Notes
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[1]
Cf. Leibniz, Deutsche Schriften (éd. Guhrauer), 1838 (Hildesheim, Olms, 1966), I, p. 410-413; Leibniz, Textes inédits (éd. Grua), 1948 (Paris, PUF, 1998), p. 146-147; Franz Vonessen, «Gottfried Wilhelm Leibniz, Zwei kleine philosophische Schriften» in: Reim und Zahl bei Leibniz, Sonderheft de la revue Antaios, Stuttgart, Ernst Klett Verlag, Bd. 8, 2, 1966, p. 128-133.
-
[2]
Susanne Edel, Die individuelle Substanz bei Böhme und Leibniz. Die kabbala als tertium comparationis für eine rezeptionsgeschichtliche Untersuchung, in: Studia leibnitiana, Sonderheft 23, Stuttgart, Franz Steiner, 1995, p. 120-123.
-
[3]
Andreas Morell à Leibniz du 16 janvier 1700, A I, 18, 271. Le texte mentionné est le suivant: John Pordage, Theologia mystica oder geheime und verborgene göttlich Lehre von den ewigen Unsichtbarlichkeiten, Amsterdam, 1698.
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[4]
Une traduction partielle du texte se trouve dans: Jean Baruzi, Leibniz, Paris, Librairie Bloud, 1909, p. 375-377.
-
[5]
Suit le passage non complètement lisible: «bien que la science des usages de la nature, comme des pouvoirs des plantes [....]».
-
[6]
Tout ce passage depuis «C’est par elle seulement que l’on parvient à contempler ...» est un ajout de Leibniz.
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[7]
Leibniz a supprimé ici: | Beaucoup parlent de cette lumière, mais peu en ont une connaissance distincte. Veux-tu savoir jusqu’où va untel, alors regarde ce qui l’amuse. Qu’il retire une autre volupté de cette contemplation, et il n’en a pas encore goûté la saveur |.
-
[8]
Leibniz a supprimé ici: | C’est déjà assez s’ils connaissent leur être propre et s’élancent au-dessus du non-être. Le non-être n’est pas un péché, mais une origine des péchés |.
-
[9]
Allusion à la formule de Paul, «Dieu opère tout en tous» (première épître aux Corinthiens 12, 6).
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[10]
Leibniz a supprimé ici: | Les substances corporelles appartiennent à l’œuvre de Dieu, les substances spirituelles au royaume de Dieu |.
-
[11]
Leibniz a supprimé ici: | Les corps en eux-mêmes ne sont pas des substances mais des ombres qui passent |.
-
[12]
Allusions aux formules pauliniennes sur «le vieil homme» (cf. épîtres aux Romains, 5, 12; aux Colossiens 3, 9-10; deuxième épître aux Corinthiens, 4-5).
-
[13]
Leibniz a supprimé ici la correction de «examine» par | s’il veut savoir s’il est sur le bon chemin |.
1Le manuscrit qui porte le titre, de la main de Leibniz, Von der wahren Theologia Mystica (Sur la vraie théologie mystique) est un unique folio recto verso conservé à la Bibliothèque Gottfried-Wilhelm-Leibniz – Bibliothèque régionale de Basse-Saxe sous la cote LH I, 5, f.1. En attendant sa publication critique définitive dans l’Édition de référence des Académies des Sciences de Berlin et de Göttingen (A), nous disposons de trois éditions aux corrections successives : la première édition de Guhrauer, nettement défectueuse, fut partiellement corrigée par Grua, et entièrement corrigée par Vonessen, pour ce qui concerne le dernier état du texte, et en dehors des différentes strates raturées [1].
2Gaston Grua fut le premier à suggérer la datation possible de 1698 en invoquant à la fois une possible « influence de Fardella » dans l’opposition augustinienne de la lumière intérieure du verbe et des maîtres extérieurs, mais aussi un rejet de la tripartition esprit, âme, corps « trouvée chez Thomasius et Helmont en 1694-1697 », et enfin une mention du calcul binaire similaire à certaines lettres de 1698 (op. cit, p. 147). Susanne Edel a depuis lors avancé de solides raisons pour penser que le texte a été écrit après 1698, c’est-à-dire au moment de la correspondance avec Andreas Morell au sujet de Jakob Böhme, et dont l’un des points de discussion fut l’identification de la raison avec une lumière intérieure [2]. En particulier, dans une lettre du 16 janvier 1700, Morell mentionne à Leibniz l’ouvrage du böhmien John Pordage, la Theologia Mystica, tout en reconnaissant que « deux ou trois pages de Jakob Böhme sur la même matière » l’instruisent autant que tout le livre [3]. Il est donc possible que le texte de Leibniz ait été suscité à cette occasion, même s’il est peu vraisemblable qu’il soit une réponse directe au texte de Pordage.
3Notre traduction suit l’édition de Franz Vonessen, que nous avons comparée au manuscrit original [4].
4[1°] Sur la vraie théologie mystique.
5Toute perfection des créatures découle immédiatement de Dieu (ainsi l’être, la force, la réalité, la grandeur, le savoir, la volonté).
6Les manques inhérents viennent des créatures elles-mêmes et de leurs bornes, ce non plus ultra ou cette limitation qu’elles portent en elles (ainsi les limites de l’être, la résistance à la force, la passivité dans la réalité, le confinement des grandeurs, l’obscurité dans le savoir, les hésitations de la volonté).
7C’est par la connaissance des perfections que nous connaissons Dieu.
8Seule la lumière intérieure que Dieu allume en nous est capable de nous donner une juste connaissance de Dieu.
9C’est par elle seulement que l’on parvient à contempler clairement l’être et la vérité, de sorte qu’aucune autre preuve de la vérité ni aucune autre explication d’un tel être n’est nécessaire. [Car] les perfections divines sont cachées en toutes choses, mais très peu savent les y trouver.
10La connaissance de Dieu est le début de la sagesse. Les propriétés divines sont les racines de l’ordre juste de la connaissance.
11De même qu’elles précèdent les autres choses et que celles-ci en proviennent, de même sont-elles connues par elles-mêmes en premier, et les autres par leur moyen. Dieu est ce qu’il y a de plus facile et de plus difficile à connaître : de premier et de plus facile sur la voie de la lumière ; de dernier et de plus difficile sur la voie de l’obscurité [car Dieu est alors caché et éclaire le moins].
12La plus grande partie de notre savoir et de nos manières de faire sont dans l’obscurité : ainsi l’histoire, les langues, les usages des hommes et les usages de la nature.
13Il y a bien quelque lumière dans cette obscurité, mais peu savent y prendre part.
14Tout comme les témoignages sur les usages des hommes dans l’antiquité romaine peuvent être utiles chez nous, mais n’aident en rien le colon en terre barbare [5], de même, la science des usages de la nature n’est utile que pour cette vie en ce monde-ci, mais elle ne peut rendre l’âme plus parfaite ni lui venir en aide si elle a écarté Dieu de ce monde.
15En attendant, ces témoignages ont leur utilité et leur intérêt, non seulement pour suppléer aux besoins de la vie et de la société, mais aussi comme moyens pour avancer sans entrave sur la voie de la lumière.
16Il ne faut ainsi employer les divertissements des sens et la contemplation des ombres que comme des moyens ou des expédients, mais il ne faut pas s’en contenter [6].
17L’un peut bien être savant sans pourtant être éclairé s’il ne croit pas Dieu, ou la lumière, et s’il croit seulement son maître d’ici-bas, ou encore ses sens externes, et s’il en reste ainsi à la contemplation de ce qui est imparfait.
18Cette lumière ne vient pas du dehors même si ce que nous recevons du dehors peut et même doit parfois nous donner l’occasion de l’apercevoir.
19Parmi tous les maîtres extérieurs, deux ravivent au mieux la lumière intérieure : le livre des Écritures Saintes et l’expérience de la nature. Mais les deux ne mènent à rien sans le concours de la lumière intérieure.
20La lumière essentielle est la parole éternelle de Dieu qui contient toute sagesse, toute lumière, et en fait le modèle de tout être et la source de toute vérité. Sans les rayons de cette lumière, la foi ne peut être juste, et sans une foi juste personne n’est bienheureux [7].
21Cette lumière comble l’esprit de clarté et de certitude, et non d’imagination ou de mouvement extravagant. Certains se forgent dans le cerveau un monde de lumière et pensent y voir un éclat de la gloire, et être entourés de milliers de lumières. Mais ce n’est pas là la vraie lumière, juste un échauffement du sang [le soi-disant monde de lumière].
22Lorsque l’on voit la juste lumière, on est convaincu qu’elle vient de Dieu et non du diable ou de la chair. Tout comme le soleil se prouve par lui-même, de même cette lumière.
23Toutes les créatures sont de Dieu et du néant ; leur être propre de Dieu, leur non-être du néant. Cela est merveilleusement clair dans les nombres, et l’être des choses est semblable aux nombres.
24Aucune créature ne peut être sans non-être, sinon elle serait Dieu. Les anges et les saints doivent aussi avoir du non-être [8].
25La juste connaissance de soi consiste à bien distinguer notre être propre de notre non-être.
26[1v°] Il y a au fond de notre être propre une infinité, une empreinte et une image de l’omniscience et de la toute-puissance de Dieu.
27Toute substance singulière, comme toi et moi, est une chose une, indivisible, indestructible et qui n’est pas constituée des trois parties que sont l’âme, l’esprit et le corps ; et pourtant il lui appartient de près plus de choses, qui lui sont comme incorporées [selon l’état dans lequel elle se trouve].
28Bien que chaque substance singulière soit sans partie, d’autres choses sont cependant enfouies en elle sans pourtant occuper le même espace.
29Tout se trouve en toute chose, mais avec un certain degré de clarté [9].
30Les corps ne sont que l’œuvre de Dieu, mais les esprits sont proprement le royaume de Dieu [10].
31Dieu m’appartient plus prochainement que le corps [11]. Les choses corporelles ne sont que des ombres qui passent, des instants, des figures, des rêves véridiques. [Mais] la vérité essentielle se trouve seulement dans l’esprit. Même [s’il est vrai que] les hommes inexpérimentés prennent ce qui est spirituel pour un rêve et ce qui est concevable pour la vérité.
32Le péché ne vient pas de Dieu, mais le péché originel s’est formé chez certaines créatures à partir du non-être, et donc à partir du rien.
33Dieu a permis le péché parce qu’il savait qu’un plus grand bien se tirerait du mal.
34Seuls les malins ont subi une perte dans le péché, mais la création de Dieu dans son ensemble n’a rien perdu et y a au contraire gagné. Dieu n’a pas une volonté arbitraire, mais veut tout selon une cause et pour le meilleur. Sa miséricorde vient de sa prévoyance originelle de la dignité de l’homme, et ainsi ni de la prévoyance de la foi ni de la prévoyance des œuvres, mais de causes bien plus élevées : que l’homme croit ou qu’il pense et fasse le bien vient du choix antérieur de Dieu dans le Christ.
35Dieu veut le meilleur et le salut pour toute créature, et ce n’est pas par volonté aveugle qu’il en choisit une plutôt que l’autre, ni en raison du mérite ou de la dignité, autrement dit il ne choisit ni approximativement ni les meilleures (car c’est par lui seulement qu’elles le deviennent), mais celles dont le choix permet le meilleur dans l’ensemble.
36Car une chose infime ajoutée à une autre chose infime permet souvent de parvenir à quelque chose de meilleur que la combinaison de deux autres qui sont en elles-mêmes supérieures à chacune des deux premières. C’est en cela que consiste le secret de la miséricorde et la solution de sa difficulté (deux choses irrégulières forment parfois quelque chose de plus régulier que deux choses régulières).
37La négation de soi est la haine du non-être en nous, et l’amour pour la source de notre être propre, qui est Dieu.
38C’est en cela que consiste crucifier le vieil Adam et revêtir le Christ, mourir à Adam et vivre au Christ : renoncer au non-être et s’attacher à l’être propre [12].
39Celui qui sait préférer la lumière essentielle aux images sensibles, ou l’être propre au non-être, aime Dieu par-dessus tout.
40Celui qui craint seulement Dieu s’aime soi-même et son non-être plus que Dieu.
41La foi sans connaissance ne vient pas de l’esprit de Dieu, mais n’est que lettres mortes ou qu’une cymbale qui résonne.
42La foi sans lumière ne produit aucun amour, mais seulement la crainte ou l’espérance, et n’est pas vivante.
43Qui n’agit pas selon la foi ne croit pas, quoiqu’il s’en vante.
44Il est à regretter que si peu d’hommes savent ce que sont la lumière et la foi, l’amour et la vie, le Christ et la Béatitude.
45L’enseignement du Christ est Esprit et Vérité, mais beaucoup en font chair et ombre.
46Il n’y a rien de sérieux chez la plupart des hommes, ils n’ont pas goûté la vérité, et s’enfoncent en secret dans un manque de foi.
47Que chacun examine s’il a la foi et la vie [13]. S’il trouve une joie ou un plaisir plus grand que dans l’amour de Dieu et dans l’accomplissement de sa volonté, alors il ne connaît pas suffisamment le Christ et ne ressent pas encore la direction du Saint Esprit.
48L’Écriture donne un beau moyen de savoir si l’homme aime Dieu, à savoir quand il aime son frère, et quand il s’efforce d’aider et de servir les autres autant qu’il est possible. Celui qui ne le fait pas se vante faussement d’une inspiration, du Christ ou de son esprit.
Notes
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[1]
Cf. Leibniz, Deutsche Schriften (éd. Guhrauer), 1838 (Hildesheim, Olms, 1966), I, p. 410-413; Leibniz, Textes inédits (éd. Grua), 1948 (Paris, PUF, 1998), p. 146-147; Franz Vonessen, «Gottfried Wilhelm Leibniz, Zwei kleine philosophische Schriften» in: Reim und Zahl bei Leibniz, Sonderheft de la revue Antaios, Stuttgart, Ernst Klett Verlag, Bd. 8, 2, 1966, p. 128-133.
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[2]
Susanne Edel, Die individuelle Substanz bei Böhme und Leibniz. Die kabbala als tertium comparationis für eine rezeptionsgeschichtliche Untersuchung, in: Studia leibnitiana, Sonderheft 23, Stuttgart, Franz Steiner, 1995, p. 120-123.
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[3]
Andreas Morell à Leibniz du 16 janvier 1700, A I, 18, 271. Le texte mentionné est le suivant: John Pordage, Theologia mystica oder geheime und verborgene göttlich Lehre von den ewigen Unsichtbarlichkeiten, Amsterdam, 1698.
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[4]
Une traduction partielle du texte se trouve dans: Jean Baruzi, Leibniz, Paris, Librairie Bloud, 1909, p. 375-377.
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[5]
Suit le passage non complètement lisible: «bien que la science des usages de la nature, comme des pouvoirs des plantes [....]».
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[6]
Tout ce passage depuis «C’est par elle seulement que l’on parvient à contempler ...» est un ajout de Leibniz.
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[7]
Leibniz a supprimé ici: | Beaucoup parlent de cette lumière, mais peu en ont une connaissance distincte. Veux-tu savoir jusqu’où va untel, alors regarde ce qui l’amuse. Qu’il retire une autre volupté de cette contemplation, et il n’en a pas encore goûté la saveur |.
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[8]
Leibniz a supprimé ici: | C’est déjà assez s’ils connaissent leur être propre et s’élancent au-dessus du non-être. Le non-être n’est pas un péché, mais une origine des péchés |.
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[9]
Allusion à la formule de Paul, «Dieu opère tout en tous» (première épître aux Corinthiens 12, 6).
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[10]
Leibniz a supprimé ici: | Les substances corporelles appartiennent à l’œuvre de Dieu, les substances spirituelles au royaume de Dieu |.
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[11]
Leibniz a supprimé ici: | Les corps en eux-mêmes ne sont pas des substances mais des ombres qui passent |.
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[12]
Allusions aux formules pauliniennes sur «le vieil homme» (cf. épîtres aux Romains, 5, 12; aux Colossiens 3, 9-10; deuxième épître aux Corinthiens, 4-5).
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[13]
Leibniz a supprimé ici la correction de «examine» par | s’il veut savoir s’il est sur le bon chemin |.