Notes
-
[1]
Rappelons que l’expression d’«Hypothèse de l’Harmonie ou de la concomitance» n’apparaît que dans les Éclaircissements ajoutés au Système nouveau (GP IV, 494), et non dans la version publiée de l’article. Une première version non publiée du texte nommait simplement une «hypothèse de la spontanéité» (GP IV, 476). GP est l’abréviation usuelle de: Die Philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, édition C. I. Gerhardt, Berlin, 7 volumes, 1875-1890. L’orthographe des citations et celle d’origine.
-
[2]
Leibniz, Essais de Théodicée, discours préliminaire, GP VI, 81.
-
[3]
Leibniz à Jacquelot du 9 février 1704, GP III, 465.
-
[4]
Cf. Leibniz à Rémond du 26 août 1714 (GP III, 625): «Selon moi les lois des corps ne sont point dérangées, ni par Dieu ni par l’âme».
-
[5]
Leibniz, Addition à l’Explication du Système nouveau, 30 novembre 1702, GP IV, 580.
-
[6]
Ibid., GP IV, 582.
-
[7]
Ainsi encore, à Jaquelot qui semble comprendre l’harmonie comme une indépendance sans correspondance et qui se demande «Pourquoi l’Âme dérangerait-elle ses pensées, à cause du trouble du cerveau, si elle agit indépendamment de cet organe et sans y avoir aucun rapport?» (Jacquelot à Leibniz du 2 février 1704, GP III, 463), Leibniz répond: «Cette Harmonie naturelle des pensées avec ce qui se passe dans les organes est aussi la cause du dérangement apparent des pensées: quoique dans le fonds et à prendre toute la suite des choses rien ne soit absolument dérangé. Les plus grands désordres sont corrigés et récompensés avec usure dans cette suite des choses» (Leibniz à Jacquelot du 9 février 1704, GP III, 465).
-
[8]
Système nouveau, GP IV, 482. Et la suite: «Une machine naturelle demeure encore machine dans ses moindres parties, et qui plus est, elle demeure toujours cette même machine qu’elle a été, n’étant que transformée par des plis différents qu’elle reçoit, et tantôt étendue, tantôt resserrée et comme concentrée lorsqu’on croit qu’elle est perdue».
-
[9]
Système nouveau, GP IV, 480.
-
[10]
Monadologie § 24, GP VI, 611.
-
[11]
Monadologie § 82, GP VI, 621.
-
[12]
Cf. Nouveaux Essais, III, VI, § 22, GP V, 293.
-
[13]
Cf. Nouveaux Essais, préface, GP V, 51.
-
[14]
Nous développons ici des considérations sur la mystique comme voie d’accès au problème de la folie, suggérées dans notre étude sur «Leibniz et la folie» (Philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 2009/103, p. 26-50).
-
[15]
Leibniz apprend par les lettres de Sophie du 5 et du 8 (15 et 18) octobre 1691 «l’histoire de la jeune prophétesse du pays» (A I, 7, 29 sq.).
-
[16]
Cf. Gerhard Molanus à Leibniz du 12 (22) octobre 1691, A I, 7, 406.
-
[17]
Leibniz à la duchesse Sophie du 13 (23) octobre 1691, A I, 7, 33.
-
[18]
Cf. A VI, 4, 63 écrit vers 1680 («Cavendae tamen ineptae quaedam et divinatoriae, quae in astrologicis aut similibus analogiis longe remotis sunt fundatae, quibus homines chimaericoteri utuntur») et la lettre de Leibniz à Rémond, de juillet 1714: «Comme je ne meprise rien facilement (excepté les arts divinatoires, qui ne sont que des tromperies toutes pures).» (GP III, 620).
-
[19]
Cf. Nouveaux Essais, IV, 11, 10.
-
[20]
Leibniz à la duchesse Sophie, 23 octobre (2 nov.) 1691, A I, 7, 45.
-
[21]
A VI, 4, 1841.
-
[22]
Cf. Leibniz au Landgrave Ernst von Hessen-Rheinfels, du 13 (23) novembre 1691, A I, 7, 190: «Il y a de l’apparence que Ste Thérèse, Ste Catherine de Sienne et autres personnes semblables étaient à peu près du même naturel. Si cette fille était en Italie ou Espagne, elle serait capable de fonder un Ordre nouveau».
-
[23]
Leibniz au duc Anton Ulrich du 8 mai 1701, A I, 19, 103.
-
[24]
Saint Denys l’Aréopagite, Œuvres, traduites du grec par Mgr Georges Darboy, Paris, Vrin, 1932, p. 275.
-
[25]
Cf. Jean Gerson, La théologie mystique, trad. Marc Vial, Paris, Vrin, 2008, p. 51-53: «Denys a mentionné une manière de trouver Dieu plus parfaite que les autres et par laquelle, au moyen des négations et des sorties de l’esprit (excessus mentis), on voit Dieu comme dans une ténèbre divine, c’est-à-dire dans le secret et c’est pourquoi ce livre s’intitule La théologie mystique, "mystique" signifiant "caché"».
-
[26]
Jean de la Croix reprend explicitement au Pseudo-Denys l’expression de «rayon de ténèbres» (les références sont données dans: Marie-Joseph Huguenin, «Le thème de la connaissance chez Jean de la Croix», Teresianum, Rome, 54/1, 2003, p. 79-116).
-
[27]
Sur ce point, voir J.-F. Courtine, Suarez et le système de la métaphysique, Paris, PUF, 1990, p. 268-269.
-
[28]
Dans la longue lettre du 20 juin 1697, Morell confie se verser de plus en plus en Jakob Böhme et y trouver un «dictamen Spiritus Sancti» : «Je vous exhorte, mon cher Monsieur de lire avec attention et sans prévention ses ouvrages» (A I, 14, 270).
-
[29]
Leibniz à Andreas Morell du 9 octobre 1698, A I, 16, 163.
-
[30]
Ibid., A I, 16, 164.
-
[31]
Cf. Leibniz à Bourguet du 3 janvier 1714, GP III, 562: «Je ne meprise presque rien (excepté l’Astrologie judicaire et tromperies semblables), pas même les Mystiques; leurs pensées sont le plus souvent confuses, mais comme ils se servent ordinairement de belles allegories, ou images qui touchent, cela peut servir à rendre les verités plus acceptables, pourveu qu’on donne un bon sens à ces pensées confuses».
-
[32]
Le texte est présenté et traduit en annexe.
-
[33]
Respectivement Jean Baruzi («Trois dialogues mystiques inédits», Revue de métaphysique et de morale, 1905/1), Gaston Grua (Leibniz, Textes inédits, Paris, PUF, 1948, p. 147), Susanne Edel (Die individuelle Substanz bei Böhme und Leibniz. Die kabbala als tertium comparationis für eine rezeptionsgeschichtliche Untersuchung, Stuttgart, Franz Steiner, 1995).
-
[34]
Eduard Bodemann, Die Leibniz-Handschriften (repr. Hildesheim, Olms, 1966), p. 108-111.
-
[35]
Leibniz, Sur la vraie théologie mystique, infra: «C’est par la connaissance des perfections que nous connaissons Dieu»; «Cette lumière ne vient pas du dehors même si ce que nous recevons du dehors peut et même doit parfois nous donner l’occasion de l’apercevoir».
-
[36]
Ibid.: «La plus grande partie de notre savoir et de nos manières de faire sont dans l’obscurité: ainsi l’histoire, les langues, les usages des hommes et les usages de la nature»
-
[37]
Ibid.: «L’un peut bien être savant sans pourtant être éclairé s’il ne croit pas Dieu, ou la lumière, et s’il croit seulement son maître d’ici-bas, ou encore ses sens externes, et s’il en reste ainsi à la contemplation de ce qui est imparfait».
-
[38]
Ibid.: «Certains se forgent dans le cerveau un monde de lumière et pensent y voir un éclat de la gloire, et être entourés de milliers de lumières. Mais ce n’est pas là la vraie lumière, juste un échauffement du sang».
-
[39]
Le dictionnaire allemand des frères Grimm (X, 492-494) renvoie par ailleurs à des occurrences dès le XVe siècle (ou anhang und selbststand sont la version germanisée de accidentum et substantia), et jusqu’au XIXe siècle (l’expression «eine substantia oder selbstand» se trouve dans le Wendunmuth de Hans Wilhelm Kirchhoff de 1869).
-
[40]
Ainsi le travail de Susanne Edel, dont l’objet est de comparer les doctrines de Böhme et de Leibniz, postule la kabbale, comprise comme «mystique juive», comme tertium comparationis et examine le rapport de Böhme et de Leibniz à la kabbale pour établir une sorte de comparaison indirecte des deux doctrines. Car il faut bien prendre acte qu’on ne peut établir ni rapport ni influence de Böhme sur Leibniz (op. cit., p. 112), et qu’il faudra donc se contenter de «traits de pensée parallèles» qui à eux seuls devraient suggérer une «influence» de la kabbale, respectivement, sur les œuvres de Böhme et sur la constitution de la doctrine monadologique (p. 118 -124).
-
[41]
A VI, 4, 1574 et 1581.
-
[42]
Cf. J. Baruzi, «Du Discours de métaphysique à la Théodicée» (1946), in: L’intelligence mystique, Paris, Berg International, 1985, p. 152.
-
[43]
Cf. Leibniz à Bierling du 24 octobre 1709, GP VII, 487: «Verissime dixisti, veram pietatem non tollere usum rationis, sed perficere; non ideo tamen omnem Theologiam Mysticam explodi velim».
-
[44]
Cf. A. Heinekamp, «Leibniz und die Mystik», in: Gnosis und Mystik in der Geschichte der Philosophie, Peter Koslowsi, Artemis, Zürich und München 1988, p. 183-206.
1Avant que la folie ne commence à être constituée en objet pathologique de la science médicale et nosographique au XVIIIe siècle, elle fait référence à différents phénomènes de dérangement, certes manifestés par des extravagances de l’esprit ou des dérèglements du comportement social, mais dont les différentes formes ne sont pas clairement distinguées et identifiées. Les langues européennes portent témoignage de cette latitude dans l’usage des termes de folie, Wahn ou madness en renvoyant, de manière plus ou moins distincte, à deux manières de concevoir un dérangement, une résistance, voire une soustraction à la raison. D’une part, la folie peut traduire le latin stultitia, l’idiotie ou l’imbécillité, et désigne un défaut de la raison comprise comme faculté de juger ; elle peut aussi traduire l’insania ou le furor et désigne alors le dérangement permanent ou passager de l’esprit lui-même, la perte irrémédiable ou intermittente de la raison. Ces deux pôles sémantiques semblent ainsi renvoyer à une forme, partielle ou complète, amendable ou permanente, d’extériorité ou d’opposition à la raison, et ils sont d’ailleurs réunis de manière ambivalente sous le terme de déraison.
2La question de l’extravagance soulève ainsi à la fois un problème dans la continuité des phénomènes et dans la détermination métaphysique d’une possible extériorité à la raison. Leibniz a rencontré ces deux problèmes à de nombreuses reprises et sous différents aspects, mais ils se reposent particulièrement ensemble au travers de cas d’extravagance dont il prit connaissance dans les années 1690 – à une époque où il dispose lui-même de son hypothèse monadologique – à savoir les cas des visions mystiques qui scandèrent la querelle sur l’enthousiasme. Leibniz peut-il concevoir que la folie sainte ou la folie insane donnent véritablement congé à toute raison et dressent une ligne de partage entre les corps des hommes ? Et sinon en quel sens y a-t-il encore un sens de la raison au fond de toute folie ? L’étude qui suit se propose ainsi d’examiner le rapport du corps dérangé (1) à la raison dans la philosophie leibnizienne des années 1690 (2) et la manière dont elle permet de distinguer les extravagances mystiques de la « vraie théologie mystique » (3).
1. – LES CORPS DÉRANGÉS
3Y a-t-il place pour des corps ou des esprits dérangés dans le dispositif leibnizien ? On sait que par l’hypothèse de l’harmonie dite pré-établie, dont il donne une première version publique dans son Système nouveau de la nature et de la communication des substances en juin et juillet 1695 [1], Leibniz récuse non seulement la voie de l’influence physique, et par conséquent la possibilité d’un dérangement de l’esprit par le corps, mais aussi la possibilité même qu’un corps ou un esprit soit désordonné, c’est-à-dire qui fasse exception à l’ordre de la nature :
Car quoique je ne tienne point que l’âme change les lois du corps ni que le corps change les lois de l’âme, et que j’aie introduit l’Harmonie préétablie pour éviter ce dérangement, je ne laisse pas d’admettre une vraie union entre l’âme et le corps, qui en fait un suppôt [2].
4L’union affirmée par l’hypothèse de la concomitance énonce ainsi que « rien n’est dans l’âme qui ne s’exprime aussi dans les organes » [3]. L’âme représente le corps, tout comme le corps exprime l’âme, chacun poursuivant ses propres lois, et chacun s’accordant pourtant toujours à l’autre. Il ne peut donc y avoir, d’un point de vue ontologique, de dérangement qui puisse être pensé comme une exception ou une déviation des lois prédéterminées du déploiement de chaque corps et de chaque âme [4].
5Il est remarquable que l’exemple de la folie, qui n’apparaît pas dans la présentation du Système nouveau en 1695, est précisément convoqué comme un contre-exemple au système par ses objecteurs, tant il paraît évident que l’on ne peut expliquer la folie autrement que comme la conséquence d’un trouble organique des corps. C’est ce qu’objecte Isaac Jacquelot ; c’est aussi ce qu’objecte Pierre Bayle :
[Pierre Bayle] prétend que, suivant mon système, ce serait sans sujet et non pas à cause du renversement des traces dans le cerveau (par exemple) que l’esprit extravague. Mais je réponds que je puis fort bien dire que l’âme extravague à cause du corps aussi bien que dans les autres systèmes, parce que sa nature est d’exprimer son corps et de s’accorder avec lui tout comme si le corps influait sur l’âme [5].
6Le corps peut encore être dit cause de l’extravagance, non en tant que cause physique, mais en tant que l’on peut y voir, du point de vue des phénomènes, une cause apparente (comme si) qui correspond en réalité à une expression harmonique du corps par l’âme (parce que). Ou encore : « L’âme est faite pour agir comme si le corps influait, parce qu’elle l’exprime » [6]. Le dérangement d’un corps n’est donc qu’apparent à tous ceux qui, ne jouissant pas du point de vue divin, ne peuvent saisir ensemble la suite des états du corps et son lien à la suite de toutes les choses [7].
7Le système de l’harmonie, qu’elle soit accord du corps et de l’âme ou harmonie universelle de toutes choses, ne connaît ni altérité ni dérèglement : la possibilité d’un désordre des corps, et d’un dérangement de l’esprit par le corps est ainsi récusée par principe. Mais cela permet-il pour autant de surmonter le partage initial entre le stultus à portée de raison et l’insanus qui semblait en être exclu ? Autrement dit, si tous les corps, même les plus apparemment dérangés, ont bien une raison ontologique, un Grund, cela ne garantit évidemment pas qu’aucun n’est pas complètement exclu de la raison, de la faculté de raisonner, de la Vernunft.
2. – LA RAISON AU CORPS
8L’hypothèse des accords n’est qu’un aspect du Système nouveau, lequel est aussi un système de la nature qui propose une nouvelle intelligibilité des corps animaux et des substances corporelles. Le dispositif monadologique – qui ne reconnaît comme véritables substances que des unités substantielles réelles absolument simples, ou monades – implique en effet de comprendre les corps animaux comme des agrégats substantiés, c’est-à-dire non comme des substances unes par elles-mêmes, mais comme des composés de substances à l’infini, doués d’une forme substantielle qui en fait l’unité. Le corps organique relève de l’intelligibilité de ce que Leibniz appelle alors une « machine de la nature », ayant « un nombre d’organes véritablement infini, et [...] si bien munis et à l’épreuve de tous les accidents qu’il n’est pas possible de les détruire » [8]. C’est en raison de cette structure ontologique de machine infinie de la nature que les corps organiques se modifient en permanence et peuvent être ressaisis par des formes substantielles successives sans jamais être détruits. Et c’est en raison de cette constitution ontologique des corps que Leibniz peut répondre à ce qu’il appelle la « plus grande question » et poser « la conservation non seulement de l’âme, mais de l’animal même et de sa machine organique » [9]. Dans le dispositif monadologique, tous les corps sont, du point de vue phénoménal, éphémères et dérangés, c’est-à-dire pris dans un processus de modification insensible et permanent. Il est alors possible de penser un passage continu du corps de l’homme fou dans un état incapable de raison à un état capable de raison ; il est alors possible de penser que tous les corps peuvent être ‘arraisonnés’ et qu’ils ne sont séparés de la raison non par une différence de nature, mais par une différence de degré – puisque la raison n’est qu’un degré de la distinction de la perception des corps.
9Le partage réputé insurmontable de la folie insane et de la raison ne désigne ainsi que deux termes pris dans la gradation continue de la perception des corps, qui s’élèvent depuis l’état d’évanouissement ou d’étourdissement (c’est-à-dire l’état des monades toutes nues) [10] jusqu’au « degré de la raison » [11]. Le corps apparemment dérangé n’est plus compris comme la cause d’une perte de la raison, mais plutôt comme le signe de ce que les médiévaux appelaient une raison liée, une ratio ligata qui pourrait bien se délier. Mais elle serait bien sûr l’âme d’un autre corps [12]. De même qu’aucun dérangement des organes ne parvient à détruire complètement le corps [13], de même faut-il poser qu’aucun dérangement du corps ne permet d’exclure définitivement la possibilité de la raison. Dans le dispositif monadologique, c’est la phénoménalité passagère des corps qui, remarquablement, garantit l’attachement toujours possible de la raison au corps. La solution leibnizienne permet ainsi de naturaliser toutes les extravagances, de penser la folie non en extériorité, mais en continuité avec la raison, sans pourtant méconnaître les cas où la raison est liée.
10L’effort leibnizien pour reconduire la folie à un état particulier du corps et à un cas particulier de la perception ne doit pas être compris comme une légitimation de la vérité de toutes les formes de délire – ce qui serait bien paradoxe pour un auteur qui n’a cessé de poursuivre la raison jusqu’au bout, et de garder lui-même la raison au corps. Le problème se pose très clairement dans la correspondance de Leibniz autour de deux cas : celui de la prophétesse mystique Rosamunde von der Asseburg, qui apparaît 16 fois dans la correspondance de 1691-1692 ; et celui de la discussion avec Andreas Morell sur l’interprétation de Jakob Böhme à partir de 1698 [14].
11Le cas de Rosamunde von der Asseburg est bien connu : en octobre 1691, Leibniz apprend de la duchesse Sophie que la jeune piétiste de 18 ans, a non seulement des visions et entretiens avec le Christ, mais qu’elle a un don de prophétie qui lui permettrait de répondre à des questions soumises en anglais sous pli cacheté [15]. L’affaire fait grand bruit, et vient exacerber toutes les oppositions qui étaient jusque-là adressées aux piétistes et aux chiliastes que certains ne sont pas loin de tenir pour des « malades mentaux » [16]. La position de Leibniz peut paraître, en comparaison, étonnamment indulgente :
Pour moi je suis bien persuadé qu’il n’y a rien que de naturel à tout cela, et qu’il faut qu’il y ait de l’embellissement dans l’affaire du billet anglais cacheté du Docteur Schot, auquel on prétend qu’elle a répondu pertinemment sans l’ouvrir [17].
12Leibniz ne s’attarde pas sur l’histoire prétendue de la prophétie, qu’il écarte simplement comme une rumeur, une folie feinte, et il la distingue du cas de la vision mystique ou de la folie sainte qui peut être expliquée par des causes naturelles. C’est que la prétention à la prophétie, c’est-à-dire à un régime surnaturel de la connaissance, ne peut être que tromperie et duplicité selon Leibniz. Le prophète ne peut être qu’un faux prophète, et rejoint ceux que Leibniz condamne constamment, et qu’il dit même mépriser sans indulgence : ceux qui usent de la tromperie toute pure des arts divinatoires et de l’astrologie judiciaire [18] – et ceux qui usent de la tromperie des arguments fictifs et feints, comme est l’argument du doute hyperbolique. Car feindre de douter n’est pas douter du tout, et douter volontairement sans avoir de raisons pratiques de douter, c’est douter de manière arbitraire, et être atteint, écrit-il à l’adresse de Descartes dans les Nouveaux Essais, d’un « grand dérèglement de l’esprit » [19]. Il faut ainsi distinguer entre les visions mystiques perçues avec sincérité – à savoir les visions de ceux qui voient ce qu’ils voient – et les prétendues prophéties qui n’expriment aucune vision sincère et, par conséquent, aucun état du corps : ceux-là ont vraiment l’esprit dérangé qui manquent à leur propre sincérité pour se tromper ou tromper les autres.
13Mais tel n’est pas le cas de la jeune mystique. Les visions ne sont qu’un effet naturel de l’imagination sur les corps (suscitées par les lectures de la jeune fille), et même de l’imagination de la mère sur le corps de sa fille in utero : « On trouve une infinité d’exemples de la force étrange de l’imagination sur le corps de la personne imaginante, et de ce qui s’y tient, comme l’enfant tient à la mère avant l’accouchement » [20]. Cette explication naturelle des visions, et de la communication des imaginations de la mère au fœtus au moyen de traces imprimées dans le cerveau, fait écho à un passage de la Recherche de la vérité de Malebranche que Leibniz a particulièrement souligné dans ces mêmes années 1690 [21]. Elle est parfaitement compatible avec le système de l’harmonie – la communication d’une certaine complexion du corps trouvera sa représentation dans l’âme – et elle reconduit la vision mystique à un degré supérieur de l’imagination et non à une pathologie de l’esprit.
14Les visions mystiques et les folies saintes relèvent de la force imaginative des corps [22], et l’on pourrait penser que Leibniz est bien indulgent avec ces hallucinations s’il ne rappelait précisément que ces imaginationes expriment d’abord l’histoire d’un corps et ne sont pas des raisons. Car rendre compte du délire des enthousiastes est une chose, mais faire de ces visions une doctrine, une raison droite, voire une théologie, en est une autre : et Leibniz présentera d’ailleurs une réforme de l’université d’Helmstedt qui puisse fermer « la porte à l’Enthusiasme, autant qu’il est possible » [23]. À l’image des derniers charlatans que nous avons cités, le véritable dérèglement de l’esprit serait précisément de faire passer ces imaginations du corps pour des raisons voire pour des connaissances non rationnelles de Dieu. Bien plus que l’exemple du fou objecté par Pierre Bayle, bien plus que le cas d’une visionnaire rapporté par la duchesse Sophie, la tradition d’une « théologie mystique » qui prétend être la plus extérieure à la raison ne serait-elle pas le lieu de la plus véritable folie ?
3. – FOLIE FEINTE ET VRAIE THÉOLOGIE MYSTIQUE
15Le nom de « théologie mystique » renvoie, selon l’usage inauguré au Ve siècle par le Pseudo-Denys l’Aréopagite, à une connaissance plus élevée de Dieu qui serait ce qu’il y a de plus inaccessible et de plus caché à la raison, et qui ne se révélerait ainsi que dans un ravissement, un enlèvement, un dépassement de l’esprit :
La théologie mystique est la science expérimentale, affective, infuse de Dieu et des choses divines. En elle-même et dans ses moyens, elle est surnaturelle ; car ce n’est pas l’homme qui, de sa force propre, peut faire invasion dans le sanctuaire inaccessible de la Divinité : c’est Dieu, source de sagesse et de vie, qui laisse tomber sur l’homme les rayons de la vérité sacrée, le touche, l’enlève jusqu’au sein de ces splendeurs infinies que l’esprit ne comprend pas, mais que le cœur goûte, aime et révère [24].
16Le traité-princeps du Pseudo-Denys l’Aréopagite est devenu une source manifeste du thème paradoxal de la ténèbre divine pleine de lumière, qui parcourt toute la littérature mystique, tant du côté des commentateurs qui qualifient ces sorties de l’esprit (excessus mentis) [25], que du côté de ceux qui relatent leur expérience de la nuit obscure [26]. La théologie mystique se définit ainsi explicitement, et là encore paradoxalement, par sa position première d’extériorité complète à la raison et à l’esprit : sa lumière, infuse et pur don, dépasse tout concept sur lequel l’esprit, « de sa propre force », pourrait avoir prise. Cette lumière se manifeste secrètement, à l’insu de la raison, et dans le silence de celle-ci : seul le cœur peut goûter la saveur de cette science-là. La distinction architectonique entre une théologie spéculative (affirmative et apophantique) et une théologie mystique (négative et aux limites de l’apophatique) est de celle qui est constamment réaffirmée dans le mouvement de réforme des sciences au XVIIe siècle, et en particulier dans la redéfinition de l’objet de la métaphysique [27]. Plus encore que le cas du fou, dont le statut reste équivoque et incertain, le cas de la théologie mystique se présente sans ambiguïté comme un exil de la raison, comme une complète déraison.
17Quelle place peut-il alors y avoir pour une telle extériorité dans l’hypothèse leibnizienne ? Un tel excès revendiqué sur l’esprit ne doit-il pas être compris encore comme un dérèglement feint de l’esprit, et cette soi-disant théologie mystique ne serait-elle pas alors pire que toute extravagance ? Ce thème est abordé dans la correspondance de Leibniz avec le numismate Andreas Morell à partir de 1697 [28]. Ce dernier essaie – vainement – de l’intéresser à la mystique de Jakob Böhme, et lui cite quelques passages extraordinaires. Leibniz répond sans ambiguïté :
Quand on déclame contre la raison comme font plusieurs bonnes gens, c’est une forte marque qu’on n’en est pas assés instruit ; la raison est la voix naturelle de Dieu, et ce n’est que par elle que la voix de Dieu révélée se doit justifier, à fin que nostre imagination ou quelque autre illusion ne nous trompe point. Cependant, il y a bien de la difference entre la raison ou les estudes ; la raison n’est autre chose qu’une connoissance de la verité qui procede avec ordre. Mais les estudes bien souvent ne remplissent l’imagination et la memoire que de chimeres, ou de particularités peu propres à éclairer l’esprit. [...] Je vous avoue que des manieres de parler comme celles que vous rapportés de Bohme, où il appelle Dieu Das auge des Ungrundes da sich der unerforschliche will in einem Spiegel zu seiner selbst erkantni? fa?et [l’œil du sans-fond, puisque la volonté impénétrable se saisit dans un miroir pour se connaître elle-même], ne me contentent gueres. Ce sont des espressions metaphoriques qu’on peut tourner comme l’on veut, et moy j’en veux des propres et distinctes [29].
18Si la langue mystique est métaphorique, la langue böhmienne procède selon Leibniz à trop de déplacements et de dérèglements des significations pour que l’on puisse y reconnaître un sens qui y serait confusément exprimé. C’est que la raison reste l’aune à laquelle il faut rapporter même la voix révélée de Dieu, si l’on veut échapper aux tromperies de l’imagination. Si Leibniz consent à parler de « lumière », toujours dans la même lettre, ce n’est pas pour désigner un enthousiasme divin, un ravissement de la raison, mais bien le strict savoir de Dieu, c’est-à-dire non pas quelques idées particulières obtenues par révélation, mais bien « la sagesse qui comprend toutes les idées possibles et toutes les vérités éternelles » [30]. Le cas d’une théologie mystique rétive à toute raison est donc réglé. Et c’est un énoncé constant de Leibniz que de ne reconnaître à la mystique, pourvu qu’elle ne soit pas feinte, l’usage d’une langue plus expressive, quoique plus confuse [31].
19À l’encontre de ce jugement sans appel, on cite souvent un texte publié initialement par Guhrauer, et intitulé par Leibniz lui-même : Von der wahren theologia mystica, Sur la vraie théologie mystique [32]. Ce texte se singularise dans le corpus leibnizien par la présence de formules communes apparemment empruntées à la langue mystique, ce qui est peu habituel chez Leibniz : s’il serait bien hasardeux de conclure d’emblée à une inspiration mystique, du moins faut-il remarquer qu’il témoigne d’assez de familiarité avec la mystique pour en avoir assimilé certaines tournures de style. Le texte a ainsi pu être lu comme manifestant un vif intérêt pour les professions de foi mystiques ; ou comme trahissant « l’influence de Fardella », que viendrait attester la mention de l’opposition augustinienne entre la lumière intérieure du verbe et les maîtres extérieurs ; ou encore comme faisant écho à des énoncés plotiniens et même kabbalistiques permettant de reconstruire, à rebours de Leibniz lui-même, sa filiation avec Jakob Böhme [33]. Il est vrai que certains énoncés, pris isolément, semblent reprendre un trait distinctif de la théologie mystique, à savoir l’obscurité de la plupart de nos connaissances, bien éloignées de l’éclatante révélation de la lumière divine qui vient combler l’esprit de certitude, par delà le caractère éphémère, évanescent, inconsistant et illusoire du corps. Mais à y regarder de près, Leibniz ne se fait pas ici, comme souvent, le scripteur de la pensée d’autrui, mais il subvertit la langue de la théologie mystique au profit d’une vraie théologie mystique qui ne lui est pas comparable. Cela est particulièrement net dans deux usages lexicaux.
20D’une part, la lumière (Licht) dont il est question est une « lumière intérieure ». Cette lumière est certes allumée en nous par Dieu, de sorte qu’elle est comme un rayon de la lumière divine, et par là même une trace de Dieu en l’homme – selon une métaphore que l’on trouve déjà dans le soi-disant « Songe philosophique de Leibniz » [34] – mais cette lumière ne vient pourtant pas du dehors : c’est elle qui nous permet d’avoir une juste connaissance des choses et des perfections, et par conséquent une juste connaissance de Dieu [35] ; c’est elle qui permet de dépasser les obscurités des connaissances factuelles [36], « les divertissements des sens et la contemplation des ombres » ; c’est elle qui s’exerce au mieux dans « le livre des Écritures Saintes et l’expérience de la nature » ; c’est elle enfin qui « comble l’esprit de clarté et de certitude, et non d’imagination ou de mouvement extravagant ». Nulle trace ici d’une connaissance infuse venue du dehors et qui excèderait l’esprit et la raison : la lumière dont il est question, qui comble l’esprit de l’intérieur de sa propre certitude, est bien la raison elle-même. Le savoir qui n’est pas éclairé (erleuchtet) par la raison en reste à la contemplation des sens externes : car croire « Dieu ou la lumière », c’est bien croire la raison [37]. Leibniz peut alors s’opposer d’une part à la foi morte, fausse, sans amour pour ne pas être soutenue par la raison ; et d’autre part à l’éblouissement des illuminés (Erleuchterung) qui se disent divinement, directement, passivement inspirés sans avoir à agir selon cette foi – et qui ne font en réalité que s’échauffer le sang [38]. Ceux-là qui « se vantent faussement d’une inspiration » ne sont, de nouveau, que sujets aux imaginations du corps. Comment comprendre alors la vraie théologie mystique à laquelle il est fait référence ?
21Si la métaphore de la lumière traverse le texte, ce n’est pas dans le sens d’une expérience mystique non ordinaire, rétive à toute raison, mais dans celui d’une clairvoyance non seulement dans la parole de Dieu, de ce qu’il y a à faire en pratique, et dans la connaissance de son être propre (sein Selbst) et de n’importe quelle substance (Selbststand) en général. Il faut en effet noter cette deuxième particularité lexicale : Leibniz emploie systématiquement Selbststand en lieu et place de Substanz. Le terme de Selbststand (littéralement : ce qui se tient par soi, quand la substance désigne ce qui se tient en dessous) semble avoir un usage reçu dans la théologie de la personne du Christ : le Christ n’est pas un simple accident du Père, mais il est, substantiellement, vrai homme et vrai Dieu. L’équivalence entre Selbstand et substantia, mais aussi entre Selbständigkeit et substantialitas ou hypostasis, ou encore selbstständig et substantivum est attestée par Kaspar von Stieler dans le Deutscher Sprache Stammbau und Wortwachs (1691) [39]. Il ne semble donc pas qu’il faille surinterpréter cette variation lexicale comme un renvoi univoque à la tradition mystique. Il n’y a d’ailleurs aucune réception connue de Jakob Böhme chez Leibniz [40], et il semble difficile de conclure de l’usage de ce vocabulaire à la réception de traditions précises kabbalistique ou néo-platonicienne, lors même que Leibniz est constant dans la dénonciation de toute forme de connaissance mystique non rationnelle. Il semble au contraire qu’il faille comprendre la référence à la théologie mystique à l’intérieur même de la métaphysique leibnizienne de la substance.
22Il est en effet connu que dès l’article XXVIII du soi-disant Discours de métaphysique, intitulé « Dieu seul est l’objet immédiat de nos perceptions, qui existe hors de nous, et lui seul est notre lumière », Leibniz renvoie à « plusieurs théologiens mystiques », et plus loin encore à la parole de sainte Thérèse selon laquelle « l’âme doit souvent penser comme s’il n’y avait que Dieu et elle au monde » [41]. Leibniz indique ainsi un « point de rencontre » [42] entre les énoncés de ces contemplatifs et la doctrine selon laquelle toutes nos perceptions nous viennent de notre propre fonds, sans avoir finalement d’autre objet externe que Dieu qui les suscite en notre âme. Il semble légitime de reprendre cette indication, qui était valable en 1686 dans le cadre d’une métaphysique des substances individuelles, pour l’appliquer au cadre métaphysique à l’arrière-plan du texte Sur la vraie théologie mystique, à savoir le dispositif monadologique. Loin de faire exception, la vraie théologie mystique n’est qu’une autre caractérisation de la métaphysique des unités de substance : la perception de chaque monade – qui est une perception confuse du tout, et une perception claire d’un petit département – est, en quelque sorte, une contemplation mystique permanente du tout. La composition monadologique des corps – et en particulier de mon corps, qui est en dérangement permanent, comme nous l’avons vu dans la deuxième section – et la perception de chaque substance qui va confusément à l’infini, rendent ainsi compte du fait que « Dieu m’appartient plus prochainement que le corps » (Gott ist mir näher angehörig als der Leib).
23La vraie théologie mystique ne reconnaît aucun dehors complètement extérieur à la raison, mais bien une seule et même raison comprise comme un degré de plus grande distinction des perceptions d’un corps. Quant à la soi-disant théologie mystique qui prétend le contraire, elle se trouve sinon rapportée aux pires dérèglements des trompeurs et des charlatans, du moins limitée dans ses prétentions [43]. Parce que Leibniz s’en méfie radicalement, il faut en fin de compte rappeler le jugement d’Albert Heinekamp selon lequel la philosophie intellectuelle de Leibniz est en de nombreux points l’exacte négation de la mystique [44].
24Si la philosophie contemporaine a souvent pris l’exemple du schizophrène pour la figure même du fou – que l’on songe aux cas de Wolfson ou d’Artaud – c’est l’exemple de l’enthousiaste mystique, au terme d’un siècle de guerres de religion, qui forme la figure la plus évocatrice d’une déraison complète, et par conséquent la voie d’accès privilégiée au problème de la folie chez Leibniz. La prétendue théologie mystique donne ainsi la mesure d’une véritable extravagance et d’un vrai dérèglement de l’esprit. Alors que le système de l’harmonie et la philosophie leibnizienne du corps, telle qu’elle est formulée dans les années 1690, impliquent de supprimer l’opposition radicale du stultus et de l’insanus, de renvoyer le dérangement des corps au plan de la seule phénoménalité apparente, et de penser enfin une continuité possible de tous les corps à la raison, il est un seul cas qui reste extérieur au dispositif monadologique : c’est le cas du dérèglement fictif de l’esprit, de la folie feinte de ceux qui tentent de tromper la sincérité des autres, en faisant croire à un dérèglement de l’esprit, ou en faisant passer des imaginations du corps pour des raisons. Et Leibniz les nomme : l’astrologue, le philosophe du doute hyperbolique, le faux théologien mystique. Si l’insania est un dérangement apparent du corps, la théologie mystique est un dérangement feint de l’esprit, une extériorité feinte à la raison. Si Leibniz lève ainsi le partage entre l’homme fou et l’homme sain, c’est que l’extravagance n’est pas une objection contre la raison – au contraire de la tromperie.
Notes
-
[1]
Rappelons que l’expression d’«Hypothèse de l’Harmonie ou de la concomitance» n’apparaît que dans les Éclaircissements ajoutés au Système nouveau (GP IV, 494), et non dans la version publiée de l’article. Une première version non publiée du texte nommait simplement une «hypothèse de la spontanéité» (GP IV, 476). GP est l’abréviation usuelle de: Die Philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, édition C. I. Gerhardt, Berlin, 7 volumes, 1875-1890. L’orthographe des citations et celle d’origine.
-
[2]
Leibniz, Essais de Théodicée, discours préliminaire, GP VI, 81.
-
[3]
Leibniz à Jacquelot du 9 février 1704, GP III, 465.
-
[4]
Cf. Leibniz à Rémond du 26 août 1714 (GP III, 625): «Selon moi les lois des corps ne sont point dérangées, ni par Dieu ni par l’âme».
-
[5]
Leibniz, Addition à l’Explication du Système nouveau, 30 novembre 1702, GP IV, 580.
-
[6]
Ibid., GP IV, 582.
-
[7]
Ainsi encore, à Jaquelot qui semble comprendre l’harmonie comme une indépendance sans correspondance et qui se demande «Pourquoi l’Âme dérangerait-elle ses pensées, à cause du trouble du cerveau, si elle agit indépendamment de cet organe et sans y avoir aucun rapport?» (Jacquelot à Leibniz du 2 février 1704, GP III, 463), Leibniz répond: «Cette Harmonie naturelle des pensées avec ce qui se passe dans les organes est aussi la cause du dérangement apparent des pensées: quoique dans le fonds et à prendre toute la suite des choses rien ne soit absolument dérangé. Les plus grands désordres sont corrigés et récompensés avec usure dans cette suite des choses» (Leibniz à Jacquelot du 9 février 1704, GP III, 465).
-
[8]
Système nouveau, GP IV, 482. Et la suite: «Une machine naturelle demeure encore machine dans ses moindres parties, et qui plus est, elle demeure toujours cette même machine qu’elle a été, n’étant que transformée par des plis différents qu’elle reçoit, et tantôt étendue, tantôt resserrée et comme concentrée lorsqu’on croit qu’elle est perdue».
-
[9]
Système nouveau, GP IV, 480.
-
[10]
Monadologie § 24, GP VI, 611.
-
[11]
Monadologie § 82, GP VI, 621.
-
[12]
Cf. Nouveaux Essais, III, VI, § 22, GP V, 293.
-
[13]
Cf. Nouveaux Essais, préface, GP V, 51.
-
[14]
Nous développons ici des considérations sur la mystique comme voie d’accès au problème de la folie, suggérées dans notre étude sur «Leibniz et la folie» (Philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 2009/103, p. 26-50).
-
[15]
Leibniz apprend par les lettres de Sophie du 5 et du 8 (15 et 18) octobre 1691 «l’histoire de la jeune prophétesse du pays» (A I, 7, 29 sq.).
-
[16]
Cf. Gerhard Molanus à Leibniz du 12 (22) octobre 1691, A I, 7, 406.
-
[17]
Leibniz à la duchesse Sophie du 13 (23) octobre 1691, A I, 7, 33.
-
[18]
Cf. A VI, 4, 63 écrit vers 1680 («Cavendae tamen ineptae quaedam et divinatoriae, quae in astrologicis aut similibus analogiis longe remotis sunt fundatae, quibus homines chimaericoteri utuntur») et la lettre de Leibniz à Rémond, de juillet 1714: «Comme je ne meprise rien facilement (excepté les arts divinatoires, qui ne sont que des tromperies toutes pures).» (GP III, 620).
-
[19]
Cf. Nouveaux Essais, IV, 11, 10.
-
[20]
Leibniz à la duchesse Sophie, 23 octobre (2 nov.) 1691, A I, 7, 45.
-
[21]
A VI, 4, 1841.
-
[22]
Cf. Leibniz au Landgrave Ernst von Hessen-Rheinfels, du 13 (23) novembre 1691, A I, 7, 190: «Il y a de l’apparence que Ste Thérèse, Ste Catherine de Sienne et autres personnes semblables étaient à peu près du même naturel. Si cette fille était en Italie ou Espagne, elle serait capable de fonder un Ordre nouveau».
-
[23]
Leibniz au duc Anton Ulrich du 8 mai 1701, A I, 19, 103.
-
[24]
Saint Denys l’Aréopagite, Œuvres, traduites du grec par Mgr Georges Darboy, Paris, Vrin, 1932, p. 275.
-
[25]
Cf. Jean Gerson, La théologie mystique, trad. Marc Vial, Paris, Vrin, 2008, p. 51-53: «Denys a mentionné une manière de trouver Dieu plus parfaite que les autres et par laquelle, au moyen des négations et des sorties de l’esprit (excessus mentis), on voit Dieu comme dans une ténèbre divine, c’est-à-dire dans le secret et c’est pourquoi ce livre s’intitule La théologie mystique, "mystique" signifiant "caché"».
-
[26]
Jean de la Croix reprend explicitement au Pseudo-Denys l’expression de «rayon de ténèbres» (les références sont données dans: Marie-Joseph Huguenin, «Le thème de la connaissance chez Jean de la Croix», Teresianum, Rome, 54/1, 2003, p. 79-116).
-
[27]
Sur ce point, voir J.-F. Courtine, Suarez et le système de la métaphysique, Paris, PUF, 1990, p. 268-269.
-
[28]
Dans la longue lettre du 20 juin 1697, Morell confie se verser de plus en plus en Jakob Böhme et y trouver un «dictamen Spiritus Sancti» : «Je vous exhorte, mon cher Monsieur de lire avec attention et sans prévention ses ouvrages» (A I, 14, 270).
-
[29]
Leibniz à Andreas Morell du 9 octobre 1698, A I, 16, 163.
-
[30]
Ibid., A I, 16, 164.
-
[31]
Cf. Leibniz à Bourguet du 3 janvier 1714, GP III, 562: «Je ne meprise presque rien (excepté l’Astrologie judicaire et tromperies semblables), pas même les Mystiques; leurs pensées sont le plus souvent confuses, mais comme ils se servent ordinairement de belles allegories, ou images qui touchent, cela peut servir à rendre les verités plus acceptables, pourveu qu’on donne un bon sens à ces pensées confuses».
-
[32]
Le texte est présenté et traduit en annexe.
-
[33]
Respectivement Jean Baruzi («Trois dialogues mystiques inédits», Revue de métaphysique et de morale, 1905/1), Gaston Grua (Leibniz, Textes inédits, Paris, PUF, 1948, p. 147), Susanne Edel (Die individuelle Substanz bei Böhme und Leibniz. Die kabbala als tertium comparationis für eine rezeptionsgeschichtliche Untersuchung, Stuttgart, Franz Steiner, 1995).
-
[34]
Eduard Bodemann, Die Leibniz-Handschriften (repr. Hildesheim, Olms, 1966), p. 108-111.
-
[35]
Leibniz, Sur la vraie théologie mystique, infra: «C’est par la connaissance des perfections que nous connaissons Dieu»; «Cette lumière ne vient pas du dehors même si ce que nous recevons du dehors peut et même doit parfois nous donner l’occasion de l’apercevoir».
-
[36]
Ibid.: «La plus grande partie de notre savoir et de nos manières de faire sont dans l’obscurité: ainsi l’histoire, les langues, les usages des hommes et les usages de la nature»
-
[37]
Ibid.: «L’un peut bien être savant sans pourtant être éclairé s’il ne croit pas Dieu, ou la lumière, et s’il croit seulement son maître d’ici-bas, ou encore ses sens externes, et s’il en reste ainsi à la contemplation de ce qui est imparfait».
-
[38]
Ibid.: «Certains se forgent dans le cerveau un monde de lumière et pensent y voir un éclat de la gloire, et être entourés de milliers de lumières. Mais ce n’est pas là la vraie lumière, juste un échauffement du sang».
-
[39]
Le dictionnaire allemand des frères Grimm (X, 492-494) renvoie par ailleurs à des occurrences dès le XVe siècle (ou anhang und selbststand sont la version germanisée de accidentum et substantia), et jusqu’au XIXe siècle (l’expression «eine substantia oder selbstand» se trouve dans le Wendunmuth de Hans Wilhelm Kirchhoff de 1869).
-
[40]
Ainsi le travail de Susanne Edel, dont l’objet est de comparer les doctrines de Böhme et de Leibniz, postule la kabbale, comprise comme «mystique juive», comme tertium comparationis et examine le rapport de Böhme et de Leibniz à la kabbale pour établir une sorte de comparaison indirecte des deux doctrines. Car il faut bien prendre acte qu’on ne peut établir ni rapport ni influence de Böhme sur Leibniz (op. cit., p. 112), et qu’il faudra donc se contenter de «traits de pensée parallèles» qui à eux seuls devraient suggérer une «influence» de la kabbale, respectivement, sur les œuvres de Böhme et sur la constitution de la doctrine monadologique (p. 118 -124).
-
[41]
A VI, 4, 1574 et 1581.
-
[42]
Cf. J. Baruzi, «Du Discours de métaphysique à la Théodicée» (1946), in: L’intelligence mystique, Paris, Berg International, 1985, p. 152.
-
[43]
Cf. Leibniz à Bierling du 24 octobre 1709, GP VII, 487: «Verissime dixisti, veram pietatem non tollere usum rationis, sed perficere; non ideo tamen omnem Theologiam Mysticam explodi velim».
-
[44]
Cf. A. Heinekamp, «Leibniz und die Mystik», in: Gnosis und Mystik in der Geschichte der Philosophie, Peter Koslowsi, Artemis, Zürich und München 1988, p. 183-206.