Notes
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[1]
Dans La Bibliothèque françoise (1664, 1667), Sorel place l’histoire dans le chapitre des « Narrations véritables » (chap. VIII) qui précède celui des « Fables, allégories, et romans » (chap. IX). La confrontation est plus explicite dans les premiers chapitres de De la Connaissance des bons livres qui étudient en parallèle l’histoire et le roman selon la structure argumentative du pro et contra.
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[2]
Le contexte de l’historiographie du XVIIe siècle donne la mesure de l’isolement de Sorel. Béatrice Guion, qui en analyse l’évolution dans un récent ouvrage (Du bon usage de l’histoire, Paris, Champion, 2008), montre comment la portée morale unanimement reconnue à l’histoire se transforme au cours du siècle. Si, dans une continuité assumée avec son usage antique et humaniste, l’histoire est d’abord censée fournir une réserve d’exemples par lesquels se transmettent aux lecteurs des valeurs sociales et morales stables, elle devient ensuite un terrain d’observation des conduites des acteurs politiques à travers le prisme des passions. Selon les principes énoncés par Saint-Réal (De l’usage de l’histoire, 1671), elle est ainsi en mesure d’instruire et de captiver un public adonné à la lecture des romans, et qui se passionnera bientôt pour le genre intermédiaire de la nouvelle historique. Cependant, par son régime réflexif, elle prépare le terrain à la « nouvelle histoire » dont Fontenelle sera le promoteur (De l’histoire, 1687).
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[3]
Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, par C. Sorel, Paris, Claude Morlot, 1628, p. 51-52.
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[4]
Un premier volume de l’Histoire de la monarchie française « depuis Pharamond jusqu’en 752 » est publié chez Claude Morlot en 1629 ; mais Sorel rompt brutalement le contrat avec le libraire-éditeur et transporte son ouvrage chez Louis Boulanger, qui le réimprime l’année suivante. Une seconde édition de ce premier volume paraît chez le même éditeur en 1632, complétée par un second tome allant jusqu’en 840 qui paraît chez un autre éditeur, Jean Camusat, en 1633. Sorel invoque dans l’Avertissement de la Science des choses corporelles (1634) des vicissitudes dues à la nouvelle législation de la librairie (Morlot n’aurait pris par son privilège qu’une inscription au « petit sceau », alors que l’inscription au « grand sceau » est nécessaire depuis 1629). Puis il laisse entendre dans une variante de la version de l’Avertissement publié dans La Science universelle de 1647 que l’ouvrage aurait été l’objet d’une surveillance en haut lieu. Après l’abandon de l’entreprise, il s’intéressera à l’histoire contemporaine, d’abord en complétant en 1646 l’Histoire du Roy Louis XIII de son oncle Ch. Bernard, puis en commençant en 1662 une Histoire de la Monarchie française sous le règne de Louis XIV qui couvre les années 1643 (mort de Louis XIII) à 1661 (mort de Mazarin et fin de la Régence).
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[5]
La défence des Catalans (1642), La Flandre Françoise ou traité curieux des droits du Roy sur la Flandre (1658), Divers traitez sur les droits et prerogatives des Roys de France tirés des Memoires historiques et politiques (1666).
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[6]
Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, chap. III : « Historiens du temps présent et pouvoir politique », p. 161-191.
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[7]
La Vie et les œuvres de Charles Sorel, Paris, Hachette, 1891, p. 342-343.
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[8]
Ce désaveu obstiné fait l’objet d’un des traités publiés en annexe de la Bibliothèque françoise (Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1667) : l’Ordre et l’examen des livres attribués à l’auteur de La Bibliothèque françoise.
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[9]
« Au reste à peine prenois-je la peine de relire mes escrits, et de les corriger, car à quel subject me fussé je abstenu de ceste nonchalance ? On ne reçoit point de gloire pour avoir faict un bon livre, et quand on en recevroit, elle est trop vaine pour me charmer. Il est donc aysé à cognoistre par la negligence que j’advouë selon ma sincérité conscientieuse quel rang pourront tenir justement les ouvrages où sans m’espargner je voudray porter mon esprit à ses extremes efforts » (Histoire comique de Francion [1623], éd. Y. Giraud, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, « Advertissement d’importance », p. 47).
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[10]
Dans sa contribution au colloque « Charles Sorel dans tous ses états » (Québec, septembre 2002), Hartmut Stenzel attribue la modernité littéraire de l’œuvre de Sorel à son ancrage dans l’histoire. Il s’agit selon lui d’une œuvre qui prend position contre les tendances alors dominantes dans le champ littéraire contemporain, non par nostalgie de l’âge d’or humaniste, mais dans l’aspiration à un encyclopédisme nécessaire au nouveau public suscité par l’expansion de la librairie. Sorel peut donc à juste titre nous apparaître tourné vers une modernité littéraire encore à venir (« Avatars d’une modernité littéraire différente : le projet historiographique de Sorel », Charles Sorel polygraphe, Laval, 2006, p. 41-60).
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[11]
Voir supra, n. 3.
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[12]
Histoire de la Monarchie française, où sont décrits les faits mémorables et les vertus héroïques de nos anciens rois, Paris, Cl. Morlot, 1629.
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[13]
Un article récent d’Olivier Roux reprend l’histoire de cette publication et ses arrière-plans politiques et éditoriaux à partir de l’attribution à Sorel d’un ouvrage collectif jusqu’ici resté sans auteur, le Nouveau recueil de lettres, harangues, et discours différens, qui permet d’éclairer d’un nouveau jour les rapports que Sorel entretient à cette date avec les clans qui évoluent dans l’entourage royal, notamment celui de Richelieu, et de faire l’hypothèse d’une censure oblique qui aurait pesé sur l’ouvrage (« Le Nouveau recueil de lettres, harangues, et discours différens de Charles Sorel. Réapparition d’un ouvrage égaré », XVIIe siècle, no 242, janvier 2009, p. 159-178).
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[14]
Le titre complet de l’ouvrage est sur ce point parfaitement explicite : Le Berger extravagant, où, parmy des fantaisies amoureuses, on void les impertinences des romans et de la poésie. Remarques sur les XIV livres du Berger extravagant, où les plus extraordinaires choses qui s’y voyent sont appuyées de diverses authoritez, et où l’on treuve des recueils de tout ce qu’il y a de remarquable dans les romans (Paris, T. Du Bray, 1627-1628).
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[15]
Dans L’Ordre et l’examen des livres attribués à l’auteur de la Bibliothèque françoise, un traité publié en annexe de la Bibliothèque françoise, Sorel rapporte ainsi ce moment de rupture et de reconversion intervenu très tôt dans sa carrière : « Lorsqu’il fut débarrassé de tous ces Livres de fiction auxquels il ne se voulait plus amuser, il s’efforça de savoir quelque chose de l’Histoire, et après avoir commencé de s’y occuper dès l’âge de vingt-deux ans, il voulut montrer des fruits de son travail » (La Bibliothèque françoise, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1667, p. 412).
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[16]
Le premier volume paraît en 1634 chez P. Billaine sous le titre La Science des choses corporelles première partie de la Science humaine, où l’on connoist la vérité de toutes les choses du monde par les forces de la raison, et l’on treuve la réfutation des erreurs de la philosophie vulgaire ; la dernière édition, en quatre tomes, est due à Nicolas Le Gras, en 1668. Les volumes intermédiaires sont parus, entre 1641 et 1647, chez Toussaint Quinet.
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[17]
Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, op. cit., p. 1.
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[18]
Ibid., p. 2.
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[19]
Ibid., p. 4. Ce principe vient justifier le reproche adressé à Paul Émile d’avoir choisi le latin pour écrire l’histoire de la France.
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[20]
« Quittons plustost tant d’autres ouvrages infructueux, et ne nous occupons qu’à faire en sorte que nous ayons une histoire accomplie » (Advertissement, op. cit., p. 37). Notons que Sorel emprunte l’expression à Lancelot Voisin de La Popelinière, qui publie, à la fin du XVIe siècle une Idée de l’histoire accomplie, ce qui le place en position de concurrence avec le projet de l’historien humaniste. Il explicitera son jugement sur celui-ci dans la Bibliothèque françoise, laissant entendre que son époque est plus favorable à la réalisation d’un tel projet, à cause du progrès de la langue et de l’apaisement des conflits religieux. « Pour parler des Ouvrages qui ont eu une vraie forme d’Histoire, nous avons l’Histoire des troubles arrivés en France depuis l’an 1562, attribuée au sieur de la Popelinière. On voit aussi une Histoire de France avouée de lui, qui est depuis l’an 1550 jusques à l’an 1577. Cet Auteur a tâché de rendre cette Pièce d’un Style plus régulier que toutes celles qu’on avait vues auparavant en notre Langue, pource qu’il prétendait d’imiter les Historiens Grecs et les Romains, et même de les surpasser s’il lui était possible. Il découvrait assez que son ambition n’était pas petite, et qu’il voulait se faire déclarer Maître au fait de l’Histoire, en ayant donné des Préceptes dans un Livre appelé, l’Histoire des Histoires. C’est ce Livre qui contient une Critique générale des Historiens de plusieurs Nations, et où l’on voit ensuite, l’Idée de l’Histoire accomplie ; Et le dessein de l’Histoire nouvelle des Français. Il montre là quelles sont les excellences de l’Histoire, et il veut faire croire qu’il saura parfaitement exécuter ce qu’il a su si bien décrire. Les personnes judicieuses peuvent voir comment il a mis en pratique ce qu’il avait enseigné. Il y en a qui tiennent qu’il n’a pas toute la politesse qu’on pouvait désirer ; Mais c’est que la politesse du Langage était autre en ce temps-là qu’elle n’est à présent ; Il est vrai que d’ailleurs il a été si malheureux que voulant obliger les Huguenots sans désobliger les Catholiques, il ne s’est acquis l’affection ni des uns ni des autres. N’ayant parlé à l’avantage de tous, que fort imparfaitement, ils n’ont pas cru qu’il lui en fallût savoir gré » (La Guide de l’Histoire de France, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 333-334).
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[21]
Ibid., p. 13.
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[22]
Ibid., p. 36.
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[23]
« La jeunesse le lira aussi tost que des Romans, voyant que l’on y pourra apprendre de beaux mots, & que l’on y trouvera une diversité d’avantures » (ibid., p. 33).
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[24]
« Les Poëtes y chercheront des sujects pour leurs Poëmes & leurs tragecomedies, aussi tost que chez les nations barbares, où ils vont d’ordinaire querir leur inventions ; & il ne faut pas croire que cette chose soit de peu d’importance, veu que cela rendra tousjours nos Monarques plus celebres, & fera apprendre leurs actions sans y penser à ceux qui autrement n’en auraient point d’envie, & ne songeroient qu’à se donner du plaisir en voyant diverses feintes de theatre, ou en lisant des ouvrages delicieux » (ibid., p. 34-35).
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[25]
« Outre cela les estrangers qui seront amateurs de nostre langue, choisiront plustost ce livre d’histoire qu’un autre, pour y recueillir quelque fruict, & bien que leur principal dessein ne soit que d’apprendre à parler François, ils aprendront par mesme moyen tout ce qui s’est passé en France. Ainsi les genereuses actions de nos Roys seront connuës jusques aux païs les plus esloignez, au lieu qu’à peine l’on les sçait en leur païs propre car qui pense-t’on qui ayt rendu Brutus & Camillus si renommez, si ce n’est l’histoire de Tite-Live » (ibid., p. 35).
-
[26]
Ibid., p. 37.
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[27]
« [...] pour moy j’ay recours à nos premiers Historiens, & [...] je remonte à la source lors que les ruisseaux sont troublez » (ibid., p. 144-145 ; je souligne).
-
[28]
Advertissement, op. cit., p. 54. Sorel n’est pas original sur ce point. Toute la tradition des artes historicae condamne, à la suite de Denis d’Halicarnasse, « ceux qui se lancent dans des ouvrages historiques consacrés à des faits obscurs, moralement condamnables ou indignes du moindre intérêt » (Antiquités romaines, livre I, 1, 2-3). Mais il s’agit le plus souvent, par cette séparation nette avec la biographie, de sauvegarder la dignité morale de l’histoire, notamment en se gardant d’avilir, à la manière de Suétone, ses principaux acteurs que sont les princes et les grands. Gomberville reprend le topos dans la même perspective au début du Discours des vertus et des vices de l’Histoire (Paris, Toussaint Du Bray, 1620, p. 43) : « C’est un mal universel, et presque incurable parmi tous les hommes, qu’ils désirent passionnément de savoir les histoires des peuples étrangers et qu’ils ignorent la leur : même ceux qui parlent en public ou qui écrivent aujourd’hui croiraient n’avoir pas paru habiles hommes, s’ils n’avaient farci leurs livres d’Alexandre, de César, de Pompée, et des autres ; encore que dedans notre Histoire on puisse trouver mille plus convenables exemples, bien qu’ils soient tous entièrement impertinents et insupportables en discours » ; mais c’est là une entrée en matière qui lui permet de stigmatiser les historiens huguenots, acharnés, selon lui, à discréditer les rois catholiques auprès de leurs sujets. La perspective de Sorel est tout autre : il affirme positivement la dimension politique de l’histoire et les bénéfices que peut en tirer le lecteur.
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[29]
« Je ne parleray ny des Papes ny des Empereurs que lors qu’ils auront quelque chose à desmesler avec nos Roys. Je n’ay pas entrepris de faire trois Histoires au lieu d’une. Je veux que l’on treuve l’Histoire de nostre Monarchie dans mon livre, & pour celle des autres Estats l’on la peut aller chercher dans chaque livre particulier » (ibid., p. 150).
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[30]
« Mon ouvrage contenant ce que je dy, je treuve encore son tiltre meilleur que si je l’appellois, l’Histoire de France, à l’imitation des autres, car s’il y a des tiltres trop particuliers, cettuy-cy au contraire est trop général. Si l’on vouloit raconter de quelle sorte l’on s’habille en France, de quel langage & de quelles loix l’on y use, comment l’on y bastit, qui a fondé les villes, les Églises & les Colleges, quels arts y ont esté pratiquez de tout temps, avec encore la vie des Roys, & une infinité de choses que l’on se pourroit imaginer, ces mots d’Histoire de France pourroient comprendre tout cela » (Advertissement, op. cit., p. 54-55). Bien évidemment, cette acception de l’expression « histoire de France » disparaîtra avec la parution sous ce titre des ouvrages des historiographes du roi, Dupleix, puis Mézeray. Sorel révisera donc sa propre position jusqu’à réimprimer sa propre Histoire de la monarchie sous ce nouveau titre.
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[31]
Voir Georges Huppert, L’Idée de l’histoire parfaite [The Idea of Perfect History : Historical Erudition and Historical Philosophy in Renaissance France, 1970], traduit de l’américain par Françoise et Paulette Braudel, Paris, Flammarion, 1972, p. 8-11. G. Huppert montre, tout au contraire, le progrès que les recherches des juristes et des parlementaires ont permis à la science historique d’accomplir, non seulement par leur collecte de documents inédits mais parce qu’ils leur appliquaient les méthodes philologiques en vigueur dans leur discipline juridique.
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[32]
« Ils ont pensé trouver une occupation où la subtilité de l’esprit n’estoit pas requise, & qu’il leur estoit facile de faire un amas de tout ce qu’ils trouvoient en divers lieux pour nous le donner en guise d’un bon livre » (Advertissement, op. cit., p. 7-8).
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[33]
Ibid., p. 7.
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[34]
Ibid., p. 52-53.
-
[35]
Les Pouvoirs de la littérature, op. cit., p. 166.
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[36]
« L’on sçait bien que les Francs sont venus habiter en Gaule, & que nos premiers Roys, sont sortis de leur race, mais de dire qui estoit le pere, l’ayeul, & le bisayeul de Pharamond, & aller ainsi jusqu’au premier homme que Dieu crea, c’est ce qui ne se peut, & ceux qui l’ont entrepris ont dressé un arbre de genealogie que pour se donner du plaisir. Je ne desapreuve pas entierement le dessein de ceux qui declarent l’estat des Gaules depuis le deluge, & les diverses habitations de ces peuples d’Allemagne, qui se sont fait appeler Francs, pourveu qu’ils n’en disent qu’autant qu’ils en peuvent tirer des bons Autheurs » (ibid., p. 56-57).
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[37]
« Je me ry de ces fous qui vont imaginer que les François sont descendus de quelques Troyens qui estoient conduits par un Prince appelé Francus. Bien que l’on asseure que Troye a esté, tout ce qu’Homere en dit n’est que fiction, & l’Historien se declare impertinent s’il se fonde sur les fables d’un Poëte ; mais ce qui est de plus estrange en cecy, encore n’y trouve-t’on pas l’origine que l’on demande, sans inventer une autre fable, car le Poëte Grec ne dit point qu’il y eust personne à Troye qui s’appelast Francus, & si l’on feint que cettuy-ci estoit Astyanax, fils d’Hector, qui changea depuis son nom, l’on contredit à tous les Poëtes anciens qui asseurent qu’il fut tué par le fils d’Achile » (ibid., p. 57-58).
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[38]
« L’on void donc clairement que Francus est un personnage que des idiots comme Jean Le Maire de Belges, se sont imaginé, à cause qu’ils croyoient qu’il y eust de la gloire pour une Monarchie, de la faire venir de ce Prince estranger, ne considerans pas qu’il estoit un pauvre fugitif, suyvant mesme le rapport qu’ils en font » (ibid., p. 59). La démarche de dévalorisation burlesque est identique à celle que, quelques années plus tôt, Théophile de Viau a adoptée pour dissuader ses protecteurs et commanditaires, le comte de Candale et le duc de Montmorency, de s’inventer des ancêtres troyens, raillant la gloire que Virgile avait prétendu offrir à Auguste en le faisant descendre du « vagabond » Énée.
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[39]
« Quand l’on ne peut dire qui est le fondateur d’une ville, l’on cherche ce que peut signifier son nom en toute sorte de langues, & si l’on treuve pour quel suject l’on luy a donné celuy qu’elle porte, l’on s’en contente quelquefois » (ibid., p. 68).
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[40]
« J’ayme mieux leur dire franchement que l’on ne peut sçavoir qui estoient les Roys des Gaulois auparavant que les Romains les eussent asservis, & que si quelque livre les nomme, il n’est pas si ancien que l’autheur que l’on luy attribuë » (ibid., p. 77-78).
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[41]
Ibid., p. 80.
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[42]
Ibid., p. 85-91.
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[43]
Sorel ne peut s’en prendre frontalement à la volonté de puissance de la monarchie pour récuser ces prétendus miracles. Il déplace donc la démonstration sur le terrain moins risqué de l’histoire ecclésiastique, en signalant que « les Moynes ont voulu persuader qu’il s’est fait plusieurs miracles à l’origine de leurs Églises pour les rendre plus illustres » (Advertissement, op. cit., p. 134).
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[44]
« Je parle de cecy [de l’écu descendu du ciel] plus librement que de la saincte Ampoulle, de qui l’on soutient bien plus fort l’origine miraculeuse. Toutesfois j’avouëray bien que posé le cas qu’elle ne fust point venuë du Ciel, elle ne laisse pas d’estre venerable. C’est une grande faveur si Dieu a envoyé une huyle pour sacrer nos Roys, mais ce n’est pas peu aussi pour nous, s’il a voulu que celle qui fut donnee de la main de sainct Remy, serve tousjours à cet effect. Elle est d’assez grand prix, puisqu’elle a esté sacree par un Evesque & par un sainct. Quand ce seroit ma seule opinion, je ne serois point blasmable, puis que l’on ne commet rien en cela conre l’honneur de Dieu & des Roys » (ibid., p. 114-115).
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[45]
« [...] considérant que la religion païenne commençait insensiblement à vieillir, et à se diminuer, après avoir gagné la bataille de Tolbiac sur un prince allemand, il prit résolution de se faire chrétien, et de se concilier par ce moyen la bienveillance non seulement de la reine Clotilde sa femme, mais encore de beaucoup de prélats, et de tout le commun peuple de la France. Sur quoi je dois remarquer comme en passant, qu’encore qu’il me serait plus séant de rapporter les premiers motifs d’un changement si remarquable à quelque sainte inspiration octroyée au roi Clovis par les prières de la bonne reine Clothilde, et je ferais mieux d’interpréter toutes ces choses douteuses en bien ; il faut néanmoins que je me range ici du côté des politiques, qui seuls ont le privilège de les interpréter en mal, ou au moins d’y remarquer quelque ruse et stratagème, afin de demeurer toujours du côté des plus fins, et d’aiguiser l’esprit de ceux qu’ils instruisent par le récit de ces actions remarquables et judicieuses à la vérité, mais qui ne sont fondées le plus souvent que sur de vaines conjectures, et sur des soupçons qui ne donnent et ne peuvent en aucune façon préjudicier à la vérité de l’histoire. Continuant donc à parler de cette conversion de Clovis suivant les sentiments de Pasquier, et de quelques autres politiques, nous dirons que l’écu descendu du ciel, les miracles du sacre, et l’oriflamme, dont Paul Émile ne dit mot, furent de petits coups d’État pour autoriser le changement de religion, duquel il voulait se servir comme d’une puissante machine pour ruiner tous les petits princes qui étaient ses voisins » (G. Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État [1647], éd. Frédérique Marin et Marie-Odile Perulli, Paris, Gallimard, « Le Promeneur », 2004, p. 122-123).
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[46]
Dans la seconde partie du Supplément, après avoir suggéré que les historiens à venir corrigent « nos anciens livres d’Histoire », Sorel affirme son souci d’en conserver l’authenticité. « Afin d’agir sincerement, la methode sera de rapporter en bref dans les Annales ou Chroniques, les Fables les plus autorisées qu’on a accoûtumé d’y inserer, & ceci sera pour le respect de l’Antiquité ; mais cela ne se fera pas sans donner avis que ce ne sont que des Fables, & on y joindra leur refutation pour rendre l’instruction entiere » (Supplément des traitez de la Connaissance des bons livres, Paris, H. Pralard, 1673 ; dans l’édition reprint par Hervé Béchade de De la connaissance des bons livres, Slatkine, Genève-Paris, 1981, p. 61).
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[47]
La position des auteurs des Lieux de mémoire à l’égard des Grandes Chroniques de la France n’est pas très éloignée de celle de Sorel. Pierre Nora qualifie les textes rédigés par les moines de Saint-Denis de « récit essentiellement généalogique et mythique, mais cependant matrice d’une histoire monarchique, chrétienne, française et par là déjà nationale » (introduction à la section « Historiographie », Les Lieux de mémoire, II, La Nation, I, Paris, Gallimard, 1986, p. 187).
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[48]
Advertissement, op. cit., p. 144-145 ; pour exemple de ces « niaiseries » Sorel rapporte un trait de l’histoire hagiographique de Louis le Débonnaire : son excès de modestie qui l’aurait retenu toute sa vie de rire pour éviter de montrer ses dents qu’il avait fort blanches !
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[49]
« Toutefois s’il y a des hommes assez extravagans pour n’estre point encore satisfaicts de ma modestie, je leur declareray hardiment que je ne veux estre ny superstitieux ny libertin, & que je sçay bien que c’est une faute aussi grande de croire indifferemment toute sorte de miracles que de n’en croire point du tout. Au reste la mesme Loy qui nous deffend d’en inventer, nous deffend aussi d’escrire ceux qu’un autre a inventez, principalement s’ils sont ridicules, & s’ils n’ont rien qui ayt pû reüssir au salut du peuple fidelle. Les anciens ont voulu quelquesfois establir la religion par des fictions, mais aujourd’huy que le monde est desniaysé, les Catholiques acquièrent plus de honte que de gloire, s’ils publient des absurditez incroyables, & cela sert plustost pour aprester à rire aux Heretiques que pour les convertir. Il me peut bien estre permis d’oster de nostre Histoire quelques faux miracles s’il s’y en trouve, veu que l’on m’en donne l’exemple en la vie des Saincts, dont l’on retranche petit à petit ceux qui n’ont pas de bonnes autoritez. L’on n’a point de droict de quereller un homme là dessus pourveu qu’il laisse toutes ces choses sans en faire bruit, & qu’il ne fasse pas comme les Impies, qui ne les rejettent qu’avec des mesdisances & des railleries scandaleuses » (ibid., p. 135-136).
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[50]
« Sorel ne prêche pas pour autant la dissimulation ni la critique subversive. Il n’y a pas de raison de douter de la sincérité de son admiration pour le roi, ni de son intention de servir au mieux la monarchie par son travail. Mais la qualité de ce service passe pour lui par une complicité convaincante pour son lecteur » (Chr. Jouhaud, op. cit., p. 170).
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[51]
Ainsi Naudé ne fait imprimer que douze exemplaires de ses Considérations...
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[52]
« Quant à moy qui veux travailler pour tout le peuple, & non pas pour les fantaisies de deux ou trois particuliers, je doy escrire les choses ainsi qu’elles me sembleront veritables apres avoir veu de quel costé il y a plus de voix, & quelles sont les meilleures & les plus fortes. Si je me rencontre mesme en des endroicts que les Anciens ny les Modernes n’ayent point esclaircis, je croiray faire mon devoir d’y mettre quelque chose du mien, & je sçay bien que les Lecteurs diront qu’ils sont assez contens, pourveu qu’en ces passages obscurs on ne leur donne point de fables, & qu’ils ne voyent que des conjectures subtiles. Je tascheray aussi de faire que ce que je diray moy seul soit plustost creu que ce qu’on dit six ou sept autres, sans avoir recours à la conference des Autheurs, d’autant que si je puis j’y mettray tant d’ordre & de vray-semblance que la verité s’y fera paroistre d’elle-mesme. Ce ne seroit jamais fait s’il n’y avoit rien d’asseuré, & s’il faloit tousjours contester, jamais l’on ne sçauroit l’Histoire. D’ailleurs il est impossible parmy toutes ces disputes de rendre une narration elegante, & de luy donner une suite agreable » (Advertissement, op. cit., p. 157-158).
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[53]
Chr. Jouhaud, op. cit., p. 173.
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[54]
Histoire de France. Contenant les faits memorables & les vertus heroïques de nos Rois. Par M. C. de Sorel, Conseiller du Roy, Lecteur ordinaire de la Chambre de sa Majesté, & Historiographe de France, Paris, chez Louis Boulanger, 1647.
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[55]
Il est possible de voir un appel à la bienveillance d’Anne d’Autriche dans l’ajout, en tête de cette nouvelle édition de l’Histoire de la monarchie française, d’une épître dédicatoire « Au Roy », implicitement datée de la fin des années 1620 par son allusion au siège et à la prise de la Rochelle. Il est invraisemblable que ce texte ait été imprimé (et encore moins écrit) en 1647. On doit donc supposer qu’il était prêt pour l’édition de 1630 mais que n’ayant pu, pour une raison obscure (peut-être le refus du roi ou de Richelieu), être publié à cette date, il est allé rejoindre le stock des invendus du libraire-éditeur.
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[56]
Dans le Supplément aux traitez de la connoissance des bons livres, Sorel résume ainsi la thèse qu’il a exposée dans le « Discours » publié en avant propos de l’Histoire du Roi Louis XIII de son oncle Charles Bernard : « Encore que sa charge d’historiographe de France soit l’ancienne & l’unique créée en titre d’Office » (éd. citée, p. 77). Or François Fossier récuse, dans l’article qu’il consacre au statut des historiographes royaux, la distinction que Sorel établit ainsi entre le titre d’historiographe de France et celui d’historiographes du roi (« À propos du titre d’historiographe sous l’Ancien Régime », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXII, juillet-septembre 1985, p. 361-417). Chr. Jouhaud voit dans ce discours une opération de promotion de son statut, dont Sorel peut espérer le succès dans une période de régence « propice à des coups de forces juridiques ». Ainsi « le récit des origines de la fonction d’historiographe cherche à produire le processus qu’il prétend simplement décrire » (op. cit., p. 181).
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[57]
La Guide de l’Histoire de France, ou l’ordre, l’examen et le choix des histoires particulières, Suivant les trois Races de nos Rois, Et des Histoires générales, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 277-302.
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[58]
Voici le passage de l’épître de 1664 qui est supprimé dans la version de 1667 : « Si quelquefois tu veux faire parestre au plus grand de tous les Roys qui te gouverne aujourd’huy, comment tu tasches de te rendre digne de son affection & de ses regards, & que tes plus chers Nourrissons ne pensent qu’à celebrer les merveilles de son Regne, peut-estre trouveras-tu à propos de te servir d’un Livre qui nous apprend les Titres & les Qualitez de tant d’autres Livres écrits en ta langue, pour luy montrer que tout ce qui est chez toy travaille à sa gloire, ou à l’utilité du Public qui retourne vers luy. Cet Auguste Monarque qui a depuis peu répandu ses graces sur quelques-uns de tes plus celebres Autheurs, voyant le nombre de leurs Ouvrages, ou de ceux de plusieurs Anciens, ausquels ils ressemblent, en sera davantage excité à leur continuer ce Bien, Ses fidelles & assidus ministres qui y ont contribué, seront ravis de trouver la confirmation de leur estime & de leur choix ; & comme la Reconnoissance est une des Vertus ordinaires aux Enfans des Muses, ils ne manqueront pas d’exalter ceux à qui ils ont la plus grande obligation ». On remarque que le roi, bien que présent dans cette première version, n’était pas désigné comme la source de la grandeur de la France, mais le témoin et le garant d’une grandeur qui est le fruit du travail des écrivains français.
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[59]
Ibid., p. 281.
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[60]
Ibid., p. 305-307.
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[61]
Ibid., p. 311.
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[62]
La péroraison de l’Advertissement sur l’histoire de la monarchie française désignait l’histoire nationale comme le « bien commun de tout le peuple » (op. cit., p. 210).
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[63]
La Guide de l’Histoire de France, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 311.
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[64]
Ibid., p. 312.
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[65]
Ibid., p. 368 (je souligne).
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[66]
« Il y a des Rois de cette Race, qui ont leur Historien particulier, comme le Roi Robert dont les actions ont été écrites par Helgaud Moine de Fleury, lequel on a fait un Epitome, tiré d’un Ouvrage plus long, fait par un autre Moine » (p. 318 ; je souligne) ; « Louis VIII n’a pas manqué d’avoir son Histoire particulière, aussi bien que la plupart de ses prédécesseurs » (p. 319 ; je souligne).
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[67]
« Quelques Critiques se sont persuadés qu’il avait mis trop de Digressions dans son Histoire, mais ayant eu dessein de la faire de longue étendue, il a pu mettre ce qu’il a voulu ; on ne doit point se fâcher qu’il nous ait appris quantité de belles choses, car en ce qui est des Histoires particulières, les plus longues sont les meilleures » (ibid., p. 338).
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[68]
« Comme il y a deux Volumes de l’Histoire de Louis XIII, faits par M. Dupleix, on les pourrait mettre au rang des autres Histoires du même Roi ; mais ce sont des Pièces de l’Histoire générale, qu’il ne faut pas démembrer, ou bien on en ferait autant pour l’Histoire d’Henri IV et d’Henri III et de quelques Rois précédents dont M. Dupleix parle assez amplement dans son ouvrage » (ibid., p. 356).
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[69]
Supplément des traitez de la Connaissance des bons livres ( « Des deffauts de l’Histoire de France » ), éd. citée, p. 42.
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[70]
Ibid., p. 62. La formule radicalise l’orientation anti-élitaire de l’Advertissement jusqu’à inclure « le vulgaire », dont il faut prioritairement capter l’attention : « Estant faite pour estre leuë de toute sorte de Gens, il la faut rendre une Histoire complette, qui soit telle qu’à bon droit on la puisse appeler, la vraye Histoire de France. Il est besoin qu’elle ait des beautez qui attirent mesme les Esprits vulgaires à la lecture » (ibid., p. 63 ; je souligne).
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[71]
Ibid., p. 54. Dans la suite du passage, qui conclut le premier volet du traité, Sorel se livre à un éloge de Louis XIV qui semble destiné à concilier le soutien de Colbert à son projet d’académie de l’histoire : « Le grand Monarque qui nous gouverne accomplissant tous les jours tant de rares choses pour la Guerre & pour la Paix, merite qu’on fasse effort pour écrire l’Histoire de son glorieux Regne, afin qu’elle serve d’instruction à toute la Terre, & qu’on en soit plus puissamment exhorté à le reverer ».
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[72]
Ibid., p. 63-64.
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[73]
Cf. l’épître « Aux Grands » de la seconde version de l’Histoire comique de Francion (1626), où Sorel déclarait : « Ne prisant chacun que pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il a, j’estime egallement ceux qui ont la charge des plus grandes affaires, et ceux qui n’ont qu’une charge de cotrets sur le dos, si la vertu n’y met de la difference » (éd. Y. Giraud, p. 368).
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[74]
Ces critères sont d’autant plus objectifs qu’ils jouent pour l’heure en défaveur de l’historiographie française : « [...] entre toutes les Histoires du monde, si on a égard à la Methode & au Stile, la nostre est la dernier à choisir » (Supplément..., éd. citée, p. 53).
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[75]
Voir M. Rosellini, « La Bibliothèque française de Charles Sorel : intégration ou liquidation de la bibliothèque humaniste ? », L’Idée des bibliothèques à l’âge classique, Jean-Marc Chatelain et Bernard Teyssandier (dir.), Littératures classiques, no 66, automne 2008, p. 102.
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[76]
Supplément..., éd. citée, p. 74.
-
[77]
La combinaison de ces diverses contraintes n’a pu produire que des compilations réalisées à la hâte : « Pour en dire la verité, il faut avouër qu’entre ceux qui ont eu la hardiesse de toucher à l’Histoire de France, il s’en est trouvé qui l’ont fait en un temps, où n’écrivant que pour gagner dequoy vivre, ils n’avoient garde d’employer leurs petites facultez à acheter des Livres rares & anciens : la trempe de leur Esprit ne les portant pas non plus à cette curiosité, afin d’avoir plûtost fait, ils se servoient de ce qui étoit le plus commun [...] » (ibid., p. 62-63).
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[78]
« Les Provinces entieres & leurs Habitans y trouveroient leur avantage & leur honneur ; Sur tout les vrais Gentilshommes joüiroient du bon-heur d’y rencontrer les témoignages de l’ancienneté de leur Noblesse » (ibid., p. 65).
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[79]
Ibid., p. 67.
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[80]
Ibid.
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[81]
Ibid., p. 69.
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[82]
Ibid., p. 76.
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[83]
Ibid., p. 70.
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[84]
Coups de griffe envers les historiographes, qui « n’avoient obtenu leurs beaux Titres que par une faveur inconsidérée » et qui « se sont fait appeler Historiographes sans estre Historiens » (ibid., p. 72) et les écrivains gratifiés, qui n’ont « guere fait de chose ; mais [...] se montreront fort diligens lors qu’ils y seront conviez », car « c’est leur faire honneur de se souvenir d’eux en cette occasion », afin qu’ils « ne se persuadent pas d’avoir esté payez pour ne rien faire, ou qu’ils en seront quittes en deux ou trois ans pour une Ode ou un Sonnet, pour un Panegyrique, ou pour quelque petite Lettre » (ibid., p. 73).
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[85]
Cette expression qu’emploie Chr. Jouhaud pour caractériser la position sorélienne (op. cit., p. 181) est particulièrement heureuse, en son anachronisme même, parce qu’elle fait percevoir combien la pratique du service de plume chez un homme comme Sorel, écrivain par goût et pénétré par héritage familial de l’importance du rôle que donne un office dans l’État, peut l’amener à dépasser les cadres même dans lesquels elle s’exerce, vers l’invention d’un nouveau rapport au « public », entendu à la fois comme lectorat et comme instance politique.
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[86]
« Cela sera cause que des choses si importantes, comme l’Histoire de nostre Monarchie, & celle de nostre Grand Monarque, ne seront point mises au jour pour avoir cours dans toute l’Europe, sans avoir esté suffisamment examinées » (Supplément..., éd. citée, p. 76).
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[87]
« Il pretend qu’au mesme temps que ses gages luy ont esté refusez, on luy a donné l’exemption de toutes les fonctions d’Historiographe, s’il ne s’y veut occuper pour une satisfaction particuliere. Il affirmera pourtant qu’il n’est pas besoin de l’exhorter au travail quelque chose qui luy arrive, & qu’il ne laisse pas d’écrire sans discontinuation ; mais que c’est tout ce qui se peut de sa part, & que pour mettre ses Ouvrages en lumiere, cela ne depend pas de luy ; Qu’il ne les sçauroit faire voir encore tels qu’ils doivent estre ; Que pour les accomplir il a besoin de Memoires, & d’Instructions, & de Gens qui travaillent au dessous de luy ; Qu’il faut fournir à plusieurs voyages necessaires pour s’aller informer de la verité de diverses choses dont il doit parler dans ses Livres, & qu’il y faut ajouter les frais de leur impression, pour la retarder ou la haster selon les occasions, & afin d’avoir à soy la pluspart des Exemplaires, pour en donner à toutes les persones recommendables du Royaume » (ibid., p. 81).
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[88]
Ibid., p. 73.
-
[89]
Saint-Réal, De l’usage de l’Histoire, Introduction, Œuvres, t. II, Nyon, 1745, p. 314.
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[90]
Ibid.
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[91]
Voir B. Guion, op. cit., p. 272.
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[92]
Histoire de France, depuis l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, dédiée au Roy, par le P. G. Daniel, de la Compagnie de Jésus, Paris, Delespine, 1713 (3 vol. in-fol.) ; nouv. éd., Paris, D. Mariette, J.-B. Delespine, J.-B. Coignard fils, 1722.
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[93]
« Un Auteur fort zélé pour la gloire de la France, après avoir déploré la disette, où il croit qu’elle est de bons Historiens, donne cet avis à ceux qui penseroient à travailler de nouveau à nôtre Histoire. “Ceux, dit-il, qui veulent mettre l’Histoire de France dans un meilleur estat, doivent d’abord faire present au Public de quelques discours, où ils découvrent les défauts de toutes nos Histoires, pour montrer le sujet qu’on a de s’en plaindre, & pour détromper les gens qui les croyent fort accomplies.” » (Histoire de France, éd. 1722, « Préface », p. xvj).
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[94]
Ibid., p. xvij.
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[95]
« Il seroit à souhaiter, dit-on, qu’on pût lire ces commencemens de l’Histoire de France avec autant de satisfaction, ou du moins avec aussi peu d’ennui, qu’on lit dans Tite-Live, ceux de l’Histoire Romaine » (ibid., p. xxxv ; le « dit-on » paraît bien référer implicitement au traité de Sorel mentionné dès l’introduction).
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[96]
À cette fin, le P. Daniel se propose de s’en tenir au « commencement de la Monarchie françoise dans les Gaules », en ce qu’il a d’assuré, c’est-à-dire « la Fondation de la Monarchie en deçà du Rhin, et au temps de Clovis » (ibid., p. xxxvij). En outre, il envisage l’avènement de Clovis sur le terrain de la conquête militaire, sans le réduire à l’événement du sacre (ibid., p. xxix).
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[97]
« Un Historien doit bien se donner de garde d’affecter de faire paroistre de l’erudition, dès-là qu’elle peut mettre de la confusion, de l’embarras, et de l’obscurité dans son Histoire » (ibid., p. l).
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[98]
« Je me souviens que lorsque son Histoire de François I. courut manuscrite, on l’arrachoit des mains de ceux qui l’avoient, pour la lire avec empressement. On estoit principalement enchanté de ces beaux endroits, où il racontoit les amours de ce Prince avec Madame de Chasteau-Briant, & la fin infortunée de cette Dame » (ibid., p. xxj).
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[99]
Ibid., p. xxiij.
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[100]
Ibid., p. lv.
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[101]
« Une des raisons qui m’a empêché d’aller plus avant, est qu’il ne convient gueres, je ne dis pas d’écrire, mais de publier l’Histoire de son temps, ou du temps proche du sien. Il est difficile à un Historien, quand il y a encore des personnes vivantes qui peuvent se trouver interessées dans son Histoire, d’observer le beau précepte que Ciceron lui prescrit, & qui consiste non-seulement à n’oser rien dire de faux, mais encore à oser dire tout ce qu’il sçait de vrai ; quand ces veritez doivent entrer dans le sujet qu’il traite » (ibid., p. lxxix-lxxx).
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[102]
« Plaise à Dieu que cet ouvrage, dont la matière est si intéressante, soit aussi tel par sa forme, et qu’il puisse occuper utilement une infinité de jeunes gens, et les détourner de la lecture de tant de mauvais livres que nostre siecle a produits au préjudice de la Religion et des bonnes Mœurs » (ibid., p. lxxxvj).
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[103]
Cf. la déclaration emblématique d’Ernest Lavisse dans son discours d’introduction au cours d’Histoire du Moyen Âge en 1881 : « Dans les pays où la science est la plus honorée, elle est employée à l’éducation nationale » (« L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », Revue des Deux Mondes, 15 février 1882, cité par Pierre Nora, dans « L’Histoire de France de Lavisse », dans Les Lieux de mémoire, II, La Nation, I, op. cit., p. 326).
1Tout au long de sa carrière littéraire – l’une des plus longues du siècle – Charles Sorel s’est préoccupé de l’écriture de l’histoire. De l’Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, paru en 1628, à son dernier ouvrage, De la connoissance des bons livres, en 1671, il affirme avec une constance admirable (ou un entêtement pathologique, selon le point de vue que l’on adopte) une position singulière : il entend placer l’histoire au plus haut de la hiérarchie des genres et l’historien parmi les plus reconnus des hommes de lettres, à une époque où l’espace littéraire fait une place de plus en plus déterminante aux genres de la fiction. Le roman, concurrent direct de l’histoire par sa forme narrative [1], est d’emblée désigné comme l’adversaire d’une lutte sans concession. Mais alors même qu’il destine l’histoire de France au plus large public, il restreint strictement son objet aux actions du Prince et aux affaires de l’État, excluant ainsi les Vies et les « antiquités » nationales, ces genres voisins qui sont plus aptes à captiver les lecteurs de romans. Et quand, au lendemain de la Fronde, les historiens soucieux d’élargir leur audience, comme Mézeray ou Varillas, empruntent au roman et aux Mémoires l’analyse des passions, Sorel maintient fermement ses premières orientations. S’il diverge ainsi d’avec ses contemporains, c’est qu’il continue de prêter à l’histoire une utilité politique plutôt que morale [2]. De même s’obstine-t-il à envisager le métier d’historien comme un devoir patriotique, fidèle à la déclaration solennelle qui a consacré son entrée dans la carrière : « Le souvenir de mon devoir me pousse à l’entreprise. Puis que Dieu m’a faict naistre François, il faut rendre ce service à ma patrie, de descrire ce qui s’y est passé de memorable » [3].
2Ces convictions ont paradoxalement fragilisé sa position institutionnelle. En dépit de la légitimité que lui donne à partir de 1636 le rachat de la charge d’historiographe de France de son oncle Charles Bernard, cette position se trouve perpétuellement à contre-courant : tant dans les années 1630, époque des historiographes courtisans et partisans – tel Scipion Dupleix protégé de Richelieu –, qu’au début du règne de Louis XIV, quand s’instaure à l’initiative de Colbert et sous l’égide de Chapelain un programme de production d’écrits à la gloire du monarque dans lequel sont enrôlés les poètes au même titre que les historiens. Ne parvenant pas à se concilier les ministres en charge de la politique historiographique des deux règnes, Richelieu puis Colbert, il produit une œuvre avortée et disparate. Son Histoire de la monarchie française, soumise à des vicissitudes éditoriales dans la brève période de sa publication (1629-1633), couvre seulement la « première race » des rois de France, jusqu’à Charlemagne [4]. Il interrompt brutalement l’entreprise pour publier l’Histoire du Roi Louis XIII de Charles Bernard, et n’écrit par la suite que de brefs mémoires destinés à établir les droits du roi de France dans des litiges nationaux et internationaux [5].
3Si toutefois cette excentricité de Sorel dans l’espace historiographique peut ici nous intéresser, ce n’est pas seulement à titre de curiosité. Christian Jouhaud a récemment réévalué la carrière et l’œuvre de cet historiographe singulier en analysant la manière dont s’y traduisait la tension, inhérente à la décennie 1620, entre l’aspiration des hommes de lettres à l’autonomie et leur dépendance renforcée au pouvoir royal [6]. Il a ainsi débarrassé le « cas » Sorel de l’image d’incongruité erratique que lui avait durablement accolée son premier biographe et critique, Émile Roy [7]. Cette tension entre audace critique et désir de reconnaissance institutionnelle se retrouve dans les principes mêmes qui régissent son projet d’écriture. Celui-ci en tire une énergie novatrice en contradiction avec les tendances du siècle, mais appelée à fructifier beaucoup plus tard, quand se posera la question de la construction de l’identité nationale à travers l’Histoire de France. C’est donc cette capacité de rupture avec son environnement culturel, littéraire et politique, que nous tenterons de mettre en lumière en suivant les étapes d’une réflexion continue sur l’écriture de l’histoire.
À LA RECHERCHE D’UNE « HISTOIRE ACCOMPLIE » DE LA MONARCHIE FRANÇAISE
4En 1628, Sorel est l’auteur d’une œuvre romanesque conséquente et bien accueillie par le public, mais entièrement publiée sous l’anonymat. Cette circonstance, sans doute délibérée, lui permettra par la suite de refuser obstinément d’ « avouer » ces œuvres de fiction [8]. Seul Le Berger extravagant doit à son statut équivoque de roman critique – qui s’affichera dans le titre ultérieur d’Anti-Roman – de porter le nom de son auteur. Cette stratégie est cohérente avec le projet, énoncé au seuil du Francion, de se réserver pour de plus hautes entreprises [9]. L’histoire en est sans aucun doute l’axe essentiel [10], puisque c’est sous le nom de Charles Sorel que paraît en 1628 l’Advertissement sur l’histoire de la monarchie française [11], un petit traité où il fait connaître son projet d’écrire lui-même cette histoire. Il y précise au préalable les exigences auxquelles cette histoire lui paraît devoir répondre. Le premier volume de l’Histoire de la monarchie française, sans doute préparé de longue date, paraît l’année suivante [12]. L’entreprise tournera très vite court et le récit ne dépassera pas le règne de Charlemagne. Les circonstances de cet échec sont obscures : on peut toutefois supposer un mauvais accueil du public ou la réprobation de Richelieu [13]. Ce contexte, néanmoins, n’amoindrit pas l’intérêt de l’Advertissement. Certes, la dénonciation des fables que colportent les mauvais historiens est contemporaine des attaques du Berger extravagant contre les invraisemblances romanesques [14]. Mais Sorel ne se contente pas de transférer ses arguments d’un domaine à l’autre : il développe un point de vue spécifique sur la vérité historique, alors même qu’il n’envisage pas de donner à son histoire d’autre forme que narrative. L’Advertissement est donc à lire comme le manifeste d’un auteur qui entreprend, au rebours de la tendance générale des « belles-lettres », de convertir son talent pour la littérature d’agrément au service d’une littérature d’utilité publique [15]. Cet engagement s’élargira ensuite vers d’autres domaines du savoir et sera confirmé par la parution étalée sur plus de trente ans des volumes de la Science universelle [16].
5Sorel est en effet dès cette époque convaincu qu’il faut proposer à un lectorat en pleine expansion de « bons livres », c’est-à-dire des livres qui soient tout à la fois utiles et plaisants. En matière d’histoire, les seuls ouvrages à offrir l’agrément nécessaire à une lecture désintéressée sont ceux des historiens anciens. Rien d’étonnant si le public cultivé, et même les magistrats « citent plustost une Histoire étrangère qu’une domestique » [17], puisant de préférence dans l’histoire romaine les exemples dont ils ornent leurs harangues, et si « les Courtisans liront plustost le moindre Roman qui se treuve, que les faits d’armes de nos anciens Capitaines » [18]. Mais sur le plan de l’utilité, le déficit est patent. Il est donc nécessaire de mettre l’histoire de la France au niveau de l’histoire romaine. Il en va de l’identité nationale, que Sorel envisage comme un élargissement de l’identité familiale, repère fondamental pour les individus dans la société nobiliaire. Aussi la généalogie de la monarchie a-t-elle une importance primordiale : c’est par la connaissance du passé que se construit le sentiment de l’identité, qu’elle soit nationale ou personnelle :
Si un homme avoit plus d’envie d’aprendre quel fut le commencement de la Republique de Rome, que d’apprendre quel fut celuy de nostre Monarchie, je trouverois cela aussi estrange que s’il aymoit mieux sçavoir qui estoit l’ayeul de quelque homme qu’il n’auroit veu qu’une fois, que de sçavoir qui estoit le sien propre. [19]
6Persuadé que l’intérêt du public est détourné vers une histoire dans laquelle il n’est pas véritablement « intéressé » – c’est-à-dire existentiellement impliqué –, Sorel va donc définir la fonction et les caractéristiques de l’ « histoire accomplie » qui manque à la France [20]. L’engagement qu’il prend de produire lui-même ce « bon livre » d’histoire de France le dispense de faire l’inventaire des défauts qu’il trouve aux livres existants. Il ne les signale qu’occasionnellement, préférant se concentrer sur les qualités du livre à venir, qu’il décrit méthodiquement, avec l’intuition sociologique qui caractérisait déjà son œuvre romanesque. Il en indique d’abord la destination, facteur déterminant chez lui dans l’appréciation des livres, ce qui lui permet d’en définir les diverses fonctions, et de projeter les dispositions requises chez son auteur, pour enfin préciser son objet et les limitations que celui-ci impose à la matière disponible.
7Parvenu à ce point, l’exposé se focalise sur des questions de méthode. L’enjeu est de déterminer une démarche qui garantisse la vérité historique. À titre de contre-exemples, Sorel s’intéresse aux fables que véhicule le récit des origines de la monarchie. Mais ce n’est pas tant le contenu des fables qu’il analyse, que les processus qui les produisent et les pérennisent. La recherche d’une méthode fiable ouvre ainsi sur une épistémologie. Sur ces bases, Sorel construit avec fermeté sa position d’historien de la monarchie. À l’écart de l’érudition, il se projette en auteur d’un grand récit historique soumis à l’exercice critique de la raison.
LE « BON LIVRE » D’HISTOIRE DÉTERMINÉ PAR SES USAGERS
8La réflexion sur la destination de l’histoire de la monarchie est politique. On l’entend dans le terme qui désigne le lectorat visé : « Il faut considerer que l’histoire est une leçon pour tout le peuple qui la veut trouver en sa langue vulgaire » [21]. Le mot peuple n’est pas simplement ici un synonyme du public : il désigne une catégorie politique, soudée par le partage de la langue et dotée par elle d’une universalité qui dépasse à la fois les savoirs spécialisés de l’élite intellectuelle communiquant en latin et les intérêts particuliers des groupes sociaux impliqués dans la construction de l’État monarchique par leur condition (la noblesse) ou leur profession (les magistrats) et soucieux d’en consigner l’histoire pour faire reconnaître leurs prérogatives.
9Cette destination large détermine à la fois la forme que l’histoire doit adopter et les fonctions qu’elle doit remplir. « Le peuple », constate Sorel, « ne se plaist point à lire des histoires quelques veritables qu’elles soient, s’il n’y treuve quelque douceur qui soit comme un charme pour l’attirer & le retenir » [22]. Aussi opte-t-il pour le récit continu à la manière des historiens antiques. Le lecteur qui découvrira son histoire nationale sous la même forme que l’histoire romaine y prendra tout autant de plaisir. Mais il en retirera plus d’instruction, car le récit moderne ajoutera aux fonctions assumées par la narration antique une dimension éducative spécifique.
10En effet l’histoire de la monarchie française peut ambitionner de remplacer l’histoire romaine en ses divers usages. Elle fournira aux jeunes gens une lecture appropriée à leur âge, divertissante et instructive à la fois, et réussira peut-être même à les détourner des romans [23]. Elle offrira aux poètes et aux dramaturges une réserve de sujets, aussi riches que ceux qu’ils ont coutume d’aller chercher dans l’histoire antique, leur permettant ainsi d’instruire le public de sa propre histoire [24]. Enfin, elle illustrera la grandeur de la France auprès des lecteurs étrangers [25] et l’imposera à la postérité. Sorel se place ici dans la perspective de la translatio studii : c’est dans le contexte d’une culture marquée par la prééminence de l’histoire romaine qu’il imagine les effets à long terme de la diffusion de l’histoire de France. Il s’agit avant toute chose de familiariser un peuple ignorant de sa propre histoire avec les règnes successifs qui en forment la trame. Aussi est-il primordial de la raconter depuis ses premiers commencements. Ce n’est pas d’emblée en historiographe de France, chargé d’écrire l’histoire du temps présent, qu’il pense sa mission. Peut-être en est-il détourné par l’obligation dans ce cadre de faire l’éloge du roi régnant. S’il adopte la logique du service de l’État monarchique, il ne conçoit pas celui-ci comme une participation à la louange collective du roi, mais comme une contribution à l’éducation politique de ses sujets :
[...] principalement c’est une chose infaillible pour le bien de l’estat que les François y apprendront mieux à respecter leur Monarque, & de quelle sorte il doivent vivre pour estre heureux, que non pas dans les histoires estrangeres, qui d’autant qu’elles nous monstrent des façons de gouverner fort esloignees de la nostre, ne nous produisent que des exemples inutiles. [26]
11Il est normal que l’historiographe vise à travers une telle éducation le « bien de l’État ». Mais il est audacieux – et c’est là le mérite particulier de Sorel – de l’identifier au bien commun, en associant le respect du pouvoir royal au bonheur de l’ensemble des « François », qui sont ainsi envisagés comme une communauté solidaire. En récusant l’instruction que les générations précédentes ont cherchée dans « les histoires étrangères », désignation péjorative de l’histoire antique, Sorel dote l’histoire nationale de la vertu symbolique du lien. Il ouvre ainsi la possibilité de penser quelque chose comme une identité nationale.
12Cette finalité détermine la forme de l’histoire de la monarchie. Sorel est catégorique sur ce point : ce doit être une « histoire générale », c’est-à-dire un grand récit qui relate la succession des règnes, fasse apparaître les événements fondamentaux, et établisse clairement les liens de causalité. Cette entreprise tirera ses matériaux des « histoires particulières », qui traitent spécialement d’un règne, d’une guerre, d’une affaire diplomatique. Ces « histoires particulières », Sorel les nomme aussi « mémoires », ce qui souligne l’importance du point de vue de l’auteur. Dans la dernière partie de l’Advertissement, il les envisagera comme « source » de son propre travail : ce n’est sous sa plume qu’une métaphore, mais elle préfigure par son application le sens technique que lui donnera la science historique du XIXe siècle [27]. Le modèle de cette histoire générale est bien évidemment l’Histoire romaine de Tite-Live, notamment parce qu’il permet d’appréhender la succession des temps sous l’éclairage politique. Cette orientation conduit à exclure d’autres modèles, tout particulièrement celui des Vies des rois et des grands personnages. Les données biographiques sont à retenir quand elles contribuent à éclairer la logique d’un règne (formation du prince, causes psychologiques de son action) ; mais dans l’histoire générale « il ne faut parler que des choses qui appartiennent au sujet, comme des guerres, des conseils et des principaux accidents où la fortune de toutes les provinces est attachée » [28]. À l’autre pôle, les événements internationaux ne seront pris en considération que s’ils expliquent l’évolution politique du royaume [29]. Il ne s’agit pas non plus d’écrire une « Histoire de France » entendue comme l’histoire des mœurs et des coutumes, à la manière des Antiquités gauloises et françaises de Fauchet ou des Recherches de la France de Pasquier [30]. Enfin, l’histoire de la construction de l’État monarchique ne doit pas se perdre dans l’examen des archives juridiques et les controverses sur leur interprétation qu’ont cultivés les historiographes juristes du siècle précédent [31]. Sorel trace les axes d’une histoire politique de la France en rupture à la fois avec l’histoire exemplaire et l’histoire institutionnelle.
13Écrire l’histoire de la monarchie exige donc des opérations complexes de confrontation des sources, de sélection de la matière, de mise en place d’un enchaînement qui soit à la fois chronologique et logique. C’est ce que n’ont pas compris les auteurs qui s’y sont essayés, car ils ont cru ne devoir composer qu’un « amas » de ce qu’ils trouvaient ailleurs [32]. Là se manifeste le discrédit dans lequel est tenue en France la fonction d’historien. Bien au contraire, loin de servir de refuge aux plus médiocres littérateurs, elle exige un véritable écrivain qui ait « toutes les qualitez qui rendent un autheur accomply » [33]. Sorel, qui a fait ailleurs les preuves de son talent, y est parfaitement apte. Mais ces dispositions intellectuelles et artistiques ne suffisent pas. Écrire l’histoire de la monarchie constitue un engagement éthique et politique ; l’historien de la nation a une mission patriotique à remplir :
14D’un autre costé le souvenir de mon devoir me pousse à l’entreprise. Puis que Dieu m’a faict naistre François, il faut rendre ce service à ma patrie, de descrire ce qui s’y est passé de memorable. Voyla mon intention qui n’est ny vaine ny presomptueuse. Il n’y a que la bonne volonté & une franchise de courage qui me guide, & si l’appréhension me forme quelques difficultez, tout ce que je promets c’est que je les surmonteray par le travail et la vigilance. Toutesfois avant que de faire paroistre mon principal ouvrage, je croy que les loix de l’humilité ne me defendront point de monstrer quelque chose de mon project, afin que l’on remarque de quelle sorte je travaille, & que je suis poussé d’une folle temerité, ou d’une hardiesse raisonnable. [34]
15La « franchise de courage » et la « hardiesse » rappellent les qualités de Francion : l’historien se représente en héros généreux dans le champ des belles-lettres. Allier l’élégance et la doctrine est essentiel à l’entreprise. Ainsi se trouve remotivée, sur le terrain spécifique de l’histoire, la formule horatienne de l’utile dulci : le savoir et l’érudition doivent être associés aux techniques narratives pour conduire le lecteur, par la voie du plaisir qui produit l’adhésion, à s’impliquer de manière réflexive dans l’histoire de sa patrie. « Ce sont deux dimensions qu’il est indispensable de tenir ensemble », observe Chr. Jouhaud, « afin d’atteindre à la véritable utilité de l’histoire qui est une utilité politique » [35].
16L’utilité politique exige, nous l’avons noté, de relater le processus de construction de l’État monarchique depuis son commencement. Mais où situer le commencement ? Cette question confronte Sorel au problème délicat des origines de la monarchie française.
LA VÉRITÉ HISTORIQUE À L’ÉPREUVE DES FABLES DES ORIGINES
17Son choix personnel est clair : en l’absence totale de documents sur cette période, l’historien sérieux ne se donnera pas la peine inutile de remonter en deçà du premier roi dont la tradition a retenu le nom, Pharamond [36]. Le document est la garantie de l’historicité du récit. Mais la difficulté n’est que déplacée : qu’est-ce qui, parmi les données que livrent les Mémoires, les chroniques, les annales et les divers récits du passé, peut être considéré comme document, et distingué des inventions que des générations d’historiens se sont fidèlement transmises ? Pour opérer cette distinction, l’historien sérieux n’a d’autre recours que l’exercice de sa raison. Sorel fait la démonstration de la méthode critique qu’il est possible d’en tirer en examinant le récit traditionnel des origines de la monarchie française pour en dévoiler le caractère fabuleux. C’est là le deuxième volet de l’Advertissement, qui prépare et facilite le récit historique en lui épargnant de mentionner les éléments ainsi récusés.
18La geste de Francus est la cible principale de Sorel : c’est l’invention la plus clairement fabuleuse, puisqu’elle est tirée de la fiction homérique [37]. Elle est en outre la plus contestable idéologiquement : comment ses auteurs ont-ils pu raisonnablement espérer doter la monarchie française d’un plus grand prestige en la faisant descendre d’un « pauvre fugitif », rescapé de la ruine de sa cité [38] ? Sorel, toutefois, n’ignore pas les bénéfices que peut tirer une institution, quelle qu’elle soit, d’un mythe de fondation. Le parallélisme entre l’histoire de Francus et celle de Romulus retient son attention : dans les deux cas le fondateur est un enfant persécuté, qui donne son nom au royaume qu’il fonde. À partir de ce constat, il ébauche une étude de mythologie comparée, en isolant un certain nombre de schèmes récurrents dans l’élaboration des mythes de fondation, comme le renversement de fortune (le héros voué à la mort à sa naissance revenant sur le trône de sa cité ou en fondant une autre plus puissante) et la logique de l’éponymie [39]. Cette analyse disqualifie ces histoires d’avant l’histoire, en montrant qu’elles sont d’invention récente [40].
19La tâche de l’historien est donc de replacer l’histoire du passé, le plus reculé soit.il, dans une perspective réaliste et rationnelle. Les propositions que Sorel avance sur la constitution du royaume de France y contribuent. Il est probable, selon lui, que des peuples divers se sont rassemblés, au fil des conquêtes et des déplacements, pour constituer la nation française. Cette disparité interdit à l’historien de rechercher une origine unique. Par ailleurs la vraisemblance sociologique s’oppose à la reconstitution de généalogies héroïques, puisque « l’on sçait bien que tous ces gens étaient des aventuriers ramassez » [41]. Il faut donc prendre son parti de ces obscurités, qui ne sont pas dues à des lacunes dans l’enquête historique mais tiennent au mode même de constitution des États. L’objectivation de l’inconnaissable est le socle de la position épistémologique de Sorel. Elle l’incite à se défier des fantasmagories que peut engendrer un énoncé aussi abusivement évident que « les Français descendent des Francs » [42].
20Cette défiance s’étend aux phénomènes surnaturels associés aux actes décisifs des premiers règnes, tels les miracles advenus au sacre de Clovis, ou les songes prophétiques de Dagobert. On en comprend aisément la fonction : ils sont censés manifester l’attention particulière de la Providence divine au destin du royaume de France. Mais cette utilité même incite à douter [43]. Sorel traite ce point avec beaucoup d’habileté : il récuse le caractère miraculeux des instruments du sacre, sans pour autant les dépouiller de leur sacralité ; ainsi il n’est pas nécessaire de croire à l’origine surnaturelle de la sainte ampoule pour concevoir sa valeur symbolique, voire sa vertu spirituelle [44]. Cette réflexion donne la mesure de l’originalité de la position de l’historiographe, qu’il ne faut pas s’empresser d’assimiler au discours libertin sur les fables de l’histoire, puisqu’il y manque sa perspective essentielle, qui est l’imposture politique des religions. Naudé, par exemple, fera des miracles du sacre de Clovis un cas typique de « coup d’État » accompli par un roi à l’orée de son règne pour éblouir ses sujets et instaurer durablement son pouvoir en l’étayant sur la volonté divine [45]. Rien de tel chez Sorel. Il tient au contraire à soutenir la puissance symbolique des instruments du sacre, essentielle selon lui à leur efficacité politique. Il est dans une tout autre problématique : celle du pacte de vérité qui régit la narration historique. Il tient à en écarter les invraisemblances qui risquent de la compromettre en incitant les lecteurs les plus éclairés à la défiance, et en abusant de la confiance des plus crédules jusqu’à les priver de toute capacité de discerner le vrai du faux. Dans ses écrits ultérieurs il ira jusqu’à conseiller aux historiens modernes de maintenir dans le grand récit de l’histoire nationale les fables fondatrices, à la manière de Tite-Live, mais en les mettant à distance pour permettre aux lecteurs d’en saisir le symbolisme sans en être dupes [46]. Il reconnaît ainsi pleinement les premiers chroniqueurs comme les fondateurs de l’histoire nationale, dans la « naïveté » même de leur langue archaïque et de leurs croyances [47].
21C’est donc parce qu’il destine l’histoire de la monarchie au plus grand nombre, que Sorel est particulièrement vigilant sur sa véracité et qu’il expose au lecteur, pour éclairer son jugement, sa propre méthode critique. Elle consiste à confronter les récits. Il en démontre l’efficacité à propos du songe par lequel Dagobert aurait eu la révélation de l’emplacement des dépouilles de saint Denis et de ses compagnons : un autre récit, antérieur à celui-ci, montre que cet emplacement était déjà connu sous le règne de Childéric. Finalement la partie critique du travail de l’historien peut se résumer à son étude des sources :
Quoy que j’aye dit que les Autheurs modernes qui ont voulu faire l’Histoire generale, ne nous ont donné que des matieres d’Histoire, je n’ay pas entendu qu’il se falust former dessus eux, que lors qu’ils ne disent rien contre les veritez qui se peuvent trouver dedans les originaux ; de sorte que si des stupides qui n’ont leu que les livres de ce siecle, me viennent reprocher que je change toute l’Histoire de la Monarchie, à cause qu’ils ne l’ont jamais veuë de la sorte que je l’escriray. Je n’ay qu’à respondre qu’ils se trompent, & que ce sont leurs Autheurs qui ont perverty toutes choses, mais que pour moy j’ay recours à nos premiers Historiens, & que je remonte à la source lors que les ruisseaux sont troublez. J’ay desduit quelques accidens dont je ne diray rien, & d’autres dont je ne parleray que fort peu, parce qu’ils me semblent incroyables ; mais il y a encore des choses que je n’escriray pas comme je les treuve, à cause que l’on les a renduës extremement niaises. [48]
22Sans pouvoir mesurer toute la valeur de cette déclaration, étant donné l’état rudimentaire des sources disponibles en son temps, Sorel pose ici les fondements de la recherche historique. C’est pour lui l’occasion de définir sa propre figure d’historien critique, « ni superstitieux, ni libertin » [49]. Est-ce là une dénégation ? Chr. Jouhaud considère qu’il n’y a pas lieu de lire dans le discours de Sorel des traces de dissimulation libertine. Rien ne permet de douter de la sincérité de son engagement d’historien au service du roi, étant entendu qu’il ne confond pas ce service avec la servilité [50]. Remarquons surtout que sa conception de la diffusion du savoir contredit les positions libertines. Il n’entend pas le réserver à une élite d’esprits éclairés [51], mais le destine au plus grand nombre : c’est à cette condition que l’histoire remplira sa fonction d’éducation politique. À ce titre, il est du devoir de l’historien de trancher dans des controverses potentiellement interminables pour fournir un récit cohérent et lisible [52].
23Le récit qu’il produit lui-même dans son Histoire de la monarchie répond à ces diverses exigences. Pourtant il ne convainc guère, et Émile Roy n’a eu qu’à le citer pour en faire paraître les tendances romanesques. Chr. Jouhaud remarque toutefois avec raison que Sorel applique son programme d’histoire vraisemblable en n’accordant aucune place aux phénomènes surnaturels [53]. Le récit du sacre de Clovis, qu’É. Roy donne comme exemple de la narration fictionalisante de Sorel, est en fait significatif de sa démarche critique. Nous devons d’ailleurs remarquer que les détails qui nous paraissent romanesques correspondent à des faits de civilisation, explicités comme tels par les chroniqueurs, tel Grégoire de Tours : par exemple l’abondante « perruque » – c’est-à-dire : chevelure – de Clovis est chez les Francs signe de noblesse et de courage guerrier. Sorel a sans doute été conduit au romanesque par sa volonté d’alléger son récit de la part du commentaire pour produire des effets immédiats d’adhésion. Mais peut-être, plus fondamentalement, le pari d’écrire une histoire à la Tite-Live sous le gouvernement de Richelieu était-il impossible à tenir. Le programme historique de la monarchie absolue privilégiait l’histoire du temps présent, en la centrant sur la personne du roi. Cette orientation allait s’affirmer plus encore sous le règne de Louis XIV.
24Cette histoire avortée reparaît à l’identique en 1647 sous le nouveau titre d’Histoire de France, qui affiche plus clairement son ambition nationale [54]. Cette réédition témoigne en fait de l’échec de l’ouvrage, l’éditeur, P. Boulanger, ayant sans doute un stock d’invendus à recycler sous un nouvel habillage. Mais elle manifeste aussi l’obstination de Sorel dans la carrière, puisqu’il escompte sans doute – un an après la parution de l’histoire du règne de Louis XIII écrite par son oncle, achevée et éditée par ses soins, et assortie d’un plaidoyer en faveur de la prééminence de la charge d’historiographe de France – obtenir pour son histoire le soutien de la régente [55]. La particule ajoutée à son nom sur la page de titre anticipe peut-être un anoblissement qu’il pouvait espérer de la faveur royale [56]. Cette nouvelle tentative semble avoir elle aussi échoué. À partir de cette époque, Sorel bornera son travail d’historiographe à la rédaction de mémoires particuliers. Quant à ses compétences en histoire générale, il les investira sur le terrain de la bibliographie, en augmentant la Bibliothèque françoise d’un catalogue spécifique intitulé La Guide de l’histoire de France [57].
DE LA FORMATION POLITIQUE PAR LE RÉCIT HISTORIQUE À LA FORMATION INTELLECTUELLE PAR LA BIBLIOTHÈQUE
25En 1664, quand il publie la première version de la Bibliothèque françoise, un ouvrage sans doute préparé de longue date, Sorel vient d’être privé de sa pension d’historiographe. Son nom était absent de la liste des hommes de lettres les plus méritants dressée par Chapelain à l’intention du roi. La preuve lui est ainsi administrée, tacite et brutale, qu’il ne percevait pas des « gages » attachés à un office, mais une simple gratification dépendant du bon vouloir du roi. En outre la liste visant aussi à présenter au roi les auteurs susceptibles d’écrire son histoire, Sorel peut interpréter l’absence de son nom comme une destitution, au moins symbolique. La Bibliothèque françoise paraît donc offrir une compensation à cette digrâce en faisant valoir l’autorité intellectuelle de son auteur en matière d’histoire nationale. Et s’il ne peut dans ce cadre expliciter sa propre doctrine, l’intulé du traité la laisse transparaître. Il s’agit désormais de l’ « Histoire de France » et non plus de l’ « Histoire de la monarchie française » : la dimension nationale de l’histoire du passé l’emporte sur sa structuration dynastique. La relation entre le monarque et le royaume s’est tacitement inversée : c’est la grandeur de la France, étayée par l’importance de son histoire, qui fait la grandeur de son roi actuel, et non l’inverse. Fort significativement, dans l’édition de 1667 de la Bibliothèque françoise, l’épître liminaire « À la France » escamote la référence au roi [58].
26L’entreprise bibliographique de la Guide semble étrangère à notre propos, puisque Sorel y envisage l’histoire de France du point de vue du lecteur et non plus du côté de l’auteur engagé dans un projet d’écriture. Toutefois, dans l’intérêt même de ses lecteurs, il est conduit à évaluer la lisibilité des récits historiques et à affiner ainsi sa conception de l’ « histoire accomplie ». C’est ce qui retiendra notre attention.
27Notons d’abord que les lecteurs que vise ici Sorel ne sont pas ceux auxquels il destinait son Histoire de la monarchie. Ceux-là n’étaient pas censés avoir des compétences particulières ni d’intérêt spécifique pour l’histoire. L’historien avait donc pour mission de leur rendre accessible et attrayante une matière a priori rebutante. Le bibliographe, en revanche, s’adresse à des lecteurs spontanément intéressés par les « histoires particulières » dont il fait l’inventaire. Il ne s’agit pas pour autant des « quelques doctes Curieux, qui ont des bibliothèques accomplies » [59] et qui seraient parfaitement aptes à s’orienter eux-mêmes dans le vaste corpus historique, mais de « quelques Hommes » qui, ayant « l’esprit fort propre à concevoir les choses », « n’ont pas toujours l’occasion de tant lire, ni d’écouter tous les entretiens des Savants ». Ils constituent le public relativement restreint des « Gens qui voudraient s’adonner à cette étude » sans en avoir les moyens par eux-mêmes. Sorel se garde toutefois de réduire ce public à la figure de l’honnête homme, caractérisée par son goût pour l’acquisition rapide des savoirs et sa tendance à la simplification. Une remarque sur l’utilité de la Bibliothèque des Auteurs qui ont écrit de l’Histoire et Topographie de la France d’André Du Chesnes, en laquelle il salue une démarche de « compilation » d’une rare valeur puisqu’elle met à la portée des particuliers des archives difficilement accessibles, laisse paraître sa réprobation envers ces « personnes qui aiment la brièveté en toutes choses » – qu’il a nommées une page plus haut les « honnêtes gens » – et qui jugent ces « collections » inutilement encombrantes pour qui veut connaître l’histoire de son pays [60]. Ils leur préfèrent ordinairement les Sommaires chronologiques, qui dispensent une « connaissance médiocre » de l’histoire et que Sorel déconseille à ceux qui en ont une véritable curiosité [61]. Son projet se dessine ainsi par touches successives et se montre cohérent avec ses aspirations d’historien d’une part et avec, d’autre part, l’entreprise de la Bibliothèque françoise. Il s’agit, en fournissant à un public de non-doctes une bibliographie historique commentée, d’arracher l’histoire de France aux spécialistes pour en faire un « bien commun » [62], et de former par cette voie un nouveau type de lecteur.
28De fait la méthode présentée aux lecteurs d’histoire est identique à celle que doit adopter l’historien : elle revient à « conférer » (confronter) entre elles les différentes sources pour rectifier les erreurs et combler les lacunes du récit. On retrouve donc les principes énoncés dans l’Advertissement : préférer les mémoires des contemporains aux reconstitutions ultérieures, se défier des récits trop ornementés (notamment de harangues) qui tiennent plus de la fiction que de la vérité historique, récuser les récits fabuleux des origines. Cet ensemble de compétences critiques, le lecteur de bonne volonté doit l’acquérir sur les « histoires particulières », plus détaillées et souvent plus proches chronologiquement de la période ou de l’événement qu’elles rapportent. Sorel est donc amené à définir plus précisément ce qu’il faut entendre par « histoires particulières ». Son point de vue d’auteur d’une histoire générale le conduit à distinguer clairement l’histoire particulière de l’histoire des particuliers :
Pour ceux qui ont envie de passer jusqu’aux curiosités extrêmes, il faut qu’ils s’adressent aux Historiens particuliers de chaque Siècle et de chaque Règne ; car on ne peut tirer de profit des Narrations générales, et être assuré de leur vérité, sans les rapporter aux Narrations particulières, desquelles on doit faire une exacte lecture. [63]
29Des exemples typiques de l’histoire particulière sont fournis par les ouvrages de Grégoire de Tours et d’Aymonius. Il s’agit d’une histoire limitée à une période ou à un objet restreints – la première « race » pour Grégoire de Tours, « lequel après un Commencement de l’Histoire du Monde, a écrit l’Histoire de France jusqu’au règne de Clovis » –, et qui traduit sur ces objets restreints (parfois contemporains du scripteur) le point de vue d’un particulier. D’où l’inclusion des Mémoires dans cette catégorie. Ces deux traits distinguent les histoires particulières des vastes synthèses qui ont seules droit au titre d’histoire générale. Leur lecture est formatrice en ce qu’elle exige une attention accrue à la vraisemblance et une connaissance des intérêts (particuliers, justement) engagés dans son écriture. Sorel note à propos de Grégoire de Tours qu’ « il faut savoir expliquer toutes les particularités de ses Narrations, et s’en servir judicieusement [64] ».
30Mais la classification est instable : ce qui définit l’histoire particulière, c’est finalement le point de vue que le lecteur adopte à son propos. Ainsi une histoire qui s’est voulu générale, comme celle d’Aymonius, n’est, du point de vue de la postérité, qu’histoire particulière, étant donné la période restreinte qu’elle embrasse :
En parlant dans ce siècle de l’Histoire générale, il n’est pas besoin que nous mettions sur les rangs celles d’Aymonius, de Sigibert et de quelques autres qui ne sont générales que pour les premières Races ; à notre égard elles sont devenues des Histoires particulières. Il faut que les Histoires générales dont nous voulons nous servir viennent jusques à quelque notable endroit de la troisième Race et de ses dernières branches. [65]
31Le cas le plus clair de l’histoire particulière – qui est aussi un cas limite car il relève davantage du genre moral que du récit historique – est celui de la biographie d’un roi, qui a choisi lui-même son « historien particulier », forme aliénée de la fonction d’historiographe aux yeux de Sorel [66]. Cas inverse : l’histoire du Président de Thou, « qu’il a faite de ce qui s’est passé de son temps depuis l’an 1543 jusques à 1607 ». La dimension d’une vie, celle de l’historien, appelle la désignation d’histoire particulière. Celle.ci se trouve, très paradoxalement, confortée par la longueur même de l’ouvrage, qui est la condition d’une narration soucieuse du détail [67]. En revanche, un fragment prélevé sur une histoire générale, fût-il autonome, comme les deux volumes consacrés à Louis XIII dans l’Histoire générale de France de Scipion Dupleix, ne peut constituer une histoire particulière, car la perspective d’ensemble reste générale [68].
32Ainsi, à défaut de l’ « histoire accomplie » qu’il a tenté d’écrire pour le public le plus large, Sorel s’emploie à doter celui-ci, du moins pour sa partie la plus cultivée, des compétences qui le rendront apte à constituer à son usage un récit à peu près fiable du passé de la France. En refusant une démarche de vulgarisation, qui se bornerait à signaler les compilations et les abrégés, il maintient l’exigence politique associée à la lecture de l’histoire de France, mais la transfère du côté de la formation du lecteur.
LE PROJET D’UNE ACADéMIE D’HISTOIRE OU L’ULTIME AVATAR DU SERVICE PUBLIC DE L’HISTOIRE
33À la fin de la carrière de Sorel, le projet d’écrire une histoire capable d’illustrer la France renaît du constat renouvelé d’un échec :
L’Histoire en général étant vantée partout pour son utilité, il y a eu quantité d’Escrivains qui ont tâché d’acquérir de la reputation en y travaillant ; mais pource qu’il s’en trouve peu qui ayent bien reussi à ce grand Ouvrage, nous avons sujet de nous fâcher de ce que l’Histoire de France n’est point plus heureuse que celles des autres Nations, & ne s’est point encore trouvée digne du puissant Royaume dont elle décrit les évenemens. [69]
34Mais il n’a plus alors l’ingénuité de croire comme en 1628 qu’il pourrait venir seul à bout d’une telle entreprise. Ce qu’il projette, dans le traité qu’il publie en annexe de la Connaissance des bons livres, c’est une écriture collective dans un cadre institutionnel qui a fait ses preuves, celui de l’Académie.
35Par sa composition, le Supplément de la Connaissance des bons livres s’emploie à fonder cette proposition. Son premier volet expose les « Déffauts de l’histoire de France », le second présente des « propositions pour réparer les déffauts de l’Histoire de France, et pour la mettre en sa perfection ». Le relevé des défauts ne se contente pas de reprendre les récriminations de l’Advertissement. Instruit par son expérience d’historiographe royal, Sorel envisage très concrètement les anciens chroniqueurs comme les premiers historiens du temps présent. Il mesure à l’aune des difficultés que rencontre l’historiographe actuel celles auxquelles se sont heurtés ses prédécesseurs à une époque où la langue française était encore balbutiante. Ainsi l’histoire du présent qui était une dimension totalement absente du projet historique de l’Advertissement fait désormais partie du programme d’histoire de la monarchie française : elle en est la part vivante. Sa destination s’en trouve élargie. Tout d’abord sur le plan social, puisque le grand récit composant l’histoire du passé est explicitement destiné à « toute sorte de personnes » :
Nous avons besoin principalement d’une Histoire qui soit propre à toute sorte de Personnes ; Il faut avoir une Histoire generale suivie et raisonnée, qui ne soit ny trop longue ny trop courte, mais de médiocre étenduë, et où les choses soient néantmoins entierement rapportées. [70]
36Mais aussi dans le temps, puisque l’histoire du présent est destinée aux générations futures. Les Gazettes sont trop partiales pour remplir convenablement la fonction d’une chronique du présent ; seuls de véritables historiens peuvent asssumer cette responsabilité envers la postérité :
[...] faute de Gens qui escrivent les affaires de chaque Siecle, selon qu’ils les auront veuës, on retombera dans les erreurs & dans les incertitudes dont nous nous plaignons, touchant le Regne de plusieurs Rois qui n’ont point eu d’Historiens. Il est temps de travailler sans intermission & sans crainte. [71]
37La perspective d’une histoire générale complète de la nation française permet d’envisager son efficacité dans la formation politique du peuple :
C’est afin que tous les François, de quelque condition qu’ils soyent, y puissent aprendre leur devoir. Ils verront là quelle a esté la fortune de leurs prédecesseurs, selon leur differente maniere d’agir ; Qu’ils ont vécu tranquillement et heureusement lors qu’ils se sont tenus dans l’obeïssance, au lieu qu’ils ont esté punis par divers accidens, quand ils se sont portez aux rebellions. Ceux qui vivent à present, et ceux qui viendront après eux, lisans de semblables Livres y aprendront quelle est la grandeur du Monarque que l’on a à reverer en France. Si on veut mettre cette Histoire en tres-grand credit, il luy faut donner le plus de certitude qu’il sera possible, et quand les opinions diverses n’y seroient traitées que fort succintement, on y joindra une clarté qui les rendra intelligibles aux moindres du peuple ; Cela doit estre ainsi, puisque l’Histoire est le vray Livre de tous les Hommes. [72]
38On entend mieux que dans l’Advertissement ce qu’est le « devoir » que l’historien de la monarchie doit enseigner au peuple français. Il consiste en une soumission raisonnée aux lois du royaume et une révérence légitime envers un roi perçu comme le représentant de la nation. En mentionnant la tentation des rébellions, cette définition réactualisée de l’utilité politique de l’histoire paraît tenir compte de l’expérience de la Fronde. L’histoire est la mémoire des divers modes de relation du peuple avec le pouvoir et des divers modes d’action adoptés par celui-ci. La « grandeur du monarque » n’est pas une valeur a priori, mais la résultante de l’action dans le temps des monarques successifs. Aussi importe-t-il de donner au récit historique la plus grande exactitude possible pour que sa leçon soit fiable et la plus grande clarté pour qu’elle soit intelligible. Le récit n’aura pas pour but de produire des effets d’adhésion en suscitant l’admiration envers les acteurs de l’histoire, selon le régime narratif des Vies, mais d’inciter à la réflexion par l’éclairage politique des faits.
39C’est un engagement original que Sorel assume ici, fidèle au parti pris anti-élitiste qu’il a affirmé dès ses débuts littéraires [73]. Pour lui l’écriture de l’histoire doit être d’autant plus soignée – dans sa « méthode » comme dans son « style », qui sont les deux critères de sa réussite [74] – qu’elle est destinée à un lectorat peu éclairé. Le cas du livre d’histoire radicalise la conception d’une autoformation par la lecture que Sorel a toujours défendue, jusqu’à promouvoir l’autodidaxie contre le collège et l’université [75]. Dans ce cas, l’enjeu étant politique, il envisage l’écriture de l’histoire comme une mission dévouée à la formation du public. Il y faut donc une institution. Le modèle de l’Académie s’offre tout naturellement, en cette période d’intense activité fondatrice à l’instigation de Colbert : celui-ci vient en effet de créer l’Académie royale d’Architecture (1671), après l’Académie royale de musique (1669), parachevant le processus d’institutionnalisation des arts initié par Le Brun avec la création de l’Académie de peinture et de sculpture (1648), tandis que Louis XIV autorise depuis 1666 les réunions hebdomadaires dans la bibliothèque royale d’un groupe de savants destiné à former une Académie des Sciences.
On a fait une académie pour l’embelissement de la Langue Françoise ; on en a fait une autre pour les curiositez Naturelles, pour les Mathématiques. Il y a aussi une Académie pour la Peinture, une autre pour l’Architecture : Quelle estime feroit-on de l’Histoire, étant nécessaire au public comme elle est, si on ne luy donnoit point même son Académie ? [76]
40Sorel hésite entre deux formes institutionnelles : soit créer une académie autonome, soit intégrer l’histoire dans le cahier des charges de l’Académie française ; une commission spéciale pourrait se voir déléguer les tâches d’élaboration et de contrôle de l’histoire de France, sur le modèle des grands ouvrages – de grammaire, de rhétorique et de poétique – qui, outre le dictionnaire, lui ont été commandés par les lettres patentes de sa fondation. Le silence dans lequel il tient la création de l’Académie des médailles et inscriptions, nommée familièrement la « petite académie », signale assez sa défiance envers la mission de celle-ci. Il s’agit de fournir en devises et inscriptions les médailles et monuments du règne, mais aussi – du moins est-ce l’ambition de son secrétaire, Charles Perrault – d’écrire son histoire, au plus près du lieu même de l’exercice du pouvoir, le cabinet du ministre Colbert. Sans doute l’inféodation de l’entreprise et son affinité avec l’éloge royal déplaît à Sorel, qui continue à envisager le service de la monarchie dans une autonomie garantie par la fonction d’historiographe : c’est l’État, donc le public, qu’il s’agit de servir, et non pas l’image du monarque. Cette indépendance, Sorel compte sur l’institution académique pour la garantir, puisque la reconnaissance officielle fait défaut à la fonction d’historiographe qu’il persiste à vouloir remplir.
Quelle qu’en soit la forme, il voit trois avantages au fonctionnement académique. Un véritable engagement professionnel, la multiplication des moyens, la garantie du contrôle collectif. Ainsi seront « réparés » les trois défauts majeurs des historiens amateurs : la médiocrité de compétences, la faiblesse des moyens (notamment l’accès aux documents originaux), une publication commandée par des intérêts économiques. [77]
41C’est un véritable chantier que Sorel entend ouvrir. À côté du grand récit pour le plus grand nombre désigné depuis l’Advertissement sous le titre d’ « histoire générale », doivent se développer des « histoires particulières détachées », monographies bien informées sur « quelque guerre » ou « quelque affaire de cour », et biographies des hommes importants du royaume : roi, princes, ministres, généraux. Il est aussi souhaitable de produire une vaste collection qui présenterait en plusieurs volumes « l’Histoire de chaque Province du Royaume, où l’on rapporteroit tout ce qu’on peut tirer des Titres & des Memoires particuliers des lieux ». Le sentiment d’appartenance régionale, autre composante de l’identité nationale, se trouverait conforté par une telle lecture [78]. Une entreprise d’une telle ampleur ne peut être que collective. Mais elle ne peut être confiée aux érudits traditionnellement occupés à « rechercher les antiquités de la France », car « ils ne s’étudient point à bien écrire ny à composer des Ouvrages complets » [79] : il y faut « de vrais Ecrivains qui sçachent mettre en ordre les Recueils des autres, ou qui se servent adroitement de ce qu’ils auront recueilly eux-mesmes ». Cette compétence littéraire est d’autant plus nécessaire que ce collectif d’historien aura aussi pour tâche de tenir la chronique du présent. Or la pratique de l’invention aura accoutumé de véritables écrivains à sélectionner et à organiser les faits en un récit significatif et les rendra aptes à entreprendre la « Relation des choses modernes » :
Là se void la difference qu’il y a d’écrire une Histoire ancienne, ou une Histoire nouvelle. Le plus souvent ceux qui écrivent des choses qui ont déja esté écrites, ne sont que des Copistes qui ne meritent gueres de loüange ; Pour composer des Histoires nouvelles, il faut de veritables Autheurs, c’est-à-dire des hommes qui ayent accoûtumé d’écrire des choses qui soient de leur invention, ou au moins d’une forme toute particuliere, que leur imagination seule leur peut suggerer. [80]
42Il faut se garder toutefois de confondre ces écrivains, éventuellement rompus à l’écriture de fiction, avec les « prétendus beaux Esprits de ce siecle » qui jouissent d’une notoriété de pure mode acquise « par l’applaudissement des Femmes, & de quelques jeunes Gens » [81]. Peut-on supposer que le coup de griffe vise Pellisson pressenti comme historiographe du roi, qui sera finalement supplanté par Racine et Boileau ? Qu’elle s’applique ou non à une personne précise, cette remarque réaffirme la prééminence qu’a toujours accordée Sorel à une littérature de savoir sur la littérature de divertissement qui tend à occuper tout l’espace des belles-lettres.
43La sélection académique est donc garante de la valeur littéraire des futurs historiens. Elle remédiera au « mal qui est arrivé pour avoir permis à quelques-uns de nos Historiens de faire imprimer leurs Histoires qui ne sont point dans l’estat où elles devraient estre pour faire honneur à la France » [82]. D’autant que le talent de plume n’est pas la seule qualité requise. Sorel lui ajoute des traits socio-éthiques propres à soutenir les exigences professionnelles d’un auteur officiel de l’histoire du royaume : une bonne naissance, de préférence dans une famille d’officiers royaux, qui l’attache à servir loyalement le roi, et une « générosité » personnelle qui l’incite à écrire « les choses les plus hardies », tempérée par une « adresse » littéraire qui lui permettent de les énoncer « sans qu’elles n’offensent personne » [83]. Un portrait aussi précis se révèle vite caractériser le seul historiographe de France, dont Sorel lui-même incarne au mieux la fonction. C’est donc celui-ci qui dominera l’assemblée, et qui se chargera des tâches les plus importantes et les plus qualifiées : composer une « Histoire générale, bien suivie & bien liée », qui est ce « Chef-d’œuvre du métier » que s’attribuait déjà l’historien débutant de l’Advertissement, mais aussi « écrire l’Histoire de son temps comme la plus estimable ». La fonction est ainsi revalorisée dans son principe, au moment où, dans la configuration du projet, elle se trouve diluée. Cet historiographe unique distribuera en effet les divers travaux du chantier historique à une foule de collaborateurs, recrutée à la fois chez les historiographes appointés incapables de remplir leur fonction de manière autonome, et parmi les hommes de lettres ayant reçu du roi des gratifications sans engagement bien ferme de leur part. La satire de l’historiographe bafoué envers les nouveaux promus perce sous ces portraits d’écrivains médiocres [84], et la soumission que leur impose le fonctionnement de l’Académie apporte sans doute une satisfaction imaginaire à son amour-propre blessé. Mais le projet ne se réduit pas à cette dimension narcissique. Le cadre institutionnel de l’Académie permet à Sorel de projeter avec quelque vraisemblance une « fonction publique de l’histoire » [85]. Configurée à partir du cahier des charges de l’Académie française, l’activité de l’Académie d’histoire comporte divers axes qui convergent en effet vers le service du public. Le fonctionnement de l’assemblée académique instaure un véritable gouvernement du champ de l’histoire. En tant que puissance législatrice, elle établira « les Loix de l’Histoire », c’est-à-dire les règles qui doivent régir son écriture. Puissance exécutive, elle programmera les travaux nécessaires et les distribuera entre les auteurs compétents. Enfin son activité juridique consistera à prononcer des jugements sur les ouvrages parus, ce qui permettra de limiter l’initiative des particuliers et de soumettre leurs réalisations à une exigence de qualité. Ayant ainsi imposé son autorité absolue sur la production de l’histoire de France, l’Académie assurera son rayonnement dans toute l’Europe [86]. Tel est le bien public que vise le projet sorélien.
44Le rapport que présente Sorel, à ce point de son exposé, sur sa déchéance de la charge d’historiographe prend tout son sens dans ce contexte. Par-delà ses récriminations personnelles contre l’injustice qu’il a subie à une époque où pourtant les finances royales étaient généreuses en pensions et gratifications pour les moindres des gens de lettres, il s’agit pour le promoteur de l’histoire de France de mettre en lumière le tort qui est ainsi fait au public. Privé de ses gages, celui qui se considère toujours comme le premier historiographe de France, n’est plus en mesure d’accomplir sa tâche essentielle, écrire l’histoire du présent, car il est privé des moyens financiers nécessaires à ses recherches et à l’impression de ses ouvrages, et de l’autorité institutionnelle indispensable à la constitution d’une équipe de collaborateurs [87]. Il conclut donc son exposé par un appel aux bonnes volontés, donnant ainsi rétrospectivement au Supplément le statut d’un manifeste :
Maintenant que les propositions sont faites, il est permis à chacun de les suivre, & de se faire connoistre par ce moyen. Les Escrivains qui aiment les beaux sujets, ne doivent plus s’arrêter à des Romans ou à des Discours qu’ils estiment Galands ou Tendres : Ils peuvent choisir quelque travail historique qui soit selon leur portée, & qui leur soit plus honorable que tout autre employ. [88]
45En appelant ses confrères à délaisser la production galante et fictionnelle à une époque où elle rencontre l’engouement du public, Sorel réaffirme l’importance des enjeux intellectuels et politiques qu’engage à ses yeux l’écriture de l’histoire.
46Comment situer Sorel dans le paysage historiographique de son temps ? De la Connaissance des bons livres paraît la même année que De l’usage de l’histoire de Saint-Réal. L’écart entre les orientations des deux ouvrages est significatif. Saint-Réal radicalise – et dynamise en la formulant – la tendance latente des historiens des années 1660 à focaliser l’attention sur les causes des événements : « Savoir, affirme-t-il, c’est connaître les choses par leurs causes » [89]. Mais la causalité qu’il envisage est exclusivement morale ; l’éclairage est porté sur les passions des acteurs de l’histoire : « ainsi », poursuit-il, « savoir l’Histoire, c’est connaître les hommes qui en fournissent la matière, c’est juger de ces hommes sainement ; étudier l’Histoire, c’est étudier les motifs, les opinions et les passions des hommes pour en connaître tous les ressorts, les tours et les détours, enfin toutes les illusions qu’elles savent faire à l’esprit, et les surprises qu’elles font au cœur » [90]. Il y a bien une instruction politique à tirer d’une telle histoire, mais elle vise à acquérir les « finesses politiques » et s’inscrit dans une problématique du déchiffrement propre à la culture de cour [91]. Or Sorel ne réduit pas la politique aux intrigues, pas plus qu’il ne fait de la cour le centre névralgique du pouvoir. L’éducation politique implique pour lui l’intégration de plus vastes ensembles, dont l’économie et la conduite de la guerre, où se déploie l’autorité royale. D’où l’impératif de maintenir l’éclairage sur le prince et les rouages de l’État. D’où l’évolution de son projet de l’histoire dynastique à l’histoire nationale, qui intègre la relation des peuples à ses souverains et, dans une certaine mesure, l’histoire des institutions. Mais sur ce terrain il avance très isolé.
47Il a pourtant trouvé un écho à la génération suivante chez l’auteur d’une volumineuse Histoire de France qui paraît en 1713, le jésuite Gabriel Daniel [92]. On peut y voir un miroir rétrospectif du projet sorélien, qui en révèle à la fois les principes méthodologiques et l’ambition politique. Est-ce là le monument auquel aspirait Sorel ? En tout cas la dette est d’emblée reconnue. Le premier paragraphe de la Préface rend hommage à l’entreprise d’ « un Auteur fort zélé pour la gloire de la France », et cite les premières lignes des « Propositions pour réparer les deffauts de l’Histoire de France » [93], en précisant en manchette : « Livre intitulé Supplément des traitez de la connaissance des livres ». L’auteur refuse pour sa part, par bienséance et modestie, de se livrer à l’inventaire « des défauts de toutes nos histoires », mais il reprend néanmoins à son compte la démarche de Sorel en « traçant l’idée d’une bonne Histoire, telle que je me la suis formée pour me regler dans la composition de celle-cy » [94]. Son exposé valide les principes de Sorel – notamment le choix de la narration à la manière de Tite-Live [95], la défiance envers fables des origines [96] et le rejet de l’érudition [97] – tout en les situant rétrospectivement dans le paysage de l’historiographie de l’époque. Il dessine ce paysage en rappelant les dérives des historiens contemporains vers le romanesque, que ce soit dans la valorisation des intrigues amoureuses dans l’histoire des rois, ou bien dans l’attribution « sans preuves » aux acteurs de l’histoire des « motifs de leur conduite », ou encore dans la divulgation des discours échangés dans les cabinets des princes et des grands. Toutes ces critiques visent une même cible, Varillas, accusé de radicaliser les principes énoncés par Saint-Réal pour constituer une nouvelle forme d’histoire, fondée sur l’anecdote et les causes secrètes, d’autant plus gênante pour ses confrères qu’elle suscite l’engouement du public [98]. La « politique outrée » [99] que Varillas cultive dans ses ouvrages pour satisfaire la « curiosité », voire la « malignité » des lecteurs, en fouillant « dans les secrets les plus impénétrables des Princes » n’a rien à voir avec ce que le P. Daniel considère comme l’objet politique de l’histoire nationale : « L’Histoire d’un Royaume ou d’une Nation – écrit-il en conclusion d’une diatribe contre ceux qui prennent les Mémoires de Pontis pour une histoire du règne de Louis XIII – a pour objet le Prince et l’État ; c’est là comme le centre où tout doit tendre et se rapporter ; et les Particuliers ne doivent y avoir part qu’autant qu’ils ont eu de rapport à l’un ou à l’autre » [100]. Sur ce point encore, sa position est solidaire de celle de Sorel. Et, comme lui, il tient les anciennes chroniques pour les plus authentiques témoignages des débuts de la monarchie, nécessaires pour en comprendre l’institution. L’incidence politique de l’histoire de France est si évidente à ses yeux, qu’il arrête la sienne à la mort d’Henri IV, assumant de ne pas la mener beaucoup plus avant que celle de Mézeray, dont il réprouve le manque de rigueur et de véracité, parce qu’il juge inconsidéré de publier l’histoire du présent [101]. Comme Sorel, il destine celle-ci aux générations futures. Mais, à la différence de Sorel, il n’explicite jamais l’usage politique que peut faire le lecteur français de l’histoire de France. Les dernières lignes de la Préface présentent cette lecture comme un divertissement pour les jeunes gens, susceptible de les détourner de l’attrait pernicieux des romans [102]. C’est là un objectif bien mince en regard de la somme de travail que représentent les deux volumes. Que peut-on en déduire ? Que l’ambition portée par Sorel est périmée ou qu’elle est trop audacieuse pour pouvoir s’exprimer au seuil d’un ouvrage dédié au roi, qui vise une reconnaissance officielle ? En dissociant le projet historiographique de son implication politique dans la formation d’une identité nationale, le discours préliminaire du P. Daniel fait apparaître l’originalité de cette alliance chez Sorel, et sans doute aussi l’incompatibilité des deux types d’aspiration, responsable, peut-être, du récit bâtard qu’a produit celui-ci sous les titres successifs d’Histoire de la monarchie française et d’Histoire de France. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’idée d’éduquer le peuple français par la connaissance de son histoire nationale prendra corps à travers les programmes de l’école publique [103]. Mais le grand récit nécessaire à la construction du patriotisme bénéficiera alors des acquis de l’histoire scientifique et des élans du nationalisme romantique étroitement tissés au cours d’un siècle marqué par l’alternance des révolutions et des restaurations monarchiques. Cette histoire au long cours de l’histoire de France souligne encore l’anachronisme en son temps d’un Sorel historien de la monarchie par engagement patriotique.
Notes
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[1]
Dans La Bibliothèque françoise (1664, 1667), Sorel place l’histoire dans le chapitre des « Narrations véritables » (chap. VIII) qui précède celui des « Fables, allégories, et romans » (chap. IX). La confrontation est plus explicite dans les premiers chapitres de De la Connaissance des bons livres qui étudient en parallèle l’histoire et le roman selon la structure argumentative du pro et contra.
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[2]
Le contexte de l’historiographie du XVIIe siècle donne la mesure de l’isolement de Sorel. Béatrice Guion, qui en analyse l’évolution dans un récent ouvrage (Du bon usage de l’histoire, Paris, Champion, 2008), montre comment la portée morale unanimement reconnue à l’histoire se transforme au cours du siècle. Si, dans une continuité assumée avec son usage antique et humaniste, l’histoire est d’abord censée fournir une réserve d’exemples par lesquels se transmettent aux lecteurs des valeurs sociales et morales stables, elle devient ensuite un terrain d’observation des conduites des acteurs politiques à travers le prisme des passions. Selon les principes énoncés par Saint-Réal (De l’usage de l’histoire, 1671), elle est ainsi en mesure d’instruire et de captiver un public adonné à la lecture des romans, et qui se passionnera bientôt pour le genre intermédiaire de la nouvelle historique. Cependant, par son régime réflexif, elle prépare le terrain à la « nouvelle histoire » dont Fontenelle sera le promoteur (De l’histoire, 1687).
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[3]
Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, par C. Sorel, Paris, Claude Morlot, 1628, p. 51-52.
-
[4]
Un premier volume de l’Histoire de la monarchie française « depuis Pharamond jusqu’en 752 » est publié chez Claude Morlot en 1629 ; mais Sorel rompt brutalement le contrat avec le libraire-éditeur et transporte son ouvrage chez Louis Boulanger, qui le réimprime l’année suivante. Une seconde édition de ce premier volume paraît chez le même éditeur en 1632, complétée par un second tome allant jusqu’en 840 qui paraît chez un autre éditeur, Jean Camusat, en 1633. Sorel invoque dans l’Avertissement de la Science des choses corporelles (1634) des vicissitudes dues à la nouvelle législation de la librairie (Morlot n’aurait pris par son privilège qu’une inscription au « petit sceau », alors que l’inscription au « grand sceau » est nécessaire depuis 1629). Puis il laisse entendre dans une variante de la version de l’Avertissement publié dans La Science universelle de 1647 que l’ouvrage aurait été l’objet d’une surveillance en haut lieu. Après l’abandon de l’entreprise, il s’intéressera à l’histoire contemporaine, d’abord en complétant en 1646 l’Histoire du Roy Louis XIII de son oncle Ch. Bernard, puis en commençant en 1662 une Histoire de la Monarchie française sous le règne de Louis XIV qui couvre les années 1643 (mort de Louis XIII) à 1661 (mort de Mazarin et fin de la Régence).
-
[5]
La défence des Catalans (1642), La Flandre Françoise ou traité curieux des droits du Roy sur la Flandre (1658), Divers traitez sur les droits et prerogatives des Roys de France tirés des Memoires historiques et politiques (1666).
-
[6]
Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, chap. III : « Historiens du temps présent et pouvoir politique », p. 161-191.
-
[7]
La Vie et les œuvres de Charles Sorel, Paris, Hachette, 1891, p. 342-343.
-
[8]
Ce désaveu obstiné fait l’objet d’un des traités publiés en annexe de la Bibliothèque françoise (Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1667) : l’Ordre et l’examen des livres attribués à l’auteur de La Bibliothèque françoise.
-
[9]
« Au reste à peine prenois-je la peine de relire mes escrits, et de les corriger, car à quel subject me fussé je abstenu de ceste nonchalance ? On ne reçoit point de gloire pour avoir faict un bon livre, et quand on en recevroit, elle est trop vaine pour me charmer. Il est donc aysé à cognoistre par la negligence que j’advouë selon ma sincérité conscientieuse quel rang pourront tenir justement les ouvrages où sans m’espargner je voudray porter mon esprit à ses extremes efforts » (Histoire comique de Francion [1623], éd. Y. Giraud, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, « Advertissement d’importance », p. 47).
-
[10]
Dans sa contribution au colloque « Charles Sorel dans tous ses états » (Québec, septembre 2002), Hartmut Stenzel attribue la modernité littéraire de l’œuvre de Sorel à son ancrage dans l’histoire. Il s’agit selon lui d’une œuvre qui prend position contre les tendances alors dominantes dans le champ littéraire contemporain, non par nostalgie de l’âge d’or humaniste, mais dans l’aspiration à un encyclopédisme nécessaire au nouveau public suscité par l’expansion de la librairie. Sorel peut donc à juste titre nous apparaître tourné vers une modernité littéraire encore à venir (« Avatars d’une modernité littéraire différente : le projet historiographique de Sorel », Charles Sorel polygraphe, Laval, 2006, p. 41-60).
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[11]
Voir supra, n. 3.
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[12]
Histoire de la Monarchie française, où sont décrits les faits mémorables et les vertus héroïques de nos anciens rois, Paris, Cl. Morlot, 1629.
-
[13]
Un article récent d’Olivier Roux reprend l’histoire de cette publication et ses arrière-plans politiques et éditoriaux à partir de l’attribution à Sorel d’un ouvrage collectif jusqu’ici resté sans auteur, le Nouveau recueil de lettres, harangues, et discours différens, qui permet d’éclairer d’un nouveau jour les rapports que Sorel entretient à cette date avec les clans qui évoluent dans l’entourage royal, notamment celui de Richelieu, et de faire l’hypothèse d’une censure oblique qui aurait pesé sur l’ouvrage (« Le Nouveau recueil de lettres, harangues, et discours différens de Charles Sorel. Réapparition d’un ouvrage égaré », XVIIe siècle, no 242, janvier 2009, p. 159-178).
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[14]
Le titre complet de l’ouvrage est sur ce point parfaitement explicite : Le Berger extravagant, où, parmy des fantaisies amoureuses, on void les impertinences des romans et de la poésie. Remarques sur les XIV livres du Berger extravagant, où les plus extraordinaires choses qui s’y voyent sont appuyées de diverses authoritez, et où l’on treuve des recueils de tout ce qu’il y a de remarquable dans les romans (Paris, T. Du Bray, 1627-1628).
-
[15]
Dans L’Ordre et l’examen des livres attribués à l’auteur de la Bibliothèque françoise, un traité publié en annexe de la Bibliothèque françoise, Sorel rapporte ainsi ce moment de rupture et de reconversion intervenu très tôt dans sa carrière : « Lorsqu’il fut débarrassé de tous ces Livres de fiction auxquels il ne se voulait plus amuser, il s’efforça de savoir quelque chose de l’Histoire, et après avoir commencé de s’y occuper dès l’âge de vingt-deux ans, il voulut montrer des fruits de son travail » (La Bibliothèque françoise, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1667, p. 412).
-
[16]
Le premier volume paraît en 1634 chez P. Billaine sous le titre La Science des choses corporelles première partie de la Science humaine, où l’on connoist la vérité de toutes les choses du monde par les forces de la raison, et l’on treuve la réfutation des erreurs de la philosophie vulgaire ; la dernière édition, en quatre tomes, est due à Nicolas Le Gras, en 1668. Les volumes intermédiaires sont parus, entre 1641 et 1647, chez Toussaint Quinet.
-
[17]
Advertissement sur l’histoire de la monarchie française, op. cit., p. 1.
-
[18]
Ibid., p. 2.
-
[19]
Ibid., p. 4. Ce principe vient justifier le reproche adressé à Paul Émile d’avoir choisi le latin pour écrire l’histoire de la France.
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[20]
« Quittons plustost tant d’autres ouvrages infructueux, et ne nous occupons qu’à faire en sorte que nous ayons une histoire accomplie » (Advertissement, op. cit., p. 37). Notons que Sorel emprunte l’expression à Lancelot Voisin de La Popelinière, qui publie, à la fin du XVIe siècle une Idée de l’histoire accomplie, ce qui le place en position de concurrence avec le projet de l’historien humaniste. Il explicitera son jugement sur celui-ci dans la Bibliothèque françoise, laissant entendre que son époque est plus favorable à la réalisation d’un tel projet, à cause du progrès de la langue et de l’apaisement des conflits religieux. « Pour parler des Ouvrages qui ont eu une vraie forme d’Histoire, nous avons l’Histoire des troubles arrivés en France depuis l’an 1562, attribuée au sieur de la Popelinière. On voit aussi une Histoire de France avouée de lui, qui est depuis l’an 1550 jusques à l’an 1577. Cet Auteur a tâché de rendre cette Pièce d’un Style plus régulier que toutes celles qu’on avait vues auparavant en notre Langue, pource qu’il prétendait d’imiter les Historiens Grecs et les Romains, et même de les surpasser s’il lui était possible. Il découvrait assez que son ambition n’était pas petite, et qu’il voulait se faire déclarer Maître au fait de l’Histoire, en ayant donné des Préceptes dans un Livre appelé, l’Histoire des Histoires. C’est ce Livre qui contient une Critique générale des Historiens de plusieurs Nations, et où l’on voit ensuite, l’Idée de l’Histoire accomplie ; Et le dessein de l’Histoire nouvelle des Français. Il montre là quelles sont les excellences de l’Histoire, et il veut faire croire qu’il saura parfaitement exécuter ce qu’il a su si bien décrire. Les personnes judicieuses peuvent voir comment il a mis en pratique ce qu’il avait enseigné. Il y en a qui tiennent qu’il n’a pas toute la politesse qu’on pouvait désirer ; Mais c’est que la politesse du Langage était autre en ce temps-là qu’elle n’est à présent ; Il est vrai que d’ailleurs il a été si malheureux que voulant obliger les Huguenots sans désobliger les Catholiques, il ne s’est acquis l’affection ni des uns ni des autres. N’ayant parlé à l’avantage de tous, que fort imparfaitement, ils n’ont pas cru qu’il lui en fallût savoir gré » (La Guide de l’Histoire de France, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 333-334).
-
[21]
Ibid., p. 13.
-
[22]
Ibid., p. 36.
-
[23]
« La jeunesse le lira aussi tost que des Romans, voyant que l’on y pourra apprendre de beaux mots, & que l’on y trouvera une diversité d’avantures » (ibid., p. 33).
-
[24]
« Les Poëtes y chercheront des sujects pour leurs Poëmes & leurs tragecomedies, aussi tost que chez les nations barbares, où ils vont d’ordinaire querir leur inventions ; & il ne faut pas croire que cette chose soit de peu d’importance, veu que cela rendra tousjours nos Monarques plus celebres, & fera apprendre leurs actions sans y penser à ceux qui autrement n’en auraient point d’envie, & ne songeroient qu’à se donner du plaisir en voyant diverses feintes de theatre, ou en lisant des ouvrages delicieux » (ibid., p. 34-35).
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[25]
« Outre cela les estrangers qui seront amateurs de nostre langue, choisiront plustost ce livre d’histoire qu’un autre, pour y recueillir quelque fruict, & bien que leur principal dessein ne soit que d’apprendre à parler François, ils aprendront par mesme moyen tout ce qui s’est passé en France. Ainsi les genereuses actions de nos Roys seront connuës jusques aux païs les plus esloignez, au lieu qu’à peine l’on les sçait en leur païs propre car qui pense-t’on qui ayt rendu Brutus & Camillus si renommez, si ce n’est l’histoire de Tite-Live » (ibid., p. 35).
-
[26]
Ibid., p. 37.
-
[27]
« [...] pour moy j’ay recours à nos premiers Historiens, & [...] je remonte à la source lors que les ruisseaux sont troublez » (ibid., p. 144-145 ; je souligne).
-
[28]
Advertissement, op. cit., p. 54. Sorel n’est pas original sur ce point. Toute la tradition des artes historicae condamne, à la suite de Denis d’Halicarnasse, « ceux qui se lancent dans des ouvrages historiques consacrés à des faits obscurs, moralement condamnables ou indignes du moindre intérêt » (Antiquités romaines, livre I, 1, 2-3). Mais il s’agit le plus souvent, par cette séparation nette avec la biographie, de sauvegarder la dignité morale de l’histoire, notamment en se gardant d’avilir, à la manière de Suétone, ses principaux acteurs que sont les princes et les grands. Gomberville reprend le topos dans la même perspective au début du Discours des vertus et des vices de l’Histoire (Paris, Toussaint Du Bray, 1620, p. 43) : « C’est un mal universel, et presque incurable parmi tous les hommes, qu’ils désirent passionnément de savoir les histoires des peuples étrangers et qu’ils ignorent la leur : même ceux qui parlent en public ou qui écrivent aujourd’hui croiraient n’avoir pas paru habiles hommes, s’ils n’avaient farci leurs livres d’Alexandre, de César, de Pompée, et des autres ; encore que dedans notre Histoire on puisse trouver mille plus convenables exemples, bien qu’ils soient tous entièrement impertinents et insupportables en discours » ; mais c’est là une entrée en matière qui lui permet de stigmatiser les historiens huguenots, acharnés, selon lui, à discréditer les rois catholiques auprès de leurs sujets. La perspective de Sorel est tout autre : il affirme positivement la dimension politique de l’histoire et les bénéfices que peut en tirer le lecteur.
-
[29]
« Je ne parleray ny des Papes ny des Empereurs que lors qu’ils auront quelque chose à desmesler avec nos Roys. Je n’ay pas entrepris de faire trois Histoires au lieu d’une. Je veux que l’on treuve l’Histoire de nostre Monarchie dans mon livre, & pour celle des autres Estats l’on la peut aller chercher dans chaque livre particulier » (ibid., p. 150).
-
[30]
« Mon ouvrage contenant ce que je dy, je treuve encore son tiltre meilleur que si je l’appellois, l’Histoire de France, à l’imitation des autres, car s’il y a des tiltres trop particuliers, cettuy-cy au contraire est trop général. Si l’on vouloit raconter de quelle sorte l’on s’habille en France, de quel langage & de quelles loix l’on y use, comment l’on y bastit, qui a fondé les villes, les Églises & les Colleges, quels arts y ont esté pratiquez de tout temps, avec encore la vie des Roys, & une infinité de choses que l’on se pourroit imaginer, ces mots d’Histoire de France pourroient comprendre tout cela » (Advertissement, op. cit., p. 54-55). Bien évidemment, cette acception de l’expression « histoire de France » disparaîtra avec la parution sous ce titre des ouvrages des historiographes du roi, Dupleix, puis Mézeray. Sorel révisera donc sa propre position jusqu’à réimprimer sa propre Histoire de la monarchie sous ce nouveau titre.
-
[31]
Voir Georges Huppert, L’Idée de l’histoire parfaite [The Idea of Perfect History : Historical Erudition and Historical Philosophy in Renaissance France, 1970], traduit de l’américain par Françoise et Paulette Braudel, Paris, Flammarion, 1972, p. 8-11. G. Huppert montre, tout au contraire, le progrès que les recherches des juristes et des parlementaires ont permis à la science historique d’accomplir, non seulement par leur collecte de documents inédits mais parce qu’ils leur appliquaient les méthodes philologiques en vigueur dans leur discipline juridique.
-
[32]
« Ils ont pensé trouver une occupation où la subtilité de l’esprit n’estoit pas requise, & qu’il leur estoit facile de faire un amas de tout ce qu’ils trouvoient en divers lieux pour nous le donner en guise d’un bon livre » (Advertissement, op. cit., p. 7-8).
-
[33]
Ibid., p. 7.
-
[34]
Ibid., p. 52-53.
-
[35]
Les Pouvoirs de la littérature, op. cit., p. 166.
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[36]
« L’on sçait bien que les Francs sont venus habiter en Gaule, & que nos premiers Roys, sont sortis de leur race, mais de dire qui estoit le pere, l’ayeul, & le bisayeul de Pharamond, & aller ainsi jusqu’au premier homme que Dieu crea, c’est ce qui ne se peut, & ceux qui l’ont entrepris ont dressé un arbre de genealogie que pour se donner du plaisir. Je ne desapreuve pas entierement le dessein de ceux qui declarent l’estat des Gaules depuis le deluge, & les diverses habitations de ces peuples d’Allemagne, qui se sont fait appeler Francs, pourveu qu’ils n’en disent qu’autant qu’ils en peuvent tirer des bons Autheurs » (ibid., p. 56-57).
-
[37]
« Je me ry de ces fous qui vont imaginer que les François sont descendus de quelques Troyens qui estoient conduits par un Prince appelé Francus. Bien que l’on asseure que Troye a esté, tout ce qu’Homere en dit n’est que fiction, & l’Historien se declare impertinent s’il se fonde sur les fables d’un Poëte ; mais ce qui est de plus estrange en cecy, encore n’y trouve-t’on pas l’origine que l’on demande, sans inventer une autre fable, car le Poëte Grec ne dit point qu’il y eust personne à Troye qui s’appelast Francus, & si l’on feint que cettuy-ci estoit Astyanax, fils d’Hector, qui changea depuis son nom, l’on contredit à tous les Poëtes anciens qui asseurent qu’il fut tué par le fils d’Achile » (ibid., p. 57-58).
-
[38]
« L’on void donc clairement que Francus est un personnage que des idiots comme Jean Le Maire de Belges, se sont imaginé, à cause qu’ils croyoient qu’il y eust de la gloire pour une Monarchie, de la faire venir de ce Prince estranger, ne considerans pas qu’il estoit un pauvre fugitif, suyvant mesme le rapport qu’ils en font » (ibid., p. 59). La démarche de dévalorisation burlesque est identique à celle que, quelques années plus tôt, Théophile de Viau a adoptée pour dissuader ses protecteurs et commanditaires, le comte de Candale et le duc de Montmorency, de s’inventer des ancêtres troyens, raillant la gloire que Virgile avait prétendu offrir à Auguste en le faisant descendre du « vagabond » Énée.
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[39]
« Quand l’on ne peut dire qui est le fondateur d’une ville, l’on cherche ce que peut signifier son nom en toute sorte de langues, & si l’on treuve pour quel suject l’on luy a donné celuy qu’elle porte, l’on s’en contente quelquefois » (ibid., p. 68).
-
[40]
« J’ayme mieux leur dire franchement que l’on ne peut sçavoir qui estoient les Roys des Gaulois auparavant que les Romains les eussent asservis, & que si quelque livre les nomme, il n’est pas si ancien que l’autheur que l’on luy attribuë » (ibid., p. 77-78).
-
[41]
Ibid., p. 80.
-
[42]
Ibid., p. 85-91.
-
[43]
Sorel ne peut s’en prendre frontalement à la volonté de puissance de la monarchie pour récuser ces prétendus miracles. Il déplace donc la démonstration sur le terrain moins risqué de l’histoire ecclésiastique, en signalant que « les Moynes ont voulu persuader qu’il s’est fait plusieurs miracles à l’origine de leurs Églises pour les rendre plus illustres » (Advertissement, op. cit., p. 134).
-
[44]
« Je parle de cecy [de l’écu descendu du ciel] plus librement que de la saincte Ampoulle, de qui l’on soutient bien plus fort l’origine miraculeuse. Toutesfois j’avouëray bien que posé le cas qu’elle ne fust point venuë du Ciel, elle ne laisse pas d’estre venerable. C’est une grande faveur si Dieu a envoyé une huyle pour sacrer nos Roys, mais ce n’est pas peu aussi pour nous, s’il a voulu que celle qui fut donnee de la main de sainct Remy, serve tousjours à cet effect. Elle est d’assez grand prix, puisqu’elle a esté sacree par un Evesque & par un sainct. Quand ce seroit ma seule opinion, je ne serois point blasmable, puis que l’on ne commet rien en cela conre l’honneur de Dieu & des Roys » (ibid., p. 114-115).
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[45]
« [...] considérant que la religion païenne commençait insensiblement à vieillir, et à se diminuer, après avoir gagné la bataille de Tolbiac sur un prince allemand, il prit résolution de se faire chrétien, et de se concilier par ce moyen la bienveillance non seulement de la reine Clotilde sa femme, mais encore de beaucoup de prélats, et de tout le commun peuple de la France. Sur quoi je dois remarquer comme en passant, qu’encore qu’il me serait plus séant de rapporter les premiers motifs d’un changement si remarquable à quelque sainte inspiration octroyée au roi Clovis par les prières de la bonne reine Clothilde, et je ferais mieux d’interpréter toutes ces choses douteuses en bien ; il faut néanmoins que je me range ici du côté des politiques, qui seuls ont le privilège de les interpréter en mal, ou au moins d’y remarquer quelque ruse et stratagème, afin de demeurer toujours du côté des plus fins, et d’aiguiser l’esprit de ceux qu’ils instruisent par le récit de ces actions remarquables et judicieuses à la vérité, mais qui ne sont fondées le plus souvent que sur de vaines conjectures, et sur des soupçons qui ne donnent et ne peuvent en aucune façon préjudicier à la vérité de l’histoire. Continuant donc à parler de cette conversion de Clovis suivant les sentiments de Pasquier, et de quelques autres politiques, nous dirons que l’écu descendu du ciel, les miracles du sacre, et l’oriflamme, dont Paul Émile ne dit mot, furent de petits coups d’État pour autoriser le changement de religion, duquel il voulait se servir comme d’une puissante machine pour ruiner tous les petits princes qui étaient ses voisins » (G. Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État [1647], éd. Frédérique Marin et Marie-Odile Perulli, Paris, Gallimard, « Le Promeneur », 2004, p. 122-123).
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[46]
Dans la seconde partie du Supplément, après avoir suggéré que les historiens à venir corrigent « nos anciens livres d’Histoire », Sorel affirme son souci d’en conserver l’authenticité. « Afin d’agir sincerement, la methode sera de rapporter en bref dans les Annales ou Chroniques, les Fables les plus autorisées qu’on a accoûtumé d’y inserer, & ceci sera pour le respect de l’Antiquité ; mais cela ne se fera pas sans donner avis que ce ne sont que des Fables, & on y joindra leur refutation pour rendre l’instruction entiere » (Supplément des traitez de la Connaissance des bons livres, Paris, H. Pralard, 1673 ; dans l’édition reprint par Hervé Béchade de De la connaissance des bons livres, Slatkine, Genève-Paris, 1981, p. 61).
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[47]
La position des auteurs des Lieux de mémoire à l’égard des Grandes Chroniques de la France n’est pas très éloignée de celle de Sorel. Pierre Nora qualifie les textes rédigés par les moines de Saint-Denis de « récit essentiellement généalogique et mythique, mais cependant matrice d’une histoire monarchique, chrétienne, française et par là déjà nationale » (introduction à la section « Historiographie », Les Lieux de mémoire, II, La Nation, I, Paris, Gallimard, 1986, p. 187).
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[48]
Advertissement, op. cit., p. 144-145 ; pour exemple de ces « niaiseries » Sorel rapporte un trait de l’histoire hagiographique de Louis le Débonnaire : son excès de modestie qui l’aurait retenu toute sa vie de rire pour éviter de montrer ses dents qu’il avait fort blanches !
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[49]
« Toutefois s’il y a des hommes assez extravagans pour n’estre point encore satisfaicts de ma modestie, je leur declareray hardiment que je ne veux estre ny superstitieux ny libertin, & que je sçay bien que c’est une faute aussi grande de croire indifferemment toute sorte de miracles que de n’en croire point du tout. Au reste la mesme Loy qui nous deffend d’en inventer, nous deffend aussi d’escrire ceux qu’un autre a inventez, principalement s’ils sont ridicules, & s’ils n’ont rien qui ayt pû reüssir au salut du peuple fidelle. Les anciens ont voulu quelquesfois establir la religion par des fictions, mais aujourd’huy que le monde est desniaysé, les Catholiques acquièrent plus de honte que de gloire, s’ils publient des absurditez incroyables, & cela sert plustost pour aprester à rire aux Heretiques que pour les convertir. Il me peut bien estre permis d’oster de nostre Histoire quelques faux miracles s’il s’y en trouve, veu que l’on m’en donne l’exemple en la vie des Saincts, dont l’on retranche petit à petit ceux qui n’ont pas de bonnes autoritez. L’on n’a point de droict de quereller un homme là dessus pourveu qu’il laisse toutes ces choses sans en faire bruit, & qu’il ne fasse pas comme les Impies, qui ne les rejettent qu’avec des mesdisances & des railleries scandaleuses » (ibid., p. 135-136).
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[50]
« Sorel ne prêche pas pour autant la dissimulation ni la critique subversive. Il n’y a pas de raison de douter de la sincérité de son admiration pour le roi, ni de son intention de servir au mieux la monarchie par son travail. Mais la qualité de ce service passe pour lui par une complicité convaincante pour son lecteur » (Chr. Jouhaud, op. cit., p. 170).
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[51]
Ainsi Naudé ne fait imprimer que douze exemplaires de ses Considérations...
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[52]
« Quant à moy qui veux travailler pour tout le peuple, & non pas pour les fantaisies de deux ou trois particuliers, je doy escrire les choses ainsi qu’elles me sembleront veritables apres avoir veu de quel costé il y a plus de voix, & quelles sont les meilleures & les plus fortes. Si je me rencontre mesme en des endroicts que les Anciens ny les Modernes n’ayent point esclaircis, je croiray faire mon devoir d’y mettre quelque chose du mien, & je sçay bien que les Lecteurs diront qu’ils sont assez contens, pourveu qu’en ces passages obscurs on ne leur donne point de fables, & qu’ils ne voyent que des conjectures subtiles. Je tascheray aussi de faire que ce que je diray moy seul soit plustost creu que ce qu’on dit six ou sept autres, sans avoir recours à la conference des Autheurs, d’autant que si je puis j’y mettray tant d’ordre & de vray-semblance que la verité s’y fera paroistre d’elle-mesme. Ce ne seroit jamais fait s’il n’y avoit rien d’asseuré, & s’il faloit tousjours contester, jamais l’on ne sçauroit l’Histoire. D’ailleurs il est impossible parmy toutes ces disputes de rendre une narration elegante, & de luy donner une suite agreable » (Advertissement, op. cit., p. 157-158).
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[53]
Chr. Jouhaud, op. cit., p. 173.
-
[54]
Histoire de France. Contenant les faits memorables & les vertus heroïques de nos Rois. Par M. C. de Sorel, Conseiller du Roy, Lecteur ordinaire de la Chambre de sa Majesté, & Historiographe de France, Paris, chez Louis Boulanger, 1647.
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[55]
Il est possible de voir un appel à la bienveillance d’Anne d’Autriche dans l’ajout, en tête de cette nouvelle édition de l’Histoire de la monarchie française, d’une épître dédicatoire « Au Roy », implicitement datée de la fin des années 1620 par son allusion au siège et à la prise de la Rochelle. Il est invraisemblable que ce texte ait été imprimé (et encore moins écrit) en 1647. On doit donc supposer qu’il était prêt pour l’édition de 1630 mais que n’ayant pu, pour une raison obscure (peut-être le refus du roi ou de Richelieu), être publié à cette date, il est allé rejoindre le stock des invendus du libraire-éditeur.
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[56]
Dans le Supplément aux traitez de la connoissance des bons livres, Sorel résume ainsi la thèse qu’il a exposée dans le « Discours » publié en avant propos de l’Histoire du Roi Louis XIII de son oncle Charles Bernard : « Encore que sa charge d’historiographe de France soit l’ancienne & l’unique créée en titre d’Office » (éd. citée, p. 77). Or François Fossier récuse, dans l’article qu’il consacre au statut des historiographes royaux, la distinction que Sorel établit ainsi entre le titre d’historiographe de France et celui d’historiographes du roi (« À propos du titre d’historiographe sous l’Ancien Régime », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXII, juillet-septembre 1985, p. 361-417). Chr. Jouhaud voit dans ce discours une opération de promotion de son statut, dont Sorel peut espérer le succès dans une période de régence « propice à des coups de forces juridiques ». Ainsi « le récit des origines de la fonction d’historiographe cherche à produire le processus qu’il prétend simplement décrire » (op. cit., p. 181).
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[57]
La Guide de l’Histoire de France, ou l’ordre, l’examen et le choix des histoires particulières, Suivant les trois Races de nos Rois, Et des Histoires générales, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 277-302.
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[58]
Voici le passage de l’épître de 1664 qui est supprimé dans la version de 1667 : « Si quelquefois tu veux faire parestre au plus grand de tous les Roys qui te gouverne aujourd’huy, comment tu tasches de te rendre digne de son affection & de ses regards, & que tes plus chers Nourrissons ne pensent qu’à celebrer les merveilles de son Regne, peut-estre trouveras-tu à propos de te servir d’un Livre qui nous apprend les Titres & les Qualitez de tant d’autres Livres écrits en ta langue, pour luy montrer que tout ce qui est chez toy travaille à sa gloire, ou à l’utilité du Public qui retourne vers luy. Cet Auguste Monarque qui a depuis peu répandu ses graces sur quelques-uns de tes plus celebres Autheurs, voyant le nombre de leurs Ouvrages, ou de ceux de plusieurs Anciens, ausquels ils ressemblent, en sera davantage excité à leur continuer ce Bien, Ses fidelles & assidus ministres qui y ont contribué, seront ravis de trouver la confirmation de leur estime & de leur choix ; & comme la Reconnoissance est une des Vertus ordinaires aux Enfans des Muses, ils ne manqueront pas d’exalter ceux à qui ils ont la plus grande obligation ». On remarque que le roi, bien que présent dans cette première version, n’était pas désigné comme la source de la grandeur de la France, mais le témoin et le garant d’une grandeur qui est le fruit du travail des écrivains français.
-
[59]
Ibid., p. 281.
-
[60]
Ibid., p. 305-307.
-
[61]
Ibid., p. 311.
-
[62]
La péroraison de l’Advertissement sur l’histoire de la monarchie française désignait l’histoire nationale comme le « bien commun de tout le peuple » (op. cit., p. 210).
-
[63]
La Guide de l’Histoire de France, dans La Bibliothèque françoise, éd. citée, p. 311.
-
[64]
Ibid., p. 312.
-
[65]
Ibid., p. 368 (je souligne).
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[66]
« Il y a des Rois de cette Race, qui ont leur Historien particulier, comme le Roi Robert dont les actions ont été écrites par Helgaud Moine de Fleury, lequel on a fait un Epitome, tiré d’un Ouvrage plus long, fait par un autre Moine » (p. 318 ; je souligne) ; « Louis VIII n’a pas manqué d’avoir son Histoire particulière, aussi bien que la plupart de ses prédécesseurs » (p. 319 ; je souligne).
-
[67]
« Quelques Critiques se sont persuadés qu’il avait mis trop de Digressions dans son Histoire, mais ayant eu dessein de la faire de longue étendue, il a pu mettre ce qu’il a voulu ; on ne doit point se fâcher qu’il nous ait appris quantité de belles choses, car en ce qui est des Histoires particulières, les plus longues sont les meilleures » (ibid., p. 338).
-
[68]
« Comme il y a deux Volumes de l’Histoire de Louis XIII, faits par M. Dupleix, on les pourrait mettre au rang des autres Histoires du même Roi ; mais ce sont des Pièces de l’Histoire générale, qu’il ne faut pas démembrer, ou bien on en ferait autant pour l’Histoire d’Henri IV et d’Henri III et de quelques Rois précédents dont M. Dupleix parle assez amplement dans son ouvrage » (ibid., p. 356).
-
[69]
Supplément des traitez de la Connaissance des bons livres ( « Des deffauts de l’Histoire de France » ), éd. citée, p. 42.
-
[70]
Ibid., p. 62. La formule radicalise l’orientation anti-élitaire de l’Advertissement jusqu’à inclure « le vulgaire », dont il faut prioritairement capter l’attention : « Estant faite pour estre leuë de toute sorte de Gens, il la faut rendre une Histoire complette, qui soit telle qu’à bon droit on la puisse appeler, la vraye Histoire de France. Il est besoin qu’elle ait des beautez qui attirent mesme les Esprits vulgaires à la lecture » (ibid., p. 63 ; je souligne).
-
[71]
Ibid., p. 54. Dans la suite du passage, qui conclut le premier volet du traité, Sorel se livre à un éloge de Louis XIV qui semble destiné à concilier le soutien de Colbert à son projet d’académie de l’histoire : « Le grand Monarque qui nous gouverne accomplissant tous les jours tant de rares choses pour la Guerre & pour la Paix, merite qu’on fasse effort pour écrire l’Histoire de son glorieux Regne, afin qu’elle serve d’instruction à toute la Terre, & qu’on en soit plus puissamment exhorté à le reverer ».
-
[72]
Ibid., p. 63-64.
-
[73]
Cf. l’épître « Aux Grands » de la seconde version de l’Histoire comique de Francion (1626), où Sorel déclarait : « Ne prisant chacun que pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il a, j’estime egallement ceux qui ont la charge des plus grandes affaires, et ceux qui n’ont qu’une charge de cotrets sur le dos, si la vertu n’y met de la difference » (éd. Y. Giraud, p. 368).
-
[74]
Ces critères sont d’autant plus objectifs qu’ils jouent pour l’heure en défaveur de l’historiographie française : « [...] entre toutes les Histoires du monde, si on a égard à la Methode & au Stile, la nostre est la dernier à choisir » (Supplément..., éd. citée, p. 53).
-
[75]
Voir M. Rosellini, « La Bibliothèque française de Charles Sorel : intégration ou liquidation de la bibliothèque humaniste ? », L’Idée des bibliothèques à l’âge classique, Jean-Marc Chatelain et Bernard Teyssandier (dir.), Littératures classiques, no 66, automne 2008, p. 102.
-
[76]
Supplément..., éd. citée, p. 74.
-
[77]
La combinaison de ces diverses contraintes n’a pu produire que des compilations réalisées à la hâte : « Pour en dire la verité, il faut avouër qu’entre ceux qui ont eu la hardiesse de toucher à l’Histoire de France, il s’en est trouvé qui l’ont fait en un temps, où n’écrivant que pour gagner dequoy vivre, ils n’avoient garde d’employer leurs petites facultez à acheter des Livres rares & anciens : la trempe de leur Esprit ne les portant pas non plus à cette curiosité, afin d’avoir plûtost fait, ils se servoient de ce qui étoit le plus commun [...] » (ibid., p. 62-63).
-
[78]
« Les Provinces entieres & leurs Habitans y trouveroient leur avantage & leur honneur ; Sur tout les vrais Gentilshommes joüiroient du bon-heur d’y rencontrer les témoignages de l’ancienneté de leur Noblesse » (ibid., p. 65).
-
[79]
Ibid., p. 67.
-
[80]
Ibid.
-
[81]
Ibid., p. 69.
-
[82]
Ibid., p. 76.
-
[83]
Ibid., p. 70.
-
[84]
Coups de griffe envers les historiographes, qui « n’avoient obtenu leurs beaux Titres que par une faveur inconsidérée » et qui « se sont fait appeler Historiographes sans estre Historiens » (ibid., p. 72) et les écrivains gratifiés, qui n’ont « guere fait de chose ; mais [...] se montreront fort diligens lors qu’ils y seront conviez », car « c’est leur faire honneur de se souvenir d’eux en cette occasion », afin qu’ils « ne se persuadent pas d’avoir esté payez pour ne rien faire, ou qu’ils en seront quittes en deux ou trois ans pour une Ode ou un Sonnet, pour un Panegyrique, ou pour quelque petite Lettre » (ibid., p. 73).
-
[85]
Cette expression qu’emploie Chr. Jouhaud pour caractériser la position sorélienne (op. cit., p. 181) est particulièrement heureuse, en son anachronisme même, parce qu’elle fait percevoir combien la pratique du service de plume chez un homme comme Sorel, écrivain par goût et pénétré par héritage familial de l’importance du rôle que donne un office dans l’État, peut l’amener à dépasser les cadres même dans lesquels elle s’exerce, vers l’invention d’un nouveau rapport au « public », entendu à la fois comme lectorat et comme instance politique.
-
[86]
« Cela sera cause que des choses si importantes, comme l’Histoire de nostre Monarchie, & celle de nostre Grand Monarque, ne seront point mises au jour pour avoir cours dans toute l’Europe, sans avoir esté suffisamment examinées » (Supplément..., éd. citée, p. 76).
-
[87]
« Il pretend qu’au mesme temps que ses gages luy ont esté refusez, on luy a donné l’exemption de toutes les fonctions d’Historiographe, s’il ne s’y veut occuper pour une satisfaction particuliere. Il affirmera pourtant qu’il n’est pas besoin de l’exhorter au travail quelque chose qui luy arrive, & qu’il ne laisse pas d’écrire sans discontinuation ; mais que c’est tout ce qui se peut de sa part, & que pour mettre ses Ouvrages en lumiere, cela ne depend pas de luy ; Qu’il ne les sçauroit faire voir encore tels qu’ils doivent estre ; Que pour les accomplir il a besoin de Memoires, & d’Instructions, & de Gens qui travaillent au dessous de luy ; Qu’il faut fournir à plusieurs voyages necessaires pour s’aller informer de la verité de diverses choses dont il doit parler dans ses Livres, & qu’il y faut ajouter les frais de leur impression, pour la retarder ou la haster selon les occasions, & afin d’avoir à soy la pluspart des Exemplaires, pour en donner à toutes les persones recommendables du Royaume » (ibid., p. 81).
-
[88]
Ibid., p. 73.
-
[89]
Saint-Réal, De l’usage de l’Histoire, Introduction, Œuvres, t. II, Nyon, 1745, p. 314.
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[90]
Ibid.
-
[91]
Voir B. Guion, op. cit., p. 272.
-
[92]
Histoire de France, depuis l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, dédiée au Roy, par le P. G. Daniel, de la Compagnie de Jésus, Paris, Delespine, 1713 (3 vol. in-fol.) ; nouv. éd., Paris, D. Mariette, J.-B. Delespine, J.-B. Coignard fils, 1722.
-
[93]
« Un Auteur fort zélé pour la gloire de la France, après avoir déploré la disette, où il croit qu’elle est de bons Historiens, donne cet avis à ceux qui penseroient à travailler de nouveau à nôtre Histoire. “Ceux, dit-il, qui veulent mettre l’Histoire de France dans un meilleur estat, doivent d’abord faire present au Public de quelques discours, où ils découvrent les défauts de toutes nos Histoires, pour montrer le sujet qu’on a de s’en plaindre, & pour détromper les gens qui les croyent fort accomplies.” » (Histoire de France, éd. 1722, « Préface », p. xvj).
-
[94]
Ibid., p. xvij.
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[95]
« Il seroit à souhaiter, dit-on, qu’on pût lire ces commencemens de l’Histoire de France avec autant de satisfaction, ou du moins avec aussi peu d’ennui, qu’on lit dans Tite-Live, ceux de l’Histoire Romaine » (ibid., p. xxxv ; le « dit-on » paraît bien référer implicitement au traité de Sorel mentionné dès l’introduction).
-
[96]
À cette fin, le P. Daniel se propose de s’en tenir au « commencement de la Monarchie françoise dans les Gaules », en ce qu’il a d’assuré, c’est-à-dire « la Fondation de la Monarchie en deçà du Rhin, et au temps de Clovis » (ibid., p. xxxvij). En outre, il envisage l’avènement de Clovis sur le terrain de la conquête militaire, sans le réduire à l’événement du sacre (ibid., p. xxix).
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[97]
« Un Historien doit bien se donner de garde d’affecter de faire paroistre de l’erudition, dès-là qu’elle peut mettre de la confusion, de l’embarras, et de l’obscurité dans son Histoire » (ibid., p. l).
-
[98]
« Je me souviens que lorsque son Histoire de François I. courut manuscrite, on l’arrachoit des mains de ceux qui l’avoient, pour la lire avec empressement. On estoit principalement enchanté de ces beaux endroits, où il racontoit les amours de ce Prince avec Madame de Chasteau-Briant, & la fin infortunée de cette Dame » (ibid., p. xxj).
-
[99]
Ibid., p. xxiij.
-
[100]
Ibid., p. lv.
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[101]
« Une des raisons qui m’a empêché d’aller plus avant, est qu’il ne convient gueres, je ne dis pas d’écrire, mais de publier l’Histoire de son temps, ou du temps proche du sien. Il est difficile à un Historien, quand il y a encore des personnes vivantes qui peuvent se trouver interessées dans son Histoire, d’observer le beau précepte que Ciceron lui prescrit, & qui consiste non-seulement à n’oser rien dire de faux, mais encore à oser dire tout ce qu’il sçait de vrai ; quand ces veritez doivent entrer dans le sujet qu’il traite » (ibid., p. lxxix-lxxx).
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[102]
« Plaise à Dieu que cet ouvrage, dont la matière est si intéressante, soit aussi tel par sa forme, et qu’il puisse occuper utilement une infinité de jeunes gens, et les détourner de la lecture de tant de mauvais livres que nostre siecle a produits au préjudice de la Religion et des bonnes Mœurs » (ibid., p. lxxxvj).
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[103]
Cf. la déclaration emblématique d’Ernest Lavisse dans son discours d’introduction au cours d’Histoire du Moyen Âge en 1881 : « Dans les pays où la science est la plus honorée, elle est employée à l’éducation nationale » (« L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », Revue des Deux Mondes, 15 février 1882, cité par Pierre Nora, dans « L’Histoire de France de Lavisse », dans Les Lieux de mémoire, II, La Nation, I, op. cit., p. 326).