Couverture de DOCSI_481

Article de revue

Fondements et enjeux

Pages 24 à 37

Notes

  • [1]
    Nous reprenons ici les travaux présentés dans un ouvrage publié en 2008 : Patrice Noailles, en collab. avec Serge Chambaud, L’innovation - valeur, économie, gestion, Éditions ESKA, 229 p.
  • [2]
    Source : L’innovation - valeur, économie, gestion.
  • [3]
  • [4]
    Source : Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupâquier, Histoire des populations de l’Europe, Fayard, 1998-1999.
  • [5]
    Notamment dans son ouvrage Race et histoire, Unesco, 1952.
  • [6]
    Source : L’innovation - valeur, économie, gestion.
  • [7]
    Dans La Machine et le chômage, Dunod/Bordas, 1980.
  • [8]
    J. Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, 1954, rééd. Économica, 1990, p. 27.
  • [9]
    P. Le Masson, B. Weil, A. Hatchuel, Les processus d’innovation : conception innovante et croissance des entreprises, Hermès science publications, Lavoisier, 2006.
  • [10]
    R. Maniak, C. Midler, « Shifting from co-development to co-innovation », International journal of automotive technology and management, 2008, vol. 8, n° 4, p. 449-468.
  • [11]
    H. W. Chesbrough, « The era of open innovation », MIT Sloan management review, 2003, vol. 44, n° 3, p. 35–41.
  • [12]
    A. B. Hargadon A. 2002, « Knowledge brokering: a network perspective on learning and innovation », in B. Staw, R. Kramer (eds), Research in organizational behavior, 2002, n° 21, p. 41-85.
  • [13]
    Créée en 1993 par Jean-Luc Hannequin, de la CCI de Rennes, et actuellement dirigée par Hervé Daniel, Créativ a été labellisée Centre européen d’entreprise et d’innovation (CEEI). Créativ a conçu, expérimenté et formalisé une méthode, testée et déployée sur plus de mille entreprises, conçue pour s’adapter à toutes les entreprises quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, ainsi qu’aux projets innovants et aux créations d’entreprises.
  • [14]
    Pascal Morand, Delphine Manceau, Pour une nouvelle vision de l’innovation, La Documentation française, Rapports officiels, 2009.
  • [15]
    Pour plus de développement sur les liens entre incertitude et stratégie et entre incertitude et innovation, lire : Vincent Boly, Ingénierie de l’innovation, organisation et méthodologies des entreprises innovantes, Hermès Lavoisier, 2008.
  • [16]
    Voir : Alpha Diallo, Loïc Lebigre, L’intelligence stratégique en cours de normalisation : quelles perspectives ? », Documentaliste - Sciences de l’information, septembre 2010, vol. 47, n° 3.
  • [17]
    Pour plus de précisions sur le management de l’innovation, lire : Arnaud Groff, Manager l’innovation, 100 questions pour comprendre et agir, Afnor Éditions, 2009.

Quatre approches de l’innovation

1Repères. Qu’entend-on précisément par innovation ? En ouverture à ce dossier, il s’impose de définir cette notion ainsi que celle d’innovateur, de rappeler brièvement dans quel processus historique s’inscrit l’innovation contemporaine et d’introduire la notion de valeur d’innovation.

1 – Définition (économique) de l’innovation

Origine

2L’innovation est un concept économique relativement récent. Joseph Schumpeter a tenté de l’introduire dans la science économique juste avant le Première Guerre mondiale. Sans grand succès. Le concept reste ignoré jusque dans les années 1980, la plupart des économistes la considérant comme une donnée externe à leur théorie. Puis, s’avisant qu’on ne peut ignorer un phénomène qui explique plus de 50 % de la croissance, un courant de la théorie économique essaie de réintégrer cette variable essentielle sous forme de théorie de la croissance endogène en s’efforçant de trouver des explications rationnelles et mécaniques à l’innovation : la formation, la recherche, la facilité de communication, etc. Avec un succès limité.

Définition

3Dans l’innovation et son analyse, tout – ou presque – tient dans la définition [1]. L’innovation est une amélioration durable de l’efficacité économique globale d’une société (au sens sociologique du terme). Autrement dit, l’innovation est une création de valeur globale et durable pour la société.

Typologie

4L’innovation peut être incrémentale (faible variation de la rentabilité) ou de rupture (forte amélioration en un faible temps), voire intermédiaire comme c’est le cas de l’évolution du microprocesseur depuis cinquante ans. La nature de cette innovation peut être technique ou organisationnelle, voire légale. C’est son effet économique global qui la définit et non sa forme ou sa matière. Elle peut être matérielle ou intellectuelle (une loi). Elle peut être de produit ou de process. Peu importe, l’essentiel est qu’elle apporte une amélioration durable de l’efficacité économique de la société. Elle peut même être une simple « transplantation », comme le développement de la pomme de terre en Europe qui a amélioré la capacité de notre agriculture à nourrir la population.

5Pour souligner les limites du concept, il faut noter que la mode n’est pas de l’innovation : elle ne crée pas de valeur mais déplace simplement le bénéficiaire de la valeur (le concepteur-fabricant). Par contre l’apparition de nouveaux textiles constitue généralement une innovation. La création n’est donc pas nécessairement innovante du point de vue économique. Elle est « différenciante » mais pas innovante. C’est l’invention du cinéma qui est une innovation, mais chaque film n’est pas une innovation économique. De même pour le livre.

Invention et innovation

6Il faut aussi remarquer qu’une invention n’est pas une innovation. Pour résumer, il est possible de dire que ce qui caractérise une innovation, c’est la commercialisation généralisée d’une invention. Ce n’est pas l’invention du moteur à quatre temps qui fait l’automobile (cette étape précède l’automobile de près de 30 ans), c’est la combinaison d’un moteur suffisamment abouti avec une structure technique qui permet de créer un objet dénommé « automobile ». L’innovateur est celui qui accomplit ce basculement : définition du standard technique efficient, définition du modèle économique bénéficiaire et réalisation des premières ventes.

Le processus d’innovation

7On a longtemps cru qu’il y avait une « règle » de continuité entre les différentes étapes de l’innovation [figure 1 [2]]. Aujourd’hui, il reste de cette première approche un certain nombre d’étapes à franchir, sans logique mécanique et selon un cheminement « hasardeux ». Bref, c’est une sorte de cuisine dont les ingrédients sont connus mais la recette toujours différente. Cela conduit à une approche plus structuraliste [figure 2 [3]] que mécanique. La compréhension du cheminement d’une innovation, depuis les idées (souvent innombrables) jusqu’à la concrétisation, relève d’une analyse de type culinaire (les produits de base sont les mêmes, mais le produit est variable) ou mythique (les récits sont très variés, mais la morale est toujours la même). Dans l’innovation, les ingrédients sont globalement toujours les mêmes mais le cheminement est toujours différent, selon le produit et les « artistes » qui dirigent ce cheminement.

Figure 1

Vision « déterministe » ou mécanique de l’innovation

Figure 1

Vision « déterministe » ou mécanique de l’innovation

Figure 2

Vision structuraliste du processus d’innovation

Figure 2

Vision structuraliste du processus d’innovation

2 – L’innovateur, principal acteur de l’innovation

Définition

8L’innovateur est le personnage central du processus d’innovation. Il est parfois très célèbre, mais le plus souvent il est ignoré. Il est celui qui trouve le financement et réalise la première mise sur le marché d’un produit dont il a défini le standard technique et le modèle économique. Ces premières ventes significatives démontrent la justesse de ses vues, et engagent alors un processus de choix collectif progressif qui fera basculer les usages de la société.

Typologie

9Selon que l’innovateur agit au sein d’une entreprise ou comme dirigeant, et éventuellement créateur d’entreprise, il sera un intrapreneur ou un entrepreneur. Mais il y a aussi des innovateurs dans le domaine des lois ou de la politique. Les innovateurs en entreprise restent inconnus car ils travaillent pour celle-ci. Seuls les innovateurs chefs d’entreprises sont – parfois – connus.

Quelques grands innovateurs et les inventeurs oubliés

10Sévère et injuste, l’histoire ne retient que ceux – parfois inventeurs, souvent chefs d’entreprises – qui font parler d’eux !

11- James Watt, en 1775, a considérablement amélioré la machine à vapeur inventée par un « inconnu », Thomas Newcomen en 1710.

12- Thomas Edison, un des premiers à mettre en œuvre des processus de production de masse.

13- Nicolas Appert n’a pas déposé de brevet, a obtenu quelques contrats avec la marine mais n’a pas réussi à développer son invention (la conserve) qui n’a pris son essor qu’à la fin du XIXe siècle.

14- Steve Jobs, le très médiatique patron d’Apple, a développé le micro-ordinateur en 1977, en croisant les fabrications existantes et les travaux d’analyse du PARC de Xerox. Il a défini la structure fondamentale de cet outil. Mais on a oublié le Français André Truong : il avait créé en 1973 le premier micro-ordinateur et la première société qui en avait fabriqué (Micral).

15- Peugeot, parmi les premiers à faire confiance aux moteurs à explosion, en 1890. Mais on a oublié Cugnot qui a fait circuler la première automobile en 1765.

16- Les frères Wright : ayant maîtrisé le dispositif de contrôle du vol selon les trois dimensions (1903-1905), ils ont joué un rôle fondamental dans l’essor de l’aviation. Mais on a oublié Clément Ader qui a fait voler un premier avion dix ans auparavant.

17- Mac Lean (inconnu, toujours et encore inconnu !) a développé le système de transport par conteneurs en définissant le standard technique (les dimensions du conteneur sont celles du semi-remorque américain des années 1950) et le modèle économique (le conteneur est indépendant du transporteur). Certains analystes affirment que c’est l’innovation la plus importante du XXe siècle !

3 – Histoire de l’innovation

18C’est l’histoire de l’humanité… Mais elle est peu connue et les travaux sur ce sujet sont souvent « embryonnaires ».

Quelques repères

19La révolution néolithique (thèse universellement admise). C’est une période, qui démarre avant le Xe millénaire et se termine au IVe millénaire avec la roue et l’écriture, pendant laquelle la Mésopotamie (l’actuel Iraq) semble avoir tout inventé et développé.

20La crise du progrès technique de la Grèce antique (thèse de Bertrand Gille). Cet historien souligne que le progrès technique de l’Antiquité s’éteint en Grèce et il précise que, si Alexandrie a été une réelle cité de savoir scientifique, il n’en est pratiquement rien sorti du point de vue de la technique.

21La révolution technologique du Moyen Âge (thèse développée par Jean Gimpel, aujourd’hui assez largement admise). Cette révolution démarre avec l’adoption de techniques anciennes, mais inutilisées jusque-là : le moulin à vent, la charrue, le ferrage des chevaux, le collier d’épaule, etc., à partir du XIe siècle. Le progrès de productivité sera tel qu’il permettra de financer une forte hausse de population, les croisades, la construction des cathédrales, le défrichage accéléré des terres non productives.

22La révolution industrielle moderne commence avec la machine à vapeur en 1715 en Angleterre et avec des efforts de mécanisation en France (Vaucanson) et en Angleterre, sans oublier le démarrage de la chimie avec la soude (Leblanc). Cette révolution industrielle s’accélère grâce à la synergie entre la science et la technique, dans le cadre d’une société qui permet la diffusion de l’innovation grâce à un système économique libéral.

Points de repère

• Déclenchement de la révolution technologique occidentale au XIe siècle : fer des chevaux, collier d’épaule, moulin à vent, assolement triennal
• Révolution industrielle du XIIe siècle
• Basculement du XVe siècle : Gutenberg (1450), premier innovateur « reconnu » ; les brevets à Venise (1474), première politique étatique d’innovation, etc.
• Rapprochement de la science avec l’innovation, avec des savants comme Huygens, Denis Papin, Newton, etc. (XVIIe et XVIIIe siècles)
• Machine à innover européenne du XIXe siècle : chimie, mécanique, énergie, etc.
• Arrivée des Américains : fin du XIXe et XXe siècles
• Ouverture aux nouveaux pays à la fin du XXe siècle

23Il n’existe pas d’histoire globale de l’innovation. Dans le passé, le premier effet de l’accroissement de la productivité a souvent été un accroissement de la population. C’est pourquoi, en première approximation et jusqu’au XXe siècle, on peut suivre l’innovation occidentale depuis l’an mille grâce à la courbe de densité de la population qui donne une idée – mais pas plus – de la formidable accélération du progrès [figure 3 [4]]. La même courbe, pour autant que les sources soient fiables, sur dix millénaires, donne aussi un aperçu du blocage technologique de l’Antiquité, entre l’invention de l’écriture et celle de la roue (au IVe millénaire avant J.-C.) et la fin du Ier millénaire après J.-C.

Figure 3

Évolution de la population européenne sur le long terme

Figure 3

Évolution de la population européenne sur le long terme

Civilisations, pays et progrès

24• Indubitablement, la révolution technologique occidentale qui prend son départ au Moyen Âge et s’épanouit aux XIXe et XXe siècles s’est imposée à tous les pays du monde, comme ce fut le cas des précédentes révolutions technologiques au niveau régional, notamment de celle du néolithique qui a pris naissance au Proche-Orient et s’est répandue tout autour de la Méditerranée et dans les profondeurs continentales.

25• La Chine semble avoir disposé d’une avance technologique sur l’Occident jusqu’au XVe siècle mais a pris un sérieux retard jusqu’au début du XXe. Elle opère depuis 1920 un retour progressif (la République chinoise reste timide), un peu mouvementé (la période maoïste avec le « grand bond en avant » puis la « révolution culturelle ») et dispersé (Taïwan). Mais aujourd’hui, ce retour est avéré.

26• L’Inde elle-même, après trois siècles de secousses et d’hésitations, prend aussi le chemin du modèle technologique occidental.

27• L’URSS, pays « occidental », a tenté de prendre un « raccourci » pour accélérer le progrès. C’était une impasse. Aujourd’hui, il n’existe plus qu’un seul modèle technico-économique du progrès, le libéralisme économique associé à un effort de R&D et d’innovation.

28Claude Lévi-Strauss [5] relativisait cette avance « occidentale » tout en soulignant le caractère inéluctable de ce mode de développement qui s’impose à tous par sa puissance.

4 – Mesurer l’innovation : la valeur d’innovation

29Si nous partons de notre définition de l’innovation comme un progrès de l’efficacité économique globale d’une société, la mesure de l’innovation consiste à évaluer cette amélioration de la productivité. Plus facile à dire qu’à faire ! Lorsqu’il s’agit d’une innovation technique, les économistes appellent cela la « rente technique ». Pour la gestion ou l’organisation, il existe un concept proche qui est celui de la « création de valeur ». Ces concepts convergent vers celui de « valeur d’innovation ».

La rente technique

30Comme la rente terrienne ou la rente minière, elle est constituée d’un avantage dont bénéficie son détenteur en termes de coûts de production, voire d’exclusivité (brevet).

31Cette approche par l’évaluation de l’avantage économique global est généralement transposable pour les innovations de service ou même d’organisation. Elle rejoint alors la notion de création de valeur très largement développée par les financiers pour la valorisation des entreprises. Mais cette création de valeur doit être ici envisagée pour l’ensemble du corps social et non seulement pour une entreprise ou ses actionnaires. Et la méthode de calcul de la valeur créée rejoint alors celle de la rente technique.

La valeur d’innovation dans le temps

32La valeur d’innovation est la totalité de la valeur créée. Mais le facteur temps est une clé. Car l’innovation n’est pas un processus isolé dans le temps, elle s’améliore sans cesse (effet d’expérience) et elle est adoptée par un nombre croissant d’utilisateurs. La valeur globale de l’innovation est donc croissante naturellement dans le temps. Une multiplication par mille en vingt ans n’est pas rare.

Répartition de la valeur créée

33Après la question de la grandeur de la valeur d’innovation, la deuxième question clé est celle de savoir qui bénéficie de cette valeur [figure 4 [6]]. Si le principal bénéficiaire est aussi celui qui « paie », l’innovation sera assez facilement diffusable. Sinon, ce sera plus aléatoire. Cette problématique a été assez largement étudiée par Alfred Sauvy [7]. Cela explique l’importance du « modèle économique ». Dans le cas du Web, le débat est vigoureux entre les partisans de l’utilisation collective et gratuite, porteuse d’un effet collectif maximum, mais qui pose un problème aux producteurs, notamment de contenus, et les détenteurs de droits intellectuels qui estiment qu’ils doivent être rémunérés à un taux « satisfaisant ». •

Figure 4

Répartition de la valeur d’innovation dans le corps social

Figure 4

Répartition de la valeur d’innovation dans le corps social

34Patrice Noailles

Les défis de l’innovation contemporaine pour les entreprises

35Décryptage. Désormais intensive, marquée d’instabilité identitaire, soumise aux exigences de l’actionnariat, ouverte et collaborative, l’innovation contemporaine a changé de statut au sein de l’entreprise, obligeant celle-ci à réinventer ses modes d’organisation et ses critères de performance.

36L’innovation n’est pas une question nouvelle. Prenons quelques exemples de cette évidence historique. Rome avait atteint une « perfection de la technique sociale aussi bien civile que militaire[8] ». Les abbayes cisterciennes ont diffusé le moulin hydraulique et une forme d’organisation de la vie collective et de division du travail sur un territoire « en réseau » (dans une terminologie moderne). La première véritable législation attribuant un monopole pour les inventions apparaît à Venise à la Renaissance, époque qui inventera, aussi et entre autres, le venturi capitale, ancêtre du venture capital ou capital risque qui permet le financement de l’innovation, ou encore le designo (actuel design), au sens profond d’une véritable activité amont et structurée de conception, précédant la réalisation ou le développement. La révolution industrielle, quant à elle, a deux cents ans…

37En multipliant les retours à l’histoire on retrouve les généalogies des innovations actuelles, mais on pourrait aussi croire qu’il n’y a rien de nouveau dans l’innovation contemporaine. Or ce sont précisément les caractéristiques singulières et renouvelées de l’innovation contemporaine pour les entreprises que nous voulons rapidement souligner ici. Nous en retiendrons quatre.

L’innovation contemporaine est intensive

38D’abord, reprenant une terminologie issue des travaux du Centre de gestion scientifique des mines Paris Tech sur le management de l’innovation [9], on qualifiera l’innovation contemporaine d’intensive. Qu’est ce que cela signifie ?

39L’innovation était localisée, elle se généralise. Alors que, historiquement, l’innovation concernait principalement certains secteurs relevant de techniques, de marchés ou de traditions spécifiques où créateurs et concepteurs avaient une place, un statut, des contributions et des modes de travail reconnus, cette place est aujourd’hui plus diffuse. L’innovation concerne désormais tous les secteurs et aucune entreprise ne peut postuler qu’elle innove suffisamment. Tout est objet d’innovation, la notion s’en trouve d’ailleurs brouillée parce que son espace s’est étendu.

40L’innovation était rare et ponctuelle, elle devient fréquente. Elle permettait le démarrage des entreprises et introduisait des ruptures rares entre lesquelles s’intercalaient de longues plages de stabilité et des phases de progrès plus incrémentaux. Aujourd’hui, dans un marché globalisé où toute bonne idée est rapidement copiée, où les rentes générées par des innovations ponctuelles se raccourcissent, le succès à moyen terme provient de la génération d’un flux continu d’innovations fortes. Non seulement il y a là une remise en cause d’une logique d’innovation à deux vitesses (la traditionnelle opposition « radical / incrémental »), mais surtout l’instauration d’un nouveau régime de projets de compétition fondée sur l’innovation intensive, où l’offre crée sa propre demande.

41Dans ces stratégies, dites aussi d’« obsolescence », il s’agit bien d’être le premier sur le marché avec une offre innovante pour déclasser l’offre existante (y compris la sienne) et satisfaire une demande volatile avant les concurrents ou avant qu’elle ne se transforme à nouveau. Le contexte socio-économique s’est profondément modifié depuis les crises pétrolières, mais nous n’y reviendrons pas ici. Il ne s’agit plus de questionner le client sur ce qu’il veut, mais d’être le premier à lui proposer ce qu’il pourrait éventuellement vouloir. La réaction du marché ne pouvant être parfaitement prévue, il faut « payer pour voir ». D’où le lancement récurrent, sur des cycles de développement et des cycles de vie de plus en plus courts, de nombreux projets innovants. Les profits se font sur les nouveaux produits et services. La nature même de ce qui est développé renvoie à la seconde caractéristique.

L’innovation contemporaine engendre une rupture identitaire

42Une seconde caractéristique tient à la rupture identitaire introduite par l’innovation contemporaine. L’innovation intensive provoque des crises récurrentes de l’identité des biens et des services dans de nombreux secteurs d’activité. La compétition traditionnelle consistait à innover selon des critères de performance paramétriques : plus rapide, moins cher, plus petit, plus sûr… Les modèles d’affaire étaient donnés, les dominants designs ou les architectures de produits étaient stables et les compétences nécessaires au développement connues. Or, dans de nombreux secteurs, l’identité des objets est devenue incertaine. Sous la pression de technologies diffusantes et évolutives, des nouvelles valeurs sociales, des nouvelles régulations, des règles financières et des compétiteurs low cost, l’identité des objets est sans cesse révisée.

43Les accessoires de la nouvelle mobilité illustrent bien cette instabilité identitaire. Après le téléphone et le mobile, l’informatique a colonisé les appareils photos qui ont envahi à leur tour les téléphones mobiles. Si la montre existe comme objet nomade depuis le XVe siècle, elle n’est que très récemment devenue une bibliothèque ambulante. Quelle est aujourd’hui la fonction d’une montre, d’un téléphone mobile, d’un téléviseur ? Où est la frontière entre un aliment et un médicament ? Un journal gratuit est-il encore un journal ? Dans ces conditions, le développement des innovations dépend des capacités des entreprises à imaginer aux objets, aux services, aux process qui nous entoure(ront) d’autres propriétés que celles déjà connues [9]. Peu d’entreprises sont dotées de telles capacités. Cette exigence d’innovation récurrente et identitaire s’est développée dans un contexte de retour des exigences actionnariales. C’est la troisième caractéristique.

L’innovation contemporaine est soumise à la contrainte du capitalisme

44Le capitalisme a rapidement évolué depuis vingt ans : la déréglementation financière, le renforcement du pouvoir de l’actionnaire et l’exigence de résultats à court terme viennent mettre une pression sans précédent sur les ressources, sur la vitesse et sur la performance de l’innovation. Face aux énormes scandales financiers récents et devant la pauvreté des outils utilisés par les financiers pour évaluer les promesses et les résultats de l’innovation, l’enjeu est de définir une véritable « finance de l’innovation ». La mesure de l’innovation n’est pas réductible aux outils traditionnels de choix d’investissement. En particulier, il s’agit d’évaluer la qualité du travail coopératif entre des acteurs multiples et mondialisés, d’évaluer les apprentissages intra et inter projets innovants ou l’effet de la réutilisation de concepts ou de connaissances dans des « lignées d’innovation[9] ».

L’innovation contemporaine est collaborative

45La quatrième et dernière caractéristique de l’innovation contemporaine que nous voudrions souligner est son caractère collectif et ouvert renforcé. On n’innove plus seul ni en task force. L’innovation suppose de larges systèmes collaboratifs entre entreprises concurrentes (par exemple ITRS sur les semi-conducteurs), entre client et fournisseur pour co-innover [10] ou encore entre client final et entreprise. Le terme d’« innovation ouverte » s’est popularisé depuis quelques années par souligner ces tendances [11]. Par exemple, IBM est au huitième rang dans la liste des plus grands détenteurs au monde de brevets en… biotechnologie. L’industrie automobile et les télécoms travaillent ensemble sur les systèmes télématiques embarqués.

46Certaines entreprises ont même inventé le nouveau métier de « courtier de connaissances [12] » pour mettre en relation des champs de connaissances traditionnellement dissociés. La mobilité du savoir a augmenté au cours des dernières décennies. Le développement de logiciels open source peut s’effectuer par le travail coordonné de milliers de programmeurs sur une plate-forme mondiale. Enfin, soulignons le développement des innovations selon des logiques de « plates-formes » où l’enjeu est de définir des architectures de produits, de services ou de systèmes d’information qui, autour d’une entreprise leader qui contrôle la plate-forme et ses interfaces, permettent de coordonner de nombreux sous-systèmes en évolution constante.

Un changement de statut

47Dans ces conditions, le statut de l’innovation dans la stratégie des entreprises change. Comment innover quand on ne sait plus ce qu’on doit inventer ? Comment concevoir lorsque les connaissances et l’identité des produits connaissaient des évolutions déroutantes et nouvelles ? Comment impliquer des clients ou des partenaires insolites dans le processus d’innovation ? Comme organiser l’activité d’innovation ou comment faire évoluer les grandes fonctions traditionnelles de l’innovation : la recherche, le développement, le design, le marketing ? Comment mesurer la performance de l’innovation au-delà de son seul retour sur investissement ? Etc. Depuis les manufactures du XVIIe siècle, l’entreprise a réinventé ses formes d’organisation collective et ses paramètres de performance. Les organisations, les modes de raisonnement et les critères de performance de l’innovation se transforment profondément. L’histoire continue. •

48Gilles Garel

Architecture d’un plan de veille au service d’une vision systémique de l’innovation

49Analyse. Comment s’articulent veille et innovation ? L’innovation doit s’inscrire dans un processus continu d’anticipation et d’adaptation au cœur duquel la veille, démarche d’anticipation, doit être structurée. Un schéma systémique permet de construire une telle démarche, de la collecte de l’information utile à la génération de connaissances stratégiques.

50Aujourd’hui, les entreprises qui souhaitent rester compétitives doivent penser en termes d’agilité et d’innovation globale. Elles se flexibilisent, intègrent à leurs processus de conception et de production les progrès technologiques, adoptent de nouvelles stratégies de gestion, etc. Ces évolutions bousculent la conception individualiste de l’entreprise. Chaque acteur du système économique, quel que soit son échelon et son échelle, doit trouver sa place au sein d’un système flou et mouvant. Pour tout entrepreneur, décider devient plus difficile tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux, diffus, entrelacés. Et, si innover consiste à passer d’une idée nouvelle à un produit ou service qui trouve son marché, la nécessité de comprendre les évolutions technologiques, sociétales, juridiques, financières ou concurrentielles et d’identifier des cibles potentielles confère à la veille une place centrale dans le processus d’innovation.

Un processus d’anticipation / adaptation

51En effet, une conception de l’innovation qui serait limitée à une dimension purement technologique ou circonscrite à une fonction de création de produits nouveaux est révolue. Dans un contexte totalement mouvant, l’innovation doit, au contraire, être instillée et devenir une composante à part entière de la stratégie de l’entreprise qui se nourrit de l’analyse de l’évolution de l’écosystème. Maîtriser le processus d’innovation suppose alors une perméabilité entre les fonctions de l’entreprise, son insertion dans une nébuleuse tout autant technologique, économique, financière, commerciale qu’organisationnelle. Activer le processus d’innovation pousse l’entreprise à aménager ses structures pour qu’il y ait une réalité d’évolution. En ce sens, l’innovation est l’instrument qui permet à l’entreprise de s’adapter à l’instabilité du système économique. Elle est le point de passage obligatoire et incontournable pour toute entreprise, un instrument clé sans lequel elle ne peut garantir son devenir.

52Concrètement, l’entreprise doit animer un processus continu d’anticipation / adaptation qui combine d’une part les techniques d’intelligence économique dont la veille (anticipation) et d’autre part les techniques de management de projets innovants (adaptation). Le temps de mise sur le marché d’une innovation étant rarement inférieur à dix-huit mois et le temps de retour sur investissement rarement inférieur à trois ans, l’entreprise doit pouvoir avoir en permanence une vision claire de ses enjeux de marchés à un horizon de trois ans et ce, sans consommer trop de ressources. Face à la surabondance des sources d’information, la démarche d’anticipation doit donc être structurée en s’appuyant sur un modèle systémique pragmatique qui lui permette de focaliser ses ressources de veille sur des enjeux majeurs. Ce modèle systémique, développé par le CEEI Créat’iv [13], devient alors l’architecture du plan de veille [voir le schéma ci-contre].

Un modèle systémique pour structurer une démarche de veille

figure im5

Un modèle systémique pour structurer une démarche de veille

De la collecte de l’information utile à la génération de connaissances stratégiques

53Pour mettre en œuvre ce schéma systémique, il convient de travailler dans l’ordre du premier au cinquième bloc. C’est ainsi que la veille trouve une place vitale dans le processus d’innovation.

541. L’exploration des enjeux de marché. Le processus de veille doit permettre d’éclairer le décideur sur ses clients (poids, stratégie, marges, perspectives, etc.), ses concurrents (stratégie de développement, facteurs de différenciation, etc.), les nouveaux entrants (nationaux, internationaux, produits ou services de substitution, etc.), les attentes et tendances (vieillissement de la population, émergence de nouveaux bassins de consommation, Internet des objets, économie de la fonctionnalité, produits respectueux de la planète, mais aussi concentration des clients et des fournisseurs, délégation de conception, délocalisation des clients, flux tendus), les évolutions technologiques à court et à moyen termes susceptibles de modifier la structure et la dynamique du marché, les évolutions réglementaires, l’évolution du coût de l’énergie et des matières premières, etc.

552. L’offre de l’entreprise. L’exploration des enjeux de marché doit permettre de décider si l’offre de produits et services de l’entreprise est adaptée à l’évolution de l’écosystème et d’identifier les nouveaux segments porteurs sur lesquels l’entreprise doit se positionner pour valoriser ses actifs et savoir-faire. Sans cette analyse, la veille réalisée sera inutile.

563. Les capacités de l’entreprise. Au regard des enjeux d’évolution de l’offre, la connaissance et l’analyse des actifs et capacités de l’entreprise doivent permettre de déterminer ceux qui doivent être renforcés ou revus : actifs technologiques et organisationnels (développement de briques technologiques, organisation industrielle, etc.), actifs économiques (référencement grands comptes, optimisation de la part de marché, etc.), actifs commerciaux (canaux de distribution à maîtriser, web marketing et lisibilité sur le net, approche via réseaux sociaux, etc.), actifs financiers, actifs humains (transmission des savoirs intergénérationnels, évolution des compétences, fidélisation des collaborateurs clés, etc.), partenariats, fournisseurs, etc. On le comprend bien, réaliser une veille sur ces actifs ne peut se faire que si la réflexion sur l’offre a été menée et que si la production de connaissances est orientée vers la question de masse critique.

574. La masse critique. L’exploration des enjeux de marché où la veille joue un rôle clé doit permettre de détecter si le marché et les clients sont en train de son concentrer (augmentation de la taille des clients et des fournisseurs) et si l’entreprise doit augmenter sa taille et sa surface pour rester un interlocuteur crédible et amortir l’augmentation des frais de structure liés à l’intégration de nouvelles fonctions.

585. Le métier, clé de voute du processus d’innovation. Dernière étape de l’analyse, la définition du métier de l’entreprise, non pas au sens « technique » mais au sens du positionnement de l’entreprise sur un ou plusieurs segments de marchés stratégiques. Le métier est le point de rencontre entre les capacités de l’entreprise et les besoins du marché : attention au sens des flèches. Il exprime les capacités de l’entreprise à répondre en permanence aux besoins et attentes du marché. Dans un environnement turbulent, tout l’art du dirigeant sera d’ajuster en permanence ses capacités aux marchés par la maîtrise de son métier. L’ajustement de ces différentes variables implique un ou plusieurs programmes de changement rythmés à la fois par les marchés, les possibilités technologiques, les structures de l’entreprise et ses capacités à mobiliser de nouvelles ressources… et in fine à prendre des décisions dans un contexte souvent mouvant, incertain. Ce processus qui conduit à la décision et à son exécution correspond au processus d’anticipation / innovation où se combinent les intelligences technologiques, économiques et organisationnelles.

59Dans ce cadre, le processus d’innovation peut être compris comme l’ajustement permanent du métier, de l’offre ou des capacités que l’entreprise doit réaliser pour rester compétitive à court et moyen termes. C’est pourquoi il peut être synonyme de mutation mais aussi consister en un ensemble d’actions correctives à court terme. Et c’est pourquoi la veille est au cœur de ce processus, à condition qu’elle génère un flux continu de connaissances stratégiques facilitant la prise de décision et ne soit pas cantonnée à un rôle de fourniture d’informations. •

60Nicolas Moinet

61Hervé Daniel

L’entreprise innovante : un espace privilégié de veille… et d’intelligence

62Retour d’expérience. Quelles sont les relations entre les acteurs de l’innovation et les praticiens de la veille ? Quels types de profils sont impliqués ? Comment s’organise (ou non) la mobilisation des différentes compétences info-documentaires ? Quels axes d’évolution font converger les démarches informationnelles et opérationnelles ? Cet article propose une analyse, sous un angle socio-organisationnel, de quelques spécificités identifiées du positionnement, des activités et des compétences de la fonction veille dans des entreprises résolument inscrites, pour tout ou partie de leurs activités, dans des dynamiques d’innovation.

63L’entreprise innovante, que certains qualifieraient désormais d’entreprise 2.0, est par définition une organisation apprenante. La culture qui y est développée, son organisation et les processus mis en place convergent vers une même finalité d’optimisation permanente des capacités d’innovation. Ceci n’est possible que par une préoccupation affirmée de développer les connaissances, l’ouverture, la créativité, la culture du risque et la transversalité. Il s’agit, par de multiples moyens, de créer les conditions favorables à l’émergence de nouvelles idées, de nouveaux projets, d’envies de faire évoluer des situations, de résoudre des problèmes, etc.

64Malgré cet élargissement, la notion d’innovation est encore classiquement considérée et mesurée selon des dimensions essentiellement technologiques, sinon Recherche & Développement, avec des indicateurs de type production de brevets et publications scientifiques. Force est de constater que cette acception, certes nécessaire, n’est pas suffisante. L’invention n’est pas l’innovation, qui induit peu ou prou un renouvellement du modèle d’affaires, des circuits de distribution, du marketing produit, des usages… De nombreuses dimensions du capital immatériel (sinon du capital intellectuel et des compétences) de l’entreprise, dont la mesure demeure embryonnaire, sont reconnues comme des leviers clés de résultats [14].

65Cette approche englobe la mise en place d’organisations complexes fondées sur des processus, des démarches transversales et des méthodes, telles le design, et sur tout ce qui puise sa richesse dans la dynamique humaine de collaboration.

66Les modes de structuration de la veille font partie des signes d’identification de la maturité des entreprises en matière d’innovation. Au-delà des services constitués, les fonctions veille sont multiples. En évoquant l’organisation de la veille, nous abordons indirectement les relations entre des acteurs spécialisés qui s’inscrivent dans des processus info-documentaires, de service ou de support, et ceux qui ont pour préoccupation première la production de résultats opérationnels. Loin de les opposer, une approche par les relations, et par conséquent par la collaboration et l’intelligence, alimente des pistes de réflexion. L’évolution des pratiques et des démarches de surveillance, d’exploitation des données et des informations mais également de l’intelligence d’entreprise s’inscrit dans un cadre plus large de transformation à moyen terme.

Une forte implication de la fonction veille dans le processus d’innovation

67Nous avons constaté, auprès d’entreprises ayant résolument adopté des démarches innovantes, une imbrication forte de la fonction veille et des processus ou démarches d’innovation. Cette fonction est attendue, selon les cas, comme pilote ou animateur de certaines actions opérationnelles, comme contributeur actif produisant des contenus à forte valeur ajoutée, ou évidemment comme support d’activités de R&D, d’expérimentation ou de projets ou programmes.

68Au-delà même d’une collaboration, nous constatons l’inscription d’activités bibliographiques, d’états de l’art, d’études exploratoires ou d’opportunités dans des processus amont/aval censés structurer la démarche, de la maturation des idées à la mise sur le marché de nouveaux produits ou services. Les acteurs de la recherche, du marketing, de l’ingénierie ou de la production sont directement interpellés dans leur capacité à fournir des livrables clés dont la matière première est informationnelle. Ainsi se pose la question de la frontière entre les professionnels de l’information et les multiples acteurs de l’innovation. Elle est d’autant plus prégnante que l’accès aux sources s’est « démocratisé », permettant l’émergence et le développement de nombreuses activités de veille plus ou moins informelles, parfois encouragées par le management.

69La constitution plus formelle de fonctions veille, de cellules ou de services, est variable en fonction des organisations, des cultures professionnelles ou du secteur d’activité. Sans vouloir être exhaustif ni normatif, nous pouvons citer plusieurs types de configurations :

  • un service de documentation et veille réalisant principalement des surveillances, produisant des livrables plus ou moins ciblés et assurant leur diffusion de façon assez large. Il est constitué de plusieurs profils de type documentalistes et, entre autres activités documentaires, gère souvent, pour son compte et pour d’autres, des abonnements et des sources payantes. Il est plutôt centralisé et centralisateur ;
  • des cellules de veille spécialisées menant des activités sur un périmètre bien défini, sur la base d’un métier, de technologies ou de marchés spécifiques. Au-delà de la surveillance de sources informationnelles, elles réalisent également des analyses techniques, des enquêtes clients, et elles sont impliquées très directement dans les activités opérationnelles. Elles sont animées par des profils plutôt métier, ayant parfois une double compétence en matière de documentation ou de veille ;
  • des professionnels issus d’un métier de l’entreprise, ayant développé au fil du temps des compétences et une vraie reconnaissance, non seulement en matière de veille et d’exploitation de l’information, mais également dans un domaine d’expertise particulier pour lequel ils sont référents. Ils sont d’ailleurs sollicités très directement pour d’autres missions dans le cadre de projets ou de fonctions opérationnelles.

Les facteurs clés de succès

• Une nécessaire prise en compte de la transversalité des périmètres informationnels adressés
• Un accompagnement de l’autonomisation croissante des chercheurs et ingénieurs en matière de veille, avec notamment le déploiement d’applications (de plus en plus nombreuses et variées) ou l’accès donné à des sources payantes (moyennant bien entendu un support de la fonction information-documentation)
• La production de livrables d’alertes, de vigilance ou de « prospective » élaborés et leur présentation à des comités ou instances décisionnelles pour les éclairer
• L’organisation d’événements internes ou de rencontres visant à décloisonner les modes de pensée, à partager des états de l’art et à ouvrir le personnel de l’entreprise vers l’extérieur
• L’animation de dispositifs collaboratifs pour la remontée d’information ou d’idées, ou encore le partage des connaissances
• Une nécessaire réactivité, incluant une logique de flux et de capitalisation qualitative, sur des axes non plus seulement thématiques mais orientés projets de produits, processus ou nouveaux marchés encore méconnus
• Un mix de compétences info-documentaires, propriété intellectuelle/industrielle et brevets, recherche, marketing, etc.

70Évidemment, d’autres formes d’exercice de la fonction peuvent exister, notamment de véritables approches mixtes et particulières. Ces différentes formes tendent tout de même à coexister… pas toujours de façon pacifique. Ces activités, transverses par nature, donnent en effet lieu à des flous dans l’attribution des rôles et donc des ressources. La mésentente ne profite à personne et certainement pas à l’entreprise.

71En revanche, une coordination, même si elle apparaît comme la solution évidente, n’est pas simple à mettre en œuvre. Les cultures et approches professionnelles, en effet, malgré des activités similaires, au moins au niveau des finalités et des types de moyens mobilisés, sont parfois bien différentes. Par ailleurs, à qui confier le rôle de coordination ? À un service centralisé et dépositaire de la gestion de nombreux outils et sources ? Au service en charge d’alimenter les orientations stratégiques ou prospectives de l’entreprise en matière de business development ? Ou au service dit d’intelligence économique menant des missions d’études, d’enquêtes et de surveillance sur des questions stratégiques ?

De la veille à l’intelligence stratégique

72La veille est un moyen, une fonction support, un processus informationnel qui ne se suffit pas à lui-même : c’est la difficulté que rencontrent ceux qui la pratiquent. Qu’elle soit portée par des professionnels originaires ou non de la sphère documentaire, la question de la légitimité se pose. Cette dernière s’efface lorsque les professionnels acquièrent et exploitent des compétences métier de l’entreprise, élargissent leurs champs d’action vers de l’animation, de la formation ou de la coordination, ou encore lorsqu’ils se forgent une place dans la production de livrables à vocation de réflexion globale ou prospective.

73Quoi qu’il en soit, la recherche de la valeur ajoutée est la gageure de ces activités. La centralisation d’activités pour de larges périmètres présente l’inconvénient majeur d’une déconnexion et d’une incompréhension des attentes particulières, tandis que la forte proximité avec les activités opérationnelles ne permet pas la prise de recul ni la constitution d’une vision globale… Ce type de situation se solde par des négociations sur les missions et périmètres avec les hiérarchies respectives, par des discussions et échanges entre professionnels, par la mise en place de comités transverses, l’implication dans des projets communs, la mutualisation de ressources, etc. En bref, toutes les configurations sont possibles, avec un historique se construisant au fil de l’eau autour des victoires et déboires de la collaboration.

74Pour sortir de débats sans fin, dont les témoignages sont nombreux et éloquents, l’approche proposée par la notion d’intelligence stratégique offre des perspectives. Elle sous-entend en effet un dispositif organisé, coordonné et collaboratif visant à faciliter la prise de décision pour le management et la direction de l’entreprise. L’intelligence stratégique contribue en effet à réduire l’incertitude liée à l’activité décisionnelle [15]. Il s’agit d’ailleurs d’une approche en cours de standardisation au niveau européen, dans le cadre d’une normalisation plus large du management de l’innovation [16]. Un des facteurs clés de succès pour manager l’innovation est en effet de favoriser et d’accélérer la veille et la capitalisation des connaissances, produit de l’intelligence collective [17].

75Entendue comme capacité collaborative, d’adaptation collective et de dynamique constructive, l’intelligence est sans doute un maillon manquant dans la réflexion sur le management de l’information et de la veille. À force de trop focaliser sur la matière informationnelle et ses technologies associées, sans doute avons-nous perdu le sens d’une approche fondée sur l’humain. Non pas qu’elle résolve ipso facto les problèmes de la structuration et de la performance en matière de veille ; mais elle présente l’intérêt du choix de leviers de types managériaux. La veille, comme activité transverse, présente une dimension managériale non négligeable, et l’inscrire comme composante d’une intelligence d’entreprise, corollaire s’il en est de l’entreprise innovante, nous semble être une vraie avancée.

De la veille à l’innovation en passant par l’intelligence : « on voit plus loin à plusieurs »

Le verre de lunette semble être un objet technologique simple et de petite taille (a contrario de ceux qui voient le jour dans l’industrie automobile ou dans l’informatique). Mais derrière cette apparente simplicité se trouve une complexité : chaque verre est unique, choisi dans sa forme parmi un milliard de combinaisons possibles, et peut comporter plus de vingt couches de compositions et d’épaisseurs différentes. L’innovation vient ainsi de facto d’autres domaines, d’autres technologies, d’autres industries. Des domaines aussi variés que la microélectronique, la plasturgie, les neurosciences, l’astronomie sont des sources d’innovation potentielles.
Faire de la veille chez le leader mondial du verre ophtalmique revient inévitablement à regarder ce qui se fait à côté et au loin. La myopie y est tout à fait contre-indiquée !
Essilor est un leader technologique et promeut une stratégie d’innovation depuis les débuts de son histoire et l’invention du verre Varilux, qui a eu 50 ans en 2009. La moitié du chiffre d’affaires est portée par des produits de moins de trois ans. L’innovation technologique est mise en avant : chaque année, 5 % du chiffre d’affaires consolidé sont consacrés à la R&D et de nouveaux contrats de partenariat sont noués.
Interconnexion des neurones
La fonction veille est représentative de l’esprit d’innovation qui prévaut dans l’entreprise. Fine stratège et communicante inspirée, sa responsable, Muriel Séménéri, déploie bon nombre d’initiatives visant à contrecarrer tout type d’enfermement et de restriction de la vision…
Le service Veille & Innovation serait improprement désigné par le mot de « cellule », dans la mesure où son mode de fonctionnement n’est pas l’autonomie mais bien l’interconnexion des neurones entre eux. Ou alors faudrait-il retenir de la cellule essentiellement sa membrane, surface de contact qui lui permet d’assurer de constants échanges avec l’extérieur…
La fonction Veille & Innovation organise des « rencontres de la veille » auxquelles sont conviés des interlocuteurs de renom hors cœur de métier, des experts scientifiques qui viennent s’exprimer sur les nanotechnologies, les neurosciences, la couleur, etc.
Elle a également mis en place un processus collaboratif intégrant des experts du Groupe issus de différents horizons et produisant des « notes de veille » : analyses critiques effectuées par des experts du Groupe de différents horizons et constituant, aujourd’hui qu’elles sont au nombre de deux mille, une véritable base de connaissances très pertinentes.
Ce sont les experts Essilor qui participent à des événements ou salons sur des sujets au cœur du métier de l’entreprise. Le service Veille, lui, scrute les événements dans les domaines connexes.
Selon Muriel Séménéri, la veille apporte sa contribution essentiellement en amont du processus d’innovation : elle concourt à la détection de signaux faibles et d’opportunités, au repérage de tendances (en collaboration avec le marketing stratégique), puis à l’alimentation des chercheurs et ingénieurs en matière de brevets, contacts, salons, etc., au démarrage d’un programme. Sa conviction est partagée par le directeur de la R&D, si l’on en croit la première planche de l’une de ses présentations récentes, qui s’intitulait : « La veille est à l’origine de tout »…
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Les activités de veille au sein de l’entreprise sont de différentes natures et distribuées au marketing, à l’engineering, à la R&D (veille concurrence produits)… Des points formels mensuels ou « cercles de veille » réunissent ces différents acteurs. Ils ont également l’opportunité de travailler ensemble à la faveur de dossiers communs et mutualisent l’achat et l’exploitation de sources et d’outils.
Ce fonctionnement en réseau est à l’image du fonctionnement de cette entreprise mono-produit, dont l’ensemble des efforts des collaborateurs se concentre sur le produit unificateur qu’est le verre de lunette…
“L’intelligence” en exergue
Lorsqu’elle se présente à l’étranger, Muriel Séménéri utilise volontiers le terme de competitive intelligence manager, selon la dénomination proposée par l’association américaine SCIP et pour mieux mettre l’accent sur l’« intelligence », au sens anglo-saxon du terme.
Couplée à des démarches collectives, la veille permet la transformation de l’information en pistes d’action. L’innovation technologique et organisationnelle passe en effet immanquablement par l’échange de savoirs et par des processus cognitifs. •

76L’autre avantage clé d’une approche par l’intelligence stratégique consiste à concevoir un dispositif global et coordonné par le management de l’entreprise. Il inclut les aspects de systèmes d’information, de gestion des connaissances, de gestion électronique des ressources documentaires et tout ce qui concourt au management de l’immatériel, et ce non pas sous l’angle des moyens mais bien des finalités ou des questionnements stratégiques souvent transverses. L’intelligence stratégique va au-delà de la veille dans le sens où elle comprend des actions opérationnelles et dépassent les frontières informationnelles pour mieux les relier aux activités.

Être en prise directe avec les enjeux de l’entreprise

77L’entreprise innovante, en recherche d’agilité et de performance, est amenée à résoudre des questionnements récurrents propres à tous types de fonctions info-documentaires en entreprise : en tant que fonction support, jusqu’à quel point faire ou ne pas faire à la place d’autres, désignés comme clients ? Jusqu’à quel point s’autosaisir dans la production et la diffusion de livrables ou d’informations ? Avec quels risques ou espoirs associés ? Quel niveau de valeur ajoutée apporter lors d’une recherche d’information ? Quels types d’études ou d’analyses réaliser pour quelles exploitations a posteriori de leur diffusion ? Quel rôle occuper aux côtés d’autres professionnels de plus en plus enclins à l’autonomie avec des sources auparavant complexes ou difficiles d’accès, aujourd’hui facilement mobilisables ? Quelles relations et répartition des tâches envisager avec les fonctions communication, système d’information ou d’autres fonctions plus ou moins complémentaires, connexes ou concurrentes sur certaines activités ?…

78Mettre en relation veille et innovation, c’est penser à un type de configuration particulière où l’exploitation des données, de la documentation et de l’information, par le biais d’activités spécialisées, est en relation directe avec des enjeux majeurs de l’entreprise, ce qui la conduit d’autant plus à rechercher opérationnalité et efficacité. Les parties prenantes des projets innovants sont en prise avec les grandes orientations de leur entreprise et suivent un sens global de développement.

Spécificités et dynamique des entreprises innovantes

79Au sein de ces entreprises innovantes, nous avons décelé plusieurs points communs prégnants du point de vue du rapport à l’information :

  • une logique transversale, rendue inévitable par la nécessité de regards multiples, parfois nécessairement experts, sur des sujets mal maîtrisés (l’ensemble des collaborateurs est impliqué, et pas seulement la fonction support veille) ;
  • un positionnement de l’ingénierie de la veille comme appui au processus d’innovation – la maîtrise de la veille étant de ce fait nécessaire au-delà des seuls professionnels spécialisés de l’info-documentation ;
  • un équilibre entre un processus rationalisé de collecte d’informations formelles et une structure souple qui favorise les échanges informels (il s’agit en effet de structurer sans pour autant brider la production d’idées).
Ainsi, instaurer une dynamique transverse dans le domaine de la surveillance des éco-systèmes technologiques, clients, partenaires, environnementaux, réglementaires, juridiques, financiers ou autres conduit à repenser les modes de fonctionnement, sinon le rôle et la place de certaines entités. L’entreprise innovante s’inscrit dans des démarches et des dynamiques qui favorisent l’agilité. Elle est une organisation apprenante, à l’affût d’informations pour créer de nouvelles offres (produits ou services), inventer de nouveaux modèles de distribution, saisir des occasions à transformer en opportunités, anticiper et développer des visions de nouveaux positionnements stratégiques, etc.

80Certes le partage de l’information n’est pas toujours optimal, le collaboratif n’est pas gagné d’avance, mais l’important (et la gageure) est d’instaurer de façon pragmatique une dynamique sur la base d’un existant organisationnel, humain et culturel.

L’innovation est nécessairement organisationnelle

81Nous avons également noté, au sein d’entreprises « orientées innovation », que l’innovation produits/services est indissociable d’une innovation organisationnelle. Produire du nouveau, ou plus vite, ou mieux, passe en effet par des modifications substantielles de l’organisation. C’est une entreprise de transformation nécessitant une vision globale. L’évolution du système d’information, entendu comme système de management des technologies, contenus et diverses ressources y afférents, est un des éléments clés. Les cycles de développement ou de renouvellement de produits étant, en général, de plus en plus courts, l’exigence de nouveauté et de performance (financière, marketing, environnementale, etc.) étant de plus en plus forte, les organisations sont amenées à un renouvellement et à une remise en question du même ordre – ce qui ne s’opère pas sans heurts, dysfonctionnements, vains essais ni erreurs…

82Comment ne pas se réjouir de voir rehaussées la dimension du système d’information, l’importance de la gestion de l’immatériel, la richesse de la veille et de la prospective, la valeur du patrimoine informationnel ? Une voie réelle semble être ouverte pour les professionnels de l’information amenés à évoluer dans un contexte organisationnel nouveau.

83En guise d’illustrations de l’étroitesse du lien entre veille et innovation, mais également comme exemples d’initiatives protéiformes, nous proposons en encadrés deux situations singulières relevant d’entreprises et de secteurs d’activité différents. Les dispositifs mis en place sont certes de nature différente, mais ils se rejoignent, selon les points communs listés plus haut, ainsi que dans l’esprit qui les anime :

  • la R&D d’une société industrielle mono-produit (Essilor), où un service « veille innovation » s’est développé ces dernières années dans une « Direction Disruptive » sur un existant de service de documentation « traditionnel ». L’entreprise a structuré son effort d’innovation autour d’un processus programme transverse où les différents moments clés de prise de décision sont associés aux besoins en information ou connaissances correspondants (et à leur capitalisation) [page 35] ;
  • une « start up » interne dédiée à la e-santé sur de nouvelles lignes de business dans une entreprise de télécommunication (la division Santé d’Orange), qui a intégré une fonction « études et veille stratégique » dans une Direction du marketing stratégique. Cette activité, plutôt orientée prospective, est directement reliée à un processus d’expérimentation et de mise sur le marché de produits ou services innovants [page 37].
Il ressort de ces exemples que, loin d’être cantonnées au seul périmètre info-documentaire, et plus élaborées que des intelligences individuelles isolées, la qualité des analyses, la détection des signaux faibles et la création de valeur sont essentiellement le fruit de processus collaboratifs, formels ou informels. L’innovation est un processus complexe et incertain dont il n’est absolument pas possible d’évacuer la dimension humaine.

84L’alliance finalement assez naturelle entre veille et innovation permet de concevoir des compositions organisationnelles originales, au-delà de préoccupations catégorielles ou verticales. La nécessaire exploration « hors les murs », la combinaison des modes d’action et de pensée et la recherche de solutions ou d’opportunités forment une part non négligeable de l’intelligence d’entreprise. Celle-ci prime sur des approches techniques, informationnelles ou technologiques, qui représentent une entrée insuffisante car elles sont trop limitées pour aborder les réalités de la performance recherchée et penser une cohabitation harmonieuse et complémentaire entre les acteurs en présence. Pour bien appréhender la complémentarité et la coordination des compétences informationnelles en matière de veille dans un contexte d’innovation, l’observation attentive des situations de travail, des pratiques professionnelles et des relations est un préalable. •

« Open innovation, open intelligence »

Dans une campagne de publicité lancée il y a quelques années par Orange et baptisée « Open », un poisson sort de son bocal pour explorer l’immensité de l’océan. L’ouverture semble bien résonner comme un mot d’ordre fédérateur au sein du Groupe. L’« open innovation » fait l’objet d’un intérêt croissant. Cette démarche d’innovation consiste à mobiliser l’écosystème externe (fournisseurs, partenaires, clients) et à créer des conditions de stimulation de l’intelligence collective.
Une dimension exploratoire
Au sein de la Direction de la stratégie et du marketing d’Orange Healthcare, Françoise Valla assure la fonction de responsable Veille & Études. Elle non plus n’a pas l’intention de rester enfermée dans son bocal… Personnalité discrète, à l’écoute de la temporalité de son organisation, attentive aux enjeux et aux types de profils qui l’entourent, elle réalise un travail sensible de réflexion de fond et d’entretien d’une dynamique collaborative. Soucieuse de ne pas rester « prisonnière » des livrables de veille dont elle assure la production, elle s’oriente de plus en plus vers l’intelligence prospective en s’appuyant sur sa bonne maîtrise de l’environnement et son inextinguible besoin de comprendre.
La recherche d’innovation au sein d’Orange Healthcare n’est pas tant axée sur la technologie que sur l’organisation et les services. Loin d’un enfermement dans l’activité principale d’Orange, la division Santé a une dimension exploratoire, favorisée par une organisation matricielle. La création de savoirs partagés, l’immatériel, le travail en réseau y sont valorisés.
L’entité Veille & Études orchestre un dispositif collaboratif de détection et de décryptage des tendances susceptibles d’influer sur le secteur de la santé, afin de nourrir la stratégie et les offres de la division.
Chaque mois, un comité de lecture composé de différents contributeurs (responsables de domaine d’activité stratégique, représentants de la R&D, des marchés B2B, du développement produits et solutions, etc.) sélectionne en séance les informations clés remontées du système de veille et procède à une analyse collaborative. Elle trouve sa concrétisation dans un bulletin de veille destiné au réseau interne veille santé.
Tous les trois mois, un autre lieu d’enrichissement mutuel est institué par la convocation d’un comité de rédaction, lui aussi transversal et pluridisciplinaire, plus axé sur la détection de signaux faibles. Véritable communauté stratégique de connaissances, il produit une revue de conjoncture destinée cette fois exclusivement au comité de direction de la division.
La responsable Veille & Études qualifie cet espace d’échanges de lieu neutre, bienveillant et convivial, créateur de proximité et de confiance, conditions sine qua non d’une prise de parole qui est aussi une prise de risque.
L’implication du management
Françoise Valla a obtenu l’implication du management dans le processus de veille. Chaque mois, un membre du comité de direction pilote le numéro du bulletin de veille et en rédige l’éditorial. Une autre initiative récente, dans le même esprit, est une séance de relecture proposée au directeur de la division Santé, destinataire principal et commanditaire de la revue de conjoncture, afin d’obtenir de lui une vision stratégique des informations développées dans la publication.
Il est tentant de comparer le fonctionnement de l’entité veille que coordonne Françoise Valla à celui de la division Santé : un foisonnement d’initiatives règne dans ce territoire en friche.
Françoise pointe la difficulté d’intégrer les circuits d’information du management, qui a ses propres relais et sources privilégiés, ainsi que la nécessité d’animer et d’accompagner sans relâche cette communauté de veilleurs dont la vitalité et la pérennité ne sont jamais acquises.
Une clé de succès est la remise en question régulière de ses activités, toujours orientées clients, et l’ouverture, à la fois vers d’autres services en interne et vers l’extérieur du bocal…
Ce mouvement se manifeste notamment par le rapprochement souhaité par l’entité Veille avec les chasseurs de tendance des laboratoires Orange Labs, afin de participer aux travaux de prospective.
Une ouverture à la filière santé
Le décloisonnement se traduit également par l’organisation des « Amphis de la santé », événements internes destinés à acculturer les acteurs Orange en matière de santé et accueillant des experts externes à l’entreprise sur des thématiques en lien avec les enjeux de la division.
La responsable Veille & Études a également pour projet d’initier une sorte de « club de veille » santé qui réunirait des acteurs de la veille relevant d’autres entreprises de la filière, afin de mobiliser l’écosystème dans lequel s’inscrit Orange Healthcare et de se nourrir de sa richesse.
Françoise Valla a choisi une abeille pour personnaliser la charte graphique de ces livrables de veille. Abeille butineuse, la fonction veille contribue à la fertilisation croisée des idées des différents contributeurs. Personne ressource reconnue comme telle et sachant laisser la place aux autres, la responsable Veille & Études intervient modestement, par touches impressionnistes, réussissant le tour de force de faire coïncider ce qui la passionne avec ce qui représente une utilité pour les marketeurs qui l’entourent. •

85Alpha Diallo

86Corinne Dupin

Notes

  • [1]
    Nous reprenons ici les travaux présentés dans un ouvrage publié en 2008 : Patrice Noailles, en collab. avec Serge Chambaud, L’innovation - valeur, économie, gestion, Éditions ESKA, 229 p.
  • [2]
    Source : L’innovation - valeur, économie, gestion.
  • [3]
  • [4]
    Source : Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupâquier, Histoire des populations de l’Europe, Fayard, 1998-1999.
  • [5]
    Notamment dans son ouvrage Race et histoire, Unesco, 1952.
  • [6]
    Source : L’innovation - valeur, économie, gestion.
  • [7]
    Dans La Machine et le chômage, Dunod/Bordas, 1980.
  • [8]
    J. Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Armand Colin, 1954, rééd. Économica, 1990, p. 27.
  • [9]
    P. Le Masson, B. Weil, A. Hatchuel, Les processus d’innovation : conception innovante et croissance des entreprises, Hermès science publications, Lavoisier, 2006.
  • [10]
    R. Maniak, C. Midler, « Shifting from co-development to co-innovation », International journal of automotive technology and management, 2008, vol. 8, n° 4, p. 449-468.
  • [11]
    H. W. Chesbrough, « The era of open innovation », MIT Sloan management review, 2003, vol. 44, n° 3, p. 35–41.
  • [12]
    A. B. Hargadon A. 2002, « Knowledge brokering: a network perspective on learning and innovation », in B. Staw, R. Kramer (eds), Research in organizational behavior, 2002, n° 21, p. 41-85.
  • [13]
    Créée en 1993 par Jean-Luc Hannequin, de la CCI de Rennes, et actuellement dirigée par Hervé Daniel, Créativ a été labellisée Centre européen d’entreprise et d’innovation (CEEI). Créativ a conçu, expérimenté et formalisé une méthode, testée et déployée sur plus de mille entreprises, conçue pour s’adapter à toutes les entreprises quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, ainsi qu’aux projets innovants et aux créations d’entreprises.
  • [14]
    Pascal Morand, Delphine Manceau, Pour une nouvelle vision de l’innovation, La Documentation française, Rapports officiels, 2009.
  • [15]
    Pour plus de développement sur les liens entre incertitude et stratégie et entre incertitude et innovation, lire : Vincent Boly, Ingénierie de l’innovation, organisation et méthodologies des entreprises innovantes, Hermès Lavoisier, 2008.
  • [16]
    Voir : Alpha Diallo, Loïc Lebigre, L’intelligence stratégique en cours de normalisation : quelles perspectives ? », Documentaliste - Sciences de l’information, septembre 2010, vol. 47, n° 3.
  • [17]
    Pour plus de précisions sur le management de l’innovation, lire : Arnaud Groff, Manager l’innovation, 100 questions pour comprendre et agir, Afnor Éditions, 2009.
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