Notes
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[1]
N. Boileau, Art poétique [1674], v. 153-154.
-
[2]
Roland Barthes, « Responsabilité de la grammaire », dans Œuvres complètes. Livres, textes, entretiens 1942-1961, éd. E. Marty, Paris, Le Seuil, t. I, 1993, p. 97. « Déjà, ajoute Roland Barthes, il semble qu’on abandonne parfois des parts considérables, des tics ancestraux de la grammaire normative ». Cet « abandon » devait aller s’accélérant : la « nouvelle critique » a eu son symétrique dans la production littéraire, moins le Nouveau Roman sans doute malgré l’intérêt critique dont il a fait l’objet, que l’écriture de « fiction », marquée par les jeux associatifs, la déconstruction de la syntaxe et des repères logiques, la spécularité de l’écriture et la promotion de l’inconscient et du corps comme signifiés majeurs, motivant au niveau du sens les flux du signifiant. En voici un exemple, extrait de La d’Hélène Cixous : « On oscille. Entre r... Quel est le mot, qui fait revenir les mots ? Qui a la clef ? [...] On erre entre deux vies. Rôde entre deux villes du delta. Le cœur arrêté devant la porte verrouillée. Ô mur, mur, muroir sur le mur. On essaie de se r... Les vieux mots ne marchent plus. Ne frappent plus. L’hier est parcouru. Entre jedus et jedis... » (Hélène Cixous, La, Paris, Gallimard, 1976, p. 22).
-
[3]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte, dans op. cit., t. IV, p. 260.
-
[4]
Jean Goldzink, « Que sont nos amours devenues ?... », dans Comédie-Française. Les Cahiers, Paris, POL et Comédie-Française, no 17, automne 1995, p. 18.
-
[5]
Alvin Eustis, « Existe-t-il un Molière moderne ? », dans Œuvres & Critiques. Visages de Molière, Paris, Jean-Michel Place, VI, 1, 1981, p. 29.
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[6]
Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, Paris, Klincksieck, 1992 ; Gérard Defaux, Molière et les métamorphoses du comique, Paris, Klincksieck, 1992.
-
[7]
La signifiance est, dans le texte, le lieu de la jouissance, celui où le sujet se défait, précise Roland Barthes en rappelant que c’est Julia Kristeva qui en a, la première, proposé le concept : « Qu’est-ce que la signifiance ? C’est le sens en ce qu’il est produit sensuellement » (Roland Barthes, Le Plaisir du texte, op. cit., p. 257). Le nom de Maurice Laugaa doit ici être mentionné car il fait figure d’exception : cf. notamment La Pensée du pseudonyme, Paris, PUF, 1986.
-
[8]
Bien sûr, Louis Marin a poussé le concept de représentation jusqu’à son point de renversement : mais plutôt pour en critiquer la violence cachée, ses effets de sujétion, c’est-à-dire plutôt pour en révéler la pragmatique invisible que pour aboutir à l’idée que cette opacification pourrait être au service d’un plaisir totalement indéterminable, plus à pointer qu’à expliquer.
-
[9]
« Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête » (éd. Jean Serroy, Paris, Gallimard, « Folio », 1998, I, 1, p. 38).
-
[10]
II, 4, p. 72.
-
[11]
Ibid., p. 73.
-
[12]
« Le Bourgeois a une transparence unique », tel est le diagnostic porté à la fois sur la pièce et le personnage par Jacques Copeau qui écrit aussi : « M. Jourdain est si vrai qu’il gardera notre crédit, quoi qu’il fasse. Les traits de son caractère sont si plausibles, ils paraissent si bien ancrés dans le réel, que nous le suivrons de bonne foi, où qu’il lui plaise de nous emmener dans le fantastique » (Registres II. Molière, Paris, Gallimard, 1976, p. 279 et 282). Et, pour Gérard Defaux, « la transparence de Jourdain tient proprement du miracle » et fait de lui « l’antithèse incarnée de Tartuffe », tandis que « Le Bourgeois gentilhomme est essentiellement un spectacle que sa représentation épuise, qui n’accorde au texte qu’une importance secondaire, et qui, par conséquent, ne doit pas être jugé d’après des critères uniquement littéraires ou textuels » (Gérard Defaux, Molière et les métamorphoses du comique, op. cit., p. 281 et 267).
-
[13]
Cf., sur la question, Charles Mauron, Psychocritique du genre comique. Aristophane, Plaute, Térence, Molière, Paris, Librairie José Corti, 1964.
-
[14]
V, 4, p. 192.
-
[15]
Roland Barthes, Sur Racine, dans op. cit., t. II, p. 192.
-
[16]
Voici quelques occurrences du mot qui décrivent son champ sémantique : « MACHINE : [...] On donne le nom de machine en général à tout ce qui n’a de mouvement que par l’artifice des hommes, comme les scènes et les théâtres mobiles [...] » ; « COULISSES [...]. Les perspectives des machines se meuvent dans des coulisses » ; « FAIRE [...]. Faire jouer une mine, un feu d’artifice. Faire jouer des comédies, des machines » ; « IMAGINATIF, IVE. Adj. Qui conçoit de belles choses dans son esprit. Il faut qu’un machiniste soit fort imaginatif, pour trouver de nouvelles inventions. La bonne qualité d’un Poète est d’être imaginatif » ; « DéROBER les auteurs se dérobent les uns aux autres leurs pensées, les machinistes leurs inventions » ; « CONTENTION [...]. Pour inventer une si belle machine, il a fallu une grande contention, une grande application d’esprit, un effort d’imagination » ; « ARTISTE [...] voilà une montre, une machine fort artiste ».
-
[17]
Jean-Léonor Gallois de Grimarest, Vie de M. de Molière (1705) dans Molière, Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1962, p. 14.
-
[18]
On rencontre dans le Furetière ce mot, MACHEMOURE, qui signifie : « Débris du biscuit réduit en miettes et menues parties. Il faut que le morceau de biscuit soit moindre qu’une noisette pour être réputé machemoure. » Et MASCHER « signifie plus généralement manger, faire bonne chère » : « Quand on est avec les femmes, les enfants, il faut toujours leur donner à mâcher, ils mâchent tout le jour ».
-
[19]
À MOLIèRE, le Dictionnaire de l’Académie de 1694 mentionne les deux sens : « Molière. Adj. de tout genre. Il ne se dit guère que de certaines pierres qui servent à faire des meules. Pierres molières. Il se dit aussi des grosses dents qui servent à froisser, à broyer les viandes qu’on a dans la bouche. Dents molières. » Dans le Furetière, la molière est le nom le plus ordinaire de la meulière : « Carrière de pierre dure, d’où on tire les meules de moulin ». Et à MOUDRE, verbe « qui vient de molière » : « Il y a des dents molières en la bouche pour moudre et écraser les aliments en les mâchant ».
-
[20]
« MACHURER. V. act. Barbouiller ou noircir quelqu’un, ou quelque chose. Machurer le visage, les habits ».
-
[21]
« MACHURAT [...]. C’est ainsi qu’on appelle les compagnons imprimeurs qui apprennent leur métier, qui sont sujets à barbouiller, à gâter les feuilles qu’ils tirent ».
-
[22]
Le jeu entre le sens concret et le sens figuré de l’aliment, ici spirituel, là physique, est d’une extrême fréquence au XVIIe siècle, comme en témoigne par exemple le couple goût/dégoût. On en citera pour preuve deux passages de La Logique de Port-Royal, qui pourraient faire la critique de M. Jourdain : « Il y a des estomacs qui ne peuvent digérer que les viandes légères et délicates, et il y a de même des esprits qui ne se peuvent appliquer à comprendre que les vérités faciles et revêtues des ornements de l’éloquence » ; « On n’a pas cru aussi devoir s’arrêter au dégoût de quelques personnes, qui ont en horreur certains termes artificiels, qu’on a formés pour retenir plus facilement des diverses manières de raisonner, comme si c’étaient des mots de magie, et qui font souvent des railleries assez froides sur baroco et baralipton, comme tenant du caractère du Pédant ; parce que l’on a jugé qu’il y avait plus de bassesse dans ces railleries que dans ces mots » (Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l’Art de penser (5e éd., 1683), op. cit., « Premier Discours », p. 43 et 42).
-
[23]
IV, 1, p. 160.
-
[24]
« MOUCHARd. Subst. fém. Espion qu’on met auprès de quelqu’un, ou dans une famille, ou dans un lieu public, pour prendre garde à tout ce qu’on y dit, à tout ce qu’on y fait et en faire rapport. Il faut prendre garde comme l’on parle dans le monde, de crainte qu’il n’y ait quelque mouchard qui vous fasse une affaire ». Donneau de Visé, dans Zélinde, fait de Molière le portrait d’un « dangereux personnage », médisant et délateur, sans cesse occupé à épier ses semblables « pour les faire représenter au naturel sur son théâtre » (Jean Donneau de Visé, Zélinde ou la véritable Critique de l’École des Femmes [...], dans Georges Mongrédien (éd.), La Querelle de l’École des femmes [...], Paris, Nizet, 1971, sc. 6, p. 37-38 ; cf., sur cette question : Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, op. cit., en particulier p. 62-63 où est cité ce passage).
-
[25]
« MAQUIGNON, ONNE. Subst. masc. & fém. Gens d’intrigue qui se mêlent de donner des advis, de faire des mariages, de faire vendre des offices, des bénéfices & autres trafics odieux. [...] Ce mot vient de maque, qui signifiait autrefois marchandise, aussi bien que celui de maquereau ; quoique Menage dise qu’il vient de l’italien machinone, qu’il croit être fait de mangone. On a dit dans la basse Latinité mangonare, pour signifier trafiquer ; et mango, manganus, pour signifier un trompeur ».
-
[26]
Ainsi, pour Patrick Dandrey, la comédie moliéresque repose sur « la superposition de deux images, l’une parfaitement accomplie, image de perfection proportionnée, l’autre caricaturale, déformée par les délires extravagants de l’imagination ». Et il ajoute : « De sorte que ce processus de critique de l’image par superposition entre une vision droite et une déformation caricaturale qui la pervertit en croyant l’accomplir se trouve constituer le principe de l’anthropologie classique [...] et en même temps le principe esthétique du ridicule qui est la clef de l’écriture comique » (Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, op. cit., p. 388-389).
-
[27]
Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 177.
-
[28]
Ibid., p. 179.
-
[29]
Ibid., p. 180.
-
[30]
Ibid., p. 54-55.
-
[31]
Paul Ricœur, « Qu’est-ce qu’un texte ? », dans Du Texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Le Seuil, 1986.
-
[32]
V, 4, p. 192.
-
[33]
IV, 5, p. 181.
-
[34]
V, 6, p. 203-214.
-
[35]
Michel de Montaigne, Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1967, « Des noms », I, 46, p. 124.
-
[36]
Roland Barthes, Nouveaux Essais critiques, dans op. cit., t. IV, p. 69.
-
[37]
Érasme, Colloques, Paris, Imprimerie nationale Éd., 1994, « La Chose et le Mot », t. II, p. 174.
-
[38]
Ibid., p. 176.
-
[39]
Je m’appuie sur un travail collectif, Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien régime, à paraître sous la direction de Robert Descimon.
-
[40]
Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi [1957], trad. J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1988.
-
[41]
Comme le montre aussi, d’un autre point de vue, plus anthropologique, Maurice Laugaa dans La Pensée du pseudonyme, op. cit.
-
[42]
Érasme, « La Chose et le Mot », op. cit., p. 176.
-
[43]
Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l’Art de penser, op. cit., II, VII, p. 171-172.
-
[44]
Érasme, « Le Chevalier sans cheval ou la Fausse Noblesse », op. cit., p. 230.
-
[45]
Montaigne, op. cit., p. 124.
-
[46]
V, 3, p. 190.
-
[47]
Jean-Louis Guez de Balzac, Socrate chrétien, dans Les Œuvres, Paris, Louis Billaine, t. II, 1665, « Avant-propos », non paginé.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
Auteur notamment de La Hiérarchie céleste, Denys l’Aréopagite a été confondu, à partir du IVe siècle, avec saint Denis, patron des rois et du royaume de France. Cette confusion durait encore au XVIIe siècle, mais elle était soupçonnée.
-
[50]
Jean-Louis Guez de Balzac, Socrate chrétien, op. cit., p. 267-268.
-
[51]
Ibid., p. 267.
-
[52]
« On donne la qualité de noble homme, à des bourgeois, qui ne devroit appartenir qu’aux vrais Nobles », note Furetière, dénonciation qui s’appuie sur une nouvelle exigence de transparence représentative dans laquelle l’ordre social est déterminant.
-
[53]
Deux textes, le Dictionnaire de Furetière et Les Réflexions sur la Poétique de ce temps du P. Rapin, mentionnent la comédie sous le titre du Gentilhomme bourgeois (art. BOURGEOIS ; René Rapin, Les Réflexions sur la Poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes [1675], éd. E. T. Dubois, Genève-Paris, Droz-Minard, 1970, variante de 1674 et 1684, p. 117).
-
[54]
Roger Chartier, Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Albin Michel, 1996, p. 182.
-
[55]
« Pour le roi, les intendants, les officiers de finances, ou les traitants qui se chargent des vérifications, le rang social ne saurait plus être déterminé par la volonté des individus, même appuyée sur un certain nombre de signes visibles (un style de vie noble, la possession d’une terre seigneuriale). Il dépend fondamentalement d’une reconnaissance donnée sur pièces par l’autorité du monarque, seule capable de dire quelle est la condition véritable de ses sujets » (ibid., p. 195).
-
[56]
Ibid., p. 196.
-
[57]
Montaigne, op. cit., loc. cit., p. 125.
-
[58]
V, 4, p. 192.
-
[59]
Pour Giorgio Agamben, il est grand temps de contester l’articulation faite entre le peuple et la langue, dont nous n’avons pourtant pas la moindre définition certaine, qui fonde le discours politique moderne, et de trouver d’autres assises politiques au factum pluralitatis, au « simple fait que les hommes forment des communautés » (Giorgio Agamben, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Paris, Bibliothèque Rivages, 1995, p. 77 et 76).
11. Les lignes qui suivent constituent une réflexion, la plus ouverte possible pour ne pas dire la plus perplexe, menée à partir d’une expérience critique qui pourrait aisément se faire passer pour une découverte. Mais elle vaudra ici surtout comme question lancée à l’histoire littéraire et à ses méthodes d’analyse. Avant d’en déployer le trajet, je me contenterai d’indiquer qu’il se situe quelque part entre les fourches caudines de deux morales et de deux esthétiques du langage réputées exclusives. La première, « classique », condamne le néologisme, l’équivoque et le jeu de mots au profit d’un ciselage de la langue d’usage. Le travail, la maîtrise de la langue visent une communication à la fois belle et transparente, et cette position aura longtemps été emblématisée par l’incontournable Boileau et ses vers fameux :
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire parviennent aisément. [1]
2La seconde, qui fut souvent formulée comme celle de « notre modernité », a déclaré la guerre à la précédente et voulu libérer la syntaxe et le signe du carcan de la représentation au profit du signifiant pur, de sa matérialité sonore et graphique, de l’écriture, du corps, du fantasme. Au produit maîtrisé d’un Sujet conscient furent alors opposées la production, le procès, l’économie signifiante du Texte. Et s’impose ici, bien sûr, le nom de Roland Barthes qui, dans un texte de 1947 intitulé « Responsabilité de la grammaire », faisait du « français classique » une langue du pouvoir et diagnostiquait : « Le problème pour les écrivains aujourd’hui, c’est donc de couper l’écriture de ses origines historiques, c’est-à-dire, en fait, politiques » [2], tandis que, quinze ans plus tard, il écrivait, dans Le Plaisir du texte :
3Ou du moins, ce que le plaisir suspend, c’est la valeur signifiée : la (bonne) Cause. « Darmès, un frotteur qu’on juge en ce moment pour avoir tiré sur le roi, rédige ses idées politiques... ; ce qui revient le plus souvent sous la plume de Darmès, c’est l’aristocratie, qu’il écrit haristaukrassie. Le mot, écrit de cette façon, est assez terrible... » Hugo (Pierres) apprécie vivement l’extravagance du signifiant ; il sait aussi que ce petit orgasme orthographique vient des « idées » de Darmès : ses idées, c’est-à-dire ses valeurs, sa foi politique, l’évaluation qui le fait d’un même mouvement : écrire, nommer, désorthographier et vomir. Pourtant : comme il devait être ennuyeux, le factum de Darmès !
4Le plaisir du texte, c’est ça : la valeur passée au rang somptueux de signifiant. [3]
5La génération à laquelle j’appartiens, celle qui a fait ses études supérieures dans les années 1970, ne pouvait éviter de se confronter à la quaestio. Entre les deux prescriptions antagonistes, il y allait d’un choix radical et même politique. Et si l’on s’enthousiasmait pour l’émancipation du signifiant, il n’était pas recommandé de se diriger vers les études dix-septiémistes : centrés sur la transparence du signe, les textes classiques ne promettaient guère de plaisir critique. Le partage a façonné des habitudes interprétatives. Certes, comme le note ironiquement Jean Goldzink dans un article portant sur la critique racinienne « élevée à la hauteur d’une mission nationale » pendant les « Trente Glorieuses », « les méthodes critiques, en file indienne, [ont rendu] visite au sphinx » [4]. Mais précisément comme à un sphinx, quintessence du classicisme, bon à défier, à combattre. En revanche, pour nous en tenir à Molière, puisque c’est de lui qu’il sera question dans les pages qui suivent, Alvin Eustis constatait en 1981 que Molière avait été très négligé par la « critique française moderne », c’est-à-dire « celle qui emploie une méthode radicalement nouvelle et qui possède un métadiscours en rapport » [5] ; et, malgré de remarquables ouvrages parus depuis son œuvre [6], le diagnostic me paraît toujours valide. Une chose est sûre : quelles que soient, au final, les options idéologiques et même critiques des historiens de la littérature du XVIIe siècle, on s’est rarement penché sur la signifiance des textes [7], préférant obstinément les interroger comme représentations [8].
62. Le Bourgeois gentilhomme, acte I, scène 1. Pourquoi donc cet homme qui « est allé se mettre en tête » des « visions de noblesse et de galanterie » s’appelle-t-il M. Jourdain, et même « ce M. Jourdain » [9] ? Le connaissons-nous donc déjà ? Il est vrai qu’il ne cherche pas à passer inaperçu : il n’entre en scène que pour se montrer, montrer ses habits, portant aussitôt la théâtralité à son comble, et l’on sait que la pièce constitue à maints égards une comédie de l’habit et des signes sociaux. Le bourgeois veut devenir gentilhomme et, donc, tout apprendre : la musique, la danse, l’escrime, la philosophie, la galanterie. Mais, en même tant, il persiste obstinément dans ses goûts. Ainsi avec le maître de philosophie, le spécialiste du logos, qui sait le latin et grâce à qui le spectateur entendra la première langue « étrangère » de la pièce. Sa philosophie n’est guère neuve, sauf pour M. Jourdain, qui cependant n’hésite pas à refuser d’apprendre la logique lorsqu’il entend le maître expliquer que la troisième « opération de l’esprit » consiste à « bien tirer une conséquence par le moyen des figures Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. » :
Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs [...]. Apprenons autre chose qui soit plus joli. [10]
7Sur un motif analogue est repoussée la physique, « qui nous enseigne les causes de tous les météores, l’arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons » :
Il y a trop de tintamarre là-dedans, trop de brouillamini. [11]
8Soudain, cependant, le voilà qui s’enthousiasme. C’est lorsque le maître de philosophie lui fait prononcer les voyelles :
9MAîTRE DE PHILOSOPHIE : La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut : A, E.
M. JOURDAIN : A, E, A, E. Ma foi ! oui. Ah ! que cela est beau.
10puis des consonnes :
[...] MAîTRE DE PHILOSOPHIE : La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d’en haut ! Da.
M. JOURDAIN : Da, Da. Oui. Ah ! les belles choses ! les belles choses !
11Il est clair que M. Jourdain aime les mots : il les aime à l’oreille, il les aime dans la bouche, comme si l’expérimentation de la leçon ressuscitait en lui le plaisir pris aux premiers vagissements. Son personnage se joue donc à l’articulation la plus étroite entre un jeu social érotisé et l’érotisation des signes, en tout premier lieu de la langue, ce que révèle assez sa demande adressée au maître de philosophie de l’aider à écrire le billet amoureux qu’il désire envoyer à une marquise. Car c’est alors pour Molière prétexte à un développement cocasse qui fait briller le langage dans ses tours et détours :
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos beaux yeux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.
12De la formule barbare confinant au baragouin, à l’énumération fracassante des intempéries physiques, de la jouissance des sons à celle des torsions de la syntaxe, le langage se met à séjourner du côté du corps et de la voix, à gonfler, pousser des cris animaux – braiment de l’âne ( « I, O, I, O » ), hululement du hibou ( « U, U » ) et rugissement final du lion ( « R, r, ra, R, r, r, r, r, ra) –, à défigurer le visage, s’associant ainsi à la grimace, au masque peut-être – bref, à se laisser entraîner dans un devenir onomatopéique, voire cratyllique nettement plus euphorique que la scolastique médiévale dont le menaçait d’abord le maître de philosophie avec ses universaux, ses catégories et ses syllogismes aux noms imprononçables.
133. Un trouble peut à bon droit nous saisir : s’agit-il encore d’une satire sociale ? M. Jourdain est-il vraiment si transparent qu’on l’a souvent dit [12], ne serait-il pas la figure allégorique d’autre chose que d’un type social, celle de l’enfance par exemple ? Molière, cet auteur qui aura défini son art à partir de la « copie au naturel », n’est-il pas en train de faire « vaciller les cadres de la représentation » comme nous disions dans nos dissertations de khâgne à la belle époque de la modernité ? La cérémonie turque semble le confirmer. Il est vrai qu’elle met en scène ces mots étranges qu’on appelle des titres et qui, pas plus dans la réalité que sur scène, ne fonctionnent dans le registre de la représentation, de quelque façon qu’on les prenne. M. Jourdain va pouvoir énoncer « Je suis Mamamouchi », motivant ainsi, dans un change paradoxal, son nom propre, un nom voué, en somme, à la pseudonymie. Mais ce n’est pas dans les eaux du Jourdain qu’il sera baptisé – plutôt dans le flux d’un bégaiement, d’un babil régressif qui se cache derrière l’alibi burlesque du faux turc.
14Au théâtre, sans doute, tout va trop vite, le rire fuse, inhibant l’analyse, libérant en nous une énergie contraire à la réflexion [13], et il n’y a pas lieu de croire que les spectateurs du XVIIe siècle différaient de nous sur ce point. Mais, à la lecture, on peut ralentir le flot verbal, tourner et retourner les mots dans son esprit, les laisser monter à la tête à la façon d’une légère ivresse tout en leur prêtant cette attention flottante caractéristique de l’écoute psychanalytique mais en principe jamais requise dans l’interprétation d’un texte « classique ». Voici un turc qui résonne parfois comme du latin, parfois comme de l’hébreu : langue sainte, langue sacrée, auxquelles les humanistes ont tant demandé d’expliquer l’origine du langage. Au cœur de cette fiction, trois syntagmes dont le reste n’est qu’une sorte de variation continuée, entrecoupés de commentaires drolatiques qui assourdissent leur écho : marababa sahem, cacaracamouchen, et mamamouchi bien sûr, auxquels on peut associer, sous l’effet de la paronomase, cette marquise et cet amour mis dans toutes les positions syntaxiques possibles quelques scènes auparavant, d’autant plus que « Marababa sahem veut dire : “Ah ! que je suis amoureux d’elle” » et cacaracamouchen, « Ma chère âme ». Le babil enfantin se fait entendre à nouveau, redoublant les syllabes autour des labiales et des palatales, mama, baba, caca. Pourquoi ne pas se laisser entraîner par cette chaîne carnavalesque de signifiants qui semble s’organiser autour des plus simples expériences du nourrisson ? Maman-M’amour-M’amie-moucher-chier-cacaraca (onomatopée scatologique ?) – mou-j’aime-ça (sahem) : des mots mouchés, mâchés, chiés... Nul doute, Molière fait caracoler les mots : « Ahi, lui, Monsieur, lui Mamamouchi français, et Madame Mamamouchie française » [14] : car à quoi sert le « e » du féminin, sinon à faire plus nettement résonner le verbe « chier » dans ce véritable mot-valise qu’est Mamamouchi ?
15Le plus simple, une fois la pureté classique jetée aux oubliettes, une fois éprouvée, mâchée, cette matérialité du signifiant, est de faire une hypothèse de lecture venue de la modernité, d’analyser les « processus de déformation plutôt que [...] ceux d’imitation » [15] : il se pourrait bien que d’autres niveaux du texte se rattachent à ce nœud-là, procédant d’une logique associative sans rapport apparent avec la vraisemblance mimétique.
16Le dictionnaire de Furetière s’offre pour essayer cette piste et recueillir tous les mots susceptibles de faire écho à ces signifiants turcs qui comblent M. Jourdain de joie. Et c’est alors que, quatre articles plus loin que mascarade, mot « dérivé de l’arabe Mascara, qui signifie raillerie, bouffonnerie » et qui, associé à cararacamouchen par l’intermédiaire de mamamouchi, fait soudain surgir à l’esprit le nom de Scaramouche – ce probable maître de Molière –, avant le mot masque et bien après celui de machine, constamment associé à la comédie et à l’ingéniosité [16] – c’est alors, donc, qu’à maschelière, « épithète qu’on donne aux grosses dents de la bouche, qui servent à casser des noyaux, et à briser les gros aliments », un nouveau signifiant, qu’on n’aurait pas songé à joindre aux précédents, vient exploser comme au centre caché de tous :
On les appelle aussi molaires ou molieres.
174. Le fil ainsi tiré sous le double effet d’une intuition subjective et d’une méthode critique – qu’on peut donc toutes deux dire anachroniques – semble nous avoir permis de surprendre le secret de son pseudonyme que Molière gardait jalousement selon Grimarest (« lorsqu’on lui a demandé ce qui l’avait engagé à prendre celui-là plutôt qu’un autre, jamais il n’en a voulu dire la raison, même à ses meilleurs amis » [17]) ou, du moins, le chiffre caché de son inconscient. Et M. Jourdain devenu mamamouchi serait donc le propre masque de Molière : non seulement, selon la mimesis, un bourgeois gentilhomme, mais encore, de façon cryptée, un « baladin » « paladin », comme le comprendra Mme Jourdain, faisant danser là encore signifiants et signifiés, et résonner, autour des labiales, la syllabe « din » où s’entend le mot « dent », paronomase que réalise du reste le malheureux Dandin. N’y va-t-il pas d’un change de nom, de statut, d’une mascarade et d’une machinerie, tout cela s’ancrant dans les régions obscures du paternel dénié, entre marchand et Scaramouche, du maternel affiché, de l’anal et de l’oral (« Mou, j’aime », c’est bien ce qui résulte de ce qui est – tendrement ? agressivement ? – mâché [18]), de l’amour (et cacaracamouchen se traduit par « Ma-chèr-e âme »), avec la langue naissant entre les dents, dans le mouvement des mâchoires, comme lors de la leçon de philosophie ? Et débouchant (c’est le cas de le dire), sur toutes sortes de machines à dents, la meule du moulin par exemple, autre molière dont la fonction est d’écraser comme la maschelière [19], et sur les barbouillages divers de visages ou de papiers entre le verbe machurer [20] et les machurats-compagnons imprimeurs [21], sans parler de la littérature elle-même, car « on dit des ouvrages des méchants auteurs, qu’ils ne sont bons qu’à faire des mouchoirs de derrière », tandis qu’un « ouvrage est fait avec grande méditation » lorsque « l’auteur l’a longtemps mâché et remâché dans son esprit avant que de le mettre au jour » : du reste, le lecteur n’est-il pas depuis longtemps convié à jouir du livre comme d’un banquet destiné à son estomac qui s’écrit « estomach » dans le Furetière et donne l’adjectif « estomachique » [22] ? Ce qui nous ramène encore une fois au Bourgeois gentilhomme et au banquet de Dorante dont la description joue de ce registre métaphorique :
18[...] vous n’avez pas ici un repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère, et des barbarismes de bon goût. Si Damis s’en était mêlé, tout serait dans les règles : il y aurait partout de l’élégance et de l’érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du repas qu’il vous donnerait [...]. [23]
19Un paradigme assez cohérent se dessine, où les éléments biographiques, de l’histoire de l’enfance de Jean-Baptiste Poquelin (le père marchand, la mère puis la belle-mère mortes prématurément) à celui de son être social paradoxal (comédien, écrivain, élève de Scaramouche, peut-être même mouchard [24]), viennent s’accrocher en grappe autour d’un paradigme de la transformation-dissimulation (où se nouent « mâcher », « masquer », « mâchurer » et « machiner » et même peut-être « marchand » derechef [25]).
20Arrivé à ce stade, le critique pris de vertige serait tenté de continuer à enchaîner encore, de s’appesantir par exemple sur escarmouche, escarmoucher et escarmoucheur, car ce « cavalier » « qui va faire le coup de pistolet, attaquer, défier l’ennemi » semble destiné aux caracols, mot « pris de l’arabe, et l’arabe de l’hébreu carac » qui désigne « le demi-tour que fait chaque cavalier quand il a fait sa décharge, pour passer de la tête de l’escadron à la queue » tandis que caracoler signifie « biaiser, ne marcher pas droit, faire des poursuites à diverses reprises en tâchant de surprendre ses parties ». Car ne s’agit-il pas bien de cela, vraiment, d’une pirouette, d’un défi, entre tendresse et violence, un écrasement du nom et du métier du père par un saut de côté en direction du féminin, de la séduction et de ses masques ? Et ne retombe-t-on pas, par condensation et déplacement, sur la condamnation tant des pseudonymes que du théâtre ?
215. La prudence devrait ici arrêter notre critique enivré. Ne se serait-il pas laissé gagner par la pathologie sociale de M. Jourdain et le poison moral du théâtre, et, embarqué du côté de l’imposture turque, ne serait-il pas en train de se prendre pour un critique-paladin sans voir qu’il sombre dans le ridicule du baladin ? Sans doute, du reste, le lecteur raisonnable est-il depuis quelques pages déjà en train de rire de lui comme Cléonte et Covielle le font du grand Mamamouchi, à le voir quitter le vraisemblable et le naturel...
22De fait, le premier bénéfice d’une telle lecture est un bénéfice de plaisir, et, comme tout bénéfice de plaisir affiché, il provoquera l’irritation de plus d’un. La vieille opposition entre « plaire » et « instruire », préceptes réputés s’épouser à l’âge classique, devient ici critique : car ce plaisir semble suivre sa propre route, bien loin du message de la comédie, qui devrait nous faire rire de la confusion où se trouve M. Jourdain à l’égard des signes pour nous dégoûter d’une telle confusion, d’une telle exaltation face à la vacuité des apparences [26]. En exposant le ridicule de M. Jourdain sur le mode burlesque, la satire, tout exagérée qu’elle puisse être, interdit en principe l’identification au bourgeois gentilhomme, interdit d’accorder un quelconque sérieux à sa joie, interdit de se lancer dans une quête associative qui crédite son baragouin d’un sens caché derrière son non-sens apparent.
23Mais la psychanalyse nous apprend que l’inconscient est retors : c’est précisément en partant de l’hypothèse selon laquelle un contenu latent bien gardé pouvait très bien se dissimuler derrière un contenu manifeste que nous sommes arrivés, par le pseudo-titre de M. Jourdain et le pseudo-turc de Covielle, au pseudonyme de Molière. Quel sens au juste se trouve ainsi contradictoirement mis au jour, et à quelle participation le rire suscité par la comédie invite-t-il au juste le spectateur ? Peut-on en décrire le plaisir comme Roland Barthes le fait à propos d’haristaukrassie : une suspension de la valeur signifiée, « passée au rang somptueux de signifiant » – une disjonction du sens, en somme ?
246. Dans le chapitre « Histoire ou littérature » du Sur Racine, titre où la conjonction de coordination marque un choix exclusif, Roland Barthes suggérait qu’on ne pouvait s’intéresser à la fois à l’œuvre littéraire et à l’histoire littéraire. En effet, la littérature serait marquée d’une dualité qui la partage entre « l’œuvre d’apparence solitaire, toujours ambiguë puisqu’elle se prête à la fois à plusieurs significations », et « le monde, son foisonnement de faits, politiques, sociaux, économiques, idéologiques » [27], et réclamerait donc fatalement « deux disciplines différentes et d’objet et de méthode » : l’histoire, « dans la mesure où la littérature est institution » ; la psychologie, « dans la mesure où elle est création » [28]. Selon Barthes, rien ne permettrait d’articuler ces « deux géographies incommunicables », pas même l’auteur qui fonctionne ici comme un trompe-l’œil puisqu’on ne peut accéder par lui ni aux structures collectives, objet de l’histoire (« dès que l’on demande au groupe étudié une certaine consistance, l’individu recule » [29]), ni à son psychisme dont rien ne dit comment l’œuvre a pu le représenter, pas plus qu’on ne peut trouver de manière certaine le rapport de causalité qui permettrait d’affirmer un lien représentatif entre l’œuvre et son contexte historique : imitation ? déformation ? Et pour quels effets ?
25De façon cohérente, dans l’ « Avant-propos » de Sur Racine, Barthes avait affirmé l’ « être trans-historique de la littérature » : « Cet être est un système fonctionnel dont un terme est fixe (l’œuvre) et l’autre variable (le monde, le temps qui consomment cette œuvre) » : « sens posé » et « sens déçu », l’œuvre n’est pas transparente à un signifié représenté, mais plutôt translucide, « sorte de degré zéro de l’objet critique », « place vide, éternellement offerte à la signification », « disponibilité qui lui permet de se maintenir éternellement dans le champ de n’importe quel langage critique » [30]. Comme l’affirmera plus tard Paul Ricœur dans « Qu’est-ce qu’un texte ? » [31], la fixité de la structure est ce qui permet ainsi à l’œuvre d’échapper à son inscription historique et de différer sa signification pour la suspendre à un acte interprétatif ultérieur propre à en réactualiser la visée mondaine. Ainsi se trouve fondée la distinction que fait Barthes entre l’historien et le critique : si le premier doit se pencher sur les classes sociales et les institutions littéraires, dont l’œuvre s’est à la vérité détachée, seul le second peut prendre en charge la signification de cette dernière en s’appuyant subjectivement sur les exigences du présent et méthodologiquement sur les contraintes de la structure.
26Pourtant, ce n’est pas exactement ce à quoi le trajet précédent, quoique mené à partir de l’hypothèse d’une discordance possible au sein de la représentation, nous a conduits : le « sens déçu », le sens poursuivi à partir d’une subjectivité et d’une méthodologie critique enracinées dans la modernité, nous ont ramenés en plein passé, en pleine histoire, au croisement du « sens posé » – un marchand qui veut devenir gentilhomme et croit avoir acquis un titre de noblesse turc – et d’un sens caché, celui d’un fils de marchand devenu comédien du roi, c’est-à-dire consacré au pseudo. Ainsi, et même si Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, ne nous intéresse pas particulièrement, le surgissement de son pseudonyme au cœur de la représentation nous impose une question d’interprétation historique : pourquoi donc Molière a-t-il articulé la représentation d’un type social, tellement vraisemblable qu’il en fut proposé des clefs, à l’investissement le plus explosif du langage, appelé bientôt à se métamorphoser, se déformer, de langue française en parler hébraïco-latino-turc et bientôt jargon (« Strouf, strif, strof, straf » [32]), « langue franque » [33], gascon, suisse, espagnol, italien, babil du couple de « vieux bourgeois babillards », et finalement bruit général, tout à la fois le « caquet » reproché par M. Jourdain à sa femme, à qui l’on doit du reste plus d’un calembour involontaire tel le jeu « Baladin/Paladin », et le « fracas », « chaos », « mélange » constatés eux-mêmes avec bruit et « confusion » par les « hommes et femmes du bel air » [34] ?
277. Depuis le XVIe siècle au moins, noms et titres sont au cœur d’une interrogation générale aux incidences sociales très concrètes. Oscillant entre l’indignation et la dérision, faisant fi de la grammaire et de la logique, la réflexion sur la valeur des noms interdit de placer les pratiques langagières du XVIIe siècle sous le seul signe de la clarté représentative. « Il fait bon avoir bon nom », remarque Montaigne, « c’est-à-dire crédit et réputation ; mais encore, à la vérité, est-il commode d’avoir un nom beau » [35] : la somptuosité du signifiant vaut comme signifié et se communique à celui qui le porte, ce que montre bien l’estime qu’ « un gentilhomme mien voisin » porte à « la fierté et magnificence » des noms de la noblesse du « vieux temps » comme « Don Grumedan, Quedragan, Agesilan » : « À les ouïr seulement sonner, il se sentait qu’ils avaient été bien autres gens que Pierre, Guillot et Michel. » Aux XVIe et XVIIe siècles, on vit dans la certitude que « le nom propre est lui aussi un signe » qui « s’offre à une exploration, à un déchiffrement », comme l’écrivait Barthes contre « la conception courante, de Pierce à Russel », selon laquelle le nom propre ne serait qu’un « simple indice qui désignerait sans signifier » [36]. Fiction ontologique, émanation réelle de la personne et de sa généalogie ou métonymie d’un comportement, le nom touche au système de l’honneur, ce qui explique l’importance des manipulations pratiquées sur lui : anagrammes, devises et divers jeux peuvent viser à honorer comme à outrager, comme en témoigne l’anagramme d’Élomire donné à Molière par ses ennemis.
28Un colloque d’Érasme, « La Chose et le Mot », met en scène deux personnages au « nom splendide » [37], Béat et Boniface, dont la réflexion sur l’arbitraire de leur nom propre lance le débat. De là, Béat, porte-parole d’Érasme, parcourt ironiquement toute la gamme des noms susceptibles de s’attribuer à des hommes, depuis les qualités morales jusqu’aux charges publiques, pour constater que les hommes aiment généralement davantage les mots que les choses : « Combien en voyons-nous qui préfèrent porter le nom d’érudits et de dévots qu’être réellement savants et bons ? [...] Même si un dialecticien venait nous définir précisément ce que sont un roi, un évêque, un magistrat et un philosophe, peut-être trouverions-nous là aussi des gens pour aimer mieux le nom que la chose » [38].
29On le voit, tous les prédicats humains sont en fait virtuellement des titres. De fait, dans les actes notariés, sous l’Ancien Régime, les noms propres sont accompagnés à la fois de la mention de la dignité de la personne (offices, ordres, vacations, conditions, etc.) et d’épithètes d’honneur et d’avant-noms qui s’attribuent en fonction de la dignité : ainsi, « les notaires donnent aux ecclésiastiques dans leurs actes la qualité de vénérable et scientifique personne », comme le mentionne Furetière ; « haut et puissant seigneur Messire » qualifiera un chevalier possédant un fief de dignité, tandis que, jusqu’au milieu du XVIIe siècle environ, « noble homme » peut orner aussi bien le nom d’un simple noble que d’un marchand bourgeois de Paris [39]. Ces épithètes honorent-elles la personne, son nom ou sa dignité ? Certes, la dignité est supposée inhérente à la personne comme toutes les qualités, mais en même temps les juristes conçoivent la dualité de la personne et de la dignité, conception que traduit la métaphore politique des « deux corps du roi » étudiée par Ernst Kantorowicz [40]. Aussi l’opposition entre être et apparence se révèle-t-elle très insuffisante pour saisir dans toute sa complexité le problème posé par ces affaires de « noms » [41], car les dignités restent valides indépendamment de la vertu des personnes qui les détiennent : même si une appellation honorifique confère à un évêque vicieux un honneur qu’il ne mérite pas, les honneurs dus à sa dignité lui sont cependant rendus à bon titre. Un roi indigne moralement n’en possède pas moins la dignité de roi, même si la façon dont il s’en acquitte dysfonctionne avec la définition morale du roi (« la tâche de légiférer et de juger dans l’intérêt du peuple, non dans le sien », précise Béat [42]). Un passage de La Logique de Port-Royal essaie une mise au point :
Les titres qui se donnent communément à certaines dignités, se peuvent donner à tous ceux qui possèdent cette dignité, quoique ce qui est signifié par ce titre ne leur convienne en aucune sorte. Ainsi parce qu’autrefois le titre de Saint, et de très-Saint se donnait à tous les évêques, on voit que les évêques catholiques dans la conférence de Carthage ne faisaient point de difficulté de donner ce nom aux évêques donatistes, sanctissimus Petilianus dixit, quoiqu’ils sussent bien qu’il ne pouvait pas y avoir de véritable sainteté dans un évêque schismatique [...]. Par exemple, le pape Jean XII n’était ni saint, ni chaste, ni pieux, comme Baronius le reconnaît ; et cependant ceux qui l’appelaient très-saint ne pouvaient être repris de mensonge, et ceux qui l’eussent appelé très-chaste ou très-pieux eussent été de fort grands menteurs [...]. [43]
30On ne peut mieux noter que les titres sont marqués du sceau d’une disconvenance représentative, d’une disjonction entre l’ordre moral et l’ordre social qui dédouble l’apparence elle-même. Encore Arnauld et Nicole passent-ils sous silence un troisième emploi possible de ces titres, qui achève de compliquer le problème : occasionnellement, par civilité, on peut bien gratifier quelqu’un, dans une interaction verbale ordinaire, d’un titre qui ne correspond pas à sa dignité, soit qu’on la connaisse mais qu’on veuille lui faire honneur, soit qu’on ne la connaisse pas et que l’on craigne de le sous-évaluer : aussi Érasme, dans un autre colloque, conseille-t-il ironiquement à celui qui veut usurper le titre de chevalier, outre toutes sortes de manipulations sémiologiques visant à transformer les éléments véritables de sa biographie en signes de noblesse, de rédiger de fausses lettres « dans lesquelles de grands personnages [le] traiteront plusieurs fois d’ “illustre chevalier” » [44]. « Il y a tant de liberté en ces mutations », observe du reste Montaigne, « que, de mon temps, je n’ai vu personne, élevé par la fortune à quelque grandeur extraordinaire, à qui on n’ait attaché incontinent des titres généalogiques nouveaux et ignorés à son père » [45]. Et Montaigne raconte alors une querelle de préséance où chacun « alléguait, qui une origine, qui une autre, qui la ressemblance du nom, qui des armes, qui une vieille pancarte domestique ; et le moindre se trouvait arrière-fils de quelque roi d’outre-mer ».
31Il faut l’admettre : l’énormité burlesque de la cérémonie turque dissimule une question d’une totale pertinence. De quoi les noms sont-ils les preuves, si rien ne distingue linguistiquement un vain nom d’un titre authentique ? Jusqu’à quel point le langage est-il performatif ? sous quelles conditions ? et performatif de quoi ? Louis Marin a montré comment l’énoncé eucharistique troublait la théorie de la représentation de Port-Royal, et c’est un trouble analogue que les titres et les noms propres jettent au cœur des représentations laïques du XVIIe siècle. Il est important de noter à cet égard que, pour fausse que puisse être la dignité de Mamamouchi, elle a une conséquence très « réelle » pour M. Jourdain : Dorante, qui jusque-là ne lui a donné que du « M. Jourdain », va lui donner du « Monsieur » après sa pseudo-investiture :
Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame et moi, à votre nouvelle dignité [...]. [46]
32De quoi sera fait l’avenir ? La question est de peu de sens ; mais enfin, cet avant-nom réservé aux égaux dont Dorante gratifie M. Jourdain donne à sa nouvelle dignité une consistance sociale indéniable.
33Deux passages du Socrate chrétien de Guez de Balzac, paru en 1652, sont encore très instructifs à ce sujet. Dans l’avant-propos, il s’explique sur le « nom » de son livre : « À dire le vrai, j’ai peur que celui de Socrate soit trop illustre pour lui », écrit-il. Mais il énumère aussitôt plusieurs autres Socrates historiques moins « honnêtes gens que Socrate le Philosophe », puis se met à ironiser sur d’autres « beaux noms » :
On m’a fait souvenir de plus qu’en Italie, lorsque j’y étais, les beaux noms étaient à très bon marché. En ce pays-là, j’ai vu Hannibal et Scipion estafiers d’un même maître ; il y avait des Pompées et des Césars qui servaient à l’écurie et à la cuisine [...]. [47]
34« J’ai de quoi défendre mon titre par d’autres titres sans sortir de ce royaume », ajoute enfin Balzac. Et de dénoncer celui d’un livre écrit « sur l’état des affaires de France », intitulé Excellent discours : « Ce n’était pas mépriser son livre que de lui donner de l’Excellence, ou de permettre qu’on lui en donnât » [48].
35« Lui donner de l’Excellence » : on est passé d’un adjectif évaluant un texte, à un titre d’honneur suspendu dans le vide, opération où se trouvent confondues le plan moral (et représentationnel) et le plan social (parfaitement contingent) que La Logique distingue.
36Un autre passage du Socrate chrétien s’interroge sur la qualité d’Aréopagite usuellement donné à saint Denis [49]. Le personnage Socrate, porte-parole de Balzac, élargit la question à deux autres cas également en débat : les mages venus adorer Jésus étaient-ils vraiment des rois ? Saint Jérôme était-il vraiment cardinal ? Et il aboutit à deux conclusions : la première, c’est que la qualité de saints, pour Denis et Jérôme, ou de sages pour les mages, est infiniment supérieure à leurs dignités publiques ; d’où la seconde, en fait assez proche de Port-Royal : vue son inessentialité, il n’est nul besoin de leur contester leur dignité :
Pour moi, bien loin de disputer à saint Denis la qualité d’Aréopagite, je ne m’oppose pas même au cardinalat de saint Jérôme : et quand il ne tiendrait son chapeau rouge que de la faveur des peintres et de la crédulité du peuple, je ne veux point lui faire un procès sur les ornements de son portrait. [...] Ces marques d’honneur et de respect [...] viennent d’une cause très honnête ; partent d’un principe de courtoisie et de libéralité, mais de courtoisie désintéressée et de libéralité toute pure. [50]
37Aussi n’est-il pas utile de « faire la guerre à outrance contre des gens qui aiment si fort les beaux noms et les beaux offices » [51]. En somme, la somptuosité ornementale des titres, leur caractère artiste, ouvrent sur un nouveau monde où la complaisance sociale, le jeu, doivent l’emporter sur les considérations hiérarchiques.
388. Mais, au cours du XVIIe siècle, la « liberté » des « mutations » évoquée par Montaigne devient moins grande. Le roi tend à devenir l’unique foyer de l’honneur, et les nouveaux titres s’acquièrent par grâce plus que par les anciennes dignités, une grâce souvent ressentie comme purement arbitraire : derrière le mufti, serait-il possible que le roi de France se profile ? La disparition parallèle de l’avant-nom « noble homme » [52] révèle le durcissement des distinctions d’ordre : l’appareil d’honneur oppose désormais le troisième et le second ordre, et dans les enquêtes de noblesse qui commencent en 1661 seuls les titres de « chevalier » et d’ « écuyer » vaudront pour preuve. Non seulement les bourgeois ne peuvent plus devenir gentilshommes, mais plus d’un gentilhomme devra réintégrer la roture. « Bourgeois gentilhomme », ou « gentilhomme bourgeois » [53], M. Jourdain peut emblématiser l’inquiétude qu’une telle incertitude devait susciter et en libérer, avant toute réflexion critique, par le rire.
39Roger Chartier a magistralement montré comment la portée sociale de George Dandin ne devait pas être comprise à partir du postulat d’une vraisemblance à laquelle personne ne pouvait croire au XVIIe siècle : aucun paysan, même riche, ne pouvait épouser une « demoiselle », titre réservé aux femmes nobles. Mais la fable de la farce présente une compatibilité avec le savoir social des spectateurs à qui elle est destinée :
La fiction de théâtre ne vise pas à reproduire une situation du « réel », mais prétend faire saisir, à travers l’illusion qu’elle postule et dément tout ensemble, les procédés mêmes par lesquels, contradictoirement, le social est construit. [54]
40Roger Chartier montre alors comment George Dandin doit en effet se lire, côté public de cour, dans le contexte des enquêtes de noblesse [55] et de l’inquiétude qu’elles suscitent :
George Dandin pouvait donc être entendu comme un texte qui, à travers l’intrigue tout imaginaire, visait la question majeure posée à toute la noblesse du royaume : comment et par qui est définie l’identité sociale ? [56]
41Cette lecture me paraît pleinement opératoire pour Le Bourgeois gentilhomme, non seulement parce que la question du titre et de l’identité constitue le centre de la satire du bourgeois, mais parce que, à travers le personnage de Dorante, celle de la noblesse est tout aussi violente : « comte » et « marquise » ne sont pas moins des « voix pour tout potage » [57] que mamamouchi, ce que souligne assez la traduction, pertinente en somme, de M. Jourdain : « Ahi, lui, Monsieur, lui Mamamouchi français, et Madame Mamamouchie française : je ne puis pas parler plus clairement » [58]. Tous les titres ne seraient-ils pas des hochets pour enfants ? Et le seul vrai « noble » de la comédie est finalement Cléonte, c’est-à-dire celui qui a la chose sans en avoir le nom.
429. Mais la découverte du pseudonyme de Molière sous le pseudo-titre de M. Jourdain devrait nous inviter à aller plus loin. Éloge plutôt que critique de la métamorphose, du mélange, ou du moins mise en scène étourdissante d’un bouger de tous les signes, où « parler clairement » consiste à faire surgir un signifiant carnavalesque – enfantin, étranger, scatologique – sous un titre français, la comédie est une formidable contestation de toute pensée de l’origine et de l’identité, et une phrase du philosophe Giorgio Agamben pourrait assez bien résumer sinon sa leçon, du moins son soupçon : derrière la fiction d’une correspondance peuple-langue – en voie d’élaboration au XVIIe siècle – se cache une réalité tout autre : « Tous les peuples sont bandes et coquilles, toutes les langues sont jargons et argots » [59].
43Du « je pense donc je suis » à « L’État c’est moi », le classicisme a toujours été associé à l’identité et à l’ordre. Le Bourgeois gentilhomme n’illustre rien de tel. « Mi star Mufti », affirme le Mufti en linga franca, ce sabir parlé autour de la Méditerranée et qui résonne comme la parodie tant du Sujet-Souverain (et du Souverain-Sujet) que de la langue nationale et du mythe de sa clarté. On peut affirmer, bien sûr, que la pièce ridiculise en fait celui qui ne se contente pas de son identité – mais il abrite le pseudonyme de Molière, et nous ne sommes parvenus à le trouver qu’en nous laissant séduire par la dérive infantile, archaïque, originaire, des signifiants, leur chaos indifférencié. À la question posée par le mufti : « Ti qui star ti ? », répond l’affirmation triomphale de M. Jourdain : « Je suis Mamamouchi ». La comédie du Bourgeois gentilhomme s’est révélée pleinement une pièce du XVIIe siècle, un siècle occupé par une formidable incertitude sur la valeur des signes, et, de façon cohérente, par une passion pour le théâtre, le genre littéraire le plus propre à jouer du voile et du dévoilement, à troubler le sens et le déporter hors de lui-même. Du reste, si une faille n’habitait pas toujours les identités, comment l’histoire elle-même serait-elle possible ? La dualité pointée par Barthes n’est pas celle qui oppose l’institutionnalisation, toujours historique et collective, de la littérature, à l’œuvre, toujours singulière et toujours différée dans l’actualité : mais les apories ouvertes entre solitude et collectivité, la différentialité de l’histoire elle-même, celle du XVIIe siècle tout comme une autre, et que révèle et prend en charge tout particulièrement la littérature, pratique à laquelle se vouent ces êtres humains étranges qui peuvent prononcer un jour que « je est un autre ».
Notes
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[1]
N. Boileau, Art poétique [1674], v. 153-154.
-
[2]
Roland Barthes, « Responsabilité de la grammaire », dans Œuvres complètes. Livres, textes, entretiens 1942-1961, éd. E. Marty, Paris, Le Seuil, t. I, 1993, p. 97. « Déjà, ajoute Roland Barthes, il semble qu’on abandonne parfois des parts considérables, des tics ancestraux de la grammaire normative ». Cet « abandon » devait aller s’accélérant : la « nouvelle critique » a eu son symétrique dans la production littéraire, moins le Nouveau Roman sans doute malgré l’intérêt critique dont il a fait l’objet, que l’écriture de « fiction », marquée par les jeux associatifs, la déconstruction de la syntaxe et des repères logiques, la spécularité de l’écriture et la promotion de l’inconscient et du corps comme signifiés majeurs, motivant au niveau du sens les flux du signifiant. En voici un exemple, extrait de La d’Hélène Cixous : « On oscille. Entre r... Quel est le mot, qui fait revenir les mots ? Qui a la clef ? [...] On erre entre deux vies. Rôde entre deux villes du delta. Le cœur arrêté devant la porte verrouillée. Ô mur, mur, muroir sur le mur. On essaie de se r... Les vieux mots ne marchent plus. Ne frappent plus. L’hier est parcouru. Entre jedus et jedis... » (Hélène Cixous, La, Paris, Gallimard, 1976, p. 22).
-
[3]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte, dans op. cit., t. IV, p. 260.
-
[4]
Jean Goldzink, « Que sont nos amours devenues ?... », dans Comédie-Française. Les Cahiers, Paris, POL et Comédie-Française, no 17, automne 1995, p. 18.
-
[5]
Alvin Eustis, « Existe-t-il un Molière moderne ? », dans Œuvres & Critiques. Visages de Molière, Paris, Jean-Michel Place, VI, 1, 1981, p. 29.
-
[6]
Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, Paris, Klincksieck, 1992 ; Gérard Defaux, Molière et les métamorphoses du comique, Paris, Klincksieck, 1992.
-
[7]
La signifiance est, dans le texte, le lieu de la jouissance, celui où le sujet se défait, précise Roland Barthes en rappelant que c’est Julia Kristeva qui en a, la première, proposé le concept : « Qu’est-ce que la signifiance ? C’est le sens en ce qu’il est produit sensuellement » (Roland Barthes, Le Plaisir du texte, op. cit., p. 257). Le nom de Maurice Laugaa doit ici être mentionné car il fait figure d’exception : cf. notamment La Pensée du pseudonyme, Paris, PUF, 1986.
-
[8]
Bien sûr, Louis Marin a poussé le concept de représentation jusqu’à son point de renversement : mais plutôt pour en critiquer la violence cachée, ses effets de sujétion, c’est-à-dire plutôt pour en révéler la pragmatique invisible que pour aboutir à l’idée que cette opacification pourrait être au service d’un plaisir totalement indéterminable, plus à pointer qu’à expliquer.
-
[9]
« Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête » (éd. Jean Serroy, Paris, Gallimard, « Folio », 1998, I, 1, p. 38).
-
[10]
II, 4, p. 72.
-
[11]
Ibid., p. 73.
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[12]
« Le Bourgeois a une transparence unique », tel est le diagnostic porté à la fois sur la pièce et le personnage par Jacques Copeau qui écrit aussi : « M. Jourdain est si vrai qu’il gardera notre crédit, quoi qu’il fasse. Les traits de son caractère sont si plausibles, ils paraissent si bien ancrés dans le réel, que nous le suivrons de bonne foi, où qu’il lui plaise de nous emmener dans le fantastique » (Registres II. Molière, Paris, Gallimard, 1976, p. 279 et 282). Et, pour Gérard Defaux, « la transparence de Jourdain tient proprement du miracle » et fait de lui « l’antithèse incarnée de Tartuffe », tandis que « Le Bourgeois gentilhomme est essentiellement un spectacle que sa représentation épuise, qui n’accorde au texte qu’une importance secondaire, et qui, par conséquent, ne doit pas être jugé d’après des critères uniquement littéraires ou textuels » (Gérard Defaux, Molière et les métamorphoses du comique, op. cit., p. 281 et 267).
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[13]
Cf., sur la question, Charles Mauron, Psychocritique du genre comique. Aristophane, Plaute, Térence, Molière, Paris, Librairie José Corti, 1964.
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[14]
V, 4, p. 192.
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[15]
Roland Barthes, Sur Racine, dans op. cit., t. II, p. 192.
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[16]
Voici quelques occurrences du mot qui décrivent son champ sémantique : « MACHINE : [...] On donne le nom de machine en général à tout ce qui n’a de mouvement que par l’artifice des hommes, comme les scènes et les théâtres mobiles [...] » ; « COULISSES [...]. Les perspectives des machines se meuvent dans des coulisses » ; « FAIRE [...]. Faire jouer une mine, un feu d’artifice. Faire jouer des comédies, des machines » ; « IMAGINATIF, IVE. Adj. Qui conçoit de belles choses dans son esprit. Il faut qu’un machiniste soit fort imaginatif, pour trouver de nouvelles inventions. La bonne qualité d’un Poète est d’être imaginatif » ; « DéROBER les auteurs se dérobent les uns aux autres leurs pensées, les machinistes leurs inventions » ; « CONTENTION [...]. Pour inventer une si belle machine, il a fallu une grande contention, une grande application d’esprit, un effort d’imagination » ; « ARTISTE [...] voilà une montre, une machine fort artiste ».
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[17]
Jean-Léonor Gallois de Grimarest, Vie de M. de Molière (1705) dans Molière, Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1962, p. 14.
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[18]
On rencontre dans le Furetière ce mot, MACHEMOURE, qui signifie : « Débris du biscuit réduit en miettes et menues parties. Il faut que le morceau de biscuit soit moindre qu’une noisette pour être réputé machemoure. » Et MASCHER « signifie plus généralement manger, faire bonne chère » : « Quand on est avec les femmes, les enfants, il faut toujours leur donner à mâcher, ils mâchent tout le jour ».
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[19]
À MOLIèRE, le Dictionnaire de l’Académie de 1694 mentionne les deux sens : « Molière. Adj. de tout genre. Il ne se dit guère que de certaines pierres qui servent à faire des meules. Pierres molières. Il se dit aussi des grosses dents qui servent à froisser, à broyer les viandes qu’on a dans la bouche. Dents molières. » Dans le Furetière, la molière est le nom le plus ordinaire de la meulière : « Carrière de pierre dure, d’où on tire les meules de moulin ». Et à MOUDRE, verbe « qui vient de molière » : « Il y a des dents molières en la bouche pour moudre et écraser les aliments en les mâchant ».
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[20]
« MACHURER. V. act. Barbouiller ou noircir quelqu’un, ou quelque chose. Machurer le visage, les habits ».
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[21]
« MACHURAT [...]. C’est ainsi qu’on appelle les compagnons imprimeurs qui apprennent leur métier, qui sont sujets à barbouiller, à gâter les feuilles qu’ils tirent ».
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[22]
Le jeu entre le sens concret et le sens figuré de l’aliment, ici spirituel, là physique, est d’une extrême fréquence au XVIIe siècle, comme en témoigne par exemple le couple goût/dégoût. On en citera pour preuve deux passages de La Logique de Port-Royal, qui pourraient faire la critique de M. Jourdain : « Il y a des estomacs qui ne peuvent digérer que les viandes légères et délicates, et il y a de même des esprits qui ne se peuvent appliquer à comprendre que les vérités faciles et revêtues des ornements de l’éloquence » ; « On n’a pas cru aussi devoir s’arrêter au dégoût de quelques personnes, qui ont en horreur certains termes artificiels, qu’on a formés pour retenir plus facilement des diverses manières de raisonner, comme si c’étaient des mots de magie, et qui font souvent des railleries assez froides sur baroco et baralipton, comme tenant du caractère du Pédant ; parce que l’on a jugé qu’il y avait plus de bassesse dans ces railleries que dans ces mots » (Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l’Art de penser (5e éd., 1683), op. cit., « Premier Discours », p. 43 et 42).
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[23]
IV, 1, p. 160.
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[24]
« MOUCHARd. Subst. fém. Espion qu’on met auprès de quelqu’un, ou dans une famille, ou dans un lieu public, pour prendre garde à tout ce qu’on y dit, à tout ce qu’on y fait et en faire rapport. Il faut prendre garde comme l’on parle dans le monde, de crainte qu’il n’y ait quelque mouchard qui vous fasse une affaire ». Donneau de Visé, dans Zélinde, fait de Molière le portrait d’un « dangereux personnage », médisant et délateur, sans cesse occupé à épier ses semblables « pour les faire représenter au naturel sur son théâtre » (Jean Donneau de Visé, Zélinde ou la véritable Critique de l’École des Femmes [...], dans Georges Mongrédien (éd.), La Querelle de l’École des femmes [...], Paris, Nizet, 1971, sc. 6, p. 37-38 ; cf., sur cette question : Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, op. cit., en particulier p. 62-63 où est cité ce passage).
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[25]
« MAQUIGNON, ONNE. Subst. masc. & fém. Gens d’intrigue qui se mêlent de donner des advis, de faire des mariages, de faire vendre des offices, des bénéfices & autres trafics odieux. [...] Ce mot vient de maque, qui signifiait autrefois marchandise, aussi bien que celui de maquereau ; quoique Menage dise qu’il vient de l’italien machinone, qu’il croit être fait de mangone. On a dit dans la basse Latinité mangonare, pour signifier trafiquer ; et mango, manganus, pour signifier un trompeur ».
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[26]
Ainsi, pour Patrick Dandrey, la comédie moliéresque repose sur « la superposition de deux images, l’une parfaitement accomplie, image de perfection proportionnée, l’autre caricaturale, déformée par les délires extravagants de l’imagination ». Et il ajoute : « De sorte que ce processus de critique de l’image par superposition entre une vision droite et une déformation caricaturale qui la pervertit en croyant l’accomplir se trouve constituer le principe de l’anthropologie classique [...] et en même temps le principe esthétique du ridicule qui est la clef de l’écriture comique » (Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, op. cit., p. 388-389).
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[27]
Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 177.
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[28]
Ibid., p. 179.
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[29]
Ibid., p. 180.
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[30]
Ibid., p. 54-55.
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[31]
Paul Ricœur, « Qu’est-ce qu’un texte ? », dans Du Texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Le Seuil, 1986.
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[32]
V, 4, p. 192.
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[33]
IV, 5, p. 181.
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[34]
V, 6, p. 203-214.
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[35]
Michel de Montaigne, Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1967, « Des noms », I, 46, p. 124.
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[36]
Roland Barthes, Nouveaux Essais critiques, dans op. cit., t. IV, p. 69.
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[37]
Érasme, Colloques, Paris, Imprimerie nationale Éd., 1994, « La Chose et le Mot », t. II, p. 174.
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[38]
Ibid., p. 176.
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[39]
Je m’appuie sur un travail collectif, Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien régime, à paraître sous la direction de Robert Descimon.
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[40]
Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi [1957], trad. J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1988.
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[41]
Comme le montre aussi, d’un autre point de vue, plus anthropologique, Maurice Laugaa dans La Pensée du pseudonyme, op. cit.
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[42]
Érasme, « La Chose et le Mot », op. cit., p. 176.
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[43]
Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l’Art de penser, op. cit., II, VII, p. 171-172.
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[44]
Érasme, « Le Chevalier sans cheval ou la Fausse Noblesse », op. cit., p. 230.
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[45]
Montaigne, op. cit., p. 124.
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[46]
V, 3, p. 190.
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[47]
Jean-Louis Guez de Balzac, Socrate chrétien, dans Les Œuvres, Paris, Louis Billaine, t. II, 1665, « Avant-propos », non paginé.
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[48]
Ibid.
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[49]
Auteur notamment de La Hiérarchie céleste, Denys l’Aréopagite a été confondu, à partir du IVe siècle, avec saint Denis, patron des rois et du royaume de France. Cette confusion durait encore au XVIIe siècle, mais elle était soupçonnée.
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[50]
Jean-Louis Guez de Balzac, Socrate chrétien, op. cit., p. 267-268.
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[51]
Ibid., p. 267.
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[52]
« On donne la qualité de noble homme, à des bourgeois, qui ne devroit appartenir qu’aux vrais Nobles », note Furetière, dénonciation qui s’appuie sur une nouvelle exigence de transparence représentative dans laquelle l’ordre social est déterminant.
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[53]
Deux textes, le Dictionnaire de Furetière et Les Réflexions sur la Poétique de ce temps du P. Rapin, mentionnent la comédie sous le titre du Gentilhomme bourgeois (art. BOURGEOIS ; René Rapin, Les Réflexions sur la Poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes [1675], éd. E. T. Dubois, Genève-Paris, Droz-Minard, 1970, variante de 1674 et 1684, p. 117).
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[54]
Roger Chartier, Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Albin Michel, 1996, p. 182.
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[55]
« Pour le roi, les intendants, les officiers de finances, ou les traitants qui se chargent des vérifications, le rang social ne saurait plus être déterminé par la volonté des individus, même appuyée sur un certain nombre de signes visibles (un style de vie noble, la possession d’une terre seigneuriale). Il dépend fondamentalement d’une reconnaissance donnée sur pièces par l’autorité du monarque, seule capable de dire quelle est la condition véritable de ses sujets » (ibid., p. 195).
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[56]
Ibid., p. 196.
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[57]
Montaigne, op. cit., loc. cit., p. 125.
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[58]
V, 4, p. 192.
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[59]
Pour Giorgio Agamben, il est grand temps de contester l’articulation faite entre le peuple et la langue, dont nous n’avons pourtant pas la moindre définition certaine, qui fonde le discours politique moderne, et de trouver d’autres assises politiques au factum pluralitatis, au « simple fait que les hommes forment des communautés » (Giorgio Agamben, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Paris, Bibliothèque Rivages, 1995, p. 77 et 76).