coll. Bibliothèque des idées, Gallimard, Paris, 2007.
-
[52]
V. F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique…, op. cit., p. 147 et s.. ; A. Stora-Lamarre, La République des faibles. Les origines intellectuelles du droit républicain 1870-1914, Armand Colin, Paris.
-
[53]
V. notamment F Audren et J.-L. Halperin, La culture…, op. cit., pp. 148-149 sur les tensions nationalistes et antisémites au sein des facultés de droit.
-
[54]
V. supra, Introduction.
-
[55]
V. notamment C. Charle, « Les étudiants et l’affaire Dreyfus », Cahiers Georges Sorel, 4, 1986, pp. 26-43 ; Naissance des « intellectuels » 1880-1900, Paris, Minuit, 1990 ; P. Ory, « Modestes considérations sur l’engagement de la société culturelle dans l’affaire Dreyfus », M. Denis, M. Lagrée et J. Veillard (dir.), L’affaire Dreyfus et l’opinion publique : en France et à l’étranger, Presses universitaires de Rennes, 1995, pp. 37-49, doi :10.4000/books.pur.16497.
-
[56]
À la fin du xixe siècle, les professeurs de droit se sont accaparé du monopole de l’autorité scientifique, au détriment des praticiens du droit, dont la production scientifique et théorique diminue considérablement à partir des années 1880. La science juridique, à laquelle les professeurs s’assimilent désormais volontiers sous le vocable de « doctrine », est devenue le pré carré des universitaires. Outre cette autorité scientifique, les professeurs de droit jouissent d’une autorité institutionnelle encore forte à la fin du siècle, notamment grâce au difficile et prestigieux concours de l’agrégation qui les distingue des autres enseignants du supérieur. Sur ce point v. F. Audren et J.-L Halpérin, La culture…, op. cit.
-
[57]
J. Reinach, « Le droit absolu de Madame Dreyfus », Le Siècle, 20 mars 1898.
-
[58]
Léopold Thézard (1840-1907) était également sénateur inscrit au groupe de la gauche républicaine.
-
[59]
« Mme Dreyfus paraît solliciter comme une faveur d’aller retrouver son mari ; en réalité, elle doit réclamer l’exercice d’un droit absolu. Les textes sont formels. », cit. par J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, T.2, Fasquelle, Paris, 1903, p. 180.
-
[60]
« J’ai lu l’article du Siècle, et il est, en ce qui concerne mon rapport, parfaitement exact ; je n’ai donc rien à ajouter. », id.
-
[61]
J. Léveillée, in J. Reinach, L’Affaire Dreyfus Vers la Justice par la Vérité, Paris, P.-V. Stock, éditeur, 1898, p. 92 à 94 ; J.-L. Clément, « Du droit dans l’affaire Dreyfus, 1894-1899 » « Du droit dans l’Affaire Dreyfus » Revista critica de las relaciones laborales y de la política social, n° 10, décembre 2015 - mars 2016, p. 17 à 43, http://www.eumed.net/rev/historia/10/alfred-dreyfus.html.
-
[62]
Sur ce vaste sujet, nous renvoyons, entre autres, aux travaux de N. Hakim, L’autorité de la doctrine civiliste française au xixe siècle, L.G.D.J., Paris, 2002 ; N. Hakim et F. Melleray (dir.), Le renouveau de la doctrine française. Les grands auteurs de la pensée juridique au tournant du xxe siècle, Dalloz, Paris, 2009 ; M.-C. Belleau, « Les juristes inquiets : classicisme juridique et critique du droit au début du xxe siècle en France », Les Cahiers du Droit, t. 40, 1999, pp. 507-544 ; C. Jamin, « L’oubli et la science, regard partiel sur l’évolution de la doctrine privatiste à la charnière des xixe et xxe siècles », Revue trimestrielle de droit civil, 1994, pp. 815-827 ; C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, Dalloz, Paris, 2004 ; J.-L. Halpérin et F. Audren, La culture juridique…, op. cit. ; F. Audren, Les juristes et les mondes de la science sociale en France. Deux moments de la rencontre entre droit et science sociale au tournant du xixe siècle et au tournant du xxe siècle, thèse de droit, Dijon, dactyl., 2005 ; A. Chatriot, « Les juristes et la IIIe République, note critique », Cahiers Jaurès, Société d’Études Jaurésiennes, n° 204, 2012/2, spéc. p. 83.
-
[63]
Sont notamment officiellement introduits dans les Facultés de droit des cours d’économie politique (1877), d’histoire générale du droit français (1880), de droit constitutionnel (1889) ou encore, à titre optionnel, des cours de législation financière, industrielle ou coloniale.
-
[64]
V. notamment ce que pouvait écrire à ce sujet le professeur E. Lambert, « Une réforme nécessaire des études de droit civil », Revue internationale de l’Enseignement, n° 4, 1900, p. 229.
-
[65]
À ces auteurs essentiellement privatistes (Esmein mis à part), il convient évidemment d’adjoindre les grandes figures de la doctrine publiciste que furent Maurice Hauriou, Léon Duguit ou encore Léon Michoud.
-
[66]
V. C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, op. cit., spéc. p. 141 et s..
-
[67]
F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif : essai critique, Marescq aîné, Paris, 1899 (2e édition revue et complétée, 2 t., 1919), t.1.
-
[68]
V. les travaux de J. Bonnecase, L’école de l’exégèse en droit civil : Les traits distinctifs de sa doctrine et de ses méthodes d’après la profession de foi de ses plus illustres représentants, 2e éd., E. de Boccard, Paris, 1924 ; La pensée juridique de 1804 à l’heure présente : ses variations et ses traits essentiels, Delmas, Bordeaux, 1933 ; J. Charmont et A. Chausse, « Les interprètes du Code civil », Le Code Civil 1804-1904 Livre du Centenaire, rééd. présentée par J.-L. Halpérin, Dalloz, Paris, 2004, p. 133-172 ; E. Gaudemet, L’interprétation du Code civil en France depuis 1804, Présentation de C. Jamin et P. Jestaz, bibliographie critique par F. Rolin, Collection du deuxième centenaire du Code civil, La Mémoire du Droit, Dalloz, Paris, 2002.
-
[69]
V. C. Jamin et P. Jestaz, La doctrine, op. cit., p. 142-143.
-
[70]
J.-A. Roux, S. 1907, 1, p. 49 et s.. ; S. 1901, 1, p. 297 et s.
-
[71]
Sur Jean-André Roux (1866-1954), v. notamment J.-J. Clère, « Roux, Jean-André », P. Arabeyre, J.-L. Halpérin et J. Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français, xiie-xxe siècle, Quadrige, P.U.F., Paris, 2007, p. 683-684.
-
[72]
J.-A. Roux, S. 1901, 1, p. 297.
-
[73]
J.-A. Roux, S. 1907, 1, p. 50.