Couverture de DN_051

Article de revue

La littérature au risque du numérique

Pages 113 à 134

Notes

  • [1]
    Le rapport (http:// www. culture. fr/ culture/ actualites/ rapports/ cordier/ intro. htm) de la commission Cordier sur le livre électronique mis en place par la ministre de la Culture Catherine Trautman est à cet égard éclairant. Dominé par les craintes de la plus grande partie des acteurs de la filière du livre, il reste cantonné à des considérations commerciales et éthiques sans aborder les questions de fond sur la nature même de la littérature numérique.
  • [2]
    Grand prix ex-æquo : David Maranis pour When Pride still mattered et E.M. Schorb pourParadise square.
  • [3]
    Ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les arts numériques compose une vaste galaxie en mouvement qui commence seulement à être pensée d’un point de vue épistémologique. Voir par exemple le livre de Jean-Pierre Balpe, Contextes de l’art numérique, Hermès, 2001.
  • [4]
    Il suffira ici de rappeler les polémiques menées par des chercheurs en littérature comme Rifaterre ou Todorov contre les premières études de lexicométrie appliquées à des œuvres littéraires.
  • [5]
    Il existe cependant des logiciels de reconnaissance optique de caractères (ROC) qui permettent de passer du mode image au mode texte.
  • [6]
    Chartier (R.), Le livre en révolutions. Entretiens avec Jean Lebrun, Seuil, 1997.
  • [7]
    Clément (J.), « Le e-book est-il le futur du livre ? » in Les savoirs déroutés, Presses de l’ENSSIB, 2000.
  • [8]
    Kristeva (J.), Sèméiôtiké, Seuil, 1969.
  • [9]
    Clément (J.), « Hypertexte et édition critique: l’exemple des romans de Céline », in Texte, n° 13/14 (1993), Toronto, 1994.
  • [10]
  • [11]
    http:// promo. net/ pg/
  • [12]
  • [13]
  • [14]
    Les éditions 00h00 ont été les premières à mettre en vente sur le web des ouvrages numériques à télécharger.
  • [15]
    Voir article de l’encyclopédie.
  • [16]
    Les modèles actuellement disponibles sont le « Cybook » de Cytale, le « eBook » de Gemstar, le « eCodes » de Codicil et l’ « eBookMan » de Francklin. A ces modèles, il faut ajouter les assistants numériques (Palm Pilot, PhoneReader, etc.) et les différents readers (Adobe, Microsoft, Mobipocket) qui sont des logiciels destinés à la lecture de textes sur écran.
  • [17]
    Escarpit (R.), Le Littératron, Flammarion, Paris, 1964.
  • [18]
    Le littératron a connu une descendance avec le pipotron, l’insultron, le remercitron et autres générateurs recensés sur le site http:// www. charabia. net
  • [19]
    Donguy (J.), Tag-surfusion, L’Evidence, 1996.
  • [20]
    Denize (A.), Machines à écrire, Gallimard Multimédia, Paris, 1999.
  • [21]
    Lévy (P.), De la programmation considérée comme un des beaux-arts, La Découverte, Paris, 1992.
  • [22]
    Barthes (R.), S/Z, Seuil, 1970.
  • [23]
    Vaisseaux brûlés est une version hypertextuelle de son ouvrage P.A. (petites annonces) publié chez P.O.L. en 1997 : http:// perso. wanadoo. fr/ renaud. camus/ presentation. html.
  • [24]
    Storyspace, de la société Eastgate, est un logiciel d’écriture hypertextuelle très prisé par les auteurs d’hyperfiction américains.
  • [25]
  • [26]
  • [27]
    Benjamin (W.), Ecrits français, Gallimard, 1991.
  • [28]
    Queffelec (Y.), Trente jours à tuer, Coédition France Loisirs/Editions 00h00, 2000 ; Frain (I.), J’ai trois amours, France Loisirs, 2000.
  • [29]
    Borges (J.L.), Le livre de sable, Gallimard, 1978.
  • [30]
    Borges (J.L.), Fictions, Gallimard, 1965.
  • [31]
    Develay (F.), « La fatigue du papier », in Alire, Le salon de lecture électronique, Mots-voir.

1 – Introduction

1Les rapports qu’entretient la littérature avec l’univers du numérique sont complexes et l’enjeu de ce croisement va bien au-delà des problèmes posés par la simple transposition d’un support à l’autre. Ramener cet enjeu à des questions d’ergonomie de lecture, de droits d’auteur ou encore de viabilité économique serait méconnaître la nature particulière de la littérature et de son rapport aux supports matériels de son inscription et de sa circulation. Il ne semble pas que tous ceux qui œuvrent dans le champ littéraire (auteurs, éditeurs, diffuseurs, critiques, lecteurs, institutions diverses) aient pris la mesure des problèmes épistémologiques qui se posent à la littérature lorsque celle-ci se risque à quitter le support du livre qui a été pendant si longtemps le sien [1]. Il est vrai que nous ne sommes qu’au début de cette transition et que la littérature dite numérique n’est le plus souvent qu’une littérature numérisée, simple recyclage sur un nouveau support de textes appartenant aux fonds éditoriaux classiques. Il est significatif à cet égard que les premiers prix de littérature électronique décernés à la foire de Francfort en l’an 2000 aient couronné des ouvrages d’abord publiés sous la forme d’un livre avant d’être édités sur un support électronique [2]. Mais au-delà de cette frilosité bien compréhensible de la part d’éditeurs attentifs à conserver leurs parts de marché se dissimulent quelques problèmes de fond qui tiennent à la nature particulière du texte dans son rapport aux médias. La littérature a été si longtemps associée au livre que nous avons tendance à nous préoccuper de l’avenir de ce dernier plutôt qu’à interroger la nature du lien instauré il y a cinq siècles entre le texte et son support imprimé. En se libérant de ce lien, la littérature prend le risque de remettre en cause son identité, le risque de se perdre ou de se dissoudre dans la vaste mutation médiatique en cours.

2La première interrogation doit porter sur la dématérialisation du texte et sur son caractère désormais virtuel. Peut-il y avoir une littérature écrite sans un support matériel fixe, sans livre, sans pages et sans papier ? Notre culture de l’imprimé qui modèle les conditions de sa réception deviendrait-elle sans objet ? La digitalisation du texte le rend par ailleurs susceptible d’être soumis à un traitement informatique, voire même d’être généré par un programme. La littérature risque alors de n’être qu’un produit industriel et, cédant aux vertiges du multiple et du répétitif, de se réduire en texte engendrable à l’infini, en flux ininterrompu de paroles sans auteur ? Pourtant aujourd’hui, des poètes trouvent dans l’écran des ordinateurs une nouvelle surface d’inscription de leurs œuvres et cherchent à utiliser les nouvelles opportunités qu’il offre, notamment en termes d’animation et de multimédia. Mais de la confrontation du texte avec l’image et le son risque de surgir de nouvelles formes que l’on hésite à rattacher à la littérature tant elles s’hybrident avec les autres formes d’art qu’a pu faire naître le multimédia [3]. Par ailleurs, la littérature numérique ouvre la voie à des œuvres interactives. La prise en compte du lecteur dans le processus de formation de l’œuvre donnée à lire fait naître une nouvelle problématique qui est notamment présente dans les hypertextes. En plaçant le lecteur en situation d’acteur, la littérature ne risque-t-elle pas de perdre une partie de ses privilèges en matière de narration au profit d’un jeu dramatique dans lequel le lecteur s’improvise auteur/acteur. Là encore, l’œuvre littéraire se trouve confrontée à sa disparition.

3Enfin, les possibilités de diffusion de la littérature sur le web bousculent les hiérarchies et les genres. L’autopublication et l’écriture en réseau donnent lieu à de nouveaux modes d’expression et d’écriture qui sont bien éloignés de l’univers éditorial construit autour du livre objet et qui réglait jusqu’à présent ses modes de communication et de consommation.

2 – Les risques du virtuel

4Dans notre culture occidentale moderne, la littérature est si intrinsèquement liée à la bibliothèque et aux livres qu’elle a longtemps été tenue à l’écart des développements de l’informatique. Les créateurs et les critiques ont même manifesté très tôt de profondes résistances à l’utilisation de l’ordinateur comme outil de lecture et d’écriture. Paradoxalement, ce sont souvent des informaticiens ou des scientifiques d’horizons divers qui se sont intéressés les premiers aux possibilités nouvelles qu’offrait l’informatique à l’étude des œuvres littéraires. C’est ainsi que dès 1963, à la suite des travaux de Jean-Claude Gardin sur l’Analyse conceptuelle du Coran sur cartes perforées, les chercheurs ont commencé à tirer parti des ressources informatiques dans l’étude des textes. Il a fallu cependant vaincre bien des réticences et des malentendus [4].

5Pour bien comprendre les enjeux de la digitalisation des textes littéraires, il faut tout d’abord revenir sur les techniques utilisées. Les ordinateurs permettent de coder des images, du son et du texte et de les traiter par programme. Dans ce processus, le texte occupe cependant une place singulière. A la différence de l’image et du son dont c’est la matérialité analogique qui est codée, le codage du texte peut se faire selon deux modalités fondamentalement différentes : le mode image et le mode texte.

6La numérisation en mode image consiste à numériser le texte tel qu’il est disposé sur la page. Cette méthode a l’avantage de conserver les caractéristiques de la mise en page originale et d’être la plus économique. C’est pourquoi elle a été choisie par les bibliothèques pour numériser leur fonds. Les fichiers numériques remplacent avantageusement les microfilms qui étaient moins faciles à manipuler, à communiquer et à reproduire. S’il ne s’agissait que de fournir des fac-similés numériques aux chercheurs et aux lecteurs, l’opération n’aurait qu’un intérêt pratique et n’offrirait pas matière à s’alarmer. Tout au plus peut-on craindre une lecture moins commode que celle offerte par le support papier. Mais les textes ainsi numérisés sont figés et ne peuvent être manipulés par un ordinateur : on ne peut ni les solliciter pour effectuer des recherches de mots ou de chaînes de caractères, ni les intégrer dans un traitement de texte pour les copier ou les modifier [5]. Or ce sont bien ces opérations qui ont très tôt intéressé les chercheurs et suscité les polémiques. C’est par là, en effet, que tout a commencé, la numérisation en mode texte ayant été pendant longtemps le seul mode de numérisation possible.

7Avant d’être dotés d’une interface graphique, en effet, les ordinateurs n’ont su reproduire du texte qu’en codant non pas sa disposition matérielle sur la page, mais les caractères de son système d’écriture. Pour ce faire, on a associé à chaque caractère de notre alphabet une valeur numérique.

8Ce codage du texte conduit à l’abstraire de son support (la page) et de sa forme typographique (le dessin des caractères), ce qui a pour conséquence sa réduction à une dimension purement linguistique et abstraite, séparée de sa réalisation visuelle. Cette forme de virtualisation le rend alors manipulable par un ordinateur et ouvre la voie à de nouveaux modes de lecture et d’écriture. Pour la machine, en effet, le texte n’est plus qu’une suite de signes abstraits qu’elle peut stocker, transmettre, rechercher, compter, comparer, concaténer, programmer, etc. Les possibilités de manipulations textuelles sont telles que des historiens du livre comme Roger Chartier [6] n’hésitent pas à parler de révolution à propos de l’ère qui s’ouvre ainsi dans le domaine de l’écrit. Non seulement nos habitudes de lecteur se trouvent modifiées, mais la notion même de lecture s’enrichit d’une pluralité de sens nouveaux et inimaginables jusqu’alors. Pour qualifier cette mutation épistémologique, certains ont proposé le néologisme « d’hyperlecture », suggérant ainsi que le concept de lecture est désormais insuffisant pour englober des pratiques parfois fort éloignées de ce à quoi nous étions jusqu’à présent habitués.

9Les perspectives offertes par le texte numérisé en mode texte ne doivent cependant pas faire oublier que cette transformation est aussi une perte d’information. L’histoire de l’écrit nous apprend, en effet, que l’écriture ne peut être considérée comme une simple transcription de la langue orale. Au cours des siècles, les scribes, puis les typographes ont cherché à l’affranchir des contraintes de la linéarité pour mettre en place une lecture de plus en plus orientée vers la prise d’indices visuels. Cette lecture est parfois qualifiée de tabulaire parce qu’elle considère la page comme une surface sur laquelle s’organise un système de signes formant un réseau à la fois sémantique et sémiotique. Or cette inscription du texte dans un espace qui contribue à la formation du sens disparaît dans le codage en mode texte. Pour pallier cette déperdition sans recourir au mode image, on a imaginé une solution qui répond partiellement au problème. Elle consiste à jalonner le texte avec des marqueurs appelés « balises » qui réintroduisent sous une forme métadiscursive les informations perdues. Ainsi l’ordinateur peut-il, au moins en partie, reconstituer la mise en page originelle. Grâce aux balises, chaque élément du texte (titre, sous-titre, citation, note ou même simple mot) peut être accompagné d’une information portant tantôt sur son statut dans l’économie générale du texte d’origine, tantôt sur la forme typo-dispositionnelle qu’il doit prendre lors de son affichage ou de son impression (justification des paragraphes, taille et attributs de la police des caractères, etc.), tantôt sur sa nature sémantique. Depuis 1986, la norme SGML (Standard Generalized Markup Language) définit la manière dont doivent être élaborés ces grammaires de balisage dont les plus connues sont HTML (Hypertext Markup Language), XML (eXtended Markup Language), la TEI (Text Encoding Initiative) et plus récemment Open e-Book, une norme destinée à l’affichage des textes sur les livres électroniques.

10Mais cette tentative de reconstituer les propriétés du livre papier sur un support électronique dont le e-book est le représentant le plus récent pourrait bien n’être que le signe d’une hésitation, à ce moment donné de l’histoire, entre l’ouverture vers de nouvelles formes de lecture et d’écriture et le repli sur des objets numériques rassurants qui reproduisent au plus près les caractéristiques du livre papier [7].

11Dans la longue histoire de l’écrit, l’apparition de chaque nouveau support d’inscription du texte a généralement provoqué une modification des usages et des modes de lecture. Avec le support numérique, le changement est beaucoup plus radical.

3 – Du livre au corpus

12Le premier effet du codage informatique des textes est la dématérialisation du livre, non seulement comme support de l’organisation textuelle, mais comme objet clos sur lui-même. Le livre a cessé d’être un « volume », il ne constitue plus l’unité de lecture de la bibliothèque. Les textes numérisés n’étant plus contraints par les limites du papier, ils peuvent être stockés sur des supports de très grande capacité, en ligne ou sur cédérom. Ce changement d’échelle modifie le rapport du lecteur au texte. Si lire Les Mémoires d’outre-tombe sur écran est un exercice pénible (le livre de ce point de vue reste d’une commodité inégalée), l’accès instantané aux œuvres complètes de Chateaubriand ouvre de nouvelles perspectives de lecture. Le corpus remplace le livre. Constitué des textes d’un même auteur ou de ceux d’un ensemble plus large (une anthologie d’un genre littéraire, une collection des ouvrages publiés dans une période donnée, etc.), le corpus est la nouvelle unité de lecture sur support électronique.

13Ce que l’utilisateur attend de l’examen d’une base de données textuelles établie sur un corpus, ce sont des informations que la lecture ordinaire ne livre pas, ou qu’elle ne livrerait qu’au prix d’un travail fastidieux et sans commune mesure avec les bénéfices escomptés. De ces tâches justement appelées cléricales par les anglo-saxons, l’ordinateur s’acquitte avec une exactitude et une rapidité incomparables. Qu’il s’agisse d’établir le vocabulaire de Victor Hugo pour le confronter à celui de ses contemporains, de retrouver les apparitions d’un même personnage dans les différents romans de la Comédie humaine, de dresser le bestiaire de l’œuvre de Colette ou de classer la liste des vocables d’une période littéraire par ordre de fréquence décroissante, l’ordinateur ouvre la voie à de nouvelles « lectures » qui modifient singulièrement notre rapport aux textes. L’usage de l’ordinateur comme « machine à lire » varie selon les supports et les objectifs. Une base de données structurée comme l’est la base Frantext offre aux chercheurs une large panoplie d’outils de lecture et de recherche applicables sur un corpus de plus de 3 000 ouvrages du XIVe siècle à nos jours. Les cédéroms du commerce comme ceux des éditions Acamédia ou Gallimard répondent pour leur part à la curiosité des étudiants et à celle d’un public cultivé. Les outils de lecture qu’ils proposent permettent des recherches moins sophistiquées, mais ils offrent en compensation un environnement documentaire textuel, iconographique et sonore propre à susciter de nouvelles formes de lecture. Le texte n’est plus inscrit dans un espace circonscrit qui l’isolerait du reste de la bibliothèque. Grâce aux liens hypertextuels, il est mis en relation avec son intertexte, constitué par l’ensemble des textes dont l’auteur s’est inspiré de façon ouverte ou secrète, consciente ou non. Cette relation, d’abord théorisée par Julia Kristeva [8] trouve dans l’hypertexte une instrumentation qui la rend facilement accessible au lecteur [9]

4 – La fin de la bibliothèque ?

14La numérisation des textes a également pour conséquence leur « déterritorialisation ». Ce mouvement, déjà amorcé sur les premiers supports magnétiques, s’est accéléré avec la popularisation du réseau internet. Désormais les textes ne sont plus seulement dans les livres et dans les bibliothèques, ni sur un disque dur ou un cédérom, ils circulent sur les réseaux, ils sont devenus « nomades ». A la différence des livres toujours soumis à des contingences matérielles incontournables de diffusion et de communication, les textes numériques s’affranchissent des distances et des dispositifs lourds de la chaîne éditoriale. Un roman de huit cents pages se duplique en quelques secondes et s’expédie à l’autre bout du monde en quelques minutes. Pour lire un texte, il n’est plus besoin d’en passer par les médiateurs habituels du livre. Sur l’internet, des auteurs, comme Stephen King [10] diffusent eux-mêmes leurs œuvres. Des associations comme Gutenberg [11] aux Etats-Unis ou l’ABU (association de bibliophiles universels) [12] en France mettent à contribution les internautes pour constituer des fonds textuels en libre accès. Des sites de référence comme Athena [13]dressent des catalogues interactifs des textes disponibles à travers le monde. Des libraires font de la vente en ligne et des éditeurs [14]expédient à leurs clients des ouvrages numériques.

15Mais en sortant de la bibliothèque, le livre perd une partie de son identité. C’est en effet dans sa relation aux autres livres de la bibliothèque que s’apprécie sa place dans la production des savoirs et sa valeur patrimoniale. Or cette relation n’est pas du ressort du seul lecteur. Elle est construite, organisée par les bibliothèques. L’historien du livre Roger Chartier a bien montré combien les tâches de recension, de classement et d’assignation des textes ont façonné au cours des siècles un « ordre des livres » qui structure les connaissances. A toutes les étapes de la filière livre, la numérisation bouleverse cette économie ancienne du livre. Les rapports entre le lecteur, l’auteur, l’éditeur, le bibliothécaire ou le libraire doivent être entièrement repensés.

16Confronté à la dispersion et à la disparité des sources de lecture, le lecteur éprouve parfois durement le manque de repères topologiques et qualitatifs. L’utilisation des moteurs de recherche, si elle permet de retrouver les textes à partir de mots-clés ou de chaînes de caractères, produit beaucoup de « bruit » et n’apporte aucune indication sur leur valeur. Seuls les « portails » de référence offrent une vision organisée et hiérarchisée d’une partie de la masse des textes disponibles. En jouant le rôle de bibliothèque virtuelle, ils contribuent à remettre un peu d’ordre au sein d’un univers passablement désorganisé.

17La vraie nouveauté, cependant, n’est pas dans les tentatives de reconstitution de la bibliothèque traditionnelle fondée sur une organisation a priori et hiérarchisée des savoirs, mais dans la constitution d’une structure en réseau qui permet de reconfigurer l’ensemble des documents selon une très grande variété de parcours répondant à des logiques qui tiennent mieux compte des préoccupations des lecteurs. Cette structure réticulaire, théorisée dès 1945 par Vannevar Bush puis par Ted Nelson en 1965 sous le nom d’hypertexte, est constituée de « nœuds » (les textes) et des liens qui les relient entre eux et que le lecteur peut activer ou non au cours de sa lecture. Sur le modèle de l’encyclopédie classique dont il s’inspire, l’hypertexte électronique est libéré de la linéarité des pages du livre et des contraintes de son volume, il se donne à lire par unités « discrètes » reliées entre elles selon des configurations variables [15]

18Ce dispositif a pour corollaire une fragmentation des textes et de la lecture. Affranchi de son assujettissement à l’ordre séquentiel des pages et de la linéarité du discours de leur auteur, le lecteur peut, à chaque fois qu’un lien se présente, bifurquer vers d’autres textes au gré de ses centres d’intérêt, consulter des informations complémentaires ou s’engager dans une dérive qui l’emportera parfois très loin du texte initial. En s’en remettant pour sa lecture à la liberté du lecteur, l’hypertexte déconstruit l’ordre du texte et dépossède son auteur d’une partie de son autorité et de son intention auctoriale. Sur le web, en particulier, aucun mécanisme satisfaisant ne permet de donner un sens a priori aux parcours d’un lecteur susceptible de passer sans transition d’un auteur à un autre au beau milieu d’un texte. Même dans les cas, plutôt rares, d’un auteur unique organisant son discours en hypertexte, il est impossible à ce dernier de prévoir tous les contextes dans lesquels un fragment sera lu.

19Ce nouveau mode de lecture peut être approprié à des textes informatifs, mais il semble mal convenir à l’exercice d’une pensée qui nécessite continuité et patience. Apparenté au zapping télévisuel, il fait craindre à certains les dangers d’une « hypolecture ». En réalité, nous sommes au début d’une ère nouvelle et de nouvelles formes discursives devront être inventées pour que l’hypertexte trouve sa légitimité dans l’espace d’écriture ainsi ouvert.

5 – Le e-book, simple transition ?

20Récemment arrivé sur le marché, le livre électronique, que les anglo-saxons appellent e-book, semble promis à un bel avenir si on en juge par le nombre d’opérateurs engagés dans sa promotion. Concepteurs, fabricants, éditeurs, opérateurs sur l’internet, tous sont à la recherche de la formule magique qui permettra de concilier les habitudes culturelles de l’édition traditionnelle et le potentiel du livre électronique.

21L’apparition du livre électronique représente un double enjeu. D’une part, il séduit les habitués du livre en préservant certaines de ses caractéristiques essentielles. A l’inconfort de la lecture sur écran qui impose au lecteur de rester mal assis devant son ordinateur de bureau, il substitue les avantages de la mobilité. Il tient dans la main, peut s’emporter partout et offre une assez bonne lisibilité.

22Sa « fermeture » permet, par ailleurs, aux acteurs économiques de la chaîne du livre de retrouver leur rôle et de préserver leurs revenus. Avec lui s’éloigne le spectre d’un texte circulant librement hors de tout contrôle. Les différents modèles disponibles [16] prévoient, en effet, des dispositifs de cryptage qui rendent le texte solidaire de la machine. L’ouvrage que le lecteur a téléchargé ne peut être lu que sur un seul appareil et ne peut être reproduit ni diffusé. Il est ainsi mis fin à la dissémination des textes, et l’on revient à la situation antérieure dans laquelle les auteurs et les éditeurs se rémunèrent par la vente au lecteur. De ce point de vue, le passage au support électronique pourrait même constituer une régression pour les pratiques de lecture. La circulation des livres sous la forme de prêt entre particuliers ou par le biais des bibliothèques risque de se trouver entravée par la matérialité du dispositif de lecture auquel ils seront désormais attachés.

23Parallèlement à cette mutation qu’il provoque dans le commerce des livres, le livre électronique pourrait être à l’origine d’un nouveau rapport au texte. Sans être aussi puissant que les machines de bureau, le livre électronique offre quelques-unes des fonctionnalités des bases de données textuelles. Livré avec un stylet et munis d’une interface interactive, il permet au lecteur ordinaire de pratiquer sans difficulté une lecture dite « savante » réservée jusqu’à présent aux spécialistes. Les fonctions de recherche d’occurrences de chaînes de caractères et d’activation de liens hypertextuels sont simplifiées, tandis que les possibilités d’annotation dynamique (soulignement, pose de signets et de post-it, annotations dans les marges, constitution de corpus, etc.) favorisent une lecture active dans laquelle le lecteur est prêt à tout moment à passer à l’écriture.

6 – De nouvelles perspectives pour la création littéraire

24La littérature a toujours été dépendante de ses supports et de ses moyens de production. La pierre gravée, le volumen, le codex, le livre imprimé, la machine à écrire, le traitement de texte ont tour à tour suscité des modes de lecture et d’écriture différents. Avec l’informatique s’ouvre un nouvel espace d’inscription dont les modalités sont infiniment plus riches et plus diverses que celles offertes par les supports précédents. Cette richesse et cette diversité tiennent essentiellement à trois caractéristiques du texte numérique que nous distinguerons désormais du texte numérisé, simple reproduction d’un texte destiné d’abord à une lecture sur papier. La première est son mode d’affichage.

25A la différence du papier qui fige le texte dans une forme définitive, l’écran de l’ordinateur peut accueillir des mises en page et des choix typographiques modifiables à vue. Cette simple possibilité redonne aux auteurs et/ou aux lecteurs une partie des prérogatives des éditeurs quant à la disposition matérielle du texte que lira le lecteur. De manière plus spectaculaire, la mobilité ouvre la possibilité d’afficher des textes animés, dynamiques, mis en scène pour la lecture sur écran.

26La deuxième caractéristique concerne le caractère programmable des textes. Grâce à des programmes informatiques, le texte n’est plus seulement mis en scène, il est généré par la machine. L’écrivain se fait « ingénieur du texte ». Il n’écrit plus des livres, mais conçoit des algorithmes, parfois même des programmes qui seront interprétés par l’ordinateur. D’une certaine manière, il devient ainsi le premier lecteur des textes produits par la machine.

27La troisième caractéristique est l’interactivité, c’est-à-dire la possibilité pour le lecteur d’intervenir dans le processus même de l’écriture par des choix qui influeront sur les textes qui lui seront donnés à lire, ou plus simplement sur l’ordre dans lequel ils apparaîtront à l’écran.

28Ces trois caractéristiques ont donné naissance à trois « genres » littéraires qui certes ne se rencontrent que rarement à l’état pur, mais dont la distinction permet de mieux comprendre les problématiques mises en œuvre : la génération automatique, la poésie animée, l’hyperfiction.

7 – Ecritures procédurales

29La génération automatique constitue le premier de ces genres. Elle correspond à un très ancien désir d’écriture qui s’est d’abord exprimé dans l’art de la combinatoire avant de tirer parti des travaux de la linguistique pour imaginer des programmes complexes engendrant des textes qui peuvent être lus comme des textes papier. En relevant le défi de la concurrence avec les textes classiques ce genre se place donc sous le signe du lisible.

30Les écritures génératives ou « procédurales » sont celles qui sont le résultat d’une procédure formelle, d’algorithmes mis en œuvre dans un programme informatique. Leur caractéristique est de générer du texte à partir d’éléments infratextuels combinés selon un processus dans lequel l’aléatoire joue un rôle essentiel.

31Ces éléments infratextuels, que certains ont proposé d’appeler « textons » en référence aux électrons de la physique, peuvent être de tailles variables. Certains générateurs utilisent comme textons des phrases ou des vers, voire même des paragraphes ou des strophes. Dans ce cas, les programmes peuvent être assez simples puisque la syntaxe des phrases est déjà constituée en entrée. Il suffit de les combiner selon certains critères pour produire de nouveaux énoncés, qu’on pourra appeler « scriptons » par opposition aux textons. Plus incertaine est la combinatoire qui utilise comme textons des éléments du niveau du mot, ou même parfois du niveau de la syllabe ou de la lettre. Dans ce cas, les chances de produire aléatoirement un énoncé cohérent sont beaucoup plus faibles, voire même pratiquement nulles.

32Les premiers programmes informatiques de génération de textes n’étaient que des procédures de concaténation de ces unités élémentaires. Les textes produits n’étaient que faiblement lisibles, voire même totalement illisibles, à l’instar de ceux que les « ingénieurs des sciences spéculatives » de l’île de Lagado produisaient avec leur générateur mécanique dans les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1726). Dans son Littératron[17] Robert Escarpit se situe dans la même veine satirique en imaginant un ordinateur produisant des discours politiques à partir des conversations de comptoir [18] Mais cette illisibilité peut être revendiquée quand elle s’inscrit dans un mouvement de contestation du discours littéraire dominant, voire de révolte contre ce que Barthes appela un jour le « fascisme de la langue ». Il suffira ici d’évoquer les collages de Tristan Tzara ou les cut-up de Williams Burroughs. C’est de cet héritage que sont nés les textes de Théo Lutz engendrés par l’ordinateur à partir des cent premiers mots du Château de Kafka dès 1959 ou les « échantillonnages discrets » que Jacques Donguy a réunis en volume en 1996 sous le titre de Tag-surfusion[19]

33Quand la combinatoire n’est soumise à aucun ordre, elle est dite « factorielle ». Sa puissance de génération est alors maximum, mais elle produit beaucoup de bruit et d’illisibilité. Seul un soin particulier dans le choix des textons peut réintroduire un peu de sens et produire un effet de lisibilité. Dans Composition n°1, Marc Saporta a choisi d’écrire un roman de 150 pages sous forme de fichier suivant ce principe : le lecteur est invité à lire les pages au hasard, comme une cartomancienne tire les cartes. Si le résultat en est une œuvre qui relève bien d’une activité de lecture, c’est parce que les fragments écrits par l’auteur forment des unités de lecture d’un volume suffisant pour être cohérents.

34Un deuxième type de combinatoire, moins puissante mais encore très prolifique, est la combinatoire « exponentielle ». Dans ce dernier cas, les textons sont divisés en classes auxquelles sont assignées une place précise dans le texte. Cet arrangement permet de mieux maîtriser l’ordre des énoncés. C’est sur ce principe que Raymond Queneau a écrit ses Cent mille milliards de poèmes. Ce dispositif publié au départ dans une version papier est désormais disponible sur ordinateur grâce au travail d’Antoine Denize [20] Les sonnets produits à partir de textons du niveau du vers sont tous lisibles, même s’il y entre une bonne part de fantaisie et de surprise. Cette combinatoire est donc moins radicale que la précédente. Elle cherche à jouer de la créativité de la langue plutôt qu’à en contester les règles. Elle n’en produit pas moins un effet de vertige : « C’est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes, écrit son auteur, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ».

35Mais le vrai défi de la lisibilité est celui qui consiste à tenter de générer des textes à partir d’éléments infraphrastiques, c’est-à-dire à partir d’un dictionnaire et d’une grammaire. Le fondement théorique de ce processus est fourni par la linguistique structurale. Les travaux de Noam Chomsky sur la grammaire générative ou ceux des français C. Brémond ou A.J. Greimas sur la structure des récits offrent des méthodes d’analyse qui décrivent la génération des énoncés en langue sur le modèle d’algorithmes formalisables sur un ordinateur. Forts de ces avancées théoriques, les membres du groupe de l’ALAMO (atelier de littérature assistée par la mathématique et l’ordinateur, fondé en 1981) ont cherché à mettre au point des programmes, appelés « littéraciels » susceptibles de générer automatiquement des textes dans un genre donné. Membre fondateur de l’ALAMO, Jean-Pierre Balpe est celui qui a exploré le plus loin cette voie, en y ajoutant un point de vue pragmatique et une démarche plus heuristique. Ses générateurs sont capables de produire des textes dans tous les genres et dans tous les styles, de l’aphorisme au roman réaliste, du Haïku au livret d’opéra. Aux Etats-Unis, au Portugal, en Italie, d’autres écrivains-programmeurs travaillent dans la même direction.

36Les résultats de la génération automatique sont spectaculaires. Les textes produits sont totalement lisibles et recevables par un lecteur. Ils ne portent aucunement la marque de la machine. Le défi ici relevé est de produire des pastiches qui fonctionnent comme des leurres.

37Mais l’intérêt de cette littérature n’est pas seulement dans la qualité du texte produit. La qualité, en effet, est ici moins spectaculaire que la quantité. C’est surtout par son aptitude à générer des textes ad libitum que le dispositif étonne. Ce débordement qui excède les capacités humaines et décourage les tentatives de lecture invite à s’intéresser plus au processus d’engendrement des textes qu’aux productions elles-mêmes. La création de l’artiste est tout entière dans la construction de la machine, dans le choix des structures textuelles ou phrastiques, dans l’élaboration des procédures formelles, dans la conception du programme. Le texte est devenu secondaire, il n’est plus que le reflet répété à l’infini d’une matrice initiale. Cette écriture matricielle fait songer à Paul Valéry dont les Cahiers révèlent à quel point l’intéressait plus le fonctionnement de son esprit que le poème achevé. En ce sens, la génération de texte relève davantage de la poétique, conçue comme l’ensemble des règles qui gouvernent la production littéraire, que d’une esthétique de la réception, puisque seul vaut comme œuvre le programme et que celui-ci n’est pas accessible au lecteur.

38Est-ce encore de littérature qu’il s’agit ? Peut-il y avoir une littérature qui ne soit fondée sur des œuvres identifiables et accessibles à la relecture ? Même si la programmation a pu être considérée par certains comme l’un des « beaux-arts » [21] il paraît difficile d’en faire un genre littéraire. Le risque pour la littérature est ici similaire à celui que font courir à la peinture certains artistes qui privilégient l’installation provisoire, le processus, l’éphémère ou le conceptuel au détriment de l’objet peint. Mais peut-être faut-il ici admettre que la littérarité n’est plus à rechercher dans le texte-objet tel que notre culture de l’imprimé nous a appris à l’isoler et à le valoriser, mais dans le processus qui l’engendre dans son perpétuel renouvellement. De l’esthétique de la forme, la génération automatique de texte nous fait passer à une esthétique du flux.

8 – Poésie animée

39Le deuxième genre est celui de la poésie animée. Issu de la tradition des « écritures figurées » du Moyen Age ou, plus près de nous, de la poésie visuelle, ce genre cherche à privilégier la face sensible des signes linguistiques dans la création poétique. Ses textes se donnent à voir autant qu’à lire : ils peuvent donc être rangés sous la catégorie du visible.

40Il a fallu attendre les progrès de l’informatique dans le domaine de l’affichage graphique pour que les créateurs s’intéressent aux nouvelles possibilités offertes par la machine dans le domaine de la poésie visuelle, puis de la poésie animée. Pendant longtemps l’ordinateur est resté une machine à calculer qui n’avait d’autre moyen de représenter les lettres que de les convertir en nombres. Les différentes polices de caractères ont certes enrichi peu à peu la présentation typographique des textes, mais insuffisamment pour rivaliser avec l’imprimerie traditionnelle et encore moins avec la technique de l’offset. Aujourd’hui la situation a changé et la poésie numérique sait exploiter désormais toutes les possibilités d’affichage et d’animation de l’ordinateur. On peut même affirmer qu’une nouvelle forme poétique est née et qu’elle est riche de promesses.

41L’idée de tirer parti de l’affichage d’un texte pour produire des effets poétiques n’est certes pas nouvelle et, de ce point de vue, les débuts rudimentaires de l’informatique n’auront été qu’une parenthèse. Les civilisations les plus anciennes ont toujours porté une attention particulière à la forme des mots et à leur disposition dans l’espace de leur inscription. Sans aller jusqu’à évoquer les écritures idéographiques de la Chine ou du Japon, on peut rappeler que les civilisations à écriture alphabétique en Grèce ou à Rome portaient déjà une attention particulière à la disposition matérielle des signes. Depuis les « poésies figurées » carolingiennes jusqu’aux calligrammes d’Apollinaire en passant par la tentative de poésie symphonique de Mallarmé, la poésie cherche à conférer aux signes de la langue une fonction qui n’est pas seulement de représentation arbitraire, mais d’accompagnement et de contribution à la production du sens et de l’effet poétique. Récemment, Jérôme Peignot a proposé de regrouper les productions des poètes contemporains s’inscrivant dans cette lignée sous le nom de « typoésie ». Sous cette étiquette suggestive se trouvent réunis les tenants de la poésie visuelle, de la poésie spatialiste, de la poésie concrète et tous ceux pour qui la typographie est partie prenante de la création poétique.

42En France, les pionniers de la poésie numérique se sont réunis autour de Philippe Bootz dans la revue Alire. Cette revue, parue d’abord sur disquette puis sur cédérom, a publié des œuvres appartenant à des genres variés dont la caractéristique principale est qu’elles ne sont pas destinées à être lues sur une page, mais sur un écran. Car si ces poètes s’inscrivent dans la lignée de la typoésie, ils ne se contentent pas de reproduire sur un écran la disposition du texte imprimé, aussi inventive soit-elle. Exploitant les possibilités de la programmation, ils sont passés de la mise en page du texte à sa mise en scène. Le poème n’est plus statique, il est dynamique. Son affichage est soumis à un processus temporel qui le fait apparaître puis se métamorphoser ou s’évanouir, jouer des formes et des rythmes visuels, réagir parfois aux sollicitations du lecteur grâce à l’interactivité que permet la souris.

43Dans la poésie animée, l’œil est d’abord sollicité par l’espace de l’écran où s’affiche le texte. La lecture est donc un parcours spatial en quête de lisibilité. Mais la dimension temporelle de l’affichage peut contrarier cette lecture en imposant un rythme qui parfois va jusqu’à l’empêcher. Ainsi se trouve dissociés le texte à lire et le texte lu, chaque performance de lecture provoquant une lecture singulière. Cette singularité est encore renforcée si le lecteur peut interagir avec le texte. Dans ce cas, l’ordinateur est capable d’interpréter les mouvements de la souris (ou de n’importe quel périphérique de saisie d’information comme c’est le cas dans certaines installations) et de modifier en conséquence le déroulement du programme. On retrouve ici certaines caractéristiques de la poésie orale qui est dépendante des conditions de son énonciation, soumise au rythme de la diction de son interprète et aux réactions du public. Mais si la dimension sonore du poème est parfois exploitée par la poésie numérique, c’est sous le signe du visible qu’elle entend surtout se placer. Sur l’écran, la poésie se donne à voir en mouvements, elle est totalement indissociable de son support et ne pourrait ni être dite, ni être lue sans perdre l’essentiel de sa substance.

44Parmi les autres poètes qui explorent ces nouvelles formes poétiques, on peut citer Claude Faure avec ses mots en métamorphoses, Edouardo Kac auteur de poèmes en 3D ou Pierre Fourny, créateur d’une police de caractères dite « coupable » en ce qu’elle permet de permuter des moitiés de lettres coupées horizontalement pour créer des effets poétiques visuels et animés qui exploitent les glissements sémantiques provoqués par la recomposition des mots. L’avenir de ces écritures du signe sur ordinateur passe sans doute ainsi par la mise à disposition d’outils simples qui dispensent les poètes de se soumettre à l’apprentissage fastidieux d’un langage de programmation. Le développement rapide des logiciels d’animation – comme Flash de Macromedia – destinés à l’édition commerciale sur le web a déjà commencé à susciter des vocations.

45Affiché sur l’écran et emporté par les mouvements qui l’animent, le texte doit désormais affronter la concurrence des autres médias. Le lecteur est mis en position de spectateur, sollicité par un concert de signes dont le texte n’est plus qu’un élément parmi d’autres. Le texte s’efface au profit de sa forme, la littérature est menacée dans son design.

9 – Hyperfictions

46Enfin, le genre interactif cherche à répondre au désir, très ancien chez certains auteurs, de dialoguer avec leur lecteur à l’intérieur même de l’œuvre. En introduisant le lecteur au sein du dispositif textuel, en faisant de celui-ci une partie prenante d’un système d’énonciation, l’auteur transfère au profit du lecteur une partie de ses privilèges. Sur l’internet, le triangle auteur/texte/lecteur est encore modifié d’une autre façon. L’auteur peut inviter le lecteur à sa table de travail, celui-ci se fait parfois scripteur, l’écriture peut devenir collaborative ou collective. Reprenant le néologisme créé par Roland Barthes dans un contexte non informatique pour qualifier certains textes avant-gardistes [22], on pourrait qualifier de scriptibles les textes issus de ces nouvelles configurations.

47L’hypertexte, au sens informatique du terme, a d’abord été un outil de recherche documentaire destiné à faciliter la navigation dans des bases de données en s’affranchissant des contraintes d’une structuration trop rigide et de langages de requête trop simplistes. Conçu sur le modèle de l’encyclopédie, son utilisation généralisée sur le web a conduit à une prolifération non contrôlée et non maîtrisable des liens hypertextuels qui plonge le lecteur dans un véritable labyrinthe. Pour remédier à ce sentiment de désorientation, certains outils ont été imaginés (les moteurs de recherches), certaines structures ont été mises en place (les portails). Ces dispositifs ont tous pour effet de recadrer et de limiter l’usage des liens hypertextuels pour le lecteur en quête d’information.

48La littérature, quant à elle, n’est pas soumise aux mêmes exigences et n’a pas vocation à faciliter la recherche d’informations. Elle est, au contraire, curieuse de nouvelles formes et de nouveaux supports, elle trouve dans la contrainte matière à développer son imaginaire. C’est sans doute pourquoi l’hypertexte a très vite – bien avant l’invention du web – tenté les écrivains. Dès 1985, Michael Joyce publie la première hyperfiction diffusée sur disquette : Afternoon, a story. Dans les années qui suivent, de nombreux écrivains américains s’inscrivent dans son sillage, profitant d’un outil d’écriture hypertextuelle mis au point au MIT et justement nommé Storyspace. Aujourd’hui les outils d’écriture se sont multipliés, notamment sur le web et la fiction hypertextuelle s’est développée en France. Les éditions 00h00 ont été les premières à lancer en 2000 une collection d’hypertextes littéraires et des écrivains reconnus comme Renaud Camus [23] commencent à publier leurs œuvres hypertextuelles sur le web.

49A vrai dire, l’hypertexte littéraire n’est que la réalisation matérialisée de tendances qui étaient déjà présentes dans le livre classique. La première est le jeu avec la linéarité du média. La littérature orale est linéaire puisque qu’elle oblige l’auditeur à une écoute continue sans possibilité de retour en arrière. Mais dans la mesure où elle est improvisée, elle autorise des variantes que seul connaît le conteur et parmi lesquelles il peut faire un choix. L’auditeur, lui, ne les entendra qu’à l’occasion d’une autre séance d’improvisation. Avec l’apparition du livre et la naissance de la notion d’auteur, cette linéarité se trouve renforcée par le dispositif matériel de lecture qui impose un ordre fixe aux pages du livre et par le rejet des variantes. C’est cette rigidité dont certains auteurs auraient aimé se libérer en offrant au lecteur la possibilité de choisir son parcours. Jacques Roubaud, par exemple, a manifesté clairement ce désir en sous-titrant son livre Le grand incendie de Londres : « récit avec bifurcations et incises ». La bifurcation, dans l’hypertexte, c’est la possibilité de quitter une ligne de récit au profit d’une autre en cliquant sur un mot ou une phrase, de construire un parcours de lecture personnalisé chaque fois que l’auteur propose un lien de ce type. L’incise relève du même mécanisme, mais elle se présente plutôt comme une digression, un pas de côté dans la marche de la narration, l’occasion offerte d’une description de paysage, de rappel d’un souvenir, etc. Dans les deux cas, l’hypertexte instrumente une démarche que le papier rend hasardeuse.

50Cette liberté offerte au lecteur tend à faire de lui un véritable interlocuteur, voire un complice dans l’élaboration du texte donné à lire. Il n’est guère d’auteur qui n’ait été tenté par le dialogue avec son lecteur, tantôt pour obtenir son assentiment ou son indulgence, tantôt pour lui indiquer la bonne manière de lire le livre. C’est sans doute Laurence Sterne, dans son Tristram Shandy (1767) qui a poussé le plus loin cette fiction de l’interactivité par ses adresses incessantes au lecteur. L’hypertexte permet-il mieux que le papier de donner droit à ce désir profond ? Sans doute, si l’on considère les possibilités offertes de ce point de vue. L’hypertexte permet tout d’abord d’adapter le texte au profil du lecteur en lui offrant des choix explicites de parcours. Dans la mesure où ces choix multiplient de manière exponentielle les parcours potentiels, l’auteur ne peut les maîtriser totalement. Le lecteur se trouve investi d’un nouveau rôle, moins passif que dans la lecture traditionnelle. Il devient coénonciateur du texte, au moins au niveau de sa métastructure.

51Dans les hyperfictions les plus élaborées, le lecteur peut même faire partie à son insu du système énonciatif. La prise en compte de ses actions de lecture par un programme peut conditionner le texte à venir. Dans Storyspace [24] par exemple, des scripts permettent d’interdire l’accès à certains fragments de l’hypertexte tant que les lecteurs ne sont pas passés par tel ou tel passage. Tel clic de la souris sur tel mot, tel choix de parcours, telle réponse à une question peuvent donner lieu à des lectures complètement différentes. C’est sans doute ici que la littérature narrative trouve ses limites. En mettant le lecteur au centre du dispositif, en faisant même parfois de lui un personnage de l’histoire, l’hyperfiction tend vers le jeu d’aventure. Elle n’a plus à proposer qu’un décor dans lequel le lecteur devenu acteur vivra ici et maintenant sa propre histoire sur le mode du jeu dramatique. Le développement des jeux en réseau ne pourra que confirmer cette tendance. Avec le graphisme en trois dimensions, le décor même échappe au texte.

52Si la littérature hypertextuelle trouve ses limites du côté du jeu, elle est pleinement justifiée dans sa capacité à rendre compte de la crise de la littérature moderne. Les notions de texte, de narration, d’auteur ou de personnage y sont mises en question depuis longtemps. L’hypertexte ne fait que transposer cette crise dans un dispositif matériel nouveau. Choisir d’écrire sur ce nouveau support, c’est, pour un écrivain, témoigner de la prise en compte de la complexité et de l’incertitude dans laquelle nous sommes face à un univers éclaté qui ne peut plus être mis en récit que de façon trompeuse. Le lecteur peut être désarçonné par ce nouvel objet de lecture fragmentaire et chaotique, bien éloigné de sa vocation première d’accès à l’information, mais il ne peut être insensible à son actualité.

10 – Vers une littérature du court-circuit

53L’entreprise de numérisation de la littérature aujourd’hui en cours ne limite pas ses effets à la naissance de nouveaux genres ou au développement d’œuvres expérimentales. Elle introduit dans le même temps un bouleversement du champ littéraire dans ses modes de création, de diffusion et de réception. Le réseau internet, depuis l’invention du web, offre désormais une alternative aux circuits traditionnels de l’édition et menace l’ensemble de la filière du livre. Le problème se pose en termes économiques par les courts-circuits qu’il introduit dans la chaîne de diffusion des œuvres littéraires, mais aussi en termes culturels par la disparition des fonctions de médiation entre l’auteur et ses lecteurs. Dans l’édition traditionnelle, en effet, les relations entre les trois pôles du système que forment les auteurs, les éditeurs et les lecteurs sont réglés par des codes juridiques, sociaux et culturels bien établis. Au centre du dispositif, l’éditeur joue le rôle de médiateur entre l’auteur et les lecteurs et contribue à ajuster l’offre et la demande en permettant aux œuvres de trouver leur public. Même si l’on peut discuter des choix des éditeurs et regretter que leur fonction de prescripteurs les conduise souvent à rejeter dans l’ombre des auteurs qui sont ainsi privés de lecteurs, on doit leur accorder aussi un rôle majeur d’accompagnateurs, voire d’accoucheurs dans le processus de création des livres. En s’affranchissant des contraintes matérielles de l’édition papier, le texte numérique tend à se dégager dans le même temps de cette médiation culturelle. Dans cette nouvelle configuration, plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Mais quelles que soient les formes que peut prendre ce nouveau phénomène, c’est la relation auteur lecteur qui se trouve affectée. Quelques exemples suffiront à le montrer.

54En juillet 2000, Stephen King lançait un défi au monde de l’édition en proposant à ses lecteurs de télécharger son nouveau roman The Plant à raison d’un dollar par épisode. Sur son site, il écrivait à leur intention : « Nous avons l’occasion de devenir le pire cauchemar des Big Publishers ». En novembre de la même année, il annonçait piteusement la fin prématurée de l’expérience : le nombre de lecteurs cotisants à chaque épisode était en diminution et lui assurait des revenus insuffisants. De 120 000, ils étaient passés à 40 000. Le cas de Stephan King est particulier. Auteur à succès, il pensait pouvoir gagner davantage d’argent (et non pas de lecteurs) en court-circuitant son éditeur. Mais pour un auteur célèbre, il y a des dizaines, voire des centaines d’auteurs anonymes que les éditeurs ont refusés et qui ont sur le web une chance de trouver leur public. Le succès des sites consacrés à la poésie ou à la nouvelle le montre suffisamment. Ce phénomène d’autopublication s’accompagne d’ailleurs parfois d’une nouvelle fonction éditoriale assurée par des sites portails, des webrings ou des éditeurs en ligne. Les éditions 00h00 jouent de ce point de vue un rôle intermédiaire en publiant sous forme électronique des auteurs qui autrement ne rencontreraient pas leur public.

55Une autre façon de rencontrer le public consiste à ouvrir sur le web des espaces de discussion autour d’un auteur ou d’une œuvre. Renaud Camus, édité par ailleurs aux éditions P.O.L., ne s’est pas contenté de publier sur son site une version hypertextuelle de son livre P.A. (Petite annonce), il y a mis en ligne les articles suscités par la polémique autour de son livre La Campagne de France. Cette présence des auteurs sur l’internet semble désormais relever d’un mouvement général qui prend ainsi la relève du traditionnel courrier des lecteurs.

56Mais il y a plus. En se libérant des délais qu’impose le processus de fabrication des livres, la publication sur le web tend à abolir la distance entre l’auteur et ses lecteurs en rapprochant le temps de l’écriture de celui de sa consommation. Elle permet même dans certains cas d’introduire les lecteurs dans le processus d’élaboration de l’œuvre. Un bon exemple de cette nouvelle situation est la renaissance du feuilleton sur l’internet. C’est ainsi que l’écrivain Jacques Jouet a été le premier en France à publier chaque jour sur le site des éditions P.O.L. un des 245 épisodes de son roman la République de Mek-Ouyes, tandis que Martin Winckler propose à ses lecteurs de leur envoyer chaque jour un épisode de son roman-feuilleton Légendes[25]

57Cette pratique qui renoue avec celle des feuilletonistes de la Restauration reste cependant assez classique si on la compare à l’utilisation que peuvent faire les écrivains sur l’internet de la communication en direct grâce à la technique des webcams. L’écrivain brésilien Mario Prata donnait rendez-vous à ses lecteurs durant l’été 2000 pour assister à son travail d’écriture. Plus récemment, l’américain Olen Butler, prix Pulitzer, a proposé à ses lecteurs 19 séances d’écriture au cours desquelles il dévoilait et mettait en pratique ses techniques de creative writing[26]. Ainsi invité à la table de travail de l’écrivain, le lecteur est introduit dans le back office de la création littéraire et s’y trouve associé. « La différence entre auteur et public tend à perdre son caractère fondamental. Elle n’est plus que fonctionnelle. Elle peut varier d’un cas à l’autre. Le lecteur est à tout moment prêt à passer écrivain » écrivait Walter Benjamin [27] Avec l’internet, le pas est franchi. Quelques auteurs ont accepté de donner la main à leurs lecteurs pour poursuivre ou enrichir l’œuvre en train de se faire. A l’initiative de France loisirs, Yann Queffélec et Irène Frain ont tour à tour invité leurs lecteurs à écrire la suite d’un premier chapitre publié en ligne. Grâce aux mails, aux forums et aux chats organisés à leur intention s’est mise en place une collaboration qui a abouti à la publication de deux romans [28]. Dans un esprit très différent, l’écrivain Jean-Pierre Balpe a associé durant l’été 2001 l’écriture en feuilleton et l’interaction avec ses lecteurs.

58D’une manière plus générale, l’internet incite les lecteurs à se lancer dans l’écriture et la publication. La renaissance du courrier, la prolifération des home pages, la multiplication des sites de poésie ou de nouvelles témoignent d’une démocratisation de l’écriture grâce aux nouvelles possibilités d’autopublication. A tel point qu’on a pu dire en forme de paradoxe, qu’il y avait plus de gens pour écrire que de gens pour lire sur l’internet. Une expérience comme celle du Websoap est significative à cet égard. Pendant trois mois, huit auteurs recrutés par petite annonce ont écrit ensemble un roman par mail apparenté aux jeux de rôles. Chacun d’eux non seulement écrivait, mais lisait les courriers des autres, passant souvent, surtout vers la fin de l’expérience, plus de temps à lire les productions d’autrui qu’à écrire les siennes. L’expérience n’ayant eu que très peu de lecteurs extérieurs au groupe d’écrivains, elle a fonctionné en circuit fermé, abolissant la distance entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent, créant en quelque sorte une œuvre quasiment sans lecteurs.

11 – Conclusion

59La littérature aujourd’hui est en crise et elle perçoit l’arrivée du numérique d’abord comme une menace et un risque. La numérisation du patrimoine littéraire qui est appelée à se poursuivre n’est pas seulement une entreprise de conservation des œuvres. Elle introduit de nouveaux modes de lecture qui peuvent faire craindre un abandon de la lecture intensive au profit de lectures extensives. De nouvelles pratiques se font jour, de nouvelles habitudes se créent. La littérature ne fait ici que suivre un mouvement plus général. Ce changement affecte tous les médias. Il fait du lecteur un consommateur qui navigue à la recherche de l’information, pratique de nouvelles formes d’appropriation des savoirs, est en quête de nouveaux plaisirs intellectuels. Mais l’histoire des médias nous enseigne qu’un média chasse rarement l’autre. La numérisation de la littérature ne fera pas disparaître le livre pas plus que l’hypertexte ne sonne la fin de la lecture linéaire.

60Cette diversification des modes de consommation de la littérature s’accompagne d’un nouveau développement de ses modes de création. Le texte numérique ouvre la voie à des œuvres d’un nouveau genre destinées à être reçues en dehors de l’univers du livre. En quittant son support traditionnel, la littérature prend le risque d’explorer de nouvelles formes que certains auteurs avaient jusque-là pressenties ou appelées de leurs vœux, mais qui restaient des « fictions » au sens que Borges donne aux livres imaginaires qu’il évoque dans son recueil de nouvelles du même nom.Le livre de sable[29], par exemple, est devenu une réalité avec la génération automatique de textes. Le jardin aux sentiers qui bifurquent ou l’Examen de l’œuvre d’Herbert Quain[30] préfigurent l’hypertexte. Les poèmes de Tristan Tzara annoncent la poésie multimédia. Les exemples ne manquent pas, qui illustrent tous le désir de sortir des formes littéraires déterminées par le support du livre ou une certaine « fatigue du papier », pour reprendre le titre d’une œuvre de Frédéric Develay [31] Le risque ici serait de croire que le numérique permet d’apporter la réponse à ces courants qui parcourent la littérature, de penser que le nouveau support va enfin donner le champ libre à ces anciens désirs. Parler de libération, comme l’ont fait certains auteurs américains à propos de l’hypertexte, serait méconnaître les vertus de la contrainte dans la création littéraire. C’est au contraire dans l’affrontement aux spécificités du multimédia qu’une nouvelle littérature peut émerger. Mais il faudra s’habituer à ne plus reconnaître les signes distinctifs de l’œuvre littéraire. La génération de texte produit moins des objets que des flux ou des processus, la poésie animée annule le primat du texte au profit de son environnement multimédia, dans l’hypertexte l’auteur coopère avec ses lecteurs dans l’émergence de parcours énonciatifs singuliers et non reproductibles, tandis que sur le web naissent de nouvelles formes de communication et de partage de l’écriture. Faut-il considérer ce nouveau paysage de la création littéraire comme le lieu d’une dissolution de sa spécificité ou comme celui d’une renaissance ? Cette littérature restera-t-elle expérimentale ou trouvera-t-elle un public ? Il est trop tôt pour le dire (ou peut-être même trop tard penseront ceux qui n’y voient qu’un éphémère feu de paille). Il n’y a pas d’invention sans risque, c’est à ce prix que la littérature peut rester vivante.

Bibliographie

12. Bibliographie

  • [AAR 97] Aarseth E.J., Cybertext, Perspectives on Ergodic Literature, Baltimore, John Hopkins University Press, 1997.
  • [ANI 93] Anis J., Lebrave J.L., « Texte et ordinateur : les mutations du Lire-Ecrire ». Actes du colloque interdisciplinaire du Centre de Recherches Linguistiques, ParisX-Nanterre, 6-7 juin 1990, édition augmentée des actes en 1993.
  • [ANI 98] Anis J., Texte et ordinateur : l’écriture réinventée ? Bruxelles, Deboeck Université, 1998.
  • [ANI 99] Anis J., Internet et communication en langue française, Paris, Hermès, 1999.
  • [BAL 95] Balpe J.P., Lelu A., Saleh I., Hypertextes et hypermédias : réalisations, outils, méthodes, Paris, Editions Hermès, 1995.
  • [BAL 97] Balpe J.P., Lelu A., Nanard M., Saleh I., « Hypertextes et hypermédias : réalisations, outils, méthodes », Actes de la 4ème conférence internationale H2PTM’97, 25-26 septembre 1997, Paris, Editions Hermès, 1997.
  • [BER 99] Bernard M., Introduction aux études littéraires assistées par ordinateur, Paris, PUF, 1999.
  • [BOL 01] Bolter J.D., Writing Space : Computers, Hypertext, and the Remediation of Print, Fairlawn, New Jersey, Lawrence Erlbaum Associates, 2001.
  • [BOO 94] Bootz P., « A://Littérature », Actes du colloque Nord Poésie et Ordinateur, Lille, Editions Mots-Voir et Gerico-Circav, 1994.
  • [CHR 01] Christin A.M., L’image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 2001.
  • [DEL 91] Delany P., Landow G., Hypermedia and Literary Studies, Cambridge MA, MIT Press, 1991.
  • [FER 97] Ferrand N., Banques de données et hypertextes pour l’étude du roman, Paris, PUF Collection « Ecritures électroniques », 1997.
  • [GAG 97] Gaggi S., « From Text to Hypertext, Decentering the Subject in Fiction », Film, the Visual Arts and Electronic Media, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1997.
  • [LAN 00] Lancien T., « Multimédia : les mutations du texte », Cahiers du français contemporain 6, Paris, ENS Editions, 2000.
  • [LAN 97] Landow G.P., Hypertext 2.0, the Convergence of Contemporary Critical Theory and Technologie, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1997.
  • [LAU 92] Laufer R., Scavetta D., Texte, Hypertexte, Hypermédia, Paris, PUF, 1992.
  • [LEV 97] Lévy P., « Cyberculture », Rapport au Conseil de l’Europe, Paris, Editions Odile Jacob, 1997.
  • [MUR 97] Murray J.H., Hamlet on the Holodeck, the Future of Narrative in Cyberspace, New York, The Free Press, 1997.
  • [NEL 93] Nelson T., Literary Machines, Sausalito, Californie, Mindful Press, 1981, réédité et augmenté en 1993.
  • [SNY 97] Snyder I., Hypertext : the Electronic Labyrinth, New York University Press, 1997.
  • [VAN 99] Vandendorpe C., Du papyrus à l’hypertexte : essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, Editions La Découverte, 1999.
  • [VUI 95] Vuillemin A., Littérature et informatique, la littérature générée par ordinateur, Artois Presses Université, 1995.
  • [VUI 99] Vuillemin A., Lenoble M., « Lecture : de la lecture assistée par ordinateur à la lecture interactive », Littérature Informatique, Presses Universitaires de Limoges, 1999.

Mots-clés éditeurs : écriture, texte, discours, édition électronique, culture, hypertexte, livre, littérature, numérisation, cyberlittérature, lecture

Mise en ligne 01/03/2001

Notes

  • [1]
    Le rapport (http:// www. culture. fr/ culture/ actualites/ rapports/ cordier/ intro. htm) de la commission Cordier sur le livre électronique mis en place par la ministre de la Culture Catherine Trautman est à cet égard éclairant. Dominé par les craintes de la plus grande partie des acteurs de la filière du livre, il reste cantonné à des considérations commerciales et éthiques sans aborder les questions de fond sur la nature même de la littérature numérique.
  • [2]
    Grand prix ex-æquo : David Maranis pour When Pride still mattered et E.M. Schorb pourParadise square.
  • [3]
    Ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les arts numériques compose une vaste galaxie en mouvement qui commence seulement à être pensée d’un point de vue épistémologique. Voir par exemple le livre de Jean-Pierre Balpe, Contextes de l’art numérique, Hermès, 2001.
  • [4]
    Il suffira ici de rappeler les polémiques menées par des chercheurs en littérature comme Rifaterre ou Todorov contre les premières études de lexicométrie appliquées à des œuvres littéraires.
  • [5]
    Il existe cependant des logiciels de reconnaissance optique de caractères (ROC) qui permettent de passer du mode image au mode texte.
  • [6]
    Chartier (R.), Le livre en révolutions. Entretiens avec Jean Lebrun, Seuil, 1997.
  • [7]
    Clément (J.), « Le e-book est-il le futur du livre ? » in Les savoirs déroutés, Presses de l’ENSSIB, 2000.
  • [8]
    Kristeva (J.), Sèméiôtiké, Seuil, 1969.
  • [9]
    Clément (J.), « Hypertexte et édition critique: l’exemple des romans de Céline », in Texte, n° 13/14 (1993), Toronto, 1994.
  • [10]
  • [11]
    http:// promo. net/ pg/
  • [12]
  • [13]
  • [14]
    Les éditions 00h00 ont été les premières à mettre en vente sur le web des ouvrages numériques à télécharger.
  • [15]
    Voir article de l’encyclopédie.
  • [16]
    Les modèles actuellement disponibles sont le « Cybook » de Cytale, le « eBook » de Gemstar, le « eCodes » de Codicil et l’ « eBookMan » de Francklin. A ces modèles, il faut ajouter les assistants numériques (Palm Pilot, PhoneReader, etc.) et les différents readers (Adobe, Microsoft, Mobipocket) qui sont des logiciels destinés à la lecture de textes sur écran.
  • [17]
    Escarpit (R.), Le Littératron, Flammarion, Paris, 1964.
  • [18]
    Le littératron a connu une descendance avec le pipotron, l’insultron, le remercitron et autres générateurs recensés sur le site http:// www. charabia. net
  • [19]
    Donguy (J.), Tag-surfusion, L’Evidence, 1996.
  • [20]
    Denize (A.), Machines à écrire, Gallimard Multimédia, Paris, 1999.
  • [21]
    Lévy (P.), De la programmation considérée comme un des beaux-arts, La Découverte, Paris, 1992.
  • [22]
    Barthes (R.), S/Z, Seuil, 1970.
  • [23]
    Vaisseaux brûlés est une version hypertextuelle de son ouvrage P.A. (petites annonces) publié chez P.O.L. en 1997 : http:// perso. wanadoo. fr/ renaud. camus/ presentation. html.
  • [24]
    Storyspace, de la société Eastgate, est un logiciel d’écriture hypertextuelle très prisé par les auteurs d’hyperfiction américains.
  • [25]
  • [26]
  • [27]
    Benjamin (W.), Ecrits français, Gallimard, 1991.
  • [28]
    Queffelec (Y.), Trente jours à tuer, Coédition France Loisirs/Editions 00h00, 2000 ; Frain (I.), J’ai trois amours, France Loisirs, 2000.
  • [29]
    Borges (J.L.), Le livre de sable, Gallimard, 1978.
  • [30]
    Borges (J.L.), Fictions, Gallimard, 1965.
  • [31]
    Develay (F.), « La fatigue du papier », in Alire, Le salon de lecture électronique, Mots-voir.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.83

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions